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Le«Mémorandum des 40Zaïrwandais»à Mobutu

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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le jeudi 14 juillet 2016

Le lac Kivu non loin de Goma

Un document, son contexte et ses conséquences

Le « Mémorandum des 40 Zaïrwandais » à Mobutu

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Introduction : le contexte

Paysage au Nord-Kivu

On peut tenir pour établi que, de Léopold II jusqu’au milieu du XX° siècle, ni les colonisateurs, ni les colonisés ne se soucièrent beaucoup de la frontière, ni de sa conséquence : les différences de nationalités. Du point de vue des Belges, employeurs à la recherche de main d’œuvre et donc partisans de la mobilité, le mouvement naturel et spontané de déplacement du surplus démographique de l’est vers l’ouest faisait plutôt leur affaire. Du point de vue des colonisés, rien ne changeait fondamentalement par rapport à ce que l’on avait toujours connu, puisque ce mouvement existait déjà aux temps précoloniaux. Quant à la perception de la différence entre les ressortissants d’une « colonie » et ceux d’un « territoire sous mandat » elle devait leur échapper, ou même être occultée par le fait que, sous des noms différents, on était toujours colonisé, de part et d’autre de la démarcation. Au fond, frontières et nationalités ne sont apparues dans la pratique, et n’ont commencé à faire problème et préoccupation, qu’à partir du moment où l’on se mit à penser à l’Indépendance. Ce qui, dans le cas belge, veut dire fort tard et, de ce fait, avec une hâte qui n’était pas toujours bonne conseillère.

Le mouvement de déplacement du surplus démographique de l’est vers l’ouest, qui avait reçu le renfort du pouvoir colonial, s’était accéléré sous la pression des événements qui suivirent la décolonisation. A partir du coup d’envoi de la « Toussaint rwandaise1» en 1959 qui avait

1 Le 1er novembre 1959, les massacres commencent avec la "Toussaint Rwandaise". Une attaque contre Dominique Mbonyumutwa, leader Parmehutu, déclenche des représailles anti-Tutsi: meurtres, brutalités, incendies, destructions de maisons et de récoltes, bétail égorgé‚... Cette Saint-Barthélemy provoqua le 6 novembre une contre-attaque Tutsi, visant à l'élimination de Hutu engagés politiquement ou simplement influents. Le colonel Logiest, nouveau résident et hutiste convaincu, fait intervenir la FP. Ces épisode où l'on n'a pas manqué de voir

"la résurgence spontanée de la férocité primitive", qui a toujours bon dos, a bénéficié de la complicité et de la participation des Belges. Ce n'est pas seulement un fait avéré, c'est un fait avoué. Le VGG Harroy dit que "La Révolution rwandaise de novembre 1959 a été un phénomène insurrectionnel sous tutelle, suivi de quelques mois de 'révolution assistée' " ("Rwanda, de la Féodalité à la Démocratie 1955-62 ». Bruxelles, Hayez, 1984, p.292) et avoue d'ailleurs que la "révolution" aurait été liquidée sans l'intervention de la Force Publique du colonel Logiest.

(Harroy et Logiest recevront par après la plus haute décoration rwandaise au titre de "grands pionniers européens de la révolution populaire rwandaise"[ibidem, 386 et 512]).

La guerre civile devient larvée, les troubles ne cessant ici que pour reprendre là-bas. C'est le début de l'exode des réfugiés Tutsi. Le mwami lui-même prend le chemin de l'exil en 1960. Plus exactement, Kigeri Ndahindurwa et un certain nombre de leaders UNAR estiment qu'une vie politique normale est devenue impossible au Rwanda, et

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conduit à l’abolition de la royauté, suivant le mot d’ordre du Parmehutu, le parti de Grégoire Kayibanda, le futur président de la république, la longue marche des Tutsi rwandais avait commencé. Par dizaines de milliers, entre 1959 et 1966, ils avaient été contraints à l’exil, vers le Burundi (où le pouvoir est resté entre les mains des Tutsi), l’Ouganda, mais surtout vers le Congo. Leur attaque en 1963, pour tenter de reprendre possession de leurs terres, n’avait rien arrangé; elle avait offert, au contraire, le prétexte pour de nouvelles représailles. Tant d’événements avaient produit, dès cette époque, la conscience et la nécessité non seulement de

« venger» les victimes, mais aussi de « corriger» cette situation de fait.

Au Burundi, les années 60 avaient présenté le même spectacle d’exclusion, mais en sens inverse. C’est le groupe hutu qui se retrouvait victime des excès du pouvoir tutsi, Au cours des toutes premières années de l’indépendance, de 1962 a 1966, les deux premiers Hutu à s’asseoir sur le siège de Premier ministre, avaient péri assassinés. Après la défenestration du jeune Ntare V, qui avait lui-même ravi le trône à son père, le premier chef d’Etat républicain, Michel Micombero avait fait exécuter, en 1969, des intellectuels et officiers hutu, au motif qu’ils se trouvaient à la base d’un conflit ethnico-politique. Essayant de venger leurs morts, les Hutu avaient suscité une répression violente de l’armée. Presque en réplique à ces événements malheureux, au Rwanda, une nouvelle vague de persécution des Tutsi s’était organisée en 1973 ouvrant la voie au coup d’Etat du 5 juillet du général Juvénal Habyarimana

A combien se chiffraient ces immigrants « postcoloniaux » ? Selon le Commissariat aux Réfugiés, ils avaient été 50 à 60.000 à déferler du Rwanda rien qu’entre 1959 et 1961. Entre 1961 et 1966, on en avait comptabilisé 25.000 de plus et, en 1973, 23.000. Tous étaient donc venus grossir au Congo les rangs des Rwandais, Rwandophones et Burundophones2d’avant la colonisation, et Rwandais sédentarisés au Kivu par le régime colonial. Au vécu, la distinction rigide entre autochtones rwandophones, immigrants et réfugiés rwandais passait pour trop subtile. Elle n’était donc pas courante. Le clivage pertinent était celui qui démarquait les autochtones (Hunde, Nande, Nianga) des « allochtones » (Hutu et Tutsi), quelle que soit leur condition. Et chaque groupe avait ses dissensions internes, comme celle qui, parmi ces derniers, démarquait les Hutu des Tutsi.

Seule la Belgique coloniale aurait pu apporter une contribution déterminante pour atténuer durablement l’ampleur de ces dérives futures, si elle avait pu, lors de la négociation du virage de l’indépendance de « son» Afrique, tenir compte de l’équation posée par la question de nationalité. Tel ne fut pas le cas. Faut- il mettre cela au compte de la précipitation ou avait- elle estimé que la distinction entre Congolais, Rwandais et Burundais allait de soi? En tout cas, la Loi Fondamentale fut curieusement muette sur la définition de la nationalité congolaise.

Seule la loi relative aux élections législatives du 23 mars 1960 avait précisé « les ressortissants du Ruanda-Urundi, résidant au Congo depuis 10 ans au moins sont admis à voter ». De là, on peut conclure que la Belgique coloniale avait admis le principe suivant lequel la nationalité congolaise était automatiquement acquise aux ressortissants du Ruanda-Urundi installés au Congo depuis 1920 au plus tard. La solution au problème de la nationalité, à l’âge postcolonial, était d’autant plus épineuse, qu’il fallait y intégrer un héritage constitutionnel

l'UNAR appelle d'ailleurs au boycott des élections communales. Dans ces conditions, la seule chose qui leur semble possible est de se rendre à l'ONU pour informer l'organisation - qui, en fait est la véritable "métropole" du Rwanda - de la situation qui prévaut dans le pays.

2 Les Rwandais parlent kinyarwanda, et les Burundais, kirundi. Mais il n’y a entre les deux langues qu’une différence lexicale inférieure à 5%. Cela signifie une différence qui n’est pas plus grande qu’entre le français parlé à Bruxelles et celui que l’on entend à Marseille et qui est sans doute moindre qu’entre les langages de Paris et de Montréal. S’il est évident qu’un Congolais de l’Est, swahiliphone, se rendra compte de ce que la langue qu’il entend n’est pas la sienne, il est donc fort douteux qu’il puisse distinguer, à simple audition, un Rwandais d’un Burundais.

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d’origine coloniale qui compliquait encore davantage la gestion du dossier. En effet, en conformité avec la pratique belge, la nationalité congolaise était, par essence même, « une et exclusive ». Autrement dit : la double nationalité est impossible !3Aucune concession n’était donc envisageable pour faire prévaloir le statut de « zaïrwandais », à cheval entre deux nationalités. D’où, pour se sécuriser, tout allochtone n’avait pas d’autres choix que de se prétendre autochtone et donc, se déclarer congolais « de fait » et « depuis toujours ».

