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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le dimanche 16 septembre 2012

Année 2012, numéro Année 2012, numéro Année 2012, numéro Année 2012, numéro 17 17 17 17

SOMMAIRE SOMMAIRE SOMMAIRE SOMMAIRE

RDC RDC RDC RDC

Où en est-on à la mi-septembre 2012 ?... page 1 Amérique Latine

Amérique Latine Amérique Latine Amérique Latine

“L’Amérique Latine reste l’épicentre de l’altermondialisme… page 6 Maroc

Maroc Maroc Maroc

Répression et lutte de classes… page 11 Syrie

Syrie Syrie Syrie

Que faire en Syrie ? … page 15 Monde Arabe

Monde Arabe Monde Arabe Monde Arabe

Regard global sur e « réveil arabe »… page 18

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RDC RDC RDC RDC

Où en est-on à la mi-septembre 2012 ?

Situation politique et sécuritaire

Les multiples effets désastreux que la RDC subit aujourd'hui sont les conséquences de la faiblesse d’un état déliquescent n'assurant que très insuffisamment ses fonctions

régaliennes. Celles-ci sont au nombre de quatre :

1/ la sécurité extérieure par la diplomatie et la défense du territoire ;

2/ la sécurité intérieure et le maintien de l'ordre public, avec, notamment, des forces de police et une armée:

3/définir le droit et rendre la justice ;

4/détenir la souveraineté économique et financière, en frappant monnaie et en organisant son budget

La faiblesse de l’état est provoquée et entretenue par une partie de la classe politique, qui y voit la possibilité de l’enrichissement personnel de quelques-uns, au détriment de la grande majorité de la population.

La crise à l’Est a été un nouveau et excellent prétexte pour une débauche de dépenses dite de « Souveraineté ». Les observateurs évoquaient déjà depuis un moment la perspective d'une aggravation de la situation dans l'Est. Des accords manquants de transparence avec le Rwanda ; des relations souvent contre nature, mais aux intérêts "objectifs" sécuritaires et économiques ; des enjeux miniers ; mais aussi le bois, le café et l'ivoire, ont dessiné une constellation d'intérêts à la fois contradictoires et communs aux différentes parties en présence (Ouganda, Rwanda, Burundi et RDC). L'observation de cette situation de crise par les autres puissances régionales plus éloignées (Angola, RSA, Zimbabwe et Tanzanie) n’est pas sans incidence sur la résolution du conflit.

Depuis l’administration (démocrate) de Clinton, les USA ont constamment appuyé une « Nouvelle Renaissance Africaine », sorte d’impérialisme « tropicalisé », appuyé idéologiquement sur un discours inspiré du panafricanisme des années 60, dont la figure de

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proue était Yoweri Kaguta Museveni1. Et, faut-il le rappeler, celui-ci a dû son arrivée au pouvoir à des troupes parmi lesquelles il y avait de nombreux réfugiés rwandais, dont Kagame !

Mascotte de la politique subsaharienne de l’administration Clinton, la « dynamique de la renaissance » englobait notamment les régimes de l’Ougandais Museveni, de l’Ethiopien Meles Zenawi, de l’Erythréen Issaias Afeworki et du Sud-Africain Nelson Mandela. Les démocrates américains voulaient voir dans le volontarisme pragmatique affiché par ces nouveaux leaders la projection d’une Afrique idéale, alignée harmonieusement dans l’évolution d’un monde globalisé. En fait, cette catégorisation manichéiste reposait sur une perception biaisée de la réalité. Malgré l’existence de structures formelles de bonne gouvernance dont ils avaient été érigés en « modèles », les membres en vue de cet aréopage, étaient à la tête de régimes politiquement verrouillés.

Dans ce contexte de crise régionale et sur un plan géopolitique, la mort récente de Meles Zenawi, le Président éthiopien, a eu pour conséquence pour les Anglo-Saxons en général et les USA en particulier de devoir disposer d’alliés fiables dans la sous-région, ceci pour prévenir les menaces terroristes islamiques venant du Nord Soudan et, un peu plus loin, de la Somalie. La Grand Bretagne restituant déjà, pour cause de "bonne volonté", 12 millions d’USD sur un total de 24 dans la cadre de la coopération bilatérale en est un début d'illustration de cette nécessitée géopolitique.

Il n'est pas possible d'exonérer le Rwanda de ses responsabilités dans la soutien de certains mouvements insurrectionnels (M23 aujourd’hui et hier, le CNDP) en RDC mais cette implication directe du Rwanda dans cette crise ne doit pas détourner l’attention des responsabilités de la RDC dans la prévention de ce conflit. Dans le seul Nord-Kivu, il existe une quinzaine de milices (chiffre non exhaustif !) qui sont de manière incessante inscrites dans une géométrie variable d'alliances presque toujours contre nature, mais se basant conjoncturellement sur des intérêts communs.

Les FARDC n’ont pas été un facteur positif sur le terrain, les raisons qui l'expliquent sont nombreuses et connues, militaires peu payés, quand ils le sont, une chaîne de commandement corrompue et incompétente, un gouverement sans volonté politique d'agir sur la reforme du secteur de la défense, la faillite des politiques de brassage et d’intégration sont autant d’éléments expliquant cette débâcle.

Il faut rappeler aussi qu'au Sud-Kivu, dans l'Ituri et au Nord-Katanga, il existe une myriade de milices qui ont en commun de vivre sur le dos des populations qu'ils pillent, violentent et tuent. Le désarroi de ces populations est indicible, le reste du pays en l'absence

1 Museveni a pris le pouvoir en 1986. Depuis, il maintient un État militarisé, en s'attachant à restaurer la paix dans un pays meurtri par la guerre civile et à faire redémarrer une économie moribonde. D'abord guidé par les principes marxistes, il change de stratégie et fait de l'Ouganda le "bon élève du FMI" en suivant les recommandations de l'institution financière, avec des résultats plutôt positifs. De 1991 à 1992, Museveni préside l'Organisation de l'unité africaine et il est généralement considéré comme représentatif de la nouvelle génération de leaders africains.

En mai 1996, Museveni remporte la première élection présidentielle à se tenir en 16 ans, avec 74 % des suffrages. Il est le seul candidat à cette élection car il considère que le multipartisme est un « concept occidental ». Opposé à cinq autres candidats, il est réélu en mars 2001 avec 69,3% des voix.

Pendant la guerre du Congo, les soldats de Museveni seront un soutien important de Laurent-Désiré Kabila.

Après s'être brouillé avec Kabila, président du Congo, l´armée de Museveni luttera avec les rebelles de Jean- Pierre Bemba contre Kabila, mais ce soutien aura un prix, ces soldats ne se gêneront pas pour piller les mines de diamants à Kisangani et d´or en Ituri. Museveni en tirera un gros profits. Ces opérations militaires seront soutenues par la Grande-Bretagne et les États-unis.

En juillet 2005, il fait adopter par le Parlement une modification de la Constitution pour lui permettre de se présenter à la prochaine élection présidentielle afin d'y briguer un troisième mandat. À l'issue des élections du 23 janvier 2006, il est réélu président avec 60% des voix.

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de toutes les fonctions dévolues a un état organisé, infrastructures, santé, éducation et justice sociale, ont la vie provisoirement sauve, mais rapidement meurent de pauvreté et de maladie.

L'absence de conflits dans l'Ouest et au Centre du pays est payée durement par la quasi-absence des bailleurs traditionnels qui se concentrent sur les zones de conflit.

Depuis cette année, la faiblesse organique et congénitale de l’état congolais se double d’un déficit de légitimité. Les élections du 28/11/11 ont donné des résultats qui, en réalité, sont encore inconnus. Les fraudes les plus importantes ayant eu lieu au niveau des centres de compilation, on ne pourrait se rapprocher de la « vérité des urnes » qu’en se référant aux PV des bureaux de vote, dernière opération publique et vérifiée par des témoins. Les chiffres de la CENI ne s’accompagnaient pas de ces PV, les chiffres publiés par l’UDPS, non plus. L’Eglise n’a jamais publié les résultats partiels constatés par ses observateurs. On n’a donc que des résultats dont la crédibilité est nulle. Les législatives ont été dignes de la présidentielle, sinon pires. Mais la CSJ a entériné les résultats de la présidentielle et des législatives. Le temps s’est écoulé, les résultats des élections demeureront à jamais inconnus. Toute autorité prétendue ne relève plus que de la force, de l’intimidation, d’un coup d’état de fait. Le principal ressort de ce coup d’état consiste à progresser, comme si de rien n’était, dans les tâches qui suivent normalement une élection et à mettre le pays et le monde devant le fait accompli.

