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Le rapport Trévidic/Poux Contre et PourContre et PourContre et PourContre et Pour Dialogue

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Un

DOSSIER

de

Dialogue

Organe de l’asbl « Dialogue des Peuples »

Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le jeudi 19 janvier 2012.

Contre et Pour Contre et Pour Contre et Pour Contre et Pour

Le rapport

Trévidic/Poux

Tout le monde, un jour ou l’autre, a suivi dans la presse ou à la TV les déroulement d’un de ces procès à grand spectacle qui passionnent l’opinion publique. Au fil des audiences, on voit défiler des enquêteurs et des experts qui ne sont pas d’accord entre eux. Au fil des audiences, les chroniqueurs judiciaires et le public comptent alors les points. “La déposition du policier accable l’accusé”; “La déposition du psychiatre laisse espérer des circonstances atténuantes”; “Les graphologues ne sont pas d’accord entre eux”.

Depuis 1994, le procès des événements de cette année-là, qualifiés de “génocide rwandais”, font l’objet d’un procès à ciel vert, auquel le monde sert de prétoire. Et la dernière déposition en date est le rapport Trévidic (Madame Poux est en général oubliée. Où est passée la galanterie française ?).

Le présent dossier, qui n’a d’autre prétention que d’être un florilège rassemblant quelques avis à son sujet qui nous paraissent mériter l’attention, montre par le fait même que ce rapport a soulevé bien des réactions. On ne peut faire une anthologie que si la littérature est abondante. Et la raison de ce succès médiatique est analogue à celui d’une déposition dans un grand procès d’assises. Le rapport tend à disculper l’un des suspects, Paul Kagame, et il est l’œuvre de magistrats français.

Récemment, le temps s’était plutôt gâté pour Kagame et l’APR. Les éléments nouveaux allaient en général à leur charge. Le fait que cette fois-ci les éléments révélés

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semblent être à leur décharge est en soi un fait nouveau. Et comme le pouvoir de Kigali n’a pas que des amis, il est clair que les réactions ne sont pas dépourvues d’arrière-pensées politique.

Au départ, la France s’était fait une spécialité de la mise en cause de Kagame, notamment par les recherches du juge Bruguière. C’était aussi une attitude défensive, parce que Paris se voyait accusé par le Rwanda d’avoir une part de responsabilité dans le déclenchement et la prolongation des massacres, et même peut-être dans l’attentat cotre l’avion présidentiel.

Il n’est pas niable que le rapport Trévidic tombe bien, en ce sens qu’il cadre harmonieusement avec la politique de rapprochement avec le Rwanda qui est celle de Sarkozy. Cela ne suffit pas pour remettre en cause son objectivité. Le fait que les enquêteurs français aient été autorisés à se rendre au Rwanda n’y suffit pas davantage. Il ne suffit pas qu’un élément gêne la sympathie que l’on a pour une des thèses en présence pour qu’on l’écarte à la légère. Il convient plutôt de rapporter ce élément au contexte plus général de l’enquête, et de lui donner ainsi son véritable sens.

On constatera aisément que la plupart des commentaires ne font pas cela, mais se préoccupent davantage de sonner le glas du juge Bruguière que d’examiner le rapport Trévidic. Et, comme souvent quand les experts se contredisent, on cherche des raisons objectives à mettre en avant pour préférer l’un plutôt que l’autre. Ainsi se plait-on à souligner, à l’appui de Trévidic, qu’il est le seul enquêteur français “à être allé voir sur place” alors que, comme cela signifie aussi “le seul à qui on ait accordé un visa”, on pourrait y voir un signe de connivence avec Kagame, donc en sa défaveur.

Quel avantage essentiel y avait-il encore à aller sur place, dix-sept ans après le crime?

Le moins que l’on puisse dire est que la piste ne devait plus être très fraîche.

Le fait que ce voyage ait eu de l’importance tient uniquement à ceci: son but était essentiellement d’établir d’où le missile avait été tiré. Il semble à présent établi que ce fut depuis le territoire de la base militaire FAR de Kanombe. Mais cela ne dit nullement qui a tiré. Le mystère reste donc entier, et les présomptions à l’égard de l’APR, aussi lourdes qu’auparavant.

Missiles SAM-6

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Rwanda : le «rapport Trévidic» concorde avec les analyses de plusieurs services étrangers

12 janvier 2012 | Par François Bonnet

Enfin ! Enfin, une étape décisive vient d’être franchie qui permet de nous éloigner du venimeux débat qui, principalement en France, empoisonne toute compréhension lucide du génocide survenu au Rwanda en 1994. En cent jours, à partir du 7 avril 1994, plus de 800 000 personnes étaient exterminées par les milices hutues – essentiellement des Tutsis mais aussi des Hutus opposés aux thèses extrémistes.

Le Falcon 50 abattu par un missile le 6 avril 1994.© (dr)

De ce crime des crimes, l’élément déclencheur a été, le 6 avril, les tirs de missiles qui ont abattu au-dessus de Kigali le Falcon 50 transportant le président du Rwanda, Juvénal Habyarimana, le président du Burundi, Cyprien Ntaryamira, et leurs entourages. Dès le lendemain, les forces armées du régime hutu et les milices interahamwe déclenchaient les massacres.

Dix-huit années plus tard, le rapport d’expertise technique sur les conditions de cet attentat, qui a été remis par le juge d’instruction français Marc Trévidic aux avocats des familles de l’équipage français du Falcon, ne dit pas tout. Il ne dit pas qui a tiré, et sur ordre de qui. Mais il vient renverser une thèse âprement défendue en France, qui attribue la responsabilité directe de l’attentat aux forces du FPR (Front populaire du Rwanda-tutsi) et à leur dirigeant Paul Kagamé, devenu président du Rwanda.

Réalisé sur le terrain, à Kigali, par des experts en balistique, acoustique, explosif et par de minutieux relevés cartographiques, le rapport remis par le juge Trévidic établit au contraire que deux missiles SAM-6 ont été tirés depuis le camp militaire de Kanombé, place forte de l’armée officielle, de la garde présidentielle du président Habyarimana et de commandos d’élite. Ce rapport ne peut l’établir avec certitude : mais il accrédite le fait qu’une fraction extrémiste du pouvoir hutu voulait à tout prix se débarrasser du président, suspecté d’être prêt à un compromis et à un partage du pouvoir avec les forces tutsies dans la suite des accords conclus à Arusha (Tanzanie) huit mois plus tôt.

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L’attentat et l’élimination du président Habyarimana devaient ouvrir la voie à l’entreprise génocidaire. L’avion abattu n’en fut pas la cause directe, tant les massacres étaient planifiés de longue date. Mais l’acte donna le signal du déclenchement des opérations, par le choc et le chaos provoqué.

Ce rapport technique – le juge a donné aux parties trois mois pour le contester ou demander des compléments – ne fait pas tout à fait « basculer l’histoire », comme l’affirme la

spécialiste et journaliste belge Colette Braeckman sur son blog. Mais son premier intérêt est de mettre à bas une thèse d’Etat : celle de la France. Thèse construite par le juge d’instruction Jean-Louis Bruguière et régulièrement relayée par des journalistes (dont Pierre Péan) et des experts.

Théorie et raison d'Etat

Dès 2004, mais dans une ordonnance de renvoi qui fut bouclée en 2006, le juge Bruguière lançait une tout autre thèse, construite exclusivement à partir de témoignages puisqu’il ne se rendit jamais sur le terrain pour enquêter. Le juge attribue à Paul Kagamé et à son entourage la responsabilité directe de l’attentat. Les missiles auraient été tirés depuis la colline et la ferme de Masaka, lieu également étroitement surveillé par les soldats et les milices du pouvoir mais où auraient réussi à s’infiltrer des combattants du FPR.

JL. Bruguière© Reuters

Les témoignages sont fragiles, contestés. Les conditions dans lesquelles ils sont recueillis le sont encore plus. Aucun élément matériel ne vient à l’appui de cette démonstration.

Peu importe, Bruguière construit de fait ce qui ressemble à une théorie, une théorie qui arrange les autorités françaises mises en cause pour leur soutien au régime hutu voire

l’implication de nos forces sur le terrain dans les opérations de génocide. Paul Kagamé aurait programmé l’élimination du président pour empêcher l’application de l’accord sur un partage du pouvoir et la tenue d’élections. Sûr de sa domination militaire, aux portes mêmes de Kigali, Habyarimana éliminé, Kagamé pouvait s’emparer du pouvoir et du pays.

