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ATUUR

va M:

MMETA 0830

G

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(2)

L. ROELANDT

- Préface de Henry Poulaille - Notice Biographique de Julius Pée - Quatre Planches hors-texte -

ÉDITIONS LABOR - BRUXELLES·PARIS

(3)

1\\\ill~ll\~MiOC~~nlllil\I\1

00850246

c - - Ij

(4)

NOTO SOUROTO.

LA CHANSON DU W AYANG Préface de Romain Rolland.

Traduit du néerbndais par L. Roelandt.

Prix : 10 francs.

A paraître en octobre prochain

MULTATULI.

BATAVUS DROOGSTOPPEL Traduit du néerlandais par L. Roelandt.

Prix : 10 francs.

Tous ceux qui ont apporté un peu de bonté nouvelle au monde essuljè- rent Ie mépriB des honnêtes gem.

A. France.

(5)

Il a hé tiré de eet ouvrage :

L. ROELANDT

PAGES CHOISIES

20 exemplaires sur Japon Impérial numé- rotés de J à 20.

24 exemplaires sur HolJande numérotés

de 21 à 44.

DE tv1ULTATULI

50 exemplaires sur Featberweigtb numé-

rotés de 45 à 94.

- Préface de Henry Poulaille -

Notice Biographique de Julius Pée - Quatre Planches hors-texte -

ÉDITIONS LAB 0 R - BRUXELLES - PARIS

(6)

PRÉFACE

Bien qu'i! soit une des plus grandes figures de la littérature curopéenne, et I'un des esprits les plus révolutionnaires du dernier siècle, Multatuli està peu près inconnu du public de langue française qu'vn s'accorde pourtant d'une manière plus générale que méritée, à prétendrc Ie public Ie mieux renseigné du monde.

ertes, I'un de:! motifs de cette méconnaissance est cclui qu'ont mi' en valeur la plupart des biographes de Dekker. Parce qu'il avait eu la malchance de naitre dan Ie petit pays de HoIlande, Multatuli ne fut pas mis à sa place de premier plan partageant cette injustice avec son grand compatriote du XVII sièc1e, Vondel, 1"auteur de ce Lucifer qui pourrait être signé Shakespeare, Marlowe, ou Grethe. Certes, à I'heure qu'il est, la littérature néerlandaise est tout dédaignée malgré ses Querido, Couperu, Van Eeden, Roland- Hol t, etc., alors que bon nombre de mauvai auteurs anglais ou al1cmands connaissent Ie succès universeIs.

Evidemment, en Francc, on s'intére e davllntage aux cafés, cacao et fleur venu de là-bas, quand ce n' t pas à la publicité de. aillie. royale, qu'aux reuvr ," r présentatives du génie hol1andais... Ie Vondel et les lultatuli ont donc à se défendre eux- même par leurs reuvre , ce qui n'e t pa!" trè faciJe en un t mp ou la gloire littéraire s'acquiert à coups de publicité.

Pour un Multatuli, Ie ca' se cnmpJique en('ore. On d vine a z qu'i\ n'~'ait qu'un médiocre empressem nt au sujet du p're de MaJ' Hav laar de la part de fils d. bourgeoi qu'il a fustigés.

C ux-ci, dans Ie pay trè chr "tien d -éerlande n'ont, pas plus qu'ailleur , I'habitude du pardon des injures et des coups. Ce qui e. ten somme as. ez normal, on peutm~meavancer que dans d'autre:;

pays celn ût été pire. Ne serait-ce qu'en Franco, ou Val1ès est encore considéré en outlaw. Cette France chevaleresque, dont on nous a toujou~'s dit qu'elle "tait la championne de libertés, s' st fermée Ie y~ux chastement d va nt les exactions dénoncées par Multatuli

7

(7)

et n'eut jamais que Ie plus complet mépris pour l'reuvl'e el1e-même, Cela ne laisse pas d'être mal compréhensible, car Dekker est une sorte de disciple de notre Proudhon, L'Allemagne qui avait 1\!arx, LassalIe. Stirner, fut plus juste envers lui : les <:cuvres de Multatuli iurent très vite rangées parmi Ie cIassiques, En Rus ie, en Pologne, on Ie connais"ait, ainsi que dans les pays nordiques, et l'Angleterre l'appréciait, Edmun Gosse et Lawrence Ie tenaient pour nn des plu, grands maîtres de la Jittérature mondiale,

En France, i! y cut en tout ct pour tout, deux tentative" de publication, je dis tentativcs. car Ia traduetion de .1frrx Hal'claar ne fut pas menée à bi en complètement, et celle d " Morceoll.t

!roisisdu ,iIerC"lIrc de F"allC€' était en ti rage restreint.

Quelque dix ou quinze artic1es ont été consacrés à I'homme et a 1'on <:cuvre dep ui I'étude de M, Yan Keymeulen, parue dam; Ja RevlIe dcs Deux Mondcs, en 1892, Ceux de M. Cahen, la préface d'Anatole France aux MOl'ceau:r Choisis. les articles de Baza gette.

de L~on Treieh, d'Habaru. de Ch, Wolff, les mien, ... Et c'est ft peu près tout ...

Le réccnt cinquantenaire de notre auteur n'a pas éveillé beaucoup d'échos chez nous; cependant il donna l·oeca. ion au critique de, letlre étrangères du JouMtal ds Débats, d lui con!'acrer un feuilletonà propos de cet anniversaire, D'ordinail'e,M, Murct. mieu . inspil'é. juge .an parti pris Ie!'! auteurs qu'iJ analy. c, Cette foi., on croirait qu'il s'e t reconnu enM,Batnvu. Dl'oog!'toppcl. Et-re pnr que IeJoumal des DébatB e t un organe du Comité des Forge , flU la critique de 1\1, lI1uret SUl' Dekker res embleà c 11 de Droog:toppel relativeà la poésie?

On croira peut-être que j'exagÈ>r . Hélas non, ou si pen. Qu'on n juge plutót, RaiIlant Anatole FJ.·ance qui I'avait app léI Voltah' , hollandai. ,M,Muret écrit :

ReuTeux lIIultattLli. mai.s pal/ue A'Ilatoi.e Fron~.! 11 d t'ait BOlo'ire de son Bourire Ie plus sardonique en formlliolI UlHl t Ue énormité. Enlre Candide et :Max Havelaar il 11 It /11 nbi7l' , 10llte sart es d·ubiml's. Multatuii, pamphlilaire peSClItt. 1Jl'rbel/x, l'app 11 tout au plus ElIgèll 'te et la Gl'org Sand d MauJlrat. .hl t 1111', oit SI'S écrits itai lItàla modI', sc. pt.11l'Ol/ri!!t /IaU.e.!nfll,dx elrlibmi IIf I'n lui un ]JrfClITSrIO' dlL lwtl/raHs»Ir. 11 1',t tout 1111 pll/!! III

l'ollwntique "tltta rd " Gette rmfl'Ollrt dau8 I 8 deeriptiOM, el'tI

1111;011 d'intcrrompre Ie "érit pOllr }JIJ,I r 1/1' het/lil', reil uJI}Jfd

constants att sentiment, queUe tristes et enuuye1Ules vieill.eries! l!

semble que Multatuli UI)sc lit pas gmnde illusion, àses d 'buts, BW' sa valeuT littél'ail'e. G'est eulement plu8 taTd, quandl,int Ic suecè,~, tInsuccè àdes eausesqui n'avaient l'ienàvoir avec la littél'atUl'e, qlle lIluitatuli sc mit àjouer alL pontile.

C'est le point de vue de 1\1, l\1uret, et nous n'avons pas Ie désir de Ie discuter. Nous préfél'ons noter à propos de Max HaveIaaT qu'i!

ne trouve qu'une bien pïtre défense en faveur du souverain Gui!Iaume lIl, auquel M:ultatuli en appelait dans la d 'dicace dil livre, lui signalant quecdans ce bel empire d'Insulinde, qui s'enroul là-bas autour de I'équateur comme une ceinture è"meraude3, tr nlc 111i11ions de ~e' uj"t étaient maltJ.'aité, et dépouill , en son nom ;p,

Guillu one IlI, nou dit liL l\luret.s'il at'ait jUflê bUil d l'ppolld,....

11IIm;t 1)/t dit 1110i1/!: ./oil'c ob'('ft'cr ti MlIltatnli q·'C lI'S Jal'allnlx rrll1'f!imlt éU bil'1t P'lIq o]JJ1l'imP,q lml' Iel/I'S Adh:pattill illdig~lleR ,;

l'administmtion pollondai e n'(lt'ait été 1J0111' UII/ill'" 1'1'(((0

oJ1J11'r,Qxirm; m.ais 1111 al'Ullmrnt à ('e 1Joint l·r/lltif n'I'lo'(lit e'1'taillc, 1/I(>nl 1I'1~ soli,,/rril nlJtre Ilo/til/(llIt I'olllllndcr co[olli(ll.

liL:lIlu'et, lui. ~aitfaeilement se contenter, n'est-ce pa::;? Etudiallt 1'lTultatuli comme romancier pamphlétaire,i! assure troU\' r .es pa .1 pItiet médiocres :

C01llbi 11 d·rllltrp.q qlli Re lil'/'airlli vel's Ic mêmc trlnll ti 1'1', III1~m~.·

j(lrétip npportail'lltà 11'111' trIl 'ail, clc .•apr l/ntlllelli lil" ";[J"lll'I""",

lilt ,a/'('(1 lIIe pIliS co l'ros;l!