Dans ce cadre, il est manifeste qu’il y a une manœuvre pour « rapiécer », à l’usage de Joseph Kabila, la légitimité que ne lui ont pas donnée les élections.

On cherche à « surfer » sur la vague de nationalisme engendrée par la guerre de l’Est.

Les circonstances se prêtent à de solennels appels à l’unité nationale, au regroupement de tous autour du drapeau. Il est d’ailleurs à remarquer que JKK a sa part dans le déclenchement de l’affaire M23, puisque celle-ci a fait suite à l’annonce de sa volonté d’arrêter Bosco Ntaganda.

Comme on siège dans le cadre d’une « urgence nationale », toute contestation qui tenterait malgré tout de se faire jour pourra être conspuée en criant au « sabotage de l‘union nationale en ces heures tragiques ».

Un be exemle en est la rentrée parlementaire qui s’est passée sous le signe de la guerre à l’Est alors qu’ele était censée s’occuper surtout du budget 2013 (voir plus loin)/

Le discours de rentrée parlementaire samedi à Kinshasa a été principalement consacré à la guerre dans l'est de la République démocratique du Congo. Les députés ont fait leur rentrée au Grand Hôtel de Kinshasa, les locaux de l'Assemblée nationale étant en travaux. Le Premier ministre Augustin Matata Ponyo, le président du sénat Léon Kengo et plusieurs ministres et diplomates étaient présents à l'ouverture de la session, qui sera principalement consacrée au budget 2013. La session s'est ouverte "au moment où notre pays traverse encore un moment tragique de son histoire du fait de la guerre d'agression qui embrase sa partie nord-est, avec l'implication de troupes rwandaises et des groupes rebelles", a déclaré le président de l'Assemblée nationale, Aubin Minaku. "Le peuple congolais est en droit d'attendre du Conseil de sécurité des Nations Unies (...) l'adoption de sanctions contre" le Rwanda, a-t-il ajouté.

Il a par ailleurs renouvelé le souhait de la RDC d'obtenir une "requalification" du mandat de la Mission de l'ONU pour la stabilisation du Congo (Monusco), qui soutient les Forces armées congolaises (FARDC) contre le M23, en vue d'un engagement opérationnel

"plus efficient". Quant à la force neutre qui doit être déployée entre les deux voisins d'ici trois mois, la RDC propose de mettre à profit le "mécanisme de sécurité collective contenu dans le cadre de la Communauté économique des Etats d'Afrique centrale (CEEAC) (...) et de la Communauté de développement d'Afrique australe" (SADC).

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M. Minaku a appelé à des "actions conjuguées du Conseil de sécurité et de la Cour pénale internationale (CPI) ainsi que de la justice congolaise" pour émettre des "mandats d'arrêts internationaux contre les ennemis de la paix, quel que soit leur statut".

Au même moment, à l'extérieur du bâtiment, une cinquantaine de militants d'une ONG, la Nouvelle société civile congolaise (NSCC), brandissaient des messages et des

dessins à l'attention des députés. L'un des slogans: "La SNCC dit non à la force d'interposition à l'est de la RDC, mais oui à la requalification du mandat de la Monusco".

"Nous ne voulons plus une force de plus sur notre sol. Nous avons la Monusco qui est suffisamment outillée pour faire ce travail. Pourquoi aller chercher d'autres forces? Les moyens, on les aura où? Les hommes, on les aura où?", a déclaré à l'AFP Robert Kabakela, un responsable de la NSCC.

La Guerre de l’Est tombe vraiment à pic pour ne parler ni des élections contestées, ni de la situation économique, financière et sociale, qui n’est pas rose !

Situation économique, financière et sociale

Le programme de Facilité Élargie de Crédit (FEC) négocié par le gouvernement congolais avec le FMI est en train de sortir des rails, les IV et V revue n’ont pas été conclues et la VI qui n’a pas encore été examinée aurait du terminer ce programme triennal à la date du 30 juin 2012. L’approbation de la dernière revue (IIIème revue) par le CA du FMI date d’avril 2011

Les raisons principales sont

1/ le budget 2012 dont les prévisions ne sont pas réalistes; le budget 2011 était d’un peu plus de 6 milliards d’USD dont 3 mds de ressources propres, taux de réalisation 57 %, et les ressources extérieures ont été réalisées à environ 33 %, le GVT n’a pas prise sur ce volet puisque ce sont les bailleurs qui décident de leurs décaissements par rapport à leurs engagements. Fin juin 2012, les bailleurs avaient décaissé moins de 10% de leurs engagements.

Le Budget 2012 qui a été validé par l’AN et le Sénat est de 8 milliards d’USD dont 5 en ressources propres (pratiquement irréalisable). Les services du FMI ont proposé de travailler sur un budget 2013 réaliste qui devrait être logiquement inférieur à 2012 sauf amélioration spectaculaire des recettes. De quelle manière, au détriment du climat des affaires en pressurisant les entreprises ou alors un assainissement drastique des mœurs dans la gestion publique ? Ce qui évidemment sur le plan politique demandera au gouvernement du courage pour ne pas tomber dans la spirale de la démagogie des promesses jamais tenues sur l’amélioration de l’environnement social et enfin de tenir un discours réaliste en harmonie avec les faits devant le Parlement et l’opinion publique congolaise.

L’outil majeur et central que devrait être le budget dans une stratégie de bonne gouvernance doit se trouver au cœur des priorités. Pour les bailleurs, ce budget est la pierre angulaire autour de laquelle, elles apporteront à l’avenir leurs appuis, aides budgétaires ou mise en œuvre de leurs politiques de coopération avec la RDC.

2/ la publication des contrats ; des avancées importantes ont été faites par les autorités congolaises, restent néanmoins des contrats et avenants à publier, entre autres; COMIDE et le contrat de cession du titre Frontier à ENRC. La transparence dans ce secteur est une condition de base pour avancer dans ce programme en facilitant l’identification des ressources budgétaires, ne serait-ce que pour financer les infrastructures indispensables au maintien de la croissance… L’exécution satisfaisante de ce programme, rappelons-le, conditionne la politique en matière de coopération des bailleurs bilatéraux qui siègent au BOARD du FMI.

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On peut comprendre ces positions en sachant qu’évidemment le fait, pour le GVT ou les entreprises publiques de vendre à des sociétés offshore des actifs miniers à des valeurs résiduelles insignifiantes et qui réapparaissent peu de temps après dans le portefeuille de grosses sociétés minières qui les ont acquises à des prix de marché (ENRC, Glencore, etc.) est de nature à provoquer un questionnement suivi d’un profond doute chez les bailleurs. Le bradage de ces actifs interpelle les bailleurs qui doivent répondre devant leurs opinions publiques de l’usage pertinent des fonds destinés à la coopération avec la RDC, surtout en temps de crise économique généralisée en Europe

3/ les problèmes de gouvernance en général et de l’environnement du secteur privé, en particulier sans être des conditions formelles, sont d’importants éléments d’appréciation pour les bailleurs (bilatéraux et multilatéraux). Il suffit de lire le livre blanc de la Fédération des entreprises congolaises (FEC) et les témoignages des entrepreneurs lors des « Assises pour l’Amélioration du Climat des Affaires », cela en provenance de tous les secteurs confondus pour se rendre compte des progrès qui restent à réaliser.

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Amérique Latine

“L’Amérique Latine reste l’épicentre de l’altermondialisme

Entretien avec Franck Gaudichaud mené par Àlex Romaguera (Directa / http://www.setmanaridirecta.info/)

Traduit de l’espagnol par Pascale Cognet (Réseau Tlaxcala / www.tlaxcala-int.org)

Quelles sont les tensions entre les nouveaux pouvoirs et les mouvements sociaux d’émancipation en Amérique latine ? Quel rôle jouent les USA ou l’Union Européenne dans la région ? Voici quelques questions que se pose « Le volcan latino-américain : Gauches, mouvements sociaux et néolibéralisme au Sud du Río Bravo », livre publié sous la direction de Franck Gaudichaud. Il répond à quelques-unes d’entre elles dans une interview publiée en Catalogne par l’hebdomadaire Directa.

