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Année 2015–numéro 5Sommaire

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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le jeudi 18 juin 2015

Année 2015 – numéro 5

Sommaire

Sommet de l’UA

Crise au Burundi, el-Béchir et la CPI, show de Mugabe… Ce qu’il faut en retenir …. page 1…

« Jeune Afrique » entre en campagne… page 3RDC A Kinshasa, tout finit par des questions… page 4 La course sinueuse de François Soudan... page 7

En finir avec le dogme de la limitation des mandats présidentiels en Afrique... page 11 Burundi

Les mots et la nausée… page 13

Nkurunziza, Kabila : Il faut qu’ils partent… Mais après ?... page 14 Economie

C’est le FMI qui le dit ; Les inégalités de revenus nuisent à la croissance… page 16 Piketty ignore 90 % de la population… page 17

Pub ! … page 20

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Sommet de l’UA

Crise au Burundi, el-Béchir et la CPI, show de Mugabe… Ce qu’il faut en retenir …

Le 25e sommet de l’UA a pris fin lundi soir à Johannesburg. Largement consacré à la crise burundaise, il a aussi été dominé par la polémique sur la présence du président soudanais Omar el-Béchir malgré sa demande d’arrestation par la CPI.

Robert Mugabe (g) et Jacob Zuma (d), le 14 juin 2015 au sommet de l'UA à Johannesburg. © Shiraaz Mohamed/AP/SIPA

L’Union africaine appelle à trouver un consensus au Burundi

La crise au Burundi a été le thème central de ce 25e sommet de l’Union africaine (UA), organisé du 7 au 15 juin à Johannesburg, en Afrique du Sud. Le dialogue totalement bloqué entre le camp présidentiel et l’opposition, sur fond de tensions entre Hutus et Tutsis, fait craindre à beaucoup d’observateurs une dégradation de la situation en guerre civile. L’UA, qui suit ce dossier de près depuis près d’un an, entendait donc prendre des mesures fortes pour trouver une solution politique et pacifique à cette crise.

Sans parler ouvertement d’un report des élections législatives et présidentielle, fixées par les autorités burundaises aux 29 juin et 15 juillet, l’organisation panafricaine a réclamé la reprise du dialogue entre les parties adverses pour trouver un consensus sur une date d’élections crédibles et transparentes. La commission de l’UA a aussi décidé l’envoi immédiat d’une cinquantaine d’experts militaires et d’observateurs des droits de l’homme au Burundi pour superviser le désarmement des milices et autres groupes armés à travers le pays. Le médiateur onusien Saïd Djinnit ayant jeté l’éponge, la conduite de la médiation internationale est désormais confiée au chef de l’État tanzanien Jakaya Kikwete, président en exercice de la Communauté est africaine (CEA).

« Globalement, tout le monde est plutôt satisfait des décisions de l’UA, glisse un diplomate occidental présent à Johannesburg. Nous n’en attendions pas tant. Il faut maintenant que la CEA assure la suite. » Une réunion de suivi des ministres des Affaires étrangères de l’organisation régionale est-africaine se déroule actuellement au Burundi. Son objectif sera de pousser Pierre Nkurunziza et son gouvernement, jusque-là totalement imperméables aux

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différentes pressions internationales, à infléchir leur position. La question de la légitimité d’un éventuel troisième mandat du président burundais a en revanche été à peine abordée. Seul Smaïl Chergui, commissaire à la Paix et à la sécurité de l’UA, a affirmé dans sa conférence de presse de clôture, lundi soir, que « tout, y compris la candidature du président pour un nouveau mandat, devrait faire partie du dialogue ».

La guerre civile au Soudan du Sud toujours à l’ordre du jour

Autre crise abordée lors de ce sommet de l’UA : la guerre civile meurtrière au Soudan du Sud. Depuis décembre 2013, les partisans du président Salva Kiir et ceux de son ancien vice- président Riek Machar se livrent à des combats sanglants, qui ont déjà fait plusieurs dizaines de milliers de morts et deux millions de déplacés ou réfugiés. « Nous devons faire beaucoup plus d’efforts pour arrêter ce carnage. Nous ne pouvons plus le tolérer », a estimé Nkosazana Dlamini-Zuma, la présidente de la Commission de l’UA.

Présent à Johannesburg, l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré, désigné envoyé spécial de l’UA pour tenter de résoudre le conflit sud-soudanais, a été officiellement investi au cours de ce sommet. Outre cette nomination, l’organisation panafricaine a demandé la réunion rapide d’un « comité ad hoc de haut niveau » sur le Soudan du Sud. Composé des chefs d’État et de gouvernement de cinq pays issus des cinq régions du continent – l’Algérie, le Nigeria, le Tchad, l’Afrique du Sud et le Rwanda -, il sera chargé d’appuyer la médiation actuelle de l’Igad (l’Autorité intergouvernementale pour le développement, qui regroupe huit pays est-africains).

Protégé par l’Afrique du Sud, Omar el-Béchir défie la CPI

Sa présence à Johannesburg a monopolisé l’attention des médias et des délégations pendant une bonne partie du sommet. Arrivé samedi soir en Afrique du Sud, le président soudanais Omar el-Béchir a rapidement déclenché la polémique. Accusé de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide durant le conflit au Darfour, il est visé depuis 2009 par un mandat d’arrêt international de la Cour pénale internationale (CPI).

Quelques heures après son arrivée, un tribunal de Pretoria a rendu un jugement demandant au gouvernement sud-africain de ne pas laisser el-Béchir quitter le territoire national tant qu’il n’avait pas étudié la demande de son arrestation formulée par la CPI. Mais le président soudanais, officiellement présent à Johannesburg pour participer au sommet de l’UA, n’avait en réalité rien à craindre. Les autorités sud-africaines, qui ne cachent pas leurs critiques contre la CPI, ont appliqué la règle implicite imposant aux pays hôtes de sommets délocalisés de l’UA d’accorder la protection et l’immunité à leurs participants. Omar el-Béchir, après avoir assisté sereinement au sommet avec ses homologues, a donc repris l’avion lundi matin à destination de Khartoum sans encombre, avant même que le tribunal de Pretoria ait rendu son verdict.

Robert Mugabe fait le show en ouverture du sommet

Fidèle à ses habitudes, Robert Mugabe a livré dimanche un discours remarqué lors de la cérémonie d’ouverture du sommet. À 91 ans, le président zimbabwéen, également président en exercice de l’UA, a démontré qu’il était toujours un tribun hors pair. Sans surprise, il a visé une de ses cibles favorites : les pays occidentaux et leurs dirigeants. Il a notamment fustigé l’ancien président américain, George W. Bush, et l’ex-Premier ministre britannique, Tony Blair, pour leur intervention contre l’Irak de Saddam Hussein. Selon lui, « Little Bush » et « Little Blair » n’avaient qu’une idée en tête : s’emparer du pétrole irakien. Tout comme le Français Nicolas

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Sarkozy et l’Italien Silvio Berlusconi – « Je savais qu’il aimait les femmes, mais pas la guerre

» – avec la Libye du « pauvre Kadhafi ».

Robert Mugabe a également critiqué la limitation des mandats présidentiels. « Nous, Africains, nous nous passons une corde autour du cou en disant que nos présidents doivent effectuer deux mandats. C’est aussi la démocratie si les peuples veulent que leurs dirigeants restent au pouvoir », a-t-il déclaré. Mais le président zimbabwéen s’est aussi ouvertement moqué de son homologue burundais Pierre Nkurunziza, qui entend effectuer un troisième mandat anticonstitutionnel. « Vous en voulez un de plus mais vous devez trouver une excuse.

Alors vous déclarez que le premier n’était pas un vrai mandat, parce que vous avez été choisi par les parlementaires et non par le peuple. Mais vous étiez bien là pendant cinq ans ! » S’ils ont déclenché de nombreux rires dans le public, ces propos prêtent aussi à sourire lorsqu’on se penche sur le propre parcours de Mugabe, lequel est au pouvoir depuis… 1987.

