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Année20017–Numéro38 Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notammentlemercredi 8 novembre 2017

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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le mercredi 8 novembre 2017

Année 20017 – Numéro 38

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SOMMAIRE

"Paradise Papers"

Les personnalités et entreprises impliquées…page 2 Europe

"Il est temps d'en finir définitivement avec les paradis fiscaux"… page 5 Afrique / RDC

750 millions de dollars se sont « volatilisés » à la Gécamines, selon le Centre Carter … page 8

Gécamines, où sont passés les millions : les détails du rapport … page 9

Kris Berwouts, observateur de la RDC: “Joseph Kabila est devenu comme un navire sans radar”… page 11

Burundi

Le Président confisque le Tambour… page 15

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"Paradise Papers"

Les personnalités et entreprises impliquées

1

Des célébrités telles que le chanteur Bono ou Lewis Hamilton, mais aussi des multinationales comme Apple ou Nike sont impliquées. Sportif, politiciens ou hommes d'affaires... De nombreuses personnalités et entreprises sont visées par l'enquête des "Paradise Papers".

C'est un séisme. Les "Paradise Papers" révèlent avec force, cette semaine, l'ampleur de l'optimisation fiscale, ces pratiques à la limite de la légalité employées par certains individus ou certaines entreprises afin d'échapper à l'impôt.

Depuis dimanche 5 novembre, la liste des multinationales comme des personnalités visées par cette enquête ne cesse de s'allonger. Petit tour d'horizon des groupes et individus égratignés par ces premières révélations.

Des personnalités symboliques

La reine d'Angleterre

Elisabeth II a déposé, via le portefeuille d'investissement du duché de Lancaster, 10 millions de livres (11,3 millions d'euros) dans un fonds situé aux îles Caïman et aux Bermudes.

Deux territoires d'outre-mer du Royaume-Uni bien connus pour leur fiscalité avantageuse.

Le pilote de F1, Lewis Hamilton

Le Britannique, quadruple champion du monde de Formule 1 aurait utilisé une société- écran sur l'île de Man pour économiser la TVA lors de l'achat d'un nouveau jet privé.

Bono, chanteur de U2

Le rockeur irlandais serait actionnaire d'une entreprise maltaise qui aurait elle même investi dans un centre commercial en Lituanie. Un investissement qui aurait été permis grâce à une holding lituanienne accusée d'avoir recouru à des techniques d'optimisation fiscale illégales.

Wilbur Ross, secrétaire américain au Commerce

Ce proche de Donald Trump possède 31% des parts de Navigator Holdings. Cette société de transport maritime fait des affaires avec le géant russe du gaz et du pétrole, Sibur, contrôlé par des proches de Poutine.

"Elle lui permet notamment de gagner plusieurs millions de dollars chaque année et vient directement concurrencer des entreprises de transport américaines, ce qui place Wilbur Ross en situation de possible conflit d’intérêts", souligne "le Monde".

1Sources : »Le Nouvel Obs’ », ‘Le Monde », 08-11-17

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Stephen Bronfman, proche de Justin Trudeau

L'ex trésorier de la campagne de Justin Trudeau, à la tête de l'ex-société de vins et spiritueux Seagram, a placé 60 millions de dollars américains (52 millions d'euros) dans une société offshore aux Iles Caïmans. Son parrain, Leo Kolber a également participé à cet investissement.

Le cinéaste, Jean-Jacques Annaud

Le réalisateur de "Sept ans au Tibet" aurait caché au fisc pendant 20 ans une partie de son argent en utilisant une structure offshore aux îles Caïmans, puis à Hongkong. Il assure avoir régularisé sa situation depuis le 12 octobre.

La chanteuse pop, Shakira

La chanteuse colombienne vit à Barcelone mais reste domiciliée aux Bahamas... Elle aurait également pris soin de transférer à Malte et au Luxembourg ses droits d'auteur, soit quelque 31,6 millions d'euros.

Le prince Charles

Tel mère, tel fils ? Le duché de Cornouailles, qui gère les fonds privés du Prince Charles, a investi plusieurs millions de livres dans des fonds et sociétés offshore aux Bermudes.

Xaviel Niel

L'entrepreneur, principal actionnaire de Free, (et co-actionnaire du groupe Le Monde dont L'Obs fait partie) détient un yacht -le "Phocéa qui a appartenu un temps à Bernard Tapie- par l'intermédiaire d'une société créée à Malte.

D’après les "Paradise Papers" : Xavier Niel possède un yacht immatriculé à Malte Bernard Arnault

Le patron de LVMH, l'homme le plus riche de France, aurait placé une partie de son patrimoine dans six paradis fiscaux différents.

Des sociétés mastodontes

Nike et Uber

L'équipementier sportif est accusé d'avoir créé des sociétés offshore aux Bermudes, auxquelles ses filiales ont versé des centaines de millions d'euros pour utiliser les droits sur la marque. Une combine qui lui aurait permis de passer de 24% à 16% d'imposition mondiale en trois ans. La société de VTC Uber, ou encore le fabricant du Botox, le groupe Allergan, auraient eu recours à des montages semblables.

Apple

De son côté, le géant de la tech aurait utilisé le paradis fiscal britannique de Jersey pour continuer à ne pas payer d'impôts, ou très peu, après avoir dû mettre fin à des pratiques similaires en Irlande.

Le groupe aurait ainsi "accumulé plus de 128 milliards de dollars de profits offshore [...]

qui ne sont pas imposés aux Etats-Unis et à peine dans d'autres pays".

