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Année 2014 n° 3 –––– Sommaire Sommaire Sommaire Sommaire

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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le jeudi 6 mars 2014

On évoque souvent les larmes du crocodile, mais jamais son sourire Le voici !.

.Encore une injustice réparée grâce à DialogueDialogueDialogueDialogue !

Année 2014 n° 3 Année 2014 n° 3 Année 2014 n° 3

Année 2014 n° 3 –––– Sommaire Sommaire Sommaire Sommaire

Algérie

Les conflits à répétition dans le M’zab : une crise urbaine dans l’Algérie des émeutiers… page 1

RDCRDC RDCRDC

« La mise en œuvre adaptée de l’ITIE : Que devient le traitement équitable des pays ? »

… page 4

Une mayonnaise qui ne veut pas prendre, ou le problème insoluble des « Tutsi congolais » … page 7

Afrique

L’Afrique serait-elle homophobe ?.. page 16 UKRAINE

UKRAINE UKRAINE UKRAINE Urgence… page 18

Les néo-nazis au pouvoir d’Etat en Ukraine… page 20

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Algérie Algérie Algérie Algérie

Les conflits à répétition dans le M’zab : une crise urbaine dans l’Algérie des émeutiers

Vue aérienne de Beni Izguen Une des villes du M’zab (ph. : George Stienmetz, ASA).

Par Nadir Djermoune 1

Pour Nadir Djermoune à la base du conflit au M’zab il y a une lutte pour l’appropriation d’un espace urbain de plus en plus réduit, sur fond de libéralisation économique et d’urbanisation galopante qui ont engendré un « développement social inégal, avec son lot de

chômeurs et de besoins sociaux et culturels grandissants ».

Le problème de l'émeute est que sans direction, la protestation peut aller dans tous les sens. On peut y trouver des mafieux, des voyous surfant sur des revendications justes et légitimes, etc. Le pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika a réprimé durement beaucoup de protestations qu’a connues le pays sous son règne mais il en a caressé d’autres dans le sens du poil. Ainsi, les étudiants à présent ferment-ils leurs instituts pour réclamer leur rachat (c’est-à- dire le passage en année supérieure sans avoir obtenu la moyenne), remettre en cause la compétence de leur enseignant ou carrément faire du forcing pour un passage sans examens ! Il suffit qu’il y ait dans une émeute des apprentis-sorciers pour qu’elle soit orientée dans le sens qu’ils veulent. Cela a été, par exemple, le cas à Ouargla, où les émeutiers se sont attaqués

1 Ancien subdivisionnaire à la direction de l'Urbanisme (DUCH, DLEP) à la wilaya d'Alger, Nadir Djermoune enseigne l’architecture à l’Université de Blida.

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aux femmes, probablement sous l’influence du discours salafiste qui voit en celles-ci l’incarnation du mal du pays.

Aujourd’hui, les événements tragiques que vit le Mzab obéissent à la même logique. Il y a là aussi une émeute, une dimension mafieuse et un discours religieux « wahabite » haineux à l’endroit des « ibadites » considérés comme des musulmans hétérodoxes. Le mozabite est devenu le bouc émissaire, celui qui incarne le mal aux yeux des protestataires.

Cette crise dans la région, où des émeutiers appartenant à la population arabophone (de rite malékite) s’attaquent aux biens et aux personnes de la population berbérophone mozabite (de rite Ibadite) prend la forme d’un conflit communautaire. Elle a des relents de manipulation occulte, dans un contexte régional instable et une situation nationale centrée sur la présidentielle, où les enjeux de succession prennent une dimension tragique.

Le premier écueil à éviter est celui des lectures « anthropologistes » et « ethnicistes » de ce conflit dans le M’zab. D'abord parce que la popularisation de ces lectures n’est pas constructive d'un avenir radieux et démocratique et qu’elle fait le lit de régression culturelle et intellectuelle. Ensuite, parce que le réel d’aujourd’hui, en Algérie et ailleurs, est « moderne », avec son lot de contradictions les plus contemporaines.

Aux origines de la modernité algérienne

L’introduction de la modernité capitaliste dans l’espace algérien, notamment dans sa forme coloniale, a complètement restructuré la société. L'ancienne société, celle de Massinissa dans l’Antiquité, celle des « envahisseurs » Banou Hilal au moyen-âge islamique, ou encore celle des rostomides fondateurs du premier Etat du Maghreb central et ancêtres présumés des mozabites, n'existe plus. Le rapport à cette société relève, en réalité, du mythe. Nous avons vu ce à quoi on a abouti avec la soi-disant réapparition des anciennes structures appelées

« ârouche » en Kabylie, en 2001.

La restructuration de la société est à l’image de la restructuration spatiale. La colonisation a remodelé l’espace algérien. L’espace urbain a été le premier touché. Dans le sillage d’Haussmann et de Napoléon à Paris au 19° siècle, les villes algériennes ont été fondamentalement détruites et restructurées. Les autochtones, marginalisés, en ont été exclus.

Une première définition du paysage colonial a été engendrée par la reproduction outre-mer d’une image urbaine française, destructrice et affirmative de la puissance et de la différence.

C’est le style du vainqueur2! Une deuxième ligne vers la fin du 19° siècle a marqué un tournant dans le traitement de l’espace urbain vers le style du « protecteur ». C’était la politique appliquée en Tunisie et, surtout, au Maroc : la ville coloniale se juxtapose à l’ancienne ville autochtone, et cette dernière est préservée de même que la structure sociale qui lui a donné naissance. La même démarche a été appliquée dans le Sud algérien : les cités du Mzab ont ainsi été préservées.

Le conservatisme de la société du Mzab et son attachement à son identité ancienne ne sont pas d’essence identitaire, ethnique ou religieuse. Ils ont une base historique et matérielle.

Il ne s’agit donc pas d’une spécificité ibadite qui s’opposerait à l’identité malékite. Le même rouleau compresseur s’est déroulé sur le reste du territoire avec l’enjeu du foncier agricole. P.

Bourdieu et A. Sayad dans Le Déracinement3 expliquent le phénomène et usant des notions d’

« acculturation » et de « déculturation ». Le capitalisme colonial avait besoin des terres

2 Cf. F. BEGUN, Arabisances, Edit. Dunod, Paris, 1983.

3P.BOURDIEU, A. SAYAD, Le déracinement, la crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, les éditions de Minuit, Paris 1964

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fertiles, celles des plaines et des hauts-plateaux, et c’était l’espace occupé essentiellement par les arabophones. Ces régions ont été profondément restructurées par le quasi-anéantissement des structures tribales : ce fut la déculturation totale avec elle, une perte de repères et son lot de conservatisme, de désespoir. Les moins fertiles territoires montagneux, en majeure partie berbérophones, ont été renvoyés à la périphérie de l’économie marchande, et contenus dans un conservatisme culturel et identitaire. Ce fut une acculturation selon Bourdieu et Sayad.

La vallée du Mzab, bien qu’elle soit géographiquement différente, a connu un sort similaire à celui des zones montagneuses du Nord. Le territoire mozabite a été contenu dans un repli identitaire. Les populations arabophones, déjà présentes dans la cité du Mzab dès le 14°siècle (Metlili), y trouveront un repli territorial.

Crise urbaine

Le conservatisme identitaire, culturel et religieux mozabite s’est renforcé dans les conditions créées par la colonisation. Il s’est même accompagné d’une certaine autonomie de l’organisation politique. L’allégeance du M’zab au pouvoir ottoman était de pure forme et sous la domination française, un accord conclu en 1853 lui a octroyé une certaine autonomie institutionnelle et juridique4. Ce conservatisme s’est maintenu dans l’Algérie indépendante.

Malgré la poursuite de l’« émigration » des Mozabites dans différentes régions du pays, leur intégration dans les villes où ils s’installent reste marginale et limitée, avec une forte volonté de préserver leur spécificité culturelle et surtout économique, fortement centrée sur le commerce.