A l’appui de sa thèse, Jean-Louis Bruguière délivrait en 2006 neuf mandats d’arrêt

internationaux visant des proches de Kagamé, dont l’actuel ministre rwandais de la défense, James Kabarebe. Dans les années qui ont suivi, plusieurs témoins clés de l’enquête du juge Bruguière se sont rétractés, d’autres ont été contredits. Pièce par pièce, la construction du juge

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français s’est défaite. Son collègue Marc Trévidic, qui a repris le dossier depuis 2007, lui a porté le coup de grâce.

Bruguière et son enquête ont d’abord servi la raison d’Etat, visant à protéger la position de la France et son rôle dans le dernier génocide du XXe siècle. Une raison d’Etat doublement verrouillée, si l’on peut dire, puisque le génocide survint en période de cohabitation. Sont donc mis en cause dans la gestion de cette crise la gauche comme la droite, Edouard Balladur, Alain Juppé comme Hubert Védrine et François Mitterrand.

En 1998, une mission parlementaire présidée par l’ancien ministre socialiste de la défense Paul Quilès s’efforçait de jeter un voile opaque sur cette politique. Tout en affirmant, sans avoir pourtant recueilli beaucoup d’informations et en s’étant abstenu d’auditionner un certain nombre d’acteurs clés, que la France n’était « nullement impliquée » dans le génocide, les parlementaires voulaient bien reconnaître « une erreur globale de stratégie »…

Une note des services belges

Par dérapages et raccourcis successifs, la thèse Bruguière allait provoquer bien pire, une relecture négationniste de l’extermination des Tutsis : en organisant l’attentat, les rebelles du FPR et Paul Kagamé auraient provoqué le massacre de leur propre peuple. Et ces massacres, soutinrent même certains, allaient permettre de masquer les propres exactions du FPR contre les Hutus.

Dans l’avalanche de polémiques et d’argumentaires biaisés qui ont entouré cet attentat, on néglige pourtant l’essentiel. Très vite, la thèse d’une opération menée par les extrémistes hutus entourant la famille du président Habyarimana a été étudiée, solidement documentée et finalement retenue par les services d’autres pays, par les Belges, par les Britanniques, par les Américains !

La radicalisation voulue et préméditée par les franges les plus extrêmes du régime hutu a été retenue par de nombreux experts. Ils s’appuyaient, outre des témoignages, sur un examen attentif de l’engrenage génocidaire méthodiquement construit par des responsables hutus depuis des mois. Ou par l’écoute attentive de la radio RTLM (la Radio Télévision Libre des Mille Collines), créée à l’été 1993 par les extrémistes hutus et qui allait devenir la voix des génocidaires.

Ainsi, comme l’ont expliqué Gabriel Périès et David Servenay dans le livre Une guerre noire, le Service général de

renseignements (SGR) belge privilégie dès les premiers jours une opération des ultras du Hutu-power. Le 22 avril, moins de deux semaines après l’attentat, le SGR rédige la note suivante :

« Tout fait croire maintenant que les auteurs font bien partie de la fraction dure des Ba-Hutu à l’intérieur de l’armée rwandaise.

Chose étrange, qui fait supposer qu’il n’y a pas eu improvisation en la matière : une demi-heure après le crash, et donc bien avant l’annonce officielle à la radio, la "purification ethnique"

commençait à l’intérieur du pays, menée sauvagement d’après des

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listes pré-établies. »

Le rapport des services belges se fait encore plus précis :

« Ce groupe gravitait dans l’orbite de Madame la présidente dont les frères et cousins étaient devenus de hauts dignitaires du régime. Ils avaient trempé dans des affaires de terreur et d’argent et il était impensable pour eux de renoncer à leurs privilèges et passe-droits. C’est eux qui dirigeaient les "Interahamwe", les jeunesses du MNRD qui formaient les sinistres escadrons de la mort. Ce lobby comprenait également des militaires de haut rang, et c’est parmi eux qu’il faut rechercher les responsables de l’attentat contre l’avion présidentiel.

Donc, pas Madame en personne, mais son clan qui a été dépassé par sa propre logique interne de violence. »

A Washington, le département d’Etat fait la même analyse, selon un document déclassifié dans le cadre d’une demande de Freedom of Information Act faite par un ancien de la National security agency. Et aussitôt, l’administration américaine s’attend au déclenchement des massacres de masse et crée dès le 7 avril au soir une cellule de crise pour suivre au plus près les événements.

Agathe Kanziga, veuve Habyarimana, vit en France.© (dr)

Le jour suivant l’attentat voit se concrétiser la prise de pouvoir des ultras et l’élimination rapide de tous les ministres du régime ayant soutenu le processus de négociations, toutes les personnalités modérées susceptibles de succéder à Habyarimana. « C’est un putsch doublé d’une purge, où but politique et objectif militaire se confondent », notent Gabriel Périès et David Servenay. Le lendemain, les ordres filent vers toutes les communes rurales du pays : le génocide a démarré.

L’enquête du juge Bruguière, négligeant tous les rapports et analyses des services étrangers, a ainsi servi de leurre durant de longues années. Bruyamment relayée par Pierre Péan, cette thèse a empêché toute recherche sereine de la vérité, amenant au passage à la rupture des relations entre le Rwanda dirigé par Paul Kagamé et la France, de 2006 à 2010. Relations péniblement rétablies aujourd’hui, comme en témoigne la visite de Nicolas Sarkozy à Kigali et celle de Kagamé à Paris en septembre dernier.

Kigali se félicite

Bruguière a aussi évité de poser des questions embarrassantes que le rapport technique commandé par le juge Trévidic relance. Le jour de l’attentat, des officiers français étaient présents dans le camp militaire de Kanombe. Ils y entraînaient des forces spéciales de l’armée rwandaise. Qu’ont-ils vu, su, qu’ont-il fait ? Les spéculations concernent aussi un homme,

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l’ancien gendarme de l’Elysée et capitaine de gendarmerie Paul Barril. Il a été vu à Kigali la veille, demeure durant le génocide dans des zones contrôlées par les forces hutues. Il n’a jamais été entendu, ni par les parlementaires, ni par la justice.

Paul Kagamé: première visite en France en septembre 2011 depuis la rupture des relations diplomatiques en 2006.© (Reuters)

Dès mardi, les autorités rwandaises se sont félicitées des conclusions de ce rapport. « Cette vérité scientifique claque la porte sur dix-sept ans de campagne visant à nier le génocide et blamer les victimes. Il est maintenant clair que l’attentat contre l’avion a été un coup d’Etat des extrémistes hutus et de leurs conseillers », a déclaré la ministre rwandaise des affaires étrangères, Louise Mushikiwabo.

Le régime de Paul Kagamé peut d’autant plus triompher que les expertises scientifiques viennent soutenir les conclusions du rapport d’enquête demandé par le gouvernement

rwandais et rendu public en janvier 2010 – connu comme le « rapport Mutsinzi ». Ce rapport désignait les cercles extrémistes du pouvoir hutu décidés à se débarrasser d’Habyarimana et à en faire la raison du déclenchement du génocide. Son aspect polémique avait permis aux responsables français de lui dénier toute crédibilité. Le “rapport Trévidic” vient changer la donne et devrait aussi amener les autorités françaises à donner de nouvelles explications.

*

Attentat Habyarimana : Les expertises innocentent le Front patriotique (FPR)

C’est un tsunami judiciaire qui a emporté mardi après-midi l’enquête menée par le juge

« antiterroriste » Jean-Louis Bruguière sur l’attentat ayant visé l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994. Du monstrueux empilement de

témoignages à charge qui avait abouti en 2006 à neuf mandats d’arrêt contre les hauts

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gradés de l’Armée patriotique rwandaise, il ne reste pratiquement rien debout.

Les expertises balistiques et phoniques commandées par ses successeurs les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux démontrent que les deux missiles qui ont abattu l'avion le 6 avril 1994 vers 20 h 30 n’ont pu être tirés par un commando du Front patriotique infiltré sur la colline de Masaka. Les tireurs se trouvaient au camp Kanombe sévèrement contrôlé par les Forces armées rwandaises. Ce camp était sous le contrôle du major Aloïs Ndabakuze, chef des parachutistes commandos de l'armée rwandaise, condamné en première instance par le

Tribunal pénal international à la prison à vie pour son rôle crucial dans le génocide.