C’est dès le seuil des années 60 qu’on avait noté les premières grandes tensions entre

«originaires » et « non originaires », par suite de la position dominante occupée par ces derniers dans le commerce, la politique et l’administration, tant ils représentaient une quantité importante de la population active. Dans le Masisi, ils étaient même majoritaires. Une véritable bourgeoisie locale émergea dans ces milieux. Elle contrôlait l’administration provinciale, la représentation de la région au niveau des instances de la capitale ainsi que les réseaux des exportations en fraude du café du Nord-Kivu, de l’huile de palme du Maniema et du quinquina du Sud-Kivu vers les pays de l’Afrique de l’Est. De plus, dès la décolonisation, cette communauté « zaïrwandaise » s’était illustrée par des prises de position excentriques par rapport au reste de la population. Si ses membres adhérèrent massivement au CEREA4 (qui, symptomatiquement, prônait le regroupement « africain »), alors que les « originaires » se ruèrent vers des partis de type tribal, c’est qu’ils craignaient de ne pas y trouver leur compte.

Lors de la régionalisation des provinces coloniales en « provincettes », on les vit s’illustrer encore, à l’inverse du reste de la population, par leur opposition au démembrement du Kivu, particulièrement à la constitution d’une province du Nord-Kivu autonome. Cette position apparemment curieuse était justifiée. Fonctionnant déjà comme une diaspora organisée, avec ramifications dans les cabinets ministériels à Kinshasa, dans les entreprises au Katanga, dans le Haut-Congo, son fonctionnement était plus aisé dans un Kivu unifié administrativement que dans trois provinces autonomes. De plus, dans le cadre de la rivalité entre eux et les Nande pour le contrôle de l’espace politique et commercial au Nord-Kivu, ils craignaient que l’autonomie de la partie septentrionale du Kivu ne se transformât en chasse gardée des Nande. Cette obstruction se matérialisa surtout dans la fixation du statut de Rutshuru et de Goma, qui finalement furent promis au référendum5. L’opposition entre partisans du rattachement de ces territoires au Nord-Kivu ou au Kivu central avait fini par donner lieu à des oppositions ouvertes dont la dernière — la révolte Kanyarwanda (fils du Rwanda) — fut déjà interprétée, à l’époque, comme une tentative rwandaise de créer un « Hutuland » On comprend que les rédacteurs de la Constitution de 1964, à Luluabourg, se soient sentis interpellés par ces velléités et qu’ils se soient efforcés d’être aussi précis que possible dans la définition de la nationalité.

Les choix politiques de Mobutu vinrent exacerber ces tensions sociales, en les portant à leur paroxysme. Il avait repris à la pratique coloniale belge, et singulièrement à la Force Publique, le principe de ne jamais affecter un homme dans son terroir d’origine. Se sentant isolé parmi des « étrangers », un membre de l’administration ne pouvait que considérer celle-ci, et

3Plus exactement, un Belge ou un Congolais qui acquiert une autre nationalité, perd la qualité de Belge ou de Congolais. Par contre, un étranger qui demande sa naturalisation peut, si la loi de son pays d’origine le prévoit, jouir d’une double nationalité. On se trouve ainsi devant une situation assez inédite : une loi nationale qui crée une discrimination au détriment de ses ressortissants !

4Centre de Regroupement africain, parti local du Kivu, dirigé par Anicet Kashamura, Marcel Bisukiro et Jean- Chrysostome Weregemere. Ils seront conseillés en Belgique, (assez étrangement) par le communiste Jean Terfve.

5Les “provincettes” furent créées principalement en “descendant” d’un cran le titre de “province” et en érigeant comme telles des entités qui n’étaient autres que les anciens “districts”. Un référendum devait être organisé pour trancher l’appartenance des territoires contestés.

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plus généralement l’ordre établi, comme sa seule protection. C’était donc un gage de sa fidélité.

Simultanément, le dictateur s’efforçait toutefois de recruter ses serviteurs, au moins en apparence, dans tout le pays. « Au moins en apparence », parce que Mobutu se méfiait de certaines régions, en particulier de celles de l’Est. Il se méfiait des Katangais pour leurs tendances « particularistes », d’autres régions orientales parce qu’elles avaient soutenu le gouvernement de Stanleyville ou pris le parti des « Simba » en 63-65. En général il se méfiait de tout ce qui parlait swahili, langue qu’il ne se donna jamais la peine d’apprendre. Pour se donner malgré tout l’air d’avoir dans son entourage et ses proches collaborateurs des « gens de l’Est », il fut fort heureux de recourir aux services des « zaïrwandais ». Il pouvait espérer que le sentiment d’insécurité que ces gens, comme tous réfugiés ou immigrés, ne pouvaient manquer d’avoir, les pousserait encore davantage à chercher leur sécurité dans un attachement accru à sa personne et à son régime. Mobutu eut donc recours à une astuce qui a été utilisée avant lui par bien d’autres détenteurs du pouvoir personnel : recruter parmi des immigrants, des minorités ou des personnes à la nationalité indécise. En offrant massivement des promotions politiques et économiques aux « barons » rwandophones, il leur offrit la possibilité de chercher à « sauver» l’ensemble des membres de la communauté, y compris les immigrants illégaux. De plus, il les relia au reste de la bourgeoisie qu’il mettait en place (les « privilégiés du régime ») par des liens de solidarité : chacun contribue, par son influence personnelle, à assurer la sécurité de tous les autres.

Paradoxalement, alors que Mobutu, même s’il usa de méthodes contestables, visa constamment à garder le pays uni, l’option du régime vint donc compromettre encore davantage les chances d’un rapprochement entre autochtones et allochtones au Kivu. Sa stratégie de confier les responsabilités politiques de préférence aux représentants des groupes marginaux du fait de leur faiblesse numérique ou de leur nationalité douteuse conduisit à la nomination d’un membre de la communauté des immigrants, Barthélémy Bisengimana Rwema, au poste de directeur du Bureau du Président-Fondateur du MPR, Président de la République.

De mai 1969 à février 1977, ce « munyarwanda » joua un rôle de tout premier plan dans la gestion des affaires l’Etat, cumulant nombre de fonctions agglutinées à la personne du Président de la république. C’est lui qui géra les années folles du mobutisme, particulièrement le secteur économique où il s’était fait le grand inspirateur des projets d’industrialisation somptuaires lancés par les sociétés d’ingénierie américaines, françaises, italiennes, japonaises et belges. Grand parrain de ceux qui partageaient sa condition, il fut en 1972 à l’origine d’une loi mettant fin au statut incertain des Banyarwanda. Aux termes de l’art, 15 de cette loi, «les personnes originaires Rwanda-Urundi qui étaient établies dans la province du Kivu avant le 1er janvier 1950 et qui ont continué à résider depuis lors dans la République du Zaire jusqu’à l’entrée en vigueur de la présente loi ont acquis la nationalité zaïroise à la date 30 juin 1960 ».

Par rapport aux dispositions précédentes, coloniales et postcoloniales, l’innovation portait particulièrement sur l’intégration des « transplantés» de la période coloniale. La mesure eut entre autres pour conséquence le fait que le Masisi changea littéralement de « propriétaire », puisqu’il se trouva habité majoritairement par des « Zaïrois d’origine rwandaise».

Sur le terrain, on ne put éviter la recrudescence des tensions car la loi avait une lecture économique. Cette intégration avait, en effet, été décrétée à la période de la zaïrianisation. Les

« Zaïrwandais », puisqu’ils contrôlaient la haute hiérarchie de l’Etat s’attribuèrent non seulement des terres expropriées des « chefs coutumiers » mais aussi les entreprises agro industrielles et commerciales de la région. On s’éloigna donc encore plus résolument d’une pédagogie d’intégration des populations d’origine diversifiée au Kivu. Au contraire, la contestation de la nationalité congolaise se trouva aussitôt relancée de plus belle au Kivu, comme réaction aux « diktats » de Kinshasa et comme stratégie d’autosécurisation de la part des couches dominées.

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Tant que dura le régime Mobutu, il ne put être question de s’en prendre de face à ces spoliations. Si on les avait mises en cause à l’échelle de tout le pays, cela aurait déchaîné de la part du Grand Spoliateur et de toute sa clique de petits spoliateurs associés une telle colère que le malheureux contestataire n’aurait pu chercher son salut que dans une fuite très rapide vers la frontière la plus proche ! Il fallait donc contester non le principe même de la zaïrianisation, mais son application à des cas particulier. Cela semblait possible, dans le cas du Kivu, en établissant que le bénéficiaire « zaïrois » n’avait pas, en fait, la nationalité qu’il prétendait avoir !

