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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le samedi 29 janvier 2011

Année 2011, numéro 4 Sommaire

Afrique

UA : Mieux vaudrait être sûr de sa force avant de menacer… page 1 Monde

Les inégalités? Voyez Gini! … page 4 Tunisie

Mots et maux de l'information en continu… page 10 Belgique

KBC, Dexia, Fortis : mais où sont passés nos liards ? … page 18 RDCongo

« La Mort de Lumumba, pouvions nous faire autrement ?» … page 42 Muzito et les 40 pilleurs … page45

Kisangani: une ONG norvégienne aurait sous-payé les dommages-intérêts pour la libération des assassins d’un chauffeur congolais… page 50

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Afrique

UA : Mieux vaudrait être sûr de sa force avant de menacer.

Par Guy De Boeck

La prochaine réunion de l’Union Africaine a du pain sur la planche. On parlera sûrement en coulisse des événements de Tunisie, d’Egypte et sans doute aussi de la révision constitutionnelle congolaise. Mais le grand sujet à l’ordre du jour sera sans conteste : comment cesser de se rendre ridicule à propos de la Côte d’Ivoire.

Car, hélas, le continent noir semble s’être juré d’atteindre à ce sujet des records de ridicule.

D’abord, ce qui est tout de même clownesque dans une organisation censée être une

« UNION », les pays africains ont pris des positions diverses, s’étalant en large éventail des

« pro-Gbagbo convaincus » aux « Ouattaristes affirmés » qui en général ne concordaient en rien avec celle de l’UA. Quand, par hasard, quelqu’un dans tout ce cirque émettait un avis raisonnable, on s’empressait de le déformer de manière à le faire cadrer avec des vues partisanes. Je fais ici allusion à l’avis de Mr. Dos Santos, président de l’Angola, dont on a faussement fait un partisan de Gbagbo et qui a déclaré que s’il y avait à propos du scrutin ivoirien autant de doutes qu’on l’a dit quant à la régularité des opérations, il fallait voter à nouveau mais que, dans l’intervalle l’intérim pouvait parfaitement être assuré par le président sortant, ce qui n’est quand même pas la même chose.

Histoire d’accroître encore la confusion, les organisations sous-régionales ont, elles aussi, pris des positions diverses et toujours différentes de celle de l’UA qui, pendant ce temps là, envoyait un émissaire après l’autre, parfois en solo, parfois en groupe, pour des « missions de conciliation » désespérées puisque personne n’est disposé à se montrer conciliant. Abidjan a ainsi vu défiler une belle brochette de présidents et de premiers ministres les uns en retraite, les autres en fonction, qui tous arrivaient, faisaient une déclaration optimiste, allaient voir Ouattara qui leur disait « C’est moi le Président », se rendaient chez Gbagbo qui leur disait

« C’est moi le Président », constataient qu’il était vraiment difficile de rapprocher ces deux points de vue, convoquaient à nouveau la presse pour lui dire qu’hélas ils avaient eu tort d’être optimistes, qu’ils avaient échoué mais qu’il ne fallait pas perdre espoir car le prochain conciliateur ferait sûrement mieux. Et on repartait pour un tour…

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Tous les médiateurs de l’Union africaine ont échoué ! De Thabo Mbéki à Raila Odinga, en passant par le président de la commission, Jean Ping. Dans ce contexte, les diplomates de l’Union sont préoccupés et ne cachent pas leur embarras. Ils rappellent la position de principe prise par leur organisation : Alassane Ouattara est le président de la Côte d’Ivoire et Laurent Gbagbo doit partir. Mais comment le faire partir ? Par la force comme semble le souhaiter la Cédéao ? La question des modalités du départ de Laurent Gbagbo a provoqué des dissensions et des divergences. Les petites phrases du Sud-africain Jacob Zuma ou de l’Ougandais Yoweri Museveni le prouvent.

Vendredi, lors du Conseil de paix et de sécurité, l’organe qui gère les crises de l’UA, l’Afrique du sud, le Zimbabwe et accessoirement la Guinée équatoriale devraient faire part de leur opposition à toute solution militaire. Et comme dans ce genre d’enceinte les décisions se prennent par consensus, il est fort probable, si l’on en croit des diplomates de haut rang, qu’une nouvelle médiation soit mise sur pied. Une médiation de la dernière chance précise-t- on à Addis-Abeba, une médiation qui arrange Laurent Gbagbo. « Le temps joue contre Alassane Ouattara » concède sous couvert de l’anonymat un ancien ministre des Affaires étrangères d’Afrique de l’Ouest.

Au bout du compte l’UA se retrouve dans une position grotesque, qui est de plus en plus souvent celle des organisations internationales, y compris l’ONU. Cette position consiste tout simplement en ceci : patronner un certain processus, en garantir la bonne fin, se dire prêt ç user pour cela de tous les moyens et, le moment venu, se trouver dans l’impossibilité d’user des « grands moyens » dont on avait cependant agité la menace. On ne s’amuse pas à faire tinter son épée, si l’on n’est pas disposé à la tirer pour de bon.

Il ne serait pas, pour cela, nécessaire de de faire d’emblée couler le sang. Le recours à la force peut consister d’abord en mesures ostensibles et menaçantes : mouvements de troupes aux frontières, navire croisant au large devant les ports… Parler de la force sans jamais l’employer c’est, à la longue, créer chez ses interlocuteurs la conviction que l’on bluffe.

L’évolution de la pratique dans le domaine des relations internationales, a fait glisser de plus en plus de responsabilités du domaine national, autrefois chasse jalousement gardée au nom de la souveraineté, à celui des organisations internationales. On ne s’en plaindra certes pas, dans la mesure où cela ne permet plus à n’importe qui d’envoyer ses tanks, ses paras ou ses canonnières n’importe où. Mais il est déplorable que, dans le même temps, ces mêmes organisations aient, de plus en plus, remplacé l’action militaire - bien entendu après épuisement de toutes les voies pacifiques – par des menaces non suivies d’effet ou suivies d’effets tellement dérisoire qu’ils étaient ridicules.

Elle devraient se souvenir que la défunte SDN, ancêtre de l’ONU, est morte de l’impossibilité où elle se trouvait, de recourir à la coercition.

Entre-temps, en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo vient d’exécuter par des méthodes relevant du gangstérisme militaire, un petit hold u de 53 millairds de CFA sur la Bceao. L`acte que vient de poser Gbagbo est d`autant plus grave qu`il viole les principes fondateurs de la Bceao.

Banque communautaire, cette institution bénéficie du principe de l`inviolabilité. Il va sans dire que les fonds, sur lesquels il vient de faire main basse, n`appartiennent pas à titre exclusif à l`Etat ivoirien.

La posture dans laquelle s`est installée Gbagbo est donc meurtrière pour le système financier et bancaire ouest-africain. L`unique gain pour le président hors-la loi, c`est le butin qu`il a trouvé dans les caisses de la Banque centrale. La conséquence directe c`est qu`il coupe les

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ponts avec le siège de Dakar. Or, la Bceao est une institution au sein de laquelle toutes les opérations (virements, transferts, compensations…) sont intégrées. Dès lors, les banques commerciales qui doivent aller à la Bceao pour la compensation ou des appels de fonds extérieurs vont se heurter à un mur. Même les fournisseurs ou opérateurs économiques qui traitent avec des partenaires à l`extérieur de l`espace Uemoa auront de réelles difficultés à réaliser leurs transactions sans la Bceao. La Côte d`Ivoire est donc en train de se replier sur elle-même, dangereusement. Gbagbo met en péril aussi bien la vie des banques commerciales que l`institution financière de la communauté.

Il s’avère de plus en plus que, bien plus qu’une dispute électorale interne, l’affaire ivoirienne est une vaste entreprise de déstabilisation et d’affaiblissement de toute la région.

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Monde

Corrado Gini

Les inégalités? Voyez Gini!

Par Xavier Dupret (Gresea)

"Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées."

(Sir Winston Churchill)

Dans toute discussion sur les inégalités, tôt ou tard, il sera question de Gini, son coefficient. C'est en effet l'outil statistique numéro un en la matière. Décryptage.