Sous le contrôle du major Aloïs Ndabakuze

Les experts ont porté une grande attention aux témoignages du commandant français Grégoire de Saint-Quentin et au médecin-colonel belge Massimo Pasuch, qui habitaient le camp

Kanombe et ont entendu le départ des missiles non loin (voir Afrikarabia)

Les experts estiment aussi que les tireurs étaient très expérimentés, relançant l’hypothèse de l’intervention de spécialistes étrangers des missiles, qu’il s’agisse d’agents secrets ou de mercenaires.

Des agents secrets ou des mercenaires

En avril 2010, les juges antiterroristes Marc Trévidic et Nathalie Poux avaient désigné cinq experts, géomètre, balistique, explosifs et incendie, rejoints plus tard par un acousticien, pour déterminer les lieux possibles des tirs ayant abattu l'avion présidentiel, considéré comme l'acte déclencheur du génocide rwandais.

Vingt mois plus tard et après un déplacement au Rwanda en septembre 2010 pour essayer de reconstituer les conditions de l'attentat, juges et experts dévoilaient mardi après-midi leurs conclusions aux parties concernées par l'enquête. Une vidéo en 3D réalisée sous le contrôle des experts a également été montrée. Elle synthétise les éléments confirmés par les

spécialistes en balistique et en propagation des sons.

Une vidéo en 3D explicite

La connaissance du lieu de tir des missiles, déterminante pour identifier les tireurs, désigne clairement des éléments extrémistes des Forces armées rwandaises, comme Afrikarabia le laissait entendre ces derniers jours.

L'enquête du juge Jean-Louis Bruguière avait pourtant désigné en 2006 un commando du Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion majoritairement tutsie dirigée en 1994 par l'actuel président Paul Kagame. L’émission des neufs mandats d’arrêt internationaux avait provoqué la rupture par Kigali des relations diplomatiques avec la France. Il aura fallu beaucoup de patience à Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, et beaucoup de détermination au président Nicolas Sarkozy, en butte aux critiques d’irréductibles hauts- gradés français qui poursuivent une guerre médiatique contre Kagame, pour les rétablir.

L’aveuglement du juge Bruguière

Selon le juge Bruguière, les hommes du FPR se seraient infiltrés depuis le parlement rwandais

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à travers le dispositif des Forces armées rwandaises (FAR, loyalistes) sur la colline de

Massaka, qui surplombe l'aéroport à l'est de la piste. De prétendus membres du commando ont accrédité cette thèse avant de se rétracter.

A l'inverse, un rapport d'enquête rwandais (dit « Rapport Mutsinzi »), fondé sur près de 600 témoignages, a documenté la piste de tirs partis depuis le camp militaire de Kanombe,

importante base des FAR, jouxtant l'aéroport et la résidence présidentielle au sud-est, où il est

"impossible d'imaginer" que le FPR ait pu s'infiltrer.

Les faux témoins du juge antiterroriste

La thèse rwandaise, devenue aujourd’hui la thèse Trévidic, impute la responsabilité de l'attentat aux extrémistes hutus des FAR, qui auraient voulu se débarrasser du président Habyarimana, jugé trop modéré, pour faciliter un coup d'Etat.

Aux experts, les juges français avaient demandé de reconstituer la trajectoire du Falcon 50 présidentiel, d'évaluer sa position au moment où il a été touché, de déterminer le type de missile utilisé, mais également les modes opératoires possibles, et de confronter le tout avec les témoignages et données topographiques.

Ces experts ont définitivement démontré que les tirs ne pouvaient partir que du camp des Forces armées rwandaises dit « camp Kanombe ».

Habyarimana liquidé par les extrémistes de son camp

« Nous attendons maintenant qu’un non-lieu soit prononcé en faveur de nos clients », ont déclaré les avocats des mis en examen, Mes Bernard Maingain et Léon-Lef Forster, en quittant le cabinet du juge Marc Trévidic, ajoutant que « la mise en cause du FPR est dorénavant inimaginable".

Du côté des parties civiles, l'avocat de la veuve du président rwandais Agathe Habyarimana, Me Philippe Meilhac, a manifesté un certain embarras. Selon lui, il n’est pas imaginable que les FAR aient disposé de spécialistes des missiles du niveau requis.

L’embarras de l’avocat d’Agathe Habyarimana

Maîtres Léon-Lef Forster et Bernard Maingain, avocats de sept Rwandais toujours mis en examen organiseront une conférence de presse ce mercredi à Paris. Ils reviendront sur les conclusions des experts mandatés par les deux magistrats français, et comptent exposer les nombreuses manipulations et irrégularités qui ont entaché cette information judiciaire pendant la décennie où celle-ci était conduite par le juge Jean-Louis Bruguière.

Le gouvernement rwandais a salué hier le rapport des experts mandatés par les juges français Marc Trévidic et Nathalie Poux. Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement a déclaré : « Les résultats présentés aujourd'hui constituent la confirmation de la position tenue de longue date par le Rwanda sur les circonstances qui entourent les événements du mois d’avril 1994. Grâce à la vérité scientifique ainsi établie, les juges Trévidic et Poux ferment avec éclat le chapitre de ces 17 années de campagne visant à nier le génocide et à faire porter aux victimes la responsabilité de leur sort. Pour tout le

monde, il est désormais établi que l’attentat contre l’avion faisait partie d’un coup d’état mené

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par des éléments extrémistes hutu assistés de leurs conseillers, qui détenaient le contrôle du camp militaire de Kanombe ».

Satisfaction à Kigali

Louise Mushikiwabo a ajouté : « Pour le peuple du Rwanda, le rapport d'aujourd'hui résulte d'une enquête de grande qualité, requise par des magistrats français aux références

irréprochables et réalisée par des experts de renommée internationale. Il rend justice à ceux qui ont été faussement accusés d’avoir abattu l’avion, mettant une fin définitive aux

mensonges et aux théories du complot qui ont, trop longtemps, essayé de détourner l’attention du monde loin des auteurs véritables des crimes abominables perpétrés au Rwanda pendant le génocide.

La Ministre Mushikiwabo a conclu par ces mots : « Les Rwandais saluent ces conclusions qui apportent un meilleur éclairage sur un chapitre vital de l’histoire de notre pays. Sans fléchir ni nous laisser distraire, nous poursuivons la tâche capitale de reconstruction du pays pour les générations à venir ».

*

Mise au point de B. LUGAN sur le rapport des Juges TREVIDIC et POUX

1) Le Rapport parlementaire français date de 1998. Or, depuis, les connaissances que nous avons de la question ont considérablement progressé. C’est ainsi que devant les quatre Chambres du TPIR, des centaines de témoins ont parlé, des milliers de documents ont été présentés, de nombreux experts de toutes disciplines ont déposé des rapports. L’histoire a donc avancé. Vous semblez l’ignorer et c’est pourquoi votre analyse des évènements est obsolète.

Expert dans les principaux procès qui se sont tenus devant le TPIR[1], et étant intervenu en fin de chaque procédure, j’ai très exactement eu à faire le bilan de ces avancées historiographiques. Pour être clair, disons que je fus à plusieurs reprises assermenté par le TPIR, à la demande de la Défense, pour montrer au Tribunal en quoi les avancées scientifiques résultant d’années de procédure contredisaient l’acte d’accusation dressé dans les années 1995-1997, et le rendaient par conséquent obsolète.

Assermenté dans les deux principaux procès des responsables militaires (Militaires I et Militaires II TPIR-98-41-T et TPIR- 2000-56-T), j’ai tout particulièrement travaillé sur la question du « timing » de l’offensive du FPR.

Cette question est en effet fondamentale car, depuis 1994, le FPR soutient qu’il l’a lancée plusieurs jours après l’attentat pour se porter au secours des populations massacrées.

Or, non seulement cette thèse n’a pas prospéré devant le TPIR, mais il a

même été établi et cela sans le moindre doute, que cette offensive - qui

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avait été programmée puisque les forces et les moyens avaient été prépositionnés -, a suivi l’attentat et qu’elle débuta dès la nuit du 6 au 7 avril 1994. Nous avons le nom des chefs de colonnes, leur lieu de concentration dans le nord du Rwanda, leur effectif, leur ordre de marche et le minutage précis de leur progression. Les premiers combats ont commencé à Kigali le 7 avril très précisément entre 5 et 6 heures du matin

[2]

.

