LES PRÉFIXOÏDES DU FRANÇAIS ET
DU NÉERLANDAIS
Une étude contrastive
25/08/2010 M.E. van Rosmalen s 1538535
Directeur de mémoire: Dr. B.A.A. Kampers-Manhe Masterscriptie Frans LRF999M20
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Table des matières
0. INTRODUCTION 5
1. DEFINITION DU PREFIXOÏDE 7
2. OBTENTION DES DONNEES 13
2.1LA PRODUCTIVITE DES PREFIXOÏDES 13
2.2LA FORMATION DU CORPUS 15
3. CADRE THEORIQUE 17
3.1 LA COMPOSITION 17
3.2 LA PREFIXATION 19
3.2.1LA CATEGORIE LEXICALE 20
3.2.2LE TRAIT DE SOUS-CATEGORISATION 20
3.2.3LA VALEUR SEMANTIQUE 21
3.2.4LES CARACTERISTIQUES PHONOLOGIQUES 22
3.3LA NOTION DE TETE 22
3.4DERIVATION VS. COMPOSITION 24
4. ANALYSE DES MOTS FRANÇAIS CONTENANT UN PREFIXOÏDE 29
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 3 4.2.5A→PN 59 4.2.6A→QN 61 4.2.7A→NV 62 4.3LES VERBES 62 4.3.1V→NV 62 4.3.2V→PV 63 4.4REGLES DE REECRITURE 64 4.5TABLEAU SYNOPTIQUE 65
5. ANALYSE DES MOTS NEERLANDAIS CONTENANT UN PREFIXOÏDE 67
5.1LES NOMS 67 5.1.1N→NN 67 5.1.2N→AN 78 5.1.3N→PN 83 5.1.4N→AA 87 5.2LES ADJECTIFS 88 5.2.1A→AA 88 5.2.2A→NA 89 5.2.3A→PA 90 5.2.4A→QA 93 5.2.5A→PN 94 5.3LES VERBES 95 5.3.1V→NV 95 5.3.2V→AV 96 5.4REGLES DE REECRITURE 97 5.5TABLEAU SYNOPTIQUE 98
6. LES PREFIXOÏDES DU FRANÇAIS VS. LES PREFIXOÏDES DU NEERLANDAIS 100
6.1CATEGORIE LEXICALE DES MOTS CONTENANT UN PREFIXOÏDE 100
6.2PRODUCTIVITE DES PREFIXOÏDES 102
6.3ORIGINE DES PREFIXOÏDES 105
6.4CATEGORIE LEXICALE DES PREFIXOÏDES 106
6.5FORME DES PREFIXOÏDES NATIFS 107
6.6POSITION DE LA TETE 108
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 4 8. REFERENCES 112 9. ANNEXES 115 9.1ÉCHANTILLON 115 9.1.1ÉCHANTILLON FRANÇAIS 115 9.1.2ÉCHANTILLON NEERLANDAIS 117
9.2CORPUS DES MOTS CONTENANT UN PREFIXOÏDE 118
9.2.1PREFIXOÏDES FRANÇAIS 118
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LES PRÉFIXOÏDES DU FRANÇAIS ET DU NÉERLANDAIS Une étude contrastive
0. Introduction
Pourquoi les Français disent-ils la guerre franco-allemande et non pas la guerre *française-allemande comme les Néerlandais (Frans-Duitse Oorlog) ? L‟élément franco n‟est pas un morphème libre, contrairement à français. Pourtant, franco a encore le même sens que le morphème libre équivalent, ce qui pourrait indiquer qu‟il ne s‟agit pas d‟un véritable préfixe. Les éléments dont le statut se trouve quelque part entre un préfixe et un morphème libre s‟appellent des préfixoïdes. Le cas de franco qui a été décrit ci-dessus suscite tout de suite les questions suivantes : Qu‟est-ce qu‟un préfixoïde exactement ? Existe-t-il de différences entre les préfixoïdes français et ceux du néerlandais ?
De telles questions ont provoqué notre recherche actuelle. En effet, il n‟existe pas encore d‟études qui donnent des critères satisfaisants pour caractériser les préfixoïdes. Quelques linguistes les traitent comme des affixes (cf. Bok-Bennema, 1993), d‟autres comme une partie d‟un composé (cf. Selkirk, 1982), sans donner une définition exacte du préfixoïde. Dans cette recherche, nous essayerons d‟élaborer des critères pour bien définir les préfixoïdes, à l‟aide de différentes théories (chapitre 1). Comme il s‟agit d‟une étude comparative, nous ne nous concentrerons que sur ces mots dont la partie à droite du préfixoïde est française ou néerlandaise. Aussi les mots complètement savants (cf. psychologue, logopédie) seront-ils exclus de cette recherche.
Puis, nous examinerons la différence entre les préfixoïdes français et néerlandais. Tout d‟abord, nous avons déterminé la différence de productivité des préfixoïdes dans les deux langues à l‟aide d‟un échantillon. Pour ce faire, nous avons compté les mots contenant un préfixoïde qui figuraient dans 30 pages de deux journaux comparables, à savoir Le Monde pour le français et NRC Handelsblad pour le néerlandais (section 2.1). Le journal Le Monde contenait 82 mots différents contenant un préfixoïde, alors que NRC Handelsblad en contenait seulement 35. Le nombre total des mots contenant un préfixoïde révèle également une différence considérable : 128 pour le français contre 106 pour le néerlandais.
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plus de mots contenant un préfixoïde. Finalement, nous avons formé un corpus contenant 200 mots différents ayant un préfixoïde, 100 pour chaque langue (section 2.2).
Dans le troisième chapitre, nous présenterons brièvement le cadre théorique proposé par Selkirk (1982), que nous utiliserons pour examiner les données, afin d‟établir la formation des mots contenant un préfixoïde. L‟analyse du corpus français et néerlandais se trouve dans les chapitres 4 et 5 respectivement.
Dans le dernier chapitre, nous déterminerons les différences entre les deux langues quant à l‟emploi des préfixoïdes. De plus, nous essayerons d‟expliquer ces différences.
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1. Définition du préfixoïde
L‟une des questions posées dans l‟introduction est « Qu‟est-ce qu‟un préfixoïde ? ». Le mot préfixoïde ne se trouve pas dans Le Robert (2007), et nous n‟avons pas trouvé une bonne
définition dans le dictionnaire de linguistique non plus1. Cependant, le suffixe –oïde de
préfixoïde nous donne déjà des indications :
(1) -OïDE, -OïDAL
« Suffixe du grec -eidês, qui servait à former des adjectifs composés, avec le sens de «semblable à» (de eidos «forme») et qui, en français, entre dans la composition de mots savants (noms et adjectifs dérivés en -oïdal). »
(Le Robert 20072) Un préfixoïde est donc quelque chose qui est semblable à un préfixe. Pour être capable de distinguer les préfixoïdes des préfixes, il faut d‟abord répondre à la question suivante : « qu‟est-ce qu‟un préfixe ? ». En général, un préfixe est un élément qui se trouve à gauche d‟une racine (éventuellement prolongée en thème), sans autonomie lexicale. Il est donc impossible de le trouver seul dans une phrase. (Huot 2005 : 29).
Le Trésor de la Langue Française informatisé (2010) nous donne une définition encore plus explicite :
(2) « Affixe placé à l'initiale d'une unité lexicale, précédant le radical (p.ex. défaire) ou un autre préfixe (p.ex. redéfaire) et qui modifie le sens de cette unité en constituant avec elle un nouveau mot appelé dérivé. »
(Le Trésor de la Langue Française informatisé 2010)
Huot (2005 : 29) a remarqué à juste titre qu‟un préfixe n‟a pas d‟autonomie lexicale. Nous avons établi la définition du préfixe suivante :
(3) Un préfixe est un élément lexical sans autonomie lexicale placé à l‟initiale d‟une unité lexicale, précédant le radical ou un autre préfixe et qui modifie le sens de cette unité en constituant avec elle un nouveau mot appelé dérivé.
1
Nous avons consulté Le dictionnaire de linguistique (2002) et A dictionary of linguistics & phonetics (2003).