A partir de là, et sans qu’on s’en écarte depuis, on cherchera sans cesse à résoudre un problème par des voies inappropriées, parce qu’on voudra résoudre un problème qui est avant tout FONCIER (des individus ou des collectivités ont été spoliés au profit de la bourgeoisie mobutiste), non pas en se basant sur le fait que les titres de propriété seraient sans valeur puisque résultant d’une spoliation commise par la force sous un régime dictatorial, mais en s’en prenant à la NATIONALITE du nouveau « propriétaire » (devenu « zaïrois par l’application d’une loi démesurément laxiste). Qu’on ait agi ainsi jusqu’en 1977 n’était que prudence. Mais que l’on ait persisté ensuite est moins compréhensible ! C’est ainsi qu’en juin 1978 (après le départ de Bisengimana des services de la présidence de la République), le Conseil législatif décida d’envisager la possibilité de la révision de l’art. 15 de la loi de 1972, Rien qu’une telle éventualité suscita émoi et branle-bas et provoqua tout un débat fait de mémorandums et de pétitions, relayés ensuite par les délibérations du Comité Central. Dans ce débat, les Hutu décidèrent, à la fin de 1980, de jouer la carte de la démarcation avec les Tutsi. Ils se réclamèrent d’être d’authentiques zaïrois… « Comme leurs frères Banande, Bashi, Bahunde et Nyanga » et s’insurgèrent contre « la surreprésentation » des Tutsi qui ne représentaient même pas les 5%

de la population ».

Finalement, le 29 juin 1981, le Conseil législatif vota l’annulation de l’art. 15 de la loi de 1972. La nouvelle loi (81-002 du 29 juin 1981) était encore plus restrictive que la Constitution de 1964. Elle stipulait que n’étaient zaïroises que les personnes dont l’un des ascendants était sur place à la date du 1° août 1885, au lieu du 18 octobre 1908.

Il faut croire que personne, dans les aréopages où se concoctèrent ces mesures, ne prit la peine d’ouvrir un atlas historique. Si on l’avait fait, on se serait aperçu d’un petit détail : en 1885, la carte de l’Etat Indépendant du Congo englobait une notable partie du Rwanda et tous les habitants de Cyangugu ou de Gisenyi se trouvaient habilités à faire état de leurs ascendants qui « habitaient en territoire congolais le 1° août 1885 » !

La nationalité zaïroise ne pouvait être accordée aux « étrangers » que sur base d’une demande expresse et individuelle, Deux possibilités étaient offertes, celle de la petite comme de la grande naturalisation. Pour avoir voulu aller trop vite et trop loin, le régime avait réussi à faire perdre aux concernés les avantages, déjà acquis du fait des dispositions antérieures. De plus, la conflictualité du Kivu avait connu un plus grand développement, sclérosée, de manière plus nette, entre trois groupes plus que jamais distincts: d’une part, les Hutu qui s’estimaient une ethnie congolaise, installée dans le pays depuis des temps reculés bien qu’il faille y inclure les immigrés des années 30 à 50, d’autre part, les Tutsi arrivés suite aux pogroms de 1959 à 1973 au Rwanda; enfin, les natifs congolais qui, se disant étrangers ou minorisés sur leur propre terroir, continuèrent à rejeter les uns et les autres. Il fallait désormais compter avec ces clivages, devenus presque institutionnels, sorte de tension permanente entre autochtones et immigrants banyarwanda, tension attisée, suivant un rythme saisonnier, par les événements politiques, autour de la question complexe de nationalité.

Il convient de souligner que, à ce moment-là, le « problème de nationalité « est fondamentalement un problème de propriété foncière et de concurrence commerciale. Les

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richesses du sous-sol ne sont pas encore en cause. D’autre part, les « zaïrwandais » n’ont pas d’amis de l’autre côté de la frontière. Au contraire, leur option pour Mobutu vise à leur procurer un asile sûr. C’est ce que font tous les réfugiés, avant tout soucieux de ne pas être renvoyés dans leur pays d’origine où on leur veut tout autre chose que du bien ! D’autre part, l’opportunité qu’ils saisissent pendant les « années folles du Mobutisme » leur vaut de bénéficier de la « solidarité dans l’impunité et l’infamie » de l’ensemble de la bourgeoisie congolaise dont le comportement, pendant le déclin du Maréchal, montre qu’elle a conscience que l’on ne peut défaire une maille du tissu sans mettre en péril les privilèges et la sécurité de tous les possédants6.

La mise en cause, à partir de la CNS, de Mobutu, protecteur et artisan de la promotion des Banyarwanda et son effacement progressif clans les affaires de l’Etat, son déménagement à Gbadolite, encouragèrent les groupes autochtone à hausser de plus en plus le ton, réactivant par là une crise restée en latence pendant trente ans, Ils s’efforcèrent même de renverser la vapeur à leur avantage. Déjà le refus de la CNS d’admettre en son sein les délégués des partis réputés « étrangers» — notamment le CEREA que Rwakabuba avait fait renaître - le quadrillage du Nord-Kivu par des gendarmes essentiellement nande et hunde, avaient contribué à créer un climat particulier au début des années 90. Les débats du Parlement de transition sur la question de nationalité et surtout la constitution en son sein d’une Commission ad hoc chargée de statuer sur cette problématique dans les Kivu (Commission Vangu) finirent par libérer les angoisses des autochtones face à «l’invasion » rwandophone. On ne cessa de dénoncer le pseudo projet tutsi de détacher le Kivu du Congo, en vue de la création d’une « république des Virunga » par la fusion avec l’Ouganda et le Rwanda-Burundi. Cette agitation ne fut efficace que pour rendre les tensions de jour en jour plus acerbe. Elle n’eut aucun autre résultat. Et ceci avant tout parce qu’on s’obstina à faire avancer une bicyclette avec une pagaie, c'est-à-dire à traiter en problème de nationalité ce qui était un problème d’accaparement et de spoliation de biens fonciers. La CNS avait pourtant une Commission des Biens Mal Acquis…

Mais la CNS était avant tout le lieu d’affrontement entre deux fractions de la bourgeoisie : celle qui avait bénéficié des prébendes du mobutisme s’y opposait aux exclus du mobutisme, bien décidés à jouer des coudes pour trouver leur place à la mangeoire au prochain repas. Comme disait une plaisanterie de l’époque, la CNS est le lieu où l’on entend les éloquentes condamnations des mobutistes d’hier par ceux qui n’ont été mobutistes que jusqu’avant-hier. L’on peut dire cela sans mettre tout le monde dans le même sac. Il se peut fort bien que certains partisans du changement aient été sincèrement décidés à mettre en place un régime moins kleptocrate et plus honnête… dans certaines limites.

Ces limites étaient précisément telles que les revendications des Kivutiens n’y avaient pas leur place. Il fallait passer sous silence que les spoliations commises au profit de la fraction de privilégiés mobutistes, « Zaïrwandais » dans cette partie du pays, n’était pas différente dans son principe de ce que d’autres fractions de privilégiés mobutistes, Congolais « pure laine », avaient fait ailleurs. La bourgeoisie ne pouvait pas se permettre de laisser filer une seule maille du tricot, ou elle se défaisait toute. Au temps de la CNS, elle se serra les coudes plus que jamais, car sa position aurait pu être réellement menacée.

Les deux fractions de la bourgeoisie n’avaient aucunement envie de remettre en cause les privilèges qu’elles avaient acquis et d’admettre le fait que le régime foncier privé devait faire à nouveau place à la propriété collective sur d’énormes portions du territoire national. Il

6C’est ici que la conscience que les Congolais ont de ces choses est souvent brouillée. On cherche partout de

« faux Congolais » (mais vrais Tutsi), des fils naturels ou adultères, voire l’influence sexuelle de maîtresses tutsi pour expliquer l’attitude de gens qui agissent tout simplement par solidarité de classe ou, si l’on préfère, par complicité collective entre criminels et profiteurs.

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était bien plus commode (et juteux !) de conserver ses avantages, et d’utiliser le thème des

« étrangers » pour attiser les passions de leurs partisans ! Bien plus, comme l’ambition des privilégiés serait de se débarrasser de cette propriété collective du sol pour y établir des exploitations, agricoles ou autres, régies par la saine loi du profit privé, leur objectif serait plutôt d’étendre les expropriations à tout le pays, non pas cette fois au profit « d’étrangers », mais de bons bourgeois congolais, tous prêts à devenir les patrons exigeants voire abusifs d’autres Congolais. Avec de telles psychoses et l’effritement des administrations publiques, il était évident que l’évolution de la situation allait désormais échapper à tout contrôle, y compris celui du Parlement de transition et de l’Etat lui-même.