Il est insolite de constater que vous semblez l’ignorer ; mais il est vrai que votre association n’a pas eu, comme moi, accès à l’ensemble des travaux du TPIR.

2) Contrairement à ce que vous écrivez, les experts n’ont pas déterminé avec une précision « qui n’est pas contestée » le lieu du tir des deux missiles lequel est d’ailleurs en contradiction avec les témoignages des acteurs de l’attentat. Mais, ce sera au juge de les confronter.

Dans l’immédiat, je vous livre quelques informations qui ont leur importance au sujet de l’expertise acoustique puisque c’est elle qui l’a emporté sur les hésitations des autres experts :

- L’expert acoustique ne s’est pas rendu au Rwanda et il a fait son expertise

« en chambre ».

- Il n’a jamais entendu un départ de SA 16.

- Selon certaines informations « officieuses » en cours de vérification, cette expertise aurait été faite sur simulation, avec un missile d’un type voisin du SA 16 et dans un camp militaire français de la région de Vierzon. Pour mémoire, la région de Vierzon est plate alors que celle du lieu de l’attentat est un cirque de collines…, ce qui a tout de même une certaine importance dans la propagation des sons !!!

Si ces informations étaient vérifiées, nous serions donc en plein amateurisme, pour ne pas dire en pleine dérive…

3) Le camp Kanombe n’était pas comme vous l’écrivez, le « sanctuaire » de la garde présidentielle dont le cantonnement principal était situé au centre ville de Kigali, face au CND, casernement de l’APR depuis la signature des Accords d’Arusha.

J’ai bien connu le camp Kanombe quand je vivais au Rwanda. Je puis

certifier qu’à cette époque - peut-être y eut-il des changements ensuite -, il

n’avait rien d’une caserne de la Légion étrangère… et on y pénétrait

facilement à condition de ne pas franchir l’entrée principale. A mon époque

toujours, c’était un vaste espace en partie clôturé par deux rangs de

barbelés souvent détendus, ouvert vers Masaka sur des friches et des

taillis. J’y ai chassé la perdrix sur ses limites hautes vers la colline Masaka,

et la bécassine dans le vallon séparant la colline Kanombe de celle de

Masaka.

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Ceci pour dire qu’effectivement, il n’est pas exclu qu’un commando FPR ait pu s’y introduire. Mais les acteurs de l’attentat parlent tous de Masaka.

Or, vous faites totalement l’impasse sur ces témoignages extrêmement détaillés qui figurent pourtant au dossier et que le juge confrontera au rapport des experts.

Afin de précéder votre question, je porte à votre connaissance, car vous semblez définitivement ignorer les travaux du TPIR, quel’un de ces témoins, Abdul Ruzibiza, a fait sous serment devant la Cour les mêmes déclarations que celles antérieurement faites au juge Bruguière et que, quelques semaines avant sa mort, il les confirma devant la justice française, revenant ainsi sur une précédente rétractation. Depuis, d’autres témoins ou acteurs se sont déclarés qui, tous, confirment l’hypothèse avancée par le juge Bruguière.

Nous sommes d’accord sur un point : l’avion présidentiel a bien été abattu par deux missiles Sam7. Or, et là encore, et vous semblez l’ignorer, la traçabilité de ces deux missiles a été établie. Grâce à la coopération judiciaire de la Russie nous savons en effet que ces deux missiles portables SAM 16 dont les numéros de série étaient respectivement 04-87- 04814 et 04-87-04835 faisaient partie d’un lot de 40 missiles SA 16 IGLA livrés à l’armée ougandaise quelques années auparavant. Or, vous n’êtes pas sans savoir que Paul Kagamé et ses principaux adjoints furent officiers supérieurs dans l’armée ougandaise avant la guerre civile rwandaise et que, de 1990 à 1994, l’Ouganda fut la base arrière mais aussi l’arsenal de l’APR. Sur ce point également, les travaux du TPIR permettent des certitudes.

De plus, comme cela a été établi, une fois encore devant le TPIR, l’armée rwandaise ne disposait pas de tels missiles.

Le FPR a tenté de faire croire qu’en 1991, quand il était chef d’état-major des FAR, le colonel Serubuga en aurait commandé à l’Egypte. Cet argument a été balayé de la manière la plus formelle par le TPIR qui a admis qu’il s’agissait d’un faux, ou plus exactement d’une tentative de manipulation à partir d’une facture pro forma (je donne la photocopie du document dans mon livre page 297) que l’on avait tenté de faire passer pour une facture authentique. Cette curieuse méthode attira d’ailleurs une réponse cinglante du président de la Chambre que je cite pages 261-264 de mon livre.

Voilà, cher Monsieur, quelques éléments de réponse qui, j’en suis sûr, n’entameront pas vos certitudes militantes.

Que peuvent en effet les preuves face à une croyance quasi religieuses

puisque vous êtes persuadé d’être le Bien contre le Mal ? L’historien dont la

position a évolué au fur et à mesure du dossier a, quant à lui, toujours à

l’esprit cette phrase de Beaumarchais que je vous invite à méditer : « Je ne

blâme ni ne loue, je raconte ».

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Bernard Lugan 14/01/12

[1] Expert assermenté dans les affaires Emmanuel Ndindabahizi (TPIR-2001-71-T), Théoneste Bagosora (TPIR-98-41-T), Tharcisse Renzaho (TPIR-97-31-I), Protais Zigiranyirazo. (TPIR-2001-73-T), Innocent Sagahutu (TPIR-2000-56-T), Augustin Bizimungu (TPIR- 2000-56-T). Commissionné dans les affaires Edouard Karemera (TPIR-98-44 I) et J.C Bicamumpaka. (TPIR-99-50-T). La synthèse de ces rapports et des travaux du TPIR a été faite dans Bernard Lugan (2007) Rwanda : Contre- enquête sur le génocide et l’actualisation du dossier dans l’Afrique Réelle, n°4, avril 2010, disponible par PDF à la revue www.bernard-lugan.com

[2] Pour la chronologie détaillée de cette question, je vous renvoie à mon livre (Rwanda : Contre- Enquête sur le Génocide à partir de la page 84.) Depuis la parution de ce livre, la chronologie a encore été affinée.

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Attentat Habyarimana : Le florilège de « l’enquête » Bruguière

Depuis sa saisine en 1998 jusqu’à son remplacement par le juge Marc Trévidic en 2007, le juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière a mené une instruction entièrement à charge pour démontrer la responsabilité du Front Patriotique dans l’attentat du 6 avril 1994 à Kigali. L’Ordonnance qu’il diffusait ou laissait diffuser en 2006 constituait une réécriture de l’histoire du Rwanda pour rendre le mouvement rebelle, majoritairement tutsi, responsable du génocide des Tutsis dont l’attentat a été le déclencheur.

A présent que les expertises réduisent à néant cette thèse, il n’est pas inutile de rassembler un florilège des citations les plus significatives du dossier Bruguière…

« Des témoignages enregistrés, il ressort que cet acte meurtrier a été l'oeuvre de rebelles du « Front patriotique rwandais» (FPR ) placé sous l'autorité de M. Paul Kagamé, chef d'état- major de l'armée ougandaise » 15 septembre 1999, note au juge Bruguière de l’inspecteur général Marion, chef de la division nationale antiterroriste.

« Sans posséder d'informations précises et de témoignages, je suis cependant en mesure de dire que cet attentat ne peut être que l'oeuvre du FPR. » Le 26 octobre 1998, interrogatoire de Faustin Twagiramungu par le juge Bruguière

« C'est le FPR infiltré qui nous a tiré dessus » Catherine Mukamusoni, sœur d’Agathe Habyarimana, lettre de plainte le 5 juillet 1994.

« La conviction de Robert Debré rendant le Front patriotique rwandais responsable de l'attentat s'était forgée à la lecture des télégrammes du Quai d'Orsay, des notes de service français (surtout !) et des journaux de l'époque » (cote 65 du dossier Bruguière et lors de son audition devant la « Mission Quilès » le 2 juin 1998 (procès-verbal numéro 144/16))

« La responsabilité du FPR , sans être prouvée, est beaucoup plus vraisemblable (que celle des proches du président Habyarimana ». Note de l'ambassadeur de France au Rwanda Jean-

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Michel Marlaud, rédigée à Paris le 25 avril 1994

« L'hypothèse d'un attentat organisé par des extrémistes hutu de l'entourage du président Habyarimana qui auraient voulu donner un coup d'arrêt au processus de paix ne semble pas tenir à l'analyse ». Citation d’une « Fiche en possession du ministère de la Défense tendant à démontrer que le FPR avec la complicité de l'Ouganda est responsable de l'attentat ».