L’Amérique latine est un enchevêtrement de mouvements indigènes et mouvements de base, mais aussi de gouvernements progressistes installés sur le continent au cours de la dernière décennie, la majorité d’entre eux restant cependant soumis à un système de production « extractiviste », souvent aux mains des multinationales.

Franck Gaudichaud à la Maison de la Solidarité de Barcelone. Photo Robert Bonet C’est également le tour d’une nouvelle génération de jeunes et de collectifs d’envisager de dépasser, dans le contexte actuel, le modèle d’Etat sur lequel beaucoup de pays de la zone se sont forgés. C’est un scénario riche de possibilités, non exempt de menaces, dont nous parle

abondamment Franck Gaudichaud, politologue, éditeur de la section chilienne du site Rebelión, President de l’association France Amérique Latine (http://www.franceameriquelatine.org/) et coordinateur de l’ouvrage « El volcán latinoamericano » (Le Volcan latino-américain). Une radiographie, premier ouvrage de la nouvelle maison d’édition Otramérica, dans laquelle vingt auteurs des deux côtés de l’Atlantique présentent un panorama de la carte hétérogène latino- américaine, du point de vue de la gauche et dont Gaudichaud, professeur en Sciences Politiques de l’Université de Grenoble 3, analyse tous les tenants et aboutissants.

Dans le prologue du Volcan latino-américain, tu dates de 1998 le début de la période historique

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dans laquelle se trouve plongée l’Amérique latine. Que se passe-t-il à partir de cette année-là ? Il est toujours difficile de choisir une date, mais, si nous prenons comme référence le changement d’un cycle, 1998 pourrait être choisie comme le point d’infléchissement vers des positions de gauche ou centre-gauche, au niveau des gouvernements, dans tout le continent. Surtout suite à l’accession de Hugo Chávez à la présidence du Venezuela, quoique qu’il serait également juste de se référer au soulèvement zapatiste (Mexique) de 1994. En tout cas, au cours de la décennie 90, nous assistons à la reformulation de nouvelles gauches à partir de phénomènes importants et d’expériences de mobilisation sociale. Les secteurs populaires qui ne comptaient pas dans la société commencent à avoir une influence parce que, malgré le pouvoir de l’oligarchie, ils veulent être des acteurs de la vie publique. Apparaissent également de nouveaux acteurs institutionnels dans chaque pays, comme par exemple le MAS (Mouvement vers le Socialisme) d’Evo Morales en Bolivie.

Quelques-uns de ces acteurs se réclament du « Socialisme du 21ème siècle ». S’agit-il du grand mouvement du changement ?

Il s’agit plutôt d’une revendication symbolique, car jusqu’à présent, nous n’assistons pas à une rupture avec le capitalisme périphérique, comme ce fut le cas pour la révolution sandiniste au Nicaragua, le castrisme à Cuba ou -potentiellement- le processus de pouvoir populaire pendant le gouvernement de Salvador Allende au Chili. En tout cas, plusieurs processus animent des

dynamiques partiellement anti-impérialiste et des réformes démocratiques et sociales de grande envergure ont été mis en place par certains gouvernements, avec recul de la pauvreté et des inégalités. Nous l’avons ainsi constaté en Bolivie, en Equateur et au Venezuela. Plutôt qu’une rupture frontale avec la logique capitaliste, je dirais qu’elles tendent vers des modèles « post- néolibéraux », de retour de l’Etat et des politiques sociales, mais tout en maintenant des accords avec les multinationales pour leur faciliter l’accès aux ressources et aussi un apport technologique essentiel.

N’existe-t-il pas une possibilité de créer un modèle propre ?

La plupart des pays d’Amérique latine partent avec une croissance dépendante, reposant en grande partie sur l’industrie extractive des ressources naturelles, par exemple du pétrole et sur la

production intensive des céréales et autres aliments transgéniques ou sur des biens semi- manufacturés. La question est donc de savoir comment surmonter ces dépendances du capital transnational et comment créer un modèle productif post-extractiviste à la fois adapté aux besoins des communautés et respectueux de l’environnement.

L’accord de l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique (ALBA), né en 2004 à l’initiative du Vénézuela et de Cuba est-il une tentative de recherche d’alternative ?

Il situe dans l’agenda le projet d’intégration à échelle régionale, ayant vocation d’aller plus loin qu’une simple union économique, comme se contentent de le faire le Traité de Libre-échange, le Mercosur et autres propositions de tendance libérale. Il recherche la complémentarité en tenant compte des asymétries entre les pays et des échanges entre eux, sans oublier les îles caribéennes.

Pour le moment, cependant, il s’agit d’une initiative en réaction aux USA, très

intéressante politiquement mais qui n’a pas la capacité et les poids pour répondre aux véritables défis économiques que connaît l’Amérique latine, entre autres raisons par manque de soutien de grands pays comme le Brésil.

Quels sont les défis que tu mettrais en avant ?

L’obtention d’un changement profond à l’échelle régionale qui signifie intégrer dans ces dynamiques de transformation sociale et écologique, des pays comme le Brésil qui, -pour le moment- a ses propres plans stratégiques, ou plutôt dont la classe dominante a d’autres plans.

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Ensuite, il est nécessaire que ces pays soient en capacité -sur le plan interne et régional- de répondre aux exigences et d’écouter les mouvements sociaux qui font le pari d’aller plus loin que les réformes en vigueur et veulent rompre avec le modèle extractiviste, productiviste et

neodéveloppementiste, que maintiennent leurs gouvernements, y compris les plus progressistes ou populaires. Cette tension entre gouvernements nationaux-populaires réformateurs et mouvements sociaux se fait sentir, dans la dernière période, en particulier au Venezuela, en Equateur et en Bolivie. Il ne faut pas oublier, cependant, que certains mouvements peuvent être clairement corporatistes, voire être en contradiction les uns envers les autres ou y compris obéir à des intérêts conservateurs, comme cela s’est produit en Bolivie avec le mouvement autonomiste de la ‘Media luna ‘ [le ‘croissant’ des 4 provinces orientales ‘sécessionnistes, NdE] qui prétend séparer les régions plus riches des régions pauvres.

Le cas du Pérou où Ollanta Humala réprime les communautés qui s’opposent à l’industrie minière est exemplaire de cette dépendance…

Humala se définissait comme un nationaliste et, dès le départ, il avait une vision nationale- interclassiste qui reniait notamment la différence entre les gauches et les droites (comme il l’a déclaré à maintes reprises). Il continue à ouvrir le Pérou aux multinationales, entraînant une grande fracture avec les mouvements qui l’avaient appuyé. Le conflit Conga et le projet de l’entreprise Yanococha -funeste- d’extraction à ciel ouvert résume parfaitement ce qui se passe dans les autres régions de l’Amérique latine : les populations luttent pour défendre leurs droits face à quelques gouvernements, parfois teintés de progressisme, qui choisissent de préserver les privilèges des investisseurs étrangers et de grandes multinationales. C’est là que se livre la bataille pour la défense de l’environnement, pour un système productif plus durable, qui doit bien entendu répondre en même temps aux immenses besoins sociaux, en services publics, éducation, santé, du continents. Certains avancent la riche idée d’un « socialisme du bien vivre », notamment en Equateur.

En Argentine, le gouvernement de Cristina Fernández renâcle à reconnaître le droit du peuple mapuche à gérer ses ressources. Reproduit-il les mêmes insuffisances ?

Le droit des peuples indigènes est un des sujets en souffrance auquel est confronté l’Amérique latine, conjointement à celui de la « décolonisation interne » des institutions et structures sociales.