E:t-c. à tirner, à Marx. à Pl'oudhon qu'il fait aUu. ion? On aimerait à Ie sm'oir, Ul'tout lJuand on Ie voit Uil PPU plu. I in .~

contredire totalement, Aprè avoir parlé de brl tie:. •

r.

.Iurct termill (In artiele n dénonçanl I' UHed Dekker a\'cc vio pncl' : .lIlIliat"li était mailIs clémocrat t r'I'oilltioltna Ï/'c qll'a na re/ti,.tr, IIa aFpirf, l1w;ns, dall~ ,.es écrit , a ,'edres er les torts ctà réfonn.cr lrl sociétp qll'll fllire tC1ble 1'/'lIe, on itléal, 1"1'.IIr /I1(1l1oir li I' 7/PC',·"

Tout ce qlli a force de lai l.'irrite c totlie cllo l'flllt'elllllJ lui dOllllft llt'Ïe dl' C"ra{;her dCIlSIIR, Le Tesp ct llli I!ait odiellf, ct, d{l1Ul til.

pag ril rClctériRtique d'al/llr ( I ,e- l'Ï!'I.', il Iljoint à es IIlnnt, d".

11 /1' point Tf's}JC'cter 'Ili l'aim r. c VOtiS étes jCl/l/ell nco re, 111 !I

eular I!I, mais lut jour l.iendra or( 1'0118 lire:: ce qlle j'écris iei, L i jlllnai8 je Téclame de VOII de ['offeetion 1JarCe qUl'oo, JlctJ'CC que ...

comment dire? 1Jaree qtt'àUIleel'tain moment j'ai fait I'cl'tain cho~e /lC/nB 'Jen r Ie 1/toin, du 1/101/(["ft rOl/8, bien clt'ant que VOII . e..:istie~,

(8)

St,amais je vous demande de Z'affection à cat/se de Cl'la" eh bien!

jetez-moi des oTdures à la tét ! ). Jcan Richepil/ d I!~ 1111 morcea"

des Bla phèml' ,avait énoncé la mrme pensée fol' e : c De.q père et mère, ça! c'est ça que l'on révèTc. - Allon8 donc! on est Ie fils dlt hasard qui lança ... ) Le del'ni I't'ers de ce sonnet e t trop crûm nt métaphysique pour pouvoir être transcrit ici. - Peut-être, au surplus, Ie leeteur s'en souvient-il-. lIfultatuli se rülanulitdl' m-me m4térialisme que le Richepin des Blasphème~. Rien d'étonnant lIi e s deu:c poètes se font tlne idée identique, pas très .~t,blime, des devoirs des parents cnvers les enfants et des enfantlJ cmlers leg parents. Ces idée8 étaient encore, dans la seconde moitié du derniel' si eZe, relativement neuves et hardies. Aujourd'hui lt! progrès ent aequis etil n'est plus nécessaire d'inviter à l'iTrelJpcct les progéni- fures. El/es y vienncnt spontanément. Multatuli et ses pal'cils ont lIi bien travaillé.

Il apparaît donc, même si l'on en croit ce juge, que l'reuvre de Multatuli n'est pas aussi anodine qu'il voudrait nous Ie faire admettre.

Plus juste était Ie grand romancier anglais Lawrence, l'auteur de L'Amamt de Lady Chatterley, dans la préface qu'il écrivit pour l'édition américaine du Havelaar :

La grande force dllnamiqtte chez Mullatuli est la huinI', tl/l.l' huÏl!

passionnée, une kaine honorable. 11 eat hot orClble de hal'

Mllflard (1) ct Mllltatz'li Ic haïssait. Tl est honorClble el/rore de kair tme bureaucratie couarde t lIfultatuli la haïs. ait. Parfoill m'me, il est h01wTabi et néces aire de hair Z'hlonrrnité comme sottvent il arrÏt'e à [u/tatuli dc Ie fa,ire.

Qumul ii n'1/ aura plull de .lJlIfflard,pltUlde gouvrrnem·. -géllhaux, plus de Glaireux (1), alors Max Hav laar sern pa , •df) m,ocU:. C lil're e8t une pil,u,~ plus qu'une dragée. La confiture de la pril sert à faire avaler la, pilule. os pères et 1W8 grnlldil-p rllll 8e 1101t contentés de lécher la, confiture. Quant à nou • nOt'/!1JO'!rons pTt ndre la piluZe. Cal' la eon.stipation ocial, est pll'.s tenace qlle jnmais.

Lawrence parlait de Gogol, de Swift, de Marc Twain, et auasi comme Anatole France Ie fit, de Voltaire. Dignes parrainages, mai

(1) Per onnage de Ma% Have/aar, MuClaru : Bataru Droog'toppel;

GllIireux :M. Ie ré jd lil ~Iymerjng.

qui ne sont peut-être pas exactement ceux que se serait choisis I'êcrivain. Cela n'a d'ailleurs qu'une mince importance, et Multatuli est Multatuli.

Et c'est queIqu'un ...

On ne se rend pas assez compte qu'i1 est aux cotês de Proudhon, Stirner, Bakounine, ietz che, un des grands destructeurs anar- chistes. L'un des premiers anarchistes avoués - non pas socialiste.

n

avait la même phobie qu'Herbert Spencer pour ce mot. cSocialiste moi, disait ce dernier.AtlClm jugement ne peut être plus contraireà la vérité. L'avènement du socialisme 80cial, déclarait·il, serait le 1Jf.u.8 grand désastre que le monde aurait connu ~ (1).

Multatuli affirmait :cJe sympathise avec les m 'contents, je suis nlrcontent moi-1néme. Ma,is je prétendB qu'ils se tTompent dans ie choix de Zeurs adversaires comme sur les 'Il101Jens de les combattrc.

Jesuis m.éme anti-socialiste,ajoutait-il, les socialistes veulent rendl'e l'Etat tout-puissant; j'insiste pour qu'on rédu:ise son intervention au .•trict 11écessa,ire. ) (2).

Anti-étatiste, anti-militariste, anti-colonialiste, anti-parlementaire, Ilthée. anarchiste complet donc, et ce dans un pays de commerçants rl'esprit borné, enrichi sur Ie dos des malheureux Javanais, et de pasteurs aux idées peut-être plus obtuses encore. Iconoclaste, lultatuli n'avait aucun re peet des usages sacrés, de quelque 'screment qu'elles émanent, ui pour les grand principes à l'ombre desquels commande Ie mensonge. Son athéisme ne s'arrêlait pa à la eule critique des religions; les morales d'usage ne trouvaient pas grice devant lui.

n

avait la haine de l'hypocrisie et Ie mépris de toute abdication de I'individu. Loi, religion, morale, propriété, étaient autant de masques à arracher, Et de rompre des lances an arrêter...

Cela n'allait pas sans une cel'taine 0,tentation don quichottiste.

Ecoutons plutöt Dekker parIer d son double, Max Havelaar : Harclaar paraissaitltnhamme de tl'cnte-cinq an..~.Elancé ct lestc, il n'y ot'ait, dans !lon extérieur, ,.ien d'e:ctJ'aordinaire, à l' xcclJtion de sa, l.èvre sUlJériettre mobile et tTès mince, et dc ses grand 11 t' blCtUl qtti, au repos, semblaient endormis, ma,is qui jetaien Icl/, ct flammeB SOUl! l'empire d'une grande idée. Ses chel'clu blond.

tombaient tout droit Ie long de Be tempes.

(1) Letlre de pencel'à M.Lucio Florentin. 1895.

(2) u,ltre de Mullaluli IIU D' Muil r, 1886.

(9)

'e t Multatuli au physiquc, Peut-être s'est-i! embelli quelque peu, lIfais ce a n'a gllèr d'importance, Son portrait moral n'offre-t-i! pas davantage d'intérêt?

