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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le jeudi 5 juin 2014

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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le jeudi 5 juin 2014

Paysage au Nigeria

2014, n° 14 2014, n° 14 2014, n° 14 2014, n° 14 Sommaire Sommaire Sommaire Sommaire

RDC RDC RDC RDC

« Silence dans les rangs !» ou Quand l’usage mal venu du « Cocorico patriotique » répond au mauvais usage du « diplospeak »… page 1 Processus électoral en RDC : calendrier partiel controversé, silence ambigu de la Belgique et des autres bailleurs. / Communiqué du CNCD -11.11.11 … page 11

Burundi Burundi Burundi Burundi

Lorsque Pierre Claver Mbonimpa est emprisonné, tous les Burundais sont en danger … page 12

Mexique Mexique Mexique Mexique

Zapatisme : la rébellion qui dure… page 14 Nigeria

NigeriaNigeria Nigeria

Aux origines de la secte Boko Haram… page 25

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RDC RDC RDC RDC

« Silence dans les rangs !»

ou

Quand l’usage mal venu du « Cocorico patriotique » répond au mauvais usage du « diplospeak ».

Manifestation de Congolais à Bruxelles

Par Guy De Boeck

JKK a dit quelque chose ! Ce fait est déjà suffisamment exceptionnel en lui-même – Joseph Kabila est surnommé « le Président aphone » - pour justifier un titre à la Une. Le 2 juin, l’actualité dans les journaux de Kinshasa était donc dominée par la rencontre que Joseph Kabila a eue le samedi 31 mai avec les ambassadeurs accrédités en RDC, à qui il a dénié le droit de s’immiscer dans la gestion des affaires prévues par la Constitution en vigueur. Joseph Kabila s’est appesanti sur le fait qu’il n’y a pas de crise politique en RDC.

En fait, cette affirmation demanderait à être nuancée. Il serait exact de proclamer l’absence de crise politique en RDC, si l’on entendait exclusivement par là qu’il n’y a pas de crise institutionnelle, que les institutions congolaises, telles que définies par la Constitution de 2006, quoique perfectibles, sont en état de fonctionner. Par contre, cette affirmation est totalement fausse si elle revient à nier que ceux qui détiennent actuellement le pouvoir et les responsabilités définis par ces institutions sont illégitimes, devant leurs postes à des élections truquées. Il faut rappeler que les élections de novembre-décembre 2011, entachées de fraudes et de manipulations à un point tel que les véritables scores des candidtats sont, en réalité, encore inconnus1 ont donné des résultats qu'une personne avisée, réfléchie, d’esprit

1 Les fraudes les plus importantes ayant eu lieu au niveau des centres de compilation, on ne pourrait se rapprocher de la « vérité des urnes » qu’en se référant aux PV des bureaux de vote, dernière opération publique et vérifiée par des témoins. Les chiffres de la CENI ne s’accompagnaient pas de ces PV, les chiffres publiés par l’UDPS, non plus. L’Eglise n’a jamais publié les résultats partiels constatés par ses observateurs malgré cette déclaration du Cardinal Laurent Monsengwo, archevêque de Kinshasa : « Les résultats publiés ne sont conformes ni à la justice ni à la vérité “. On n’a donc que des résultats dont la crédibilité est nulle. Les législatives ont été dignes de la présidentielle, sinon pires. Mais la CSJ a entériné les résultats de la présidentielle

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libre et critique devrait considérer comme nuls, donc sans gagnant.. La suite aurait dû être l'annulation pure et simple, des enquêtes sérieuses pour déterminer les causes et origines des irrégularités, qu’on en tire les conséquences quant aux futures élections. Il aurait dû y avoir une protestation générale des démocrates de tous les partis, car un démocrate ne saurait accepter que son candidat gagne par la fraude, la corruption et le mensonge. Au lieu de quoi on n’a assisté qu’à des élucubrations pour défendre la victoire « officielle » de JKK, et à d’autres élucubrations pour défendre celle, tout aussi hypothétique, de Tshisekedi.

Toute autorité prétendue ne relève plus que de la force, de l’intimidation, d’un coup d’état de fait. Le principal ressort de ce coup d’état consiste à progresser, comme si de rien n’était, dans les tâches qui suivent normalement une élection et à mettre le pays et le monde devant le fait accompli. Cette situation peut mener parfois le commentateur au bord de la schizophrénie. En effet, on ne peut qu’avoir de l’estime, parfois même une certaine admiration pour Matata Ponyo et son gouvernement, le premier depuis longtemps à faire preuve de détermination et d’une certaine efficacité. Mais en même temps que l’objectivité force à faire son éloge, on ne peut que rappeler en même temps que ce PM a été nommé par un président mal élu avec le soutien d’une chambre dont le députés ont été nommés de façon tout aussi contestable.

Cette élection truquée qui n’a jamais été remise en question a déclenché une grave crise de confiance politique. L’Opposition soupçonne désormais le pouvoir d’être prêt à tout pour se maintenir et se perpétuer et celui-ci n’est pas loin de traiter tout opposant en ennemi ou en conspirateur. Il faut bien reconnaître que JKK et les siens multiplient les signaux négatifs, tels que le silence de Kabila sur sa participation à la course pour la présidence en 2016, le fait que Malumalu, principal responsable de l’absurdité d’élections 2006 et 2011 organisées en faisant voter un « corps électoral inconnu », faute de recensement préalable de la population, fait qui, à lui seul suffisait à en « plomber » gravement la crédibilité, a été remis à la Présidence de la CENI, et y a été maintenu malgré les pétitions demandant son départ.

Il vous est donc loisible, suivant le point de vue particulier qui est le vôtre, de considérer que la RDC est en crise ou ne l’est pas !

Bizarreries

Donc, Monsieur Kabila a dit quelque chose. Il faut noter toutefois que ce qui nous en est connu l’est par un communiqué de Lambert Mende, et non par audition directe, le discours n’ayant fait l’objet d’aucune diffusion radiophonique ou télévisuelle. A la lecture de ce communiqué, que retenir de cette rencontre ? Sans aucun doute, un certain nombre de bizarreries.

1. Lambert Mende aime le style fleuri. On le savait, mais en parlant de JKK, il use désormais des majuscules, dites « de respect », ce qui confère à son texte un petit parfum d’hyperbolisme « rétro », très « Ancien Régime ».

Ainsi, il écrit, par exemple : « Exprimant Sa satisfaction devant l’amélioration constante de la situation macro-économique du pays, le Chef de l’Etat a fait part à Ses invités de Sa volonté de rattraper … », tournures qui n’ont jamais été usitées pour parler d’un Président de la République et ont été abandonnées, pour les monarques, au tout début du XX° siècle. Autrement dit, pour la Belgique ou le Congo, on n’a plus écrit de la sorte depuis la mort de Léopold II.

Est-ce un programme ?

et des législatives. Le temps s’est écoulé, les résultats des élections demeureront à jamais inconnus.

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2. Les participants étaient, d’un côté, six personnalités2 du pouvoir, de l’autre, tous les ambassadeurs et les principaux représentants des Nations Unies. Sans aller jusqu’à dire qu’un Chef d’Etat se doit d’être seul pour recevoir le corps diplomatique, il est tout de même rare qu’une telle équipe de « supporters » viennent en soutien à leur leader.

3. Le contenu : quatre points ont été abordés, à savoir ; la situation sécuritaire du pays, l’état de l’économie, le processus de consolidation de la démocratie et la diplomatie.

Ces quatre points peuvent en réalité se réduire à un seul. En fait sur les trois premiers, Joseph Kabila s’est octroyé, sinon toujours la plus grande distinction, au moins d’amples satisfecit… en se parant des plumes des autres.