Lorsqu'en 1910, le statisticien italien Corrado Gini (1884-1965) est nommé titulaire de la chaire de statistiques de l'université de Cagliari, il est loin de se douter (Gini a, à l'époque, 25 ans) qu'il laissera un outil de statistique descriptive qui continuerait encore à faire parler de lui un siècle plus tard. Avant de nous centrer définitivement sur l'apport de Gini à la mesure de l'inégalité socioéconomique, posons un certain nombre de notions.

La statistique descriptive a pour but de formuler des observations résultant du triage de données au moyen de paramètres-clés (comme par exemple, le calcul de moyennes). La statistique analytique, quant à elle, vise à établir des liens entre une série de faits observés et le calcul des probabilités. Pour faire simple, les probabilités expriment la certitude relative qu'un phénomène se produise. En 1912, un an avant d'être nommé titulaire de la chaire de statistique à l'Université de Padoue, Corrado Gini met au point son célèbre coefficient dans son article "Variabilità e mutabilità"1 .

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Tout commence avec Lorenz

Lorsque son coefficient voit le jour, Gini emprunte largement au statisticien Lorenz. Au point qu'aujourd'hui encore, certains commentateurs n'hésitent pas à parler d'un "tandem méthodologique Lorenz-Gini" comme fondateur de la recherche d'indicateurs d'inégalité.2 Pour mémoire, Max Lorenz (1880-1959) est un économiste américain qui, en 1905, dans un article intitulé "Methods of measuring the concentration of wealth"3 , a produit une représentation graphique de la distribution des revenus.

Pour ce faire, Lorenz a, à partir du revenu total de la population "distribué" les revenus individuels par ordre croissant de façon à répartir le revenu total en dix classes croissantes de revenus. La première classe regroupera par voie de conséquence les 10 % de la population dont le revenu est le plus faible. La deuxième classe, à son tour, regroupe, en englobant la première, les 20 % de la population dont le revenu est le plus faible. Et ainsi de suite, par addition, jusqu'aux 90% qui vont (contiennent) des 10%

de la population ayant les revenus les plus faibles jusque y compris la neuvième classe figurant parmi les revenus les plus aisés. La dixième et dernière classe comprend donc toute la population en incluant le dixième le plus riche de la population.

Pour construire sur cette base sa courbe, Lorenz place en Y de son graphique (c'est ce que l'on appelle l'ordonnée du graphique) l'ensemble des points caractérisant la progression de la fonction "cumul des revenus " et en X (c'est ce que l'on appelle l'abscisse du graphique) l'ensemble des points caractérisant la progression de la fonction "population". La courbe de Lorenz va retracer la progression cumulée des revenus d'une classe donnée lorsque la population augmente.

Figure 1. Visualisation d'une courbe de Lorenz Nous pouvons maintenant représenter la courbe de Lorenz comme suit :

Source : Charles Duvivier, "La mesure des inégalités", décembre 2007 in URL : http://ses.ac-

bordeaux.fr/Archives/2001/Cyberma/Methodo/Bao/lorenz/lorenz4.jpg (date de consultation du site : 15 juillet 2010)

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Nous voyons, sur ce graphique, une diagonale qu'on nomme "droite d'équité". Elle correspond à une situation (complètement utopique) de répartition parfaitement égalitaire du revenu total puisqu'elle décrit une répartition où chaque tranche de 10% de la population possèdent 10 % du patrimoine du total. Dit en d'autres termes, 10% de la population gagnent 10% des revenus, 20% de la population gagnent 20% et 50 % des ménages possèdent, donc, 50 % du patrimoine. Tout le monde possède la même chose sans aucune forme de distinction sociale. C'est ce que l'on appelle une "équirépartition". C'est par rapport à cette droite d'équité, c'est-à-dire en offrant une mesure statistique de l'écart existant entre cette droite hypothétique et la distribution réelle des revenus, que le coefficient de Gini va être déterminé. La courbe de Lorenz n'a, par définition, pas cet aspect rectiligne, la répartition de la richesse n'étant pas strictement égalitaire. Et plus les écarts de revenu seront forts, plus la courbe va se creuser dans la mesure où elle aura tendance à se rapprocher de l'axe des x (les % cumulés des ménages).

L'apport de Gini

Pour comprendre l'apport de Gini, voyons l'aire de la surface en hachuré comprise entre la droite d'équité et la courbe de Lorenz, qui s'en écarte à mesure que la répartition des revenus est inégalitaire. Comme nous l'avons vu, en effet, plus l'inégalité prévaut au sein d'une société et plus la courbe de Lorenz est creuse. Concrètement, l'indice de Gini se déduit (voir ci-dessous) en calculant la surface S comprise entre la courbe de Lorenz et la droite d'équité caractérisant une situation d'équirépartition. Au passage, on remarquera qu'en cas d'égalité absolue, il n'y aura pas de surface S. C'est d'ailleurs ainsi qu'on obtient la valeur minimale de l'indice de Gini: à surface nulle (égalité parfaite), l'indice Gini tombe à zéro.

Inversement, dans une situation d'inégalité totale (une personne possède tout, les autres rien), l'indice sera 1. Comme en arrive-t-on là? Explication.

Figure 2. Présentation de la surface de concentration S

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Dans le cas de figure théorique d'une inégalité absolue, le graphique se présentera comme une ligne droite qui reliera la dernière unité de la population à la totalité du patrimoine cumulé. Dans ce cas, la surface S couvre la totalité de l'espace disponible entre la droite d'équité et l'axe des pourcentages cumulés de la population. Pour s'en rendre compte, il suffit d'imaginer, sur le diagramme ci-dessus, une

"courbe" qui épouserait la ligne inférieure de l'abscisse (10% de la population gagnent zéro, 20% de la population gagnent zéro, et ainsi de suite) pour, soudain, lorsqu'elle atteint le multimilliardaire qui rafle tous les revenus, tout à droite de l'abscisse, monter en angle droit et en ligne droite jusqu'au sommet du diagramme pour indiquer que tous les revenus lui échoient. Courbe entre guillemets, donc, puisque dans ce cas de figure, cette courbe aura l'air d'une équerre, une droite de gauche à droite en bas et une droite de bas en haut.

Comme on s'en aperçoit, une telle surface "d'inégalité absolue" représente très exactement la moitié du carré. Sa "valeur" est donc de 0,5 puisqu'elle couvre la moitié de tout l'espace disponible sur le

graphique, constitué par le carré formé par l'abscisse et l'ordonnée. Par convention et afin d'obtenir un indice compris 0 et 1, on pose que l'indice de Gini est égal au double de S. De cette façon, en cas d'égalité absolue, les compteurs resteront bloqués à zéro (2 x 0 = 0) tandis que, en situation d'inégalité absolue, l'indice de Gini sera de 1 (2 x 0,5 = 1).

Eléments de critique

La figure 2 décrit sous une forme graphique la distribution des salaires au Canada telle qu'elle existait en 1991. Comme on peut le remarquer en observant la progression de la ligne rouge de la courbe, les premiers 40 % de la population n'ont en partage que 10% du revenu total tandis que, si 80% de la population se partagent 50% du revenu total, les autres 50% des revenus tombent dans l'escarcelle des 20 % des ménages les plus riches. En 1991, le cœfficient de Gini était de 0,434 au Canada. A cette époque, le pays était moins égalitaire que par exemple, la Belgique, dont le coefficient de Gini était de 0,321 avant répartition par l'impôt4 (0.248 après impôts). De tout ceci, que peut-on dire? Des choses, en réalité, fort abstraites. En collant au plus près des chiffres, on peut dire qu'en 1991, le Canada était 1,35 fois (0,434/0,321) plus inégalitaire que la Belgique. Peut-on, pour autant dire, que contrairement au Canada, les 50% les moins riches possédaient 20,25% (15 X 1,35) du revenu national?