Le Maréchal eut l’occasion de faire une dernière fois du mal en tombant d’une chute fort lente, étalée sur sept années. Peut-être le dictateur de plus en plus déchu n’en eut-il pas le désir conscient. Peut-être, sentant sa fin prochaine, voulait-il moins mourir dans son fauteuil présidentiel que mourir dans son village et dans son pays ? Toujours est-il qu’il offrit aux nantis qui lui survécurent, loups revêtus de peaux d’agneaux, le temps nécessaire pour opérer leur reconversion politique. Ils eurent le temps d’accréditer un mythe qui leur sert désormais de parapluie pour protéger leur entrecôte. Ce mythe est celui de la « véritable transition démocratique » qui aurait été en cours la CNS et dont ils se présentèrent, bien sûr, comme les acteurs.

Localement, dans les Kivu, la situation empirait. A peu près partout émergèrent des

« mutuelles » ethniques. Structures à la fois d’entraide et d’autodéfense, elles allaient faciliter les affrontements. Car la remise en cause de la nationalité avait surtout pour implication le fait de provoquer celle des acquis fonciers et commerciaux. Et, encore une fois, faute d’une ligne politique qui aurait remis en cause non pas la propriété des « étrangers » mais celle de tout possesseur ayant bénéficié des distributions abusives du mobutisme, et aurait exigé le retour parmi les biens appartenant aux collectivités des pseudo-propriétés acquises à l’occasion de ces passe-droits, on n’aboutit à rien sinon à s’échauffer davantage.

Les Rwandophones ne pouvaient, dans ce contexte plein de menaces, se permettre de ne pas organiser la résistance. La seconde « guerre kanyarwaranda » dans le Nord Kivu, s’était donc déclenchée dès le début de la décennie, quand les Hutu, suivant le mot d’ordre de Magrivi (Mutuelle Agricole de Virunga), refusèrent de se soumettre aux injonctions de l’administration et de la police locales et mirent en place des structures parallèles. Cela dégénéra en incidents sanglants dans le Masisi (1991, 1993) et à Walikale (1992). Mais la médiation personnelle de Mobutu permit une accalmie en 1994.

On en serait sans doute resté là si les choses ne s’étaient pas compliquées avec l’arrivée massive des réfugiés rwandais. La victoire du FPR qui s’était emparé de Gisenyi le 18 juillet 1994 eut un impact incalculable. On prit conscience de ce que des Congolais avaient été présents dans les deux camps des belligérants. Pendant que les unités des FAZ, comme en 1992 sous les ordres du général Mahele, combattaient aux côtés de celles des FAR contre les troupes du FPR, ils finançaient ce même FPR par l’entremise des Rwandophones. En effet, nombre de Banyamulenge et d’autres Tutsi du Congo avaient pris une part effective à la guerre, par solidarité avec les Tutsi rwandais. Ceux qui n’avaient pu se rendre au front s’étaient organisés pour y prendre part indirectement, par la participation à l’effort de guerre. Chaque groupe d’antagonistes rwandais assimilait à l’ennemi ceux qui avaient servi à ce dernier de partenaires.

La catastrophe représentée par l’irruption des centaines de milliers de réfugiés du Rwanda à Goma, à partir du 18 juillet 1994, et surtout le repli des Forces Armées Rwandaises (FAR) et des milices armées (Interahamwe) dans le Kivu, avec armes et bagages, furent autant de signaux du transfert de la guerre rwandaise au Congo, partiellement par nationaux interposés.

Elle allait s’étendre de part et d’autre de la frontière avec le Rwanda, car les belligérants

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traditionnels se retrouvaient face à face: au Rwanda, les Tutsi, les nouveaux hommes forts du régime et, au Kivu, les Hutu encadrés par les ex-FAR et les milices armées. Au Kivu, la fracture entre les « allochtones » hutu et tutsi était désormais béante, accentuée par l’insouciance insolente du maréchal Mobutu. En effet, l’organisation des funérailles de l’ancien Président Habyarimana par Mobutu et son enterrement à Gbadolite fut comme une manière de confirmer les anciennes alliances et de défier les maîtres du Rwanda, les incitant à en faire autant en sens inverse.

On aurait dit que le maréchal Mobutu ne réalisait pas à suffisance combien la conjoncture internationale avait changé depuis la fin de la guerre froide. Son « Zaïre » avait cessé d’être un enjeu majeur. Une nouvelle politique américaine avait pris la relève de celle qui faisait de lui le « gendarme » de la région. Lui-même, qui avait été un instrument trop fidèle de l’ancienne politique, était devenu un élément gênant et encombrant. Le recrutement des amis de l’Amérique de Bill Clinton se faisait même dans le camp des socialistes d’hier, à la condition qu’ils garantissent ses intérêts. Dans cette perspective, l’Ouganda, le Burundi et le Rwanda passaient pour plus « intéressants », parce qu’ils faisaient partie du cordon sanitaire contre l’intégrisme musulman. L’ennemi n’était plus le communisme, mais l’Islam. Le front de la guerre contre ce « fléau » passait par le Sud-Soudan. John Garang devait être soutenu pour faire reculer, davantage vers le nord, cette «ligne de front ». L’implosion de l’ancien Congo belge, dans cette façon de voir les choses, semblait fort probable. L’enjeu revenait à encadrer ce processus de dégénérescence, afin qu’il n’entraîne pas de trop graves conséquences dans la région. Et la perspective d’une succession d’affrontements avec des troupes rwandaises, avant les élections, était, à tout prendre, une conjoncture heureuse car elle contribuait à l’affaiblissement de la DSP et de la. Garde Civile, Une manière d’atténuer le risque de trop d’exactions sur la population, en cas d’échec de Mobutu aux élections.

La commission Vangu et son rapport

C’est donc dans ce contexte difficile, dangereux et délétère, très « fin de règne », que le HCR-PT va charger une Commission d’enquête parlementaire de sillonner l’Est de la Rdc et quelques villes rwandaises, dont Gisenyi, et de faire rapport sur la situation troublée qui y régnait.

Vangu Mambweni7, universitaire diplômé en sciences commerciales et consulaires, avait travaillé dans plusieurs cabinets politiques, avant d’être nommé commissaire sous-régional adjoint dans la province du Nord-Kivu et, plus tard, 2ème secrétaire rapporteur au bureau du Haut Conseil de la République-Parlement de Transition (HCR- PT), de 1994 à 1997 lorsqu’il nommé à la tête de ladite commission, dénommée dès lors « Commission Vangu » et, parmi les membres, figurait également Anzuluni Bembe, qui avait été

7Vangu Mambueni est décédé en sa 74° année, le 11 juillet 2007 dans la matinée à son domicile de Kinshasa- Matete, sortant ainsi pour toujours d’une paralysie générale au point que son entourage considère son décès comme une délivrance. Son âge suffirait à expliquer sondécès, mais selon un de ses anciens collaborateurs tant à la présidence de la République qu’au ministère des Affaires étrangères, il a été tué « par un poison à retardement dont les auteurs et ou commanditaires se retrouvent au sommet de l’Etat ».

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Président du Conseil Législatif. Comme on le voit, il y avait parmi les commissaires quelques- uns de ces politiciens d’âge mûr et d’expérience que souvent on appelle, sans amabilité excessive, de « vieux crocodiles ».

.Après plusieurs jours d’enquête, la commission déposa ses conclusions, et c’est bien là que le bât blesse ! Car le territoire qui était l’objet de ses investigations, non seulement est étendu, mais il est de plus très accidenté, ce qui ne favorise évidemment pas les déplacements.

Il s’agissait, en outre, de se documenter, dans des zones très peuples, où pullulaient les situations complexes de nature à rendre longs et compliqués les interrogatoires visant à déterminer le statut précis des personnes. De sorte que les « quelques jours » d’enquête, là où l’on se fût attendu à des semaines, sinon à des mois, sont assez étonnants.

De ce fait, le « Rapport Vangu », baptisé lui aussi d’après le Président de la Commission, s’exposait à ce qu’on le critiquât en mettant en avant qu’un travail aussi rapide ne pouvait être que bâclé et que les Commissaires avaient puisé leurs conclusions, non dans leurs expériences et recherches sur place, mais dans les idées préconçues de la situation qu’ils avaient amenées avec eux, idées dont la principale aurait été un très violent parti-pris contre les

« zaïrwandais ».