RDC

« Jeune Afrique » entre en campagne

Les journaux de la RDC ne sont plus seuls dans la danse médiatique autour du processus électoral congolais. En effet, à l’étranger, on constate que François Soudan de Jeune Afrique s’en fait aussi l’écho. Pour rappel, cet éminent « journaliste de connivence » a commis en 2006 un « le vrai Kabila » qui avait tout du prospectus électoral. En 2011, il traitait JKK de « Mobutu Light ». Le voilà qui présente un « bilan positif » du même homme. Jeune Afrique à la rescousse de JKK !!! Le public ébahi découvre un « journaliste de connivence à géométrie variable ».

D’aucuns diraient que le « coupage » n’est pas l’exclusivité des journaleux congolais ! Ah ! Les gens sont méchants ! « Jeune à fric ». Ce jeu de mots sur le titre de l’hebdo de Ben Yahmed n’est pas neuf, il est même passablement éculé et il est certes un peu lourd. On peut le contourner en disant que la lecture de Jeune Afrique se justifie par son statut de seul périodique francophone panafricain (au sens géographique : Nord et Sud du Sahara), que c’est le plus lu des périodiques de ce genre, etc…

Mais on ne peut « faire l’impasse » sur un financement sulfureux qui en fait le « porte- voix » de maint régime africain. Le 10 mars 2005, l'hebdomadaire "le Gri-Gri international"

fondé par un opposant gabonais, Michel Ougoundou, et animé par Nicolas Beau, par ailleurs journaliste à l'époque au "Canard Enchainé", publiait les comptes de Jeune Afrique pour 2004.

On y découvrait les subventions ahurissantes que le magazine recevait de chefs d'Etat africains.

En tête de ceux ci -déjà-, le président actuel du Rwanda, Paul Kagamé, qui offrait un bakchich 350000 euros. Comment s'étonner après cela que Kagamé ai choisi "Jeune Afrique" pour dénoncer les crimes supposés de la France au Rwanda.

"Le Gri-Gri International” s’était procuré le détail des encaissements africains de "Jeune Afrique" à la date du 16 janvier 2004. Présentés comme "des contrats de communication", ces documents qui portaient sur une quinzaine de pays de la zone « françafricaine » révélaient d’importantes sommes payées par des potentats africains au journal du franco-tunisien Béchir Ben Yamed. Ces régimes africains paient des articles de presse rédigés en leur faveur et qui ne portent pas forcément la mention « publireportage ».

L’article que vous allez lire est à la limite, et même à l’extrême limite du publireportage ... (malin et bien fait). Mais il nous a paru correct, avant de le critiquer, de permettre au lecteur de lire ce que nous critiquons.

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A Kinshasa, tout finit par des questions

Par François Soudan1

« Je ne vais pas baisser la garde aussi facilement… » Dans le petit salon bleu de sa résidence kinoise, climatisation poussée au maximum, Joseph Kabila vient de me renvoyer dans mes buts alors qu'en ce dimanche de Pentecôte finissant je tente d'obtenir de lui ce que tout journaliste recherche en pareille occasion : une interview.

Bottines, blouson, jean, sourire de sphinx et regard d’aigle, celui qui préside depuis quinze ans aux destinées du ventre de l’Afrique a fait de son absence de communication une technique de pouvoir. Il écoute beaucoup, parle peu, se confie encore moins, plisse les yeux quand il réfléchit comme pour mieux soupeser chaque phrase, dédaigne les communicants dont raffolent certains de ses pairs et ne juge pas utile d’employer un porte-parole. Question de tempérament, d’introversion naturelle sans doute, mais aussi d’expérience : avoir été tant de fois trompé, trahi, abusé depuis ce jour de janvier 2001 où il tomba au pouvoir sans parachute comme une balle de ping-pong sur un jet d’eau a forgé chez lui une assez piètre idée de la classe politicienne congolaise et suscité une méfiance tenace à l’encontre de ses hôtes étrangers, aussi empressés à quémander une audience que prompts à déformer ensuite ses propos. Jacques Chirac en son temps, John Kerry il y a un an ont tous deux publiquement regretté que ce chef d’État soit aussi taiseux face aux médias : « Dommage, il a tant à dire ! » On ne refera pas Joseph Kabila.

En quarante minutes d’entretien en tête à tête, cette fin d’après-midi du 24 mai, avec un homme que je n’avais pas revu depuis sept ans, aucun scoop, aucune confidence particulière, mais une amorce de certitude encore diffuse : 2016 ne sera pas l’année de son dernier mot. Je peux certes me fourvoyer et, comme tous les Congolais, qu’ils soient proches du pouvoir ou de l’opposition, comme les collaborateurs de Joseph Kabila souvent plongés dans des abîmes de perplexité, j’en serai réduit à scruter ses silences et à spéculer, pendant de longs mois encore, sur son hypothétique plan secret.

Dialogue national

Pour l’instant, la candidature ou non de Joseph Kabila à la présidentielle de novembre 2016 n’est pas, ou plus, au cœur du débat. Pour le pouvoir, la question est inopportune et inactuelle. Pour l’opposition, elle ne s’est jamais posée puisque inenvisageable.

L’intéressé, lui, n’en dit mot, convaincu que s’il s’exprime dans un sens ou dans l’autre le pays deviendra vite ingouvernable. Si le président congolais a eu la bonne idée d’ouvrir à la fin de mai un dialogue national avec ce qu’il est convenu d’appeler les forces vives de la nation – auquel l’opposition radicale a décidé de ne pas participer – c’est donc pour parler d’autre chose.

En l’occurrence, du calendrier électoral proposé par une Commission électorale nationale indépendante de 13 membres (6 nommés par le pouvoir, 4 par l’opposition, 3 issus de la société civile) et dont le président, l’abbé Malumalu, souvent absent du pays ces temps-ci pour raisons de santé, est crédité d’avoir organisé en 2006 les meilleures élections qu’ait connues le Congo depuis l’indépendance. Aux yeux de l’opposition, ce chronogramme très

1Publié dans JA du 16 juin 2015http://www.jeuneafrique.com/mag/235038/politique/rdc-a-kinshasa-tout-finit- par-des-questions

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serré qui prévoit de tenir une demi-douzaine de scrutins provinciaux, locaux et communaux avant la présidentielle et les législatives, le tout en dix-huit mois, avec un fichier toiletté et au coût estimé à plus de 1 milliard de dollars, est inapplicable. Sauf à imaginer – le climat de défiance est tel à Kinshasa qu’il s’agit là d’une certitude pour les anti-Kabila – que le pouvoir cherche à faire déraper le calendrier au-delà de 2016, un « glissement » dit-on ici, forcément conflictogène. Dans son bureau de ministre de l’Intérieur, entre deux rendez-vous avec les chefs de la police de la capitale, le Kasaïen Évariste Boshab s’insurge contre cette « vision paranoïaque des choses ». Pour l’ancien secrétaire général du parti présidentiel, « il faut terminer le cycle électoral de 2011 et organiser, au minimum, les provinciales d’où sont issus les gouverneurs et les sénateurs. Pour les populations, l’élu local est plus important que le président de la République, surtout quand on vit à mille kilomètres de Kinshasa ».

En arrière-plan se dessine un rapport des forces plus complexe qu’on le croit souvent.

L’opposition congolaise, pour pugnace qu’elle soit, est minée par ses querelles de leadership et l’incapacité de certains de ses leaders à passer la main. Le « líder máximo » Étienne Tshisekedi a 82 ans, le modéré Kengo wa Dondo, président du Sénat, 80 ans, et Jean-Pierre Bemba, l’homme de l’Ouest, maintient ce qui reste de son parti en apnée depuis sa cellule de la prison de Scheveningen, en attendant l’ouverture de son procès prévue pour le 29 septembre prochain.