Absolument pas car le coefficient de Gini, en raison même de son caractère synthétique, peut

"compenser un écart grandissant entre les plus riches et les plus pauvres par une diminution de la dispersion au sein des couches moyennes et ne faire apparaître aucune modification dans la mesure de l'inégalité de la distribution".5

Pour éviter ce type de désagréments, on se réfèrera utilement à la courbe de Lorenz afin de procéder au calcul des différences entre les différents déciles composant la population de référence. Ainsi, dans son Rapport mondial sur le développement humain de 2005, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), outre le coefficient de Gini, proposait une comparaison entre les revenus du quintile (20%) et du décile (10%) des plus riches avec le quintile et le décile des plus pauvres.

D'un point de vue statistique, tout cela donne une fâcheuse impression d'imprécision. En réalité, comme la plus belle fille du monde, le coefficient de Gini ne peut donner que ce qu'il a et pas davantage. Pour le dire platement, le coefficient de Gini permet de comparer les inégalités entre des sociétés présentant des différences marquées.

Exemple: en 1991, le coefficient de Gini en Belgique, après imposition, avoisinait les 0,26. En comparant ce chiffre à celui de nations latino-américaines bien connues pour leur profond

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inégalitarisme (exemple : l'Argentine où, depuis des décennies, l'indice de Gini se situe grosso modo autour de 0,50), on perçoit rapidement un panorama des inégalités complètement différent entre la Belgique et l'Argentine. Mais il est, en revanche, impossible, à partir du seul critère "coefficient de Gini", de dresser des comparaisons entre des pays présentant un profil relativement identique.

En 1995, ainsi, la Suède et la Hollande avaient des taux de Gini de respectivement 0,22 et 0,27. D'après l'optique globalisante du coefficient de Gini, le pays égalitaire, c'est la Suède. Pourtant, d'après les données établies quintile par quintile, la situation des 20% de Néerlandais les plus pauvres est globalement meilleure que celle des 20% de Suédois les plus pauvres. "On passe d'une répartition de type batave à une répartition de type suédois en assurant d'une part, une redistribution des bas revenus vers les revenus moyens, et d'autre part, une redistribution des hauts revenus vers les revenus moyens;

autrement dit, on trouve en Suède des riches et des pauvres plus pauvres et des moyens plus riches".6 Une société égalitaire au sens de Gini peut donc connaître des marges de grande inégalité et n'en rien laisser transparaître sur le plan statistique suite à des pratiques de forte redistribution à destination des seules catégories moyennes de la population.

Le taux de pauvreté après transferts sociaux était, en Belgique de 15% en 2008. En France, le seuil de pauvreté après transferts sociaux était de 13%. Rappel : le seuil de pauvreté équivaut à 60% de la

médiane, à l’échelle individuelle, du revenu disponible (ce calcul est effectué par tous les pays membres de l'Union européenne de la même manière). Cela donne, pour la Belgique, le calcul suivant : 60% de 17.980 euros par an équivaut pour une personne isolée à un seuil de 10.788 euros par an, soit 899 euros par mois.

Le seuil de pauvreté d’un ménage composé de deux adultes et de deux enfants, en Belgique, se calcule en multipliant le seuil des personnes isolées par un facteur 2,1 (10.788 euros x 2,1 = 22.654€ soit 1.888 euros par mois). Les personnes qui vivent dans un ménage et dont le revenu est inférieur à ce seuil sont considérées comme pauvres7 . Et pourtant, la France présente un coefficient de Gini similaire à la Belgique. D'après Eurostat, en 2007, les deux pays se caractérisaient par un coefficient de Gini après impôt de 0,26.

Ite missa est : le coefficient de Gini est trop synthétique, trop globalisant. Autre désavantage: son unidimensionnalité. Comme les travaux d'Amartya Sen l'ont déjà fait (gentiment) remarquer, une estimation précise des inégalités devrait idéalement englober non seulement des variables économiques liées au partage du revenu disponible (par exemple, les inégalités de salaire ou de patrimoine) mais aussi un certain nombre de variables sociales portant, de manière générale, sur les problématiques d'accès à des biens ou des services (eau, santé, éducation, énergie …). En se centrant sur la répartition du revenu, la méthodologie du coefficient de Gini laisserait de côté un certain nombre d'éléments importants permettant d'appréhender avec exactitude les inégalités8 .

Tout n'est pas à jeter dans cette approche. Imaginons deux pays, Groland et Lilliput, qui se caractérisent par des coefficients de Gini et des rapports interquintile et interdécile absolument identiques. Si l'on se borne au point de vue développé par Corrado Gini, il nous faut en conclure que ces deux pays

connaissent des situations identiques du point de vue des inégalités. Et ce quand bien même, Lilliput aurait totalement libéralisé son secteur de l'énergie (ce qui entraînerait des surcoûts pour le premier décile de la population) et Groland imposerait un prix de vente plus bas à l'ensemble des producteurs présents sur son territoire. Le monde du coefficient de Gini est décidément bien abstrait.

Concluons. Corrado Gini a été parmi les premiers, avec Max Lorenz, à proposer un outil de mesure globale de l'inégalité. Avec le temps, les limites du coefficient de Gini comme outil de mesure et

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d'analyse se sont avérées de plus en plus évidentes. On pointera principalement de l'insensibilité du coefficient aux différentes stratégies de redistribution du revenu ainsi qu'une unidimensionnalité certaine quant à la manière d'envisager la question de l'inégalité. Il y a lieu de pointer, en outre, qu'une

comparaison des coefficients de Gini obtenus dans un même pays offre une image assez fiable de l'évolution, dans le temps, des inégalités.

Si la comparaison entre décile et/ou quintile permet de répondre adéquatement à la première limite du coefficient de Gini, il est moins aisé d'en contourner le second écueil. En prenant un peu de recul, on actera, à l'instar de Chauvel9 , que jusqu'à présent, la façon dont s'opère in concreto le partage du revenu disponible entre groupes sociaux reste encore trop peu analysée et discutée. Une fois comblée cette

"lacune" par des méthodes ad hoc, on peut penser qu'il sera alors grand temps d'affiner la perception des inégalités dans un sens davantage qualitatif. Il va sans dire que cette approche est davantage guidée par des considérations politiques que strictement statistiques (et n'en déplaise à Amartya Sen, elle ne fera pas l'unanimité).

1 Corrado Gini, "Variabilità e Mutabilità", Bologna, Tipografia di Paolo Cuppini, 1912.

2 Louis Chauvel, "Inégalités singulières et plurielles : les évolutions de la courbe du revenu disponible", Revue de L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), 1995, Volume 55, p.215.

3 Max. O. Lorenz, Methods of measuring the concentration of wealth, Publications of the American Statistical Association., vol. 9: 209-219.

4 Source: Direction générale Statistique et Information économique de la SPF Economie, Site du site SPF Economie, PME, Classes moyennes et Energie,

URL:http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/travailvie/fisc/inegalite_de_revenu/index.jsp (date de consultation du site : 19/07/10).

5 André Masson, Dominique Strauss-Kahn, "Croissance et inégalité des fortunes de 1949 à 1975" in Economie et statistique, N°98, Mars 1978, p.31.

6 Louis Chauvel, op.cit, p.219.

7 Source : http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/travailvie/revenus/pauvrete/index.jsp (date de la consultation du site : 18/07/10).

8 Louis Chauvel, op.cit., p.215.

9 Voir Louis Chauvel, "Inégalités singulières et plurielles : les évolutions de la courbe du revenu disponible", Revue de L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), 1995, Volume 55, p.215.

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Tunisie

Mots et maux de l'information en continu

Par Julien Salingue, Ugo Palheta

Il est évidemment difficile d’informer sur un événement aussi imprévisible, dans son surgissement, que le soulèvement d’un peuple. Qui pouvait prévoir qu’en 2011 le peuple tunisien, au prix d’un mois de luttes et après avoir subi la répression de la police de Ben Ali, parviendrait à contraindre ce dernier à l’exil ? Le sens et la portée des événements ne sont pas immédiatement perceptibles. Au risque que le journalisme soit inévitablement pris en défaut. Mais…

Mais le traitement médiatique de la mobilisation populaire tunisienne, et de sa radicalisation depuis une dizaine de jours, révèle des défaillances qui ne sont pas seulement imputables aux difficultés du journalisme aux prises avec l’événement inédit. Parmi ces défaillances : les mécanismes de « circulation circulaire de l’information », les effets d’une réactivité sous-informée, l’usage irréfléchi d’expressions passe-partout, le recours à des « experts » se prenant pour des devins ou encore l’omniprésence d’éditocrates disant tout et n’importe quoi sur à peu près tous les sujets.