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Dassault Aviation

Le groupe français aurait pris part à un vaste système de fraude à la TVA sur les jets privés, mis en place par les cabinets Appleby et Ernst & Young, sur l'île de Man, la petite île britannique bien connue pour son régime fiscal alléchant.

"En enregistrant leurs jets privés sur l’île de Man, riches oligarques internationaux, sportifs et hommes d’affaires échappent en toute insouciance à la taxe sur la consommation de 20%", explique "Le Monde".

Whirlpool

Pour optimiser ses bénéfices, la multinationale américaine aurait multiplié les délocalisations et les flux financiers complexes. Elle dispose ainsi de trois filiales implantées aux Bermudes.

Total

Le groupe ne paierait pas d'impôts sur une partie de ses sociétés. L'enquête cite à titre d'exemple les activités non extractives implantées aux Emirats arabes unis. Ces bénéfices seraient alors acheminés vers une filiale de Total aux Bermudes, avant d'arriver en France.

Le groupe Louis-Dreyfus

Le groupe aurait monté une structure jusqu'ici secrète, une filiale aux îles Caïman où le taux d'imposition sur les sociétés est de 0%, contre 23% dans l'Union européenne.

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Europe

"Il est temps d'en finir définitivement avec les paradis fiscaux"

Kristof Clerix se demande si la fin de l'économie clandestine offshore est enfin en vue. Il y a trois ans, le Consortium international pour le journalisme d'investigation (ICIJ) sortait les

LuxLeaks. Les révélations sur les accords fiscaux secrets conclus par le fisc luxembourgeois avec plus de 300 multinationales dans le

monde ont été la première grande enquête ICIJ à laquelle j'ai pu participer.

28 000 documents dévoilent les constructions destinées dans certains cas à faciliter l'évasion fiscale. Le tout, facilité par des conseillers en costume. Les données révèlent aussi 37 rulings autorisés secrètement par le Luxembourg à 26 familles parmi les plus riches du pays et aux plus grandes entreprises de notre pays. Au Luxembourg, ils ne paient que quelques pour cent d'impôts.

Un peu plus tard, c'est SwissLeaks qui suit: plus de 100 000 clients de la HSBC Private Bank à Genève ont déposé plus de 100 milliards de dollars sur des comptes suisses secrets.

Parmi eux, plus de 3000 clients belges qui ont placé 6 milliards de dollars en Suisse. Notaires, avocats, juristes, professeurs, médecins, brasseurs, diamantaires, hommes d'affaires... ils figurent tous sur la liste.

Ensuite, nous avons publié les Panama Papers en 2016, basés sur une fuite de 11,5 millions de documents du bureau d'avocats panaméen Mossack Fonseca. Ils dévoilent les secrets derrière plus de 200 000 offshores dans des paradis fiscaux notoires tels que les Îles Vierges britanniques, le Panama et les Seychelles. Non seulement, les offshores ne paient presque pas d'impôts, ils offrent aussi l'anonymat à tous ceux qui veulent cacher leurs revenus.

Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils soient aussi en vogue auprès des politiques corrompus, maffieux et autres figures sombres.

Nous avons trouvé plus de 700 Belges dans les fuites et avons révélé qu'une ancienne filiale de Dexia avait contribué à fonder plus de 1600 offshores.

Et à présent il y a les Paradise Papers. Les documents révélés se sont retrouvés aux mains du journal allemand Süddeutsche Zeitung qui les a partagés avec l'ICIJ et plus de 380 journalistes dans 67 pays.

En Belgique, j'ai - avec mes confrères apprécies des quotidiens De Tijd et Le Soir - étudié toutes les traces possibles de personnes et d'entreprises dans notre pays. Finalement, nous avons abouti à une liste de 500 noms belges que nous avons examinés plus en profondeur. Les prochains jours, nous publierons les histoires belges d'intérêt public les plus marquantes.

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"C'est très bien, ces révélations, mais finalement il n'y a rien qui change", me dit-on parfois. Mais je ne suis pas d'accord.

Ne soyons pas cyniques. En quelque temps, on a changé beaucoup de choses. Le projet Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) de l'OCDE, le club de pays riches est la plateforme internationale principale pour atteindre une fiscalité plus honnête. Suite aux révélations successives, le BEPS a bénéficié d'un fameux coup de pouce. Mais il n'y a pas que cela.

Après LuxLeaks, les états membres européens conviennent de se tenir automatiquement au courant d'accords fiscaux avec des multinationales individuelles. Le Parlement européen a fondé une commission (TAXE) pour étudier les informations de LuxLeaks. En mai 2017, les informations LuxLeaks à propos d'Accent Jobs for People ont mené à une perquisition au bureau d'audit PwC au Luxembourg à la demande de la Justice belge qui enquête sur la construction fiscale montée par le groupe d'agences intérimaires au Luxembourg.

Pour ce qui est de Swissleaks, la Belgique a ouvert une information sur les activités de la Banque HSBC. Cette enquête est toujours en cours.

Les Panama Papers, récompensés par le Prix Pulitzer, ont entraîné le licenciement du Premier ministre islandais Sigmundur Davíð Gunnlaugsson et du Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif. Après les publications, la police, le parquet, les cellules anti-blanchiment et les autorités fiscales ont lancé 150 enquêtes dans 79 pays.