Quant à Vital Kamerhe, qui fut le seul de ce quatuor à jouer un rôle et à prendre des risques lors des troubles de la fin du mois de janvier à Kinshasa, il est sans cesse sommé d’apporter la preuve de sa sincérité, face à des partenaires qui lui rappellent en permanence son passé d’attaquant de pointe du kabilisme. Aux côtés de ces poids lourds, qui disposent dans la capitale, mais aussi à l’intérieur du pays, d’une capacité de mobilisation certaine sur fond de fracture est- ouest ouverte lors des élections de 2006 et jamais refermée depuis, se tient toute une cohorte de francs-tireurs embusqués, parfois au sein même de la mouvance présidentielle. Le cas le plus emblématique est celui du désormais ex-gouverneur du Katanga (depuis le redécoupage des provinces, passées de 11 à 26, adopté en mars par le Parlement), Moïse Katumbi. Celui qui vise, sans pour l’instant le dire tout à fait, la succession de Kabila dispose d’une force de frappe financière considérable – contrairement aux chefs de l’opposition qui, tous, tirent la langue. Il a donc une carte à jouer et la possibilité d’acquérir des alliances, à condition de faire accepter par les Congolais l’hypothèse qu’un troisième président successif originaire de la même province minière puisse les diriger, ce qui est loin d’être acquis.

Choc des ego et des ambitions

Même s’il est le seul à pouvoir revendiquer une implantation nationale, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), la formation de Joseph Kabila, n’est guère en meilleure forme. Son nouveau secrétaire général, le Lushois Henri Mova Sakanyi, 52 ans, un universitaire reconnu, auteur d’une thèse sur « L’Ordre de Yalta à l’épreuve de la mondialisation », qui fut militant des droits de l’homme sous Mobutu, parolier de chansons patriotiques, ministre puis ambassadeur, hérite d’un parti désorienté au sein d’une majorité présidentielle qui est plus une fédération qu’un mouvement cohérent. « Mon objectif : recoller aux masses, rassembler les forces du régime », explique cet admirateur de Lumumba et du Mzee Laurent-Désiré Kabila, qu’il a rejoint en 1997. Vaste tâche, tant les ego et les ambitions, ici aussi, s’entrechoquent. À commencer par ceux du président de l’Assemblée, Aubin Minaku, et du Premier ministre, Augustin Matata Ponyo. Dommage, car ils sont complémentaires. Le premier est un fin politique, qui n’a pas hésité à faire entendre sa différence lors de la crise de janvier en critiquant sur Twitter l’intervention musclée de la police et en désavouant le projet

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de loi électorale subordonnant l’élection présidentielle à l’achèvement du recensement général de la population.

Tout en assurant de sa loyauté envers le chef, ce brillant magistrat de 50 ans, originaire du Bandundu, ancien élève des jésuites, se dit « prêt à assumer n’importe quelle fonction dans ce pays ». Le second est un gestionnaire compétent qui, quoi qu’on en dise, n’est pas pour rien dans le fait que le régime Kabila II soit le plus efficient en termes de reconstruction et de résultats macroéconomiques que le Congo ait connu en près de quarante ans. Certes, les inégalités sociales, le niveau des salaires réels, l’accès au marché du travail et le taux de corruption demeurent préoccupants, mais l’hôte à cravate rouge de la primature, qui vient de conclure un partenariat avec l’université Harvard et fait auditer son cabinet par KPMG, préfère parler parcs agro-industriels, mégabarrage d’Inga III, inflation à 1 %, guichet unique, baisse du taux de pauvreté et création de mille écoles. Au moins y a-t-il quelque chose de consistant à mettre du côté positif de la balance, du rarement vu en RD Congo depuis des lustres.

Pouvoir comme opposition, chacun doit composer avec cette troisième force hors système (ce qui ne signifie pas forcément autonome) qu’est la société civile.

Si les Églises kimbanguiste et protestante (ou issues du protestantisme comme les évangéliques et l’influente Église du Christ au Congo) sont considérées comme favorables à l’actuelle majorité, la puissante Église catholique, elle, a son propre agenda politique. En 2006, le cardinal-archevêque de Kinshasa, Frédéric Etsou, avait ouvertement pris position pour le candidat Jean-Pierre Bemba. Une décennie plus tard, son successeur, Laurent Monsengwo, souffle le chaud et le froid : proche de Léon Kengo wa Dondo, il participe au dialogue engagé par le président ; conciliateur au-dessus de la mêlée, il laisse la conférence épiscopale prendre fait et cause pour les émeutiers de janvier et la très médiatique poignée de jeunes activistes néocitoyens de Filimbi et de Lucha.

La proximité de ces derniers, dont les mésaventures ont défrayé la chronique en janvier, avec les chancelleries occidentales et tout particulièrement l’administration américaine agace l’ambassadeur Séraphin Ngwej, conseiller diplomatique de Joseph Kabila : « La communauté internationale ne dit rien à Kagamé ou à dos Santos, rien aux pays du Golfe ou à la Chine, mais elle se complaît dans le Congo bashing. » Nul doute que les énièmes leçons de gouvernance dispensées au début de juin par un émissaire américain de passage (le secrétaire d’État adjoint à la Démocratie et aux Droits de l’homme Tom Malinowski), lequel venait d’ailleurs de Brazzaville où il a décliné le même message, n’ont fait que renforcer ce sentiment.

Un deux poids, deux mesures qui n’est pas pour rassurer un Joseph Kabila dont on oublie un peu vite que, puisqu’il contrôle l’usage légitime de la force et l’appareil sécuritaire, rien ne pourra se faire sans lui ni contre lui. Croisé juste avant de quitter Kinshasa, son frère cadet (et quasi-sosie) Zoé, homme d’affaires et député aussi discret que secret, à qui la rumeur publique prête régulièrement les frasques les plus fantaisistes et qui préfère en sourire, confie dans un soupir : « J’espère que le prochain président saura maintenir notre unité. » Question : « Comptez-vous demander à votre frère de demeurer au pouvoir ? » Réponse : « Ce n’est pas à moi de le faire, c’est aux Congolais. Et qui vous dit qu’il le souhaite ? » En RDC, ces jours-ci, tout finit toujours par des questions…

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La course sinueuse de François Soudan

Par Guy De Boeck

Voir les choses en blanc ou en noir, n'est pas très sophistiqué et c’est rarement correct. N'empêche que dans les pays africains aujourd'hui, deux groupes se font bel et bien face : celui des femmes et des hommes qui ne pensent qu'à eux et aux leurs (la famille élargie parfois au clan ou au groupe ethnique) et sont prêts littéralement à tout pour conserver leur confort ou l'améliorer, et celui des personnes qui ne veulent pas de sociétés bâties sur l'égoïsme et l'absence de la moindre valeur partagée. Dans beaucoup d'endroits sur le continent, le rapport de forces est pour le moment clairement favorable aux premiers, et de loin. Jusque-là, ce sont les premiers qui enterrent les seconds, au propre et au figuré. Mais ils ne les enterreront pas tous.

Et, dans ce contexte de « gestion patrimonialiste de l’Etat », il faut bien tenir compte aussi de l’appartenance de François Soudan, époux d’une nièce de Sassou Nguesso à un de ces « clans » patrimonialistes.

Cheminement sinueux

Donc, François Soudan est de retour. Loin de son article au vitriol "Kabila = Mobutu light". Un bel exemple de journalisme de connivence!

L’hebdo parisien Jeune Afrique ou plutôt son directeur de rédaction, François Soudan, vient ainsi de sceller sa "réconciliation" avec Joseph

Kabila. On oublie tout, y compris l’article au vitriol

"Joseph Kabila = Mobutu light", publié en 2011 à quelques mois de l’élection présidentielle, sous la plume du même journaliste. A quelques dix-sept mois du second et dernier mandat de JKK, Soudan paraît décidé à défendre le "bilan" du "raïs". Quel est son intérêt?