Détaillant son personnage dans son roman, iJ déclare au lecteur, sans se rendre compte qu'i1 y avait là un tantinet de fatuité :

Je COJnlJrends parfaitement qlle, Ie voyant pour la première foi4, l';déc ne vous dn pas qltC t'OUS aviez devant VOIIS queTqu.'un;

q1lel'1!~'!ln qlti, par l.e eO'llr et par Ta téte, é'ait e:rceptionnellement Qfl1/é,

E Ic bon Multatuli d d 'tniIler avec une bonne ~l'acedésarmante J~ miJh' pt un <]ua1ité~de ,lIn«moi:ll, 'ou~pI,'te,-t de portraicturer 1'on h"ros :

("etait lil! l'r:" 7J/rin de cOlltra,qtr,~, i\foTdnnt commc ll11e (ime, ct dlllu comnw I'I/e 1'0liR,Ooil'c, iT sell/ait /o//jollrs la blcsl<lIre qu'infli-

!Ieaiel/t ,qe, l}(1)'oleR wm?orr,., ct i( en R01/ffrait phlR q'(e Tc 1Ilcss"

11I;-111fIllC, D'//7/ CRPI'it 1'"1'011lpt, il Nli.<is,qait, de pl'imesal/f, la penRre In plllR ,;ul/Timr, la t/léoric Tn pll/Il ef'llilJl/ir]/léc,Tl sc faisait !17t jeu dl' 7'é'ol/rin' lcq [ll'fJ(,(r1/1'" Ic~ pi". dif!ici/I'I<; iT ?I Nlcrifioit temp':,

"cincr, tflld,',. ct, à cûté dr ('cia, SOlll'Cnt i( lui an'imit d.e )!r pn,q CO!1JprClldrc (ti rhn.qc hl ,,(u1I I<i111,)1 , ql/'lln cl/fo//t eÎlt Jnt 1,11i

e:rp~iqller. Rempli d'omollr pO!lr la l'érité et la juRticc, on (c l'it 71I1linfcs (oi' ti'ulir/cr RC,q 111'IlmicrR et pllll< pI'oe/,{' del'oir1l afin dIJ rrprt)'(:r UlIC' !I/iquilf 'Jlli, 1'01/1' l'C'1Iir cle lJIII~ "a If, pn,,1' être Vl/(~

.'Jl'Of"tlcl " (11 Jllllq éllli!/I/ér, c;cdtnit a'alltrtllt pIJl son il!dil7l!lltiOIl PC'II!-;II'C' "'I itlfél' Bsait-il ri: ral 'C' deR gral/els cff()j'ffl q/II.' del'uit /It., rolÎt.I'la [1I(fC,

Chcl'a(rreRqll r.t OJ"'(JgcIX a'I! i ql/'/II/ aIlrl1 Do" Q1Iirlot/c, il CJ'rrrllit OUl'C'lIl Rrt IITn 'Ol/re rOllfre dl.'R lIlol/lil! à " tlt,

'p.,t toujour, :o.fu atllli qui parIe.. ,

P'un temp&ram nt bclliqueu , i! ne lui répu"'nait pa, d'être lraité de Don Quichottc, Di. ons à on honnl'ur 'lu'il n'y IlVait pas là du ca otinag-e, mti. d 1 cOl(lwtlerie. 11 oe regardait p'l::"t il ,e lancer dans la mt-Ire, à lanecr des pierres dans Ie marais troubl s, 11 allinit 11' c ura l' à la t'm'rittó,

« Girondin du nihili, me" 'e,t ainsi qu Ie dMini 'sait .1. Van

J(e~'Tl1eulen,C'e. t dan. un c Itain sens a ....l'z jute, mai~ l'attitude de Dekker n"tait point pour la I!alerie, et il allparait bicn que pt en-d hor!' ~ s'appliquait mêml' dans Ie privé, à méritl'r Ie titre d'honnl:ur qu'i! plaçaii haut.« Le de 'oir dc l'homme est d'être

homme " formulait-il dans un de ses apologues. Il n'est pas niabla qua sa vie durantiltächa de mettre son attitude en coniormité avec ses paroles.

Ses démêlés, alo1's qu'i! était ré ident-adjoint en Insulinde, ses incessantes luttes eontre les régents t au tres profiteurs des indigènes quand il était sur placeà la colonie, pui par Ie Iivrc et la parole quand iJ en revint, Ie démontrent à la lumière de la misère qui fut son lot et celui des siens, durant de longues années.

Ah! l'on comprend qu'un ouvrage eomme I Max Havelaar lui ait valu des haines, puisque vieux d quai!'e vingt ans, i! demeure Ie plus violent réquisitoire qu'on ait contre Ie colonialisme, M. Jean chepens récemment obscrvait dans un artic1e du Thyrs (1) que, s'i1 eût été écrit en anglais, ce plaidoyer en faveur d s Javanais eût connu la vogue de La Case de l'Ollde Tom. Cela est possible, ma is s'i1 n'cut la céléLrité univcrscllc du roman deM' B echer-Stowe, ou celle desRécits d'un ChasseU", de Tourgueneff, il est indéniable que sonllavelnar eut une énorme inf1uence - et ce cri révéla I'ame javanaise à elle-même, en révcillant les malheureux administr's du grand Royaum d'outre-mer de la HoIland ,illes amen'lit à 'e faire respectcr.

***

fultatuli, contempteur de I'homme ct dc la sociétó, juge ceUe-ci et cdui-l ous l'angle Ie plu net qui oit.I1juge en impul ir, I1 stime d'instinct, Ilsent plus qu'il ne goûte, et il ne se des~ai'itjamais d

on attitude positivi ·te au sens complet du terme qui veut qu'i1 oublie tout ce qu'il a connu lor qu'i1 e"t en face de quelque cho:e, et chaque ligne de c 'crits est l'expres ion véritablement exacte de sa spontanéité,I1peut croire découvrir des horizonf', alor" qu'i! étaient déjà connu" avant lui, mai IOl'squ'il lamait ,'a découv rte, cUe avait un accent particulier. Pa toujours neuv , ,'ous Ie nouvel habit àe a phra e, mai fr'quemment l'enouvcléc.

«Le en critique lui a fait d ïaut " affirnlc l\f. Van Keymeulen.

etiIba e son alfirmation UI'ce que mainte foi Multatuli condamne en bloc, ra'e san appel un auteur pour une plll'a~e,un mot qui lui adéplu. Mais n'est-ce pas Ie ge te des impulsiI '? N'avon,-IlOUS p:lS

vu la même iconoclasic chez un Strindbcr.? Pnisquc nous parlons de I'auteur deLaDanse de la 111ort, ne pouvons-nous nous anêter à

(1) «Thyr e~,1·3,37.

(10)

un rapprochement entre les deux écrivains nordiques? Outre ut'le parenté intellectuelle indéniable entre eux, nous voyons chez l'un et I'autre la même peine dans la recherche de la vérité, Ie même besoin de combattre, la volonté tenace de tout connaitre. Mais surtout la même hostilité organi ée contre leur génie. i Strindberg, ni Multatuli ne Iurent prophètes reconnus en leur pays. Rien ne leur fut épargné, bien qu'ils eussent trouvé I'un et l'autre d'ardent défenseurs et des suiveurs (pas souvent parmi ceux dont ils eussent aimé les suffragesl). Tou deux soulevèrent des cabales, tous deux furent bafoués et trainés dans la boue. C'est seulement maintenant que Strindberg commence à prendre sa revanche.

Le temps n'est pas encore venu, hélas!, de celle de I'écrivain holland ais. Mais ces deux volumes qui pal'llissent coup sur coup en Belgique, après Ie travail de M. Julius Pée Multaluli et 8es Proches, sont, j'espère, les annonciateurs de cclte heure.

Le recueil de Pages Choisies de Multa/uZi, que l'on me fait I'honneur de demander de pl'ésenter, est Ie meilleur ambassadeur qu'on pouvait espérer trouver pour Ie public assez mal pl'évenu de la valeur de eet écrivain génial et fécond. C'est une idée asscz complète que I'on aura de lui à la lecture de ce florilège. On y trouve des lettres significatives, quelques poème et apologues, quelques maximes à l'emporte-pièce, quelque· c'ncs, quelques contes, quelques Iragments de es roman ou drame. On y goûter notamm nt ce' deux authentiques cheIs-<1'reuvre de la Iittérature mondiale: l'histoire de Saïdjah et Adinda et la Légende du Golgotha. Je ne parle pai:!

non plu de proses rapides d'une i extraordinaire ironie qui fait songer à la Iois à 1 humour anglais et à l'e prit français.

Moins spécifiquement arti te que Ie cboix qu'avait établiM. Coben en 1900, celui que DOUS présente ici L. Roelandt a Ie mérite d'être plus varié, plus large, plus vivant.

On regrettera seulement qu'il ait cru devoir écart r teIl . page parce que déjà publiées par on confrère, quarante an. auparavant;

je songe àDall.3laSalle de Jeuet à cette éblouissante diatrib contr Je parlementarisme, si actut!lle aujourd'hui encore, mais il .' gi~ it il est vrai d'un volume de dimen ·ions réduites et non, eomm nou.

lu ouhait riollS, de ceuvres complètcs de notre auteur.

Henry POULAILLE

MULTATULI

(Edouard Douwes Dekker, 1820-'8])

Multatuli est Ie plus génial et Ie plus original des écrivains hoIlandais du

XIX·

siècle, Né à Amsterdam Ie 2 mars 1820, il appartenait àune familie mennonite de la petite bourgeoisie.

Son père, Engel, avait faitsesétudes à l'Ecole de Navigation d' Amstetdam, qui jouit encore d'une bonne renommée. 11 était devenu un des plus réputés parmi les capitaines au long cours.