En Belgique, l'Inspection spéciale des impôts (ISI) a ouvert 242 dossiers suite aux Panama Papers. Lors du dernier décompte, il y en avait 158 en traitement, 69 ont été clôturés sans suite et 15 dossiers ont rapporté 8 millions d'euros d'impôts supplémentaires, y compris les montants des amendes. La cellule anti-blanchiment a ouvert 97 enquêtes et a contacté la financial intelligence unit panaméenne. Plusieurs parquets ont également ouvert des enquêtes, mais ils ne souhaitent malheureusement pas communiquer en détail.

Finalement, le Parlement européen et la Chambre belge ont fondé une Commission d'enquête à l'occasion des Panama Papers. Le mois dernier, les deux commissions ont publié leurs constatations et recommandations.

Ces travaux ne peuvent être mis dans un tiroir. Le Gouvernement et le Parlement doivent faire quelque chose de ces recommandations. Miser enfin sur une meilleure protection des lanceurs d'alerte. Mener un débat sur la fiscalité au niveau européen, pour éviter que la situation se dégrade encore davantage. Aujourd'hui, les états membres sont toujours montés les uns contre les autres par les multinationales.

Et ne pas oublier de soutenir le journalisme d'investigation et de continuer à défendre la liberté de la presse, car parfois les médias réussissent à jouer leur rôle de Quatrième Pouvoir.

C'est ce que démontrent les fuites successives.

En Belgique, nous avons la chance de pouvoir travailler de manière relativement insouciante à ces révélations alors que beaucoup de collègues courent de très gros risques. À Malte, un État membre de l'UE, Daphne Caruana Galizia a été assassinée il y a trois semaines.

Elle écrivait notamment sur les Panama Papers. Certains détenteurs de pouvoir ne supportaient pas sa plume affûtée. Les derniers mots de son blog étaient "There are crooks everywhere you look. The situation is desperate2". Quelques minutes plus tard, une bombe sous sa voiture a mis

2Il y a des escrocs partout où vous regardez. La situation est désespérée

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fin à sa vie. Les crooks (escrocs) dont parlait Caruana Galizia sont précisément le genre de clientèle servi dans les paradis fiscaux. À l'aide de cols blancs en costume et à mallette.

Il est temps de mettre définitivement à ce monde de l'ombre. Les Paradise Papers sont notre contribution à cette lutte.

*

Il a bien raison, ce brave journaliste, de dire que son travail

« n’est pas inutile ». Car ce travail n’est pas inutile : il est dérisoire.

D’abord du simple fait que la référence de toutes poursuites éventuelles n’est pas la morale, mais la loi. La question n’est pas de savoir si ceux qui se réfugient dans des paradis fiscaux ont la conscience tranquille, mais bien de savoir s’ils ont violé une quelconque loi. Et la réponse classique comme dans les cas moins exotiques de Publifin ou du SAMU social c’est « Moralement, ce nest pas bien beau, mais il ny a là rien dillégal ». A quoi d’autre s’attendait-on, puisque les mécanismes de blanchiment d’argent sale, d’évasion fiscale et d’impunité qui caractérisent ces « paradis » sont élaborés par toute une armée de juristes mercenaires ?

Invariablement, on ouvre des dossiers qui se comptent par centaines. Mais l’on ne poursuit effectivement que quelques dizaines de contrevenants. Quant aux redressements effectifs, longuement négociés, il y en aura moins de dix. Quant au châtiment des coupables, si par chance on parvient à travers le maquis de la prescription, des appels et des artifices de procédure, à quelque condamnation, elle sera évidemment assortie du sursis, car ces honorables hommes d’affaires sont bien sûr des « délinquants primaires ».

Ils ne tâteront donc rien de la « paille humide des cachots », pas même à la détention préventive puisque, bien sûr, contrairement aux petits voleurs, on ne saurait soupçonner ces « gens de bien(s) »de vouloir :

- se soustraire à la Justice (alors que c’est précisément dans ce but qu’ils recourent aux paradis off-shore) ;

- poursuivre leur activité criminelle (ils ne le font que pour créer de l’emploi) ;

- menacer ou influencer les témoins (ils les achètent ou les suppriment simplement).

Il en sera ainsi tant que le capitalisme lui-même ne sera pas reconnu comme un crime.

Toutefois, il est exact qu’en Europe nous sommes dans une certaine mesure protégés contre la perception directe du crime et de ses conséquences. Celles-ci sont, par contre, nettement perceptibles en Afrique, tant chez les opérateurs économiques criminels que de la part de leurs principaux complices parmi les Chefs d’Etats africains.

C’est ce que nous allons voir sans plus attendre…

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Afrique / RDC

Dan Gertler, sur fond de paysage minier

750 millions de dollars se sont « volatilisés » à la Gécamines, selon le Centre Carter

Jeune Afrique - le 03 novembre 2017

Selon un rapport dévoilé ce vendredi, la société congolaise d'exploitation du cuivre et du cobalt agirait en véritable « État parallèle » en RDC, négociant les permis avec les autres miniers et opérant sans aucune supervision des institutions d'État.

Le Centre Carter, ONG créée en 1982 par l’ancien président américain Jimmy Carter, a rendu publique ce vendredi la première partie d’un rapport sur les pratiques contractuelles et financières de la Gécamines, la société d’État qui exploite cuivre et cobalt en RDC. « Alors le code minier de 2002 avait pour objectif de casser le monopole de la Gécamines, celle-ci est au contraire devenue le véritable gardien des ressources minières de la RDC », estiment les auteurs de « La privatisation des concessions de cuivre du Congo : une affaire d’État ».