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Pourtant, la liste des préfixes du français moderne est loin d‟être unanimement admise, « parce qu‟il n‟existe pas de définition claire et stable de ce type d‟affixes » (Huot 2005 : 30). En effet, la distinction entre les affixes et les mots fonctionnels n‟est pas toujours claire, par exemple dans le cas des prépositions :
(4) a. Ils ont nagé contre le courant jusqu‟à épuisement. Elle a mis une deuxième veste sur la première. b. Ils ont nagé à contre-courant jusqu‟à épuisement.
Elle a mis une surveste.
(Amiot & Montermini 2009 : 131)
Selon Amiot et Montermini (2009 : 132), les éléments contre- et sur- de (4b) ne sont pas d‟allomorphes savants des prépositions de (4a). Selon eux, les éléments en caractères gras en (4a) et (4b) sont deux types d‟unités de nature différente, parce que le même élément peut présenter des spécialisations sémantiques différentes quand il est utilisé comme préfixe et quand il est utilisé comme préposition. De plus, l‟existence d‟un certain nombre de prépositions qui n‟ont pas de préfixe homophone (cf. devant, vers) prouve pour eux que les éléments en caractères gras de (4a) ne font pas partie de la même catégorie lexicale que ceux de (4b).
Cependant, dans (4), les préfixes et les prépositions ont une présentation phonologique et un sens très proche (Amiot & Montermini 2009 : 131). Outre des liens phonologiques et sémantiques, il existe également des liens étymologiques entre les préfixes et les prépositions. En effet, bien des préfixes du français sont issus de préfixes latins, qui étaient eux-mêmes d‟anciennes prépositions (Huot 2005 : 113). Pour ces raisons, nous considérons la distinction que font Amiot & Montermini (2009) en (4) entre les affixes et les mots fonctionnels comme non-plausible.
Nous ne considérons donc pas les éléments en caractères gras de (4b) comme des morphèmes liés, mais comme de véritables prépositions, ce qui est en accord avec la définition du préfixe donné en (3), selon laquelle seuls les éléments lexicaux sans autonomie lexicale peuvent être des préfixes, ce qui n‟est pas le cas dans les mots comme contre-courant et surveste.
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La supposition que les éléments tels que contre- et sur- ne sont pas des préfixes mais des éléments de composés, pose un nouveau problème : quel est le statut des éléments savants qui correspondent aux prépositions du français moderne (cf. anti-, inter-, post-) ?
Ces prépositions savantes n‟ont pas d‟autonomie lexicale en français moderne, donc l‟on ne peut pas les interpréter facilement comme une partie d‟un composé. À première vue, ce sont donc des préfixes. Cependant, comme les éléments savants tels que anti-, trans-, et inter- ont des liens sémantiques très forts avec leur équivalents en français moderne (resp. contre-, par- et entre-) et comme ils avaient une autonomie lexicale dans la langue d‟origine (le grec ou le latin), nous sommes enclines à penser que ces éléments font partie des mots composés au lieu des mots dérivés, tout comme nous l‟avons défendu ci-dessus pour les mots comme contre-courant et surveste.
Pourtant, les éléments comme anti- ne sont pas des morphèmes libres, alors qu‟un composé se compose de deux morphèmes libres. Cela pose un problème, parce que la linguistique générative ne connaît que des affixes et des morphèmes libres.
Selon certains linguistes, les cas décrits ci-dessus sont en fait des préfixoïdes. Pourtant, la théorie linguistique ne donne pas une bonne définition du préfixoïde. Il existe des définitions de l‟affixoïde, quoi qu‟elles soient souvent assez vagues – sauf celle de Stevens (2004). Apparemment, les linguistes traitent les préfixoïdes et les suffixoïdes de la même façon. Comme les définitions de l‟affixoïde pourront mener à une définition du préfixoïde, nous en donnerons un aperçu dans ce qui suit.
(5) « An affixoid is a linguistic item that is neither a root nor a derivational morph. »
(Stevens, 2004: 152)
Selon Stevens, les affixoïdes ne sont donc ni des morphèmes libres ni des affixes, ce qui correspond à ce que nous avons constaté en ce qui concerne les équivalents savants des prépositions du français moderne.
Maintenant, nous pouvons donner une définition provisoire du préfixoïde:
(6) Un préfixoïde est un élément lexical placé à l’initiale d’un mot, précédant un morphème libre. Le préfixoïde:
- n‟est ni un morphème libre ni un affixe
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Pourtant, les prépositions savantes ne sont pas les seuls éléments qui ne sont ni de véritables morphèmes libres ni des affixes. Bok-Bennema (1993) examine dans son article des éléments tels que telé-, drogo- et euro- qui se trouvent dans le vocabulaire espagnol, mais qui existent également en français (et parfois aussi en néerlandais). Elle considère ce groupe d‟unités lexicales comme des préfixoïdes, comme il s‟agit d‟éléments qui ont quelques caractéristiques en commun avec les préfixes, mais qui en diffèrent également à quelques égards (Bok-Bennema 1993 : 11). Elle distingue trois groupes différents de préfixoïdes : les préfixoïdes classiques, les préfixoïdes semi-natifs et les préfixoïdes natifs. Nous donnerons deux exemples (espagnols) de chaque type :
(7) a. préfixoïdes classiques : bibliófono autómata b. préfixoïdes semi-natifs : multicopiar teledirigir c. préfixoïdes natifs : cineclub telerevista (Bok-Bennema 1993 : 11-12)
Les préfixoïdes classiques3 précèdent un élément savant (7a), tandis que les préfixoïdes
semi-natifs précèdent un élément de l‟espagnol (7b). Les préfixoïdes semi-natifs sont également suivis d‟un élément espagnol (7c) mais ce sont des abréviations, qui peuvent se trouver également seuls dans la phrase, contrairement aux préfixoïdes semi-natifs. Les préfixoïdes que nous avons distingués jusqu‟à présent, à savoir les équivalents savants des prépositions du français moderne, sont donc en fait des préfixoïdes semi-natifs.
Bok-Bennema (1993) montre qu‟il existe encore d‟autres préfixoïdes que ceux dont nous avons traité jusqu‟à présent. En effet, il y a des abréviations de morphèmes libres, comme télé- (de télévision) et euro- (d‟Europe). Ces abréviations ne sont ni des morphèmes
libres ni des affixes, ce qui correspond à la première partie de la définition donnée en (6).4
3 Comme nous l‟avons indiqué dans l‟introduction, les préfixoïdes classiques ne font pas partie de notre
recherche.
4
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Comme ces préfixoïdes ne sont pas les équivalents des prépositions savantes, nous avons affaire à un deuxième type de préfixoïdes, à savoir les préfixoïdes natifs.
Puis, la catégorie des préfixoïdes semi-natifs ne consiste pas seulement en équivalents des prépositions françaises, mais aussi en préfixoïdes tels que néo- et multi-. Tout d‟abord, il s‟agit des adjectifs (cf. néo-) et des quantificateurs (cf. multi-) savants. Ils ne peuvent pas se trouver seuls dans la phrase, contrairement à leurs équivalents en français moderne. Il s‟agit également des substantifs savants (cf. auto-). Ces éléments sont des équivalents savants des noms français. Ainsi, tout ces préfixoïdes sont comparables aux préfixoïdes tels qu‟anti- et inter-. La seule différence est qu‟il s‟agit d‟adjectifs, de quantificateurs et de substantifs au lieu de prépositions. Maintenant, nous pouvons compléter la définition provisoire du préfixoïde donnée en (6) :
(8)5 Un préfixoïde est un élément lexical placé à l‟initiale d‟un mot, précédant un morphème libre. Le préfixoïde n‟est ni un morphème libre ni un affixe. Il existe deux catégories différentes de préfixoïdes :
1. Les préfixoïdes semi-natifs :
Les équivalents savants d‟une préposition, d‟un quantificateur, d‟un adjectif ou d‟un substantif du français moderne (cf. anti-, multi-, néo-, auto-).
2. Les préfixoïdes natifs :
Les abréviations des morphèmes libres français (cf. ciné-, euro-).