Direction du Renseignement Militaire français, avril 1994 (document vraisemblablement rédigé par le colonel Bernard Cussac).

« Je récuse totalement que cet attentat ait pu être l'oeuvre des FAR ou de l'entourage du président ou des extrémistes hutus » Audition le 14 juin 2000 de Bernard Cussac, attaché de défense et chef de la mission militaire de coopération au Rwanda de juillet 1991 à avril 1994

« La procureur du TPIR ou tout autre organe désigné par le Conseil de sécurité de l'ONU, doit mener une enquête sur l'assassinat du président Habyarimana et sur la responsabilité du FPR, pour mettre fin aux spéculations inacceptables » Lettre des détenus du TPIR au

secrétaire général des Nations unies au sujet de l'enquête sur l'assassinat du président Habyarimana.

« J’exclue toute éventualité d'un coup d'Etat de la part du mouvement hutu extrémiste » Résumé par commissaire principal Philippe Frizon, chef de la division nationale antiterroriste par intérim, de la déposition d'Aloys Ntabakuze le 7 juillet 2000.

« Le responsable sur le terrain des deux postes de tir de missile était ce soir-là le sous- lieutenant Joseph Kayumba, chargé de la section missiles au Front patriotique rwandais ».

Déposition en prison d’Hassan Ngeze (directeur du journal extrémiste Kangura, condamné par le TPIR, résumée par le commissaire principal Philippe Frizon, 7 juillet 2000.

« Le lendemain de l'attentat le 7 avril 1994, il avait eu entre midi et 14 heures, un message émanant du Front patriotique rwandais capté à Gisenyi par les Forces armées rwandaises dans lequel Paul Kagamé « félicitait les gens qui avaient réussi le coup de l'attentat contre l'avion présidentiel avec l'apport de leurs amis belges ». Théoneste Bagosora, directeur de cabinet du ministre de la Défense en 1994, déposition résumée par le commissaire principal Philippe Frizon, 7 juillet 2000.

« Le FPR avait mis en place une cellule autonome chargée d'abattre Habyarimana. (...) c'est tout ce que je suis en mesure de vous dire en affirmant la sincérité des informations que j'ai obtenues auprès de Messieurs Seth Sendashonga et Claude Dusaidi. Je cite volontairement mes sources aujourd'hui, car ils sont décédés tous deux ». 4 août 2000, déposition de Stephen Smith, responsable de l'Afrique au quotidien Libération.

« En tout cas, Kagamé et son entourage étaient très fiers de l'avoir descendu ». Paul Barril, interrogé par l’équipe Bruguière le 20 juin 2000

« (Mon) enquête, sur place, de même qu'une centaine de témoignages recueillis au Rwanda, dans plusieurs pays d'Afrique de l'Est et en Europe, fait ressortir, en l'absence de preuves matérielles, comme la plus plausible des différentes hypothèses, une monstrueuse

présomption que le Front patriotique rwandais, le mouvement représentant les Tutsi minoritaires du Rwanda, ait pu commettre l'acte entraînant le génocide de ses partisans. » Stephen Smith, Libération, 29 juillet 1994.

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« Les missiles utilisés pour l'attentat avaient été transportés à Kigali par Kagamé et

l'opération en question était dirigée par le colonel Charles Kayonga, lequel était accompagné de Rosa Kabuye, laquelle était chargée de l'installation des membres du commando ».

Christophe Hakizabera, interrogé sur commission rogatoire en Italie à la suite de son rapport

« l'ONU dans l'étau des lobbies du FPR » Note envoyée par fax à la Direction nationale antiterroriste le 26 juin 2000

« Si l'on pense que l'attentat ait pu être l'oeuvre des extrémistes, il ne faut pas oublier que le chef de ceux-ci Elie Sagatwa se trouvait dans l'avion présidentiel » Déposition d’Alphonse Higaniro, ami du président Habyarimana devant le commissaire Payebien le 5 octobre 2000.

« Les sources ont toutes confirmé que le network, sous le commandement du général Paul Kagamé avait planifié et exécuté l'attentat à la roquette contre le président Habyarimana.».

Dépositions de Michael Hourigan, ancien chargé d’enquête au TPIR.

« Ma conviction personnelle est que le FPR avait très bien préparé son coup. Une infiltration, même de jour, à partir du CND dans la plaine de Masaka était tout à fait réalisable par une équipe aguerrie. » Audition le 22 juin 2001 du colonel Jean-Jacques Maurin, adjoint à l'Attaché défense et adjoint opérationnel conseiller du chef d'état-major de l'armée rwandaise du 24 avril 1992 jusqu'au 14 avril 1994.

« J'avais été chargé de la sécurité extérieure d'une salle de réunion du quartier général de l'APR à Mulindi (...)., j'ai distinctement vu et entendu le colonel Nyamwasa Kayumba

prononcer cette phrase : « Qu'il n'y avait pas d'autre façon de faire que de tirer sur son avion

» faisant explicitement référence à l'avion du président Habyarimana. » Évariste Mussoni, ex soldat du FPR, interrogatoire par Jean-Louis Bruguière le 29 août 2001.

« J'ai été amené à être le témoin de trois réunions au cours desquelles il a été envisagé puis arrêté la décision d'assassiner le président Juvénal Habyarimana ». Innocent Marana, dit avoir été le chauffeur personnel de Paul Kagamé interrogatoire par Jean-Louis Bruguière le 29 août 2001

« J'ai entendu Paul Kagamé dire à James Kabarebe d'expliquer aux officiers présents le plan retenu pour assassiner le président Habyarimana. James Kabarebe a détaillé qu'il avait déjà sélectionné des hommes de confiance de son unité pour commettre l'attentat. Je n'ai pas entendu clairement en détail ce qui a été dit mais j'ai saisi le mot "missile" ». Déposition d’Innocent Marara réentendu par le lieutenant de police Frédéric Piwowarczyk, le 3 septembre 2002.

« J'ai vu le colonel Nyamwasa Kayumba prendre la parole et dire "qu'il n'y a pas d'autre façon de faire que de tirer sur son avion". C'est la seule fois où j'ai entendu des propos ayant un lien avec l'attentat commis contre l'avion du président Habyarimana le 6 avril 1994. » Évariste Mussoni, ex soldat du FPR, réinterrogé le 4 septembre 2001 avec comme interprète Fabien Singaye.

« (Par le) capitaine Jimmy Mwesige, membre du DMI et ancien membre des services de renseignements ougandais (...), j'ai appris que le matériel ayant servi pour commettre

l'attentat était venu du quartier général de Mulindi et que cet armement antiaérien qui servait à la défense du quartier général de Paul Kagamé provenait de l'Ouganda. (...) Il m'a été

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indiqué que les militaires du commando impliqué dans l'opération faisaient partie d'une unité qui avait été entraînée en Ouganda à l'utilisation du matériel anti aérien. » Audition de Sixbert Musangamfura, ancien responsable du service civil de renseignement du Rwanda, par le juge Bruguière, le 14 juin 2002.

« Anatole Nsengiyumva faisait remarquer que les membres de la "Coalition pour la défense de la république CDR) ou "extrémistes hutus" était des civils et il ne voyait pas ceux-ci utilisant des missiles sol air. » Déposition de Gratien Kabiligi, chef du bureau G3 des Far en 1994, résumée par l’équipe Bruguière, cote 6479

« Ce Network Commando avait également pour mission (...) la reconnaissance de la zone de Masaka, Kanombe, située dans le secteur d'approche de l'aéroport de Kigali pour préparer un attentat contre l'avion présidentiel dans sa phase d'approche. (...) Nous avons rejoint chacun notre emplacement prévu. (...) Sur le terrain, l'avion du président Habyarimana a été identifié aux alentours de 20 h 30. Le premier missile a été tiré par Éric Hakizimana mais a manqué sa cible, l'avion étant toutefois déséquilibré. Franck Nziza a tiré le missile quatre ou cinq secondes plus tard et l'avion a été détruit ». « Lieutenant » Abdul Ruzibiza par Jean- Louis Bruguière 4 juillet 2003.