La création de sociétés réellement plurinationales et démocratiques en est encore à ses

balbutiements, après des siècles de pouvoir colonial et malgré des avancées importantes avec des processus constituants très avancés en Bolivie, en Equateur et au Venezuela. Ceci explique que la reconnaissance réelle et pratiques des droits indigènes soit assez lent, notamment dans certains pays de la région andine et encore davantage en Amérique centrale. On voit cela de façon encore plus criante au Chili où le peuple mapuche s’oppose aux entreprises hydro-électriques ou

forestières qui détruisent leurs terres, leur culture et la biodiversité. Cette lutte place les États oligarchiques issus des indépendances du 19ème siècle, centralistes ou fédéraux, devant leurs contradictions. C’est aussi le cas du Mexique avec la lutte zapatiste au Sud du pays qui.

Sur l’ingérence étrangère : Sommes-nous encore aux temps des dictatures qui reçoivent le soutien des USA, comme ce fut le cas pour le Chili avec le Plan Condor ?

L’interventionnisme continue d’exister, mais il a changé et il s’est réarticulé. D’abord, avec l’intégration de nombreux pays dans le marché international via la signature de plusieurs TLC (Traité de libre-échange) et également par le biais du Plan Colombie, permettant aux USA de trouver un allié important pour imposer leur stratégie de domination, un peu à l’image du rôle joué par Israël au Moyen-Orient. Ce schéma explique la présence de la Quatrième Flotte US dans les eaux de la région et aussi le rôle de Washington lors des tentatives de coup d’État contre Hugo Chávez au Venezuela en 2002 ; peu après, lors de l’essai de déstabilisation en Bolivie ;

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l’expulsion de Manuel Zelaya de la présidence du Honduras en 2009, ou maintenant, au Paraguay, celui de grandes multinationales lors de la destitution de Fernando Lugo. Il faudrait ensuite

y ajouter le soft power, c'est-à-dir, les tentatives d’influencer ou façonner l’opinion publique -par exemple au cours des processus électoraux- au travers de grandes corporations médiatiques.

Les Etats-Unis d’Amérique ont investi de gros moyens dans ce domaine dans le but d’induire certains comportements ou réflexions dans la population, créant également dans le même but des lobbies, des ONG (tel l’USAID), voire des mobilisations sociales d’opposition aux

gouvernements considérés comme hostiles.

Dans la bataille entre cette offensive néolibérale et la nouvelle gauche qui se réclame des

mouvements populaires, il semble que la jeunesse et les femmes jouent un rôle important. Qu’en penses-tu?

Sans doute. L’Amérique latine a été l’épicentre de l’altermondialisme et des grandes luttes et nous le voyons encore avec l’apparition d’une nouvelle génération militante, d’étudiants, de femmes et de syndicats de travailleurs. Au Chili, est apparu un mouvement très important contre le modèle d’éducation marchandisé hérité de la dictature et géré actuellement par le président conservateur multimillionnaire Sebastián Piñera ; en Colombie, on a réussi à stopper un plan similaire, et au Mexique, il faut noter l’irruption du mouvement « Yosoy132 » (je suis le 132ème) qui sont des expressions d’indignation qui, à l’instar de beaucoup d’autres apparues ailleurs partout le monde, interpellent les partis traditionnels, le capitalisme financier et remettent en cause le mépris des institutions à l’égard des secteurs subalternes.

Cette éclosion de mouvements peut-elle s’organiser à l’échelle régionale ?

Différents axes de mobilisation transversale pourraient favoriser cela : par exemple, la défense de la souveraineté alimentaire. De nombreux peuples et organisations paysannes commencent à se rendre compte des effets catastrophiques des Traités de Libre Echange (TLC) signés par quelques États latino-américains (notamment de la coté Pacifique) avec les USA et l’Union Européenne. Le Mexique lui-même, pays en pointe dans la production du maïs, est obligé aujourd’hui d’en

importer des USA, et perd sa capacité productive depuis la signature de l’Accord de libre échange de l’Amérique du Nord (TLCAN). La lutte contre la crise climatique et ses effets favorise

également des expériences intéressantes de revendications du ‘Buen vivir’ (« Bien Vivre ») autrement dit du respect de la biodiversité et la « Pachamama », comme en Bolivie ou dans la zone du Yasuní, dans la forêt amazonienne équatorienne, qui pourrait être déclarée zone exempte d’exploitation pétrolière. Certainement, ces luttes collectives ne réussiront pas à rompre du jour au lendemain avec la logique d’extraction et de développement capitaliste, ces peuples ont besoin de développer des politiques et services publics, d’infrastructures, de combattre les inégalités sociales et raciales, etc…, mais ces classes mobilisées revendiquent une transition postcapitaliste et

écosocialiste possible, qui nous conduit à un nouveau paradigme, social, démocratique, environnemental et de vie.

Quant au Brésil, est –il envisageable qu’il se joigne à ce contre-pouvoir anti-impérialiste ? Comme l’a dit Ignacio Lula Da Silva, le Brésil n’est plus un pays émergent mais « émergé ». Un pays mondialement influent, un pays clé au G20, qui dans le contexte actuel de crise apporte sa contribution au Fonds Monétaire International pour aider ses amis européens. Il ne participe pas à la constitution d’une alternative de gauche, radicale, mais d’une certaine façon il a servi de soutien à plusieurs reprises aux gouvernements de Chávez ou d’Evo dans la région.

Tend-il vers des thèses socio-libérales ?

Oui, exactement. Le gouvernement du Brésil opte pour la voie économique traditionnelle des « avantages comparatifs » dans le cadre de la division internationale du travail et choisit de profiter de sa position de « géant » possédant d’immenses ressources et terres pour offrir des

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millions d’hectares à Monsanto et à d’autres. Mais il ne s’agit pas seulement de cela : il a créé ses propres « multilatinas » [NdT : entreprises multinationales d’Amérique latine], qui lui permettent de faire pression sur ses associés. En quelque sorte, le Brésil est devenu un « sous-empire », clairement hégémonique par rapport aux autres pays d’Amérique du Sud. Cela, tout en ayant été auparavant une référence dans des processus de démocratie participative, de l’altermondialisme ou grâce à la lutte du Mouvement des Travailleurs Sans Terre (MST), mouvement toujours mobilisé.

A quoi attribues-tu cette position ?

Le pays possède une des bourgeoisies les plus fortes du continent, avec laquelle le Parti des travailleurs (PT) a collaboré bien volontiers en même temps qu’il s’institutionnalisait, ce qui a permis entre autres une nouvelle accumulation de capital qui a accentué les différences entre les plus riches et les plus pauvres. Il est certain que l’extrême pauvreté a reculé de façon conséquente en termes généraux mais sans remettre en cause la structure sociale, ni contribuer à la logique post-néolibérale aspirent les peuples et mouvements dans d’autres pays d’Amérique Centrale et d’Amérique du Sud.

Tu es quand même optimiste quant à l’avancée d’un nouveau modèle économique et politique sur le continent ?

Nous verrons bien. Il existe clairement un débat entre les gouvernements qui de façon quasi ‘naturelle’ pariaient sur le néo-développement ou le néo-libéralisme et une partie des mouvements populaires. Le Venezuela bolivarien des conseils communaux, l’Argentine des travailleurs des entreprises occupées ou la Bolivie liée aux autonomies indigènes ont donné une impulsion essentielle à cette dynamique continentale, même si d’immenses différences existent entre les pays et les régions. Nous voyons maintenant que quelques-uns des gouvernements les plus radicaux sont en tension et contradiction avec des processus d’émancipation venus de la base, c’est pourquoi, nous devrons voir si cette tension s’accentue ou bien, si au contraire, encore une fois, les alternatives se profilent au cœur même du calendrier, y compris institutionnel, « en démocratisant la démocratie » et en créant de nouvelles expériences de pouvoir populaire, d’auto- organisation articulées entre elles autour d’un projet politique. Il faut faire confiance aux

étudiants, aux femmes, aux travailleurs mobilisés, aux mouvements pour la souveraineté

alimentaire et la réforme agraire, aux peuples indigènes organisés. Ils pourront être le moteur du changement et de la construction d’alternatives, en lien avec les avancées démocratiques de ces dernières années.