Ci-dessus, nous n‟avons parlé que des préfixoïdes issus des langues savantes et de la langue source. Pourtant, le français et le néerlandais sont sujets à des influences de l‟anglais. Dès le moment où Apple a introduit son ordinateur iMac en 1998, de plus en plus d‟entreprises et de produits ont un nom qui commence par la minuscule « i- » : iBood, iLocal, iLiad, iFly, iFancy, iBox et iShares (Wijman 2010 : 10). Le « i-» est l‟abréviation d‟internet, donc ces mots font partie de la deuxième catégorie des préfixoïdes, illustrée sous (8). Les exemples mentionnés ne comportent que des éléments anglais, mais il est bien possible qu‟on trouve (maintenant ou dans l‟avenir) le préfixoïde « i » en français et en néerlandais.
Un autre préfixoïde qui provient de l‟anglais est l‟abréviation d‟electronic „électronique‟, à savoir « e- », qui se trouve dans des composés comme e-mail et e-commerce. Tout comme « i- », ce préfixoïde appartient à la deuxième catégorie de préfixoïdes.
Ayant défini le préfixoïde, il nous reste à savoir si les mots contenant un préfixoïde sont en fait des composés ou des dérivés. Selon Bok-Bennema (1993), les préfixoïdes natifs – elle n‟analyse pas les préfixoïdes semi-natifs - sont des éléments des dérivés. Elle montre que
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les préfixoïdes natifs se comportent comme des affixes : ils sont nécessairement préterminaux et l‟élément à droite du préfixoïde ne peut pas être un affixe. Les préfixoïdes complexes n‟existent donc pas (Bok-Bennema 1993, 16). De plus, la tête des mots contenant un préfixoïde se trouve à droite, ce qui correspond aux dérivés. En effet, un préfixe ne figure jamais comme tête du mot. Nous analyserons les arguments de Bok-Bennema et ceux qui les contredisent de plus près dans la section 3.4.
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2. Obtention des données
2.1 La productivité des préfixoïdes
Ayant formulé une définition du préfixoïde, nous pouvons déterminer la différence de productivité actuelle dans les deux langues. Pour ce faire, nous avons comparé la présence des préfixoïdes semi-natifs et natifs dans la presse écrite française et la presse écrite néerlandaise,
à l‟aide d‟un échantillon.6
Nous avons comparé deux journaux récents comparables, un de chaque langue, à savoir Le Monde pour le français et NRC Handelsblad pour le néerlandais. Nous avons choisi d‟une façon arbitraire trente pages de chaque journal. Nous avons laissé de côté les pages qui ne se composaient que de publicité, ainsi que d‟autres pages sans véritables textes, comme les avis de décès, les jeux, les soirées télé et cetera.
À l‟aide de la définition donnée sous (8), nous avons compté tous les mots contenant un préfixoïde semi-natif ou natif qui se trouvaient dans les trente pages de chaque journal. Les trente pages françaises contenaient 82 formations différentes avec un préfixoïde, tandis que celles du néerlandais en contenaient seulement 35. Le nombre total des mots contenant un préfixoïde révèle également une différence considérable : 128 pour le français contre 106 pour le néerlandais. (Voir la figure 1).
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 14 Figure 1 : les résultats de l’échantillon
Cependant, nous avons constaté qu‟il y a une particularité qui pourrait déformer les résultats de l‟échantillon. En effet, l‟adjectif international(e) FR / internationa(a)l(e) NE était extrêmement fréquent dans l‟échantillon français aussi bien que dans celui du néerlandais, étant donné qu‟il y figurait 22 et 44 fois respectivement. Les autres mots contenant un préfixoïde ne figuraient pas plus de six fois.
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 15 Figure 2 : les résultats de l’échantillon sans l’adjectif international / internationaal
La figure 2 montre que le contraste entre la présence des mots contenant un préfixoïde en français et celle en néerlandais est sans doute encore plus grand que le contraste que les résultats dans la figure 1 nous montrent. Si nous ne prenons pas en considération l‟adjectif international / internationaal, il figurait 106 mots contenant un préfixoïde dans les pages françaises, contre 62 mots seulement pour les pages néerlandaises.
Apparemment, les formations contenant des préfixoïdes sont beaucoup plus productives en français qu‟en néerlandais. Pour mieux comprendre les différences entre les deux langues, il nous fallait d‟abord analyser les préfixoïdes de manière plus détaillée. Pour ce faire, nous avons formé un corpus contenant des préfixoïdes français et néerlandais.
2.2 La formation du corpus
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dépouillé les journaux Le Monde pour le français et NRC Handelsblad pour le néerlandais et
nous n‟avons sélectionné que ceux qui correspondent aux critères définis sous (8).
Nous avons gardé le contexte dans lequel le mot contenant un préfixoïde figure, pour être capable de bien déterminer la valeur sémantique et la catégorie lexicale du préfixoïde concerné. Nous avons utilisé des journaux récents, parus entre octobre 2009 et avril 2010, ce qui nous permet d‟analyser les tendances actuelles dans l‟emploi des préfixoïdes.
Comme nous voulions examiner les différences entre le français et le néerlandais, nous n‟avons choisi que des mots contenant un préfixoïde semi-natif ou natif dont l‟élément à droite du préfixoïde est de la langue source (français ou néerlandais). Pour cette raison, nous avons écarté les emprunts directs, comme e-mail et e-commerce, parce qu‟ils ne nous fournissent pas d‟information sur les caractéristiques du français ni sur celles du néerlandais.
À la recherche des mots contenant un préfixoïde, nous avons rencontré des hapax, donc des mots qui n‟ont été employés qu‟à une seule occasion (Le Trésor de la Langue Française 2010). Comme nous sommes également intéressée à l‟emploi potentiel des préfixoïdes, nous avons gardé les hapax dans le corpus.
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3. Cadre théorique
Comme nous l‟avons déjà évoqué dans l‟introduction, nous utiliserons le cadre théorique de Selkirk (1982), intitulé The Syntax of Words. Comme le titre le dit déjà, cette théorie est basée sur l‟idée que nous pouvons appliquer les règles de réécriture indépendantes du contexte non seulement pour générer des phrases, mais aussi pour générer des mots complexes. Selon Selkirk, chaque locuteur a une certaine liste dans sa tête contenant des entrées lexicales. Une telle entrée contient des informations sur la catégorie lexicale, sur le trait de sous-catégorisation, sur la valeur sémantique et sur les caractéristiques phonologiques des morphèmes.
Dans le premier chapitre, nous avons expliqué que nous voulons déterminer le statut des mots contenant un préfixoïde, à savoir celui de composé ou celui de dérivé. Aussi ne résumerons-nous dans ce qui suit que la partie de la théorie qui traite de la composition (3.1) et de la préfixation (3.2). Puis, la notion de tête et le principe de la percolation jouent un rôle important dans l‟analyse des mots. Nous en traiterons dans la section 3.3.
Finalement, dans la dernière section, nous essayerons de déterminer le statut des préfixoïdes.
3.1 La composition
Les composés se composent de plusieurs morphèmes libres, qui appartiennent tous à l‟une des catégories suivantes : nom (N), adjectif (A), verbe (V) ou préposition (P). Le composé peut être un substantif, un verbe ou un adjectif. Selon Selkirk, les composés anglais sont générés par la série de règles de réécriture indépendantes du contexte suivante :
N
(9) N → A N V
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 18 N A → A A P V → P V (Selkirk 1982 : 16)
Un exemple du type N[N N]N est par exemple le mot schoolteacher, et overdose a la structure
N[P N]N. Les règles de réécriture en (9) montrent qu‟en anglais, toutes les combinaisons ne
sont pas possibles, par exemple les verbes qui se composent de deux verbes (V[V V]V) et les
adjectifs dont le morphème libre de gauche est un verbe et celui de droite un adjectif (A[V A]A)
(Selkirk, 1982 : 16). C‟est pourquoi il n‟est pas adéquat de généraliser la composition anglaise par la règle de réécriture suivante :
(10) X → Y X
where X stands for {Words ; αNoun, ßVerb, …} and Y stands for {Word ; δNoun, γVerb, …} (Selkirk 1982 : 18)
Comme le néerlandais est une langue germanique comme l‟anglais, les règles de réécriture des composés du néerlandais ressemblent sans doute beaucoup à celles données en (9). Par contre, le français est une langue romane, donc les règles de réécritures des composés français diffèrent sans doute de celles de l‟anglais et du néerlandais. Nous reviendrons sur les différences entre la composition dans les langues romanes et la composition dans les langues germaniques quand nous traiterons de la notion de tête (section 3.3).