Or, le rapport Vangu leur est, objectivement, très défavorable. "Au Kivu, Mulenge est une colline qui ne peut jamais engendrer. Il n'y a pas des banyamulenge au Zaïre8" avait déclaré Vangu Mambwebi au Haut-Conseil-Parlement de transition (HCR-PT) au Palais du peuple, en présentant le rapport de sa commission, après une enquête, dit-il, « studieuse » dans le Kivu.

La Commission était arrivée à la conclusion selon laquelle les nouvelles autorités tutsies installées à Kigali voulaient profiter de la présence des réfugiés hutus pour envahir la Rdc et installer un pouvoir pro-tutsi à Kinshasa. En plus, dans le même rapport, Vangu Mambweni avait soulevé le problème de la nationalité congolaise.

La solution préconisée pour mettre fin aux troubles dans l’Est ne s’embarrasse pas de fioritures. C’est tout simplement le « coup de balai ». Jugez plutôt :

« La Commission exige :

l) le rapatriement, sans condition, de tous les réfugiés et immigrés rwandais ;

2) l'application de la loi n" 81-002 du 29 juin 1981 portant définition9de la nationalité zaïroise ;

3) la transmission au HCR-PT des accords signés entre Ministres, Premiers Ministres et Chefs d'Etat rwandais et zaïrois ;

4) le renouvellement, sans délai, des commandements militaires dans les Régions du Nord-Kivu et du Sud-Kivu et la nomination immédiate des Gouverneurs compétents à la tête de ces deux régions ;

5) l'annulation par le Ministre de l'Intérieur des actes de nomination des immigrés et refugiés dans la territoriale en Zones de Rutshuru, Masisi et Walikale ;

8Certains noms de clans ou d’ethnies sont des patronymes, p.ex. bakwakalonji, ben’eekie ou benetshikulu, mais ce n’est pas le cas de tous. Banyamulenge peut se traduire par « fils de Mulenge », mais il est excessif de donner à « -nya- » un sens exclusif de filiation. Les habitants du Bwisha sont appelés des banyabwisha comme nous disons

« enfants du pays ». expression dont « mwanamboka’ en lingala et « mwanainchi » en swahili sont la traduction littérale.

9 Et portant surtout annulation de l’art. 15 de la loi de 1972, in spirée par Bisengimana et si favorable aux

« zaïrwandais ».

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6) l'annulation par le Président de la République des actes de nomination des immigrés et réfugiés rwandais ou burundais à tous les niveaux de la gestion du pays et dans les représentations diplomatiques10;

7) le remplacement des éléments des FAZ par d'autres dans les Zones troublées au Nord et Sud-Kivu ;

8) la réhabilitation de l’autorité zaïroise dans les Régions de Masisi, Rutshuru ct Walikalc;

9) la poursuite en justice des auteurs de la déstabilisation de Masisi, Rusthuru et Walikale ».

Sans empiéter sur ce que nous aurons à dire plus loin des conséquences qu’auront ces exigences, il faut tout de même remarquer que l’on persiste dans la même voie erronée : chercher à résoudre un problème par des voies inappropriées, parce qu’on veut résoudre un problème qui est avant tout FONCIER (des individus ou des collectivités ont été spoliés au profit de la bourgeoisie mobutiste), non pas en se basant sur le fait que les titres de propriété seraient sans valeur puisque résultant d’une spoliation commise par la force sous un régime dictatorial, mais en s’en prenant à la NATIONALITE du nouveau « propriétaire » devenu

« zaïrois » par l’application d’une loi démesurément laxiste.

La réaction ne se fit pas attendre.

Mémorandum de 40 « Zaïrwandais » de Kinshasa adressé au Maréchal Mobutu, Président de la République du Zaïre

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Kinshasa, le 10 juillet 1995

Excellence Monsieur le Président de la République,

01. A nous, signataires de la présente, membres des Communautés tutsi et banyamulenge résidant à Kinshasa et nous exprimant aussi bien au nom de nos frères de l'intérieur du pays qu'en notre nom propre, conscients et fiers de notre appartenance incontestable à la communauté nationale zaïroise d'origine, l'honneur échoit de vous adresser la présente.

Par cette démarche, nous entendons vous

inviter à prendre une initiative politique, dans la forme qu'il vous plaira, destinée à faire échec à une certaine subversion parlementaire observée ces derniers mois au Haut Conseil de la République - Parlement de Transition et révélée à l'opinion publique par la publication du Rapport VANGU durant la semaine du 24 au 30 avril 1995.

02. En certaines de ses conclusions, ce rapport est manifestement irresponsable, subversif, provocateur et anti-national, dans la mesure où il préconise la reconduite à la frontière de certaines populations établies au KIVU, au motif qu'elles seraient étrangères, alors qu'à l'évidence, elles sont nationales. Ce faisant, les membres de la Commission

10Certains députés du Kivu, dont Kalegamire et Mutiri wa Bashara (élu député national en 2006 sur la liste du MLC) étaient même invalidés.

11Source : Journal Le Fax N° 24 du 18 au 22 Novembre 1995

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VANGU ont inconsidérément conduit le Hcr-pt (Haut Conseil de la République - Parlement de transition) à mettre inconsciemment en péril notre Nation et son unité. C'est-à-dire les valeurs essentielles incarnées de façon éminente par le Président de la République qui en est le symbole et le garant, au terme des dispositions de l'article 39 de l'Acte constitutionnel de la Transition. Par conséquent, nous sommes persuadés que vous vous investirez à convaincre la majorité parlementaire qui vous est acquise, mais qui a été abusée par des commissaires sans foi ni loi, de s'abstenir de piétiner les valeurs qui fondent votre fonction, d'éviter de porter atteinte à l'unité de notre Nation si chèrement conquise et, au contraire, de prononcer publiquement le désaveu d'une Commission VANGU dévoyée et qui a trahi la bonne foi du Hcr-Pt.

03. En effet, plusieurs assertions contenues dans le rapport de la Commission VANGU ainsi que bon nombre d'interventions en plénière, principalement celles des conseillers de la République membres de certaines ethnies du KIVU qui revendiquent pour elles seules la qualité d'autochtones, ont conduit l'organe législatif de la transition à entériner une position inadmissible. Celle qui pose le principe selon lequel, quels qu'ils soient et quelles que soient les circonstances ou l'époque de leur établissement au Kivu, Hutu, Tutsi et Banyamulenge doivent être considérés - ès qualité - comme immigrés ou réfugiés, c'est-à- dire comme étrangers, Rwandais ou Burundais.

Il en découle qu'ils ne sauraient prétendre à la nationalité zaïroise autrement que par la naturalisation individuelle. Faute de celle-ci, ils devraient faire l'objet de reconduite à la frontière, exactement comme les réfugiés ou les clandestins. C'est, à tout le moins, l'esprit de la résolution prise par le Hcr-Pt en matière de nationalité.

04. Nous considérons que de telles prises de position violent formellement les dispositions de l'article 27, alinéa 3, de l'Acte constitutionnel de la transition. Car, il s'agit des actes de provocation qui incitent à la violence, à l'intolérance, à l'exclusion et à la haine pour des raisons d'appartenance ethnique et qui sèment la discorde entre nationaux.

C'est pourquoi, nous exhortons vivement le Président de la République à considérer comme contraires à la constitution les conclusions de la Commission VANGU, en ce qu'elles prônent l'exclusion des populations nationales et à en tirer toutes les conséquences qui s'imposent sur le plan juridique et éventuellement sur le plan judiciaire.

05. Car, que le Parlement prenne la décision d'enjoindre au gouvernement de reconduire hors des frontières nationales des personnes ou des populations étrangères entrées clandestinement ou réfugiées sur le territoire du Zaïre passe encore. Le pays est souverain.

A la limite, concernant les réfugiés, la seule querelle prévisible est d'ordre diplomatique, étant donné les obligations résultant des accords internationaux auxquels le Zaïre a souscrit.

En revanche, que le Hcr-Pt prenne sur lui la terrible responsabilité de déclarer étrangères des populations zaïroises conscientes et fières de l'être et contraigne le gouvernement à les expulser, voilà un cas de figure inédit de par le monde. Il laisse pantois, mais il ne peut rester sans conséquences graves.

Car, ce n'est rien moins qu'une incitation à la violence et à la guerre civile.

06. Le 26 mai 1981, lors d'une session du Comité Central de l'ancien Parti-Etat, vous avez proclamé l'urgence et la nécessité de savoir "qui au Zaïre est Zaïrois et qui ne l'est pas"

et vous aviez raison. Mais depuis lors, cette interrogation n'a cessé d'alimenter une controverse malheureuse qui empoisonne les relations interethniques au KIVU. Parce qu'à

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une question présidentielle pertinente, des politiciens immatures ont voulu réserver une réponse absurde. Qui est Zaïrois et qui ne l'est pas ?