Que devrait apprendre l’Europe de ce volcan latino-américain qui commence à émerger ? L’Amérique latine est un bon miroir pour les pays européens qui vont devoir faire face à la crise parce que, dans les années 80, le continent a déjà connu les plans d’ajustement, qu’essaient

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d’appliquer la Troïka en Europe. L’Amérique latine a démontré qu’on pouvait combattre en se mobilisant et en revendiquant des sorties de crise plus justes. L’Equateur, par exemple, a bien montré qu’on peut annuler une partie de la dette externe avec l’appui plus offensif d’un

gouvernement et des mouvements sociaux. L’Argentine aussi a aussi su renégocier sa dette. Si ces pays du sud ont démontré leur capacité à s’imposer -bien que partiellement- au monde financier international, les peuples européens peuvent aussi le faire, depuis le centre du capitalisme-monde.

Les expériences populaires latino-américaines peuvent également servir d’inspiration dans l’objectif de construire des coopératives, des médias communautaires, des usines occupées et autres projets alternatifs et égalitaires. L’Amérique latine nous montre qu’il est possible de construire des passerelles à partir du cadre des mouvements sociaux en direction du monde politique en proposant des alternatives à l’échelle nationale et continentale.

Edité par Fausto Giudice pour Tlaxcala (puis légèrement repris et actualisé par l’auteur - fin aout 2012)

Source: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=7889 Date de parution de l'article original: 04/07/2012

Maroc Maroc Maroc Maroc

Répression et lutte de classes

par Chawqui Lotfi

Au Maroc, il n’y a ni transition démocratique, ni dialogue social : il n’a que la guerre sociale contre les classes populaires. Le « nouveau règne » n’a pas débouché sur un « nouvel concept de l’autorité », ni sur l’ouverture d’un espace démocratique autonome du pouvoir, ni sur l’amélioration même partielle des conditions de vie de la grande majorité. En réalité, la répression n’a jamais cessé. Ce qui a changé, c’est les formes qu’elle prend et son intensité.

Après la longue nuit des années de plomb, le pouvoir a cherché à institutionnaliser les oppositions, intégrer la « société dite civile », récupérer et détourner les revendications, à épuiser les mobilisations en les laissant isolées, en opérant parfois des concessions formelles.

Il a réussi à intégrer, acheter, corrompre les « oppositions », à gagner du temps en jouant sur le renouvellement de « la façade démocratique » et par l’instauration d’un pseudo « dialogue social ». C’est ainsi qu’il a pu concéder une marge à la contestation, opérer une répression sélective, tout en s’assurant que ne se construise pas une force enracinée, sociale et politique, capable d’articuler les luttes autour des perspectives communes.

Ce qui a changé depuis, et on trouve les signes de ce changement bien avant l’éclosion du M20F, est la gestation d’un mouvement populaire qui lutte sans les partis de la « façade démocratique », les directions syndicales corrompues et sans accorder la moindre confiance aux relais du pouvoir. Et qui lutte d’une manière souvent déterminée. On se rappelle des

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mobilisations populaires de Bouarfa, des dynamiques révélées par les coordinations contre la vie chère, de la révolte populaire de Sidi Ifni pour ne prendre que ces exemples. Cette nouvelle vague de la lutte des classes a connu depuis une accélération sous l’impact combiné de deux facteurs :

Le développement de la crise du capitalisme mondial : la bourgeoisie prédatrice dont le bras armé est le palais ne peut tolérer des mobilisations populaires contre les politiques de paupérisation. Toute sa politique vise à élargir l’austérité et les conditions de la surexploitation. L’augmentation des prix de gazoil à celui des denrées alimentaires, la remise en cause de la gratuité de l’enseignement public ; les lignes directrices de la loi de finance, leur volonté de casser le droit de grève, le gel des salaires ne sont que les aspects les plus connus. Elle ne peut accepter l’extension géographique des mobilisations sociales qui mettent en mouvement « les dépossédés », elle ne peut accepter que les campagnes que le pouvoir pensait contrôler, se réveille, ni l’extension des terrains de luttes qui ne sont que le revers d’une violence sociale généralisée. Car si il y a une « nouveauté » de la situation, c’est que tout devient un terrain de confrontation : l’insalubrité des logements et la spéculation immobilière, le délabrement des hôpitaux publics, l’absence d’emploi, l’augmentation des prix et des factures d’eau et d’électricité, la marginalisation de régions entières qui n’ont droit à rien, la baisse du pouvoir d’achat, les retraites volées et non payées , l’arbitraire généralisé., un enseignement qui exclut les pauvres, la faiblesse des salaires, les transports publics, les expropriations de la terre et on peut allonger la liste.. Le pouvoir ne peut accepter que les habitants des quartiers populaires qui constitue le cœur du prolétariat informel revendique, il ne peut accepter que chlihat et beni Bouayach entrent de plein pied dans le Maroc de la contestation. Car satisfaire les revendications, répondre à l’urgence sociale est antagonique avec la logique prédatrice et la dictature du (sur)profit du capitalisme dépendant. Mais ce qu’il ne peut accepter, et ce qui affole ce pouvoir, est que des forces nouvelles, parfois, souvent sans tradition de lutte résiste avec détermination malgré la répression. Et dont les revendications ne sont pas solubles dans un tour de passe-passe constitutionnel ou une quelconque alchimie électorale. La répression c’est d’abord cela : une violence politique organique d’une classe dominante dont les intérêts matériels sont liés à un ordre social toujours plus inégalitaire et à la violence sociale et prédatrice de l’accumulation capitaliste. La répression est un élément structurel du pouvoir pour maintenir et reproduire le despotisme social et économique. D’autant plus dure quand les formes de luttes mises en avant sortent des schémas classiques de sit-in ou manifestations et prennent la forme d’une occupation des lieux, des voies ferrées, des routes, quand on bloque le fonctionnement normal de l’économie.

Nos camarades chômeurs de Khouribga et D’Asfi en savent quelque chose.

Le deuxième facteur est lié à la crise de la façade démocratique. Le recours au PJD n’offre aucune garantie sur la durée. Le soutien de ce dernier aux politiques antipopulaires, au tournant répressif avec un profil idéologique ultra réactionnaire, sa lutte symbolique contre la corruption, son incapacité à imposer la paix sociale, montrent les limites d’une démagogie quand elle est confrontée aux décisions réelles que lui dicte la classe dominante des prédateurs. La monarchie peut de moins en moins masquer sa responsabilité centrale dans la dilapidation de richesses publiques, dans la corruption institutionnalisée, dans la mainmise des ressources par une minorité. Le pouvoir absolu ne se partage pas. Mais un pouvoir absolu qui ne peut s’appuyer sur des relais politiques et sociaux crédibles dans la société (relais qui par le passé ont pu jusqu’à un certain point canaliser le mécontentement), tend à créer les conditions d’un vide politique et les possibilités d’un choc frontal avec les majorités populaires. Nous ne sommes plus dans la période du nouveau règne où les illusions d’un changement progressif, d’une transition démocratique en douceur avait un appui relatif dans la société. Le Roi des pauvres est devenu le Roi de l’impunité, des richesses colossales. Le roi démocrate est devenu

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le Roi de la matraque, de la torture et de l’impunité des militaires. Et rien ne vient enrayer dans la conscience populaire que ce système politique ne sert que les puissants et les corrompus. Cette perte de légitimité a été accélérée par le M20F qui a fait la démonstration que l’on pouvait construire un mouvement de masse démocratique dans la lutte et par la lutte et que la démocratie ne viendra pas d’en haut et se heurte à la nature despotique de l’ensemble du système politique en place. la répression est aussi cela : une réponse à la crise de légitimité de la façade démocratique vidée de toute substance et réduite à une pièce de théâtre avec des acteurs de seconde zone tout juste capables de jouer les bouffons de sa majesté, une réponse à la maturation d’une critique de la rue, de Tanger à Tata où le rapport d’obéissance au commandeur des croyants a fait place à l’exigence de la liberté et dignité et au refus radical d’être cantonnée au statut de sujet. Quand el haked fait l’objet d’une vengeance d’Etat c’est exactement pour cela, ses chants portent une autre légitimité, sans tabous, sans respect des sacralités où le peuple trouve sa propre voix. Et cela est impardonnable pour un régime pour qui la seule devise acceptable est « Dieu, la Patrie, le Roi », un régime qui sait que les mots ne sont pas que des mots mais un moyen de réveiller ou d’enterrer une nouvelle fois les morts et les vaincus, les espérances enfouies de tout un peuple. Il s’agit pour le pouvoir de stopper net les processus sociaux et politiques qui remodèlent la conscience collective des masses populaires, En « rétablissant l’autorité de l’Etat » (elle a donc été ébranlée ?), en avertissant tout le monde que les années de plomb n’appartiennent pas au passé. Si jusqu’ici, il a évité l’explosion, le climat général est celui d’une montée des luttes, même si celle-ci n’est pas linéaire et rencontre des obstacles. Le pouvoir se prépare à utiliser la force brute et généralisée. Vieille loi classique quand il n’y a plus de « consentement « des opprimés, reste la coercition. Quand la « façade démocratique « ne canalise plus rien, il reste le noyau dur de l’appareil d’Etat : son appareil répressif.