Si on ne peut guère reprocher aux grands médias de n’avoir pas prédit ce soulèvement et ses effets, le délaissement structurel de l’information internationale par nombre d’entre eux n’est sans doute pas pour rien dans les approximations que l’on a pu relever ici ou là et dans la pauvreté uniforme des descriptions proposées de cette révolte sociale. Il est vrai que ce traitement n’a pas été homogène, Libération n’ayant pas informé comme Le Figaro, ou Le Monde comme Le Point, et qu’il a par ailleurs évolué au fil des jours sous la pression du mouvement populaire. Contrairement, notamment, aux grandes chaînes de télévision,

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Il reste qu’une observation qui n’est en rien exhaustive permet de repérer, notamment sur les sites d’information en ligne et les chaînes d’information en continu, des figures redondantes de la langue de plomb journalistique et des approximations dont les effets sont loin d’être anecdotiques quant à la compréhension de la révolte du peuple tunisien.

Des « émeutes meurtrières » ?

Il suffit parfois d’un simple qualificatif répété partout pour imposer l’interprétation d’un événement. Avant que Ben Ali ne soit forcé de quitter la Tunisie, on a ainsi vu fleurir – quoique inégalement – dans à peu près tous les grands médias français les expressions d’« émeutes meurtrières » ou d’« émeutes sanglantes ».

Comme on le verra plus loin, les journaux se sont également appliqués à dresser le « bilan des violences ».

Or sont-ce les émeutes qui sont « meurtrières » ou la répression assurée par la police d’un président régulièrement réélu avec au moins 90 % des voix ? Les morts et les blessés, le « sang », sont-ils imputables aux manifestations de rue ou au régime qui les écrase ? S’agit-il du « bilan » du mouvement de révolte ou de celui de la répression policière ?

En usant et abusant d’expressions aussi automatiques qu’elles sont contestables, une bonne partie des grands médias français prononçaient leur jugement, minimisant la répression d’un peuple en révolte par un régime dictatorial. Or cet usage irréfléchi d’une expression impropre révèle, non pas (ou pas simplement) le conformisme des journalistes qui l’emploient, mais les mécanismes de production d’une information standardisée et les automatismes de pensée qu’ils induisent.

S’il est vain de chercher l’origine, c’est-à-dire le premier émetteur, de l’expression « émeutes meurtrières », on peut sans nul doute voir dans les dépêches de l’AFP un accélérateur de sa diffusion. La plupart des journaux imprimés ou télévisés, mais aussi des sites d’information sur Internet, ne font fréquemment que reprendre ces dépêches en les modifiant à la marge. Ainsi, le 9 janvier, l’AFP publie une dépêche qui débute ainsi : « La révolte sans précédent que connaît la Tunisie depuis la mi-décembre contre le chômage a dégénéré ce week-end en émeutes sanglantes ».

L’ « information » se répand comme une traînée de poudre et, sans que personne ne se soit évidemment concerté, envahit la quasi-totalité des sites d’information. Quelques exemples…

– Sur le site du Parisien : « La révolte que connaît la Tunisie depuis le mois de décembre contre le chômage a dégénéré ce week-end en émeutes sanglantes ».

– Sur celui de La Voix du Nord : « La révolte sans précédent que connaît la Tunisie depuis la mi-décembre contre le chômage a dégénéré en émeutes sanglantes ».

– Sur celui de TF1 : « Jour après jour, le mouvement semble se radicaliser. La révolte sans précédent que connaît la Tunisie depuis la mi-décembre contre le chômage a dégénéré ce week-end en émeutes

sanglantes ».

À être entonnée à l’unisson dans à peu près tous les grands médias, une idée n’en devient certainement pas plus vraie. Reste qu’elle acquiert par ce mouvement de diffusion généralisée une puissance qu’il est ensuite difficile de contester. En l’occurrence, parler d’ « émeutes meurtrières » revient à retourner les responsabilités, et en mettant ainsi la réalité cul par-dessus tête, les médias ne peuvent pas ne pas influer sur les jugements à l’égard de la mobilisation du peuple tunisien. Et si ce sont les émeutes qui sont

« meurtrières », comment refuser à Ben Ali le droit de les réprimer ?

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Libération et le Figaro : clarification et persévérations

La langue automatique persévère, même quand la clarté s’impose. Libération, le 11 janvier titre massivement et clairement : « Ben Ali réprime ».

Mais le court texte placé sous le titre reprend l’expression « émeutes meurtrières », et le site du quotidien parle quant à lui de « manifestations mortelles ». Autre exemple de cette fluctuation dans l’emploi des termes : dans un article, paru le 12 janvier, intitulé « Le régime Ben Ali réprime, la rue tunisienne continue d’y croire », sont évoquées les « victimes des émeutes ». Là encore, victimes des « émeutes » ou de la répression du régime ? Les fluctuations du vocabulaire ne traduisent sans doute pas une hésitation dans l’interprétation des événements, mais elles l’induisent.

Dans la même veine, Le Figaro titre, en citant un manifestant : « Tunisie : "la police a ouvert le feu sur les manifestants" », et sous-titre, en copiant la dépêche de l’AFP : « La révolte sans précédent que connaît la Tunisie depuis la mi-décembre contre le chômage a dégénéré ce week-end en émeutes sanglantes ».

Les mêmes expressions toutes faites peuvent d’ailleurs resservir au mot près pour d’autres situations. Ainsi peut-on lire, sur le site de TF1, dans un article intitulé « Lent retour à la normale en Algérie après des violences meurtrières » : « Les Algériens ont commencé dimanche à reprendre une vie normale après un week-end d’émeutes meurtrières contre la vie chère ».

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Le « bilan des violences »

Autre manière, sous couvert d’impartialité, d’effacer implicitement (et sans doute involontairement) la responsabilité de Ben Ali et des forces armées tunisiennes, de nombreux médias ont régulièrement proposé à leurs lecteurs ou auditeurs, durant la semaine précédent le départ de Ben Ali, un prétendu « bilan des violences ».

Là encore, c’est une dépêche de l’AFP qui est reprise par l’ensemble des grands médias. Intitulée « Tunisie : chaos à Kasserine, le bilan des violences s’alourdit », elle commence de la manière suivante : « Le bilan des troubles sociaux qui ébranlent la Tunisie depuis près d’un mois s’est alourdi à une cinquantaine de morts dans le centre du pays en trois jours, selon un responsable syndical qui a évoqué une situation de

"chaos" mardi à Kasserine, principale ville du centre ». Plus loin seront évoquées des émeutes non plus

« meurtrières » mais « sanglantes ». On retrouve ce thème du « bilan » sur de nombreux sites d’information :

– Sur le site du Nouvel Obs : « Les émeutes ont fait, selon les associations, plus de 50 tués ces trois derniers jours rien que dans cette ville du centre-ouest. [...] La situation était chaotique à Kasserine, chef lieu du centre-ouest de la Tunisie où des émeutes ont fait plus de 50 tués ces trois derniers jours ».

– Sur celui du Monde, dans un article intitulé « Le bilan des violences s’alourdit en Tunisie » : « Le bilan des émeutes dans tout le pays s’est encore alourdi. Après les violences du week-end dans des localités du centre-ouest du pays, le nombre de morts s’élève désormais à au moins trente-cinq ».

– Sur celui du Figaro, dans un article intitulé « Les violences en Tunisie ont fait au moins 35 morts » : « Ce bilan humain des émeutes durant le week-end est établi par la Fédération internationale des droits de l’homme à partir d’une liste nominative. Le bilan des violences en Tunisie ne cesse de s’alourdir. Pour l’heure, le nombre de morts dans les émeutes durant le week-end s’élève à au moins 35 ».