Lorsque la naissance de l'Etat Indépendant du Congo fut annoncée le 1er août 1885, il apparut que certaines de ses limites étaient déjà connues et reconnues. Il va de soi que, déjà à ce moment-là, pouvaient être considérés comme Zaïroises les populations englobées dans ces limites-là, même si, dans la plupart des cas, elles avaient été tracées à leur insu ou contre leur gré. C'est pourquoi les dispositions légales ont retenu comme référence originelle de législation sur la nationalité zaïroise la date du 1er août 1885.

Mais l'histoire nous apprend aussi qu'à la même date d'autres frontières de l'EIC étaient tout à fait théoriques, car ni connues ni reconnues. C'est le cas de celles du KIVU qui n'allaient l'être qu'aux termes de la Convention de Bruxelles du 14 mai 1910.

Il est évident que c'est seulement à cette date que les populations établies à demeure au KIVU sont devenues véritablement et indistinctement zaïroises. C'est pour cette raison que les dispositions légales sur la nationalité zaïroise d'origine par appartenance ont également retenu les dates des conventions subséquentes au 1er août 1885 comme référence originelle.

Par conséquent, le seul problème est celui de savoir si, en l'occurrence, nos communautés sont concernées par cette convention du 14 mai 1910 et que c'est à juste titre qu'elles prétendent à la nationalité zaïroise d'origine par appartenance.

07. A cette préoccupation, nous répondons "oui" sans l'ombre d'une hésitation. Pour s'en convaincre, il suffirait aux instances supérieures du pays, soucieuses de faire éclater la vérité, de mettre sur pied une commission technique composée de juristes et d'historiens chevronnés. Grâce à une abondante littérature ethno-historique et aux archives coloniales ou missionnaires disponibles sur le sujet, une telle commission ne tarderait pas à faire la démonstration de la justesse et de la légitimité de notre prétention et par là même de la mauvaise foi ou de l'incompétence des membres de la Commission VANGU.

08. A titre d'exemple : au début du siècle, lorsqu'administrateurs coloniaux et missionnaires catholiques se sont installés dans le territoire de Rutshuru (dont Nyragongo et Goma faisaient partie jusqu'en 1953), ils ont trouvé des populations dont ils nous ont laissé une description bien précise. Elle ne laisse aucune ambiguïté quant à leur appartenance ethnique.

Ainsi, Monsieur Nyblom, chef de zone au poste d'Etat de Rutshuru, note en date du 12 mars 1911 que : "peu d'indigènes connaissent la langue kiswahili, la langue parlée dans la région est la "kiniaruanda" (sic)" (archives diocèse de Goma).

Pour sa part, le Père Albert Smulders, fondateur de la Mission catholique de Rugari, la première à avoir été fondée au Nord-Kivu, le 06 juin 1911, fait rapport à son Evêque, Mgr Roelens résidant à Baudouinville en ces termes : "la population renferme des Watutsi et Wahutu. Les Watutsi sont en minorité et ne jouent pas ici le grand rôle politique qu'ils jouent au Rwanda." (cfr. rapport annuel du 20 novembre 1911.)

09. Concernant la frontière zaïro-burundaise, Mgr Roelens relate les faits suivants dont il fut averti à Baudouinville où il résidait et dont il avait fondé la Mission catholique en 1893 : "C'était en 1895. Le Baron Von Goëtzen avait découvert le Lac KIVU et ne tarissait pas d'éloges sur la contrée et sa nombreuse population. Cette année-là, les agents de l'EIC tentèrent de pénétrer jusqu'au KIVU en vue d'occuper le pays. Vers le milieu de la plaine de la Ruzizi (déversoir des eaux du lac KIVU dans le Tanganyka), ils se heurtèrent à une fraction des Barundis établis en cet endroit. Ils durent faire usage de leurs armes et bon nombre de Noirs

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restèrent sur le champ de bataille. Devant l'impossibilité d'occuper la région sans grande effusion de sang, les agents de l'Etat y renoncèrent provisoirement, espérant d'entrer en relation pacifique avec les indigènes." (cfr. Mgr Roelens, Notre vieux Congo, 1891-1917, vol. I, p. 57).

Effectivement, plus tard, ils purent s'installer avec l'accord des autochtones Barundi dont ils reconnurent le chef Kinyoni. En 1929, ils l'investirent en qualité de chef médaillé de la collectivité Barundi.

Les magouilleurs politiciens d'aujourd'hui ont entrepris de la déstabiliser et de proposer sa suppression au motif qu'elle doit son existence à des étrangers.

10. D'autre part, par décret du 02 mai 1910 portant réorganisation des chefferies indigènes, l'autorité coloniale, consciente du préjudice porté à l'homogénéité des populations indigènes par les nouvelles délimitations frontalières, autorisa des mouvements migratoires de part et d'autre des frontières. Ainsi, l'article 3ème disposait que "les indigènes qui viendront ultérieurement des colonies limitrophes feront partie de la chefferie et de la sous-chefferie où ils fixeront leur résidence" (cfr. B.O. du Congo Belge, 1910, pp. 456-471). Par ailleurs, à la fin de la première guerre mondiale (1914-1918), qui vit la défaite de l'Allemagne, les possessions allemandes du Rwanda et du Burundi furent placées sous mandat, puis sous tutelle de la Belgique. Elles furent réunies sous l'appellation de "Territoire du Rwanda-Urundi". Par la loi du 21 août 1925, ce territoire fut "uni administrativement à la colonie du Congo Belge dont il forme un vice-gouvernement général. Il est soumis aux lois du Congo Belge" (article 1er). « En conséquence les droits reconnus aux Congolais par les lois du Congo s'appliquent, suivant les distinctions qu'elles établissent, aux ressortissants du Ruanda-Urundi" (article 5ème).

11. En vertu de ces dispositions, le Congo et le Ruanda-Urundi ont vécu, jusqu'au 30 juin 1960, des liens juridiques et politiques exceptionnellement privilégiés qui n'existaient avec aucun autre pays limitrophe : monnaie unique, force publique unique, administration unique, etc.

Dans ce cadre, de 1937 à 1954, l'autorité coloniale incita des populations du Ruanda- Urundi à émigrer au KIVU, spécialement dans la zone de Masisi. Ce fut le programme MIB ou Mission d'Immigration Banyarwanda. Les familles transférées rompaient tout lien administratif et politique avec le territoire sous-tutelle et recevaient une nouvelle carte d'identité qui en faisait des Congolais à part entière.

Dès 1940, elles furent constituées en chefferie indigène de Gishari sous l'autorité d'un chef médaillé tutsi, Joseph BIDERI, remplacé peu après par Wilfrid BUCYANA. Nous ne craignons donc pas d'affirmer que, dans son interview-justification parue dans "Umoja", livraison du 27 juin 1995, p. 4, Monsieur VANGU MAMBWENI fait étalage de toute son incompétence ou de sa mauvaise foi lorsque, pour étayer ses prises de position incongrues, il tente d'assimiler les populations zaïroises originaires du Ruanda-Urundi aux Ouest- Africains résidant au Congo Belge. Comment peut-on raisonnablement placer sur le même pied d'égalité une immigration massive initiée par une autorité légalement établie et qui procède d'une volonté politique officiellement délibérée, d'une part et d'autre part des péripéties migratoires individuelles qui ne relèvent que de la police des étrangers ?

12. De toute manière, ce n'est pas à vous, Monsieur le Président, que des apprentis politiciens fraîchement débarqués dans l'enceinte parlementaire de la zone de Lingwala feront avaler leurs sornettes, comme si, après 30 années passées à la tête du Zaïre, vous n'aviez pas encore pris l'exacte mesure de l'histoire de votre peuple.

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Souvenez-vous, Monsieur le Président. Au mois d'août 1993, lors d'une audience que vous aviez bien voulu accorder aux représentants des communautés ethniques à Goma, vous avez évoqué la question de la nationalité zaïroise d'origine par appartenance à l'aide d'une métaphore exceptionnellement éloquente tant elle était marquée au coin du bon sens le plus élémentaire. A supposer, disiez-vous, qu'un baptême général soit programmé dans telle paroisse, tel jour à 12h00' et que la fermeture des portes doive intervenir à 11h50'. Parmi les catéchumènes, certains sont arrivés à la paroisse dès 6h00' du matin, d'autres à 10h00', et d'autres encore à 11h45'. Aussitôt le baptême donné, quelqu'un peut-il raisonnablement prétendre que seul celui de nouveaux chrétiens arrivés dès 6h00' est valide et que celui de tous les autres est douteux ou nul ? Evidemment non. Ainsi, expliquiez-vous, sous le régime colonial, tous les Zaïrois étaient comme des catéchumènes attendant le baptême, c'est-à-dire l'indépendance.