Aujourd’hui, la libéralisation économique, la privatisation tous azimuts et l’urbanisation galopante de la vallée du Mzab ont engendré un développement social inégal dans la région, avec son lot de chômage et de besoins sociaux et culturels grandissants. La ville, centre économique et centre et de décision politique, est devenu un enjeu qui polarise toute des populations en quête de statut social et de place sur l’échiquier urbain.

Mais lorsque la demande dépasse, et de loin, les capacités d’accueil, l’enjeu lié à l’occupation de l’espace dépasse toute mesure. On assiste alors à une urbanisation hors norme, qui va jusqu’à défier l’équilibre écologique de la région et échapper, grâce au clientélisme, à tout contrôle institutionnel. Ce problème se fait sentir davantage dans les milieux les moins favorables à l’urbanisation, dont les milieux sahariens, naturellement et territorialement fragiles et à capacité foncière limitée, comme c’est le cas de la vallée du M’zab. La ligne de démarcation, vu l’histoire et la sociologie de la région, se définit entre les populations arabophones et celles berbérophones. Les premiers sont les moins intégrés dans les réseaux sociaux, économiques et institutionnels et travaillent pour une partie non négligeables dans l’informel. Les seconds sont soutenus par les structures familiales et communautaires traditionnelles et échappent, en quelque sorte, aux dégâts de l’informel.

L’opportunisme politique, le clientélisme et la corruption dans la gestion des affaires publiques s’installent lourdement en même temps que s’installe la compétition par l’exclusion. Tout ces facteurs, en l’absence d’une vie associative et politique démocratique et transparente, développent chez les uns et les autres le « réflexe du prédateur » qui cherche à prendre sa part du gâteau, sans se soucier ni du moyen de le prendre ni des autres ni de l’intérêt collectif. Le poids de l’histoire, avec ces inerties culturelles et sociologiques, nous guette et risque de nous amener vers une régression peu féconde.

4 Cf. Y TEMLALI, « Ghardaïa, miroir d'une Algérie qui creuse elle-même la tombe de son unité » (en arabe)

"Al Safir Al Arabi" (supplément du quotidien libanais Al Safir), le 12 février 2014.

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RDC

« La mise en œuvre adaptée de l’ITIE : Que devient le traitement équitable des pays ? »

Par Jean Claude KATENDE

5

I.

Introduction.

L’Initiative de Transparence des Industries Extractives(ITIE) est une initiative très jeune. Lancée 2002, l’ITIE n’a que dix ans d’existence.

Pendant qu’elle s’affirme comme une initiative internationale , crédible et susceptible de contribuer à l’amélioration de la gouvernance des ressources naturelles, notamment en se dotant d’une norme qui impacte sur toute la chaine de valeurs des industries extractives, elle est en même temps confrontée à plusieurs défis dont celui de concilier le respect de toutes les exigences par tous les pays de mise en œuvre, traitement égal et équitable des pays, avec le besoin d’une mise en œuvre innovante ou intelligente justifiée par certaines circonstances exceptionnelles, ce que la norme ITIE appelle «la mise en œuvre adaptée » prévue par l’exigence 1.5.

Compte tenu des questions que cette mise en œuvre adaptée soulève tant pour les pays demandeurs que pour les autres pays, il est important que tous ceux qui sont intéressés par la protection du label « ITIE » apportent leurs contributions à ce débat.

Cet article constitue notre contribution à ce débat qui vient de commencer.

II. Nature de la mise en œuvre adaptée.

C’est la Norme ITIE qui prévoit la mise en œuvre adaptée de l’ITIE à son exigence 1.5. Elle est circonscrite de la manière suivante :

« Si le Groupe multipartite estime qu’il est confronté à des circonstances exceptionnelles justifiant une déviation des Exigences de mise en œuvre, il doit solliciter l’accord préalable du Conseil d’administration de l’ITIE en vue d’une mise en œuvre adaptée. La requête devra être avalisée par le Groupe multipartite et reflétée dans le plan de travail. La

5 Jean Claude KATENDE est membre du Comité Exécutif ITIE en République Démocratique du Congo et membre du Conseil d’Administration International de l’ITIE. Ses contacts : jckatende@yahoo.fr, téléphone +243 81 17 29 908.

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demande doit expliquer les raisons justifiant la mise en œuvre adaptée. Le Conseil d’administration de l’ITIE n’envisagera d’accorder des adaptations qu’en présence de circonstances exceptionnelles. En examinant de telles demandes, le Conseil d’administration de l’ITIE accordera la priorité au besoin de traiter les pays de manière équitable et en s’assurant que les Principes de l’ITIE sont respectés, notamment en vérifiant que le processus ITIE est suffisamment inclusif et que le rapport ITIE est exhaustif, fiable et peut contribuer au débat public ».

Au regard de cette exigence, la mise en œuvre adaptée ne peut être accordée que moyennant la réalisation de certaines conditions :

L’existence des circonstances exceptionnelles :

La première question à se poser est celle-ci : qu’est ce qu’il faut entendre par

« circonstances exceptionnelles ».

La norme et les pratiques du Conseil d’Administration de l’ITIE ne définissent pas ce qu’il faut entendre par cette notion. En l’absence d’une définition formelle, il est important que la discussion autour de cette notion qui risque de devenir un fourre-tout reste ouverte.

Ainsi, il nous semble important de considérer que les circonstances exceptionnelles peuvent comprendre notamment les situations suivantes :

- La difficulté pour un Etat Fédéral de décider de la participation des Etats fédérés,

jouissant d’une certaine autonomie, à l’ITIE ;

- Le cas d’un Etat dont une partie du territoire national est en guerre ou entre les mains de

rebelles ;

- Le cas de pays où les provinces ou régions n’ont aucune obligation légale de déclaration

des revenus infranationaux au gouvernement central.

Sans anticiper, c’est du ressort du Conseil d’administration de décider si telle situation peut être considérée comme une circonstance exceptionnelle pouvant mériter la mise en œuvre adaptée ou pas. Pour éviter que les circonstances exceptionnelles ne soient pas un « four tout », il est important que le Conseil d’administration établisse une liste exhaustive de ces circonstances exceptionnelles. Nous sommes conscients que cela n’est pas possible aujourd’hui, mais avec la pratique du Conseil d’administration, il est possible d’y arriver.

L’origine de la demande de mise en œuvre adaptée.

La demande de mise en œuvre adaptée doit venir du groupe multipartite qui doit non seulement justifier pour quoi il la sollicite, mais aussi démontrer à partir des activités prévues dans le plan de travail sa volonté de revenir à la mise en œuvre normale de la norme.

III. Défis liés à la mise en œuvre adaptée.

L’ITIE est une norme qui soumet tous les pays de mise en œuvre aux mêmes exigences, à un traitement égal et équitable. La mise en œuvre adaptée rompt ce traitement égal et équitable des pays en dispensant d’autres de l’obligation de respecter toutes les exigences de mise en œuvre. Pour que cette dispense ne soit pas considérée comme une injustice à l’égard des autres pays qui sont soumis au respect de toutes les exigences, il est important que :

- les circonstances exceptionnelles à la base de la demande d’une mise en œuvre

adaptée de l’ITIE soient énumérées limitativement.

Le Conseil d’administration et les parties prenantes sont appelés à travailler assidument à établir la liste de toutes les circonstances exceptionnelles qui peuvent fonder la demande de mise en œuvre adaptée.

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Il nous semble aussi important de concilier la mise en œuvre adaptée avec l’exigence 1.3b qui demande aux Etats de mise en œuvre de lever ou de s’assurer qu’il n’existe pas d’obstacles à la mise en œuvre de l’ITIE.

Dans la plupart de cas, les circonstances exceptionnelles qui fonderaient la demande de mise en œuvre adaptée constituent des obstacles que les pays doivent lever pour une mise en œuvre effective.