Quant à la situation sécuritaire, JKK a repris au compte de son régime la victoire en 2013 sur le M23 et l’affaiblissement d’autres mouvements rebelles. Sur la situation économique. Joseph Kabila s’est dit satisfait de l’amélioration de la situation macro- économique – entièrement attribuable à Matata Ponyo - , sollicitant le soutien de ses interlocuteurs pour des investissements. Pour ce qui est de la consolidation du processus démocratique. JKK s’est appuyé sur les « concertations nationales » et leurs résolutions comme remède miracle à la crise de légitimité issue du bidonnage électoral de novembre 2011. La preuve ? Une loi d’amnistie, un gouvernement de cohésion nationale en gestation (depuis 8 mois !) , des institutions publiques qui fonctionnent hum !), une CENI conforme à la constitution et aux lois, un recensement et une identification de la population à venir d’urgence…

S’étant ainsi attribué, en toute modestie, le grand prix d’excellence, il pouvait en arriver à ce qui était son but : « passer un savon » aux diplomates.

4. Diplomatie. Ici, Monsieur Kabila a attaqué de front la France, la Belgique, les Etats- Unis et la Grande-Bretagne sur le phénomène « Combattants ». Ceux-ci ont eu droit à des qualificatifs peu gentils : Ils véhiculent une idéologie de haine ethnique, sous prétexte de lutte pour la démocratie. Et comme étiquette ? Une bande de délinquants venus de la RD Congo. Pour des bonnes élections. JKK a condamné au passage les rencontres qui ont lieu dans certaines chancelleries avec des opposants, dans l’espoir de modifier la CENI. Non seulement ces partis ont eu droit à des noms d’oiseaux, mais l’initiative est qualifiée d’ingérence. JKK a saute sur l'occasion pour condamner des

"tables rondes" entre majorité et opposition qui ont été organisées au sein de la MONUSCO avec comme objectif de se mettre d'accord sur le processus électoral. La vraie raison bien sûr est que Martin Köbler s'est oppose publiquement a une prolongation du mandat de Kabila...

Sachant que tout discours politique n’est souvent que prétexte, quelles pourraient avoir été les motivations profondes de cet exercice risqué de communication de Kabila ? Regardons – y de plus près, d’après la seule source dont nous disposons, le Ministre des Médias, chargé des Relations avec le Parlement et de l’initiation à la Nouvelle Citoyenneté, Lambert Mende Omalanga.

2 Ont pris part à cette audience: Le Président de l’Assemblée Nationale Aubin Minaku Ndjaiandjoko; Le Président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo (ces deux premiers étant également Coordinateurs des Concertations Nationales) ; Le Ministre des Affaires Etrangères, Coopération Internationale et Francophonie, Raymond Tshibanda Ntungamulongo; Le Ministre de l’intérieur, Sécurité, Décentralisation et Affaires Coutumières, Richard Muyej Mangez Mans; Le Ministre des Médias, chargé des Relations avec le Parlement et de l’initiation à la Nouvelle Citoyenneté, Lambert Mende Omalanga; Le Directeur du Cabinet du Président de la République, Gustave Beya Siku.

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Le ministre a fait savoir qu’au cours de cette réunion, le Président Joseph Kabila Kabange a passé au crible la situation générale du pays en ce qui concerne ses aspects sécuritaire, économique et les questions d’ordre politique et de consolidation de la démocratie, avant d’appeler le corps diplomatique à aider la RDC à atteindre la vision qui est la sienne dans ce contexte.

Il a en outre confirmé que le Chef de l’Etat a indiqué qu’il est résolument engagé dans la mise en œuvre de toutes les résolutions des Concertations nationales qu’il avait convoquées l’année dernière, notamment la mise en œuvre de la loi d’amnistie qui est en cours, la mise en place du gouvernement de cohésion nationale qui est inéluctable. Se référant au Chef de l’Etat, il a indiqué que « Ce n’est pas une promesse. C’est une décision qui va absolument être appliquée ». Aussi le Chef de l’Etat s’est-il indigné, a-t-il renchéri, de ce qu’on assiste de plus en plus à des initiatives parallèles autour de certaines ambassades et des partenaires du pays par quelques structures ou actions politiques qui, après avoir refusé librement de participer aux concertations nationales, voudraient en effet créer des

« concertations parallèles » ou transformer ces ambassades ou ces partenaires en « institutions parallèles ».

« La politique de la RDC ne peut se faire qu’au travers des institutions politiques du pays », a-t-il indiqué, citant le Chef de l’Etat, qui a fait remarquer, selon lui, aux partenaires de la RDC que le Congo est un pays souverain ; le Congo n’est pas un pays sous tutelle et qu’il est inadmissible pour la RDC que des partenaires affectés auprès du gouvernement congolais se permettent, sans que le gouvernement congolais ou l’Etat congolais ait fait la demande, de s’immiscer dans des questions politiques, des questions de souveraineté relavant exclusivement des institutions politiques de la RDC.

Lambert Mende a soutenu que JKK a déploré le phénomène dit « Combattant » qui est plus ou moins criminel et qui se déroule dans certains pays tels que la France, le Belgique, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis d’Amérique et le Canada où des jeunes gens d’origine congolaise, souvent possédant la nationalité de ces pays-là, se permettent de développer une idéologie xénophobe, une idéologie dangereuse pour les Congolais et pour les animateurs d’institutions congolaises, qui tend à exclure du tissu certains groupes communautaires et ethniques. « La RDC s’étonne que dans ces pays partenaires de la RDC on puisse se montrer tolérants vis-à-vis d’idéologies qui ne respectent pas les valeurs sur lesquelles la communauté internationale tout entière s’est accordée », a dit le ministre Lambert Mende, se référant à JKK, qui a demandé que les partenaires de la RDC fassent le choix désormais entre ces groupes criminels et coopérer avec la RDC.

Au sujet de la situation sécuritaire, a-t-il dit, le Chef de l’Etat s’est félicité de la fin de la guerre dans l’Est de la RDC, où l’on parlera plus de la reconstruction que de la guerre, tout en appelant tous les partenaires de la RDC à soutenir le pays dans cet effort de reconstruction.

« Il a donné l’état de la situation du désarmement volontaire d’un des derniers groupes armés, les FDLR, qui est en train de se dérouler de manière satisfaisante », a-t-il déclaré. Il a par ailleurs indiqué que concernant les questions économiques, le Président de la République a confirmé l’amélioration du cadre macroéconomique dans le pays et sollicité l’apport de la communauté internationale maintenant que la RDC s’est inscrite dans le chemin du développement économique.

Commentaires et réactions

Dans l’ensemble, la presse congolaise a fort bien perçu où se trouvait la « pointe » de ce discours et que c’étaient les diplomates qui se trouvaient, au premier chef, visés.

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Le chef de l’Etat vient de rappeler aux diplomates accrédités en République démocratique du Congo, le principe de la non-immixtion dans la politique intérieure du pays, rapporte Le Potentiel dans son éditorial : « Le sens de la souveraineté ». C’était au cours d’une rencontre tenue le samedi 31 mai dernier au Palais de la Nation. Pour le chef de l’Etat, les nostalgiques du Comité international d’accompagnement de la transition (CIAT) doivent déchanter. Cette période est déjà révolue.

L’Avenir titre « Kabila tape du poing sur la table », et estime que le chef de l’Etat congolais a eu les mots justes pour fustiger cette situation. « La politique de la RDC ne peut se faire qu’au travers des institutions politiques du pays », aurait martelé Joseph Kabila au cours de cette réunion. Joseph Kabila s’est indigné du fait qu’on assiste de plus en plus à des initiatives parallèles développées autour de certaines ambassades et des partenaires du pays par quelques structures qui, après avoir refusé librement de participer aux concertations nationales, voudraient en effet créer des « concertations parallèles » ou transformer ces ambassades ou ces partenaires en institutions parallèles.