En effet, la Gécamines ayant été autorisée à conserver ses meilleurs permis, « la plupart des investisseurs ont préféré négocier avec la société d’État pour bénéficier de ces ressources, plutôt que se lancer dans un processus d’exploration plus incertain », poursuit le Centre Carter.

Selon les contrats que les enquêteurs ont pu étudier, les joint-ventures ainsi noués ont permis à la Gécamines de générer en moyenne 262 millions de dollars (225 millions d’euros) par an entre 2009 et 2014, soit 1,5 milliards de dollars. Une manne dont seulement 5 % a été reversée au Trésor national sous forme de taxes et d’avances sur dividendes.

Des fonds transférés au groupe de Dan Gertler

Le rapport fait également état de sommes « disparues », pour un montant de 750 millions de dollars sur la période 2011-2014, « dont une partie a été transférée vers une des plus proches relations d’affaires du président, le Groupe Fleurette, de Dan Gertler, en remboursement d’un prêt. L’opacité de la gestion financière de la Gécamines, ainsi que la faiblesse de sa production officielle, alimentent la spéculation sur la possibilité d’un détournement des revenus de l’entreprise au profit d’un petit nombre d’acteurs politiques ». Ce chiffre concorde avec celui avancé en juillet par l’ONG Global Witness, dont l’étude portait sur la période 2013-2015.

Outre ces question financières, le Centre Carter dénonce aussi le jeu trouble de la société, qui a officiellement perdu son statut d’entreprise publique, « mais se sert de son caractère quasi- public pour obtenir des privilèges que ne peuvent avoir les sociétés privées ». la Gécamines peut ainsi transformer ses permis de recherche en licences d’exploitation, sans remplir les prérequis financiers, techniques et environnementaux exigés par la loi, « ce qui lui a permis

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d’amasser près de deux fois plus de permis que ce que prévoit le code minier » La Gécamines, en tant qu’entreprise publique, peut percevoir des aides émanant d’institutions financières internationales officiellement destinées aux « gouvernements africains ». En revanche, « elle invoque son statut d’entreprise privée pour échapper à la supervision du gouvernement et parer aux questions quant-à ses pratiques contractuelles, ses revenus et ses dépenses », notent les auteurs, qui recommandent une plus grande transparence et une application plus stricte du code minier.

Jeune Afrique a essayé sans succès de joindre le président du conseil d’administration de la Gécamines, Albert Yuma Mulimbi, pour l’interroger sur ce rapport. De même, notre courrier électronique adressé au service communication de l’entreprise est resté lettre morte à l’heure où nous publions cet article.

Gécamines, où sont passés les millions : les détails du rapport

Marie-France Cros - La Libre - le 3 novembre 2017

Le Centre Carter a publié ce 3 novembre la première partie d’un rapport sur la Gécamines, société minière publique congolaise, et sur ses principaux partenariats (https://afrique.lalibre.be/10520/ou-sont-passes-les-millions-de-la-gecamines/), qui cherche à établir ce qu’il est advenu de l’argent engrangé par l’entreprise. Le rapport raconte l’histoire de la Gécamines, société publique sous Mobutu devenue entreprise commerciale appartenant à l’Etat sous Joseph Kabila. Sur pression de la Banque mondiale, un Code minier est adopté en 2002, dans le but de mettre fin à la fois au monopole de l’Etat congolais sur les ressources minières et aux pratiques de vente à bas prix à des chevaliers d’industrie prêts à aider des politiciens en poste au Congo, pratiques inaugurées sous Mobutu et qui ont surtout fleuri sous le règne de Laurent Kabila (1997-2001).

La Gécamines contrôle les meilleurs permis

Profitant d’une disposition spécifique du Code minier, la majorité des entrepreneurs privés ont cependant préféré acheter à la Gécamines des concessions aux ressources avérées plutôt que d’acquérir auprès de l’Etat congolais des permis d’exploration aux résultats incertains. Comme elle contrôle les « meilleurs permis », l’entreprise publique s’est ainsi retrouvée dans la position de gardien des « actifs miniers les plus désirables du Congo », rôle légalement dévolu au Cadastre minier, indique le rapport.

Or, souligne le Centre Carter, la Gécamines joue sur le fait qu’elle est devenue une société commerciale pour ne plus rendre compte au parlement. Mais, en même temps, elle bénéficie de privilèges de société publique. Par exemple, indique le rapport, elle a pu transformer ses permis d’exploration en licences d’exploitation sans remplir les prérequis en matières financière, technique et environnementale exigés par la loi – ce qui lui a donné accès à 96 permis d’exploitation au lieu du maximum de 50 autorisé par le Code minier. En outre, elle a reçu une aide légale gratuite normalement réservées aux « gouvernements africains » de la part d’institutions financières internationales. Enfin, le président Joseph Kabila a signé « de multiples lois protégeant la Gécamines de la faillite », lois inaccessibles aux sociétés commerciales privées.

Deux tiers de ces revenus sont intraçables

Selon le rapport, la Gécamines a utilisé cette position privilégiée pour générer 1,1 milliard de dollars de contrats portant sur le cuivre et sur le cobalt entre 2011 et 2014. « Près des deux tiers de ces revenus – ou 750 millions de dollars – ne peuvent être tracés jusqu’à ses comptes en banque de manière fiable », indique le Centre Carter. Celui-ci a retrouvé la trace de certains de ces fonds, « détournés vers l’une des plus proches connexions d’affaires du Président, le

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groupe Fleurette de Gertler, pour rembourser un prêt. Mais le gros des revenus manquants n’a pas pu être retrouvé »

Et le rapport – qui souligne les « anomalies » existant dans les livres de comptes de la société congolaise – d’ajouter: « L’opacité continue des dépenses de la Gécamines, couplée à sa maigre production, a nourri des supputations selon lesquelles ses revenus ont été siphonnés pour bénéficier à un petit nombre d’acteurs politiques clés. Dans ce sens, la Gécamines n’agit plus comme un Etat dans l’Etat », comme c’était le cas sous Mobutu, quand elle fournissait à ses travailleurs logement, nourriture, soins de santé et écoles, mais plutôt comme « un Etat parallèle, opérant au-delà de la portée des institutions régulières et de la surveillance de l’Etat, capable d’accorder des actifs miniers, de collecter un revenu significatif et de déterminer comment canaliser ces fonds ».