Puis, les règles de réécriture en (9), ne sont valables que pour la composition native. Les composés qui se composent (pour une partie) d‟éléments savants sont issus de la composition non-native (Selkirk 1982 : 16). Selon elle, les éléments de gauche des mots anglais comme microscope, monosyllable et hypersensitive ne sont pas de préfixes, mais des radicaux liés (Selkirk 1982 : 83). Cette hypothèse n‟est pas développée en détail, mais Selkirk suppose prudemment que Radical est également une catégorie composante récursive, et que la morphologie contient des règles de réécriture du type suivant :
(11) Radical → Radical Radical
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Voici quelques composés non-natifs anglais qui se composent de deux radicaux :
(12) mono-syllable nulli-par-ous auto-mobile bi-partite micro-scope tri-sect
erythro-cyte franco-phile photo-synthesis ethno-centr-ic anti-path-y intra-mur-al multi-ply counter-fact-ual ultra-reaction-ary meta-theoret-ical poly-gon extra-currical-ar
(Selkirk 1982: 99)
La catégorie Radical se trouve au niveau plus bas que Mot, mais cela ne veut pas dire automatiquement qu‟elle est toujours liée. En effet, « tout morphème qui n‟est pas un affixe est de façon redondante un radical et en principe peut être un mot » (Selkirk 1982 : 98). Le composé anglais monosyllable par exemple se compose d‟un radical lié (mono-) et d‟un radical libre (syllable) :
(13) mot
radical
radical radical mono syllable
En résumé, il est question de composition quand deux types de morphèmes du même genre se combinent :
(14) a. Mot → Mot Mot composition native (cf. schoolteacher) b. Radical → Radical Radical composition non-native (cf. monosyllable)
3.2 La préfixation
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3.2.1 La catégorie lexicale
Pour les affixes qui déterminent la catégorie lexicale des mots, on utilise la notation de Vaf,
Naf, Aaf, Advaf et cetera, ce que nous pouvons noter en résumé par Xaf. Par exemple, un affixe
de la catégorie lexicale Vaf forme des verbes. Bien des suffixes peuvent déterminer la
catégorie lexicale des mots. Cependant, les préfixes n‟en sont pas capables normalement, c‟est pourquoi ils ont toujours la catégorie lexicale Af.
Prenons par exemple le préfixe néerlandais on- et le préfixe français dé-. Le préfixe on- peut se combiner avec un adjectif, comme oneerlijk (NE). Il est possible de combiner le préfixe dé- avec un verbe, ce qui est le cas pour débloquer (FR). Voici les structures des mots oneerlijk et débloquer. (15) A Af A on eerlijk (16) V V Af Af V dé bloqu er
La flexion du mot débloquer (16), à savoir l‟élément –er, ne détermine pas la catégorie lexicale du mot, c‟est pourquoi on lui attribue la catégorie Af.
3.2.2 Le trait de sous-catégorisation
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(17) on- : [ --- A ]
N
(18) dé- : [ --- V ]
En effet, le préfixe néerlandais on- ne se combine pas seulement avec des adjectifs, la combinaison avec des substantifs est également possible (cf. onbalans). Quant au préfixe français dé-, il ne se combine qu‟avec des verbes.
De ce qui a été décrit ci-dessus, nous pouvons dériver la règle morphologique de réécriture de la préfixation :
(19) X → Af X
Dans (19), X désigne une catégorie arbitraire, mais à l‟intérieur de la même règle la catégorie de X ne peut pas varier. Af sont les préfixes (sans catégorie lexicale).
3.2.3 La valeur sémantique
Le troisième élément dans l‟entrée lexicale est la valeur sémantique. Cette information est probablement le plus difficile à définir. La linguistique essaie de retrouver le sens des préfixes à l‟aide du sens du mot complexe et formule le sens du préfixe par rapport à celui de la base avec laquelle il se combine.
Examinons à nouveau les exemples donnés sous (17) et (18) pour illustrer la valeur sémantique de ces préfixes.
(20) on- : ne pas A, ne pas de N
(Bok-Bennema, 5)
(21) dé- : contraire de V
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3.2.4 Les caractéristiques phonologiques
Le dernier élément de l‟entrée lexicale est celui des caractéristiques phonologiques. Comme les règles morphologiques et syntaxiques précèdent les règles phonologiques, il s‟agit de la forme profonde qui ne se compose que des caractéristiques des phonèmes eux-mêmes.
Reprenons sous (22) et (23) les exemples des préfixes donnés sous (20) et (21), en ajoutant les caractéristiques phonologiques.
(22) on- : // (23) dé- : //
Après l‟application des processus phonologiques réguliers, on aura encore les formes données sous (22) et (23), mais ce n‟est pas toujours le cas.
Examinons maintenant la tête du mot, une notion à laquelle nous avons déjà référé dans la section précédente.
3.3 La notion de tête
La notion de tête joue un rôle important dans l‟analyse des mots. Il y a des mots endo- et exocentriques. Les mots endocentriques sont ceux qui ont une tête (cf. chou-fleur), les mots exocentriques sont ceux qui n‟en ont pas (cf. porte-jarretelles).
Il est également possible d‟avoir plusieurs têtes dans un seul mot. Ce phénomène se produit parfois quand nous avons affaire à la composition, comme par exemple dans lecteur-enregistreur (N) (Kampers-Manhe 1993 : 163) qui est un appareil qui est à la fois lecteur et enregistreur. Les mots préfixés sont toujours endocentriques.
Selkirk utilise un principe provenant de la syntaxe pour assurer la grammaticalité des mots, à savoir le principe de la percolation :
(24) Percolation
If a constituent α is the head of a constituent β, α and β are associated with an identical set of features (syntactic and diacritic)
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Ce principe assure qu‟un mot (ou radical) a les mêmes caractéristiques que sa tête. Autrement dit, le mot entier réfère à une sous-classe de ce à quoi réfère la tête. Plus concrètement, la tête d‟un mot a les caractéristiques suivantes :
(25) - Elle détermine la catégorie lexicale du mot - Dans le cas d‟un N, elle détermine le genre - Elle porte le sens le plus important du mot
Par exemple, un chou-fleur est un type de chou, chou porte donc le sens le plus important du mot et figure comme tête. Cependant, dans un mot comme porte-jarretelles, il n‟y a pas de tête. En effet, le mot entier est de la catégorie nominale, donc porte (V) ne peut pas être la tête du mot. Jarretelles ne peut pas être la tête non plus, étant donné que jarretelles est du genre féminin, tandis que le mot entier jarretelles est du genre masculin. Puis, un porte-jarretelles est quelque chose qui « porte » les porte-jarretelles, et non pas un type de jarretelle. C‟est pourquoi porte-jarretelles est un mot exocentrique.
Nous avons déjà constaté qu‟Af ne détermine jamais la catégorie lexicale des mots, donc c‟est l‟élément à droite du préfixe qui est la tête du dérivé.
Dans la section 3.1, nous avons remarqué qu‟il existe des différences entre les langues germaniques et les langues romanes quant à la position de la tête. En effet, dans les langues germaniques, la tête se trouve le plus souvent à droite, tandis que pour les langues romanes, elle se trouve à gauche normalement. Williams (1981) a énoncé une règle pour la position de la tête qu‟il considère comme valable pour toutes les langues (Kampers-Manhe 2000 : 158). Il s‟agit de la Right-Hand Head Rule :
(26) Right-hand Head Rule (RHR)
In morphology we define the head of a morphologically complex word to be the right-hand member of that word.