- La mise en œuvre adaptée doit être demandée ou accordée pour une période

déterminée.

La mise en œuvre adaptée ne peut pas être accordée pour une durée indéterminée. En demandant et en accordant la mise en œuvre adaptée pour une période déterminée, le Groupe Multipartite du pays demandeur et le Conseil d’administration démontreront leur volonté de revenir à la mise en œuvre de toutes les exigences de l’ITIE après une période déterminée.

- Le pays demandeur de la mise en œuvre adaptée doit mettre dans son plan de travail

des activités destinées à mettre fin aux circonstances exceptionnelles qui ont justifié la demande de mise en œuvre adaptée.

Par exemple : Dans un Etat fédéral où les Etats fédérés jouissent d’une certaine souveraineté, il peut être difficile d’obliger ces Etats fédérés à participer à l’ITIE et de fournir leurs données ITIE. L’Etat fédéral peut, à travers à le Groupe Multiple, peut demander une mise en œuvre adaptée, en mettant dans le rapport ITIE, seules les données du niveau fédéral.

Mais il doit prévoir des activités qui lui permettront de sensibiliser les Etats fédérés pour qu’ils participent progressivement au processus de mise en œuvre de l’IIE/

IV. Perspectives liées à la mise en œuvre adaptée

La mise en œuvre adaptée est à la fois une opportunité et un danger pour l’ITIE. Elle est une opportunité dans la mesure où elle peut être un encouragement à participer à l’ITIE pour les pays qui rencontrent des difficiles en ce qui concerne la mise en œuvre en œuvre de toutes les exigences. Elle fait de l’ITIE une initiative ouverte. Elle est un danger dans la mesure où si, le Conseil d’administration ne respecte pas le traitement équitable des Etats et si la mise en œuvre n’est pas limitée dans le temps, il y a risque que les Etats qui sont soumis au respect de toutes les exigences considèrent qu’ils sont victimes d’une discrimination, ce qui porterait atteinte au label l’ITIE.

Pour protéger ledit label ITIE, il est important que le Conseil d’administration accorde la mise en œuvre adaptée que quand elle concourt à renforcer, à crédibiliser et à protéger l’initiative.

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Une mayonnaise qui ne veut pas prendre, ou le problème insoluble des

« Tutsi congolais »

Par Guy De Boeck

Il ne devrait rien y avoir de plus banal en Afrique que des populations transfrontalières. Les frontières coloniales ont été tracées au nom de considérations qui n’avaient strictement rien à voir avec les entités indigènes qui occupaient les sols ainsi partagés. Il n’y a pratiquement pas en Afrique de ligne frontalière qui ne coupe pas une ethnie en deux.

Il y a d’autre part une vérité qui est aussi vraie en Afrique qu’ailleurs : la nationalité est souvent fort marquée par l’appartenance linguistique, mais les deux notions ne se confondent pas. En soi, il n’y a aucune raison logique pour affirmer dogmatiquement que des

« rwandophones congolais » existent ou ne puissent pas exister.

Ethnologie et politique

Mais les langues et les ethnies sont des notions qui touchent de près à la politique et sont susceptibles de servir à des manipulations diverses, dont la pire est le mobilisation en vue d’une guerre. En voici deux exemples, choisis volontairement hors du contexte rwando- congolais.

En Afrique de l’Ouest, et notamment en Côte d’Ivoire, il existe une multitude de langues, appartenant à divers groupes linguistiques. L’un de ces groupes, jusqu’à une date assez récente, était appelé le groupe des « langues voltaïques ». Il est maintenant recensé sos l’appellation de « groupe des langues Gur ». Bien entendu cela a eu lieu pour des raisons

« purement scientifiques », mais cela concordait quand même bizarrement avec les bouillantes polémiques sur l’« ivoirité » qui ont agité la CI et où les « étrangers du Nord », comme les Senoufo dont la langue appartient à ce même groupe étaient taxés de « burkinabés », lesquels étaient autrefois appelés… « voltaïques ».

En ethnologie des Grands Lacs, tout le monde s’accorde pour dire qu’il y a une différence entre Tutsi et Hutu, mais les congrès d’ethnologues deviennent houleux et polémiques quand il s’agit de savoir si ces distinctions tiennent à des vagues différentes de migration, à de réelles différences ethniques, c'est-à-dire à des patrimoines génétiques différents et objectivement constatables, ou sont plutôt des catégories socio-professionnelles.

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Dans l’œuvre de Jean-Pierre Chrétien, connu pour ses travaux sur le Burundi, il y a à ce sujet une « révision déchirante » qui se situe étrangement en 1976, c'est-à-dire à l’avènement d’un nouveau président, Jean-Baptise Bagaza, au Burundi et qui épouse étroitement les méandres de l’idéologie officielle.

D’autre part, les gens des ethnies « partitionnées » sont, plus encore que les autres frontaliers partout dans le monde, tentés par les activités frontalières, comme travailler dans un pays et habiter dans un autre, cultiver de ce côté-ci et vendre de ce coté-là (et aussi, bien sûr, par cette face obscure du travail frontalier que sont la fraude et la contrebande). Mais il faut bien constater que, s’il y a parfois des incidents frontaliers entre le Congo et l’Angola, il ne vient à l’idée de personne d’en parler en termes de « Lunda angolais » ou de « Cokwe congolais ». Et ceci bien que certains de ces incidents aient comporté des aspects

« d’occupation » ou « d’annexion ».

Absence d’explication « traditionnelle »

Sur le continent dans son ensemble, le « partitionnement » est pratiquement la règle dans toutes les régions frontalières sans aboutir à autre chose qu’à des chocs sporadiques, de courte durée et d’une violence généralement limitée. Mais, le long d’une portion somme toute assez minime de la frontière Est du Congo, se poseraient des problèmes constants et tragiques.

La tentation est grande, alors, de rechercher dans le passé lointain une explication qui, bien entendu, renverra souvent à un passé précolonial « sauvage ».

En fait, ce que l’on peut retrouver ou reconstituer du passé antérieur à la colonisation ne mène qu’à assez peu de certitudes :

- la présence de populations rwandophones dans le Bwisha précolonial n’est pas contestée.

- il y a eu, aux temps précoloniaux, des tentatives d’invasion rwandaises (soyons précis :

« rwandais », ici, renvoie au royaume des Bami Abanyiginya, sans préjuger de ce qu’était alors l’étendue de cet état ni son emprise sur l’ensemble du Rwanda actuel). C’étaient des tentatives brutales et guerrières qui ont été repoussées, notamment par les Shi. Ceux-ci, par contre, ont réussi plus pacifiquement à passer le lac Kivu, à peupler et annexer des territoires de sa rive Est, aujourd’hui rwandaise.

- les souvenirs congolais de cette époque ne font pratiquement pas allusion à la distinction Tutsi/Hutu.

Il ne faudrait pas en conclure témérairement qu’à l’époque coloniale la distinction Tutsi/Hutu n’existait pas, ou qu’elle était inconnue des peuples voisins du Rwanda. Cela signifie simplement que lorsque les Congolais d’antan évoquaient leurs relations avec leurs voisins de l’Est, que celles-ci soient bonnes ou mauvaises jusqu’à la guerre, ils se référaient à une entité « Rwanda », non à ces groupes ethniques. Il n’est donc nullement question alors de Tutsi jouant un rôle spécialement et systématiquement maléfique. Si, à propos d’une incursion rwandaise, un responsable est pointé du doigt c’est, assez logiquement, le chef, c’est à dire un mwami témérairement agressif, tel que, par exemple, Ruganzu Ndoli6.

Il en ressort que le Tutsi admirable, doué de multiples qualités, tout comme le Tutsi méchant, jouant un rôle spécialement et systématiquement maléfique, se sont élaborées au temps des colonies et, tout récemment, dans les états indépendants.