Participations et droits de passage

La Gécamines possède par ailleurs des participations minoritaires dans une vingtaine de partenariats. Bien que le patron de la Gécamines, Albert Yuma – très proche du président Joseph Kabila – ait assuré en 2015 que les partenariats avaient rapporté « absolument rien » à l’entreprise congolaise, celle-ci, indique le Centre Carter, en a généré des revenus qui ont atteint

« en moyenne 262 millions de dollars par an en royalties, bonus et autres frais contractuels entre 2009 et 2014 ». Mais « seuls 5% de ces revenus ont pris le chemin du Trésor public ». Et de s’inquiéter de nouvelles ventes possibles dans les prochains mois, alors que la RDC est susceptible d’entrer en campagne électorale et que ses dirigeants vont avoir besoin d’argent.

De plus, la Gécamines a évoqué à cinq reprises au moins un « droit de préemption » sur la revente des actifs d’un partenaire à une troisième partie. Normalement, ce droit permet à un des partenaires de racheter la part de l’autre au prix proposé par la tierce partie. Mais la Gécamines est incapable de racheter elle-même; elle a alors bloqué la conclusion de ces contrats si on ne lui payait pas une somme substantielle. De facto, elle a transformé ce « droit de préemption » en droit de passage prélevé sur le nouveau contrat. Les paiements réclamés dans ce cadre par la Gécamines ont atteint jusqu’à 130 millions de dollars, indique le Centre Carter.

Ce droit de passage n’est cependant pas appliqué à des sociétés liées à Dan Gertler, proche ami du président Joseph Kabila.

Enfin, la Gécamines revend ses propres participations minoritaires dans des partenariats;

elle a tenté au moins une opération de ce type chaque année depuis 2010, indique le rapport.

Aucune relance de la Gécamines

La Gécamines a assuré que ces revenus devaient lui permettre de relancer sa production minière, note le Centre Carter, mais « en pratique, ils semblent avoir été utilisés principalement pour d’autres objectifs ». Ainsi, si la production minière totale du Congo a été multipliée « par 50 entre 2004 et 2014, la production de la Gécamines a stagné aux niveaux de 2004 après une hausse brève et artificielle en 2012 et 2013 »; la société congolaise avait en effet présenté comme siennes des productions réalisées par d’autres entreprises, indique le rapport. Et si le patron de la Gécamines, Albert Yuma, a annoncé en 2014 une production de « 50.000 tonnes » de cuivre avant la fin 2015 (après avoir annoncé en 2012 « 100.000 tonnes » pour cette date), la production n’a pas dépassé 17.827 tonnes en 2015 et a encore baissé en 2016. Cette année- là, il a promis « 50.000 tonnes » pour 2017, mais les informations de La Libre Afrique indiquent que la Gécamines n’en prend pas le chemin.

La Gécamines n’a pas non plus utilisé ces revenus pour payer les salaires de ses travailleurs, qui se plaignent d’arriérés.

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Kinshasa, vu du fleuve Congo

Kris Berwouts

3

, observateur de la RDC: “Joseph Kabila est devenu comme un navire sans radar”

© CongoForum - Denis Bouwen, 22.10.17

Kris Berwouts, un observateur privilégié de la RDC, vient de présenter son livre ‘Congo’s Violent Peace’. Dans cette œuvre il parle des différentes couches de conflit dans la société congolaise, de la culture d’impunité et de violence, du processus de démocratisation qui a perdu beaucoup de crédit, du glissement éternel des nouvelles élections et des perspectives pour le pays. “Le président Kabila est devenu comme un navire sans radar”, déclare l’auteur dans un entretien exclusif avec la rédaction de CongoForum.

Monsieur Berwouts, l’ancien dictateur Mobutu avait perfectionné la kleptocratie. Mais l’actuel président Joseph Kabila a, lui aussi, de grands ‘acquis’ dans ce domaine. En septembre 2017, le ministre belge Alexander De Croo (Coopération au Développement) décrivait le Congo comme “un système d’auto-enrichissement”. Vous pouvez nous donner vos commentaires à ce sujet?

Kris Berwouts: “Vos remarques sont bien pertinentes. Dans les années ’70 il a fallu inventer le mot kleptocratie pour décrire la très mauvaise gouvernance au Zaïre. Plus tard il y avait l’auto-cannibalisation de l’état: un état qui se cannibalisait parce que les mandataires utilisaient leur mandat pour leur auto-enrichissement et pour enrichir leur familles et leur clans.

Vingt ans après, Joseph Kabila se trouve devant une opinion publique très hostile. Beaucoup de gens sont frustrés et en colère parce que leur quotidien ne s’est pas amélioré, malgré toutes les belles déclarations et promesses. Ils n’arrivent guère à nourrir eux-mêmes et leurs ménages. Le chômage est un vrai fléau, pas seulement pour les non-scolarisés mais aussi pour les jeunes diplômés. On trouve difficilement des maisons confortables, et celles qui existent sont impayables. Les soins de santé de qualité et un enseignement décent, cela existe juste pour les nantis. Le manque d’un régulier approvisionnement de courant et d’eau est une autre source d’amertume et de mécontentement.”