Dans d’autres pays, soutient L’Avenir, cette situation nécessiterait l’expulsion des diplomates. Mais considérant que la Rd Congo est un pays qui vient de mettre un terme à la guerre et dont le cadre macro-économique stable se renforce au jour le jour, peut-être il était important de responsabiliser chaque diplomate et lui dire que le pays a besoin de la contribution des uns et des autres pour son émergence, souligne-t-il.

Le Guide souligne, pour sa part, que JKK a fustigé le phénomène « Combattants », des Congolais qui se sont spécialisés, ces derniers temps en Belgique, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis d’Amérique et en France, dans des actes de délinquance contre la RDC derrière l’alibi de la lutte pour la démocratie.

Forum des As titre à la Une « Kabila-diplomates: les dessous d’une interpellation » à propos de la rencontre entre JKK et les ambassadeurs accrédités dans son pays.

Ce n’est pas tous les jours, ni tous les mois qu’un chef de l’Etat s’adresse aux ambassadeurs accrédités dans son pays ainsi qu’au représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, fait le remarquer FdA. Lorsqu’il le fait, c’est qu’il a un message à faire passer.

Si, officiellement, le speech du Raïs était axé sur la situation sécuritaire du pays, l’état de l’économie, le processus de consolidation de la démocratie et la diplomatie, c’est surtout l’aspect de la politique interne de la RDC qui était au centre de la rencontre avec l’ingérence des chancelleries étrangères, révèle le quotidien. Il souligne que le Raïs a rappelé que le CIAT mis en place en 2003 n’avait été qu’une structure ‘sui generis’ qui a cessé d’exister en 2006 et qu’actuellement la RDC, pays souverain qui n’est pas en crise institutionnelle, ne peut accepter la réédition, même sous une autre forme, du défunt CIAT qui ne fut pas une expérience très heureuse. Pour le Raïs, les ambassadeurs doivent désormais respecter le cadre légal qui existe pour les échanges car les missions diplomatiques n’ont pas vocation à devenir les Quartiers généraux pour des réunions sur des questions relevant de la politique intérieure.

« Que des rumeurs autour des relations entre certains acteurs politiques rd-congolais et des chancelleries étrangères surtout occidentales. Ajouter à cela un agenda très politique intérieur attribué aux envoyés spéciaux de différents partenaires extérieurs de la RDC attendus très prochainement à Kinshasa. Que des pressions sur la formation du Gouvernement de cohésion ! A cette allure, les chancelleries donnaient l’impression de vouloir ressusciter le Comité international d’accompagnement de la transition (CIAT) connu sous la transition dite « 1+4 », c’est-à-dire un président de la République assisté de quatre vice-présidents », écrit FdA.

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Face à ce tableau, poursuit le journal, Joseph Kabila est sorti de sa réserve pour recadrer le corps diplomatique accrédité en RDC, en ce y compris le représentant spécial du secrétaire général de l’organisation des Nations unies en RDC. Au cours de cette réunion, révèle le quotidien, le chef de l’Etat a déclaré que son pays n’est pas sous surveillance de la Communauté internationale. Joseph Kabila a ainsi dénoncé les initiatives de certains partenaires extérieurs qui donnent l’impression de vouloir créer des structures parallèles aux institutions en place en RDC.

Le Phare se demande ce qui se passe entre la RDC et la communauté internationale.

Le journal estime que l’on est bien en droit de se poser cette question, après les propos très durs tenus par Joseph Kabila, à l’endroit des membres du corps diplomatique accrédités dans notre pays, dans leurs relations avec l’Opposition ainsi qu’avec les sensibilités de la Société civile qui lui sont proches. Les observateurs pensent qu’au-delà d’observations qui paraissaient avoir un caractère général, note ce quotidien, la personne directement visée n’était autre que Martin Köbler, Représentant Spécial du Secrétaire Général de l’Onu et patron de la Monusco. La sortie médiatique de JKK face aux ambassadeurs et chefs des missions diplomatiques, donne à croire que la démarche de la Monusco n’était pas du tout appréciée par les autorités congolaises, estime ce journal. Ce responsable onusien, révèle le Phare, qui a commencé, depuis plusieurs semaines, une série de concertations entre son institution, la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante), la Majorité Présidentielle, l’Opposition (toutes tendances confondues) et la Société Civile (toutes sensibilités confondues). « Ces échanges, dont le dernier rendez-vous a eu pour la cadre, la résidence de Martin Köbler, le vendredi 30 mai 2014, a-t-on appris, s’inscrivaient dans le cadre de la Résolution 2098 de l’Accord-Cadre d’Addis-Abeba prônent le dialogue politique entre tous les segments de la société congolaise.

L’objectif visé, laisse-t-on entendre, était de dégager un large consensus autour des questions politiques, sécuritaires, sociales et autres qui divisent les Congolais, de manière à créer un environnement de paix et de confiance mutuelle à travers le pays. Jusque-là, aucun incident n’était signalé. En effet, en dépit de leurs divergences politiques et idéologiques, des délégués des partis tels que le PPRD, l’UDPS, l’UNC, le MLC et autres étaient engagés dans des débats d’idées apaisés, qui semblaient balayer plusieurs préjugés sur leur chemin.

Mais, la sortie médiatique du Chef de l’Etat face aux ambassadeurs et chefs des missions diplomatiques, donne à croire que la démarche de la Monusco n’était pas du tout appréciée par les autorités congolaises. Dans l’entendement de Kinshasa, elle s’apparentait à une remise en cause des Concertations Nationales, censées avoir vidé les divergences entre filles et fils du Congo sur les plans politique, sécuritaire, économique, social et culturel. Ce forum, selon l’entendement du Chef de l’Etat, avait balisé en son temps la voie de la cohésion nationale, à concrétiser par la mise en place d’un gouvernement ad hoc. Par conséquent, les résultats obtenus à cette occasion devraient permettre aux Congolais d’aller de l’avant.

Le souvenir amer du CIAT

Au-delà de Köbler, pense Le Phare, Joseph Kabila s’est livré à des tirs groupés contre les pays occidentaux, notamment la fameuse Troïka Belgique / France / Grande- Bretagne, à laquelle il a ajouté les USA et le Canada. L’évocation du CIAT (Comité International d’Accompagnement de la Transition), qui avait mis la RDC sous tutelle entre 2003 et 2006, a été faite sous la forme d’un sévère avertissement aux ambassadeurs et chefs des missions diplomatiques tentés de s’ingérer dans les affaires intérieures congolaises.

Kinshasa croit s’être émancipé de toute tutelle étrangère, après avoir bouclé sa période de transition par des élections en 2006. L’autre message adressé aux partenaires de la RDC est

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qu’ils sachent faire le distinguo entre les vrais opposants en exil et les « criminels », que plusieurs gouvernements occidentaux caresseraient dans le sens des poils, pour des raisons que l’on ne s’explique pas à Kinshasa. Ici, Kabila est allé jusqu’à demander aux partenaires de Kinshasa de choisir de coopérer, soit avec les autorités légales, soit avec les marginaux, mais pas les deux à la fois.

L’intervention musclée de Joseph Kabila devant les représentants des Etats et organisations internationales partenaires de la RDC pousse de nombreux analystes politiques à se demander si le Congo n’a pas effectué un retour aux années Mobutu. On se rappelle que dans les années’90, après la vague de la démocratisation, marquée par des « Conférences nationales » dans plusieurs Etats d’Afrique et surtout l’affaire « Lititi mboka » (Massacre des étudiants de l’Université de Lubumbashi en 1990), les relations entre l’ex-Zaire et l’Occident s’étaient terriblement gâtées.

A l’époque, le maréchal Mobutu ne cessait de demander à certaines puissances occidentales, enclines à parrainer plusieurs partis et leaders de l’Opposition, régulièrement reçues dans leurs ambassades à Kinshasa et invitées dans leurs capitales, à cesser se mêler des affaires internes de son pays. De son point de vue, les ex-Zaïrois étaient suffisants grands et sages pour laver leurs linges sales en famille.