Ingénierie ethnique coloniale

L’ethnographie coloniale élaborée par la colonisation allemande, puis plus tard par la tutelle belge, visait certes à décrire « scientifiquement » les populations indigènes, mais elle

6 Il aurait régné approximativement de 1600 à 1623et trouvé la mort au Congo en combattant les Shi.

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avait aussi des buts moins nobles : les diviser pour mieux les dominer, créer ou aviver des antagonismes. Elle visait aussi à trouver des auxiliaires pour l’administration coloniale puis, tout juste avant l’indépendance, des complices pour l’établissement de liens néocoloniaux.

Lorsqu’il étendait son emprise sur des possessions coloniales, le colonisateur tendait non pas à la négation, mais au contraire à l'affirmation des entités indigènes dont il se proposait de prendre la place. Bien plus, le colonisateur avait tout à gagner à ce que ces entités soient vastes et à ce que ceux qui les dominaient y aient un pouvoir étendu. Mieux valait, en effet, soumettre des Chefs importants, exerçant leur pouvoir sur de vastes étendues, susceptibles d'aliéner de nombreux hectares d'un trait de plume. Et il fallait aussi que le Chef aie précisément ce pouvoir d'aliénation. En fait, comme ce qu'on attendait de lui était qu'il obtienne de ses administrés tout ce qu'il plairait au colonisateur de demander, on aimait autant voir en lui le dépositaire d'un pouvoir absolu.

Dans ce domaine, les Allemands ne firent pas dans la dentelle, tournant d’ailleurs délibérément le dos à toutes les constatations de leurs propres explorateurs, souvent beaucoup plus nuancées et même parfois tout à fait contraires à ce qui allait devenir la thèse officielle7. Schématiquement, cela venait à affirmer que le Rwanda et le Burundi étaient uniformément soumis à l’autorité absolue d’un roi, assisté d’une noblesse intégralement Tutsi8. L’on pouvait donc, au plus bas prix, les administrer en contrôlant les Bami et en utilisant les Tutsi comme

« relais » de l’autorité à la fois coloniale et royale. Cela ne choquait guère les esprits dans l’Allemagne de l’époque, où l’aristocratie avait encore une place privilégiée dans les cadres, surtout militaires (donc aussi coloniaux) et où, en bien des endroits, comme en Prusse Orientale, cette aristocratie germanique « supérieure » régnait, avec beaucoup de hauteur, sur des paysans slaves « inférieurs ». Non seulement l’on « confirma » les « aristocrates »Tutsi dans leurs privilèges supposés, mais on les accrut en les favorisant par exemple lors des nominations de chefs ou pour l’accès à l’école.

La relève par les mandataires belges ne changea rien de fondamental à cette situation, si ce n’est que, pendant l’entre-deux-guerres, les ethnologues, surtout missionnaire, en

« remirent une couche » dans la production d’un discours raciste contrasté. En caricaturant à peine, le Hutu est un « nègre Banania », hilare et passablement bête, et le Tutsi un homme supérieurement doué, en fait « pas vraiment Noir ». Une littérature surabondante est là pour prouver que ces « portraits contrastés » ont été élaborés par les colonisateurs et qu’ils avaient pour but de justifier une politique de discrimination ethnique à l’intérieur du Rwanda et du Burundi.

Revirement

A la fin de la deuxième Guere Mondiale, deux faits vont venir modifier, non l’attitude discriminatoire, mais les jugements de valeur du colonisateur.

Le premier est l’émergence, chez certains Tutsi, d’un nationalisme contestant la colonisation. C’est assez compréhensible, si l’on considère que, partout en Afrique, les premiers frémissements annonciateurs de « l’ère des indépendances » furent le fait des intellectuels. Or, dans le domaine de l’acèsà l’école, l’on avait favorisé les Tutsi, et même les Tutsi de bonne famille, puisque la politique coloniale avait été de privilégier sur le plan scolaire ceux qui étaient déjà les privilégiés de la société traditionnelle. Le tocsin retentit aux

7 La situation ainsi supposée éternelle n'est donc pas forcément celle qu'on rencontrée les premiers explorateurs.

Elle peut même être carrément en contradiction avec elle. L'ethnographie s'est ainsi plue à "découvrir" non le Rwanda ancien, mais... celui des années 30, quitte à tourner le dos aux archives décrivant des situations différentes

8 Les canons allemands vinrent à l’appui de l’autorité royale pour réprimer la contestation violente que cette thèse souleva.

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clochers des misions catholiques ) propos de la revue Aequatoria, dirigée par le RP Hulstaert,

« idigéniste », comme l’on disait à l’époque, et très critique envers la colonisation. Son 2e numéro de 1945 contenait un article de l’abbé Alexis Kagame9 « Le Rwanda et son roi ».

Les nationaux eux-mêmes, au début de leurs travaux historiques, ont eu tendance à

"copier" les orientations idéologiques des auteurs "officiels" blancs. A l’époque, les historiens de l’Europe sont patriotes et, pour les Belges, monarchistes, et l’ethnographie, surtout missionnaire, est alors marqués fortement d'une touche pro-Tutsi et pro-Nyiginya. Il y a à cela plusieurs raisons. La première est évidemment qu'ils ont eu besoin de temps pour prendre leurs distances d'avec l'enseignement de ceux qui les ont formés. La seconde, que, comme Kagame, il s'agit en général de Tutsi, puisque la politique coloniale les avait privilégiés sur le plan scolaire. En troisième lieu, ils ont en général travaillé d'abord sur des sources très proches : l'histoire telle que racontée dans leur propre milieu. L'œuvre remarquable par ailleurs d'Alexis Kagame est ainsi très étroitement dépendante des Abiru. Ainsi, le court règne de Mibambwe IV (Rutalindwa) a été censuré de sa liste traditionnelle des rois . Sa source privilégiée n'était guère favorable à un mwami imposé contre leur avis et sans respect des formes rituelles par Kigeri IV ! Enfin, il s'agit d'abord pour les nationaux d'affirmer l'existence et la valeur de leur culture et de leur histoire face au colonisateur. Cela ne va pas sans une certaine dose d'exaltation patriotique de tout ce qui est national, y compris le passé, fut-il royal et Tutsi. La démarche de Kagame fit figure de modèle dans la région. Ainsi, Pierre Baranyanka annonce-t-il en 1953 qu'il a en chantier une Histoire du Burundi qu'il se propose d'intituler "Intsinzi Karyenda", ce qui démarque de façon évidente le titre "Inganji Karinga"

d'A. Kagame. (Ils font allusion aux Tambours Royaux respectifs des deux pays).

Ainsi, les Tutsi tant choyés se retournaient contre le colonisateur et devenaient nationalistes, donc « communistes » (l’époque, celle de la Guerre Froide, ne cultivait pas les nuances fines). Quelle ingratitude !

A peu près simultanément, l’on commença à se rendre compte que l’évolution du contexte international, en particulier celle de l’ONU, poussait de moins en moins doucement les colonisateurs vers la porte de sortie. Se posait donc la question de l’indépendance, et conséquemment de la démocratie dans les futurs états africains indépendants. La démocratie, c’est la loi du nombre, donc la fin de tout régime reposant sur l’hégémonie d’une minorité. Il faut donc changer son fusil d’épaule et, pour être sûr d’avoir affaire après l’indépendance à un pays ami, s’attirer désormais les faveurs de la majorité, c'est-à-dire des Hutu.

Changement ç vue du discours ethnologique, qui reste néanmoins raciste et contrasté : le Hutu est désormais un malheureux serf exploité, digne de toute notre considération, et le Tutsi est toujours très doué, mais il est sournois, traître, fourbe et cruel. Encore une fois, il faut relever que ces « portraits contrastés » ont été élaborés par les colonisateurs et qu’ils avaient pour but de justifier une politique de discrimination ethnique à l’intérieur du Rwanda et du Burundi.