Cet intérêt n’est pas forcément direct. Son article

vise la RDC, mais aussi le « Congo d’en face2» et JA recrute ses « annonceurs » principalement dans la « Françafrique » dont un des fleurons est Sassou Nguesso (« noko » par alliance de François). D’autre part, F. Soudan s’est fait ces dernières années le chantre du « renouveau rwandais » et, comme on le verra, il laisse, dans son article, échapper à une reprise la date de 2017, qui, elle, renverrait plutôt au calendrier – ou, si l’on préfère cette expression très usitée par les Congolais, à « l’agenda caché » - de Kagame.

Rappelons, toutefois, que ce n’est pas le premier « virage sur l’aile » de Soudan en ce qui concerne la RDC : à la veille de l’élection présidentielle de 2006, il avait publié un "dossier"

à la limite du "publi-reportage" intitulé "Le vrai Kabila" comportant une litanie de justifications sur le parcours du successeur de Mzee. Un parcours parsemé de zones d’ombre depuis le lieu de naissance, la filiation, le patronyme et le parcours professionnel…

2Dans la page consacrée à JA sur Wikipedia, François Soudan est donné officiellement comme « spécialiste du Rwanda, du Cameroun, de la Centrafrique et de la République du Congo ».

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Mais il avait ensuite publié une interview de Vital Kamerhe - alors à l’apogée de sa période « joséphiste » et Président de la Chambre - qui montrait celui-ci sous un jour très favorable. Elle contenait aussi une phrase malencontreuse où Kamerhe se voyait qualifié par Soudan de « futur Président de la République ». Un compliment qu’en principe il devrait être permis de faire, dans une démocratie, à un homme politique dont on vante la stature…

Quelles qu’en soient les raisons, en tous cas, Joseph, dit-on, n’a pas vraiment apprécié, mais alors, là, pas du tout du tout ! Et il le fit savoir.

C’est dans l’échange d’amabilités au vitriol qui suivit que JA publia le fameux articler «Kabila = Mobutu light » qui parle d’un « pays sinistré, miné par la corruption et la violence ».

Quoi qu’il en soit, François Soudan est donc de retour dans le giron joséphiste.

Obstination

En couverture, François Soudan note que "pour Denis Sassou Nguesso et Joseph Kabila, l’année 2016, ce sera l’année de tous les défis". Il écrit en liminaire que les deux chefs d’Etat

"s’apprêtent à faire face en 2016 à une échéance présidentielle cruciale, laquelle leur est à priori fermée par leurs Constitutions respectives". A propos de JKK, s’il faut en croire notre confrère parisien, il appréhenderait les conséquences d’une prise de position claire sur la question du 3° mandat. "Pour l’instant, écrit Soudan, la candidature ou non de Joseph Kabila à la présidentielle de novembre 2016 n’est pas, ou plus, au cœur du débat. Pour le pouvoir, la question est inopportune et inactuelle". Il semble que le "raïs" soit "convaincu" que s’il s’exprimait "dans un sens ou dans l’autre, le pays deviendra vite ingouvernable". Qui provoquerait cette "ingouvernabilité"? Mystère.

La lecture de l’article de François Soudan laisse par ailleurs apparaître la résolution du

"clan joséphiste" à maintenir le fameux "calendrier électoral et global" dans sa configuration actuelle. Autrement dit, le processus électoral doit commencer par les élections locales. Se confiant à Soudan, le ministre de l’Intérieur Evariste Boshab d’argumenter : "(...), il faut terminer le cycle électoral de 2011 et organiser, au minimum, les provinciales d’où sont issus les gouverneurs et les sénateurs." Et d’ajouter : "Pour les populations, l’élu local est plus important que le président de la République, surtout quand on vit à mille kilomètres de Kinshasa". Question : dans cette logique, ne faudrait-il pas "terminer" aussi le cycle électoral de 2006 ?

Portrait sévère de l’Opposition

On le sait, l’opposition congolaise est d’un avis contraire. Elle redoute que la priorité accordée aux consultations politiques au niveau local entraîne un "glissement" du calendrier électoral. Aussi, tient-elle au "strict respect" de la Constitution en ce qui concerne le délai de la tenue de l’élection présidentielle et des législatives. Sans omettre, les provinciales. Les élections locales, municipales et urbaines devraient être reportées après 2016.

Parlant de l’opposition congolaise, François Soudan la présente sous son plus mauvais jour. De façon feutrée et abusant du style « Suivez mon regard », surestimant l’importance, dans cette opposition, de Tshisekedi, il présente l’opposition dans son ensemble comme

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"minée" par "ses querelles de leadership et l’incapacité de certains leaders de passer la main", description qui ne vaut que pour l’UDPS.

Soudan parle encore d’autres opposants qu’il présente comme des "francs tireurs". C’est le cas de l’"emblématique" Moïse Katumbi qui - contrairement aux chefs de l’opposition qui, tous, "tirent la langue" - "dispose d’une "force de frappe financière considérable". (Faut-il comprendre que cela veut dire qu’il pourrait se payer la collaboration « journalistique » de François Soudan et de « Jeune à fric » ? )

Eloge du régime

Pour le pouvoir, Soudan n’a que des éloges. Ainsi, Henri Mova est présenté comme "un universitaire reconnu". Aubin Minaku, lui, passe pour un "brillant magistrat". Pour boucler la boucle, le Premier ministre Augustin Matata Ponyo se voit gratifier du titre de "gestionnaire compétent". Et le journaliste de regretter la mésentente entre Minaku et Matata. "Ils auraient pu être complémentaires ", note-t-il. Il faut donc croire que les « querelles de leadership » ne concernent pas que l’opposition !

A en croire Soudan, Matata "n’est pas pour rien dans le fait que le régime Kabila II soit le plus efficient en termes de reconstruction et de résultats macroéconomiques que le Congo ait connu en près de quarante ans". Soudan se souvient néanmoins que "les inégalités sociales, le niveau des salaires réels, l’accès au marché du travail et le taux de corruption demeurent préoccupants (...)". On ne trouve pas un mot sur l’incapacité du pouvoir joséphiste à fournir à la population non seulement de l’eau courante mais aussi de l’électricité, des soins de santé et une éducation de qualité.

Depuis la semaine dernière, nous explique-t-il, JKK mène des "consultations préliminaires" en vue d’un "dialogue". Il a reçu et continue à recevoir les "forces vives".

"Joseph Kabila se contente d’écouter ses invités sur l’idée qu’ils ont d’un dialogue, confie un observateur du microcosme politique kinois. Personne n’ose lui demander jusqu’ici l’objectif qu’il entend atteindre à travers ces pourparlers". Un confrère kinois d’enchaîner : "Joseph Kabila cherche à gagner du temps. Il a les yeux braqués sur la situation au Burundi. Si Nkurunzinza parvenait à gagner son pari d’un troisième mandat, Kabila va faire trainer les choses jusqu’à la fin du mandat de Barack Obama. Il espère que le prochain Président américain le laissera tranquille durant au moins les six premiers mois de l’année 2017".

Concluant son article, Soudan donne la parole à Séraphin Ngwej, conseiller diplomatique de

"Kabila" : La communauté internationale ne dit rien à Kagamé ou à Dos Santos, rien aux pays du Golfe ou à la Chine3, mais elle se complait dans le « Congo Bashing ». Et Soudan de prévenir qu’il s’agit d’"un’deux poids, deux mesures ‘qui n’est pas pour rassurer un Joseph Kabila dont on oublie un peu vite que, puisqu’il contrôle l’usage légitime de la force et l’appareil sécuritaire, rien ne pourra se faire sans lui ni contre lui"

3Il y a ici un mélange de vérité et de mensonge. Mensonge pur et simple que de prétendre « qu’on ne dit rien à Kagame ». Peut-être a-t-on été plus polis, et Kagame a certes été plus habile que JKK. Il n’a en tous cas pas oublié que le meilleur moyen de garder le pouvoir et de commencer par s’en dire fatigué. Il n’y a évidemment pas de problèmes de 3° mandat du président dans les états du Golfe qui sont des monarchies. En Angola, la Constitution prévoit que le leader du parti qui gagne les élections législatives devient automatiquement Président. Il y a toutefois bien un problème de « deux poids, deux mesures », mais il est ailleurs : on asticote les Présidents qui aimeraient tripoter la Constitution pour accéder à ce fameux mandat en plus, mais on fiche une paix royale aux veinards qui se font réélire sans fin dans les pays où cette limitation n’est pas prévue dans la Constitution !