“Tous les interlocuteurs pour nos recherches sur la colère dans les cités populaires nous ont dit que leur pauvreté s’expliquait par le comportement du régime en place. Pour eux, les acquis du processus de démocratisation n’existent en rien, et depuis la mort de Mobutu au fond rien n’a changé. C’est en premier lieu dû à la façon dont le pays est géré. C’est un problème de gouvernance. Quand on ne sait pas changer ça pendant 16 ans, les citoyens pensent que vous ne savez pas changer la situation ou que vous ne le voulez pas. Pourquoi croiraient-ils que vous saurez changer quoi que ce soit dans la 17ième année de votre régne?”

3Pendant 25 ans, Kris Berwouts a travaillé pour des ONG belges et internationales. De nos jours on le connaît comme un observateur solide de la RDC et de l’Afrique Centrale. Depuis 2012, comme expert indépendant, il travaille entre autres pour les autorités anglaises et françaises, l’ONU et Amnesty International.

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Un état démantelé

Pendant de longues années la RDC était déchirée par des ‘guerres africaines’ avec la participation de pas mal de pays voisins. Cela résultait dans une “culture de violence” et dans

“la chosification de la femme". Vous pouvez éclairer ces deux termes?

Kris Berwouts: “L’Afrique Centrale que l’on connaît de nos jours est le résultat de dynamiques régionales complexes, avec des conflits locaux et nationaux qui dépassent les frontières des états. Chaque pays dans cette region a une situation interne qui est compliquée et une histoire récente qui est violente; des contradictions locales se sont polarisées et se sont mélangées avec celles des pays voisins. L’état a été presque entièrement démantelé à cause de l’instabilité politique, sociale et économique. Ce démantelement inclut les institutions politiques, le système de justice et les structures administratives. Les infrastructures socio- économiques ont été fortement endommagées; dans le cas du Congo elles ont été complètement anéanties.”

“Après la fin de la Guerre Froide et dans les années ’90, ces dynamiques régionales ont mené à un tsunami de morts et de destruction, avec la crise au Burundi après l’assassinat du nouveau président Melchior Ndadaye (1993), le génocide au Rwanda (1994) et les deux guerres au Zaïre / en RDC comme événéments les plus marquants. Notamment à l’est du Congo, au Kivu, on a vu le champ de bataille de ce qu’on a commencé à appeler ‘la Première Guerre Mondiale Africaine’. A un certain moment l’état de droit a totalement disparu au Kivu, et l’impunité est devenue la norme. La violence sexuelle a été utilisée comme arme de guerre et tout ça a fait que le corps féminin devenait pas plus qu’un bien de consommation.”

On ne contredit plus Kabila

En 2001, Joseph Kabila a succédé à son père assassiné. On le considérait comme un personnage de transition. Mais dans les faits, le fils Kabila domine depuis 16 ans la politique et la société en RDC, il s’est avéré quelqu’un qui sait survivre.

Kris Berwouts: “En 2001, Joseph Kabila était jeune, peu connu et sans expérience. Il est devenu le chef de l’état parce que l’entourage de son père était incapable de se rassembler autour de quelqu’un d’autre. Le jeune Kabila faisait le pont. Mais très vite, il a évolué dans son rôle.

Après quelques mois de sa présidence, il a réussi à se défaire des ‘faucons’ de l’entourage de son père et à remettre le processus de paix sur les rails. De cette manière, il a obtenu pas mal de crédit de la communauté internationale, qui a applaudi sa victoire aux élections de 2006. Grâce à ces élections, Joseph Kabila est devenu le premier dirigeant légitime du Congo depuis longtemps. Cela a augmenté sa confiance en soi. Malheureuseusement pour lui, il a perdu ses proches l’un après l’autre. Toute collectivité a disparu dans sa façon de prendre des décisions.

Il n’y a plus personne qui ose contredire Kabila. Ce qui explique pourquoi il est devenu comme

‘un navire sans radar’, comme me l’ont confié certains de ces collaborateurs. Cette situation n’est pas bonne pour la stabilité du pays. Aujourd’hui il s’accroche farouchement au pouvoir, avec comme conséquence qu’il a perdu toute sympathie.”

L’exploitation des richesses naturelles

Les richesses naturelles de la RDC partent maintenant vers des pays voisins comme le Rwanda et l’Ouganda, en Chine, à des entreprises occidentales et à un homme d’affaires très nanti comme Dan Gertler. Souvent avec la complicité des ‘élites’ congolaises. Pendant un certain temps, le Rwanda disposait d’un ‘Congo Desk’, une structure pour coordonner l’exploitation des richesses naturelles en RDC. A Kigali, on a même construit des nouveaux quartiers qui portaient des noms étonnants comme ‘Merci Congo’ et ‘Coltan City’. Quelles sont vous commentaires sur tout ça?

Kris Berwouts: “Pour beaucoup d’observateurs de la RDC, nationaux et étrangers, l’exploitation clandestine des richesses naturelles est la source principale de la violence au Congo. Ils ne voient pas seulement le commerce des richesses naturelles comme la motivation

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principale des pays voisins pour s’immiscer au pays; selon eux, ces richesses expliquent aussi pourquoi de nombreuses milices étrangères ou congolaises, des rébellions et d’autres groupes armés se battent pour contrôler les différentes parties du Kivu.”