France soir interroge : « Êtes-vous inquiet… ? »

Plus indécent, France-Soir publie sur son site – à côté d’un article sur le chanteur juvénile Justin Bieber et d’un autre sur la Miss France 2010 – un sondage auquel les internautes peuvent répondre en ligne. La question posée est la suivante : « Êtes-vous inquiet de la situation en Tunisie ? »

Outre l’imposition de la problématique de l’« inquiétude » (on pourrait tout autant demander : « Êtes-vous révolté par la répression du peuple tunisien ? », ou « Êtes-vous heureux de voir un peuple se soulever contre une dictature ? », etc.), on notera la petite phrase à prétention « explicative » qui suit cette question : « Les émeutes se poursuivent en Tunisie, où le bilan officiel fait toujours état de quatorze morts ». Plus encore, les quatre réponses proposées en disent long sur l’opinion implicite de la rédaction de France-Soir à l’égard du mouvement populaire en cours en Tunisie :

– Oui, il y a un risque d’embrasement ;

– Oui, d’ailleurs je n’irai pas là-bas en vacances ;

– Non, le gouvernement va reprendre les choses en main ; – Non, c’est loin, ça ne me concerne pas.

Face à cette mobilisation de la jeunesse et des travailleurs tunisiens, les internautes se voient donc imposer le

« choix » entre la peur (d’une diffusion de la contestation sociale) et l’indifférence.

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I-Télé : du « coup d’État » à la « révolution »

La roue médiatique finit par tourner avec le cours des événements en Tunisie. Vendredi 14 janvier à 18 h 45 : le premier ministre tunisien, Mohammad Ghanouchi, annonce que Ben Ali est dans l’incapacité d’assumer ses fonctions. Les observateurs comprennent que cette annonce sonne le glas de la dictature de Ben Ali, lequel avait tenté, quelques heures plus tôt, une dernière manœuvre en limogeant le gouvernement et en annonçant la tenue d’élections anticipées.

I-Télé, chaîne d’information en continu, réorganise ses programmes pour couvrir l’événement. « Edition spéciale », images en direct de Tunis, défilé de nombreux « spécialistes », commentaires « à chaud »…

Un bandeau est, en outre, incrusté en haut à droite de l’écran : « Tunisie : coup d’État ».

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Nous pourrions discuter ici de la pertinence du terme de « coup d’État » pour qualifier le départ d’un dictateur sous la pression de mobilisations populaires qui durent depuis des semaines… Mais nous ne le ferons pas. Car dès le lendemain matin, I-Télé a changé son fusil d’épaule :

Le « coup d’État » est devenu, en l’espace d’une nuit, une « révolution ». Comme quoi, à vouloir faire très vite, et quand on n’y comprend pas grand-chose, on fait souvent n’importe quoi.

Le « Grand Journal de Canal + » : dépassé par les événements

Vendredi 14 janvier, 19 h 10. Depuis près de 30 min, l’annonce du retrait de Ben Ali est officielle. Le

« Grand journal de Canal + », émission diffusée apparemment en direct, débute.

Michel Denisot l’annonce, avec sa solennité habituelle : « Comme tous les vendredi nous allons commenter l’actualité de la semaine avec trois grands observateurs ». Alain Duhamel (RTL, entre autres), Christophe Barbier (L’Express, entre autres) et Sonia Mabrouk (Public Sénat) font leur entrée sur le plateau. Michel Denisot : « On va commencer par la Tunisie, et les images de ce matin. Eh bien, après le "je vous ai

compris" de Ben Ali, eh bien, les Tunisiens n’ont pas tous compris puisqu’il y en avait plus de 5 000 dans les rues de Tunis ce matin pour demander la démission de Ben Ali ». Après cette introduction pleine de lucidité et d’empathie à l’égard des victimes du régime de Ben Ali, le débat commence. Florilège…

– Sonia Mabrouk : « Il y a une grande majorité de Tunisiens qui ont écouté [le discours de Ben Ali] hier, et qui se disent maintenant, bah écoutez, il faut des preuves, il faut des actes ». [...]

– Alain Duhamel : « Est-ce que [le discours de Ben Ali d’] hier soir débloquera les choses, je suis totalement incapable de le dire ». [...]

– Jean-Michel Aphatie : « [Ben Ali] reconnaît qu’il a laissé assassiner des Tunisiens, comment voulez-vous, mais comment voulez-vous que les gens le croient, que les gens pensent que, lui, il est la solution politique ? Mais il va sauter comme un bouchon de champagne… ». [...]

– Sonia Mabrouk : « Sauter comme un bouchon de champagne, je veux bien, mais… [...] Il faut un processus de transition. Est-ce qu’il faut couper les têtes tout de suite ? ». [...]

– Ali Baddou : « Il restera peut-être en place, on n’en sait rien, après tout il continue à absolument tout maîtriser, la police, l’armée, l’appareil d’État, l’administration… »

Etc.

On est obligé de se rendre à l’évidence : la nouvelle de la chute de Ben Ali n’a pas été communiquée à l’équipe du « Grand Journal », ni aux « trois grands observateurs » invités. Elle est pourtant reprise, à

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l’heure de ce « débat », sur la plupart des sites Internet des grands journaux (y compris L’Express), et sur les chaînes d’information en continu. Avant même qu’il débute, le débat était périmé.

Pourquoi ? Tout simplement parce que cette émission qui simule le « direct » est, le vendredi, enregistrée l’après-midi ! Tel est pris qui croyait prendre.

Le mot de la fin à Alain Duhamel : « Ce qui est frappant c’est, comme souvent dans ces cas-là, quand les choses tournent aussi mal, c’est-à-dire aussi violemment, euh, c’est le retard perpétuel sur l’événement.

C’est… Ben Ali a toujours été en retard, de même que, d’ailleurs, le gouvernement français, de son côté, a été en retard sur sa réaction, et sur l’ampleur de sa réaction ». Un « retard perpétuel sur l’événement ». On ne saurait mieux dire.

Le Parisien : « ce ne sont pas les girouettes qui tournent, c’est le vent »

Deux « unes » du Parisien, à cinq jours d’intervalle, sont exemplaires du « retournement » de la presse face aux développements de la situation en Tunisie. Le 10 janvier, alors que le soulèvement tunisien s’étend depuis quatre semaines et que la police tire à balles réelles sur les manifestants (et les tue…) depuis le 24 décembre, Le Parisien évoque une « flambée de violences meurtrières en Tunisie ».

On connaît la suite. Le 14 janvier au soir, Ben Ali quitte la Tunisie. Un président au pouvoir depuis vingt- trois ans contraint à la fuite par ce qui n’était, quelques jours auparavant, qu’une « flambée de violences meurtrières » ? Que nenni !

Une lucidité de la dernière heure qui en rappellera une autre aux férus d’histoire. Elle remonte à juillet 1789 :

– C’est une révolte ?

– Non, Sire, c’est une révolution.

***

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Une dernière remarque s’impose. La précipitation et l’incompréhension face aux événements en cours ont conduit nombre d’éditocrates à effectuer des déclarations et des dérapages plus ou moins contrôlés, tout autant révélateurs de leur vision du monde que de leur conception du journalisme. Les deux extraits qui suivent sont des retranscriptions de l’édition du « Grand journal » déjà citée plus haut, décidément riche en perles, malgré le dépassement de la date de péremption.

Alain Duhamel et Christophe Barbier pensent :

Alain Duhamel, d’un peu partout, connaît très bien la Tunisie, il s’y intéresse depuis dix jours : « Moi ce qui m’a frappé en écoutant, bon, j’ai fait comme nous tous, c’est-à-dire que j’ai écouté le maximum

d’interviews, et en particulier d’opposants pendant, voilà, dix jours, ils sont tous d’une précaution, et d’une prudence… ». Le « grand observateur » a parlé.

Pour Christophe Barbier, de L’Express et d’ailleurs, la démocratie, c’est bien, mais quand même ça dépend. C’est lui qui le dit, dans l’émission que nous venons d’évoquer.

– Christophe Barbier : « Il y a à un moment donné un islamisme politique qui menace de prendre le pouvoir ».