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Début du vote le 28/11/11 à Kinshasa, pour les élections de 2011

© Radio Okapi/ Ph. John Bompengo

Quelle légitimité ?

Cela aussi fait question: la légitimité est une conquête de chaque jour, non un acquis, un pouvoir illégitime peut-il se prévaloir d’un "usage légitime" de la force? Il faut rappeler que les élections de novembre-décembre 2011 ont donné des résultats qu'une personne avisée, réfléchie, d’esprit libre et critique devrait considérer comme nuls, donc sans gagnant. La suite aurait dû être l'annulation pure et simple, des enquêtes sérieuses pour déterminer les causes et origines des irrégularités, qu’on punisse les responsables, qu’on les écarte définitivement de toute responsabilité électorale et qu’on en tire les conséquences quant aux futures élections. Il aurait dû y avoir une protestation générale des démocrates de tous les partis, car un démocrate ne saurait accepter que son candidat gagne par la fraude, la corruption et le mensonge. Au lieu de quoi on n’a assisté qu’à des élucubrations pour défendre la victoire « officielle » de JKK, et à d’autres élucubrations pour défendre celle, tout aussi hypothétique, de Tshisekedi.

Les élections de 2011 avaient été organisées, tout comme celles de 2006, en faisant voter un « corps électoral inconnu », faute de recensement préalable de la population. Ce fait à lui seul suffirait à en « plomber » gravement la crédibilité. Elles ont, par-dessus le marché, été entachées de fraudes et de manipulations à un point tel qu’elles ont donné des résultats qui, en réalité, sont encore inconnus. Toute autorité prétendue ne relève plus que de la force, de l’intimidation, d’un coup d’état de fait. Le principal ressort de ce coup d’état consiste à progresser, comme si de rien n’était, dans les tâches qui suivent normalement une élection et à mettre le pays et le monde devant le fait accompli. Malumalu, principal responsable de cette absurdité d’élections sans recensement préalable de la population, a été remis à la Présidence de la CENI, ce qui promet encore de beaux jours à l’avenir pour les fraudeurs !

Le dessous des cartes

Mise à part la petite description de la personne et de la vêture du Président, qui ouvre l’article et qui est comme la marque de fabrique de François Soudan et sert à bien faire reluire son auréole de personnage « reçu par les plus grands », cet article ne nous apprend strictement rien. Entendez par là qu’il ne nous donne aucune information que l’on ne puisse lire dans la presse « main stream » du Congo. On obtiendrait à peu près le même texte en faisant un copié/collé des éditoriaux politiques de L’Avenir ou d’un autre journal joséphiste. La seule différence perceptible est qu’en encensant Mova, Minaku ou Matata, François Soudan ne se croit pas obligé d’ajouter que ces personnages sont « inspirés par la vision du Chef de l’Etat ».

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On en arrive à se demander pourquoi Soudan et J.A. ont pris la peine d’élaborer un tel tissu de banalités et de rédiger ce factum dont tous les éléments, qu’il s’agisse des vérités ou des mensonges, figurent quotidiennement dans les journaux kinois. Y aurait-il anguille sous roche ? Est-ce que quelque chose sonne, malgré tout, comme « un pavé dans la mare ? Pose-t- on, quelque part LA vraie question ?

L’article vise officiellement Kinshasa, fait quelques allusions claires à Sassou de Brazzaville et mentionne aussi, beaucoup plus discrètement, Nkurunziza et Kagame. Et, si JKK est actuellement soupçonné plutôt de chercher des « prolongation s » et des « glissements » que de vouloir briguer un 3° mandat, les trois autres Présidents, parmi lesquels il y a l’un des plus généreux bailleurs de fonds de J. A. et le « tonton par alliance » de Soudan, ne font pas mystère de leurs intentions à ce sujet.

On peut dès lors se demander si la véritable question qu’aimerait formuler Jeune Afrique n’est pas celle exprimée par le titre d’un autre article du même numéro. Le voici.

En finir avec le dogme de la limitation des mandats présidentiels en

Afrique Par Yann Gwet4

Le débat sur le respect de la limitation des mandats présidentiels agite les sociétés de plusieurs pays africains depuis quelque temps. Il devrait se poursuivre dans les mois qui viennent. La ligne de fracture est claire : d’un côté les citoyens, dans leur majorité, exigent de leurs dirigeants qu’ils se conforment aux prescriptions de la Loi fondamentale de leurs pays respectifs ; de l’autre plusieurs leaders sont tentés de passer en force, pour des raisons souvent floues.

Le débat sur la limitation des mandats présidentiels est en réalité un débat sur l’organisation des systèmes politiques et la démocratisation des pays africains, et il est regrettable que les sociétés civiles africaines s’en emparent uniquement en période pré- électorale.

Regrettable parce qu’en raison du timing, ce débat est mené par le petit bout de la lorgnette, avec un risque de confusion. Les constitutions de plusieurs pays d’Afrique (notamment francophones) limitent en effet à deux le nombre des mandats présidentiels. Lorsque les sociétés civiles africaines s’arc-boutent sur le respect de cette disposition, elles donnent le sentiment, au-delà de la question de principe, que la limitation des mandats présidentiels est justifiée de tous temps, en tous lieux, indépendamment du stade de développement d’une société, des besoins spécifiques de chaque pays, de la qualité du Président en exercice. Vraiment ?

Soit. Mais alors pourquoi deux (pas un, ni trois, encore moins quatre) mandats, est-on tenté de se demander. D’où vient ce chiffre fétiche ?

La réponse est simple : les constitutions des pays de la plupart des pays d’Afrique subsaharienne sont inspirées de constitutions occidentales (en particulier celle de la France dans

4Entrepreneur et essayiste camerounais. Diplômé de Sciences Po Paris, il vit et travaille au Cameroun. Publkié dans JA le 16 juin 2015http://www.jeuneafrique.com/236360/politique/en-finir-avec-le-dogme-de-la-limitation- des-mandats-presidentiels-en-afrique/

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le cas des pays d’Afrique francophone). Mais là où celles-ci résultent d’une histoire longue, de trajectoires historiques spécifiques, d’une réflexion sérieuse sur la forme de gouvernement la plus adéquate pour créer une société prospère et harmonieuse, celles-là sont artificielles et comptent souvent au rang des vestiges de l’époque coloniale.

Évidemment le risque, lorsqu’une Constitution a été léguée plutôt que librement façonnée par la volonté populaire, est que les imperfections voire les errements de la Constitution mère se retrouvent dans la Constitution fille. À ce moment, sacraliser celle-ci revient à sacraliser les imperfections de celle-là.

La limitation des mandats présidentiels, à deux qui plus est, illustre en partie ce phénomène. Aux États-Unis, plus vieille démocratie représentative au monde, la constitution de 1787 ne prévoyait aucune limitation des mandats présidentiels. Les pères fondateurs des États-Unis, en particulier Alexander Hamilton, avaient mûrement réfléchi à cette question et estimaient que la limitation des mandats favoriserait des comportements contraires à l’intérêt du pays et nuirait à la nécessaire stabilité du gouvernement. Ronald Reagan pensait quant à lui qu’en démocratie seul le peuple souverain est habilité à limiter le mandat des présidents. N’est- ce pas la raison d’être du vote ?