L’application pratique, au Rwanda, ce sera d’abord un massacre, la « Toussaint rwandaise », puis le Coup d'Etat de Gitarama.

9KAGAME Alexis (1921-1982), Prêtre et Historien rwandais, est issu d'un lignage d'Abiru. Devenu prêtre, il est cependant surtout connu en tant qu'historien. S'il est fort lié aux informations qu'il recueille, d'ailleurs parfois difficilement, dans son milieu, il a le mérite d'être, pour la région des Lacs, celui qui a proclamé‚ haut et fort, qu'il fallait utiliser AUSSI les matériaux africains disponibles. Sa principale contribution à l'histoire restera sans doute la publication du "code ésotérique de la monarchie", sorte de "Constitution" que les Abiru retenaient par cœur..

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Le 1er novembre 1959, les massacres de la "Toussaint Rwandaise"commencent. Une attaque contre Dominique Mbonyumutwa, leader Parmehutu, parti ethniste Hutu, déclenche des représailles anti-Tutsi: meurtres, brutalités, incendies, destructions de maisons et de récoltes, bétail égorgé‚... Cette Saint-Barthélemy provoqua le 6 novembre une contre-attaque Tutsi, visant à l'élimination de Hutu engagés politiquement ou simplement influents. Le colonel Logiest, nouveau résident et hutiste convaincu, fait intervenir la FP. Ces épisode où l'on n'a pas manqué de voir "la résurgence spontanée de la férocité primitive", qui a toujours bon dos, a bénéficié de la complicité et de la participation des Belges. Ce n'est pas seulement un fait avéré, c'est un fait avoué. Le VGG Harroy dit que "La Révolution rwandaise de novembre 1959 a été un phénomène insurrectionnel sous tutelle, suivi de quelques mois de 'révolution assistée' " ("Rwanda... p.292) et avoue d'ailleurs que la "révolution" aurait été liquidée sans l'intervention de la Force Publique du colonel Logiest. (Harroy et Logiest recevront par après la plus haute décoration rwandaise au titre de "grands pionniers européens de la révolution populaire rwandaise"[ibidem, 386 et 512]). La guerre civile devient larvée, les troubles ne cessant ici que pour reprendre là-bas. C'est le début de l'exode des réfugiés Tutsi. Le mwami lui-même prend le chemin de l'exil en 1960. Plus exactement, Kigeri Ndahindurwa et un certain nombre de leaders UNAR estiment qu'une vie politique normale est devenue impossible au Rwanda, et l'UNAR appelle d'ailleurs au boycott des élections communales. Dans ces conditions, la seule chose qui leur semble possible est de se rendre à l'ONU pour informer l'organisation - qui, en fait est la véritable "métropole" du Rwanda - de la situation qui prévaut dans le pays.

Les élections communales de 1959 donnent 70% des voix au Parmehutu. En Congres, ce parti se prononce pour la République, thème qui n'avait pas été abordé jusque-là. Même si ce n'est pas logique, il semble bien que l'opposition à la monarchie ait été moins répandue que le racisme anti-tutsi. Certains préconisaient d'ailleurs le pouvoir des Hutu, mais sous forme monarchique, avec un roi Hutu. D'où l'aurait-on sorti, c'est une autre histoire....

Au mois d'Octobre, la Tutelle installe une assemblée et un gouvernement provisoire, sur base des voix obtenues aux élections communales. Sans tomber dans les scrupules légalistes excessifs, on peut tout de même trouver un brin contestable la légitimité d'un pouvoir installé sur base d'élections locales, organisées dans une atmosphère qui cumulait l'ambiance de guerre civile avec les contraintes d'une intervention militaire étrangère. Si la Belgique s'est distinguée, au Congo, par le fair-play avec lequel elle a organisé des élections législatives et en a accepté le résultat qui ne lui plaisait guère, elle n'a pas fait preuve des mêmes vertus au Rwanda!

Grégoire Kayibanda, Président du Parmehutu, devient Premier Ministre. Celui-ci ne s'est pas caché d'avoir une sérieuse dette envers les Belges. Son discours à l'installation du Conseil, le 26 octobre 1960, est significatif : " Le Rwanda espère qu'aucune influence n'empêchera le gouvernement belge de bien achever l'œuvre si magnifiquement commencée.

Peuple ruandais, sous l'œil vigilant de la Belgique, sous l'égide de votre gouvernement, allez de l'avant". (Citation d'après HARROY, "Rwanda"... page 386).

Il restait à transformer le gouvernement provisoire en gouvernement définitif et à entériner la transformation du Rwanda en République en le dotant d'une Constitution ad hoc.

Ce fut l'œuvre du Coup d'Etat de Gitarama (28 janvier 1961). Lors d'un rassemblement de tous les élus dans cette ville, des discours de Gitera Habyarimana et de G. Kayibanda annoncèrent la fin de la monarchie et la création d'une république parlementaire. Le premier Président élu est D. Mbonyumutwa, l'homme dont le "décès" avait mis le feu aux poudres. Le Premier Ministre reste G. Kayibanda, ce qui ne surprend personne. La Belgique, au minimum, laisse faire.

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Les seules protestations ont lieu à l'extérieur, et viennent de Kigeri (le mwami évincé), de l'UNAR (parti polique proche du trône) et de quelques pays africains. L'ONU organise un referendum et des élections législatives le 25 septembre. L'UNAR, qui avait exigé ces consultations, participe cette fois au scrutin. Il y a 80% de "oui" pour la République. Sur 44 sièges, le Parmehutu en obtient 35, l' UNAR, 7, et l'Aprosoma, 2. A la fin de l'année, une révision de la Constitution fait du Rwanda une République présidentielle, Kayibanda étant chef de l'Etat et du gouvernement. L'Indépendance du Rwanda est proclamée le 1er juillet 1962. Il restera sous des régimes successifs mais tous plus ou moins inspirés du « Hutu Power » jusqu’en 1994.

Au vu de tout ceci, il n’y a aucun doute sur le fait que les « portraits moraux » des deux ethnies du Rwanda et du Burundi ont été élaborés sous la colonisation, pour favoriser celle-ci et pour justifier ses choix ethniques du moment, sans même hésiter à prendre, à la fin des années 40, un virage à 180°. Dans sa seconde version, défavorable aux Tutsi, il s’est ensuite maintenu dans le Rwanda indépendant, en tant que justificateur du pouvoir Hutu. Il s’est toujours agi d’un discours destiné à expliquer et à justifier les relations de pouvoir et de soumission à l’intérieur de la société rwandaise. La question se pose dès lors de savoir pourquoi et comment ce discours, qui n’avait de sens qu’à l’intérieur d’un pays, a gagné le pays voisin jusqu’à parler de « Tutsi congolais ».

Une frontière essentiellement perméable

Un élément de réponse est que, pendant que ces événements se déroulaient, en gros de 1885 à 1962, la frontière Est du Congo a été essentiellement perméable.

Alors que la frontière séparant le Congo d’avec les possessions françaises, en principe si claire grâce à de larges rivières, donna lieu à d'âpres contestations où l'on ne fut pas loin de se tirer dessus, la situation pour le moins floue de la frontière orientale fit l'objet d'un accord amiable. La limite fixée à Berlin (la ligne de séaration des eux Congo/Nil) était inapplicable.

Dès lors, Anglais, Allemands et représentants de Léopold II, puis de la Belgique après la reprise de 1908 travaillèrent en commissions mixtes de cartographes militaires pour fixer une frontière définitive.