Sa femme, Sietske Klein, était d'une sensibilité extrême, ce qui nous perrnet de croire que son Edouard. I'avant·dernier de ses six enfants, bérita d'elle cette nervosité que son petÎt.

fils, Ie Doeteur Swart Abrahamsz, a voulu diagnostiquer de névrose.

J' ai tenu à savoir ce qui était advenu de la progéniture des Douwes Dekker-Klein, dont une filIe et trois fils fondèrent à leur tour un foyer. J'ai trouvé une ramification nombreuse, une lignée d'intellectuels de marque, toute une descendance saine qui ne semble nullement atteinte de tares physiques ou psychiqucs,

A rage de dix·huit ans, Edouard partit pour les Indes Néerlandaises, à bord du voilier de son père. 11 débarqua Ie 6 janvier 1839 à Batavia. oû il entra huit jours après. comme commis, à la Cour des Comptes. En 1842, il devint contro·

leur de 2° c1asse à la cote occidentale de Sumatra, Après bien des souffrances. qui lui révélèrent son talent d'écrivain (en 1843, il écrivit à Padang sa première pièce de théatre : La Fiancée là-baut) , il fut nommé, en 1848, secrétaire à Menado (Célèbes), en 1851, résident-adjoint à Amboine (mer

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de Baoda) et. après un congé de trois ans pass(Î en Europt.

résident-adjoint àLebak (Rlntam, cote occidentale de Java).

Ce fut àLebak, si tristement célèbre, que son SOftse déeida.

Le résident-adjoint Carolus venait de mourir, selon les uns de maladie, selon les au tres empoisonné par Ie régent indigène, Sa Seigneurie Raden Adbipatti Karta Nata Negara. Ce fonc- tionnaire autochtone qui, selon l'«Adat~. devait subvenir aux multiples besoins de sa parenté tout entière. était alors célèbre dans Ie pays pour ses exactions et ses vols que même les défenseurs attitrés de I'administration devaient qualifier c d' excessifs ». Mais eet auguste personnage était d'une dévo- tion peu commune; aussi était-il I'enfant bien-aimé des prê- tres et des hadjis. Même la population, qu'iI grugeait éhonte- ment en dépit des lois musulmanes et hollandaises. Ie vénérait comme un saint.

Après avoir vérifié les assertions muItipIes, irréfutables.

que son prédécesseur avait laissées dans ses dossiers, Dekker prit la résolution d'en finir avec eet état de choses par trop scandaleux et inbumain. et mit Sa Seigneurie en accusation.

Le gouvernement toutefois ne l'entendit pas ainsi et. pour couper COUrt aux difficultés, déplaça Douwes Dekker a Ngawi, toujours aux mêmes émolumenrs de si~: mille flo- rins pat an.

Douwes Dekker préféra donner sa démission. Elle lui fut accordée Ie 23 mars 1856. A certe date, il avait charge d'ames:

en 1846 il avait épousé la baronne Everdine Huberte van Wijnbergen, l'admirable Tine qui, en 1854. lors de lenr congé en Hollande, lui donna un fils qu'ils appelèrent Edouard. A l'époque ou l'ancien résident-adjoint était en route pour l'Europe à la recherche d'un nouveau gagne-pain, elle donna la vie à uoe fine qui naquit à Sourabaya, Ie Ier juin 1857, et reçut Ie nom d'Everdine, mais qu'on nomma com- munément Nonni, comme 00 appelIe à Java les petites filles.

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L'affaire de Lebak eut cepelldant des suites. Force était au gouvernement d'ouvrir une enquête et de prcndre toutes les mesures proposées par Douwes Dekker. Toutefois. Ie fameulC régent. bien qu'il avouat cyniquement s'itre rendu coupable d' exactions de toute espèee, entre Jutres de nombreux vols de buffles, fut simplement r~primandé «paree que les fautes. par lui commises, étaicnt de cclles que les chefs indigènes se permenaient sur tOUt Ie territoire des Indes Orienlales ~.

Ainsi dit rextuellement un rescr:r daré du I I dé, mbre 1856 el dûment signé par Ie Gouverneur-Général Pahud.

Dans sa mi sive du 8 novembre J864 au Gouverneur- Gélléral des Indes Orientale~. Sloet van den Bede, Ie ministre Jes Colonies Fran en van de Pune fait allusion à eetu «sur·

prenante décision » et refuse d' admenre la distinction sub- tiIe. raffinée. entre exactions et prétendues cxactions. 11 e référa même .lUX accusations de Douwes Dek.ker. mJi se garda bien de communiquer une copie de sa len e au cou·

rageux luneur qu'était devenu entretemps Multatuli.

En cffet, ce dernier trouva à Bruxelles un gite dans un pctir hotel-restaurant de Ia rue de la Monragne. Au Prince Belge. 11 CUt la bonne fonunc d'obtenir un emploi de tra- ducteur au quotidien L'Indépendance Belge, rédigé par UDC

~quipe française et jouissant à cene époque d'un réputation mondiale. 11 traduisit pendant quelques mois de "rticles de journaux anglais ct allemands, mais, comme il y joignait parfois une critique accrbe. il perdit bientot ct scs ma:gres Jppointcments et l'occasion de lire Ic Time la Koelnische Zeitung et autrcs journaux étrangers

L'idée de défendre sa propre cause. ct en même temps celle des JJvanais. l'obsédait. Mais eomment Ie faire sous une fOlme assez poignante pour qll'on y prêtSt attention? La chose lui fut révélée lIn jour ou Tine et les deux enfants revinrent des Indes. Leur dénuement lui serra Ie eoeur. 11 Ie

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confia à la générosieé de son frère Jan, babitane Brummen, en Gueldre, ee s'en reeouma à Brux~lles Au Prince BeIge, ou il écrivit en I'espace de cinq semaine, du 10 septembre au 13 oceobre 1859, dans unI' mansarde infestée de punaises et sur unI' table bran1anee du pedt café, son saisissanr roman colonial.

Le 28 septembre il écrivait à sa bonne Tine : c Je me nomme Muleatuli, ce qui eut dire : j'ai beaucoup souffert.

Un nom bien éerange, n'e e-il pas rail Ce livre doit nous remertre à flot. Dieu veuille que ce soit radicalement. Car, quoique la lietéraeure soit chichemene rémunérée en Hollande, j'es père q u' on fera exception pou r mon ceuvre, parce qu' eUe era elle·même unI' exception... J'empoignerai les lecteur comme ils ne ront jamais été ». Et Ic 13 octobre il jette un cri d'allégresse : «Très chêre Tine, je viens de terminer mon roman ».

Bientot il remit à I'imprimcur son manuscrit dédié à IJ fourageuse femme, avec ces lignes exrraites d'un livre d'Henri de Pène :

J'ai souvel2l entt:ndu plamdre les !emmes de poète, et, sans doute, pour tenir dlgmmmt dans la vil' ce difficile em- ploi, aucune qualité n'e t de trop. Le plus rare ensemble de mérites n'est que

te

trict néces aiee, et ne suffit même pas toujours au commun bonheur. Voir ans cesse la muse en tiers dans vo plus familier entretien·. recueillir dan I' bra et soigner ce poète qui I' t votte mari, quand il vou revient meurtri par Ie déception de sa lache, ou bien Ie voir 'en- voler à la pour uite de a chimère ... voilà ['ordinaire de ['exis- tenee pour um (emme de poète. Oui, mais au

si,

il fJ a Ie chapitre des compensations, ['heure des lauriers gagnés à la sueur de son génie, el qu'il dépose pieusemenl aux pieds de la femme légitimement aimée, aux genoux de l'Anligone qui sert de guide en ce monde à eet aveugle errant.

Car, ne vou~ y trompez pas : presque tous les petits-fils

d' Homère SOnt plus ou moins aveuglI's à leur façon, ils voient ce que nous ne voyons pas, leurs regards pénètrent plus hout et pllts au fond que les notres, mais ils ne savent pas vair droit devant eux leur petit bonhomme de chemin, et ils se- eaient capables de ttébucher et de I' casser Ie nez sur Ie moindre caillou, s'll leur fallait cheminer sans outien dans cette val- lée de prose ou demeure la vil'. »

Ce roman. intitulé Max Havelaar, connut deux era- ductions anglaises. une demi-douzaine d'allemande. unI' franpise. unI' polonaise, unI' danoise. unI' suédoise, et peut- être d'autres encore. 11 y a unI' kyrielle d'éditions du texte original. entre atltres ceHe de la Wereld-Bibliotheek qui, de 1907 à 1937, écoula quelque quatrI' vinge dix mille exem- plaires. Pour ne pa oublier unI' édition cIassique, car on lit t commente la violente diatribe (onrre l'administration des Indes dans les Iycées hollandai et f1amands I

D'emblée, plusieurs des per onnages créés p.lt Mulcatuli :lcquirent une popularité peu commune. Les noms bien bol- landais de Droogstoppel. Wawelaar, Slijmering, devinrent des O'oms communs. comme en Franee ceux de Tartuffe, Har- pagnon, Homais et Joseph Prudhomme. Le savoureux maître d'école Pennewip et i'inénarrable « mammifere » Laps : voili bien des types immoreels dont il est impossible de tra- duire les noms dan aucune langue.

