SIR TRAVERS TWISS
ET
RÉPONSE
à
la
Revue deDroit international
--et
de Législation comparéeet au Law Magazine and Review
PAR
Un Membre de la Société Royale de Géographie d'Anvers
RUXELLES.— Imprimerie de A.-N. REG et
C,
rue Teraiken.SIR TRAVERS TWISS
ET
PAR
Un Membre de la Société Royale de Géographie d'Anvers
BRUXELLES
OFFICE DE PUBLICITÉ
A.-N. LEBÉGUE ET cie, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
40, RUE DE LA MADELEINE, 46
1884
AVANT-PROPOS
La question du Congo est mal connue en Belgique.
" L'Association Internationale Africaine " ou plutôt
» Le Comité d'Etudes « garde un silence prudent : la moisson n'est pas mûre.
Les journaux publient des communications officieuses, en se gardant bien de les discuter ; c'est peut-être un mot d'ordre.
Enfin on reproduit, un peu à
tort
et à travers, des extraits de la presse étrangère, nouvelles souvent contra- dictoires, qui ne font que rendre le lecteur plus per-plexe.
Les points de droit
n'ont
guère été traités dans nos journaux ; onn'a
vouluattirer
l'attention que sur desquestions de fait.
Mais à qui donc appartient le Congo ? et quelle est son
histoire politique? Nous allons essayer de le dire briève- ment.
Civiliser l'Afrique centrale par simple amour de
l'hu-
manité, dépenser des millions dans un but purement pla- tonique, qui le croira !
Quel projet ambitieux se cache donc sous ce drapeau pacifique?
La Belgique neutre
n'a
pas de colonies, fort heureuse- ment pour sa neutralité; son gouvernement n'en a nul souci, ce qui est très sage.Des aspirations plus hautes réserveraient-elles à notre chère patrie de nouvelles destinées; et songerait-on, dans un avenir prochain, à la doter
d'un
vaste empire colonial !6 —
C'est peut-être le rêve d'une àme généreuse; certes, ce n'est pas l'acte réfléchi d'un politique prudent.
On a vu les plus riches colonies appauvrir la mère
patrie;
il a fallu les défendre contre les autres, contre elles-mêmes.Une Belgique coloniale neutre ne se comprendrait pas;
donc pas de colonies.
Notre pays s'estime heureux d'une neutralité qui lui a assuré, pendant plus d'un demi-siècle, une prospérité
inouïe; caresser des rêves de colonisation lointaine, c'est risquer de tout perdre.
Souvenons-nous de la funeste aventure du Mexique, et craignons les projets ambitieux
: le mieux est souvent l'ennemi du bien !
Bruxelles, janvier 1884.
I
SIR TRAVERS TWISS ET » LA LIBRE NAVIGATION DU CONGO «
Sir Travers Twiss, a publié dans les nos 5 et 6 de la
Revue de
Droit
International, deux articles, dont letitre
indique suffisamment les tendances, et que nous nous permettrons d'examiner avec toute la déférence due à la personnalité éminente del'illustre
jurisconsulteanglais.Après avoir esquissé à larges
traits
la physionomie duCongo, indiquant les divers ports depuis longtemps ouverts au commerce, et nous conduisant, avec Stanley,
de Vivi à
Ibaka,
le savant écrivain signale rapidement les conditions spéciales de ce fleuve, dont naguère M. de Laveleye conseillait la neutralisation, « dansi'intérêt
desindigènes, et en vue de prévenir les rivalités et les conflits qui peuvent surgir entre les diverses nationalités établies le long de cette magnifique artère. «
Tout en sympathisant avec l'idée humanitaire de M. de Laveleye
et
de M. Moynier, qui, comme président de l'Association de la Croix Roùge, a donné une si grande impulsion à la neutralisationdu
service sanitairedes armées en temps de guerre, sir Travers Twiss s'est demandé ce que signifiait le mot de neutralité appliqué à
un grand fleuve, débouchant directement dans l'Océan.
Il
ne peut être question ici des eaux de la haute mer qui baignent les côtes ; or la neutralisation appliquée aux eaux territoriales ne peut avoir qu'un sens,
dins
les conventions internationales, celui d'interdire l'entrée de navires armés, danstout
ou partied'un
fleuve.La neutralisation du Congo serait actuellement une faute. Le fleuve
n'est
passûr;
les rives sont occupées— 8
-
par des tribus qui n'ont nullement renoncé à la
piraterie;
de plus, la traite n'a pas disparu complètement de ces parages.