C’est donc la combinaison et l’approfondissement de la crise sociale et politique dans un contexte marqué par la crise du capitalisme mondial et l’irruption des peuples de la région sur la scène politique qui constitue la colonne vertébrale de la guerre répressive que mène le palais contre notre peuple et ses militants. En réalité, et c’est un point sur lequel nous voulons insister, il se prépare à faire face à l’éventualité d’un embrasement généralisé. Il y a une volonté délibérée d’affrontement avec une volonté de tester les capacités d’intervention des forces de l’ordre entièrement rééquipées et formatées pour faire face aux « mouvements sociaux ». Tant le matériel utilisé que les tactiques d’intervention montrent que le régime a bien travaillé pendant nos manifestations « silmia » du dimanche. Il s’est doté d’un commandement unifié et mobile capable de coordonner dans les conditions les plus diverses l’action répressive : dans les périphéries des villes sur la question du logement, au cœur des grandes villes contre les manifestations syndicales et les actions revendicatives, dans les régions plus enclavées. Mettre sous état de siège, expéditions punitives, répression de masse et ciblée, tactiques de harcèlement et de dispersion, combinaison des services sécuritaires et armées. En réalité le pouvoir vise à court terme trois objectifs :

En imposant des arrestations de masses et de lourdes condamnations, il vise à la fois à décourager les résistances en montrant que le prix à payer est très lourd mais aussi à reconfigurer les objectifs de lutte en imposant une lutte de longue durée pour la libération des détenus en espérant que cette lutte ne regroupe que les éléments les plus déterminés et ne prennent pas un caractère de masse.

Eviter les risques d’explosions populaires même localisées qui peuvent avoir un effet de contagion non maîtrisé surtout dans les régions qui ont été marquées par une longue marginalisation ou qui ont fait preuve par le passé d’une grande combativité ( le Rif par exemple )

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Affaiblir les équipes militantes, démanteler les mouvements sociaux combatifs, décourager la participation populaire. Il s’agit en réalité à la fois d’affaiblir les « cadres organisés mais aussi de faire face aux luttes spontanées ou semi spontanées et de tuer dans l’œuf la combativité émergente et les possibilités de jonctions entre les courants militants radicaux et les résistances populaires. Le pouvoir a adopté une stratégie de harcèlement continue visant à nous mettre sur la défensive. C’est le défi qui nous est posé. Mais l’erreur serait d’avoir une lecture statique du tournant répressif. De ne pas voir son caractère durable et global. Il sait que le feu couve partout, ne s’éteint pas, se propage dans un embrasement lent. Même si l’incendie n’est pas encore déclaré, Il se prépare à l’affrontement global. La loi sur l’impunité des militaires ne signifie rien d’autre que le droit de réprimer dans le sang pour sauver le trône. L’augmentation du budget d’armement, le renouvellement des contrats militaires et de l’équipement des forces de l’ordre en matériel répressif de tout ordre, les contrats signés avec la Russie, allié des dictatures les plus sanguinaires, le soutien accordé par Les USA qui confirment le statut d’allié majeur hors Otan de l’état marocain, l’appui de l’état français plus soucieux de la défense des intérêts des multinationales que du sort du peuple marocain, tout cela indique que la machine de guerre du pouvoir se met en place. En réalité, nous sommes dans une situation mouvante où les bruits de bottes s’agitent devant « l’ennemi intérieur », où les balles de caoutchouc précédent les balles réelles. Exagéré ? Seulement pour ceux qui ont la mémoire courte et ne voit pas que le régime ne reculera devant rien pour se maintenir.

Contre la répression et la dictature : marcher sous le feu de l’ennemi. Ne rien céder.

D’abord en revendiquant que la lutte contre la répression doit être au cœur de le lutte pour l’émancipation sociale et démocratique. La question qui est concrètement posée n’est pas celle de faire pression pour arracher une signature de l’état des conventions internationale sur la torture, la peine de mort ou les droits des prisonniers et l’amener à respecter ses engagements ou le dénoncer quand il ne le fait pas. Bataille de Sisyphe où l’on demande aux ennemis de la démocratie de devenir des démocrates. Il ne s’agit pas non de dénoncer la répression comme un simple effet naturel, logique de la nature antipopulaire et antidémocratique du régime mais bien d’avancer des revendications, des objectifs de luttes qui permettent aux secteurs populaires de réaliser que si elles veulent satisfaire leurs aspirations et revendications les plus immédiates, elles n’auront pas d’autre choix que de s’unir et de faire face à l’appareil gouvernemental répressif. La lutte pour le droit démocratique de manifester, de s’organiser, de s’exprimer n’est pas séparable de la lutte pour la satisfaction des revendications sociales. Tout comme la légitimité de résister par tous les moyens, y compris par l’autodéfense collective et la confrontation de masse face à l’Etat policier. En réalité, la lutte démocratique de masse doit viser le démantèlement de l’ensemble des appareils de répression et des institutions du pouvoir, à réaliser l’unité organique de la lutte contre l’exploitation, la dépendance et le despotisme. Elle n’exclut pas des objectifs spécifiques plus immédiats qui est celle de l’amnistie générale des prisonniers politiques et du mouvement social, la fin de l’impunité des tortionnaires et des responsables des crimes économiques et politiques, mais nous devons intégrer ces objectifs immédiats à des objectifs plus larges visant à mettre fin à la répression globale et au système politique qui la nourrit.

Dans cette perspective, ce qui importe est la capacité à donner un caractère populaire à la lutte contre la répression. C’est possible comme le montre, malgré des limites et difficultés, les initiatives de masses qu’ont pu prendre nos camardes étudiants de Fes au moment de la grève de la faim de Rouissi et de ses camarades. C’est possible comme en témoigne les résistances portées dans le rif et à taza. Mais l’enjeu est bien de donner un caractère national à cette dynamique, qui va bien au-delà des caravanes de solidarité ponctuelles ou des communiqués de soutien. C’est d’une manière consciente, prolongée, que la lutte contre la répression et pour

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la libération des détenus doit être au cœur des différents fronts de luttes. Y compris sur le terrain international. Une des faiblesses du régime tient à sa volonté de préserver son image extérieure qui lui donne l’illusion d’une exception marocaine. L’impérialisme, fidèle soutien est prêt d’une manière pragmatique à lâcher tout régime qui lui parait incapable de mater la rébellion et d’assurer ses intérêts fut-il son allié de toujours. La façade démocratique et l’intégration soumise à la mondialisation capitaliste a permis de renouveler des soutiens neo coloniaux mais une des taches est justement de réduire ce soutien, de l’isoler sur le plan international, d’exiger l’arrêt des coopérations sécuritaires et militaires, de mettre fin au silence médiatique qui masque la réalité de l’autre Maroc. Travailler à l’émergence d’une solidarité internationale est d’une nécessité absolue pour l’obliger à reculer et de le faire dégager demain. La lutte pour la révolution populaire continue !

Syrie

Que faire en Syrie ?

par Alain Gresh

La crise syrienne s’éternise. Pour l’instant, en tout cas, ni les discours du pouvoir annonçant qu’il va écraser l’opposition, ni les espoirs des Occidentaux que le régime s’effondre ne se sont réalisés. Et le pays paie un prix élevé pour cette impasse, coût qu’il est difficile de chiffrer – des dizaines de milliers de morts, un nombre incalculable de blessés, bientôt 200 000 réfugiés à l’étranger. Cette descente dans l’abîme érode la fabrique même de la société, dressant les communautés les unes contre les autres, les villageois contre leurs voisins.