(Williams 1981: 248)
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 24
(27) Right-hand Head Rule (revised) In a word internal configuration
Xn
P Xm Q
where X stands for a syntactic feature complex and where Q contains no category with the feature complex X, Xm is the head of Xn
(Selkirk 1982 : 20)
La règle révisée signifie que « si l‟élément de droite ne présente pas les caractéristiques voulues pour être la tête d‟un mot complexe, il faut considérer l‟élément immédiatement à gauche de celui-ci, et ainsi de suite jusqu‟à ce qu‟on ait un candidat approprié » (Kampers-Manhe 2000 : 159).
Dans cette section, nous avons établi les structures des mots dérivés et des compositions. Dans ce qui suit, nous utiliserons ces structures pour déterminer le statut des mots contenant un préfixoïde.
3.4 Dérivation vs. composition
Dans la première section, nous avons déjà indiqué que le statut des préfixoïdes est loin d‟être unanimement admise. Bok-Bennema (1993), par exemple, considère les préfixoïdes comme des préfixes, tandis que Selkirk (1982) les traite comme des éléments de la composition non-native.
Bok-Bennema (1993 : 16) invoque trois arguments différents à l‟appui de l‟hypothèse que les préfixoïdes sont en fait des préfixes :
1. La tête des mots contenant un préfixoïde est toujours à droite. Les affixes ne peuvent pas être la tête, donc dans les mots préfixés, c‟est l‟élément à droite qui est la tête du mot. De plus, dans la composition romane, la tête du mot se trouve à gauche normalement.
2. Les affixes, contrairement aux morphèmes libres, sont toujours préterminaux et ils se combinent avec un morphème libre. Les préfixoïdes se combinent également avec des morphèmes libres, tout comme les affixes.
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 25
Cependant, la théorie de Selkirk et nos données nous permettent de contredire au moins deux de ces arguments. Commençons par le premier argument, celui de la position de la tête. En effet, il existe des préfixoïdes qui peuvent figurer comme tête. Nous avons trouvé plusieurs mots ayant deux têtes ; le préfixoïde et l‟élément de droite. Voici trois exemples de notre corpus avec leur contexte :
(28) a. russo-ukrainien (A) :
« Les craintes de l‟Union européenne sur sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie avaient brusquement augmenté avec la guerre en Georgie [sic] à l été 2008, puis avec le conflit russo-ukrainien qui conduisit à des ruptures d‟approvisionnement l‟hiver suivant. »
(Le Monde, 16-10-2009) b. économico-social (A)
« La salade représente soudan un enjeu économico-social majeur qui rappelle étrangement une certaine politique d‟ouverture : « Ces feuilles vertes mettent le luxe et la plèbe dans un même sac égalitariste », s‟énerve le dandy, laissant aux autres la salade, « elles puent la démagogie, elles voteraient à gauche que ça ne m‟étonnerait pas ». »
(Le Monde, 16-10-2009) c. audiovisueel (A)
“De audiovisuele branche heeft daartoe gisteren een convenant gesloten met Justitie.” (NRC Handelsblad, 29-10-2009)
Dans (28a), il s‟agit d‟un conflit qui touche la Russie aussi bien que l‟Ukraine, russo- ne modifie donc pas ukrainien. De plus, ukrainien ne comporte pas le sens principal du mot, parce que le conflit est à la fois russe et ukrainien. Ceci est également valable pour les mots économico-social et audiovisueel.
De plus, nous avons trouvé des mots exocentriques contenant un préfixoïde, comme l‟adjectif pro-Kremlin. Il ne s‟agit pas d‟un type de Kremlin, mais de la caractéristique d‟être en faveur du Kremlin. En outre, le mot entier est un adjectif tandis que Kremlin est un substantif. Kremlin ne peut donc pas être la tête du mot. Si pro- était un préfixe, l‟élément de droite faudrait être la tête du mot, ce qui n‟est pas le cas ici.
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 26
classiques se combinent avec un élément savant. Prenons par exemple le mot psychologue. Si l‟on considère psycho- comme un affixe, logue est nécessairement un morphème libre. Pourtant, ce n‟est pas le cas. C‟est pourquoi psychologue nous semble être plutôt un composé non-natif qui se compose de deux radicaux savants au lieu d‟un préfixe.
Il existe encore un autre fait qui nous fait douter du deuxième argument. Considérez les mots savants suivants :
(29) a. téléphone b. phonologie
Si l‟on considère télé- comme un affixe, l‟élément de droite (phone) est nécessairement un morphème libre (ce qu‟il n‟est pas). Cependant, le même élément peut se trouver également au début d‟un mot (29b). Si l‟on maintient la théorie de Bok-Bennema (1993), phone/phono est un morphème libre dans (29a), tandis que le même élément n‟est qu‟un affixe dans (29b), ce qui nous semble un peu bizarre. L‟analyse de ce type des mots comme composés non-natifs se composant de deux radicaux résoudra le problème illustré ci-dessus. Dans ce cas-là, les préfixoïdes sont des radicaux liés, et peuvent donc être suivis ou précédés par un autre radical.
Le dernier argument donné par Bok-Bennema (1993) est sans doute le plus difficile à contredire. Cet argument consiste au fait que les préfixoïdes ne peuvent pas être complexes, contrairement aux morphèmes libres. Elle donne l‟exemple du préfixoïde espagnol euro- : il est bien possible d‟ajouter le suffixe diminutif –ita au morphème libre Europa (Europita), tandis qu‟il n‟est pas possible de l‟ajouter au préfixoïde euro- (*eurecita). Pourtant, nous avons trouvé un préfixoïde qui semble être complexe, à savoir économico-. Nous supposons prudemment que ce préfixoïde se compose du substantif économie et de l‟affixe adjectival -ique, et que ce dernier a changé en –co.7.
Finalement, la plupart des préfixoïdes sont suivis d‟un trait d‟union (cf. mi-septembre), tandis que les préfixes n‟en sont normalement pas. Les composés contiennent souvent un trait d‟union, ce qui soutient l‟hypothèse selon laquelle les préfixoïdes sont des éléments des composés.
En résumé, nous avons constaté que contrairement à ce que dit Bok-Bennema (1993), les préfixoïdes peuvent être la tête du mot et que l‟élément à droite du préfixoïde n‟est pas
7 Nous sommes consciente du fait que notre argumentation n‟est pas sans faille ici. Cependant, nous croyons que
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 27
toujours un morphème libre. Selon nous, les préfixoïdes sont des radicaux liés qui se combinent avec un radical libre (cf. économico-social) ou avec un radical lié (cf. psychologue). Maintenant, nous pouvons préciser encore plus la définition du préfixoïde donnée dans (8) :
(30) Un préfixoïde est un élément lexical placé à l‟initiale d‟un mot, précédant un radical libre savant ou un radical lié savant. Le préfixoïde est un radical lié et fait partie des composés non-natifs. Il existe deux catégories différentes de préfixoïdes :
1. Les préfixoïdes semi-natifs :
Les équivalents savants d‟une préposition, d‟un quantificateur, d‟un adjectif ou d‟un nom du français/néerlandais moderne (cf. anti-, multi-, néo-, auto-).
2. Les préfixoïdes natifs :
Les abréviations des morphèmes libres français/néerlandais (cf. ciné-, euro-).
Nous considérons donc tous les mots contenant un préfixoïde comme des composés non-natifs, même si le mot se compose de deux éléments natifs (cf. economico-social). En effet, les préfixoïdes natifs se comportent comme des préfixoïdes semi-natifs : ils sont invariables (cf. *économicos-sociaux) et la plupart d‟entre eux ont une terminaison en –o, qui est une forme savante.
Nous adaptons l‟hypothèse de Selkirk selon laquelle « tout morphème qui n‟est pas un affixe est de façon redondante un radical et en principe peut être un mot » (Selkirk 1982 : 98). Nous supposons qu‟en français aussi bien qu‟en néerlandais, la combinaison de deux morphèmes n‟aboutit pas directement à un composé, mais qu‟il y a „un stade intermédiaire‟, à savoir le radical. Prenons par exemple néolibéral, qui se composé du préfixoïde adjectival néo- et le morphème libre libéral. La combinaison de ces deux éléments aboutit au radical adjectival néolibéral. Ensuite, ce radical peut devenir un mot. Il est également possible d‟ajouter des affixes au radical (cf. néolibéralisme) pour créer un nouveau radical avant devenir un mot. Les structures des mots néolibéral et néolibéralisme sont illustrées sous
(31ab)8.