Ce sont
autant
de raisons qui prouvent que la proposi- tion de M. de Laveleye, si elle était acceptée,irait
àl'encontre du
but
proposé, puisqu'elle favoriserait la piraterie, la traite, le régime de l'arbitraire, les massa- cres et les violences de tout genre.Il
ne suffit pas de lancer en avant un mot par philan- thropie,il
faut encore et avant tout, proposer des mesures pratiques, qui soient en situation, et concilient tous lesintérêts;
la neutralisation, ce nous semble,n'a
rien àvoir ici et la philanthropie de M. de Laveleye fait fausse route.
Sir Travers Twiss, reprenant l'expression employée
jadis par un illustre voyageur, M. Gerhard Rolfs, est d'avis qu'internationaliser le bas Congo, est une idée qui pourrait amener la solution d'une question difficile, si l'on suit le régime adopté en Europe pour la partie inférieure du Danube.
Cette théorie du savant jurisconsulte anglais, nous
paraît sujette à critique.
Le principe de la libre navigation des fleuves, est-il applicable au Congo?
Le Congrès de Vienne a admis ce système pour les grands fleuves artériels de l'Europe, et les puissances ont nommé des commissions internationales pour régler la navigation et faire la police de ceux-ci, lorsqu'on a pu prévoir que les intérêts opposés des riverains provo- queraient des rivalités et des conflits. Mais le Congrès
n'a
établi aucune législation pour les peuples sauvages, et sur les bords du Congo, dans sa partie navigable depuis son embouchure, il n'y a qu'une nation civiliséequi ait ou réclame des droits de souveraineté.
Le principe de
l'
internationalisation des fleuves,n'est
donc pas justifiable ici
; il n'est pas basé sur une idée nouvelle; ce n'est pas une réforme, ce n'est pas un progrès applicable partout. Toutes les nations le con-
— 9 —
naissent, bien que plusieurs ne l'appliquent pas, même
en ce qui concerne le Congo ; toutefois jamais pareille mesure
n'a
été préconisée pour d'autres grands fleuves, ni pour l'Amazone, ni pour le Nil par exemple, ni pourle Gange ; que vient-elle donc faire ici ?
Ce qui nous frappe, c'est de voir proposer des solutions empiriques, lorsqu'on n'a pas seulement tranché en prin-
cipe, la question de savoir si aucune puissance euro- péenne
n'a
de droits sur le Congo.Il
est un fait généralement reconnu, c'est qu'il y a des négociations pendantes entre le gouvernement anglais etle Portugal au sujet de la juridiction du fleuve et des
territoires du Congo, et que par le seul fait de négocier, l'Angleterre reconnaît implicitement les droits de ce dernier. Toute proposition nouvelle nous paraît donc prématurée
tant
que ce point de droitn'aura
pas été tranché.Pour le progrès de la civilisation, il est fâcheux qu'un arrangement ne soit pas intervenu depuis de longues
années.
" L'occupation du Congo par le Portugal, disait le
Précurseur d'Anvers, dans son numéro du 15 jan- vier 1883, eût fait une colonie prospère
d'un
pays aban- donné aux peuplades sauvages. C'est cet état d'abandonqui a donné naissance au mouvement scientifique et humanitaire en 1876, et engagé toute l'Europe à favoriser des expéditions destinées à civiliser le Congo, et à mettre en valeur les richesses qui y sont enfouies. «
Sir Travers Twiss estime que le régime adopté dernière- ment en Europe pour les bouches du Danube, ne saurait être appliqué au Congo du milieu et au haut Congo, les
conditions du pays qu'ils arrosent étant absolument anor-
males.
Il
oublie toutefois de nous dire en quoi elles sont plus anormales que celles du bas Congo, et nous avouons que nous avons beau chercher, cette différence des con- ditions ne nous apparaît pas. En effet les rives du haut, du moyen, et du bas Congo sont habitées pardes peuplades sauvages dont les instincts de piraterie
b
— 10 —
sont notoires; les factoreries de nationalités diverses sont établies sur le bas Congo, de même que des stations anglaises, françaises et internationales ont été fondées sur
le moyen et sur le haut Congo, et qu'il s'en crée tous les jours de nouvelles : la situation est donc identique.
Comme la possibilité d'internationaliser le Congo au delà des chutes lui paraît impraticable, l'illustre juriscon- sulte anglais propose l'application d'un autre principe, que les puissances européennes ont déjà approuvé dans ia question d'Orient, celui de la signature d'un protocole de
désintéressement touchant le Congo du milieu et le
haut Congo.