Lorsque l’on pense aux pourparlers de Kampala, à l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, aux différents programmes avec le FMI et la Banque Mondiale, à la présence de la Monusco et de la Brigade Internationale à l’Est du pays… dont le maître d’œuvre se trouve être la communauté internationale, l’on s’interroge sur les réponses que cette dernière pourrait réserver à la mise en garde de Kinshasa. La RDCongo de 2014 serait-elle prête à soutenir un bras de fer contre la communauté internationale, très impliquée dans ses dossiers politiques, sécuritaires, économiques et sociaux depuis le Dialogue intercongolais et les élections de 2006 ? Comment interdire un droit de regard à ceux qui assistent militairement le pays afin qu’il retrouve une paix durable… qui financent les processus électoraux depuis 2006… qui ont effacé une grande partie de sa dette extérieure… qui auditent ses finances publiques à intervalles réguliers pour l’aider à cheminer vers l’émergence… qui financent des projets sociaux et humanitaires sans nombre ? L’appel de Kabila à la réserve et à la retenue va-t-il être observé par les diplomates accrédités à Kinshasa ? Les gouvernements occidentaux vont- ils adopter des mesures de fermeté contre les « Bana Congo », très actifs en Europe et au pays de l’Oncle Sam ?

Je ne pense d’ailleurs pas que les jérémiades concernant les « combattants » soient très sérieuses et il est probable que les ambassadeurs ne les accueillent que par des haussements d’épaules. Tous les chefs d’état africains qui versent des larmes de crocodile sur les

« méchants opposants » à qui les gouvernements occidentaux « laissent tout faire » savent parfaitement qu’en matière de répression leurs interlocuteurs font déjà tout ce qu’ils peuvent, et parfois en font même trop. Que des musiciens se fassent chahuter ou boycotter pour leur soutien à la candidature de Kabila alors que c’est grâce aux congolais de Paris, Bruxelles, Londres qu’ils faisaient leurs recettes les plus plantureuses, qu’on fasse échec à tout pouvoir en s'agitant sur son clavier entre les quatre murs de son bureau ou de sa maison, qu’on siffle, qu’on crie, que l’on brandisse des pancartes vengeresses et que l’on balance même quelques tomates un peu blettes au passage des « huiles » congolaises, tout cela ne casse pas trois pattes à un canard. Il s’agit très banalement d’un raisonnement par amalgame, dont voici la substance « Quand on manifeste à Matonge (Bruxelles), il y a des casseurs. Donc, les

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manifestants sont tous des casseurs3, c’est à dire des délinquants. Puisque c’est l’opposition qui manifeste, les opposants sont des délinquants. Et donc, les ambassadeurs, qui sont des gens bien élevés, ne devraient pas recevoir les opposants, qui sont de très inquiétantes crapules ».

S’il est toujours délicat et, en un certain sens, humiliant, de dépendre des autres et que cela suscite naturellement un sursaut d’orgueil, il est curieux de constater que la plupart des réactions congolaises se bornent à se draper dans le drapeau tricolore et dans l’honneur national. Personne, même dans la presse proche de l’opposition, ne semble percevoir ce qu’il y a de paradoxal dans l’attitude adoptée par JKK devant ce « souvenir amer du CIAT ». En fait, on pourrait y voir un exemple de la plus parfaite ingratitude.Les suspicions de fraude, au deuxième tour de la présidentielle de 2006, étaient déjà fortes au cours de ce que l’on a appelé les « élections Louis Michel » et les résultats en ont été acceptés, non parce que ces élections étaient impeccables, mais parce qu’il y eu à ce sujet un consensus de la classe politique congolaise. Au cours des discussions qui suivirent ce second tour, les ambassadeurs des pays du CIAT se firent d’ailleurs bombarder, en même temps que JP Bemba, dans la résidence de celui-ci. Les diplomates du CIAT auraient donc matière à faire, eux aussi, mention de certains

« souvenirs amers ».

Il est tout de même croquignolet de voir JKK se poser en « victime » d’une communauté internationale qui « conspirerait » contre lui avec l’opposition, alors que s’il y a bien un homme au Congo qui doit tout à la communauté internationale, c’est précisément lui.

Il suffit de voir comment il est arrivé au pouvoir pour se rendre compte combien penser que Kabila pourrait quitter le pouvoir par la voie démocratique est illusoire. Qu’une certaine classe politique de l’opposition et l’opinion politique congolaises cesse de rêver que l’alternance au pouvoir en RDC puisse venir des élections. On n’organise pas les élections pour les perdre, dixit Omar Bongo Ondimba.

Mais il faudrait aussi que les médias congolais cessent de donner sans cesse dans le panneau et fassent leur travail d’information. Il faudrait qu’ils osent dire à leurs lecteurs que le patriotisme cocardier est une mauvaise chose, que celui qui se drape dans les couleurs nationales, entonne « Debout congolais » et parle de « souveraineté » et « d’indépendance » n’a pas forcément raison. Il faudrait qu’ils osent dire que le proverbe qui veut qu’un « ami avale sa boule de pâte, mais pas ses paroles » s’applique aussi entre les nations et qu’il y a un abîme entre « de bonnes relations » et un « soutien inconditionnel ». Il faudrait qu’ils aient l’audace de mettre en légende de certaines photos « Une poignée de main ne veut jamais rien dire ».

Il est d’usage de dire que cette tendance au chauvinisme est compréhensible chez les Africains, qu’elle serait excusable parce qu’ils sont citoyens de « jeunes états récemment sortis de la colonisation », période durant laquelle les humiliations ne leur ont pas été épargnées. Cette jeunesse des états me semble singulièrement prolongée ! Que veut dire

« récemment » ? La RDCongo aura 54 ans dans quelques jours. A cet âge là, on en a fini avec l’adolescence, ses boutons et ses complexes… A preuve : quand la Belgique avait cet âge, son roi s’est mêlé, au nez et à la barbe des autres états européens, de se mettre à coloniser le Congo !

3 Certes par moments il y a des dérapages, quelques écarts de langage. Mais le grand ressort qui entretient le mouvement de contestation n’est-ce pas l’aventurisme et l’amateurisme au sommet de l’état ? La mauvaise gouvernance, le pillage des richesses du pays, l’accaparement du pouvoir par une clique au mépris de la souffrance de millions d’autres ?

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Les mots pour le dire

Les relations diplomatiques sont choses anciennes. Le mot « ambassade » apparaît pour la premières fois au XIII° siècle, même si la chose est plus ancienne. Il va de soi que, plus les relations entre deux pays sont tendues, plus la tâche de l’ambassadeur est délicate. Il est pourtant aussi non moins évident que plus cette tension est forte, plus il est urgent que se maintiennent des contacts susceptibles d’éviter une guerre. Dans son principe, l’immunité diplomatique, ce n’est rien d’autre que la parole donnée au représentant d’un ennemi potentiel qu’il ne sera pas le premier tué de la guerre si elle vient à éclater. L'atmosphère de travail et les activités à l'intérieur d’une ambassade sont fortement marquées par le protocole inhérent aux relations diplomatiques et l'isolement plus ou moins marqué des personnels qui y travaillent. Un grand nombre d'œuvres de fictions ont brocardé, avec plus ou moins de tendresse, ce qu'il convient d'appeler la « vie en ambassade ». Cette atmosphère de précaution, d’euphémismes et de protocole imprègne également le « langage diplomatique » que les Anglo-saxons appellent le « diplospeak 4».