8
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(31)9 a. A b. N
Rad A Rad N
Rad A Rad A Rad A Naf Rad V Aaf Rad A Rad A
néo libér al
Rad V Aaf
néo libér al isme
Selon nous, tout suffixe se combine donc avec un radical et forme un nouveau radical qui en principe peut être un mot.
Ayant déterminé le statut du préfixoïde, nous pouvons analyser les mots contenant un préfixoïde. Dans les paragraphes suivants, nous déterminerons la structure des composés contenant un préfixoïde. Comme les préfixoïdes sont toujours des radicaux liés, nous en donnerons également l‟entrée lexicale.
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 29
4. Analyse des mots français contenant un préfixoïde
Dans ce qui suit, nous classerons les préfixoïdes qui se trouvent dans notre corpus (voir l‟appendice 9.2.1 pour la liste complète des mots contenant un préfixoïde et leur contexte) en fonction de la catégorie lexicale des mots dans lesquels ils se trouvent, en commençant par les noms. Ensuite, nous traiterons des adjectifs et des verbes. Pour chaque mot contenant un préfixoïde, nous nous pencherons sur la catégorie lexicale de l‟élément avec lequel le préfixoïde se combine et nous essayerons de donner l‟entrée lexicale du préfixoïde. De plus, s‟il s‟agit d‟un mot endocentrique, nous déterminerons la position de la tête. Puis, nous analyserons la forme des préfixoïdes qui sont des abréviations. Finalement, dans la dernière section, nous établirons les règles de réécriture pour les mots français contenant un préfixoïde.
4.1 Les noms
La plupart des mots de notre corpus sont des noms. Dans ce qui suit, nous nous pencherons sur la structure des composés nominaux contenant un préfixoïde.
4.1.1 N → N N
(32) autocensure (N) [+ fém] autodéfense (N) [+ fém] autoportrait (N) [+ masc]
Le préfixoïde auto- vient du substantif grec autos, qui signifie „soi-même‟ ou „lui-même‟ (Le Robert 2007), c‟est pourquoi il s‟agit d‟un radical nominal. Dans les mots de (32), auto- se combine avec un radical nominal libre. Ces mots ont la structure suivante :
(33) N Rad N
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 30
Dans les mots donnés en (32), ce sont les éléments de droite qui portent le sens le plus important du mot : il s‟agit d‟un type de censure, de défense et de portrait. Nous avons donc affaire à des mots endocentriques dont la tête se trouve à droite.
Le préfixoïde auto- ne se combine pas seulement avec des substantifs, mais également avec des adjectifs (cf. automobile : mobile par soi-même) et avec des verbes (cf. s’autodévorer) (Le Robert 2007). L‟entrée lexicale de ce préfixoïde est la suivante :
(34) auto- cat. : N, semi-natif sous-cat. : [ - - - N ] A V sém. : de soi-même, de lui-même fon10. : // (35) ciné-club (N) [+ masc]
Ciné-club a la même structure que celle donnée dans (33). Le préfixoïde ciné- est l‟abréviation du substantif cinéma (Le Robert 2007) ; le dernier syllabe (-ma) a été omis. Ce préfixoïde a donc la structure prosodique suivante : δ δ [-e].
Il s‟agit d‟un type de club, donc c‟est l‟élément de droite qui porte le sens principale du mot et figure comme la tête. Ciné- se combine normalement avec des substantifs. Voici l‟entrée lexicale de ciné- :
(36) ciné- cat. : N, natif sous-cat. : [ - - - N] sém. : cinéma fon. : // (37) écocensure (N) [+ fém] écosystème (N) [+ masc]
Le préfixoïde éco- est tiré du substantif grec oikos, qui signifie „maison‟ ou „habitat‟. En français moderne, éco- signifie „habitat‟ ou „milieu naturel‟. (Le Robert 2007). Une
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 31
écocensure est une censure écologique de même qu‟un écosystème est un système écologique, donc ce sont les éléments de droite qui portent le sens principale du mot et figurent donc comme la tête. Écocensure et écologique ont la même structure, illustrée dans (38).
(38) N
Rad N
Rad N Rad N éco censure
Le préfixoïde éco- est très productif (cf. écotourisme, écotaxe, écoproduit) mais comme il s‟agit dans la plupart des cas de néologismes, ces mots ne se trouvent pas encore dans Le Robert. Peut-être que éco- peut se combiner avec des adjectifs et avec des verbes dans l‟avenir, mais à présent, nous n‟avons trouvé que la combinaison du préfixoïde éco- avec un N. L‟entrée lexicale du préfixoïde éco- est la suivante:
(39) éco-
cat. : N, semi-natif sous.cat. : [ - - - N]
sém. : habitat, milieu naturel fon. : / /
(40) électro-hypersensibilité (N) [+ fém] électro-sensibilité (N) [+ fém]
Le préfixoïde électro- vient du substantif grec êlektron, qui signifie „ambre‟ (Le Robert 2007). Comme le préfixe hyper- s‟ajoute aux adjectifs normalement (Le Robert 2007), nous
proposons la structure suivante pour le mot électro-hypersensibilité11 :
11
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 32 (41) N Rad N Rad A Naf Rad N Rad A Af Rad A
électro hyper sensibil ité
Le mot électro-sensibilité a la même structure que celle donnée dans (41), sauf l‟affixe hyper- naturellement.
Outre avec les adjectifs, électro- se combine avec des substantifs (cf. électromoteur). Comme il ne s‟agit pas d‟un genre de l‟électricité mais d‟une certaine sensibilité, c‟est l‟élément de droite qui occupe la position de la tête. Maintenant, nous pouvons donner l‟entrée lexicale du préfixoïde électro- :
(42) électro- cat. : N, semi-natif sous.cat. : [ - - - N ] A sém. : ambre fon. : / / (37) hydrocarbure (N) [+ masc]
Le préfixoïde hydro- est tiré du nom grec hudôr, ce qui signifie „eau‟. Dans (37), hydro- se combine avec un radical nominal libre, à savoir carbure. Hydrocarbure a également la structure donnée dans (33). Comme il s‟agit d‟un genre de carbure, l‟élément de droite figure comme la tête du mot.
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 33 (38) hydro- cat. : N, semi-natif sous-cat. : [ - - - N] sém. : eau fon. : // (39) narcotrafiquant (N) [+ masc]
Narco- est tiré du nom grec narkê, qui signifie „assoupissement‟ (Le Robert 2007). En français moderne, narco- signifie drogue. Le préfixoïde narco- ne se combine qu‟avec des noms. La structure de narcotrafiquant est un peu plus complexe que celle donnée dans (33) :
(40) N
Rad N
Rad V Naf Rad N Af
Rad N Rad V
narco trafiqu ant Ø
Nous supposons que narcotrafiquant est un mot exocentrique, étant donné que qu‟il ne s‟agit pas d‟un type de drogue ou de l‟action de faire le trafic de la drogue, mais de « quelqu‟un qui fait le trafic de la drogue » (Kampers-Manhe 2000 : 169). À l‟instar de Kampers-Manhe (1993 : 166-167), nous utilisons un affixe nominal zéro ici, qui est la tête de la projection nominale. Selon nous, un tel suffixe zéro se combine avec un radical et non pas avec un mot, pour les raisons illustrées dans la section 3.4.
Maintenant, nous pouvons donner l‟entrée lexicale du préfixoïde narco-.
(41) narco-
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 34
(42) psychanalyse (N) [+ fém]
psychanalyste (N) [+ fém/+ masc]
Ici, nous avons à nouveau affaire à un préfixoïde qui a été tiré du grec. En effet, psych(o)- vient du substantif psukhê, qui signifie „l‟âme sensitive‟ (Le Robert 2007). Une psychanalyse est une analyse psychologique et un(e) psychanalyste est quelqu‟un qui fait une analyse psychologique. Analyse et analyste figurent donc comme la tête du mot.