– Ali Baddou : « Ah, bah oui, mais vous voulez la démocratie ou vous voulez la dictature ? C’est-à-dire qu’en l’occurrence, à un moment donné, il faut laisser les gens s’exprimer, voter, et l’islam politique existe en Tunisie, comme ailleurs… Vous parliez des Frères musulmans en Égypte, ils sont massacrés, ils sont tenus, euh, souvent torturés, arrêtés. Bon, en Tunisie, c’est le cas aussi, est-ce qu’il faut les laisser s’exprimer ou pas ? »

– Christophe Barbier : « Je veux la république. Si la république passe par la démocratie c’est tant mieux, mais s’il faut parfois combattre les mécaniques démocratiques pour sauver la république… »

– Jean-Michel Aphatie (l’interrompant, dommage…) : « Non, non… Les Frères musulmans ils pourrissent en prison en Égypte. Ils pourrissent en prison. Vous savez, on peut pas dire "je veux la république et des gens qui pourrissent en prison", ça va pas ».

Et plus tard dans l’émission…

– Christophe Barbier : « Tout faire pour que l’islamisme n’arrive pas au pouvoir dans ces pays-là, c’est pas rendre service à nous, c’est rendre service à nous, et à eux, et aux peuples concernés… Tout plutôt que de les voir tomber dans ce qu’est devenu l’Iran ou l’Afghanistan ».

– Jean-Michel Aphatie (l’interrompant, décidément…) : « Dans votre tout il y a des choses horribles. Dans votre tout il y a des choses horribles Christophe. Il faut que vous vous débrouilliez avec des choses

horribles. »

– Christophe Barbier : « Y a la raison d’État et y a du cynisme, je suis d’accord, mais j’assume cette phrase : "Plutôt Ben Ali que les barbus" ».

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Belgique

KBC, Dexia, Fortis : mais où sont passés nos liards ? Evolution de la crise financière en Belgique

Par Xavier Dupret (Gresea)

Cet article constitue une prolongation et une actualisation de l'analyse de feu François MARTOU « Mais où sont passés nos liards et la confiance ? » (parue in Cahiers Marxistes, n°239, mai-juin 2009, pp. 23- 37). Une première version de ce travail a été présentée au Congrès Marx International 6, 22-25

septembre 2010, Nanterre (Crises, révoltes, utopies - Atelier : … histoires belges – Cahiers Marxistes). Ce texte fait partie du numéro 240 des Cahiers marxistes (novembre-décembre 2010).

« Où vont les chiens, dites-vous, hommes peu attentifs ? Ils vont à leurs affaires.

(…) Connaissez-vous la paresseuse Belgique, et avez-vous admiré, comme moi, tous ces chiens vigoureux attelés à la charrette du boucher, de la laitière ou du boulanger, et qui témoignent, par leurs aboiements triomphants, du plaisir orgueilleux qu'ils éprouvent à rivaliser avec les chevaux ? »

(Charles Baudelaire, Les bons chiens)

« J'estime remplir parfaitement mon rôle vis-à-vis de la société. Il n'y a pas beaucoup de gens qui savent faire mon boulot, tout comme peu de gens savent jouer au tennis comme Justine Henin ».

(Jean-Paul Votron, ex CEO de Fortis) La crise financière en Belgique s'est concentrée, dans le domaine bancaire, sur trois entreprises : KBC, Dexia et Fortis. Le 29 septembre 2008, le cours de l'action Dexia baissait de 30% pour végéter à 7.70 euros. Dès cet instant, la plupart des analystes s'attendaient à une action du gouvernement fédéral. Car Dexia, ex-Crédit Communal, détient 80% du marché du financement des communes belges. Début octobre, Dexia, la banque des communes, était placée sous perfusion. L’Etat fédéral avançait 2 milliards d’euros pour procéder à l'augmentation de capital.

Les Régions mettaient 1 milliard sur la table (dont 350 millions en provenance de la Région wallonne). Le gouvernement français, via la Caisse des Dépôts et Consignations, contribuait au sauvetage à raison de 3 milliards d'euros1 . Le gouvernement luxembourgeois allongeait 376 millions d'euros. Nos gouvernements avaient sorti la grosse artillerie.

Dexia

En 1996, le Crédit Communal belge et le Crédit Local de France avaient uni leurs destinées. En 2000, Dexia rachetait la compagnie américaine FSA (Financial Security Assurance Inc.). FSA travaillait dans le même champ que Dexia puisqu'elle garantissait les emprunts réalisés par les municipalités aux Etats-Unis.

FSA était ce que l'on nomme un rehausseur de crédits (monoliner dans le sabir financier anglo-saxon).

L’activité de rehaussement de crédit est une pratique courante en Amérique du Nord où les pouvoirs

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publics vont se fournir en argent frais sur les marchés financiers via l'émission de titres, alors qu'en Europe les collectivités locales se financent surtout grâce à des emprunts. A la base du mécanisme, les cotes dont bénéficient les acteurs selon leur degré de crédibilité et de fiabilité sur les marchés. Pour rappel, ces cotes sont remises par des agences de notation dont le sérieux a largement été mis en cause depuis le tsunami financier de 2008.

Au centre du dispositif, les rehausseurs de crédit bénéficient de la note AAA (la meilleure de toutes). Et ils font profiter leurs clients des avantages liés à cette cotation : ceux-ci peuvent emprunter à un meilleur taux. Bref, et c'est une perversion du système, un rehausseur de crédit doit, pour que le système fonctionne, toujours bénéficier de la meilleure note.

A priori, FSA ne faisait guère le même métier que Dexia. Dexia accordait des prêts à des communes alors que FSA agissait comme intermédiaire financier. Cela n'aurait guère porté à conséquences si FSA s'était strictement cantonnée à la garantie des prêts des municipalités américaines. En effet, les pouvoirs publics jouissent, aux Etats-Unis, d'une assez bonne réputation sur les marchés financiers. Malheureusement, FSA ne va pas se limiter aux collectivités locales et, au contraire, étendra son champ d'activités aux crédits subprime.

La crise venant, vu l'augmentation de la masse des crédits devenus toxiques non remboursés et qui avaient été auparavant garantis par les monoliners, il a bien fallu que les agences de notation, quasiment à leur corps défendant, se résolvent à revoir à la baisse les cotations. La conséquence ne s'est pas fait attendre : le cours des rehausseurs de crédits a fondu comme neige au soleil. A partir de ce moment, c'est tout le

système de garantie du crédit qui s'est effondré.

De proche en proche, Dexia, banque spécialisée, à la base, dans un créneau sûr (le financement des pouvoirs publics) s'est retrouvée engluée dans le marasme du subprime. Une recapitalisation s'imposait.

Dexia a été recapitalisée en 2008 par les trois pays concernés, comme indiqué, à hauteur de 6.4 milliards par les pouvoirs publics et à raison de 1 milliard par du parapublic (Holding communal, Ethias) et du privé (groupe Arco).

Concernant alors le futur de Dexia, le quotidien français Les Echos, dans son édition du 17 novembre 2008, constatait que Dexia se recentrerait sur ses activités historiques. Finies donc les opérations

spéculatives à haut risque. On notera avec intérêt que le français Pierre Mariani, le nouvel administrateur délégué de Dexia, a annoncé qu'il entrait dans les intentions du groupe franco-belge de se séparer de FSA,

« une hypothèque lourde sur l'avenir de Dexia »2 . Cette vente ne concernera pas le portefeuille de produits financiers de FSA (16.5 milliards de dollars) qui bénéficieront d'une nouvelle garantie étatique activable pour des pertes supérieures à 4.5 milliards par an. Cette garantie sera financée aux 2/3 par l'Etat belge… Le 1er juillet 2009, Dexia pouvait se séparer officiellement de FSA, et revendait la compagnie d'assurances à Assured Guaranty Ltd, pour 816.5 millions de dollars, dont 546 millions en numéraire et 21.85 millions d'actions ordinaires Assured Guaranty (13.9% du capital).

Retour à la case départ. Pour mémoire, Dexia annonçait au troisième trimestre 2008 des pertes pour 1.54 milliard d'euros et prévoyait de diminuer ses coûts de 15% sur trois ans. Le 2 juillet 2010, le plan de sauvetage de Dexia passait sous les fourches caudines d'un screening européen.