Ici encore, l’intention de départ était des plus louable, puisqu’il s’agissait là aussi d’éviter la guerre. Il ne fallait pas qu’un terme maladroit, un mot trop dur, puisse être invoqué comme « casus belli ». Ce danger n’était pas imaginaire : voyez ce qui s’est passé avec la dépêche d’Ems5. Mais on en est arrivé à cultiver la litote, la prétérition, le sous-entendu et l’euphémisme à un point tel que la réalité du message devient difficile à discerner derrière les mots. Ainsi, une engueulade où l’on a failli empoigner les chaises pour se taper dessus devient

« un échange de vue franc ».On vous laisse à penser ce qu’il peut en rester quand, par dessus le marché, pour atteindre vraiment l’opinion publique, il faut restituer tout cela en tshiluba ou en kikongo. Dès lors, un tripatouilleur habile (je ne cite personne, mais chut ! … suivez mon regard… Oui, en effet, le prénom est Lambert…) de prétendre, en s’appuyant sur les mots superflus mis pour rendre les propos moins abrupts, que cela voulait dire le contraire de ce qui a été dit.

4 Par imitation de G. Orwell, dans son roman « 1984 ». IIl appelle « newspeak » - dans la traduction française

« novlangue » - un langage modifié, dans un régime totalitaire, de manière à rendre la subversion impossible parce qu’il n’y aura plus de mots pour la dire ou même la penser. Le principe est simple : plus on diminue le nombre de mots d'une langue et plus on fusionne les mots entre eux, plus on diminue le nombre de concepts avec lesquels les gens peuvent réfléchir en éliminant les finesses du langage, plus on rend les gens incapables de réfléchir, et plus ils raisonnent à l'affect. La mauvaise maîtrise de la langue rend ainsi les gens stupides et manipulables par les instruments de propagande massifs tels que la télévision. C'est donc une simplification lexicale et syntaxique de la langue destinée à rendre impossible l'expression des idées potentiellement subversives et à éviter toute formulation de critique de l’État, l'objectif ultime étant d'aller jusqu'à empêcher l'« idée » même de cette critique. Ce concept illustre également un propos du logicien Bertrand Russell assurant que nul problème ne pourra être résolu, voire perçu, si l'on prend soin d'éliminer au départ toute possibilité de le poser.

5 La dépêche d'Ems est un télégramme officiel du 13 juillet 1870 envoyé par le chancelier prussien Bismarck à toutes les ambassades et repris dans la Gazette de l'Allemagne du Nord concernant les rapports entre le roi de Prusse et la France. Jugé provocant, il amène Napoléon III à déclarer la guerre franco-prussienne de 1870, avec l'assentiment majoritaire du parlement, qui parle de casus belli. La candidature d’un prince allemand au trône vacant d'Espagne soulevait l'opposition de la France Le prince retire sa candidature. La France demande confirmation dans la ville d'eaux de Bad Ems, le roi Guillaume de Prusse, agacé, confirme posément le retrait, en ajoutant qu'il « n'a plus rien d'autre à dire à l'ambassadeur ». Il envoie un compte rendu à Bismarck, qui, conscient de la supériorité militaire prussienne et désireux d'unir les nombreux États allemands sous la bannière prussienne, reformule la notification de manière plus sèche. Cette « dépêche », en fait une circulaire administrative, est télégraphiée aux ambassades allemandes et aux journaux allemands et français. Certains la modifient pour la rendre encore plus méprisante. La mobilisation est signée le 14 juillet, approuvée le lendemain par le Corps législatif, qui vote les crédits de guerre au chef du gouvernement Ollivier. Les États allemands prennent alors parti pour la Prusse qui paraît agressée et remporte rapidement une victoire écrasante.

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La diplomatie occidentale a d’abord eu tort de se comporter comme si elle croyait que ses silences pourraient être compris. A Kinshasa on les a interprétés (officielement, même si l’on savait à quoi s’en tenir…) comme des approbations, même s’ils se voulaient réprobateurs. Il est d’ailleurs probab le que, bien plus quje du CIAT qui l’a installé, Joseph Kabila a un « souvenir amer » de sa prestation de serment en 2011, devant un désert diplomatique. Le régime de Kinshasa a dû reconquérir une certaine légitimité internationale, à défaut d’une légitimité intérieure qui aurait dû être issue des urnes. Francophonie, discours à l’ONU, participation à des sommets d’organisations africaines dont l’OUA… Et tout dernièrement le voyage éclair en France. Il faut signaler au passage un « couac » de belle taille : l’absence de Monsieur JKK lors du sommet Union européenne-Afrique.

Il faut bien remarquer que, si les rapports des missions d’observation des élections de 2011, tant le rapport de Melle Nedelcheva pour l’UE que celui de la Fondation Carter pour les USA ne laissaient aucun doute sur leur caractère frauduleux, ils n’ont été aucuneent exploités et que ce silence a pu être présenté comme valant approbation.

Mais il y a pire. Pourquoi John Kerry a-t-il jugé bon d’accompagner ses propos sur la limitation du nombre des mandats et le respect de la Constitution d’une couche de pommade sur les « mérites » de JKK et du versement de 30 millions US$ à la CENI ? N’aurait-il pas mieux valu dire clairement qu’on ne révise pas une Constitution uniquement pour servir un individu, qu’on ne la révise pas non plus à deux ans seulement de l’élection suivante et que par conséquent un troisième mandat de JKK serait inacceptable ? Et n’aurait-il pas fallu conditionner toute aide au processus électoral à l’exigence de garanties quant à leur caractère

« libre, transparent et démocratique » ? A moins que…

A moins que la « vigilance » de la « communauté internationale » ne soit que pipeau, grimaces et gesticulations… Après tout, Global Witnes ne vient-il pas d’annoncer qu’un

« ami du Président congolais » (il s’agit de Dan Gertler) vient de réaliser en une seule opération sur les matières premières congolaise un profit de 67 millions US$ ?6 Et cet ami est aussi un ami des Etats-Unis et de ceux qui financent les campagnes électorales américaines…

Or, si un coup d’arrêt ne lui est pas donné de l’extérieur, Kabila a devant lui un boulevard lui permettant de se faire réélire. Sa Majorité Présidentielle est un fourre-tout inconsistant traversé de disputes et de divisions. Mais il y a un sujet sur lequel elle est unanime : tous ses membres savent que JK est le dispensateur de leur Entrecôte et veulent donc son maintien au pouvoir. Quelle que soit l’entourloupette choisie pour contourner les articles qui lui interdisent un troisième mandat, ils la voteront comme un seul homme.

Comme en 2011, la MP aura le droit de faire campagne pendant deux ans et plus, alors que l’Opposition n’aura droit qu’à la campagne officielle de quelques semaines. Le « vote de précaution » jouera toujours en sa faveur, et le curé de campagne électorale et sa CENI politisée dominée par la MP sera là pour donner si nécessaire un petit coup de pouce aux résultats. Bien sûr, l’Opposition poussera des hurlements, et il y aura à l’étranger de sévères condamnations en des termes très solennel, mais tout cela restera purement platonique. JKK répondra « J’y suis, j’y reste ».

6http://www.congoforum.be/en/nieuwsdetail.asp?subitem=41&newsid=198656&Actualiteit=selected Global Witness – “Glencore and the Gatekeeper - How the world’s largest commodities trader made a friend of Congo’s president $67 million richer”

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Processus électoral en RDC : calendrier partiel controversé, silence ambigu de la Belgique et des autres bailleurs.

Communiqué du CNCD -11.11.11

Deux ans après les élections de 2011, la République démocratique du Congo est censée organiser de nouvelles élections à tous les niveaux dont l’échéance est fixée en 2016.

Selon la Constitution congolaise, le président de la République ne peut briguer que deux mandats maximum, ce qui fixe comme fin butoir du mandat du président en exercice en décembre 2016. La semaine passée, la nouvelle Commission électorale nationale indépendante (CENI) a publié une partie du calendrier électorale, mais cela a sans doute surtout consisté à tirer la sonnette d’alarme, tant le temps presse. Ce calendrier se base en effet sur l’organisation des élections locales et municipales en 2015-2016. Certes, sans élections locales, la décentralisation telle que voulue par la Constitution avec trois niveaux de pouvoir (national – provincial – ETD), n’est pas effective. Le fonctionnement des institutions politiques n’est pas efficient. Mais, le calendrier incomplet publié par la CENI suscite des questions et contestations de plusieurs regroupements politiques de l’opposition et d’une partie de la société civile. Autant tout le monde, majorité, opposition société civile, partenaires de la RDC ont toujours plaidé pour l’organisation des élections transparentes, démocratiques à tous les niveaux, autant nous constatons avec crainte que les dispositions constitutionnelles sont mises en danger de façon récurrente. Ainsi, par exemple, la constitution a été modifiée de manière peu transparente pour organiser les élections de 2011 en un seul tour.