Avant que Ie roman ne sortÎe de presse, Ie minisere Ro- chussen fit proposer à

r

auteur sa réintégraeion au ervice de colonies. par voie d'un posee honorable er lucratif aux In- des... Occ!dentales. Douwes Dekker refusa. 11 voubit bien acnfier son Iivre. mais à condition qu'on vidt de bord t q u' on se prit àappliquer loyalemene les règlements et Ie lois votés par Ie Parlement.

C'est un bonheur pour la littéraeure qu'un aceord n'inter- vi ne pas entte Douwes Dekker et Ie Gouvernement. Ii est

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vrai que Multatuli connut, pendant de longues années, une misère noire. un dénuement d'autant plus atroce qu'il avait joui depuis sa tendre jeu nesse d'une bonne aisance bourgeoise.

11 lui est arrivé de n' avoi. que du pain sec acheté à crédit.

Mais dans sa détresse, il ressenrait une joie compensatrice.

celle de savoir qu'il luttait pour une cause juste, pour un idéal. 11 goûtait Ie bonheur intense du poète qui sait que son C2uvre vivra et bravera les siècles.

En 1861, il publia ses Lettres d' Amour, en 1862 sa dia·

tribe La liberté de la main d'C2ulJre aux Inder. Néetlandaises~

ainsi que ses Dialogrus Japonnais et Ie premier tome des Idées, Ie plus poignant des sept.

Une lutte corps à corps avec I'autorité était impossible; Ie gouvernement Sedéroba. fit Ie mort. Quand. en octobre 1864.

L'Association Internationale pour Ie Progrès des Sciences Sociales tint son congrès à AmsmdJm. Multatuli y examina

«)'eHet des sciences économiques sur Ie régime colonial hol·

landais :t, et décl.ua cet effet ahsolument nul.

« Voulez·vous que je vous parle de

r

administration. san·

glante s'il en fût, de la Compagnie des lndes. de ce épiciers armés qui, tenant la Bible d'une main et l'épée de l'autre, montraient Ie ciel aux indigènes en leur raviss nt la terre ? Voulez,vous que je ciee tous Ie faits qui se pressent d os mes souvenirs? Voulez-vous que je vous fasse la description des villages détruits et incendiés par 1 s héros de

r

armée néer- landaise? Voulez·,'ous que je vous montre Ie cadavres des femmes et des enfants assas inés sous l'égide du Dipu de la Hollande? :t

«Non. ce n'est pas de pareils faits que je VOllS entretien- drai. car il se pourrait lever ici une personne qui. ayant sé- journé aux lndes et n'ayant pas vu les choses dont j'ai été témoin. me répondrJit : «Cela n'est pas vni, parce que je ne l'ai pas vu ». Je ne dirai donc rien de mon expérience person·

nelle. J'ai dit, il y a quatte ans, dans nn petit livre que j'ai sur moi, que les chefs javanais s'approprient les biens des indigènes et que les résidents, résidents-adjoints et autres, an lieu de punir ces crimes, se faisaient pour ainsi dire les com·

plices des malfaiteurs. On me croira ou on ne me croira pas, mais l'année suivante j'ai publié la liste de rous les buffles volés au cours du mois de février IS56. dans un seul arron- dissement, pendant que j'administrais la province sous l'au- torité du roi de Hollande. On ne m'a pas répondu ... »

11 termina sa fustigation par la leeture de l'épilogue du Max lIavelaar. Alors, un tongressiste, M. Dumonceau, de Liége. se leva et dit : « Le gouvernement hollandais a été attaqué avec uae telle violence qu'il est nécessaire qu'un autre membre de cette assemblée veuille bim maintenant entre- prendre sa défense, afin que nous n'emportions pas une trop

.. .

mauvalse ImpreSSlon ».

Personne ne lui répondit. En définitive, qu'aurait-on pu répondre? Un peuple qu'on « colonise :t, n'est-il pas taillable

et corvéable à merci? Ne l'était-il pas en 1854. tout comme aujourd'hui?

Revenons au poète.

Tine. installée à Bruxelles avec ses deux enfants. s' enfuit de là. fin mars 1866. Elle y abandon na des paquets de lettres reçues depuis ses fiançai1Jes (septembre 1845). Ces let tres, descriptions touchantes de tant dïllusions poétiques et de bien amères déceptions. furent éditées dan les années quatre vingt dix du dernier siècle, et mirent la république des Iettres néerlandaises en ébultition.

En 1866, Multatuli devait avant tout s· occuper à trouver de quoi se mettre sous la dent. Tine, suivant Ie conseil de son amie. madame Stéphanie OmbonL partit avec ses deux enfants pour Milan, ou elle courut vaillamment Ie cachet,

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non seulement pour subvenir à leurs besoins, mais aussi pour permettre à son mari de continuer la lutte.

Entretemps. Douwes Dekker s'était érabli en Rhénanie.

d'abord à Mayence, ensuire à Wiesbaden. ou il séjourna de 1870 à 1879. Vne plaque commémorJtive cimenrée dans la façade du nU 48 de la Dotzheimerstrasse r.lppelle au pa sant que Multatuli vécut à J'étage de cetle maison.

En 1862, iJ avait fait la connaissance de la jeune, jo1ie et intelligente Marie Hamminck Schepel. fille d'un officier supérieur de l'armée néerlandaise. Insensiblemenr. I' admira- tion de la jeu ne fille pour

r

artiste e Ie réformateur se trans·

(orma en amour. En dépit des convenances sociales, alors plus inexorable's que de nos jours. Mimi HJmminck Schepel s'en fut rejoindre Douwes Dekker en Allemagne, pour soula- ger son existence et partager sa misère. Un tel sacrifice est rare. Aussi peut·on dire que Multatuli a cu deux épouse~

modè1es, d'un dévouement et d'une abnégation exception- nelles.

En 1869, MultJtuli. Tine, Ie deux enfants et Mimi e trouvaient réuni à la Haye, grace à un petit béritage de Mimi. Cependanr, biencot la misère ct Ia nostalgie de I'ltalie ensoleillée chassèrcnc la maladive Tine de sa brumeuse patrie.

Elle reprit Ie chemin de I'Italie; cme fois, elle s'établit :l Padoue, ou Omboni venait d'être nommé professeur à I'uni- versité. Au moment de cette « fuite ~. Multatuli séjournait en Rhénanie. ou il essayait de placer une traduction allemande de son Max Havelaar. Apprenant Ie départ de sa fcJ:1me, 11 rest<l. et Mimi vint Ie rejoindre, pour ne plu Ic quittcr. De eerte époque datent les Etude Millionesqucs, les derniers to- mes des ldées contenant L'Ecole des Prince • Q!uvre dramatique qui con nut de centaines de représcntations. IJ trJvail1ait

.lUS i à son Histoire du jeune Wouter Pieter e, rcstée iDa.

hevée.

Tine mourut inopinément à Venise, Ie 6 septembre 1874, agée de 55 ans. Ses lettres au poète Potgieter, que j'ai pu- bliées dernièrement, ne Iaissent aueun doute sur la nature de ses sentiments : unc foi inébranlable et un attacbement sans bornes envers son mari, qu'el1e défendit opiniatrement jusqu'à la fin de ses jours. Nulle n'a mérité mieux qu'elle la dédicaee de

r

édi tion de t875 du M ax Havelaar : « A la mémoire veneree d'Everdine Huberte, baronne van Wijnbergen, J'épouse fidèle, Ia mère tendre ct héroïque. Ia noble femme ».

On a souvenr reproehé au poète d'avoir abandonné sa généreusc épouse et ses jeunes enfants.

Quoi qu'il en soit, il est hors de doute qu'jJ s'imposa les pires privations pour leur venir en aide. Après la mort de sa femme il souhaita vivement d'avoir ses enfants auprès de lui, pour s' occuper de leur éducation. Mais il fit en vain appel à leur piété filiale: Ie fils de 21 ans et la fille de I 7 ans refusè- rcnt de Ie rejoindre, et ébruitèrent parcout. par haine contre Mimi qui entretemps était devcnue la seconde femme de leur père, que « Dek », comme il l'appelaient, les avait lache- ment abandonnés.

La situation matériclle du poète s' était ensibl?ment amé·

liorée vers 1872. 11 avair lié connaissance t amitié avec I'ba- biIe et généreux éditeur Fun kc. qui était devenu par achat

propriétalCl~de la plu part des Q!uvrcs de Multatuli. Leur cor- respondance a été conservée presque tOUt entière; elle nou montre tous les eHorts. toutes les peines que Multatuli et sa

econde femme se donnèrent pour les enfants. La rupture ne se produi it qu'en 1880, aprè Ie mariage de Nonni avec Ie profe seur Francesco Bassani. hom me éminemment respectable.