Et un accord était conclu avec la Commission européenne portant sur un plan de restructuration plutôt du genre drastique prévoyant, notamment, une réduction des coûts de 15% et une diminution de bilan de l'ordre de 35%. Selon les termes du deal avec la Commission, le groupe sortirait, au 30 juin 2010, du système de la garantie des Etats.

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A la mi-novembre 2008, la direction ne parlait pas encore de plan de licenciements. C'est, depuis, chose faite. Ainsi, au cours de l'année 2009, Dexia a supprimé 900 emplois (dont 350 en Belgique). Auxquels est venu s'ajouter un deuxième plan de licenciements collectifs, dont la mise en œuvre a été annoncée en septembre 2010, et qui visera à la suppression de 685 postes de travail dont 385 en Belgique.

Ethias

Ethias, à proprement parler, n'est pas une banque. By trade, c'est un assureur. Dans la mesure où cette entreprise financière a fait l'objet d'une recapitalisation par les pouvoirs publics, il nous a semblé utile de l'intégrer dans notre étude sur les banques.

A l'instar de Dexia, Ethias s'est ouvert à un autre métier que le sien au cours de ces dernières années. Flash back.

En 1998 (cinq ans avant le changement de nom, changement censé mieux représenter les valeurs de la compagnie liégeoise), alors qu'Ethias était encore la SMAP (Société mutuelle des administrations

publiques), elle assurait principalement les pouvoirs publics. Ce secteur dit de la vie collective représentait 59.3% de l'encaissement total des primes d'Ethias3 en 1997. En 2007, la part du secteur Vie collective avait baissé de moitié par rapport à ce qu'elle était en 1997 et ne représentait plus que 26.5% de l'encaissement global de la compagnie.

Le secteur Vie individuelle (en clair, les assurances-vie) ne représentait, lui, que 3.1% de l'encaissement global d'Ethias en 1997. Tête à queue spectaculaire : en l'espace d'une décennie, le secteur Vie individuelle passait à 42.4% des rentrées d'Ethias.

Ce qui signifie que l'ex-SMAP a, en peu de temps, changé radicalement de métier. D'assureur de l'Etat et des corps constitués, elle est devenue, à titre principal, un bancassureur comme les autres.

Sans même discuter de l'éventuel bien-fondé des motivations qui ont présidé à cette modification en profondeur des missions d’Ethias, force nous est de constater que cette mutation n'est pas allée sans dommages collatéraux.

L'histoire aurait, d'ailleurs, dû porter conseil à Ethias. Ainsi, en 2000, la SMAP avait-elle acheté la banque d'épargne Mauretus. En 2001, la banque Mauretus (Mauretus Spaarbank) devient la Smap Banque. En 2003, un pôle bancaire Ethias voit le jour suite aux acquisitions de la Navigabank et d'Arfin Crédit. Ce pôle bancaire comprenait également la vénérable Smap crédit spécialisée dans le crédit hypothécaire.

Mais l'incursion d'Ethias dans la banque tournera court en 2006. Et Ethias liquidera un tiers du personnel de sa branche bancaire qui était, à l'époque, dans le rouge. Et ce qui subsiste encore aujourd'hui d'Ethias banque devra être intégralement revendu. Ainsi en a statué la Commission européenne lorsqu'elle a donné, en juin 2010, son aval au plan de sauvetage d'Ethias.

La preuve évidente que l'on ne peut, du jour au lendemain, concurrencer le secteur privé alors qu'on est spécialisé sur le segment Vie collective des assurances. La leçon aurait dû porter. Mais il n'est pas si facile de renoncer à ses rêves. Pour se positionner sur le créneau des assurances-vie, Ethias va mettre en œuvre un produit phare : le Compte First qui est rapidement devenu la vache à lait du groupe. Si le Compte First a connu un tel succès au cours des dernières années, c'est parce que, ô lapalissade, il était mieux rémunéré que ce que proposait la concurrence.

Et s'il était plus intéressant de placer ses économies sur un Compte First, c'est parce que, pour alimenter ce

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dernier, Ethias n'a pas joué le jeu classique de l'assurance. Citons un courtier en assurances interrogé en 2008 par le journal L'Echo : « contrairement à d'autres compagnies d'assurance, les produits chez Ethias ne sont pas gérés dans des fonds dits cantonnés, c'est-à-dire en vase clos (….). Les primes des Comptes First, des produits très défensifs, se retrouvent donc dans le même fonds que les primes de First Epargne Pension, des produits de long terme davantage pondérés en actions »4 .

Explication : l'épargne-pension, c'est, en règle générale, un placement de long terme. Donc, les banquiers prennent davantage de risques dans sa gestion. La durée de vie d'une épargne-pension porte sur le long terme car on ne touche, en général, le capital de son assurance-pension qu'au moment où l'on quitte la vie active après des décennies de cotisation.

Donc, statistiquement, il est raisonnable de parier sur le fait que les bonnes années sur les marchés

boursiers l'emporteront sur les mauvaises. Il n'en va pas de même pour un produit d'assurance-vie comme le Compte First. Petit détail : il était possible à un client d'Ethias de se retirer du Compte First à tout moment. Dans ces conditions, la prise de risques est évidemment moins recommandée.

Et pourtant, c'est cette stratégie qu'Ethias a poursuivie dans la gestion du Compte First. Le rendement du Compte First assurance-vie était plus élevé que ce que la concurrence proposait, vu la pratique du non- cantonnement. Mais Ethias ne pouvait recourir à cette pratique qu'en ne rognant pas sur le rendement de ses comptes épargne-pension. D'où un recours plus important chez Ethias à des produits risqués mais présentant la perspective d'un taux intérêt plus élevé.

Cette prise de risque en période de mauvaises performances des places boursières, conjuguée à la possibilité laissée aux clients de retirer leur argent à tout moment, a bien failli emporter Ethias. La compagnie d'assurances n'avait d'autre choix que de renforcer ses fonds propres. C'est, en tout cas, le message que la Commission Bancaire, Financière et des Assurances (CBFA) lui avait transmis. Mais vu les moins-values enregistrées, qui pouvait bien prêter de l'argent à Ethias…sinon les pouvoirs publics ? C'est ainsi qu'en octobre 2008, les entités fédérées et le fédéral se sont alliés pour procéder à la

recapitalisation d'Ethias. Les Régions flamande et wallonne ainsi que l'Etat fédéral décidaient d'accorder une augmentation de 1.5 milliard d'euros à l'assureur liégeois. Chacune des parties en était, en fin de compte, quitte pour 500 millions d'euros.

Placements à risques et secteur des assurances

Au sein des avoirs d'un assureur, tous les actifs ne comportent pas le même degré de risque. Les actions sont plus fluctuantes (donc plus risquées) que les obligations.

Ces dernières présentent, en effet, la caractéristique de comporter un taux d'intérêt fixe et donc d'être plus prévisibles. En outre, à l'intérieur des obligations, on distinguera les obligations d'Etat des obligations émises par des sociétés privées.

Dans le cas précis d'Ethias, on retrouve davantage que dans les autres compagnies d'assurance du pays des actions (notamment des actions Dexia) et des obligations du secteur privé. Et c'est dans ces postes que des moins-values sont apparues.

Selon des sources financières, le portefeuille d'Ethias était composé à 60% d’obligations du secteur financier (parmi lesquelles Lehman Brothers en faillite)5 . Ou encore d’actions : un facteur qui permet d'expliquer les difficultés d'Ethias réside dans sa participation au capital de Dexia. Ainsi, au moment du sauvetage de Dexia, le 9 octobre 2008, Ethias avait dû mettre la main à la poche pour sauver la banque des communes.

A la mi-novembre 2008, Steve Stevaert restait président du Conseil d'administration d'Ethias tandis que

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Bernard Thiry, ex-président du comité de gestion du Forem, avait succédé à Guy Burton au poste de directeur général d'Ethias. Le nouveau duo dirigeant envisageait de réviser les conditions du Compte First afin de le rendre « plus conforme aux conditions du marché. Dans l’intérêt du groupe, nous allons mettre en place un nouveau produit plus équilibré, plus en phase avec le marché »6 .