La feuille de route de la CENI ne parle pas des élections provinciales, parlementaires et présidentielles. Par ailleurs, le processus électoral n’est pas pour le moment la seule priorité du gouvernement Congolais. En effet, lors du discours du président kabila devant le corps diplomatique, il a indiqué qu’il est résolument engagé dans la mise en œuvre de toutes les résolutions des concertations nationales de 2013, notamment la mise en place du gouvernement de cohésion nationale, il a indiqué que « c’est une décision qui va absolument être appliquée ». Cela n’est pas sans conséquence sur la gestion du temps et des moyens pour le gouvernement qui est l’acteur principal pour financer les élections.

Le timing fixé par la CENI semble difficile à tenir, tant les étapes restent nombreuses pour assurer l’organisation d’élections à tous les niveaux et sur tout le territoire congolais.

Même si la volonté présidentielle est de ne pas changer la constitution pour briguer un troisième mandat, le timing présenté par la CENI ne pourra pas être tenu pour organiser les élections à tous le niveau sans dépasser décembre 2016 au-delà de laquelle l’opposition politique contestera la légitimité du président en exercice. Cela n’est pas non plus sans conséquence sur la démocratie congolaise et le climat de paix et de sécurité dont le peuple a grandement besoin.

Dans ce contexte, la plate forme Afrique Centrale du CNCD-11.11.11 demande à la Belgique, en dialogue avec son partenaire congolais, de respecter les points suivants :

- Soutenir le processus de préparation et d’organisations d’élections démocratiques fiables à tous les niveaux et conformes à la constitution de 2006, en faisant clairement et publiquement la Révision du Nombre de Mandats présidentiels comme une ligne rouge pour la diplomatie belge.

- Rendre accessible et transparent les critères d’accès aux lignes budgétaires spécifiques à l’éducation civique ; encourager et soutenir les dynamiques civiles et citoyennes

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de participation à la vie politique en s’appuyant sur des acteurs de la société civile, qui jouent un rôle dans l’analyse et l’observation des différents processus électoraux.

- Soutenir le processus de préparation et d’organisations d’élections démocratiques fiables à tous les niveaux et en faisant en sorte que ces élections soient transparentes, libres, apaisées et équitables ; que les droits de l’opposition politique soient respectés.

Burundi

Lorsque Pierre Claver Mbonimpa est emprisonné, tous les Burundais sont en danger

Pierre Claver Mbonimpa, président-fondateur de l'Aprodh. © Marguerite Bacigalupo pour J.A.

Par Daniel Bekele et Jean-Marie Fardeau (HRW)7

Malgré des années de conflit armé, le Burundi bénéficie de l’un des mouvements indépendants de la société civile les plus actifs de la région des Grands Lacs. Toutefois, alors que des élections se profilent en 2015, nous assistons à un climat politique de plus en plus tendu, avec des militants faisant l’objet de menaces. La récente arrestation d’un éminent défenseur des droits humains sur la base d’accusations douteuses est un signe inquiétant des tentatives de l’élite politique pour resserrer son emprise sur le pouvoir dans un pays où la violence politique est encore une triste réalité. Cette situation nécessite une réaction publique forte de la part des partenaires internationaux du Burundi, en particulier de la France, l’un des acteurs clé.

Pierre Claver Mbonimpa, président de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), a été arrêté dans la capitale, Bujumbura, le 15 mai. Après avoir interrogé Mbonimpa, le parquet l’a mis en accusation pour atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’État pour des remarques formulées à la radio dix jours plus tôt, et pour faux et usage de faux.

Ces remarques et ces documents concernaient des allégations selon lesquelles des jeunes Burundais avaient été armés et envoyés pour un entraînement militaire en République démocratique du Congo, pays frontalier du Burundi. Un câble confidentiel de l’ONU, divulgué en avril, alléguait également que des armes et des uniformes étaient distribués aux Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti au pouvoir, par des membres des forces de sécurité.

7respectivement directeur de la Division Afrique et directeur France de Human Rights Watch article publié dans Jeune Afrique le 03/06/2014

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Le 26 mai, la chambre de conseil du tribunal de grande instance en mairie de Bujumbura a décidé que Mbonimpa devait rester en détention préventive. Cela fait maintenant deux semaines qu’il est en prison.

Mbonimpa, âgé de 66 ans, connaît bien la prison centrale de Mpimba à Bujumbura : il est un ancien membre de la police mais aussi un ancien prisonnier. À la suite de son expérience de la vie en prison dans les années 1990, il a fondé l’APRODH pour défendre les droits des prisonniers et d’autres victimes d’atteintes aux droits humains au Burundi.

L’organisation travaille maintenant dans tout le pays, documentant les atteintes aux droits humains, faisant campagne en faveur de la justice, et faisant la promotion des droits humains.

Human Rights Watch, qui maintient au Burundi une présence de longue date, a pu voir de près l’impact extraordinaire du travail de l’APRODH, et des interventions de Mbonimpa au nom des victimes. Le bureau de l’APRODH est la première porte où viennent frapper les personnes dont les proches ont été arrêtés, disparus de force ou tués. Source de soutien indéfectible, l’APRODH représente pour de nombreux Burundais le seul espoir d’obtenir justice.

Mbonimpa a de nombreuses fois déjà été confronté au harcèlement de la part de l’État burundais. Après des élections controversées en 2010, qui ont été boycottées par la plupart des partis d’opposition et où le président en place, Pierre Nkurunziza, était le seul candidat à la présidence, le gouvernement a de plus en plus qualifié les militants et les journalistes indépendants de porte-paroles de l’opposition. En 2012, Human Rights Watch a publié un rapport sur les assassinats politiques après les élections. L’APRODH a publié un rapport similaire durant la même période. Mbonimpa s’est souvent trouvé en première ligne pour dénoncer ces assassinats et réclamer justice pour les familles des victimes. Lorsque des agents de l’État étaient soupçonnés d’implication dans les violences politiques, il n’a pas craint de réclamer des comptes au gouvernement. Son courage, et celui d’autres militants burundais, a suscité des actes répétés de harcèlement et d’intimidation, et des menaces, ainsi que des interrogatoires par les autorités.

Son emprisonnement est un des nombreux signes inquiétants de répression. Les autorités ont a maintes reprises interrompu ou empêché des rassemblements de partis d’opposition au cours des derniers mois. Le 8 mars, la police a arrêté des dizaines de personnes, dont la plupart étaient des membres du parti d’opposition Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD). Certaines ont été appréhendées en lien avec un affrontement entre des membres du MSD et la police, d’autres ont été détenues arbitrairement.

Le 21 mars, après un procès sommaire qui n’a duré qu’une seule journée, le tribunal de grande instance en mairie de Bujumbura a condamné 21 personnes à l’emprisonnement à perpétuité et 24 autres à des peines de prison allant de 5 à 10 ans. Pendant ce temps, les Imbonerakure sont toujours actifs dans la répression violente d’activités de l’opposition et dans le harcèlement de dissidents et de journalistes. Des membres de la police tuent des civils non armés en toute impunité.

Les chefs d’accusation contre Mbonimpa sont extrêmes et sa détention semble répondre à des motivations politiques, qui s’inscrivent dans le cadre d’une tentative drastique et désespérée visant à museler la société civile burundaise. Ces organisations de la société civile – souvent une épine dans le flanc du gouvernement – devraient jouer un rôle clé pour faire connaître les exactions, les inégalités et la corruption dans la période menant aux élections de 2015.