Heureusement, Multatuli Jvait des amis et des admirateur en Hollandc et aux Inde. En 1882, ceux·ci ouvrirent une souscription publique pour pensionner lant bi en que mal Ie viril défenseur de tant de justcs cause, « pour rassénérer,

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par un acce de gróltitude nationale, Ie soir d'une vie de lutte ~.

Cette souscription produisit 22.500 florins. Un riche ami. Ie docteur Johan Zürcher, d' Amsterdam, lui avait déjà fait ca- deau. deux ans óluparavant, d'une petitC? mOlison de cOlmpagne située « sur la colline» à ieder-Ingelheim. C'est Jà que Mul- tatuli vécut en ermite les dernières années de SJ vil'. I1 souf·

frait cl'asthme depuis 1880; Ie m.l! empirJ I ntement. et Ie terrassa Ie 19 février 1887. Sa dépouille morteHe fut inci- nérée quatre jours après. à Gotha. Mimi, son frère Albert. un ami intime et deux jeunes admirateurs venus en grande hare de Middclbourg. ólssistèrent ' IJ solennité funèbre. POlS de dis- cours. Les journaux régionaux consacrèrent q\.elques lignes ólU dPfunt, seule IJ Koelni che Zeitung du 2 mólrs donna un article d'une telle objectivid. qu'il est encore .letuel présente- ment. 11 était d'ailleurs de la m:lÎn de son correspondant d' Amsterdam.

L'c:Euvre volumineusc et variée de Multatuli diffère essen·

tiellemrnt des autres productions littêraires néerlandólises; elle dénote une imagin:ltion exceptionnellement féconde. un don aigu d·observation. un réalisme à la Rembrandt. une incom- parabIe maîtrise de plu me.

Le malheur de Multatuli fut d'être né dJns un petit pay , d'appartenir à une nation froide et calcubtrice. de 'exprimer en une Jangul' à faible rayonnement, d' appartenir i une pé- riode bourgeoisement égoïste. Il avût une situation magni- figue sous tous les rapports. à un age relativement jeune cncore; iJ semblait prédestiné à occuper les plus hJut('s fonc.

tions coloniales. Il préféra la misère. il alla vivre en ermite à I'étranger ou iJ resta un inconnu dans la masse de incon.

nus: on Ie fuyait comme un lépreu

0.

on ne lui accorda aucune distinction s. d. honorifique. Ia « patril' reconnaissante » ne lui ren dit pas les derniers honneurs, ayant négligé de lui ren·

dre les premiers de son vivant.

Sa veuve rentra au pays et travailla à la publication des onze volumes de sa Correspondance; jamais eUe n'obtint du gouvernement. qui accorda une pension à la fille d'un abscur ministre. Ie moindre subside. Cda s' explique aisé- ment : Multatuli Jvait été. en tout premier Iieu, un soldat de la liberté, de toutes les libertés, surtout de la liberté de consci(?Oce; il avait défendu avec un courage digne d'admi·

ration les droit des malheureux Javanais ignoblement ex- ploités pJr les princes indigènes et par les colonisateurs apres au gain; il avait sourenu Ie droirs de la femme. à une époque ou ceu.- du « seigneur et maître » étaient sacro-saints; il s'était rangé du caté des humbles. de J'ouvrier qui de son temps gagnait trop peu pour vivre et trop pour maurir de faim; il cloua au pilori les chrétiens hypocrites. à quelque secte qu'ils appartinssent: il bOlfOll,} les p.:lftis politiques qui ne pensaient qu'à leur cuisine électorale t à leurs intérêts particuliers; il attaqua Ic vulgaire et Ie mesquin.

On Ie lut beaucoup. on J'admira beJucoup. mais on Ie vilipenda beaucollp. de son vivant et aussi après sa mort. La meute se composait de politiciens quO il avait Olttaqués. de ses adversaires philosophiques. et aus i, chose rare dans les anna- les littéraire • de ses propres enfant. Mais des lettres. trou·

vées au Multatuli-Museum et aillcurs. prouvent abondam- ment que ceux qui ont pris Ie parti des enfants. ne les discul- pent que pour avoir un !,rétexte pour dauber sur Ie père immoreel et temir sa gloi re. D' ailleurs. Ia documentation que j'ai cru de man devoir de publier. anéantit à jamai la légende d'un « Jean.Jacques hollandais ».

Lokeren (BeIgique). septembre 1937.

Julius PEE

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Extrait d'une lettre au Gouverneur-Géné- ral retraité Duymaer Van Twist; 1858.

... Et la ruine de mes espérJnees 0 est pas scmblable à eelle des personnes qui se plaignent de la modestie de leur situa- tion ou de l'infériorité de leurs revenus ... non, Ie naufrage de ma vie est tota!. Je SUIS plus pauvre que Ie plus misérable des journaliers, Le papier sm lequcl j' écris est acheté à erédit.

Que de {ois je n'ai su ou CI~poser ma tête I J'ai dû contier ma femme et mes enfJnt à IJ pitié de mon frère.

A mon arrivée à LebJk. je trouvai Ie régent homme de relations très agréJbles. Aussi n'y eut-il jamais rien de fa·

cheux entre lui et moi. Je dois dire celol avant tout, paree que plu,> tJrd on a voulu Jltérer

r

affJire, laisser supposer quelque rancune entee lui et moi. Ceb montee bien qu'on ne pouvait croire que je faisJis man devoir sans aucune hostilité contre l'accusé. C'était justement Ie contraire ! J'avais pitié du régent, j'e sayais de raider. je oe I'accusais qu'à mon corp défendant. Tout cela ressort crès clairement de la réponse .lUX

questions que je posai au contróleur, et aussi de la conclu- sion de ma première plainte.

Je voyais constammenr passer devant ma porte des trou- peaux d'êtres humains quïl faisait venir de plusieurs lime d la ronde. pour travailIer pour lui; parmi eux, des enfant , des femmes enceintes, d'autres femmes avec des naurrissons.

Ces gens ne recevaienr ni salaire ni nourriture. On les trou- vait, Ie soir, couchés sur la route. Us vivaient de feuilles

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d'arbres et de racines, certains mangeaient du sable. Beau- coup moururent.

Le régent qui m' "vait certifié solennellement, par eent, qu'il ne dépassait pas Ie nombre de corvéables lui assignés, poussa si loin l'insolence et la certitude de l'impunité, qu'il osa me proposer une fois, aussi pu écrit - j'ai ce document en ma possession - , de faire travailIer une de ses terres par ces gens requisitionnés illégalcment. Et même Ie u's peureux controleur insista pour que je parlasse au régent de sa façon d·agir. Je puis reproduire également ce document; remarquez la prière quïl contient, de ne pas dire au régent que lui, Ie controleur, m' avait rapporté la chose, comme s' il ne remplis- sait ainsi Ie devoir qu'jl avait juré de faire!

Mais, à Lebak, il était dangereux de faire son devoir. Or, j'y étais venu avec cette sainte intention. Je l'aurais fait avec douceur. Je trouvais la correspondance de mon prédécesseur trop dure, trop mordante. Je voulus aider, remettre au point, non gater, alors que maintenant...

Des femmes et des enfants suivaient en pleurant Ie der- nier buffle... tout Parang.Koudyang était sur Ie point d'émi- grer... et moi, Ie sort de mon prédécesseur m' attendait sJ j'accomplissais mon devoir...

Alors. je mis ma femme au courant de ce que j'avais appris. Je lui demandai de partir avee noue enfant. Elle me répondit avec une simplicité héroïque : e Mais non, je reste, nous mangeons et buvons ensemble .. »

D'innombrables fois on m'a conseil1é de m'adre ser au ministre des Colonies, aux Etats-Gbéraux, ou à Sa Majesté Ic Roi. Jusqu'à présent je n'ai fait ni l'un ni rautre. Depuis ma demande de démission, je n'ai pas écrÏt une seule ligne sur cette affaire. Que cela prouve à Votre Excellence que je n' ai jam ais tenté de faire sensation par la réclame ou Ie scan-

dale. J'essayai simplement de faire ce que j'écrivis Ie 28 H- vrier 1856, et cherchai un autre moyen de subsistance.

Jusqu'à présent, cela ne m'a pas réussi.

Actuellement je suis en Belgique, j'essayerai de me tenir quelque temps à f10t par des travaux littéraires. Je ne crois pas pouvoir y arriver. D'ailleurs, si je parvenais à uouver Ie nécessaire pour mes besoins ... ma femme et mes enfants ont droit à une autre nourriture qu'à ceIle que leur tend la pitié de mon frhe. En outre, je ([ois que moi-même n'ai pas mérité d' errer. sans rien au monde, tous les jours en difficulté pour avoir Ie strict nécessaire.

On m'a fait remarquer que je me suis trompé en me bor- nant, par aversion pour les récriminations ou l'appel au public, à chercher des moyens de subsistance pour moi seul. Mon sort est devenu tout de même un exemple cffrayant pour Ie petit nombre de ceux qui, aux Indes, voudraient suivre mon exemple I A l'heure actuelle, il faudrait plus de courage qu'auparavant pour tenter queIque chose conue les atrocitis qui y déshonorcnt la Hollande. Ceci est sunout Ic cas. parce que l' affaire se produisit sous l'administration de Votre Excellence qui y avait la réputation d'être strictement équi.

tabie...