Il était, à l'époque, prévu que le Compte First new look d'Ethias comprendrait des frais de gestion et de sortie supplémentaires. Les clients désireux de retirer leur argent avant l'échéance du contrat se verraient infliger des pénalités. « Il s'agit d'une mesure de précaution visant à nous protéger d'un mouvement de panique tel que nous l'avons connu récemment » indiquait, dès sa prise de fonction, le nouveau directeur général d'Ethias7 . Las, la Commission européenne ne l'entendait pas de cette oreille. Certes, la

Commission européenne autorisait, en juin 2010, la recapitalisation de l'assureur liégeois. Mais elle imposait, au passage, un certain nombre de conditions pour que l'opération de sauvetage soit dûment validée.

A commencer par un abandon de l'activité d’assurance-vie des particuliers d'Ethias (donc exit Top First).

Les autres conditions comprenaient la vente d'un certain nombre de filiales (Ethias Banque, BelRé active dans la réassurance, et les assurances Nateus). Le portefeuille d'investissement de Dexia, selon les termes de l'avis positif émis par la Commission européenne, devait être réorienté vers des actifs moins risqués. A cet égard, dans sa communication, la Commission européenne relatait que Joaquín Almunia, vice-

président de la Commission chargé de la concurrence, avait déclaré à ce sujet : « Ethias a mis au point un plan de restructuration de grande envergure, notamment en modifiant la gouvernance d'entreprise, afin de veiller à ne pas répéter les erreurs du passé »8 .

Au terme de l'accord passé entre l'Etat belge et la Commission, Ethias devra continuer à réduire son bilan à concurrence de 38% d'ici la fin de 2013 (base de calcul : le bilan de la fin de l'année 2008). Quid de la participation d'Ethias dans Dexia ? Il se pourrait qu'à l'avenir, Ethias soit amenée à revoir à la baisse sa participation dans Dexia. La Commission estime que cette dernière pèse d'un poids trop important dans le portefeuille del'assureur liégeois. De manière générale, les actions représentent 9% des actifs de Dexia contre 6% en moyenne dans le secteur9 .

Nous écrivions, par ailleurs, en 2009 qu'Ethias s'apprêtait à changer substantiellement son mode de gouvernance10 . Jusqu'à ce fatidique mois d'octobre 2008, Ethias était une association d'assurances mutuelles. Les clients d'Ethias, en versant des cotisations, constituaient un fonds leur permettant de s'assurer les uns les autres, selon un procédé, somme toute classique, de mutualisation. « N'ayant pas de capital à rémunérer, Ethias rétrocède chaque année à ses assurés, en fonction des résultats enregistrés, plusieurs dizaines de millions d'euros sous forme de ristournes ou de participations bénéficiaires »11 . Ethias procédait, en réalité, du regroupement de trois associations d'assurances distinctes (droit commun, accident de travail et vie). Cette division des instances entraînait, sur le plan organisationnel, la

multiplication des postes d'administrateur.

Avec l'intervention des pouvoirs publics, l'ère de la grande simplification managériale allait pouvoir commencer. Depuis octobre 2008, les deux grandes Régions du pays et le fédéral détiennent chacun 25%

plus une action d'Ethias. Ce qui équivaut pour chaque entité prise séparément à une minorité de blocage.

Aujourd'hui une société faîtière, Ethias Finance, contrôle les activités d'Ethias proprement dite.

L'actionnariat d'Ethias Finance se répartit comme suit : 25% pour la Région wallonne, 25% pour la région flamande, 25% pour l'Etat belge et 24.9% pour Ethias droit commun. Ethias est l'association d’assurance mutuelle, vestige de l'ancienne structure mutualiste.

Sur un plan strictement économique, les nouvelles ne sont pas bonnes pour Ethias. Ethias prévoirait des

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pertes jusqu'en 2013. Cette information aurait été présentée au personnel par Bernard Thiry, nouveau président du comité de direction d'Ethias, le 16 janvier 2009. « Si l'importante participation d'Ethias dans Dexia explique une partie de ses malheurs, la compagnie reconnaît aujourd'hui avoir mené, par le passé, une politique d'investissement assez ‘agressive’, qui a contribué à augmenter encore ‘notre

exposition’ »12 . Le document interne « n'aborde pas la question, mais Ethias a ainsi pris pas mal de risques dans la gestion des actifs du Compte First 'classique', puisqu'elle a placé 16.58% des sommes en actions. Ce qui est vraiment beaucoup pour un produit à revenu garanti »13 .

KBC

Le bancassureur KBC a aussi bénéficié, fin octobre 2008, d'une aide du gouvernement. Coût des opérations : 3.5 milliards d'euros. La communication de KBC, à l'époque, était un chef d'œuvre de surréalisme. Selon ses dirigeants, KBC ne connaissait pas de problème de liquidité. Et si elle tendait la sébile au gouvernement, c'était exclusivement pour des impératifs techniques. Et, dans la presse spécialisée14 , les dirigeants de KBC se voulaient rassurants à propos de la baisse du titre en Bourse, laissant poindre comme un zeste d'arrogance: « Ce recul du titre n'a pas d'explication spécifique. Il est lié au malaise général. Il n'y a donc pas de lien entre la valeur sous-jacente de la société KBC et son cours ».

Une banque, avec 41% de capital flottant, annonçait, urbi et orbi, que les soubresauts de la Bourse ne la concernaient en rien. Amusant …

Plus sérieusement, les dirigeants de KBC évoquaient, à la même époque, la possibilité de pouvoir bénéficier de la garantie d'Etat sur les dépôts. Et fin octobre 2008, les journaux du pays laissaient filtrer que la KBC serait recapitalisée par le gouvernement. Ici, l'affaire devient limpide. Le groupe KBC avait besoin d'une injection de capitaux parce qu'il n'avait tout simplement plus les reins assez solides du point de vue de sa solvabilité. Comme Dexia. Comme Fortis. Mêmes causes, mêmes effets. KBC s'était aussi laissé tenter par les sirènes de la haute voltige spéculative et en payait les conséquences. Entre juillet et fin septembre 2008, KBC réalisait une perte nette de 906 millions d'euros. En décomposant les données financières du groupe, on s'apercevait que les réductions de valeur sur investissements du groupe se montaient à 1.4 milliard d'euros au troisième trimestre 2008.

La plus grande partie de ces pertes était imputable au portefeuille de CDO (collateralised debt

obligations15 ) du groupe, responsable de pertes pour 1.1 milliard d'euros. S'y ajoutaient des moins-values de l'ordre de 200 millions d'euros pour le portefeuille d'actions du groupe et de 100 millions faisant suite à la faillite des banques américaines Lehman Brothers et Washington Mutual. Cette perte était des plus inquiétantes pour l'avenir du groupe. Le chiffre d'affaires moyen de KBC entre 2002 et 2007 était de 9.4 milliards d'euros. En clair, au troisième trimestre de l'année 2008, KBC avait perdu un peu plus de 10% de son chiffre d'affaires (moyenne des trois dernières années). Les difficultés de KBC ont amené les pouvoirs publics belges à injecter des fonds en vue d’une recapitalisation. Le portefeuille CDO de KBC allait littéralement plomber le banquier flamand16 dont les pertes s'établissaient, fin 2008, à 4 milliards d'euros.

Par ailleurs, la dégradation des conditions économiques dans les pays d'Europe centrale et orientale (plus ou moins le quart de ses engagements) ne va pas (c'est le moins qu'on puisse dire) aider KBC à retrouver du tonus sur ses métiers de base. D'un point de vue macroéconomique, les monnaies des pays de l'Est vont s'effondrer.

Car, de manière générale, sur les marchés des changes, les emprunteurs en devises fortes des pays dont la monnaie se déprécie font défaut sur une partie de leur dette. Et la banque KBC qui a converti une monnaie à fort pouvoir d'achat (l'euro) pour faire des prêts dans des monnaies faibles ne perçoit, à cause de la dévaluation des monnaies d'Europe centrale, qu'une partie du revenu qu'elle prévoyait.

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