Mbonimpa, dont le travail en faveur des droits humains a été récompensé par plusieurs prix internationaux, devrait être libéré immédiatement. Si nécessaire, les autorités judiciaires peuvent poursuivre leurs enquêtes et procédures légales tandis qu’il demeure en liberté.

Bien que les acteurs internationaux présents au Burundi apprécient Mbonimpa en tant qu’homme intègre et courageux, ferme dans ses convictions et dans sa détermination à obtenir

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justice, les réponses diplomatiques à son arrestation n’ont pas été suffisamment énergiques. Il est temps pour les gouvernements bailleurs de fonds et autres acteurs internationaux engagés au Burundi d’appeler publiquement et avec force à la libération de Mbonimpa. Les gouvernements devraient transmettre au gouvernement burundais la force du soutien international à ce champion des droits humains. Sinon, les élections de 2015 risquent de dégénérer en guerre ouverte contre les militants et les journalistes qui sont encore au Burundi

Mexique

Zapatisme : la rébellion qui dure

par Bernard Duterme

A la fois « identitaire, révolutionnaire et démocrate », la rébellion des indigènes zapatistes du Chiapas lutte « pour la dignité » et « contre le capitalisme ». Vingt ans après l’insurrection du 1er janvier 1994, elle est toujours là, opiniâtre et évolutive dans son profil et son rapport au politique. Pourtant le contexte ne lui sourit guère. Et l’« autonomie de fait » qu’elle construit sur le terrain étonne autant par son zèle que par sa précarité.

Qui l’eût cru ? Qui aurait pu prévoir au lendemain même du soulèvement indigène maya du 1er janvier 1994 que deux décennies plus loin, la rébellion zapatiste du Chiapas allait encore être en mesure d’afficher sa détermination, de mobiliser ses bases, d’exposer son originalité et d’alimenter son écho international ? Peu, très peu d’observateurs en réalité, mais par contre, d’emblée, plusieurs proches des insurgés. Des proches – des personnalités et organisations sociales locales – qui dès le début en effet insistèrent sur le processus de très long terme dans lequel s’inscrivaient en conscience les rebelles. Incrédules, les observateurs pressés – dont l’auteur de ces lignes – avaient pour eux les fondamentaux de la sociologie des mouvements sociaux et, en particulier, l’inéluctable phase de démobilisation, de désengagement, de reflux sur laquelle aboutit, à court ou moyen terme, toute action collective conflictuelle, que celle-ci ait été couronnée de succès ou réprimée, institutionnalisée ou harcelée, neutralisée ou récupérée, tolérée ou sapée par ses adversaires.

Foin de prédictions déterministes, les zapatistes sont toujours là, opiniâtres. Et ajoutent, par là même, une nouvelle dimension au caractère atypique de leur rébellion : la durabilité, la persévérance… sans compromission aucune qui serait venue éroder, comme

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dans nombre de mouvements clandestins ou révolutionnaires de longue haleine, leur légitimité ou leur intégrité. Sans doute les rangs de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) ne sont-ils plus aussi fournis qu’en 1994, mais l’impressionnante démonstration de force du « jour de la fin du monde » – le solstice d’hiver 2012 choisi par plus de 40 000 zapatistes encagoulés pour occuper pacifiquement et silencieusement cinq villes du Chiapas8 – et surtout l’« autonomie de fait » que les rebelles exercent au quotidien depuis plus de dix ans sur d’importants fragments d’un territoire de la taille de la Belgique, attestent l’endurance du mouvement.

L’effervescence des derniers mois (fin 2013, début 2014) a redonné de la visibilité à l’ensemble. Du côté des autorités gouvernementales, en dépit de la prégnance dans l’agenda national de la désastreuse « guerre aux drogues », de la privatisation pétrolière et de la corruption du parti au pouvoir, tant le nouveau président mexicain que le nouveau gouverneur de l’État chiapanèque ont soudainement annoncé des « gestes de bonne volonté » et une

« initiative de grande importance », en faveur d’une « solution pacifique aux conflits » du Chiapas, par « respect du zapatisme » (sic) et pour la « réactivation des Accords de San Andrés sur les droits indigènes », accords signés par l’EZLN et le gouvernement en 1996 mais jamais traduits en une réforme constitutionnelle à la hauteur de l’engagement pris (Sipaz, février 2014).

Du côté des zapatistes, on n’est pas en reste. L’année 2013 a été marquée par le lancement d’une ixième nouvelle dynamique ouverte aux « zapatisants9 » du monde entier, intitulée l’« Escuelita zapatista » (petite école zapatiste), qui à ce jour a déjà permis à plus de 5000 « élèves » venus du reste du Mexique ou de l’étranger, de s’immerger une petite semaine dans les réalités quotidiennes des familles rebelles et d’apprendre donc de l’intérieur les réussites et les échecs de leur « autogouvernement » pleinement participatif et farouchement indépendant. Parallèlement, l’EZLN a aussi offert en 2013 un espace de relance au « Congrès national indigène (CNI) », en vue de fédérer les peuples indiens du Mexique en lutte contre l’accaparement agro-industriel, minier, énergétique ou encore touristique de leurs territoires. Enfin, les derniers mois auront été scandés par les célébrations en cascade du triple anniversaire de la rébellion : les dix ans de l’autonomie de fait, les vingt ans du soulèvement armé, les trente ans de la fondation de l’EZLN 10.

Triple anniversaire

C’est en novembre 1983 en effet qu’une poignée de guérilleros issus des Forces de libération nationale (FLN) 11, rejoints l’année suivante par l’universitaire citadin qui deviendra le « sous-commandant Marcos », créent au fin fond de l’État du Chiapas l’« Armée zapatiste de libération nationale », avec la ferme intention, à la mode de Che Guevara, d’y « allumer » la révolution. Marcos et ses camarades ne seront toutefois pas les seuls à « travailler » aux côtés des Mayas tzotziles, tzeltales, tojolabales, choles de la région. Les animateurs sociaux du très concerné diocèse catholique de San Cristóbal de Las Casas, dont les frontières coïncident précisément avec la zone d’influence actuelle des zapatistes, sont aussi à l’œuvre dans les villages indigènes, depuis de nombreuses années.

8 Pour rappel, les mois qui ont précédé le 21 décembre 2012, date qui correspond historiquement à la fin d’un cycle du calendrier maya, ont donné lieu dans le monde à un certain nombre de surinterprétations apocalyptiques et de prophéties catastrophistes… commercialisées, sur lesquelles ont aussi ironisé les rebelles zapatistes.

9Mot-valise désignant les sympathisants des zapatistes.

10 Voir « Chronologie sommaire de vingt ans de rébellion zapatiste » dans Alternatives Sud.

11 Groupe marxiste-léniniste clandestin fondé en 1969 à Monterrey (Nord du Mexique), durement frappé par les autorités en 1974.

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Dix ans plus tard, forts de ces influences multiples mais contrecarrés dans leurs projets d’émancipation par l’autoritarisme d’une élite locale raciste et par les effets de la libéralisation de l’économie mexicaine, la chute du prix du café et la réforme constitutionnelle de 1992 qui casse tout espoir de réforme agraire, d’importants secteurs de la population indigène du Chiapas vont se soulever en armes (avec les moyens du bord, souvent de vieilles pétoires) dans les principales villes de la région. « Démocratie, liberté, justice ! ». Et ce, le jour même de l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) qui ouvre les richesses du Mexique aux États-Unis et au Canada. Mais le coup d’éclat zapatiste de la nuit du 31 décembre 1993 au 1er janvier 1994 fera long feu. Lourdement réprimés, les Indiens insurgés vont rapidement se replier et réintégrer leurs villages. Débutera alors un long processus de militarisation de la région par les autorités, de négociations ambitieuses puis suspendues, et de mobilisations pacifiques de l’EZLN au retentissement mondial.