Tout cela se déroula fort bien, de sorte que la région concernée ne mérite en fait guère le nom qu'on lui donna dans le jargon colonial pendant les vingt-cinq ans que dura cet arpentage, à savoir "le Contesté". Durant toute cette période, cette région fut administrée en une sorte de "condominium", les Blancs des trois nationalités étant considérés comme ayant autorité. On ne sait trop ce que les indigènes pensèrent de cette abondance bigarrée de colonisateurs, ni quel fut leur degré de perplexité. En ce qui concerne les Blancs, les archives gardent trace d'une atmosphère de joyeuse camaraderie où, au hasard des colis qui arrivaient d'Europe, on se réunissait pour partager suivant le cas la choucroute, le plum-pudding ou le jambon d'Ardenne.

En 1910, les cartographes finirent par accoucher de la frontière actuelle, que les trois métropoles acceptèrent avec une sage lenteur , de sorte qu’elle ne prit force de loi qu’en 1912.

En fait, elle demeura en place pendant... deux ans. Puis la guerre de 14 vint remettre les choses en question. On en retiendra encore une fois un élément qui ne peut qu'avoir gravé dans l'esprit des gens que cette frontière était éminemment élastique et floue. Quand on a circulé librement pendant vingt-cinq ans, il faut plus que deux ans pour changer d'habitudes.

Or, à la fin de la Première Guerre Mondiale, l'Afrique orientale allemande va être partagée entre les Britanniques (Tanganyika, future Tanzanie) et les Belges (Ruanda-Urundi).

Ce n'est toutefois pas une fusion avec des colonies préexistantes (Kenya, Congo) mais un

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mandat de la Société des nations, de sorte que le Rwanda et le Burundi demeurent juridiquement des entités distinctes du Congo10.

Le mandat SDN contraignait la Belgique, quand bien même elle aurait aimé fusionner ces nouveaux territoires avec le Congo, à n'en rien faire. Une conséquence du mandat fut que les deux pays, dès 1920 furent condamnés à devenir un jour indépendants dans leurs frontières actuelles, c'est à dire comme des états dont la viabilité économique est fort problématique. Par contre, sur le plan pratique, on prit l'habitude de considérer que la frontière de 1910 n'en était pas vraiment une, et de penser en termes de "Congo + Ruanda-Urundi", orientant les voies de communications vers la colonie belge... Cela eut des résultats pittoresques au moment de l'indépendance car on s'aperçut alors que l'aéroport de Bukavu avait été construit en territoire rwandais et l'on dut en aménager dare-dare un autre !

Or, pendant que les circonstances favorisaient ainsi le particularisme rwandais qui ne put être dilué ni dans l'Afrique orientale, ni dans le Congo, la colonisation imposait également le modèle d'un Rwanda unitaire et uniformément soumis à un pouvoir central: celui du mwami, du vice-gouverneur et du résident.

Il suffit d'ouvrir les documents coloniaux belges des années 20 pour voir que ce qui a fait saliver les Belges à la vue des Territoires Occupés dès qu'ils en eurent pris le contrôle, fut la densité de la population. Quelle réserve de main d'oeuvre ! On déchanta un peu par la suite.

Il y eut bien sûr des rwandais et des burundais pour aller individuellement travailler au Congo, et même aussi loin que dans l'industrie katangaise du cuivre. Par contre, on renonça assez vite à transporter des Rwandais avec armes, bagages et familles dans le Kivu en vue de sa mise en valeur agricole11.

En réalité, ce n’est qu’à partir de 1962 que la frontière rwando-congolaise devint une frontière « comme les autres » après avoir été, pendant trois quarts de siècle, tout au plus une ligne de démarcation.

Franchissements

L’histoire du Rwanda et du Burundi a été, depuis leur indépendance en 1962, secouée par différents épisodes violents. Toute poussée de violence engendre la peur, donc la fuite et se traduit donc par un afflux de réfugiés dans les pays voisins. « Violence » ne doit d’ailleurs pas toujours être compris comme « signifiant « massacres ». L’interdit professionnel en est une autre forme et, durant des années, l’imposition de quotas ethniques au Rwanda força les diplômés Tutsi à prendre le chemin de l’exil, tout simplement pour pouvoir faire leur métier.

Or, de 1959 à 1990, au Rwanda, la situation fut toujours défavorable et souvent dangereuse pour les Tutsi, qui eurent donc, beaucoup plus que les Hutu, tendance à « aller voir si, ailleurs, l’herbe est plus verte ». Ils firent comme font tous les réfugiés : ils gagnèrent les lieux où ils pourraient retrouver des congénères « partitionnés » (le Bwisha) ou du moins un terroir qui leur semblât familier (les Kivu) et ne se montrèrent pas trop regardants quant à ce qu’on leur demandait de faire, pourvu qu’on les acceptât.

10 D'un certain point de vue, on peut se demander si la disparition de l'A.O.A. n'a pas eu pour le Rwanda et le Burundi des conséquences dommageables. En effet, les Allemands administraient leur colonie comme un tout.

Ainsi, même si bien sûr les résidents allemands ne tardèrent pas à apprendre le kinyarwanda, la langue de l'administration fut, comme pour tout le reste de l'AOA, le swahili. Le mwami Musinga écrivait – ou plutôt dictait - dans cette langue ses lettres au Résident allemand. D'autre part, il entrait dans leurs projets, après avoir construit la voie ferrée Dar-es-Salam - Kigoma, de construire un embranchement qui aurait désenclavé le Ruanda-Urundi et l'aurait relié à la côte Est du continent, beaucoup plus proche que la côte atlantique. Sans la guerre de 14, ces pays auraient été absorbés progressivement par la Tanzanie.

11 Les raisons en furent multiples mais l'une d'entre fut que l’on s'aperçut que les Rwandais déplacés se considéraient toujours comme Rwandais et comme devant allégeance au mwami.

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Cela inspira au Maréchal Mobutu l’idée malencontreuse d’utiliser les « zaïrwandais », comme il le faisait un peu partout dans le pays avec des ethnies minoritaires qui donc se sentaient menacées et cherchaient la sécurité dans son patronage, comme « relais local » du réseau de ses créatures dans les Kivu. Comme tels, ils s’emparèrent de maintes positions lucratives, au détriment de la bourgeoisie locale, y compris de terres accaparées au détriment des paysans, surtout Nande. Sous l’influence de Bisengimana au MPR, le Maréchal leur facilita alors l’obtention de la nationalité zaïroise, créant ainsi le roblème de la « congolité ».

En réalité, lorsque les « kivutiens originaires » commencèrent à s’en rendre aux « faux congolais » ou aux « naturalisations abusives », ils visaient,non cette nationalité elle-même, mais les confiscations de biens qu’elles avaient servi à couvrir puisque, bien sûr, il fallait être zaïrois pour pouvoir bénéficier de la « zaïrianisation ». Ils se heurtèrent à un mur : la bourgeoisie prédatrice mobutienne avait bien garde de ne pas laisser entamer ses privilèges, même sous prétexte de nationalité.

Entre temps, le contexte rwandais avait totalement changé, la guerre civile qui sévissait depuis 1990 avait été gagnée par le FPR de Kagame, les Tutsi tenaient le haut du pavé et c’étaient les Hutu qui affluaient à travers une frontière Est plus perméable que jamais, vu la déglingue générale du régime Mobutu et en particulier des FAZ, plus enclines à revendre leurs propres fusils qu’à surveiller la frontière. Depuis lors, « les Tutsi » ont un nouveau visage et il est bbien plus antipathique que les deux autres : c’est celui de Paul Kagame.

Rendons à César ce qui n’est pas Congolais

Il ressort de ce qui précède que, si des appellations comme « Tutsi » et « Hutu » remontent fort loin dans le passé, elles ont été tant et si bien manipulées à des fins politiques par les colonisateurs et par la politique, qu’elles ne sont pratiquement plus ce qu’elles étaient au départ, des appellations ethniques, mais sont devenues des appellations politiques et sociales. Et, en tant que telles, elles n’ont pas de raison d’être en dehors du Rwanda ou du Burundi. Mieux, il serait souhaitable qu’elles disparaissent, même dans leurs pays d’origine.

