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D Témoignage sur les violences angolaises au Congo

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D

e nombreux témoignages ont déjà été publiés sur la guerre du Congo-Brazzaville qui ont permis de jeter une lumière crue sur les exactions des miliciens et des divers corps d’armée engagés dans ce conflit meurtrier1. Via un intermédiaire, Politique africaine a reçu récemment un nouveau témoignage de cette guerre étonnamment « oubliée » : une lettre manuscrite, rédigée en octobre 1999 par un abbé.

Nous avons décidé de publier ce document pour trois raisons au moins. Des nombreux témoignages reçus – et certains publiés – sur les événements de 1998-1999, celui-ci est le premier concernant uniquement les troupes angolaises. C’est aussi le premier qui parle des violences dans les territoires du «Nibolek»

(du nom des trois provinces Niari, Bouenza et Lekoumou), ensemble de régions qui consti- tuait la base politique de Pascal Lissouba et qui a été le centre d’une résistance armée, sur- tout contre les troupes angolaises intervenues là dès octobre 1997 (notamment pour détruire une base de l’Unita établie à Lidouma). Enfin, ces régions sont restées de 1998 jusqu’au der- nier trimestre 1999 entièrement fermées. Cette lettre est donc un des tout premiers témoi- gnages qui en sortent.

1. Voir notamment le dossier établi par la revue Ruptures, n° 1, 1999, Paris, Karthala, ainsi que le document publié par Médecins sans Frontières, Congo-Brazzaville. Chronique d’une guerre a huis-clos, Paris, MSF, octobre 1999, multigr.

Politique africaine n° 77 - mars 2000 193

Témoignage sur les violences angolaises au Congo

Bonjour,

Tout juste ce petit mot pour vous dire que je suis encore en vie et Dieu merci, ce n’étaient pas les occasions qui me manquaient pour joindre les miens dans l’autre monde. Vous avez dû apprendre notre drame. Dans ma dernière correspondance – la dernière – d’octobre 1998, je vous annonçais des jours sombres et c’est arrivé. Je suis un homme diminué présentement, moralement et physiquement. Le 27 décembre 1998, mon frère cadet, Benoît K., le troisième de la famille, âgé de 45 ans, tombait sous les balles des soldats angolais à K., nous laissant une veuve et cinq enfants. Le 27 mars 1999, je quittais précipitamment ma paroisse devant la poussée des troupes angolaises, emportant le nécessaire dans un sac pour gagner la forêt où j’allais rester et vivre jusqu’au 27 septembre 1999, dans des conditions inhumaines, inimagi- nables. Le 1er mai 1999, la paroisse était pillée et je perdais tout, jusqu’à mes souvenirs de famille comme les albums photos. En ce moment,

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.178.255.179 - 15/11/2016 19h00. © Editions Karthala

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je n’ai plus une seule photo de mon père défunt, ni de vous mes parents et amis de France. Cinquante ans de vie effacés d’un revers de main!

J’ai tout perdu: meubles, livres, vaisselle, vêtements.

Le 5 mai, les Angolais brûlaient mon village (26 cases brûlées, maisons défenestrées, pillées), et tuaient un petit neveu de 16 ans, comme ça, froidement, parce qu’il s’était rendu au village, à la recherche de quelques effets. Le 22 juin 1999, c’était au tour de l’oncle Adolphe Y., un capitaine de l’armée retraité, et frère cadet de ma mère, de tomber sous les balles des mêmes Angolais. Dans la forêt, nous avons vécu comme des bêtes sauvages, comptant sur le Seigneur.

Les conséquences au plan physique ont été catastrophiques: sous- alimentation, manque de protéines, etc. Je suis descendu de 100 kilos en mars 1999 à 78 kilos à la sortie de la forêt en septembre (le 27) 1999. Durant tout ce temps, nous n’avons pas mangé de pain, ni de sucre, ni de viande. Nous avons vécu de légumes uniquement et des mêmes, en plus.

Un semblant de paix nous a fait sortir de notre jungle. Pour combien de temps? Je ne le sais, car nos politiciens sont toujours à se disputer comme des chiens devant un os. En forêt, j’étais responsable d’une trentaine (30) de membres de la famille et ce n’était pas de tout repos, surtout qu’il nous fallait vivre au jour le jour, dans des abris de fortune, couchant à même le sol, sans matelas ni moustiquaires, exposés à toutes les intempéries et à toutes les mala- dies. Une de mes belles-sœurs a dû accoucher dans ces conditions, sans assistance médicale, sans alcool et sans sérum antitétanique. Dieu ne nous a pas abandonnés durant toute cette épreuve et c’est vraiment sa Providence qui a veillé sur nous.

Vous êtes les premiers à qui j’écris depuis octobre 1998. Je profite d’une occasion – une fille qui doit faire plus de 80 km à pieds pour se rendre à K.… – pour vous écrire afin de vous tranquilliser sur mon sort. J’écrirai aux autres quand cela sera possible. Inutile de m’écrire quand vous aurez reçu ma lettre. Nous n’avons plus de poste et, depuis octobre 1998, je n’ai reçu aucune correspondance.

Priez pour moi. Je vous embrasse.

À plus tard.

Alphonse B.

Mission catholique Paroisse de K.

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