“Il va sans dire que cette exploitation illégale des richesses naturelles n’a pas été inventé dans les années ’90, mais elle a bien changé. Dans les années ’90, on a vu un changement de la direction que prenaient les richesses: Kampala et Kigali sont devenus les principaux centres commerciaux pour les richesses naturelles congolaises qui quittaient le pays pour être vendues au marché mondial, souvent à travers des ports en Afrique de l’est, le monde arabe ou le sous- continent indien.”

“Le pillage des ressources naturelles a été un ‘leitmotiv’ dominant au cours de l’histoire congolaise, depuis que l’Etat Indépendant du Congo (EIC) a été créée par le roi Léopold II. Il faisait tout pour éviter un contrôle par le parlement belge et pour échapper aux instruments constitutionnels qui devaient limiter la cupidité du souverain. Sous le régime de Mobutu, l’exploitation et la commercialisation des richesses naturelles échappaient aussi au contrôle de l’état. Tout se passait par des circuits parallèlles pour maximaliser l’auto-enrichissement de Mobutu et pour bien servir les réseaux de patronage qui constituaient la base de son régime.”

Démocratie embryonnaire

On ne peut pas dire que les institutions congolaises ont fait du progrès: le processus de décentralisation est catastrophique, la justice est toujours très corrompue et dysfonctionnelle, la réforme de l’armée et de la police n’a pas donné les résultats espérés?

Kris Berwouts: “Tout le monde a conclu que les élections de 2006 étaient plutôt libres et transparentes, surtout étant donné les circonstances dramatiques dans lesquelles elles ont été organisées. On disait qu’il fallait soutenir la démocratie embryonnaire qui résultait de ces élections.

Mais hélas, ces élections n’ont pas été un point de démarrage, on n’a pas réussi à consolider la démocratie embryonnaire de 2006. On n’a même pas essayé à le faire. L’armée, la police et la justice ont été encadrées de plusieurs manières pour en faire des outils d’un état de droit, mais malheureusment tout cela n’a pas abouti. Les dirigeants n’ont commencé à décentraliser en 2015, mais juste pour utiliser ce processus pour retarder encore plus la marche vers les élections.”

Le congolais ordinaire est frustré et en colère sur la situation du pays. Il doit se battre quotidiennement pour tenir le coup! Il ne croit plus à l’opposition. Les congolais ne font plus confiance au caste politique – majorité et opposition. Pensez vous que des mouvements comme LUCHA et Filimbi pourront avoir un effet positif?

Kris Berwouts: “Les mouvements citoyens sont un phénomène assez récent. La Lucha a fait un travail de pionnier. Ils ont réussi à rassembler des citoyens, tandis que la société civile n’était plus capable de faire cela depuis presque 20 ans. Cela explique pourquoi les autorités ont réagi avec une telle brutalité, avec une répression véhemente. J’ai vécu cela de près et j’ai essayé de soutenir La Lucha de plusieurs manières. Mais la base sociale de ces mouvements, qui recrutent surtout parmi les étudiants, est trop étroite pour orienter le cours des choses au Congo. L’engagement des luchistes est important et inspirant, mais il faut être conscients de leurs limites aussi.”

Des personnes qui inspirent

Au Nord Kivu, le colonel Mamadou Ndala a su accroître la confiance aux FARDC pendant un certain temps. Mais cet officier a été tué. Voyez-vous d’autres congolais qui pourraient inspirer la population? Le dr. Denis Mukwege (Hôpital de Panzi), pourraît-il être

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l’un de ces modèles? Est-ce que Mukwege pourrait devenir un personnage clé pour ‘un Congo nouveau’?

Kris Berwouts: “Ne personalisons pas trop la discussion sur le Congo. La population tient au départ de Kabila mais elle dit en même temps: ‘Il ne suffit pas de changer de chauffeur, il faut changer de véhicule’. Ceux qui reprendront le pouvoir après Kabila devront livrer la preuve qu’ils sont vraiment une alternative à la mauvaise gouvernance endémique. Ils doivent toujours nous expliquer ce qu’ils feront précisément quand ils auront obtenu le pouvoir. Ils doivent faire preuve de vision et présenter un vrai projet de société.”

“Trop souvent on spécule sur les personnes. Il est vrai que le colonel Mamadou a incarné à un certain moment la métamorphose au sein des FARDC, au moins en RDC, au moment où les rebelles de M23 étaient sur le point d’abandonner leur combat. Mais le colonel était aussi le produit d’une armée qui fait plutôt partie du problème que de la solution. Il ne faut pas en faire un saint non plus. Le docteur Mukwege a obtenu une grande autorité morale dans sa capacité de médecin et de défenseur des femmes violées. Le Congo a besoin d’autorité morale. Mais est- ce que cela veut dire que Mukwege est qualifié pour un mandat politique au plus haut niveau?

Pour faire cela, il devrait se jeter dans un panier de crabes qui n’est pas le sien. Rien ne garantit qu’un tel scénario va aboutir.”

Une implosion possible

A la fin de votre livre vous dites que le processus électoral a perdu toute crédibilité et que l’avenir proche semble assez sombre pour le Congo. Pouvez-vous expliquer ces mots? Et quelle serait votre réponse à un jeune congolais qui vous pose la question s’il y a encore de l’espoir pour la RDC et pour ses habitants? Qu’est-ce qui vous donne encore de l’espoir?