Comme les suffixes -(i)se et -iste ne se combinent qu‟avec des bases nominales (Leopold & Mauritz 1965 : 49-50), nous supposons que psych- se combine avec des substantifs analyse et analyste, et non pas avec le verbe analyser. Psychanalyse a la même structure que celle donnée dans (33). Par contre, la structure de psychanalyste est un peu plus
complexe : [ [ [ psych ] Rad N [[ analys] Rad N (is)te ] Rad N ] Rad N ] N. Le préfixoïde psych(o)- se
combine avec des substantifs, des adjectifs (cf. psycho-corporel) et des verbes (cf. psychanalyser). L‟entrée lexicale de psych(o)- est la suivante :
(43) psych(o)- cat. : N, semi-natif sous.cat. : [ - - - N ] A V sém. : âme fon. : / / (44) radioactivité (N) [+ fém] radiofréquence (N) [+ fém]
Le préfixoïde radio- vient du nom latin radius et signifie „rayon‟ (Le Robert 2007). Les mots
dans (44) ont les structures suivantes : [ [ [ [ radio ] N [ activ ] Rad A ] Rad A ité ] Rad N ] N et
[ [ [ [ radio ] N [ fréquen ] Rad A ] Rad A ce ] Rad N ] N. Radio- se combine avec des adjectifs
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 35 (45) radio- cat. : N, semi-natif sous.cat. : [ - - - N ] A sém. : rayon fon. : // (46) télécommunication (N) [+ fém] télédiffusion (N) [+ fém]
Il existe deux variantes du préfixoïde télé- : l‟abréviation de télévision et l‟élément tiré du grec têle signifiant „distance‟ (Le Robert 2007). Pour déterminer de quel emploi il s‟agit ici, il nous faut examiner le contexte :
(47) Jérémie Manigne, 36 ans, directeur du très haut débit chez SFR, a été promu, le 14 octobre, directeur général innovation, marketing produit et services de l‟opérateur de télécommunications. (Le Monde, 16-10-2009)
(48) Les experts ont évalué la qualité méthodologique de 225 études concernant les fréquences supérieures à 400 MHz, c‟est-à-dire excluant la radio et la télédiffusion. (Le Monde, 16-10-2009)
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 36 (49)12 N Rad N Rad V Naf Rad V Rad N Rad V
télé communic (at) ion télé diffus ion
Le suffixe nominale –(at)ion se combine avec des verbes normalement (Leopold & Mauritz 1965 : 42), donc nous supposons que –(at)ion s‟ajoute aux verbes télédiffuser et *télécommuniquer. Ce dernier verbe n‟existe pas, il est vrai, mais cela n‟influence pas notre analyse étant donné que la théorie morphologique de Selkirk décrit tous les mots potentiels d‟une langue. Télé- est le modificateur de communication et de diffusion, donc la tête se trouve à droite.
Dans son emploi comme préfixoïde13 semi-natif, télé- s‟ajoute aux verbes et aux noms
(cf. téléfax). Le préfixoïde natif télé- se combine également avec des verbes et des noms (cf. téléfilm). Voici les entrées lexicales des deux variantes du préfixoïde télé- :
(50) télé- cat. : N, semi-natif sous.cat. : [ - - - N ] V sém. : distance fon. : // (51) télé- cat. : N, natif sous.cat. : [ - - - N ] V sém. : télévision fon. : //
12 Nous considérons (at) comme un allongement thématique. Dans ce qui suit, nous mettrons les allongements
thématiques entre parenthèses.
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 37
(52) vice-ministre (N) [+ masc] vice-président (N) [+ masc]
Le préfixoïde vice- est tiré du latin vice, qui est l‟ablatif du nom vicis (Le Robert 2007), qui signifie „tour‟ ou „changement‟. En français moderne, vice- signifie „qui tient la place de‟ (Leopold & Mauritz 1965 : 35). Les mots vice-ministre et vice-président ont la structure donnée dans (33). Comme vice- est le modificateur des noms ministre et président, les éléments de droite figurent comme la tête du mot. Le préfixoïde vice- se combine avec des N normalement. Nous donnerons l‟entrée lexicale de vice- dans (53).
(53) vice-
cat. : N, semi-natif sous.cat. : [ - - - N ]
sém. : qui tient la place de fon. : / /
4.1.2 N → A N
Il existe aussi des noms qui se composent d‟un préfixoïde adjectival et d‟un nom. Nous en avons rencontré huit en total.
(54) néoliberalisme (N) [+ masc]
Le préfixoïde néo- est tiré de l‟adjectif grec neos et signifie nouveau (Le Robert 2007). Le suffixe –isme en combinaison avec une base adjectivale désigne une doctrine ou une qualité (Leopold & Mauritz 1965 : 50). Dans le cas de néolibéralisme, il s‟agit donc de la doctrine néolibérale. C‟est pourquoi nous proposons la structure suivante :
(55) N Rad N Rad A Naf Rad A Rad A Rad V Aaf
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 38
Comme il s‟agit d‟un genre de libéralisme, c‟est l‟élément de droite qui occupe la position de la tête. De plus, l‟élément de droite détermine la catégorie lexicale du mot entier (N). Néo- ne se combine qu‟avec des adjectifs. Voici son entrée lexicale :
(56) néo- cat. : A, semi-natif sous.cat. : [ - - - A ] sém. : nouveau fon. : / / (57) mi-2001 (N) mi-chemin (N) mi-décembre (N) mi-journée (N) mi-mandat (N) mi-octobre (N) mi-septembre (N)
Mi- est tiré de l‟adjectif latin medius et signifie qui est au milieu (Le Robert 2007). Nous avons rencontré sept exemples des mots contenant le préfixoïde mi-. À première vue, ils ont
tous la structure suivante : [ [ [ mi ] Rad A [ chemin ] Rad N ] Rad N ] N. Cependant, ces mots font
partie de l‟expression « à la … », comme par exemple « à la mi-septembre ». Ceci est difficile à expliquer, étant donné que septembre est du genre masculin et mi- est un adjectif ; les adjectifs ne peuvent pas déterminer le genre du mot non plus. Sans doute, il s‟agit d‟une expression figée. Comme ni mi-, ni le substantif qui le suit ne figurent comme la tête, nous supposons qu‟il s‟agit des mots exocentriques. C‟est pourquoi nous emploierons un suffixe
zéro : [ [ [ [ mi ] Rad A [ chemin ] Rad N ] Rad N Ø ] Rad N ] N.
Mi- se combine avec des substantifs (57) et avec des adjectifs (cf. mi-lourd)14. Maintenant nous pouvons donner l‟entrée lexicale du préfixoïde mi- :
(58) mi-
cat. : A, semi-natif sous.cat. : [ - - - N ]
A
sém. : (qui est) au milieu fon. : //
14
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 39
4.1.3 N → P N
Analysons maintenant les composés non-natifs qui se composent d‟un radical prépositionnel et d‟un radical nominal.
(59) anticapitaliste (N) [+ fém/ + masc] anticonvulsant (N) [+ masc] antidépresseur (N) [+ masc] antihéros (N) [+ masc] antihypertenseur (N) [+ masc]
Le préfixoïde anti- est tiré de la préposition grecque anti et signifie „contre‟ (Le Robert 2007). Le composé contenant anti- signifie « qui est contre la notion désignée par la base » (Le Trésor de la Langue Française 2010). Ainsi, un anticapitaliste est contre la possession du capital, un antihypertenseur est un médicament qui est contre l‟hypertenseur et cetera. Cependant, il existe plusieurs variantes de ce préfixoïde. En effet, dans antihéros, anti- ne signifie pas „contre‟ mais „le contraire de‟.