C’est George Washington qui, épuisé par une longue carrière consacrée au service public, décida de se limiter à deux mandats présidentiels et initia ainsi ce qui devint une tradition. En effet les présidents américains successifs marchèrent sur ses traces, jusqu’à l’arrivée du Démocrate Franklin Delano Roosevelt (FDR). Celui-ci fut élu à quatre reprises (les deux derniers mandats en 1940 et 1944), ce qui, il faut croire, irrita les Républicains. En 1947, majoritaires dans les deux chambres, ceux-ci s’allièrent aux Démocrates du Sud des États-Unis (qui s’étaient opposés au New-Deal de FDR) pour faire voter, au terme de débats brefs, le 22e Amendement à la Constitution qui limite formellement à deux le nombre de mandats présidentiels aux États-Unis.

Il faut noter qu’à l’époque cette disposition était vue comme un moyen de discréditer l’héritage de FDR. La limitation des mandats présidentiels aux États-Unis résulte donc de manœuvres politiciennes. On peut d’ailleurs imaginer que si George Washington avait décidé de se limiter à trois mandats plutôt que deux, le 22e Amendement aurait limité à trois le nombre de mandats présidentiels. Et peut-être qu’aujourd’hui les opinions publiques africaines exigeraient des dirigeants qu’ils se limitent à trois mandats, pas plus !

Plusieurs dirigeants africains de notre époque ont un goût immodéré du pouvoir. La tentation de les contraindre constitutionnellement est donc compréhensible, et le souhait d’une majorité des opinions africaines de les voir respecter la Loi Fondamentale de leurs pays est légitime. Pour autant, le combat pour le respect de la limitation des mandats présidentiels ne doit pas empêcher la réflexion sur la pertinence de cette disposition constitutionnelle. Dans certains cas le départ des dirigeants, et donc le respect de la limitation des mandats, va dans le sens de l’intérêt du pays. Dans d’autres, la limitation des mandats peut mettre un coup d’arrêt à l’œuvre transformatrice de leaders d’exception, avec un risque de retour en arrière.

La majorité des États d’Afrique subsaharienne sont en construction. À ce stade, il est probable – si la question se pose ainsi – qu’ils aient davantage besoin de leaders exceptionnels

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– certes rares par définition – que de contraintes constitutionnelles fortes. Par conséquent pour compréhensible qu’elle soit, la volonté de se débarrasser de potentats illégitimes devrait s’accompagner du souci de donner le temps à des leaders d’exception de transformer leur pays.

À cet égard les constitutions pourraient conditionner la possibilité de se représenter après deux mandats à la tenue d’un référendum populaire. On en reviendrait au peuple, seul juge légitime en démocratie.

Si la question de la possibilité ou non de postuler à la magistrature suprême doit être tranchée par les peuples, alors le véritable débat n’est pas tant celui de la limitation des mandats que celui de la tenue de scrutins libres, transparents, incontestables. Ou comment s’assurer que les peuples s’expriment librement et que leur voix soit entendue fidèlement.

J’entends les réserves : organiser un référendum est coûteux. Peut-être, mais pas quand le destin d’un pays est en jeu.

En tout état de cause, la question de la limitation des mandats présidentiels devrait être au centre du débat public des pays africains davantage en période non-électorale qu’en période électorale. Cela laisserait le temps de l’approcher dans toute sa complexité ; cela permettrait de la replacer dans le cadre plus large du nécessaire débat sur l’organisation des systèmes politiques africains ; cela contribuerait à apaiser l’atmosphère des périodes pré-électorales. La paix et la stabilité des pays africains y gagneraient assurément.

Burundi

Les mots et la nausée

Editorial d'Antoine Kaburahe sur "Iwacu"

Cette semaine, je ne vous parlerai pas d’élections ni de « 3ème mandat ». Non pas que le sujet soit sans intérêt, mais je suis frappé par ce mal-être, ce désespoir qui nous frappe presque tous au Burundi.

Comme journaliste, j’ai été sidéré par la décision du Procureur général de la République qui interdit l’accès au studio de la Maison de la Presse aux journalistes des défuntes radios. Ce studio aurait pu fonctionner comme un palliatif transitoire pour casser le black-out qui

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enveloppe le Burundi. A travers cette décision, tout le monde a compris que la réouverture des médias indépendants n’est pas pour demain.

Mais comme me l’écrivait un ami artiste, dans une réelle vision à long terme – kubonera kure – justement, le pouvoir burundais aurait pu s’enorgueillir de l’existence d’une presse libre, la lire, l’écouter, au besoin y chercher dans la critique, des réponses constructives. « Pour un homme de pouvoir, les voix libres et contradictoires sont souvent d’un meilleur conseil que la multitude de courtisans qui font chorus», me disait avec sagesse cet ami.

Mal-être, disais-je. Mais regardez ou écoutez autour de vous. Aujourd’hui, les gens s’interrogent, doutent du lendemain, les parents se demandent que vont devenir leurs enfants rongés par l’oisiveté. Tout le business est au point mort, les entreprises mettent des employés au chômage technique, quand elles ne ferment pas. Prudentes, des ONG ont déjà fait leurs valises ou se sont temporairement repliées sous des cieux plus cléments. Des suspensions de coopération bilatérale ont déjà été annoncées.

Les mieux nantis font des plans pour partir et se mettre à l’abri. Les autres, plus nombreux, fataliste, attendent, léthargiques…

Dans ce contexte, vous parler des tripatouillages juridico-politiques de la CENI, des calendriers électoraux qui se télescopent allègrement, me paraît simplement indécent.

Et puis, comme chez vous, les mots « 3ème mandat », provoquent chez moi ce que vous savez. Un mot cher à Jean-Paul Sartre. Vous voyez ce que je veux dire…

Nkurunziza, Kabila : Il faut qu’ils partent… Mais après ?

Par Stéphanie Triest

Au Burundi et en RDC, la population s’oppose à la volonté des présidents Pierre Nkurunziza et Joseph Kabila de briguer un troisième mandat, au mépris de leur Constitution et des accords d’Arusha. Des mouvements réprimés dans la violence. Dernier bilan : une quarantaine de morts depuis avril au Burundi, tandis que les arrestations se poursuivent en RDC, après la répression meurtrière des manifestations de janvier. Une conséquence : le débat se focalise sur ces figures présidentielles, déplorent les représentants de la société civile et de la diaspora. Plusieurs d’entre eux étaient réunis à Bruxelles cette semaine. Ils ont participé à un débat organisé par le CNCD-11.11.11.

« Il faut qu’il parte, peu importe le reste », la sentence revient inlassablement, depuis 1960 jusqu’à aujourd’hui, visant successivement le colonisateur belge, Mobutu et désormais Joseph Kabila. « Mais il est temps de penser à l’après. On ne peut pas continuer sur ce même schéma : un pouvoir bâti sur un modèle charismatique, au détriment d’un véritable projet politique ». Un constat qu’assène Yangu Kiakwama du mouvement citoyen Filimbi. Un constat partagé par les représentants de la société civile et de la diaspora congolaise réunis le 3 juin à Bruxelles au siège du CNCD-11.11.11. Pour tirer les conclusions des processus électoraux en cours au Burundi et en RDC. Et surtout, identifier des leviers d’actions utiles à la société civile.

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« La personnalisation du pouvoir est un phénomène à l’œuvre en RDC comme au Burundi, souligne Emmanuel Klimis, chercheur à l’Université Saint Louis et spécialiste de ce pays. A un moment, la priorité de la communauté internationale n’était pas de s’opposer à un troisième mandat, mais d’obtenir des avancées. Mais aujourd’hui, c’est l’obsession, comme c’était le cas en 2005 et en 2010 avec Karel De Gucht (ex-ministre belge des Affaires étrangères). C’est l’arbre qui cache la forêt et la réelle capacité de l’opposition à faire son boulot. Très peu de critiques portent sur l’entourage du président, or certaines personnes y ont même plus d’intérêt que Nkurunziza à le maintenir en place. »

« Quel leader voulons-nous ? » interroge à son tour Gérard Bisambu, secrétaire général de la coupole Agir pour des élections

transparentes et apaisées (AETA), partenaire du CNCD-11.11.11 en RDC.