« En ce qui concerne la participation des FAR à un coup d'Etat contre le président

Habyarimana, je l'exclus totalement. (...) J'ai constaté que le colonel Bagosora était perdu, voire isolé et il se demandait ce qu'il fallait faire » Lieutenant-colonel Marcel Bivugabagabo interrogé par Jean-Louis Bruguière, cote 6667.

« Le projet qui m'a été présenté consistait à trouver un site de tir pour abattre l'avion

présidentiel avec des missiles. Je précise que j'étais sous-officier et plus exactement sergent et chef d'un groupe de six hommes. Abdul Ruzibiza nous a donné des instructions pour nous répartir en protection sur le site de tir à Masaka. (...) Je n'ai pas vu qui étaient les tireurs et c’est plus tard que j'ai appris qu'il s'agissait du sous-lieutenant Franck Nziza et du caporal Éric Hakizimana. » Audition par Jean-Louis Bruguière de Emmanuel Ruzigana, ex militaire du FDPR, le 29 mars 2004.

« Lizinde a lu le rapport à Kagamé. Après la lecture du rapport, Kagamé a dit à l'adresse des personnes présentes qu'il fallait monter l'opération le jour où arriverait l'avion du président, ajoutant que si on ne passait pas à l'action, la guerre ne s'arrêterait jamais. » Déposition d’Aloys Ruyenzi, ancien militaire du FPR, avec M. Fabien Singaye comme interprète en langue kinyarwanda, en présence de Jean-Louis Bruguière, le 25 mai 2004.

Sélection de citations par Jean-François DUPAQUIER

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La lourde responsabilité du juge Trévidic

Ce matin, j’éprouve un sentiment d’indignation, d’effarement, de révolte. J’ai l’impression que tous les efforts consentis depuis des années, par moi-même mais aussi par d’autres que moi, souvent plus qualifiés, afin de faire éclater la vérité, ont été anéantis par quelques flashs d’information claironnant depuis hier soir les résultats biaisés d’une enquête de

complaisance.

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On l’aura compris, c’est la publicité donnée aux conclusions des « experts » désignés par le juge français Marc Trévidic qui me met hors de moi. Ainsi donc, si j’en crois ce qui a été abondamment relayé par les médias français, l’avion dans lequel les présidents rwandais et burundais, leurs entourages respectifs et l’équipage français, en ce funeste soir du 6 avril 1994, ce Falcon 50 aurait été abattu par des « extrémistes hutu » (pour reprendre la

terminologie douteuse utilisée par nos grands médias). Il n’aurait donc pas été descendu par les hommes de Paul Kagame, l’homme fort arrivé au pouvoir dans les mois qui suivirent cet élément déclencheur d’épouvantables massacres et de la reprise de la guerre au Rwanda.

Ces mêmes grands médias ainsi que les relais traditionnels de la propagande kagamiste en France et en Belgique nous « rappellent » que ces conclusions contredisent une thèse

officielle depuis 1994, à savoir celle qui indique que c’est le FPR de Paul Kagame qui serait à l’origine du tir de missiles contre l’avion présidentiel. Il n’y a rien de plus mensonger ! Ces conclusions remettent au contraire à l’honneur la thèse officielle qui a prévalu durant les années qui ont suivi le génocide rwandais. En effet, durant toute la fin des années 90 et jusqu’au début des années 2000, c’est bien cette thèse d’un acte commis par les « extrémistes hutu » qui était considérée comme la plus crédible et qui était reprise par les grands médias internationaux. Ce n’est que peu à peu que la gangue de mensonges accumulés pendant des années a commencé à se craqueler. Tout doucement, on a commencé à évoquer une autre possibilité : celle d’une action d’hommes du FPR, sur ordre de Paul Kagame. Il est vrai que cette version-là fut largement diffusée à la suite du travail accompli par le juge Bruguière, prédécesseur du juge Trévidic. Bruguière n’avait pas hésité à lancer des mandats d’arrêt internationaux à l’encontre de proches de Paul Kagame, faute de pouvoir inculper Kagame, protégé par son immunité de chef d’Etat. La procédure lancée par le juge Bruguière amena le dictateur rwandais, rendu furieux, à rompre les relations diplomatiques avec la France, le 24 novembre 2006.

La thèse selon laquelle Paul Kagame a donné l’ordre d’abattre l’avion du président

Habyarimana n’émane pas de la seule ordonnance du juge Bruguière. De nombreux témoins rwandais, dont certains issus des rangs du FPR, l’ont aussi défendue. Le dernier en date n’est autre que le Dr Théogène Rudasingwa, qui fut secrétaire-général du FPR et qui était major dans l’armée de Kagame au moment des faits. Monsieur Rudasingwa a fui aux Etats-Unis et c’est depuis ce pays qu’il a publié une confession choc, en octobre 2011. Dans ce document, il révélait que Kagame lui-même lui avait confirmé avoir donné l’ordre d’abattre l’avion. Dans un communiqué publié hier, il s’étonne de ne pas avoir été entendu par le juge Trévidic, malgré sa pleine et entière disponibilité pour témoigner.

Afin d’essayer d’y voir clair, il convient de reprendre un certain nombre d’éléments importants.

1. Selon la thèse mettant en cause les « extrémistes hutu », le président Habyarimana aurait été assassiné car il avait fait de trop grandes concessions lors des négociations d’Arusha. Les extrémistes, craignant de voir le FPR entrer au gouvernement de transition, auraient décidé de s’emparer du pouvoir. Pour cela, il fallait éliminer le président. Tous les témoins sur place confirment la panique et l’inorganisation qui régnaient au sein de ce qui restait du

gouvernement rwandais dans les heures qui suivirent la mort d’Habyarimana. Ceux qui devaient prendre les rênes du pouvoir le lendemain avaient été visiblement pris au dépourvu par l’évènement. Leur état d’impréparation et d’inorganisation était total. Pour avoir vécu un certain nombre de coups d’Etat militaires, je sais qu’une telle opération ne s’improvise pas.

Elle est toujours planifiée des semaines, voire des mois à l’avance. L’organigramme du

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nouveau pouvoir est généralement prêt avant même que le coup d’Etat n’ait eu lieu. Cela n’a pas été le cas au Rwanda le 6 avril 1994. Le sommet de l’Etat a été décapité par l’attentat et des hommes de seconde importance se sont retrouvés propulsés sur le devant de la scène sans y avoir été préparés, tel ce colonel Bagosora qui n’était que directeur du cabinet du ministre de la défense. Par contre, l’offensive générale lancée par le FPR le soir même de l’attentat était loin d’être improvisée. Sans avoir étudié dans une école de guerre, je sais qu’une

offensive générale doit nécessairement être minutieusement préparée, des mois à l’avance. La logistique, en particulier, doit être en place (carburant, munitions, moyens de transport et de communication). La coordination entre les différentes unités, entre les différents services, doit être scrupuleusement réglée. Et enfin, les hommes doivent être prêts et ils doivent se trouver rassemblés aux endroits voulus au moment voulu. Cette offensive générale du FPR ne peut donc pas avoir été décidée en réaction à la mort du président Habyarimana, mais bien en prévision de cette mort.

2. Des éléments du FPR se trouvaient depuis des mois à Kigali, en vertu des accords

d’Arusha. Ils étaient stationnés au CND, le parlement rwandais, et des convois escortés par les forces de l’ONU leur permettaient d’aller et venir entre le territoire occupé par le FPR, au nord du pays, et la capitale. Il n’est donc pas inconcevable de penser que des soldats du FPR, probablement déguisés en soldats gouvernementaux, aient pu s’approcher de l’aéroport afin de tirer des missiles contre l’avion en phase d’atterrissage.

3. Les missiles : il a été établi que ces missiles étaient d’origine soviétique. Or, l’armée rwandaise n’en était pas équipée. Par contre, l’armée ougandaise en avait. Rappelons ici que le FPR est une émanation de la NRA , l’armée du président ougandais Museveni. C’est une faction de cette armée, composée de soldats et d’officiers d’origine rwandaise, portant

l’uniforme ougandais, utilisant des armes provenant des armureries ougandaises, qui a attaqué le Rwanda, à partir du territoire ougandais, le 1er octobre 1990, déclenchant ainsi la guerre qui devait amener le FPR au pouvoir. Durant toute la durée de cette guerre, le FPR a disposé de bases en Ouganda, il a recruté en Ouganda et il a reçu son armement, son équipement et ses renforts de ce pays. Et-il donc inconcevable de penser que les missiles sol-air qui ont abattu l’avion du président Habyarimana aient été fournis au FPR par l’Ouganda ?