Il y a, parmi les quelques 70 millions de RDCongolais, un certain nombre de citoyens d’origine allochtone, plus ou moins lointaine. D’autres possèdent, à la suite de circonstances diverses, plusieurs nationalités. On n’affecte d’y voir un problème que si ces personnes se présentent à une élection. Le reste du temps, cela ne pose aucun problème. Les Congolais comptent l’hospitalité au nombre de leurs vertus traditionnelles, et ils en sont légitimement fiers. Même s’ils regrettent que, dans certains cas et notamment avec le Rwanda actuel, cette hospitalité leur vaille tant d’ennuis.

Bien entendu, il faut que les relations soient réciproques. Si donner est un art, recevoir ne l’est pas moins. Le Congolais d’origine allochtone doit être un citoyen à part entière, y compris par la loyauté envers son pays d’élection. Puisque, par définition, une personne naturalisée a choisi sa nationalité, elle devrait même y accorder plus d’importance que celui qui ne l’a que par accident. En particulier, l’existence au Congo d’une petite communauté rwandophone dans certains parages de l’Est ne devrait pas servir de prétexte à se prétendre congolais d’origine. Mais il serait sans doute également judicieux que l’obtention de la nationalité par les allochtones ne soit pas soumise à des formalités longues, pénibles et coûteuses. Lorsque c’est le cas, l’on expose les gens à la tentation d’emprunter des

« raccourcis » tels que la fausse déclaration.

D’autre part, la notion de nationalité faisant partie du contexte moderne, il faut, si l’on désire garder une trace de l’origine d’un « nouveau congolais », mentionner ce qui compte

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dans ce contexte : l’état, c'est-à-dire en l’espèce le Rwanda ou le Burundi. Des mentions comme « Hutu » ou « Tusi » n’ont pas de sens au Congo.

Soupçons

Comme on l’a vu dans ce qui précède, l’on a élaboré, dans un but politique, des

« portraits moraux » contrastés du Tutsi et du Hutu, et l’on a agi comme si tous individus de des deux ethnies ainsi définies se comportaient toujours et invariablement, en fonction de ces deux portraits. C’est à peu près comme si l’on prenait au sérieux les « »portraits » que les nationalités ont dans les blagues et que l’on prétendait sérieusement que tous les Ecossais sont avares, tous les Juifs grippe-sous, que tous les Italiens parlent en gesticulant des mains, que les Français ne pensent qu’au sexe et les Anglais, jamais ou que l’on ne rencontre jamais un Belge sans paquet de frites ou un Allemand sans sa chope de bière.

Le pire de ces « portraits moraux » est le dernier en date, celui qui veut faire de Kagame un archétype et de son régime un « régime tutsi ».

Il serait pour le moins curieux qu’un homme qu’un homme qui a quitté le Rwanda à l’âge de quatre ans pour n’y revenir qu’à trente ans passés puisse passer pour un « archétype rwandais » de quoi que ce soit, alors qu’il offre plutôt un profil typique d’aventurier prédateur apatride. Certes, il fait un abondant du mot « tutsi », mais c’est uniquement pour évoquer leur massacre, qu’il qualifie de génocide et dont il fait un usage surabondant pour justifier son régime.

Celui-ci est beaucoup plus minoritaire encre que s’il était Tutsi. La classe minoritaire sur laquelle il s’appuie est celle des anglophones revenant de l’exil en Ouganda. Elle n’a pratiquement rien de commun avec les vestiges qui peuvent encore subsister de ce qui fut

« l’aristocratie » tutsi traditionnelle. Au contraire, son parti-pris de faire du Rwanda un pays anglophone vise à leur barrer la route.

Son attitude vis-à-vis de la RDC est symptomatique à cet égard. La richesse, dans le Rwanda traditionnel, c’est le bétail. Et il est hors de doute que certains Tutsi traditionalistes jettent sur les pâturages du Kivu le même regard alléché que Ruganzu Ndoli. Il y aurait place pour tant de vaches dans ces lieux où il y a bien moins de monde qu’au anda surpeuplé. Les conquérir serait bien tentant.

Cette conquête l’intéresse beaucoup moins que l’exploitation « pirate » des minerais congolais. Il lui est bien plus facile d’en réserver le profit à la minorité au pouvoir, qui n’est pas tant tutsi que bourgeoise.

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Afrique

L’Afrique serait-elle homophobe ?

Suivre Museveni dans ses folies morbides, ce serait dénier aux Africains le droit de vivre en paix dans leur pays, en somme de rechercher le bonheur.

Une opinion de l'écrivain congolais Antoine Tshitungu Kongolo. 12

Une certaine doxa se prévalant d’une africanité douteuse présente l’homosexualité comme une plaie de l’Occident, un mal exogène contraire à la dignité des Africains, à leur culture et à leurs valeurs. Les tenants de ce positionnement simpliste endossent le costume de gardiens du temple d’une africanité dont ils détiendraient le monopole. Cependant un observateur quelque peu averti de la scène africaine ne manquera pas d’observer la proximité des églises évangéliques d’obédience américaine et les pouvoirs établis dans la plupart des pays africains au sud du Sahara.

La promulgation par le président ougandais Yoweri Museveni d’une loi criminalisant l’homosexualité et ouvrant la voie aux dénonciations donne le branle à une chasse aux sorcières aux relents moyenâgeux.

Les arguments alignés pour légitimer les discours homophobes qui font florès peinent à convaincre. "L’Afrique n’a jamais eu d’homosexuels"; "L’homosexualité est une maladie occidentale" : des ritournelles insipides qu’on assène comme des mantras. Comme pour dire que la société africaine n’a jamais connu qu’harmonie et consensus en son sein. De tout temps, les pratiques sexuelles des individus ne connaissent aucune différence, et y ont été normées de toute éternité. En somme une Afrique rose et lisse, taillée dans les tissus de l’ignorance et les fantasmes de certains.

Le président ougandais, architecte sanguinaire de la prétendue nouvelle Afrique, une chimère dont le bilan donne des frissons : des millions de morts en République démocratique du Congo (RDC), viols, pillages, destruction des infrastructures, dégâts écologiques, etc. Le projet impérialiste de Museveni, motivé par son appétence pour les ressources naturelles de la RDC, aura révélé au monde les facettes obscures de ce personnage courtisé naguère par les grands de ce monde, qui s’appuyèrent sur lui et son compère Kagame aux fins de réaménager

12Texte paru dans la rubrique « Opinions » de La Libre Belgique

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la région des Grands Lacs africains en fonction des impératifs d’une globalisation soucieuse d’accéder aux matières premières à bas prix.

Pour rappel, l’Ouganda fut condamné pour ses exactions en RDC; l’homme est écorné et sa volonté de passer outre le jeu de l’alternance dans son pays, explique en partie la loi sur l’homophobie qu’il vient de promulguer. Pour cet autocrate qui entend prolonger contre vents et marées son bail à la tête de l’Ouganda, l’homophobie est pain bénit. C’est le moins qu’on puisse dire. Lors de ses déclarations publiques récentes, il met en avant une foule d’arguties, inspirées d’une lecture fondamentaliste de la Bible. Est-il crédible de se réclamer du fondamentalisme biblique comme pôle de référence pour la défense et l’illustration des cultures africaines ?

Le bourreau des Congolais n’a aucune légitimité à parler au nom de l’Afrique et a fortiori de donner des leçons sur ce qui serait bon et ce qui serait mauvais en termes d’orientation sexuelle. N’est-ce pas un recul démocratique, que de vouloir régenter la vie sexuelle des individus ? C’est une façon de trouver un dérivatif commode aux problèmes les plus urgents en criminalisant des citoyens et en les donnant en pâture à des populations sous le diktat des églises évangéliques, qui sont étrangement les cautions d’une africanité dont en pratique ils n’ont cure. La croisade contre les homosexuels est le fruit maudit de l’alliance scellée entre les pouvoirs politiques et les groupes religieux soucieux de maintenir leur mainmise sur les consciences.