Proclamée le 30 juin 1960, c'est elle qui a donné naissance à la nationalité zaïroise à laquelle tous les Zaïrois ont accédé en même temps et dans les mêmes conditions.

Par Zaïrois, il faut entendre quiconque possédait le statut de Congolais à la date du 30 juin 1960, dès lors que ce statut lui était reconnu aussi bien par l'administration publique que par la population administrée, que de notoriété publique il se comportait en tant que tel et qu'il ne possédait aucune autre nationalité. C'est clair, c'est net.

13. Mais, selon toutes les apparences, les membres de la Commission VANGU ne font pas la même lecture des textes que vous, Monsieur le Président. Manifestement ils se sont fourvoyés dans la confusion entre les notions de nationalité et d'ethnie.

La raison de leurs errements saute aux yeux. Elle est dans la composition même de la Commission VANGU. Certes, son rapport est une œuvre collective et, en ce sens, il requiert la solidarité formelle de tous les 10 membres de la commission. Il n'en demeure pas moins qu'il est d'abord et avant tout le fruit de l'activisme politique de 4 hommes alliés pour la circonstance : Célestin ANZULUNI, VANGU Mambweni, Faustin KIBANCHA et Jean- Baptiste BIRHUMANA. Ressortissants du KIVU ou ayant exercé des responsabilités territoriales dans cette région, ils étaient censés mieux connaître les sujets à traiter. C'était oublier la haine viscérale que les uns et les autres vouent aux Tutsi et aux Banyamulenge, haine tombée dans le domaine public depuis les assises de la Cns.

VANGU Mambweni ne s'en cache même pas. Dans l'interview à "Umoja"

susmentionnée, il fait un aveu de taille : "le lobby tutsi a sauté sur mon indiscrétion pour me déplacer du Nord-Kivu et pour rayer mon nom de la territoriale. C'était une façon de me tuer sur le plan politique."

En somme, VANGU s'est vengé. Quant à KIBANCHA et BIRHUMANA, tous deux illustrent à merveille l'excès de zèle de ceux qui, pour mieux camoufler leurs origines rwandaises, veulent se montrer plus Zaïrois que les Zaïrois. Leur présence au sein de la Commission VANGU n'était pas due au hasard, mais bien au soin particulier que Monsieur ANZULUNI Bembe, président a.i. au Hcr-Pt, qui les connaît bien et partage leur haine, a mis à les sélectionner afin d'être sûr que la commission produirait un travail conforme à ses propres attentes. Ils ne l'auront pas déçu dans la mesure où ils lui ont donné l'illusion que le compte des BANYAMULENGE, objet de ses ressentiments, est définitivement réglé, en même temps que celui des Barundi de la plaine de la Ruzizi et celui des Hutu et Tutsi zaïrois du Nord-Kivu.

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14. Il ne faut donc pas être grand clerc pour comprendre que le rapport VANGU est, à titre principal, un tissu de règlement de comptes interethniques sur fond de compétition politique. Il fallait aux conjurés l'élimination à tout prix des concurrents politiques, non pas loyalement sur le terrain électoral devant le peuple, mais sur le tapis vert des combinaisons politiques kinoises.

D'où la fabrication d'un rapport VANGU qui, à mille lieues, sent fortement l'outrance, le fanatisme, la provocation, la haine et une incroyable xénophobie. D'où un discours éminemment irresponsable qui témoigne de l'étendue du désastre moral dont est atteinte notre classe politique.

La rumeur y supplante l'information, le témoignage oral incontrôlable ou le tract y écrasent le document écrit irréfutable, les idées reçues le disputent aux clichés les plus éculés, les affirmations gratuites ou péremptoires y voisinent avec les affabulations les plus farfelues, la vacuité ou l'absence de la preuve y jouxte la vanité de l'argument, les approximations y tiennent lieu de certitudes, la rationalité y subit la loi de l'affectivité, et, suprême infamie, alors que la vérité s'y trouve crucifiée, le mensonge y est érigée en dogme.

15. Quelques exemples tirés de ce document irresponsable, provocateur et mensonger :

15.1. Un conseiller de la République respectable et respecté comme l'honorable RWAKABUBA Shinga, représentant la zone de Rutshuru est bassement calomnié par ses jeunes collègues de la Commission VANGU dont certains étaient à peine nés, lorsque ce notable siégeait déjà au sein de la représentation populaire, au niveau local, provincial ou national. Car, comme par hasard, cet aîné a été élu lors de toutes premières élections organisées pour les Congolais en 1959 par le pouvoir colonial. Depuis, il n'a cessé de siéger dans les instances parlementaires du pays.

Il est inadmissible que sa nationalité zaïroise soit mise en cause seulement aujourd'hui par une commission composée de recrues parlementaires aigries et vindicatives.

Il s'agit d'une provocation que ressentent très mal les populations représentées par ce notable.

15.2. On nous prête l'intention de vouloir créer tantôt la "République des Volcans", tantôt la "République des Grands Lacs" et maintenant "les Etats-Unis d'Afrique centrale"

(p. 159). Bref, on ne s'aperçoit pas qu'il y a incohérence à nous faire vouloir à la fois une chose et son contraire : être Zaïrois et créer un autre Etat. Tout cela c'est des fantasmes politiciens dont, de toute manière, le SNIP devrait déjà avoir établi le caractère non crédible, puisqu'ils ne reposent sur aucun élément fiable.

15.3. "La commission pense que n'eût été la présence de feu Barthélémy BISENGIMANA dans la haute sphère politique zaïroise, cette loi (de 1972) sur la nationalité n'aurait jamais existé." (p. 158).

Voici un exemple-type d'une affirmation péremptoire et méprisante vis-à-vis de nos propres institutions. Les principes directeurs de cette loi ont été dégagés au cours d'une réunion du Bureau Politique du MPR tenue sur l'ITB Moulaert, le 28 juillet 1970 (cfr Azap du 1er août 1970, et rendus publics par son directeur politique, Prosper MADRANDELE, le même jour. Ensuite un projet de loi fut préparé par le gouvernement, puis soumis au vote de l'Assemblée nationale avant d'être promulgué par le Chef de l'Etat, en tant que loi n° 72- 002 du 05 janvier 1972. N'est-ce pas faire injure à tous ces animateurs de nos institutions d'alors, hommes de très grande honorabilité et de très forte personnalité, que de les présenter

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comme des marionnettes manipulées par un seul homme, fut-il directeur du bureau du Chef de l'Etat ? C'est trop débile que de l'imaginer un seul instant. En quoi le Parlement de l'époque qui était entièrement composé de députés élus au suffrage universel direct est-il moins méritant que celui d'aujourd'hui composé de députés désignés par la classe politique et qui, à ce titre, devraient être plus circonspects dans leurs décisions majeures ?

15.4. Toute l'analyse de la Commission VANGU sur le phénomène des "inflitrés clandestins et réfugiés" (pp. 155 à 156) se limite au seul cas, d'ailleurs non exemplaire, de l'honorable KALEGAMIRE, doyen du Hcr-Pt. Ce qui, vu l'ampleur du phénomène, surtout au Nord-KIVU, prouve le caractère vindicatif du rapport et corrobore la thèse qui en fait un tissu de règlement de comptes.

15.5. Les "attendus" et les "considérants" du rapport VANGU tombent "ex- abrupto". Ils ne sont étayés par aucune déclaration des individus ou groupes d'individus reçus en audience par la commission, par aucun document fiable, écrit ou enregistré. Ils sont pure spéculation du rédacteur du rapport.

Ainsi, quand celui-ci écrit : "la stratégie de l'émigration" (p. 170) ou de la palestinisation des Hutu à laquelle "tous les Tutsi des organisations internationales doivent veiller" (ibidem) ou encore de "l'alliance Bujumbura-Kigali conclue entre les Tutsi pour la mise sur pied de l'entité Tutsiland, espace géographique couvrant le Rwanda, le Burundi, une partie de l'Uganda, la région du Nord-KIVU et la région du Sud-KIVU caractérisée par l'émergence de l'hégémonie Hima dans la région des Grands Lacs" (ibidem), il atteint proprement le délire;

ça n'apparaît nulle part dans les déclarations recueillies tout au long de la mission.

15.6. L'allusion au "greffier principal de la Cour suprême de justice" pour étayer l'usurpation de la nationalité zaïroise, atteste, si besoin en était encore du caractère

"règlement de comptes" du rapport. Car, en dehors de la simple dénonciation, rien ne corrobore l'affirmation de la commission.