À l‟instar de Kampers-Manhe (1993 : 166-167), nous considérons les mots anticonvulsant et antihéros comme des mots exocentriques, étant donné qu‟il ne s‟agit pas d‟un type de convulsant ou d‟un type de l‟héros, mais de quelque chose qui est contre la convulsion et de quelqu‟un qui est le contraire d‟un héros. Tout comme Kampers-Manhe, nous utilisons un affixe nominal zéro ici, qui est la tête de la projection nominale :
(60) N Rad N Rad P Naf Rad P Rad V Rad V Af
anti convuls ant Ø
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 40
(61) anticapitaliste:
[ [ [ [ anti ] Rad P [ capital ] Rad N ] Rad P iste ] Rad N ] N
antidépresseur:
[ [ [ [ anti ] Rad P [ dépress ] Rad N ] Rad P eur ] Rad N ] N
antihéros :
[ [ [ [ anti ] Rad P [ héros ] Rad N ] Rad P Ø ] Rad N ] N
antihypertenseur:
[ [ [ [ anti ] Rad P [ hyper [ tens ] Rad N ] Rad N ] Rad P eur ] Rad N ] N
Contrairement à antihéros et anticonvulsant, les mots anticapitaliste, antidépresseur et antihypertenseur sont des mots endocentriques dont la tête se trouve à droite. Les deux variantes du préfixoïde anti- se combinent avec des radicaux nominaux. La variante du préfixoïde anti- signifiant „le contraire de‟ se combine également avec des adjectifs (cf. antilibéral). Maintenant nous pouvons donner les entrées lexicales du préfixoïde anti- :
(62) anti- cat. : P, semi-natif sous.cat. : [ - - - N ] sém. : contre fon. : // (63) anti- cat. : P, semi-natif sous.cat. : [ - - - N ] A sém. : le contraire de fon. : // (64) ex-dirigeant (N) [+ masc] ex-gérant (N) [+ masc] ex-PDG (N) [+ masc] ex-recrue (N) [+ fém] ex-république (N) [+ fém] ex-responsable (N) [+ fém/ + masc] ex-URSS (N) [+ fém] ex-Zaïre (N) [+ masc]
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 41
avons donc affaire à des mots endocentriques dont la tête se trouve à droite. Cependant, il y a deux exceptions, à savoir ex-dirigeant et ex-gérant, étant donné qu‟ils ont la structure P + V. Le verbe a été substantivé, c‟est pourquoi nous utilisons un suffixe nominal zéro. Ces mots sont donc exocentriques. Dans (65) et (66), nous donnerons la structure des mots contenant ex- sous forme d‟arbre.
(65) N Rad N Rad N Naf Rad P Rad V Rad V Af ex dirige ant Ø gér ant (66) N Rad N Rad P Rad N ex PDG recrue république responsable URSS Zaïre
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 42 (68) préachat (N) [+ masc] préavis (N) [+ masc] prédilection (N) [+ fém] prééminence (N) [+ fém] préhistoire (N) [+ fém] préméditation (N) [+ fém] préoccupation (N) [+ fém] préréglage (N) [+ masc]
Le préfixoïde pré- est une préposition tirée du latin, qui signifie avant ou devant (Bouffartique & Delrieu 1996 : 37). Les mots préachat, préavis et préhistoire se composent d‟un radical prépositionnel (pré-) et d‟un radical nominal, ils ont donc tous la structure suivante :
(69) préachat :
[ [ [ pré ] Rad P [ achat ] Rad N ] Rad N ] N
Les autres mots donnés dans (68) ont une structure un peu plus complexe. Comme le suffixe -(at)ion s‟ajoute à une base verbale (Leopold & Mauritz 1965 : 42) et comme le préfixoïde pré- se combine le plus souvent avec des verbes, nous supposons que prédilection, préméditation et préoccupation ont la structure suivante :
(70) N Rad N Rad V Naf Rad V Rad P Rad V
pré occup (at) ion
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 43
Dans tous les mots donnés dans (68), le préfixoïde pré- modifie l‟élément qu‟il précède. Les éléments de droite portent donc le sens le plus important du mot. De plus, ils déterminent la catégorie lexicale du mot entier (N). Il s‟agit donc des mots endocentriques dont la tête se trouve à droite.
Comme nous l‟avons vu, le préfixoïde pré- se combine avec des radicaux nominaux et verbaux. Il a l‟entrée lexicale suivante :
(71) pré- cat. : P, semi-natif sous.cat. : [ - - - N ] V sém. : avant, devant fon. : // 4.1.4 N → Q N
Jusqu‟à présent, nous avons vu des préfixoïdes nominaux, adjectivaux et prépositionnels, mais il existe également des préfixoïdes quantificatifs. Nous avons trouvé trois préfixoïdes différents, qui seront traités dans cette sous-section.
(72) demi-douzaine (N) [+ fém]
Le préfixoïde demi- est tiré du substantif latin dimidium, qui signifie „moitié‟ (Bouffartique & Delrieu 1996 : 44). Cependant, en français moderne, ce préfixoïde fonctionne plutôt comme un quantificateur, et signifie „à moitié‟. Ainsi, une demi-douzaine est la moitié d‟une douzaine. C‟est pourquoi nous considérons ce préfixoïde comme un quantificateur, malgré son statut en latin.
Demi- modifie le substantif qu‟il précède, donc l‟élément de droite occupe la position
de la tête. Ce mot a la structure suivante : [ [ [ demi ] Rad Q [ douzaine ] Rad N ] Rad N ] N. Le
préfixoïde demi- ne se combine pas seulement avec des noms, mais aussi avec des adjectifs (cf. demi-nu). Voici l‟entrée lexicale de demi- :
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(74) multiculturalisme (N) [+ masc]
Multi- est tiré de l‟adverbe latin multus, qui signifiait „en grande quantité‟ (Bouffartique & Delrieu 1996 : 45). En français moderne, multi- fonctionne comme un quantificateur et signifie „beaucoup‟ ou „plusieurs‟. C‟est pourquoi nous considérons ce préfixoïde comme un quantificateur, malgré son statut en latin.
Comme nous l‟avons vu ci-dessus, le suffixe –isme s‟ajoute à une base adjectivale normalement. Dans ce cas-ci, il s‟agit de la base adjectivale multiculturel. Cependant, culturel est un mot complexe à base nominale. Comme il s‟agit de plusieurs cultures, nous supposons que multi- s‟ajoute à la base nominale culture et non pas à la base adjectivale culturel. Dans (75), nous donnerons la structure du mot multiculturalisme sous forme d‟arbre :
(75) N Rad N Rad A Naf Rad N Aaf Rad Q Rad N
multi cultur al isme
L‟élément de droite porte le sens principal du mot – il s‟agit de plusieurs cultures – et figure donc comme la tête. Le préfixoïde multi- ne se combine pas seulement avec des radicaux nominaux, mais aussi avec des radicaux adjectivaux et verbaux, comme par exemple multimodal et multiplier. Voici l‟entrée lexicale de multi-.
Mémoire RTC | Les préfixoïdes du français et du néerlandais 45
(77) polyvalence (N) [+ fém]
Le dernier mot de cette catégorie est polyvalence. Le préfixoïde poly- vient de l‟adjectif grec polus (Le Trésor de la Langue Française 2010). Cependant, en français moderne, ce préfixoïde est employé comme un quantificateur. En effet, si un substantif est précédé par poly-, cela signifie qu‟il y en a nombreux ou plusieurs (Le Trésor de la Langue Française 2010).
Le suffixe –ence s‟ajoute à une base verbale (Leopold & Mauritz 1965 : 40). Selon
nous, polyvalence a la structure suivante : [ [ [ [ poly ] Rad Q [ val ] Rad V ] Rad V ence ] Rad N ] N.
Poly- modifie l‟élément de droite, étant donné que polyvalence signifie qu‟il y a plusieurs valeurs. Nous avons donc affaire à un mot endocentique dont la tête se trouve à droite. Poly- ne se combine pas seulement avec des verbes, mais aussi avec des substantifs (cf. polyculture). Il a l‟entrée lexicale suivante :
(78) poly- cat. : Q, semi-natif sous.cat. : [ - - - N ] V sém. : nombreux, plusieurs fon. : // 4.1.5 N → N A (79) agroalimentaire (N) [+ masc] N A
Le préfixoïde agro- signifie agricole. Il est tiré du substantif grec (champ) ou du