On l’a dit à plusieurs reprises ici : le pouvoir porte la responsabilité majeure du bain de sang et de la spirale de violence qu’il a largement alimentée. Mais la crise syrienne se réduit- elle à un pouvoir dictatorial affrontant l’ensemble de son peuple ? Si tel était le cas, le régime serait tombé depuis longtemps. D’autre part, peut-on comprendre la crise en dehors de sa dimension géopolitique, en dehors de l’action d’acteurs aux motivations diverses ?

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C’est qu’il se déroule, sur la scène syrienne, plusieurs guerres parallèles. D’abord, comme ailleurs dans le monde arabe, s’est exprimée une aspiration à la liberté, à la fin de la dictature. Mais la militarisation de l’opposition – favorisée par les ingérences extérieures et par la brutalité du régime –, son incapacité à présenter un programme rassembleur, ses profondes divisions ont ouvert de larges fractures dans le peuple syrien. Le régime a pu s’assurer le soutien d’une partie de la bourgeoisie sunnite avec laquelle il était allié depuis des décennies, celui de représentants de minorités qui pouvaient se sentir menacées (alaouites, chrétiens, etc.). Il a pu aussi compter sur le désarroi grandissant d’une partie de la population, qui, notamment à Damas et à Alep, avait l’impression que les combattants de l’opposition la prenaient en otage. Des journalistes de Libération, de The Independent (« Aleppo’s poor get caught in the crossfire of Syria’s civil war », 24 août), de The Economist (« Part of the problem is that the rebels are failing to win hearts and minds among the urban middle class in Aleppo »), ont rendu compte de ce désarroi d’une partie de la population sans que le discours dominant dans les médias sur la Syrie ne change : un peuple uni face à une dictature sanglante.

La question des combattants étrangers a souvent été soulevée. Pourquoi s’étonner que des jeunes Libyens ou Tunisiens veuillent partir se battre en Syrie contre une dictature ? Est- ce le fait qu’ils soient islamistes qui disqualifie leur combat ? Non, le problème – au-delà de la présence de groupes comme Al-Qaida – tient aux ingérences étrangères et à la manière dont l’Arabie saoudite et le Qatar notamment, mais aussi la Turquie, arment, financent et mobilisent ces groupes. Et on peut douter que le moteur de l’action des monarchies du Golfe soit l’instauration de la démocratie en Syrie. Bien sûr, l’affirmation du ministre des affaires étrangères syrien Mouallem à Robert Fisk, selon laquelle les Etats-Unis sont responsables pour l’essentiel de ce qui se passe en Syrie (« We believe that the USA is the major player against Syria and the rest are its instruments »), est outrancière, mais qu’il y ait des ingérences étrangères, qui peut en douter ?

C’est Kofi Annan, l’envoyé de l’ONU pour la Syrie (« Sur la Syrie, à l’évidence, nous n’avons pas réussi », LeMonde.fr, 7 juillet 2012), qui le déclarait : aucune des deux parties n’a vraiment essayé, en avril 2012, lors de l’envoi d’observateurs internationaux, de mettre fin aux combats. Et si l’appui de l’Iran, de la Russie et de la Chine à Damas a durci la position du président Bachar Al-Assad, le refus des Occidentaux, Français compris, d’appeler l’opposition à respecter un cessez-le-feu a aussi mis de l’huile sur le feu. A aucun moment ni les Occidentaux, ni Paris n’ont cru en la mission Annan et n’ont fait le moindre effort pour qu’elle réussisse.

Pourquoi ? Parce que l’objectif prioritaire de nombreux protagonistes (Occidentaux, pays du Golfe) est de faire tomber le régime dans le but d’atteindre l’Iran. Leur stratégie s’inscrit dans une jeu géopolitique dangereux, dont les droits humains ne sont qu’une dimension. La Russie et la Chine, favorables à des pressions sur Téhéran mais hostiles à une aventure militaire, s’opposent, bien évidemment, à cette stratégie. « Tout cela est un jeu géopolitique joué avec le sang syrien, m’expliquait, ulcéré, un intellectuel de Damas. Poutine et Obama devraient rendre des comptes devant la justice internationale. »

Aujourd’hui encore, les Occidentaux sont dans l’incapacité de regrouper l’opposition, et la demande du président François Hollande de voir se créer « un gouvernement provisoire inclusif et représentatif » pour « devenir le représentant légitime de la nouvelle Syrie » (lire « Hollande cherche à se placer en pointe sur la Syrie », LeMonde.fr, 28 août) relève de l’utopie – comme l’ont confirmé les Etats-Unis – et montre la difficulté du gouvernement français à reconnaître que le Conseil national syrien a perdu une grande part de sa légitimité.

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En attendant, combats et massacres se poursuivent. La seule initiative un peu sérieuse est celle qu’a esquissée le président égyptien Mohammed Morsi, qui veut créer un groupe de quatre pays, le sien, l’Iran, l’Arabie saoudite et la Turquie (« Egyptian Leader Adds Rivals of West to Syria Plan », The New York Times, 26 août). Ce groupe aurait l’avantage de tenir à l’écart, au moins dans un premier temps, les parties étrangères à la région. Mais il s’appuie sur une idée, celle de la négociation entre le pouvoir et l’opposition. On ne négocie pas avec ceux qui ont du sang sur les mains ? Rappelons que dans les années 1980, la transition vers la démocratie en Amérique latine s’est faite en assurant l’impunité aux généraux coupables des pires exactions (il a fallu vingt ans supplémentaires pour les faire comparaître devant la justice ; c’était le prix à payer pour une transition pacifique).

Un dernier mot sur les médias. Le Monde diplomatique de septembre publie un article sur la manière pour le moins biaisée dont un certain nombre de médias ont rendu compte de cette crise (« Syrie, champ de bataille médiatique »). Au-delà de la discussion sur la déontologie, cette manière de rendre compte de la crise contribue à paralyser les autorités politiques et à les priver de toute capacité d’action réelle : qui oserait aujourd’hui encore appeler à la négociation, à une sortie de la violence, sans se faire taxer d’agent de la dictature syrienne (voire de Moscou, de Pékin ou de Téhéran) ?

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OBSERVATOIRE DES MUTATIONS POLITIQUES DANS LE MONDE ARABE

REGARD GLOBAL SUR LE « RÉVEIL ARABE »

PAR BÉLIGH NABLI

Directeur de recherches à l’IRIS,

Directeur de l’Observatoire des mutations politiques dans le Monde arabe

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REGARD GLOBAL SUR LE « RÉVEIL ARABE »/ BELIGH NABLI – 1ER SEPTEMBRE 2012

REGARD GLOBAL SUR LE « RÉVEIL ARABE »

Par Béligh Nabli / Directeur de recherche à l’IRIS, Directeur de l’Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe

Depuis la fin de l’année 2010, le monde arabe vit une soudaine accélération de son histoire.

Le mouvement en cours conforte la dialectique de l’un et du multiple qui structure les grands ensembles comme le monde arabe. Complexe et pluriel, le « réveil arabe » n’est ni homogène, ni univoque. L’hétérogénéité des régimes et sociétés nationales écarte d’emblée l’idée d’un mouvement global qui obéirait à une mécanique identique aux implications univoques. De plus, le souffle contestataire qui traverse les pays ne revêt pas la même forme et ne connaît pas la même intensité. Son impact est différencié et inégal. Le processus global se décline État par État. Du reste, certains pays ont échappé à la vague de contestation populaire.

Il n’empêche, un certain nombre d’éléments permettent d’inscrire les soulèvements des peuples arabes dans un seul et même mouvement historique. La manière dont s’est propagée la vague de protestations traduit le lien immatériel qui continue de lier les Arabes.

L’échec idéologique du panarabisme n’a pas fait disparaître toute conscience politique transnationale et collective. Un lien immatériel renforcé par nombre de similarités structurelles des sociétés et régimes arabes.