16. Nous voudrions ajouter, Excellence Monsieur le Président de la République, la chose suivante : au Nord-KIVU comme au Sud-KIVU, la politique est caractérisée par des affrontements durs, parfois sanglants et par la diabolisation ou l'exclusion mutuelle, à la fois au niveau des individus et des groupes.

Il n'est pas spécialement indiqué que les institutions nationales prennent le parti des uns contre les autres. Il serait plus sage de renvoyer tout le monde à la table de négociation et de recommander aux uns et aux autres un minimum de sagesse, d'intelligence et de réalisme politique. Ce sera la seule condition de la stabilité, de la paix et du développement.

Aucune ethnie ne se développera au KIVU sur le dos ou contre les intérêts majeurs des autres.

17. Nous voudrions enfin relever, en ce qui concerne les Tutsi zaïrois et les BANYAMULENGE, qu'un certain cynisme est pratiqué contre eux. Tout le monde sait que des éléments armés des anciennes FAR et de l'ex-milice rwandaise "Interahamwe" se meuvent au KIVU comme poissons dans l'eau, au nez et à la barbe de autorités zaïroises locales, civiles et militaires, impuissantes ou complices. Tout le monde sait qu'ils ne supportent pas la vue d'un Tutsi et qu'ils en ont déjà égorgé un certain nombre.

Le cas le plus récent connu est celui d'un notable tutsi massacré début mai 1995, du côté de Rumangabo (groupement Gisigari). Il s'appelait NYANGEZI et est bien connu du Mwami NDEZE René, car beau-frère de son père Daniel. Tout le monde sait aussi que le

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cheptel bovin du Nord-KIVU, essentiellement aux mains des Tutsi, est en cours d'extermination à la fois par les réfugiés extrémistes Hutu et par des éléments de nos propres forces armées zaïroises. Malgré tout cela, on se scandalise que les Tutsi cherchent à trouver la sécurité physique au Rwanda, alors que d'autres Zaïrois vont y chercher la sécurité économique et professionnelle. Les membres de nos communautés devraient-ils donc être les seuls à être dépourvus de l'instinct de survie ? N'auraient-ils pas le droit élémentaire de se mettre à l'abri de meurtriers ?

Nous vous demandons, Monsieur le Président de la République, de bien vouloir noter que nos frères de l'intérieur du pays n'ont pas eu la sécurité qu'ils étaient en droit d'attendre de leur propre gouvernement. C'est pourquoi nous vous demandons d'user de vos prérogatives constitutionnelles auprès du gouvernement afin qu'il se donne la peine de s'enquérir du sort de nos compatriotes réfugiés dans les Etats voisins.

Ce serait trop facile d'arguer qu'il s'agit de Rwandais rentrés chez eux, quand on n'a pas été en mesure de les protéger contre les génocideurs (sic) ayant fait irruption chez nous.

Ils se sont débrouillés pour ne pas périr massacrés en masse, à l'instar de leurs "cousins"

rwandais.

Le moment venu, il faudra bien qu'ils retrouvent leurs terres. Il ne sera donc pas question de les en empêcher, en prétendant que ce sont des étrangers.

Dès que les conditions de sécurité le permettront, nous nous emploierons à dresser une liste des réfugiés zaïrois au Rwanda et en Ouganda et nous la ferons tenir au gouvernement pour valoir et servir ce que de droit.

Pour toutes les raisons exposées dans la présente, nous souhaiterions, Excellence Monsieur le Président de la République, être reçus en audience par vous-même et nous vous saurions gré de bien vouloir donner les instructions nécessaires à ce sujet.

La réponse à cette requête pourrait nous parvenir par le canal de notre aîné, l'honorable RWAKABUBA Shinga, conseiller de la République.

Nous vous prions d'agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, l'expression respectueuse de notre très haute considération.

Kinshasa, le 10 juillet 1995

Signataires de la lettre de récusation du Rapport VANGU : 1. RWAKABUBA Shinga

2. NGIRA-BATWARE 3. SEMADWINGA B. Ntare 4. NZITATIRA Mbemba 5. BISAMAZA Jean-Baptiste 6. RUDASENGULIA Nsamira 7. NTEZILYAYO Jean

8. RUASANA Mukere

9. MUNYAMAKUBA Mugisha

10. SEBANANIRA MIRINDI Alphonse 11. RWIYEREKA Mudahemuka

12. Q. MUSHONDA 13. MWINGIRA Gatungo 14. RUGWIZA MAGERA Déo 15. NGENDAHIMANA Alexandre 16. SEBIKIRI Wa Ngoho

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17. RWAMITARI Mirindi 18. RUHARULIZA Fuku

19. RWAKABUBA Ndazi-Garuye 20. MUNYARENGEMERO Muheto 21. RUTIKANGA Ndizihiwe

22. RUCHOGOZA Nkuriza 23. Jeff BARINDA

24. SERUSHAGO Kavunja Bony

25. RUKABUZA NZEYIMANA Raymond 26. MBONIMPA BANGANIZI Benoît 27. GASHINGE Mutamu

28. SENTOHIE KABOYI Anatole 29. RUKOMERA Désiré

30. GATUTSI Sebazungu 31. MUNYARUHENDO Safari 32. MUTAMBO Jondwe

33. MUNYAKAZI Mbambera 34. RUMENERA Ndabangariye 35. BIZIMANA Rukema

36. RURENZA Dan 37. BITONGO Nzabin 38. MUTABAZI Muyimanyi 39. MURINGE Mazindoka 40. MUGEMA Sempuga

Copie au Secrétaire Général de l'ONU à New York.

Si le rapport Vangu rend souvent le même son que les ragots, médisances et calomnies qui s’échangent d’un camp à l’autre dans les disputes des Grands Lacs, le « mémorandum des 40 » rend lui aussi un son connu : le génocide de 1994, les génocidaires embusqués derrière chaque feuille de tous les bananiers du Kivu, la complaisance congolaise pour les FDLR

« génocidaires »… On croirait lire un tract politique émanant du régime Kagame. Mais s’il n’y a aucune difficulté à admettre que les commissaires aient pu être influencés par les paroles et les écrits anti-tutsi largement répandus au Kivu, il est moins naturel qu’en juillet 1995 les Banyuamulenge de Kinshasa aient eu une connaissance aussi précise du discours justificateur que Bizimungu, Kagame, Mutebusi, Nkundabatware, et consorts allaient tenir parfois plusieurs années plus tard.

Cela force à prendre en considération l’hypothèse d’un « plan » déjà concu, hypothèse qui est précisément ce que le « mémorandum » reproche le plus véhémentement au rapport Vangu !

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Conséquences

La CNS et le HDR-PT étaient dans l’incapacité de trouver un remède, parce que leur composition – c’est-à-dire la forte proportion de

profiteurs du régime Mobutu dans leurs rangs, rend ait impossible de s’attaquer aux spoliations qui étaient la véritable cause des tensions dans l’Est.

Comme il n’était pas question de s’en prendre à la propriété, on continua à parler

« nationalité » sans se soucier aucunement du fait que, ce faisant, on allait renvoyer sur les routes ou dans les griffes de Kagame les véritables réfugiés rwandais, et qu’on toucherait fort peu les spoliateurs.

En effet, peu vous chaut d’être expulsé d’un pays où vous avez des propriétés, tant qu’on ne vous contexte pas la propriété de celles-ci. Vous pourrez toujours continuer à en percevoir les revenus, même si vous devrez peut-être les partager avec un gérant…

Le HCR-PT prit en considération le rapport Vangu et ses neuf exigences. Une résolution découlant de ces exigences ordonna à tous les refugies rwandais de quitter le territoire congolais avant le 31 décembre 1995

II en est résulté des refoulements de refugiés

vers le Rwanda, accompagnés de violences et la constitution de milices dans les Kivu. En effet, les réfugiés qui, à tort ou à raison, craignaient de rentrer au Rwanda, n’eurent d’autre choix que de « prendre le maquis », ce qui les fit souvent tomber dans les bras des FDLR. Or, à cette époque, ceux –ci songeaient encore réellement à la libération du Rwanda et ils représentaient donc encore une menace réelle pour le nouveau régime rwandais.

Cela mena Kagame à faire bon accueil à Kaurent Kabila et à l’appuyer auprès des Américains, afin de pouvoir envoyer au Congo des troupes qui liquideraient les réfugiés pen dant que l’AFDL règlerait son compte à Mobutu.

Tout l’Est de la RDC n’allait pas tarder à prendre feu.

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