4. Les conclusions du rapport d’experts du juge Trévidic indiquent que les missiles auraient été tirés depuis le camp militaire de Kanombe. Il convient d’expliquer ici la configuration topographique de Kigali. Cette ville s’est progressivement étendue sur différentes collines, qui sont devenues les différents quartiers composant la capitale rwandaise. Kanombe n’est pas seulement un camp militaire. C’est avant tout un quartier de Kigali situé sur une colline dénommée Kanombe, se trouvant à proximité immédiate de l’aéroport. S’il est difficile d’admettre que des soldats du FPR aient pu tirer les missiles depuis le camp militaire de Kanombe, il est par contre possible qu’ils aient opéré depuis la colline de Kanombe. Cela ne contredirait en rien les conclusions du rapport d’experts.

Ceci étant posé, il convient aussi de rappeler dans quel contexte ce rapport d’experts est rendu public. Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, la diplomatie française, à l’initiative du ministre Kouchner, ami et propagandiste de Kagame, a tenté de renouer avec le Rwanda. Claude Guéant s’est rendu à Kigali en 2009 pour négocier avec le dictateur rwandais les termes de la réconciliation franco-rwandaise. Cela tombait à pic pour Kagame : il était de plus en plus isolé, ses alliés anglo-saxons et ses amis scandinaves commençaient à prendre leurs distances avec son régime. Kagame émit une condition sine qua non au rapprochement avec Paris : l’effacement du contentieux juridique créé par

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l’ordonnance du juge Bruguière. Tout fut donc mis en œuvre, en France, pour décrédibiliser le travail de ce juge, afin de permettre l’annulation des mandats d’arrêts internationaux visant les proches du général-président. Il fut convenu que le remplaçant de Bruguière aurait la

possibilité de mener son enquête sur le terrain. Jusqu’alors, Kagame s’était toujours opposé à la moindre investigation sur la mort de son prédécesseur. Nul doute que ses services, fort compétents en la matière, aient soigneusement préparé la venue des experts du juge Trévidic, et qu’ils leur aient fourni des éléments savamment concoctés.

La prochaine étape de ce processus sera certainement l’annulation des mandats d’arrêts internationaux lancés par le juge Bruguière.

Des militaires français sont morts le 6 avril 1994 : Jack Héraud, pilote du falcon 50, Jean- Pierre Minaberry, co-pilote et Jean-Marc Perrine, mécanicien de l’avion. D’autres Français furent mystérieusement assassinés dans leur résidence dès le lendemain : les adjudants-chefs Maier et Didot ainsi que Gilda, l’épouse de ce dernier. Il est probable qu’ils en savaient trop pour avoir vu ce qui s’était réellement passé la veille. Depuis près de 18 longues années, les familles de ces citoyens français attendent que toute la lumière soit faite sur les circonstances de ces décès. Les Burundais se demandent aussi quand seront élucidées les circonstances de la mort du président Cyprien Ntaryamira, de Bernard Ciza, ministre du plan et de Cyriaque Simbizi, ministre de la communication. Enfin, le peuple rwandais dans son ensemble continue à espérer que la vérité finisse un jour par éclater au sujet de cet attentat qui coûta la vie au président Juvénal Habyarimana, au général Déogratias Nsabimana, chef d’Etat-Major, au colonel Elie Sagatwa, chef du cabinet militaire de la présidence, au major Thaddée

Bagaragaza, responsable de la maison militaire de la présidence, à Juvénal Renzaho,

conseiller du président pour les affaires étrangères et au Dr Emmanuel Akingeneye, médecin personnel du chef de l’Etat. Car au-delà de la mort de toutes ces personnes, il s’agit de comprendre qui a donné l’ordre d’abattre l’appareil, qui a commis ce crime et comment. Car la réponse à ces questions permettrait aussi de savoir qui porte la plus grande responsabilité dans les massacres de grande ampleur qui ont suivi l’attentat. C’est cet attentat, suivi par la rupture de la trêve, qui a réuni les conditions pour que de tels massacres puissent avoir lieu.

Le juge Marc Trévidic porte donc une lourde responsabilité. Il devrait prendre le temps de recueillir tous les témoignages, y compris celui du Dr Rudasingwa, qui ne demande qu’à témoigner, et ceux d’autres anciens membres du FPR. Il devra faire preuve d’indépendance pour résister aux fortes pressions politiques et diplomatiques. Et surtout, les grands médias devraient se garder de toutes conclusions hâtives et avoir davantage d’esprit critique. La tragédie rwandaise dépasse beaucoup d’autres grands drames par son ampleur, sa magnitude et surtout son horreur. Les victimes, toutes les victimes, doivent avoir le droit au respect et à la vérité.

Hervé Cheuzeville, 11 janvier 2012

(Auteur de trois livres: "Kadogo, Enfants des guerres d'Afrique centrale", l'Harmattan, 2003;

"Chroniques africaines de guerres et d'espérance", Editions Persée, 2006; "Chroniques d'un ailleurs pas si lointain - Réflexions d'un humanitaire engagé", Editions Persée, 2010)

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Génocide rwandais : "les dysfonctionnements sont intervenus à tous les niveaux"

André Guichaoua, sociologue | LEMONDE.FR | 11.01.12

Près de dix-huit ans après la fin du génocide rwandais, de nouveaux éléments avancés par le juge français Marc Trévidic suggèrent que des Hutus extrémistes pourraient être à l'origine de l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président Juvénal Habyarimana, point de départ des massacres.

Jusqu'à présent, la thèse qui désignait l'actuel président du Rwanda, Paul Kagamé, comme instigateur de l'attaque prévalait. Le sociologue André Guichaoua, témoin des événements en 1994, avait lui- même qualifié de "certaine" cette version des faits. Aujourd'hui, s'il se félicite que le dossier soit relancé grâce à ces nouvelles informations, il déplore les dysfonctionnements d'un dossier judiciaire qui "sont intervenus à tous les niveaux".

Que change la publication de ce nouveau rapport d'expertise présenté mardi 10 janvier par le juge Marc Trévidic ?

Premier élément, et le plus important à mon sens, c'est que le dossier est aujourd'hui relancé pour de bon. Ces nouveaux éléments, qui ont fait l'objet d'investigations scientifiques, rouvrent le jeu, en quelque sorte. Il faut s'en féliciter, car cela démontre que les juges sont en mesure de mener des enquêtes et d'apporter des faits établis inédits, qui permettent d'enclencher des débats

contradictoires.

Mais il importe désormais de valider les hypothèses qu'impliquent ces nouveaux éléments. Je salue d'ailleurs la décision de M. Trévidic d'avoir proposé un délai de trois mois qui devrait ouvrir la voie à une procédure contradictoire, à des enquêtes complémentaires ou encore à des procédures d'appel.

Au terme de cette démarche, il se prononcera sur ces rapports et sur ce que tout le monde veut désormais savoir : qui sont les auteurs de l'attentat ? Une question qui impose une grande prudence aujourd'hui, d'autant que ce dossier provoque des scénarios quasiment conspirationnistes.

Vous avez vous-même affirmé que le président du Rwanda, Paul Kagamé, était à l'origine de l'attentat du 6 avril 1994. Quel est votre sentiment par rapport à ce revirement de la justice française ?

Je ne suis pas chargé des enquêtes. En tant que témoin expert au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), si je devais m'offusquer de toute conclusion qui ne correspond pas à ce que je pense, je n'en finirais plus. Mais pour l'instant, j'ai quand même l'impression que beaucoup de discours sont tenus un peu abusivement, alors qu'en l'état, le rapport n'indique pas qui sont les auteurs, et ne disculpent pas non plus ceux qui étaient mis en cause jusqu'à maintenant. Ca ne veut pas dire que ça ne se fera pas, mais pour l'instant, on n'a pas ces éléments, et il faut respecter le rythme et les procédures de la justice.

Aujourd'hui, il y a des questions que je continue de me poser après ce rapport. Si on valide l'idée que ce sont donc des Hutus qui sont à l'origine de l'attentat du 6 avril 1994, il reste des zones d'ombre. Il y a deux thèses généralement évoquées à ce sujet. La première, c'est que la belle-famille du président serait à l'origine de l'attentat. Mais le seul qui aurait été en mesure d'organiser l'affaire, le colonel Elie Sagatwaagatwa, demi-frère de la veuve Habyarimana, est mort avec le président dans l'attentat. C'est donc difficile d'accorder du crédit à cette idée. La deuxième thèse, c'est celle des officiers extrémistes, mais le chef d'état-major est lui aussi mort dans l'attentat. A mon sens, ce ne sont pas des

"djihadistes", je ne pense pas qu'ils se soient sacrifiés pour leur cause. Il faudra donc avancer des éléments précis pour étayer ces thèses, et je les attends avec impatience.