T out Ie monde ne se eroi t pas appelé à être Ie marryr d' une cau e justc. On laisse les choses telles qu' elles sont, e on rnénage la cbèvre et Ie chou », comme on dit, on essaie de tout couvrir, d' étouffer ce q ui démen tirait les affirmations de tranquiIlité, de prospérité. et gênerait ceux qui veulent suc- cessivement jouir en paix et en quiétude d'une pen ion non méritée, en laissant peser Ie fJrdeau de lïnjustice sur raven ir...

Sur I'avenir, qui sera terrible !

Car. aux Indes Néerlandaises, la vil' publique est plus intense que ne Ie savent les Conseils des Indes. Mai elle ne se manifeste pas avant de faire explosion.

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Lettre à Tine; 9 odobre 1859

Cbère bonne Tine I J'ai reçu ton billet du 4-5 octobre.

11 m'a amèrement cbagriné. II a un accent si dé:ouragé. Ce n' est pas étonnant! Ob, je suis triste aussi! Pendant plu- sieurs jours j'ai été incapable de travailler, Mais aujour- cl'hui, je suis de nouveau bien disposé. Je t'assure que j'ai des moments, ou il me semble que je n' ai rien dans la tête et que tout est vide. Au début, je voulus vaincre cela, ma is n'y réussis pas. Quand ça me prend, je (ais une promenade. Je crois que mon livre aura du succès. 11 est certain que, si je parviens à Ie faire imprimer, sa publication sera un étrange lvènement en Hollande. Je ne ais pas très bien expliquer, en peu de mots, ce que c' est. IJ ne ressemble à aucun autre lIvre. Je donnerais beaucoup pour pouvoir te Ie lire. Oui, ma eb' ril'. tu dis que je dois t'envoyer Ie manuscrit. C'est mon intention. alors Jan pourra Ie lire, Ie soir. Je sais avec certi- tude : 1° que lui aussi y trouvera beaucoup de bien; 2 qu'il désapprouvera rageusement beaucoup de choses; 3· qu'il se tordra de rire, mais aussi qu'il sera ému de temps à autre.

N'est-ce pas un écrit ridicule? Par moments je condamne mon ouvrage, mais }'impression finale est qu'il est très bon.

II n'y a pas de milieu. Oh I je voudrais tanc te Ie lire moi- même. Je ne saurais dire quand il sera terminé, ça dépend de mon état d'ame. J'ai des jours ou je n'avance mêmc pas d'UD feuillet, mon esprit étant complètement engourdi. J'ai peur de ce sacré travail de copie, c'est si ennuyeux. J'ai idéc que Duy- maer van Twist ne rrouvcra pas mon Iivre amusant. 11 est, en fait, ma défense, et une accusation contre son administra- C'est pourquoi il est de mon devoir d'en revenir .lUX choses

que je traÎtaÎ. Je crois donner à Votre Excellence une preuve de haute estime en ne m' adressant à personne autre qu'à Elte-même.

La prière que j'ai à faire à Votre Excellence. est la su i- vante : lire artentivement la présente lettre, ainsi que les pièces y jointes, et bien vouloir me répondre à ce rte question:

Votre Excellence ne trouve-t·ElIe pas dans tout ceta une rai- on pour appuyer les tentatives que je veux mettre en <Euvre pour être réintégré. de la façon IJ plus honorable, dans les services des Indes NéerIJndaises ?

Cependant, Excellence, ervir autrement que je Ie fi~ ~

Lebak. je ne Ie puis.

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tion, mais présentées te lIes que ceux qui cherchent une lecture divertissanee Ie liront aussi. A proprement parler, c'est un appel au public. Mais, puisque personne ne se donne la peine de lire la correspondance officielIe, mon livre doit servir à la faire avaler au lecteur comme un breuvage; il doit avoir l'atrrait d'un roman, pour lui apprendre, enfin, graduel1ement, que tout ceIa s'est passé réelIement. Tu comprends que cette tache n'est pas facile. Quand-même, je crois avoir réussi. 11 y a de tout : des descriptions subtiles d' émotions, des vers, des bour.

des, de la raillerie, des fragmenrs émouv.mts, des considéra·

tions politiques. Le lecteur ne saura pJS tout de suite ou ça Ie mènera; quand il s'en Jpercevra enfin, il éprouvera Ie be oin de continuer la lecture. Si je ne reculais pas devant les frais rl'envoi. je copierais un chapitre POUt toi. bien que Ie choix soit difficile. CJr il y a tant de diversitê que. jugeant d' après un seul fragment, cu porterais certainement un jugement er- ronné sur Ie reste. Rien ne ressemble au reste. Par exemple, croirais-tu que la chanson suivante, que je fais chanter par un jeune hom me, fait partie d' un livre contre Ie gouverne- ment, un Iivre que je veux d'dier au roi? Je ferai cela! (suit la chanson: « Je ne ais ou je mourrai », voir Saidjab et Adinda).

Dis-moi si cu ne la rrouves pas exquise? Je dois avouer que j'en suis content. Je ne dirais eIa à per onne d'autre, mais je crois que c'est Ie véritable Jecent idyllique et mélancolique done j'ai besoin pour éveil1er I'intérêt en f aveu r de Saidjah que la répression b tiJle à Lebak pO\lsse vers les in-urgés des LJmpongs, et qui y trouve la mOrt Ur la pointe des baion- nettes des héros hollandais.

A chaque instant je répète dans mon livre : Pensez-vous que j' écrive une invention? Non, c' est la vérité, je peux Ie prouver. I1 est vrai que j'ai imaginé ce que je rJconte de ce SJïdjah. ntJis ceIa n'a JlIcune import:mce. Je vous citerai

les noms de trente-six personnes d'un se uI district de Lebak.

ainsi que leur domiciJe. à qui on a ravi leun buffles dans un seul mois. (C'est la vérité. j' ai ces noms).

Ob I j'aimerais tant te lire I'allocation d'un nouveau té ident-adjoint qui accepte sa fonction. 11 s' appelle Max Havelaar (c'est moi). Mais cette allocution est trop longue pour la copier. Je I'ai écrite exactement comme je parJe. je crois que j'y ai bi en réussi. I1 y e t aussi question de toL et de natte Edu.

Je ne sais si mon <2uvre plaira. Mais je tiens pour cerrain qu' eHe aura du succès. Certains passJges feront frémir. je te l'assure. (Si j'iicris Jussi mal, c'est que j'ai une crampe dans les doigts.)

11 y est aussi question d' un courtier holIandais qui suit les chemins du Seigneur, mJis en même temps aime à gagnet beaucoup d'argent avec Ie café. Je suis sûr que tu riras de ce personnage, bien quïl constitue une satire acerbe contre la mentalité hollandaise. Je te répète encote um foi , ceb n'est pas une raison de plaire. mais bien d'avoir du succès. Et je dédierai mon livre au roi àqui je m' adresserai àla fin.

As-tu parlé avec Jan de ma tcntative de gagner de

r.u-

gent. en écrivant ? Oh ! que nous sommes pauvres. Tiens-toi bien, jusqu'à ce que je puisse t'cnvoyer mon manuscrit. Je uis amèrement triste. parce que je oe t'ai pas auprès de moi.

Peut·être... t Jan lit man livrt et si je peux Ie faire éditer.

voudra-t-il m' accorder quelquc ai de pour rcvenir en Hol- lande? Oh mon Dieu! Je ne ai ce qui adviendra, Mais je n peu pas, à l'heure présente, croer au découragement, car alor je ne aurais travaill~r. Oh ! j'aimerais tant t'avoir Juprès de moi. et aussi la pctite. Qu' est-ce que c' est, tout de même, que ceHe invention ridicule que je ne t'aime pas?

C'est infame. Comment peut-on arriver à dire ceIa ? Mais.

ma chérie. tu ne réponds jamais qlland je te dema' Ide quelque

(21)

chose. Je t'ai dit si souvent : Demande done à Jan s'il a du travail pour moi ? Il dit toujouu : je ferai ... je feui ... Qu'il montre done unI.' fois quoi et eomment il « fera ». Lui as·tu dit que j'éerivais ? Qu' a-t-il répondu ? Demande-Iui s'il peut me trouver un éditeur pour mon livre, quand il sera terminé.

Je garanris qu'il rendra au moins les frais. et qu'on m'offrira de l'argent pour un nouveau. Qu'il l'!aise ou non, on Ie lira et on I'aehèrera. précisément ceux qui en seront les plus faehés.

Je n'ai pas eneore de nou elles eoneern:lOt la représentation de La Fianeée là-haut. Je pense que I'ouvrage est en leeture.

Tant mieux s'il y a peu de temps entre I'affiebage du nom Multatuli et I'édition du livre que je suis en train d'éerire. La représentation du Déshonoré ne doit servir que pour f.lÎre connaître ce nom.