Et pourtant les maux de l’Afrique interpellent la conscience de tout un chacun : manque de vision des dirigeants, mal gouvernance, corruption endémique, excroissance de la pauvreté sur le terreau des discriminations et des injustices, instrumentalisation de croyances religieuses à des fins politiciennes et dans l’optique d’un enrichissement rapide, esclavagisation des plus pauvres, crimes rituels.

Souscrire à la vision de Museveni laquelle risque de faire tache d’huile sur la carte d’une Afrique qui, malgré la croissance, n’est pas encore capable d’offrir à la majorité de ses citoyens une vie décente, c’est cautionner l’idée selon laquelle les Africains sont des sujets soumis à un pouvoir arbitraire et non des citoyens. Ce serait cautionner des chasses aux sorcières aux relents sinistres avec leurs cohortes de victimes potentielles. Ce serait avaliser la thèse selon laquelle un homosexuel est plus dangereux qu’un chef de guerre coupable de crimes de masse. Suivre Museveni dans ses folies morbides, ce serait dénier aux Africains le droit de vivre en paix dans leur pays, en somme de rechercher le bonheur.

Tous ceux qui aiment l’Afrique, tous ceux qui en connaissent peu ou prou les richesses culturelles et humaines, tous ceux qui connaissent les trésors de tolérance et de longanimité qui ont permis aux peuples comme aux individus, issus de ce continent, de sortir de la grande nuit des oppressions du passé devraient s’unir pour faire échec à Museveni.

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UKRAINE UKRAINE UKRAINE UKRAINE

Urgence

Par Jacques Sapir

•(1) Le mouvement de contestation du pouvoir du Président Ianoukovitch, mouvement dont la base était une révolte contre la corruption bien plus qu’une volonté d’adhésion à l’union Européenne, a été débordé par des éléments ultra-nationalistes, dont certains appartiennent à des groupuscules fascisants. Ces éléments ont délibérément cherché l’affrontement, en tirant sur les forces de sécurité, faisant prendre des risques inconsidérés aux autres manifestants qui étaient pris en otage. Ces militants portent une large part de responsabilité dans les morts de la place Maidan. Leur nombre oscille entre 10000 et 20000 ; ils étaient minoritaires dans le mouvement de protestation, mais ils sont devenus politiquement dominants au fur et à mesure que la situation se dégradait et que montait la violence des affrontements. Ce sont eux qui ont cherché à prendre d’assaut le Parlement, provoquant la réaction des forces de sécurité, et déclenchant la séquence des événements qui a conduit à la fuite de Ianoukovitch.

•(2) Il faut ici rappeler que le Président et le Parlement ont été régulièrement élus.

Mais, ces élections (2010) avaient permis de mesurer combien la politique ukrainienne était marquée par une division entre des populations russes (et russophones) regroupées à l’est du pays et des population ukrainophonnes, dont une partie habite les régions qui, avant 1914, étaient soit dans l’empire Austro-Hongrois soit en Pologne. L’Ukraine est un pays neuf, dont l’existence est fragilisée par ces divisions. Ces dernières ont été renforcées par les évolutions économiques de ces dix dernières années, qui ont vu les relations avec la Russie se développer rapidement. L’Ukraine de l’Est, russophone, vit mieux que l’Ukraine de l’Ouest. Pour cette dernière, l’Union européenne représente un pôle d’attraction important, même s’il est probablement imaginaire compte tenu de la situation économique actuelle de l’UE.

•(3) Le pouvoir légal a lui aussi une part de responsabilité dans ces événements tragiques, que ce soit par un usage disproportionné de la force au début des manifestations, ou par ses hésitations par la suite qui ont démoralisé une bonne part de ses soutiens. Il a été incapable de s’opposer à une logique minoritaire, qui s’est exprimée même au Parlement lors

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du vote, au début du mois de février de la loi supprimant le statut de langue officielle au Russe (à côté de l’Ukrainien). Ce vote apparaît aujourd’hui comme un tournant symbolique car il a fait basculer l’affrontement d’une logique de lutte pour la démocratie et contre la corruption à une logique nationaliste-ethniciste. Les populations tant russes que russophones des régions de l’Est de l’Ukraine et de la Crimée n’ont pu qu’être légitimement inquiètes de la rupture du pacte sur lequel était fondé l’Ukraine indépendante depuis 1991.

•(4) Mais, l’opposition légale a aussi une part de responsabilité en particulier dans son incapacité à faire respecter les accords signés avec le Président. Elle s’est laissée déborder par les groupes ultra-nationalistes et n’a pu ni su les reprendre en main. Elle s’est aussi bercée d’illusion sur le soutien que les pays de l’Union européenne pourraient lui apporter.

•(5) À la suite des événements tragiques de fin février un pouvoir de fait s’est donc mis en place à Kiev, provoquant un effondrement de la légitimité de l’État ukrainien. La dissolution d’unités de la police, qui n’avaient fait qu’obéir aux ordres, a provoqué une profonde inquiétude dans les régions de l’Est. Ce à quoi on assiste depuis le 28 février, soit la prise du pouvoir par des groupes pro-russes en Crimée, à Kharkov, à Donetsk et même à Odessa, n’est que la suite logique du basculement d’une lutte pour la démocratie et contre la corruption vers un affrontement ethnique. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’intervention militaire de la Russie qui est en cours. Il faut ici ajouter qu’il y a en Ukraine pas moins de 17 réacteurs nucléaires et de nombreux centres de stockage de matériaux fissiles, ce qui représente un autre danger pour la sécurité de la région toute entière.

•(6) Personne, dans ces conditions, n’a intérêt, sauf les groupes extrémistes, à une partition de l’Ukraine. Ce n’est pas dans l’intérêt de la Russie, qui certes y gagnerait ce qu’elle possède de facto déjà, soit l’industrie ukrainienne, mais qui verrait alors se profiler une longue période d’affrontements avec l’UE et les Etats-Unis. Ce n’est pas non plus l’intérêt de l’UE, car il lui faudrait porter littéralement à bout de bras l’Ukraine occidentale (et la moitié de la population). Le coût économique serait élevé dans une situation où plus personne ne veut payer pour autrui. Il serait aussi répété sur de nombreuses années, car l’on voit mal comment la situation de l’Ukraine occidentale pourrait s’améliorer à court terme. Les conséquences financières seraient aussi importantes, car les banques européennes, et en particulier autrichiennes, sont lourdement exposées au risque ukrainien. De plus, l’UE pourrait être tenue pour responsable de la situation en Ukraine centrale et occidentale et, avec la montée rapide d’un désenchantement qui n’est hélas que trop probable, elle devrait affronter la montée de sentiments pro-russes dans cette population.

•(7) Il faut donc aujourd’hui que les dirigeants de l’UE et les dirigeants russes se rencontrent d’urgence et établissent une feuille de route pour une fédéralisation de l’Ukraine, mais maintenant son intégrité territoriale. Des garanties doivent être apportées à la population russophone, et les groupes ultra-nationalistes doivent être d’urgence désarmés et réduits à l’impuissance. L’Ukraine peut vivre comme une Nation souveraine, mais à la condition de trouver les formes de son intégration économique. Or, aujourd’hui, seule la Russie et l’union eurasienne sont en mesure de fournir un véritable moteur au développement du pays. L’Union Européenne doit cesser de penser que la Russie financera une Ukraine hostile. La Russie doit pour sa part comprendre le tropisme politique et culturel vers l’Europe d’une partie de la population ukrainienne. Les conditions d’un accord permettant au pays de retrouver sa stabilité sont possibles. Elles correspondent aux intérêts tant de l’UE que de la Russie. Il faut espérer que l’idéologie de l’affrontement ne l’emportera pas et que la raison triomphera.

Referenties

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