« D’autres candidatures vont émerger si Kabila recule ». Mais pour faire apparaître quelle fracture ? Car Gérard Bisambu attire l’attention sur un autre danger à l’œuvre aujourd’hui : le morcellement de l’opposition. 479 partis sont officiellement enregistrés en RDC. C’est une stratégie du pouvoir en place : faire diversion en créant des partis satellites et jouer sur la carte

ethnique dans telle ou telle localité. Pour finalement aboutir au même résultat : occulter l’absence de débat sur un programme.

Une stratégie dont l’unique but est le maintien au pouvoir du régime Kabila, décode Gérard Bisambu, « comme le redécoupage des provinces, favorable au parti présidentiel ou le fait de gagner du temps, en lançant un dialogue avec les partis d’opposition, l’Eglise et maintenant, la société civile. Au contraire, il faut faire émerger l’exigence d’élections organisées dans des délais constitutionnels au sein de la population. »

Une volonté qui passe par la société civile, selon Gérard Bisambu. « Il y a la volonté de se consolider, de créer des synergies ». Là aussi, il s’agit d’éviter le morcellement. En créant, par exemple, un vaste réseau d’observateurs dans chaque province en RDC. Actuellement, dit-il, « ces réseaux sont divisés, les observateurs sont liés à tel ou tel partenaires, l’Eglise, les Etats-Unis, aux intérêts divergents. » Danny Singoma renchérit ; avec son association, le Centre national d’appui au développement et à la participation populaire (Cenadep), partenaire du CNCD-11.11.11 et de Solidarité socialiste, il sensibilise les Congolais et les Congolaises à l’enjeu électoral.

« Aujourd’hui, il y a trop de systèmes de monitoring. Chacun va ensuite dans son coin trouver son partenaire. Le Cenadep déploie un réseau d’une centaine d’observateurs via les organisations de quartier en ville et les organisations paysannes. » Paul Nsatu, de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), insiste également sur le rôle des observateurs : « Il y a des jeunes, des femmes au Burundi, comme au Burkina Faso, des

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mouvements comme Y’en a marre, Filimbi, Mon vote doit compter, Tournons la page, Balai Citoyen, qui veulent jouer un rôle. Il faut leur donner un espace, sinon, ils vont être récupérés par des forces négatives ».

Cette mobilisation de la population passe aussi par les médias. Un véritable enjeu alors que la plupart des médias privés sont muselés, leurs émetteurs détruits, en RDC comme au Burundi. Selon Gérad Bisambu, les réseaux sociaux offrent une alternative. Les jeunes y recourent de plus en plus en ville. D’où aussi, l’importance de la diaspora, rappelle Emmanuel Klimis, qui doit jouer un rôle de

« chien de garde » pour maintenir ici l’attention politique et médiatique sur ce qui se passe là-bas. » « Oui, conclut Sabine Kakunga du CNCD-11.11.11, la société civile est décidée à se faire entendre. Mais nous devons mieux nous parler, mieux nous soutenir, pour ne pas être récupérés. Il faut avancer ensemble. »

FMI

Les inégalités de revenus nuisent à la croissance

Les tenants de la théorie du « ruissellement », selon laquelle les revenus des plus riches contribueraient à l’activité économique générale, ont du souci à se faire : des économistes du Fonds monétaire international (FMI) contestent ouvertement cette approche. Et surtout, dans une étude sur les causes et les conséquences des inégalités, présentée lundi 15 juin, ils prouvent l’existence d’une relation inversement proportionnelle entre les revenus détenus par les 20 % les plus aisés et la croissance.

Lorsque la part de gâteau des 20 % les plus aisés s’accroît de 1 %, le produit intérieur brut (PIB) progresse moins (- 0,08 point) dans les cinq années qui suivent. Cela laisse penser que les avantages des plus riches ne ruissellent pas vers le bas. En revanche, une augmentation du même montant de la part des revenus détenue par les 20 % les plus pauvres est associée à une croissance plus forte de 0,38 point.

Cette corrélation positive entre parts de revenus et croissance vaut aussi pour la classe moyenne. Les auteurs de ce travail, qui n’engage pas officiellement le FMI, en tirent la conclusion que les dirigeants politiques doivent faire porter leurs efforts sur les plus pauvres et sur la classe moyenne pour réduire les inégalités.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) était parvenue aux mêmes conclusions en 2014. L’étude du FMI est toutefois plus large puisqu’elle porte sur un échantillon d’une centaine de pays : économies avancées, émergents et pays en développement.

Ses auteurs font observer que la globalisation financière et les progrès technologiques sont associés, partout, à une augmentation de la part des revenus détenue par les 10 % les plus riches, désormais neuf fois plus importante que celle détenue par les 10 % les plus pauvres.

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Ces effets ont été amplifiés par la crise. Dans les pays émergents et en développement, toutefois, l’augmentation des inégalités s’explique d’abord par le fait que les classes moyennes supérieures ont rejoint les classes supérieures, comme en Chine et en Afrique du sud.

Autre découverte intéressante : l’assouplissement du marché du travail va de pair avec une inégalité croissante et avec l’enrichissement des 10 % les plus aisés. Les auteurs en concluent que la flexibilité du marché du travail bénéfice aux riches et réduit le pouvoir de négociation des travailleurs pauvres.

Une autre étude du FMI, prochainement publiée, montre que, dans les économies avancées, le décrochage du salaire minimum par rapport au salaire médian va de pair avec une hausse des inégalités et que la diminution du taux de syndicalisation est fortement corrélée à la hausse des revenus des plus riches.

En l’absence d’effets de ruissellement, les auteurs plaident logiquement pour une fiscalité plus redistributive, via des impôts sur la richesse et la propriété, et plus progressive sur les revenus.

Le problème de l’Occident au XXIe siècle, c’est le papier sans actifs; partout ailleurs, ce sont les actifs sans papier.

Economie

Piketty ignore 90 % de la population

Par Hernando de Soto5,.

Thomas Piketty s’inquiète du risque de guerre future et suggère qu’elle prendra la forme d’une rébellion contre le capital. Il a tort. Les gens ne fuient pas le capital et ne se battent pas contre lui, ils le recherchent ! Il fallait aller sur le terrain pour le comprendre.

Avec son best-seller "Le Capital au XXIe siècle", Thomas Piketty a attiré l’attention du monde entier : non parce qu’il se bat contre les inégalités (nous sommes nombreux à le faire), mais en raison de sa thèse centrale, tirée d’une analyse des XIXe et XXe siècles qu’il projette sur le XXIe siècle : le capital "entraîne mécaniquement des inégalités arbitraires et insoutenables" qui conduisent le monde à la misère, à la violence et aux guerres. Cette thèse est fausse, comme le montrent les recherches que j’ai menées avec mes équipes.

Nous avons fait ce que ni Thomas Piketty ni personne n’avait accompli : explorer la misère, la violence et les guerres du XXIe siècle. Ce que nous avons découvert contredit "Le Capital au XXIe siècle" : les gens ne fuient pas le capital et ne se battent pas contre lui, ils le recherchent.

Une extrapolation erronée

Faute de statistiques mondiales fiables, le travail de Thomas Piketty est construit sur la base des données officielles des pays riches ; il ignore ainsi que 90 % de la population mondiale

5Hernando De Soto, économiste péruvien, auteur du livre "Le Mystère du capital" (Flammarion) est peu connu par chez nous mais plus écouté de par le monde. Economiste péruvien, il défend l’idée que le droit de propriété reste le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté. Les réformes qu’il a engendrées dans son pays lui ont valu des menaces de mort.

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vit dans des pays en développement ou d’anciens Etats soviétiques, dont les habitants font fructifier leurs activités économiques et leur capital dans le secteur informel, c’est-à-dire hors des statistiques officielles. La grande erreur de l’analyse du "Capital…" consiste à extrapoler des catégories sociales et des indicateurs statistiques européens, à les appliquer aux pays non occidentaux et à en tirer des conclusions mondiales et des lois universelles. Ses chiffres ne reflètent donc pas ce qui se passe dans le monde.