Dix ans plus tard, en août 2003, déçus, voire trahis par la non-application des Accords de San Andrés12 , les zapatistes rendent publique la création de leurs propres organes d’autogouvernement, radicalement étanches aux instances et interventions de l’État, au « mal gobierno » (mauvais gouvernement). C’est l’« autonomie de fait », celle que la Constitution ne veut pas leur reconnaître. Le « mandar obedeciendo » (commander en obéissant), ici et maintenant. La pratique politique expérimentée alors dans les villages zapatistes rejette toute forme de confiscation du pouvoir, d’abandon de souveraineté dans des structures en surplomb. Elle s’organise dans la rotation incessante et la révocabilité immédiate de tous les mandats, de toutes les « charges » qu’à tour de rôle les délégués indigènes – hommes et femmes – assument bénévolement au sein des cinq « Conseils de bon gouvernement – Caracoles », où l’on administre l’autonomie éducative, sanitaire, juridique et, autant que faire se peut, productive et commerciale des communautés rebelles. Le bilan qu’en dressent aujourd’hui les zapatistes eux-mêmes est plutôt positif : en dépit de bien des difficultés, non éludées, la « vida feliz » (vie heureuse) et la dignité recouvrée aideraient à composer avec « la lenteur de l’amélioration des conditions matérielles » 13.

Triple originalité

Toute l’originalité, la force et la faiblesse de la rébellion zapatiste résident dans l’évolution et les réalités auxquelles renvoie ce triple anniversaire. Une avant-garde révolutionnaire léniniste classique fait place à une révolte indienne massive, déterminée, presque suicidaire, qui elle-même, au gré des circonstances, des rapports de force, de rencontres « intergalactiques 14» avec des bus entiers de « citoyens du monde », va s’affirmer en un mouvement à la fois ouvert et autonome, radicalement démocratique et profondément identitaire, nationaliste mexicain autant qu’ethnique et altermondialiste ! L’originalité de la rébellion est bien là : dans une dynamique faite de ruptures et de continuités, dans une guérilla qui n’en est plus une et qui va assumer ses filiations passées sans s’y réduire. Dit autrement, le profil atypique - et plutôt séduisant - du mouvement zapatiste se situe précisément dans cette tentative d’articulation d’éléments jusque-là opposés, voire absents dans l’histoire des luttes.

Et ce, sur les trois principales dimensions constitutives d’un mouvement social : son aspiration, son identité, son répertoire d’action.

12 Les Accords de San Andrés, signés par le gouvernement mexicain et les commandants rebelles le 16 février 1996, portent donc sur « les droits et la culture indigènes ». Les autres thèmes prévus par les négociations n’ont jamais pu aboutir. Ils étaient censés porter sur les dimensions plus politiques (démocratisation) et socioéconomiques (redistribution) des revendications zapatistes.

13 Propos tenus en plénière par un professeur zapatiste durant la session de l’Escuelita zapatista de janvier 2014

14 Du nom donné par Marcos à la « Première rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme » convoquée par l’EZLN en 1996 dans le Chiapas, qui sera suivie de multiples initiatives similaires.

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L’aspiration zapatiste renouvelle et combine en effet, à la différence des mouvements révolutionnaires centro-américains antérieurs, l’agenda de la redistribution et celui de la reconnaissance. Articuler justice sociale et respect des identités culturelles, l’idéal, désormais universel, est à la fois éthique et politique. « Nous sommes égaux parce que différents ». Les premières revendications des zapatistes, immédiatement matérielles – « une terre, un toit, des aliments, du travail, la santé, des écoles… » – montent d’emblée en généralité, pour viser « la dignité », sociale et culturelle. Si la nouvelle perspective émancipatrice à l’œuvre conjugue donc bien à l’affirmation de la diversité identitaire, l’historique quête socialiste et tiers- mondiste d’égalité entre les groupes sociaux et entre les peuples, elle puise aussi dans l’ancien registre républicain de la démocratie politique, de la citoyenneté et de la liberté, et y ajoute enfin d’autres accents plus inattendus : le souci du sujet, du statut de l’individu dans le collectif et de son émancipation ; la revendication d’égalité entre les hommes et les femmes ; la conscience écologique des limites du progrès…

Dans le même ordre d’idée, la rébellion zapatiste est également structurée sur des références identitaires multiples, jadis confrontées ou ignorées. Des références tantôt sociales ou « classistes », tantôt culturelles ou ethniques, mais aussi territoriales, géographiques, politiques ou de genre. Paysans exploités ou exclus, indigènes discriminés, Mayas instrumentalisés, Chiapanèques oubliés, Mexicains de seconde zone, citoyens du monde marginalisés, femmes dominées…, les zapatistes multiplient les ancrages – local, national et international – sans les opposer. Suffisamment identitaires et attachés pour ne pas se diluer, suffisamment ouverts et universels pour ne pas se replier. L’enracinement des communautés indiennes tempère le cosmopolitisme de la plume du sous-commandant Marcos. Autonomie sans séparation, intégration sans assimilation. L’étendard de la lutte (l’étoile rouge sur fond noir) et le drapeau national (le tricolore mexicain) sont juxtaposés et omniprésents dans les actes publics des Mayas encagoulés du Chiapas.

Enfin, le répertoire d’action de la rébellion zapatiste puise lui aussi dans des modes et formes d’organisation en tension. La culture démocratique, participative, horizontale expérimentée dans les villages rebelles n’a pas supplanté tout réflexe autoritaire, centralisateur ou verticaliste, en particulier dans l’Armée zapatiste comme telle. Le discours même prend des accents plus normatifs versus désinvoltes, selon les circonstances. Si la nouveauté des moyens d’action et des modes d’expression et de mobilisation – réticulaires, symboliques, créatifs, médiatiques… – est donc bien palpable dans les façons zapatistes, les postures plus classiques, massives, physiques et hiérarchiques restent prégnantes dans le mouvement, sans toutefois se confondre avec le dogmatisme, le militarisme et l’« avant- gardisme » des guérillas d’hier dont il entend se distinguer. Le rapport au politique de l’EZLN a, lui également, puisé ces deux dernières décennies dans des traditions plutôt antagoniques, tantôt plus jacobine, tantôt plus autogestionnaire. Nous y reviendrons.

C’est donc sur cette base triplement originale que la rébellion zapatiste a pu être présentée, à raison, comme un mouvement à la fois « identitaire, révolutionnaire et démocrate » ! Dans les mobilisations protestataires de par le monde, cet alliage ne court pas les rues. Et confère au zapatisme son profil hors normes, évolutif, peut-être inédit. Il explique aussi, sans doute, une grande part de sa résonance mondiale, ainsi que son rôle, fin des années 1990, de pionnier d’une nouvelle internationale plurielle, appelée par la suite

« altermondialiste ». Imprégné d’une culture chrétienne émancipatrice, d’un esprit libertaire, de clés de lecture marxiste, d’idéaux d’égalité de genre, de préoccupations environnementales et de références mayas, le « cocktail zapatiste » a toujours l’heur de plaire à un large éventail d’activistes d’obédiences diverses. Indignés, anarchistes, catholiques progressistes, indianistes, autonomes, socialistes, culturalistes, féministes, communistes, écologistes…

Referenties

GERELATEERDE DOCUMENTEN

Pour autant, il serait faux de penser que celle-ci n’y ait pas réagi et, qu’en retour, la France officielle – le Quai d’Orsay (Direction politique, Service de presse,

Ce plan a été publié en 1949 par le Ministère des colonies sous la signature du ministre de l’époque : Pierre Wigny, sous le titre exact de « PLAN DECENNAL POUR

Car bien entendu, les premiers « vétérans » à faire leur entrée au Conseil furent des retraités de l’EIC, des représentants de compagnies ayant travaillé dans l’EIC, etc…

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