Le printemps arabe a pris corps dans un monde arabe structuré par des sociétés profondément inégalitaires (sur les plans social et territorial) et des régimes corrompus et autocratiques dont l’autoritarisme se traduisait par une limitation stricte des libertés individuelles, politiques et économiques de ses propres citoyens. Des systèmes de captation du pouvoir politique et économique par des clans familiaux. Des régimes dont l’adhésion constitutionnelle au modèle de la République était contredite par des réflexes claniques, des pratiques népotiques et une tentation dynastique concrétisée par une transmission

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REGARD GLOBAL SUR LE « RÉVEIL ARABE »/ BELIGH NABLI – 1ER SEPTEMBRE 2012

arbitraire du pouvoir de père en fils. Les régimes égyptien, yéménite et libyen se destinaient à suivre l’exemple syrien, où le fils Bachar a succédé à son père Hafez al-Assad. En Tunisie, le scénario prévu était quelque peu différent, mais relevait de la même logique prédatrice, puisque c’est la femme ou le beau-fils du président Ben Ali qui se préparait à lui succéder.

Des régimes autoritaires et répressifs qui ont été incapables de prendre la mesure de la contestation et de la désamorcer (sauf au Maroc et en Algérie) et de nouer un dialogue politique constructif avec leur propre population.

Dès lors, les motivations des soulèvements se rejoignent autour d’aspirations communes qui se traduisent d’abord par la contestation du « système » ou régime (« nizâm ») en place. Les soulèvements populaires sont autant de réactions, d’appels à la justice politique et sociale, à la dignité individuelle et collective. Sans être d’une grande précision, les revendications exprimées sont à la fois d’ordre social (appel à la justice (« adala ») et à l’amélioration des conditions de vie) et politique (appel à la liberté (« hurriyya »), à la dignité (« karama ») et à la tenue d’élections libres et pluralistes). Dans les monarchies (Maroc, Jordanie, Bahrayn), la demande principale de nature politique a été non point celle du passage à un régime républicain, mais à une monarchie constitutionnelle.

Les insurrections populaires n’ont pas été impulsées par des organisations officielles, institutionnelles ou partisanes. D’où cette impression de phénomènes spontanés. Cet aspect est peu surprenant compte tenu de la répression dont a fait l’objet toute opposition réelle aux régimes en place. Ce vide a été comblé par des mobilisations collectives d’une société civile - que l’on croyait inexistante ou du moins moribonde - et qui s’est retrouvée dans la

« rue » et dans les réseaux sociaux. La spontanéité initiale de ces mouvements sans assise idéologique ou religieuse particulière, ni même de chef emblématique, s’est avérée une force pour une dynamique diffuse et insaisissable. L’absence de leader charismatique symbolise la rupture avec des régimes autocratiques souvent ancrés dans des systèmes patriarcaux. Toutefois, il convient de ne pas minorer la structuration des mouvements grâce à la mobilisation des leaders d’opinion (quelques figures ont émergé en Egypte et en Tunisie durant la période révolutionnaire), des acteurs de l’opposition (à l’intérieur ou à l’extérieur du pays) ou issus de l’ancien régime (exemple topique de la Libye), des syndicats (l’UGTT en Tunisie par exemple).

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Les manifestations de « rue » et les conflits armés se prolongent dans un monde médiatique et virtuel, des espaces politisés largement investis par les divers protagonistes. Alors que les sociétés arabes sont souvent présentées comme archaïques, elles ont su conjuguer des formes de mobilisation classiques (rassemblements et manifestations de masse, sit-in, grèves générales) et le recours à des technologies modernes de communication qui se sont notamment substituées à une presse écrite traditionnelle le plus souvent liée au pouvoir en place, ou du moins strictement contrôlée. Malgré une surveillance étroite des médias et des nouvelles technologies de communication - internet, réseaux sociaux, téléphones portables – les régimes arabes ont été incapables de briser les liens ainsi tissés entre les activistes- blogueurs et autres cyber-dissidents. En outre, dans un monde globalisé où les frontières ne font plus obstacle au flux d’information, les chaînes satellitaires (parmi les dizaines existantes, à noter le poids de la chaîne qatarie Al-Jazira fondée en 1996 et son impact interne et international sur les soulèvements populaires, avec une exception notable dans le cas du Bahreïn…) deviennent des sources de déstabilisation pour les Etats dépourvus de leurs traditionnelles prérogatives de puissance publique susceptibles de les amener à user de la censure.

Ces moyens modernes de communication utilisés de manière intensive et continue par la jeunesse arabe et urbaine ont permis de faire circuler l’information, de désenclaver et de mobiliser des activistes a priori inexpérimentés et désorganisés. L’émergence d’une scène médiatique et d’un monde virtuel transnationaux a favorisé l’intercompréhension entre les peuples maghrébins, et a permis la cristallisation de véritables opinions publiques dans le monde arabe. Le rôle de ces derniers ne doit cependant pas être surévalué et l’idée de

« révolution 2.0 » ou « révolution Facebook/Twitter » est incongrue et trompeuse. Les messages issus de ce monde virtuel n’ont pas enclenché les mouvements de protestation, mais ont contribué à nourrir leur dynamique par des échanges d’informations, d’images, d’opinions. Encore faut-il préciser que l’impact de ces différents flux varient en ampleur et en intensité d’un pays à l’autre : si les tunisiens, les égyptiens ou les marocains ont su exploiter les potentialités de ces nouvelles technologies, les insurgés libyens et syriens ne se sont pas focalisés sur cet enjeu. Non seulement une partie des manifestants et insurgés ont agi en dehors de ce monde virtuel, mais l’activisme en ligne ne suffira jamais à remplacer à lui seul l’intervention des acteurs syndicaux, associatifs, tribaux, religieux…

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REGARD GLOBAL SUR LE « RÉVEIL ARABE »/ BELIGH NABLI – 1ER SEPTEMBRE 2012

Les manifestations populaires, à caractère pacifique (« silmiyya »), ont rapidement été confrontées à la violence de l’appareil répressif des régimes autoritaires contestés. Cette coercition massive et meurtrière ne faisait que traduire l’incapacité des autocraties à faire montre d’un quelconque sens du dialogue avec leurs propres peuples. Une incapacité qui n’a fait que renforcer la résistance civile, au point que celle-ci dégénère en insurrection armée en Libye et en Syrie. Un durcissement de la confrontation et une militarisation du conflit qui ont causé un effritement définitif de la légitimité et de l’autorité du pouvoir.

Les soulèvements populaires n’ont pas opposé les régimes aux sociétés. Ce schéma est trop rigide et ne correspond pas à une réalité complexe. D’un côté, les régimes en place bénéficiaient en effet d’un soutien populaire non négligeable basé sur des rapports clientélistes, claniques et/ou tribaux. De l’autre, des membres de l’appareil d’Etat (y compris de l’armée) ont lâché les régimes pour rejoindre le soulèvement. Du reste, la conjugaison de ces deux données devait aboutir à un risque de guerre civile. Cela étant précisé, les mouvements de contestation sont le fruit d’une mobilisation transgénérationnelle et interclasses, les barrières sociales étant momentanément tombées. Cette transcendance fit la force des soulèvements, même les variables tribales et/ou communautaires ont pesé fortement en Libye, au Yémen, au Bahreïn et en Syrie.

Dans la masse des manifestants et des insurgés, trois figures méritent une attention particulière : les jeunes, les femmes et les islamistes.

Dans tout le monde arabe, les jeunes (« chebab ») - aisés ou désœuvrés, politisés ou non – ont joué un rôle catalyseur. Force motrice de ces mouvements, la jeunesse a été à l’avant- garde des soulèvements contre des régimes insensibles ou coupés de leur réalité. Une jeunesse arabe massive (60% la population avait moins de 25 ans en 2009 selon le rapport arabe sur le développement humain, PNUD, 2009, p. 3), de plus en plus diplômée mais confrontée à un chômage et une sous-qualification structurels. Une jeunesse aux conditions variées, certes, mais unie par un fort sentiment de frustration. Les sociétés arabes sont des sociétés de consommation et de communication, dont les contradictions et tensions en matière sociale et sociétale affectent d’abord les jeunes. Des blocages et un déficit de

Referenties

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o une politique extérieure symbolisant une Algérie forte, respectable et respectée, à la voix écoutée, maîtresse de son destin, une Algérie œuvrant pour la paix dans le monde,

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