Ces nouvelles informations illustrent-elles les dysfonctionnements de la justice française sur le dossier rwandais ?

Il faut souligner que les dysfonctionnements sont intervenus à tous les niveaux. Déjà, notons que si les procureurs du TPIR avaient voulu assumer ces faits, on n'en serait pas là aujourd'hui. Si la France, partie prenante dans ce dossier, ne s'était pas retrouvée chargée de l'enquête, on aurait certainement pu éviter bien des polémiques et des dysfonctionnements.

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Ensuite, les autorités rwandaises se sont quand même toujours opposées à ce que le tribunal pénal prenne en charge le dossier, et ont toujours systématiquement bloqué les enquêtes. Aujourd'hui encore, la collaboration s'est faite, mais sur la base de nouvelles hypothèses qui convenaient davantage à Kigali.

Enfin, ça pose effectivement un certain nombre de questions sur la manière dont les choses ont été instruites à l'époque par le juge Bruguière. N'oublions pas tout de même qu'elles correspondent aussi à des rapports bien particuliers à l'époque. Un certain nombre de personnes ont payé de leur vie le fait d'avoir fourni des témoignages sur ce dossier, des procédures de protection incroyables ont dû être mises en place... Un contexte difficile pour mener des investigations. Même les derniers communiqués de la présidence rwandaise sur les jugements du TPIR accusaient directement le tribunal de servir de porte-voix des génocidaires. Ça tranche un peu avec l'exaltation qui prévaut aujourd'hui parce qu'une décision semble accréditer une thèse. Je crois surtout qu'aujourd'hui il faut respecter la justice, quand elle travaille sur la base de débats et de confrontations. Si elle ne travaille pas sur ces bases, ce n'est pas de la bonne justice, et ça il faut le dire aussi.

Propos recueillis par Charlotte Chabas

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Attentat contre Habyarimana : "Le rapport est à prendre au sérieux"

Un rapport d'expertise français sur l'attentat du président rwandais Habyarimana, dévoilé mardi, exonère implicitement le camp tutsi. André Guichaoua, témoin expert auprès du TPI pour le Rwanda, analyse pour FRANCE 24 ce revirement judiciaire.

Un rapport d'expertise français sur l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président hutu Juvenal Habyarimana, dévoilé mardi, exonère les sept proches de l'actuel chef d'État Paul Kagame encore inculpés en France pour leur participation présumée à cet assassinat. Une attaque qui est considérée comme l'élément déclencheur du génocide rwandais. Cette réorientation de l’enquête pourrait ouvrir la voie au règlement du contentieux politico-diplomatique entre Paris et Kigali, après la détente amorcée il y a deux ans.

André Guichaoua, professeur de sociologie à l'Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et témoin expert auprès du TPI pour le Rwanda répond aux questions de FRANCE 24.

FRANCE 24 : Les juges français chargés de l'enquête sur l'assassinat du président rwandais Juvenal Habyarimana ont présenté de nouveaux éléments dans un rapport d’expertise. Comment l’analysez- vous ?

André Guichaoua : Il faut respecter ce rapport qui apporte des éléments inédits. Il doit être pris très au sérieux. Les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux se sont donnés des moyens différents pour dénouer des témoignages en se rendant sur place et en s’appuyant sur des éléments scientifiques. Ces données semblent affaiblir les conclusions du juge Bruguière, qui avaient abouti au lancement en 2006 de neuf mandats d'arrêt contre des proches du président rwandais Paul Kagame. Toutefois, il faut rester prudent, car il ne s’agit pas d’une décision judiciaire définitive mais d’un rapport qui, par définition, peut être contredit, contesté ou confirmé. D’autant qu’il reste des zones d’ombres majeures et des éléments du scénario à éclaircir. Le rapport ne désigne pas, par exemple, les auteurs possibles de l’attaque. Il est donc trop tôt pour tirer des conclusions et l'affaire est loin d'être réglée.

F24 : Pourtant, Kigali s’est félicité des conclusions de ce rapport qui "rend justice"au Rwanda. Quel impact peut avoir cette volte-face judiciaire sur les relations entre la France et ce pays ?

A.G : L’impact ne pourra être que positif, même si certains ne manqueront pas de sous-entendre qu’il tombe à pic pour les deux pays qui sont engagés dans un processus de normalisation. Cependant, la fonction de ce rapport n’est pas de renforcer les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda ou alors ce n’est plus un document judiciaire mais politique, ce qui revient à faire insulte à la justice française et à sous-entendre qu’elle est aux ordres des politiques.

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F24 : Après plusieurs années de tensions, la France a renoué les liens avec le Rwanda. Quels sont les enjeux d’un tel rapprochement ?

A.G : Depuis quelques années, le Rwanda est devenu une plateforme dynamique et incontournable à l’échelle de la région des Grands Lacs. Au point de jouer un rôle prépondérant sur le plan

économique, notamment en matière d’investissements et d’échanges. La France ne peut rester à l’écart de cette région. Au plus fort de la crise diplomatique, Kigali avait fait en sorte que ses voisins ainsi que les pays de la sphère africaine anglophone -du Kenya à l’Afrique du Sud-, soient réservés à l’égard de Paris. Les Français ont toujours du mal à faire entendre leur voix dans certaines régions du continent, tant le dossier rwandais contribue à brouiller leur image. En outre, Paris reste soucieux de la stabilisation de la RD Congo. Or, l’Elysée sait parfaitement que rien ne peut se faire dans ce pays sans la bienveillance du Rwanda, qui peut jouer au choix, un rôle de stabilisateur ou de perturbateur.

Autant de raisons qui ont poussé au réchauffement entre les deux pays.

*

L’ancien chef de cabinet de Kagame reagit au Rapport Technique du Juge Français Marc Trévidic

Le 1er octobre 2011, j’ai communiqué au public une confession dans laquelle j’ai indiqué que Paul Kagame était responsable de la destruction le 6 avril 1994, de l’avion à bord duquel se trouvaient les Présidents Juvénal Habyarimana du Rwanda, Cyprien Ntaryamira du Burundi, ainsi que Messieurs Déogratias Nsabimana, Elie Sagatwa, Thaddée Bagaragaza, Emmanuel Akingeneye, Bernard Ciza, Cyriaque Simbizi, Jacky Hérault, Jean-Pierre Minaberry, et Jean- Michel qui furent tous tués. J’ai indiqué que Paul Kagame en personne m’avait dit qu’il était responsable des tirs qui ont abattu l’avion.

J’ai dit que Paul Kagame devait répondre de son rôle dans ce crime terroriste qui est l’élément qui a déclenché le génocide de 1994 au Rwanda. J’ai également déclaré que moi-même, ainsi que d’autres témoins étions disposés, capables et prêts pour fournir des informations

supplémentaires aux juridictions nationales et/ou internationales qui seraient intéressées pour contribuer à la vérité, à la justice, à la réconciliation et au processus de guérison au Rwanda.

Ni moi-même, ni aucun autre des nouveaux témoins capables et disposés n’avons pu rencontrer le Juge Marc Trévidic, ou tout autre Tribunal international pour leur donner les vraies informations sur les évènements relatifs aux tirs qui ont abattu l’avion.

Aujourd’hui, le 10 janvier 2012, le Juge français Marc Trévidic chargé de l’enquête sur le crime terroriste de 1994, a rendu publiques les conclusions du rapport technique fournies par des experts en balistique. Le rapport affirme notamment que a) les experts penchent plus vers la version des faits selon laquelle le missile qui a abattu l’avion serait parti de plusieurs endroits et en particulier des environs de Kanombe a Kigali ; que b) les missiles étaient de fabrication russe et avaient été livrés par l’ancienne Union Soviétique ; et que c) les avocats et les autres parties intéressées ont jusqu’à trois mois pour contester tout éléments relatif au rapport.

A cet égard, je voudrais souligner ce qui suit :

1. Le fait que les missiles aient été tiré des environs de la zone de Kanombe ne signifie nullement que Kagame n’a pas commis le crime ;

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