Je ne eomprends pas non plus pourquoi van Heeekeren n' a pas envoyé l'argent. s'il était disponible en oetobre. Cher ange, je ne sais vraiment pJS eomment nous devons faire avee Ie petit reliquat. Je suis iei depuis environ six semaines et, hébs. sans avoir payé. Je pen I.' devoir JU moins dans les 150 francs. On est toujours poli, mais eeb ne peUt durer éternellement. Dieu, dieu! si Jan avait mes soucis pendant que j'éeris un livre avee t nt de o;n. en souffrant autanl .. , ma bonne. s'il reste un peu de eet argent. aehète quelques vêtements pour toi et les enfants. bicn qu'il me soit irnpos- sible de terminer mon livre si je ne pui payer un peu. Dieu

sait , .

Cher ange, je n' ai pas d' argent pour affranebir ma lettre. 0 dieu! que tout cel a est amer. Bonjour, ma ehère, chère et fidèle Tine qui doit tant souffrir, à eause de moi. Oui, je voudrais être mort. Dieu, e' est souffrir. eela! Je ne saurais plus travailler cc soir; il en est toujours ainsi quand je t'éeris.

D'ailleurs, ma ma in est si fatiguée. Oh ! j'aimerais tant voir unI.' fois Ie enlants. Et mon cher Edu. mon ereur déborde...

. 0 ' ••• ' 0 ' , • • • • • '0. '0 • • • • • • • • • • • 0' • • • • • • ' 0 ' •••

Pauvre ange, ton sort est bien dur. Commenr cela doit·il fin ir?Je suis rompu de travailIer. ce SOl( • . • • . • . . .

Mon livre contient unI.' sone de défense. Si tu en parles.

Jjoute que tu m'as dit quïl était de mon devoir de me faire connaÎtre devant tant de calomnies. que je peux et dois écrire du bit>n de moi-mime. du bien qui est vrai. puisque rant de misérables disent de moi du mal qui est faux. Que tu m'as eonseillé d'appeler les choses par leur nom, qu'on ne peut m'en vouloir si je me vante. ear je présente ainsi ma défense:

que c'est pour moi Ie seul moyen de revoir ma femme et mes enfant . Je t' éeris eelà dès maintenant, parel.' que dans mon hvre je présente ce Havelaar eomme un bomme très mé.

connu. Done, qui sait que e'est mOI-même, en forgera tout de suite unI.' arme con trI.' moi et. tout eomme Duymaer van Twi t. on pass ra les fait sous silence. pour me reprocher d'être présomptueux. C'est très injuste, mais il en est ainsi.

Si quelqu' un est accusé de vol. et si pour se défendre il ap- porte des preuves de son honnêt té. il est absurde de tui en vouloir et de lui objeeter qu'il se vante. Que doit faire 310rs Ie p:luvre accusé ?

-mbra I.' Edu el Nonni Oh. je ui si triste...

(22)

Lettre à Tine; 13 octobre 1859

-

Ma très cbêre ! Je suis surpris de ta courte missive, car tu ne pouvais encore avoir reçu ma dernière lenre. Je te répon- drai tout de suite, ne serait·ce q ue pour te tirer d' embarras au sujet de cette profession de foi, dont je parlerai amplement plus loin. Mon livre et fini! Comment trouves-tu cela l Je dois Ie copier maintenant, mais Ie livre est terminé 1 Je garan- cis qu'il aura du succès. 11 s'abattra comme un coup de ton- nerre sur Ie pays, je te l'assure. Oui. je ais bien ce que sont les Hollandais, mais j'ai écrit de bonne encre! Cher ange, il y est question de toi. et d'Edu; c' est une réponse .lUX gens à qui nous devons de l'argent. Tu ne sais pas ce qu'i}

y a dedans. Quand il sera imprimé je ferai paraÎtre une an- nonce dans Ie journa1 : « Multatuli demande une place de rédamur~; je suis sûr que je l'obtiendrai. Tu frémiras en Ie lisanr, et les autres également. Je sais très bien qu'il y a beaucoup de choses que p. e. Jan désapprouve, mais je ne peux me soucÎer ni de cela. ni de rien, car i1 faut la liberté pour écrire. Je crois que mon 1ivre nous procurera du pain, pafce qu'après i1 me sera possible d'obtenir tout de suite de l'argent pour un manuscrit. Alors je reviendrai en Hollande ct nous serons ensemble. Cber ange. qu'en dis-ru? Que van Heeckeren s'en aille au diabIe. Dans mon livre, je réponds Jinsi. à lui t à ses semblab1e . 11 est dédié à E. H. v. W ..

avec quclques lignes en français; je les ai tirées d'un autre ouvrage; eUes expriment exactement ce que je veux te dire, elles te feront plaisir. fidèle et chête Tine.

Je suis gai comme un pinson.

(23)

Demande à Jan s'il 'leut faire imprimer mon travail, qu'il en approuve ou non Ie eontenu. L'édition de mon ouvrage est nécessaire, pour arriver à gagner norre vie. 11 rapportera sûrement assez de bénéfice pour payer ici. alors je viendrai te rejoindre. Dans un mois fen aurai terminé un deuxième, on m'avancera de l'argent dessus. je t'assure, car on aura vu que Ie «Multatuli» se vend.

Je n'ai pas reçu de nouvelles de ma pièce. van Hasselt ne m' éerit pas. Je ne comprends pas ce que celJ signifie. Mais fai vu dans Ie jouenal qu'on étudie au Frascati une nouvelle C2uvre hollandaise : Le Sauveur. I1 ne m'étonnerait pas que ce fût ma pièce et quïls en aient changé Ie titre. Bien, pourvu que Ie nom «Multatuli» se trouve sur

r

affiche, comme Je l'ai exigé. On doit apprendre àconnJÎtre ce nom. Mais cette pièce n'est rien, man livre est autee cbose! La fin en est une brève allocution au roi. Oh! cher ange, je te la lirais volontiers.

11 est plus vite termtne que je n' avais pensé, paree qu' en écrivant j'ai abrégé. et ccla pour plusieurs rai ons. Je trouvai~

que je devais Ie faire afin de ne pas affaiblir

r

impression qui doit s'en dégager. Tu n'as jamais lu rien de parei!. Au début, tu ne peux savoir ou je veux en venir. lT1ai quand fai été assez loin pour que Ie public doive anler Ic breuvage.

j'ai fait en sorte qu' il ne pui sc p:lS Ic mettre de cod.

Je crois que je recevrai des lettres, en réponse a unc an- nonce «que je cherche une place de rédactcur ». Comment trouves-tu eela ?

Je dois me meUre maintenant à ce misérable travail de copie. Tu dois d' abord Ic lire seuk puis Ic p1sser à Jan. Je te donnerai des indications, pour te mettre à même de sou te- nir quelques points sur lesquels j'attends des attaques, sur- tout de lui. Mais je uis également conv:lincu quïl y trouvera beaucoup de choses charmantcs, et .lussi que je Ie ferai rire.

Tout cela, qui est d'importance secondaire, fera ressortir Ie coup de tonneree de la fin. J'imagine qu'il y a du talen~

dans mon livre, qu'il doit réussir, même auprès des gens qUl Ie trouveront mauvais, méchant, :lbominabIe. Plutot un écrit mauvais, mécbant et abominable ql1'un autre qu'on ne lit pas et qui ne se vend pJS. Mais ne t'imagine pas mainte- nant que faie fait une reuvre vulgaire. Tu comprends bien!

Ne dis pas trop à Jan que je veux avoir du succès pour pouvoir vivre CM, quoique cel a soit bien pardonnabie à que1- 'lu'un qui voir souffrir les siens de la him, il m'en ferait peut.être un grief. Mon Iivre est norre histoire, mais raco.ntée d'une façon émouvante. Je Ie copicrai aussitot que posslble, pour te l'envoyer. Demande alors à Jan s'il 'leut payer les

(;lis d' envoi àvan Gend, quand j' :lurai fini.

Maintenant, pour ce qui coneerne la profession de foi : d'abord un mot, un mot sérieux.

Tu cs pauvre. ta familie te repousse parce quc cu as aban- donné «Ie Seigneur ». Jan te donne Ie pain de charitt Bien ql1e lui ne pape1arde pas autJnt avec Ie Seigneur, il n'e t néJnmoins - et il Ie sait - pas Jussi libérJl que toi et moi.

Maintenanr, en te tendant cc pa in de charité. il te demande queUe est ta croyance. N'est-ce pJS cruel? N' est-ce pas agir comme Ic pirate algérien qui demande au prisonnier chrétien cc qu'il pense de Mahomet ?

Tu aurais pu répondre : «Jan, mon devoir est de croire ce que croit l'homme qui a Ie pouvoir de jeter mes pauvres enfants dans la rue. Le pauvre n' a pas droit à une croyance à lui •.

Je dis ceei surtout en songcant à son méconrentement, lorsqu'Edu a dit: « Ce baton, c'est notre Bon Dicu. » Quand il sera de nouveau sous notre toit, il pourra pen er : «Le bon dieu, c' est Grietje, ou ee bambocheur ».

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