Cette faille a des implications qui dépassent largement les seuls aspects comptables : les violences qui ont éclaté place Tahrir en Egypte en 2011 sont survenues dans un pays où Thomas Piketty ne disposait pas de données directes. Une étude sur le terrain montre que le capital y joue un rôle caché mais déterminant, que l’analyse eurocentrée ne peut pas percevoir

Sur le terrain

A la demande du ministère du Trésor égyptien, mon institution, l’"Institute for Liberty and Democracy", a enquêté : 120 chercheurs, surtout égyptiens, ont exploré la documentation officielle et collecté des informations par un travail d’observation sur le terrain, de porte-à- porte, pour confronter les statistiques officielles - dont la fiabilité faisait question - à la réalité.

Nous avons découvert que 47 % des revenus égyptiens annuels du "travail" proviennent du capital : les travailleurs égyptiens gagnent 20 milliards de dollars en salaires, mais aussi 18 milliards supplémentaires grâce au rendement de leur capital informel. Notre recherche a montré qu’ils possèdent près de 360 milliards de dollars en biens immobiliers : c’est huit fois plus que l’ensemble des investissements directs étrangers en Egypte depuis l’invasion napoléonienne.

Tout cela, Thomas Piketty ne pouvait le découvrir par sa seule analyse des données officielles.

Piketty s’inquiète du risque de guerre future et suggère qu’elle prendra la forme d’une rébellion contre les inégalités en matière de capital. Il n’a peut-être pas remarqué que les guerres pour le capital ont déjà commencé sous le nez de l’Europe, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Pas contre mais pour le capital

S’il n’avait pas raté ces événements, il aurait vu qu’il ne s’agissait pas de rébellions contre le capital, comme il le prétend, mais pour le capital. Le printemps arabe a été déclenché par l’immolation de Mohamed Bouazizi dans l’ancienne colonie française de Tunisie en décembre 2010. Les statistiques officielles et eurocentrées classant toutes les personnes ne travaillant pas dans des entreprises officiellement reconnues comme "chômeurs", il n’est pas étonnant que la plupart des observateurs se soient empressés de parler de Bouazizi comme d’un

"travailleur sans emploi".

Pourtant, cette classification passait à côté du fait que Bouazizi n’était pas un travailleur, mais un entrepreneur depuis l’âge de 12 ans, qui aspirait avant tout à avoir plus de capital ("ras el-mel", en arabe). Notre système de classification eurocentré nous a empêchés de voir que Bouazizi lançait en réalité une sorte de révolution industrielle arabe. Et il n’y avait pas que lui.

Par la suite, nous avons découvert que 63 autres entrepreneurs de la région, s’inspirant tous de l’exemple de Bouazizi, avaient tenté de se suicider publiquement dans les deux mois qui suivirent. Ils ont conduit des millions d’Arabes dans la rue, renversant quatre gouvernements presque immédiatement.

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Les interviews des survivants

En deux ans, nous avons interviewé près de la moitié des 37 personnes qui s’étaient immolées et avaient survécu à leurs brûlures, ainsi que leurs familles : toutes avaient été conduites au suicide par l’expropriation du peu de capital qu’elles avaient. Environ 300 millions d’Arabes vivent dans les mêmes conditions que les entrepreneurs qui se sont immolés. De ces enquêtes il faut tirer quatre enseignements.

Premièrement, ce n’est pas le capital qui est à la racine de la misère et de la violence, mais son absence. Deuxièmement, pour la plupart du monde non occidental du XXIe siècle, le capital et le travail ne sont pas des ennemis : au contraire, ce sont des facettes indissociables de la création de valeur. Troisièmement, les principales barrières au développement des populations les plus démunies trouvent leurs sources dans leur incapacité à accumuler et protéger leur capital. Quatrièmement, le respect de l’individu et le courage de s’exprimer haut et fort ne sont pas réservés à l’Occident. Bouazizi et ceux qui l’ont imité sont tous des Charlie Hebdo.

Pour tracer les capitaux

Thomas Piketty a raison quand il écrit que le manque de transparence est au cœur de la crise qui dure depuis 2008, mais il se trompe quand il propose un "cadastre financier", qui inclurait tous les capitaux. Les banques et les marchés européens regorgent de ce que Marx et Jefferson appelaient le "capital fictif", c’est-à-dire du papier qui ne reflète plus aucune valeur réelle : aujourd’hui, cette illusion recouvre des milliards d’euros qui sont reliés de façon obscure à des produits dérivés, reposent sur des capitaux non traçables ou mal documentés et tourbillonnent sans fin sur les marchés.

Si la croissance européenne est atone, c’est notamment parce que plus personne ne fait confiance à tout ce papier ! Le problème de l’Occident au XXIe siècle, c’est le papier sans actifs; partout ailleurs, ce sont les actifs sans papier. Comment traiter la misère, les guerres et la violence à une époque où la plupart des registres de la planète ont cessé de représenter des facettes cruciales de la réalité ? L’Histoire française est une bonne piste pour commencer.

La France qui a pu se moderniser lorsque, tout au long du XIXe siècle, le pays apprit à enregistrer les titres de propriété sur tous les actifs et de la sorte à comprendre les milliers de fils que les entreprises avaient créés entre elles et ainsi socialiser et reconfigurer la production de manière mobile.

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LES UNIVERSITÉS POPULAIRES DES

LITTÉRATURES DES AFRIQUES À BRUXELLES!

Jeudi 18 Juin à 18h30 – CEC

Universités Populaires des littératures d’Afrique Session 2: Écrits sur le bassin du Congo

Ce Jeudi 18 Juin, à partir de 18h30, le collectif Palabres autour des arts (PADA) organise, en partenariat avec CEC, une rencontre dans le cadre de ses « Universités Populaires des Littératures des Afriques » (UPLA – session 2015) sur le thème «écrits sur le bassin duCongo».

Pour cette seconde session des UPLA 2015, il s’agit des’interroger sur le « regard del’Occident»sur cette partie du monde au travers du regard de douze auteurs différents:

1. La saison des pluies – Greene

2. Pandore au Congo – Albert Sanchez Piñol 3. Le rêve du celte – Mario Varga Llosa 4. Concierto barocco – Carpentier 5. A la courbe du Fleuve – Naipaul

6. Les Fantômes du roi Léopold – Hochschild 7. Le soliloque du roi Léopold – Mark Twain 8. Voyage au Congo – André Gide

9. Congo – Eric Vuillard

10. Là où la terre est rouge – Thomas Dietrich 11. Au cœur des ténèbres – Joseph Conrad

12. Il faut beaucoup aimer les hommes – Marie Darrieussecq

Dans une première phase les membres du collectif PADA (Ramcy Kabuya, Cédric Moussavou et Joss Doszen) présenteront les ouvrages sélectionnés et via uneanalysetextuelle et contextuelle.

Ensuite, unetable-ronderéunira des parties intéressés qui viendront échanger sur le sujet. Enfin, unéchange ouvertpermettra, d’approfondir la réflexion et une participation de tous sera

favorisée.

INFOS PRATIQUES

Quand? Jeudi 18 Juin, à 18h30

? Maison de la Francité -CEC : Rue Joseph II 18, 1000 Bruxelles Contacts et réservations:info@cec-ong.org

Prix: entrée gratuite – Petite restauration offerte

Julien Truddaiu

url :cec-ong.org| e-mail :julien@cec-ong.org|

Tel : +32 2 217 90 71 | Gsm : +32 474 234 735

Referenties

GERELATEERDE DOCUMENTEN

2. Le traitement de la grande majorité des cas peut se faire dans les formations hospitalières ordinaires c.-à-d. les hôpitaux généraux, sans coercition. Les malades

D Quand on suit un régime pour perdre du poids, le corps va puiser dans.

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