Kris Berwouts: “Effectivement, je suis sombre sur l’avenir proche du pays. En ce moment le pays flirte avec l’implosion. Ce n’est pas irrévocable mais c’est bien un scénario – le scénario “le plus pire”. Pour éviter une implosion, il faudra quelque chose qui ressemble à un processus crédible et congolais pour réstaurer la légitimité de l’état. Un tel processus requiert des personnes qui sont capables d’être au dessus de la mêlée, sans représenter un parti politique.

Dans tous les coins du paysage politique je vois bien des personnes qui pourraient former la colonne vertébrale d’un mouvement politique plus large. A base de mes contacts avec des opposants et avec des gens du régime j’ose conclure qu’il est toujours possible d’organiser une alternance du pouvoir, à travers un processus politique qui évite une violence à grande échelle.

Mais il n’y a pas de garantie non plus pour ce scénario très positif. Je m’inquiète sur la situation mais sans être défaitiste.”

Le livre de Kris Berwouts est déjà publié en anglais (ZED Books) et en néerlandais (EPO).

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Burundi

Le Président confisque le Tambour

Par Marie-France Cros

Le président Pierre Nkurunziza a signé le 20 octobre dernier un décret pour « la réglementation du tambour aux niveaux national et international » qui suscite la consternation de nombreux Burundais.

Qui n’a jamais vu et entendu les tambourinaires du Burundi, appelés « batimbo », a assurément manqué quelque chose dans sa vie. Peu de spectacles traditionnels ont, à ce point, le don de susciter l’enthousiasme, la passion, le désir de participer. C’est qu’il ne s’agit pas, au départ, d’un spectacle, mais de l’expression publique d’un lien sacré propre à l’ancien royaume du Burundi, aboli en 1966; le mot « ingoma » signifie d’ailleurs à la fois « tambour » et « royaume ». S’il s’est démocratisé depuis lors, l’art des « batimbo » est resté un élément fondamental de l’identité burundaise et a été classé en 2014 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco.

Mais le président Pierre Nkurunziza, dont l’obstination à se maintenir au pouvoir au-delà du maximum de dix années que fixe l’Accord de paix d’Arusha a plongé le Burundi dans une crise sanglante, a décidé d’en réglementer l’utilisation.

Interdit aux femmes

Le décret du 20 octobre prétend réglementer l’utilisation du tambour « aux niveaux national et international ». Il pose qu’il est « strictement interdit aux personnes de sexe féminin de battre le tambour »; elles sont néanmoins autorisées à « exécuter des danses folkloriques féminines ».

Mais les hommes ne sont pas libres pour autant de battre le tambour. L’article 5 du décret fixe ainsi que « toute exhibition d’une troupe de tambourinaires en dehors des cérémonies officielles requiert l’autorisation du ministre ayant la culture dans ses attributions », notamment pour les « cérémonies de mariage, de dot, de naissance, de remise de diplôme ou toute festivité à caractère social ». La demande doit en être faite « au moins deux semaines » à l’avance et,

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pour y répondre favorablement, le ministre doit « apprécier la pertinence » de la présence de batimbos à cette fête. S’il juge que les batimbos peuvent jouer, l’organisateur de l’événement doit « conclure un contrat avec le ministère » et payer « 500.000 FBu par exhibition ».

Il en va de même à l’étranger, le ministère étant alors remplacé par l’ambassade du Burundi concernée. L’organisateur de prestations de batimbos à l’étranger doit verser au Trésor

« 500.000 FBu par jour » de séjour de la troupe à l’étranger. Et « tous les groupes de tambourinaires qui évoluent à l’extérieur du pays et ne sont pas concernés » par les tournées organisées à l’étranger par un promoteur depuis le Burundi, « doivent verser au Trésor public une redevance équivalente à 2000 dollars américains par exhibition ». Les contrevenants sont punis d’amendes.

Nkurunziza prétend se sacraliser

Le décret, qui prétend donner à l’Etat le contrôle total d’un pan de la culture burundaise, n’a pas manqué de susciter consternation et moqueries parmi les Burundais de la diaspora – ceux vivant au Burundi n’osant exprimer le moindre désaccord en raison de la violence qui frappe toute velléité de dissidence dans ce pays.

Le blogueur burundais David Gakunzi, interrogé par La Libre Afrique, analyse ce surprenant décret. « Il y a un côté Ubu Roi chez Nkurunziza: comment peut-il raisonnablement se prévaloir d’un pouvoir lui permettant de régenter l’usage du tambour au niveau international?

», répond-il.

Mais, aux yeux de ce « cultureux » burundais, cela va plus loin. Alors que le président Nkurunziza a fait adopter à son gouvernement un projet de loi pour modifier la Constitution afin de pouvoir s’incruster à la tête du Burundi, David Gakunzi rappelle que « le tambour a toujours été le symbole par excellence de la royauté. Du temps de la monarchie, le tambour était joué par les hommes à des moments bien spécifiques: intronisation ou enterrement des rois, fête nationale des semailles, temps de guerre, etc… En cherchant à re-sacraliser le tambour, Nkurunziza cherche en réalité à se sacraliser lui-même. Se sachant en faute contre la loi républicaine, il se cherche une légitimité dans une sorte de retour aux traditions désuètes. Sur fond de délire de toute-puissance, caractéristique des tyrans, qui se veulent hommes forts et qui ne sont, en réalité, que des hommes faibles. Et qui ne s’éprouvent hommes qu’en rabaissant les femmes ».

Referenties

GERELATEERDE DOCUMENTEN

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