Il
nous vient ici un scrupule. Si tous les signataires dece protocole — et nous supposons pour un instant que toutes les puissances européennes y donnent leur adhé- sion, — se désintéressent du Congo, et des riches et popu-
leuses contrées qu'il arrose, à qui vont appartenir ces immenses territoires?
Se rend-on bien compte que l'étendue de l'Afrique centrale est égale au quart de la partie terrestre du
globe, que ses dimensions sont celles des deux Amé- riques réunies, ou de l'Amérique du Nord, augmentée de
l'Europe entière? Se rappelle-t-on suffisamment que ces vastes contrées ont une population estimée à trois cents ou trois cent cinquante millions d'habitants (plus d'un
cinquième de la race humaine toute entière), et que cette vaste population n'est pas destinée à disparaître, comme
les arborigènes
Je
l'Amérique, devant l'invasion de la race blanche, plus civilisée et plus forte ? Enfin que cedésintéressement, en faveur d'une Association interna- tionale, est un acte de générosité sans exemple, et que c'est lui mettre sur les épaules un fardeau sous lequel
elle doit succomber.
Le nouveau moyen préconisé par sir Travers Twiss ne nous semble pas à conseiller. S'il nous est permis d'ou- vrir une parenthèse, nous ferons observer en passant, que la politique européenne, tenue actuellement en échec dans le Tonkin, à Madagascar en Egypte presque
— 11
-
partout
enfin où elle a cru devoir faire oeuvred'initiative,
doit avoir une confiance aveugle en son efficacité, ouaimer beaucoup les aventures, pour vouloir interposer
son
autorité au
Congo, lorsquerien
ne l'y oblige,et
lorsqu'une puissance européenne, qui a des
titres
très sérieux, sinon incontestables, ne demandequ'à
voir ses droits reconnus, pour exercer son influence civilisa-trice,
et assurer latranquilité
du Congo.II
SIR TRAYKRS TWISS ET » LE PROTECTORAT INTERNATIONAL
DU CONGO "
Avant d'examiner le second article publié dans la Revue de droit international, il y a lieu, croyons-nous,
d'étudier dans The Law Magazine and Review, les idées complémentaires émises par sir Travers Twiss, sur les prétentions du Portugal.
Après quelques considérations d'ordre général, le savant pubiiciste reprenant l'historique de la question,
affirme que les cataractes qui barrent le cours du Congo
ont été un obstacle quasi providentiel, » qui en empê- chant les marchands d'esclaves de pénétrer plus avant en Afrique, ont préservé les blancs d'être considérés partout
avec une aversion justifiée. »
Sans vouloir discuter à fond cette appréciation, il nous sera permis de dire que la traite continue encore aujour-
d'hui sur une grande échelle dans l'intérieur, malgré les cataractes de lellala, et enlève annuellement 400,000 mal- heureux au sol natal, les entraînant comme esclaves dans les pays musulmans, malgré la surveillance active exercée par les escadres portugaises et anglaises (1).
Les noirs de l'intérieur aiment les blancs et reconnais- sent leur supériorité ; ils sont heureux de les posséder auprès d'eux, et ce sont ces noirs eux-mêmes qui enga- gent les voyageurs et les missionnaires à ne pas les quitter.
Ceux de la côte, abrutis par une superstition aveugle, ne
(1) Annales de la Société royale de géographie d'Anvers
— 13 —
progressent pas, et s'opposent à toutes les améliorations.
Le fétichisme est la plaie de ces contrées ; il faudrait, pour soustraire les indigènes à cette funeste influence, pouvoir les déplacer.
Les Cabindes marchent vers une sorte de civilisation, parce qu'ils quittent volontiers leur pays, et s'attachent
à imiter les blancs. Quant aux autres noirs, ils n'ont tiré aucun profit de leur contact avec la civilisation; pares- seux, astucieux, voleurs, ils ne se sont pas élevés d'une ligne sur l'échelle de l'intelligence humaine. Malgré la disparition de la traite sur le fleuve même, malgré les preuves qu'ils ont chaque jour de l'absurdité de leur croyance, on ne peut leur ôter de l'esprit que les blancs les mangent.
Si ces nègres sont restés sauvages, alors que presque tous les autres peuples progressaient, il ne faudrait pas en déduire qu'ils ne sont pas perfectibles. Le noir
n'est
pasinférieur au blanc de naissance; la preuve en est que les quelques petits enfants qui ont été élevés dans nos pays
civilisés, apprennent aussi facilement que nos enfants, et leur intelligence atteint le même degré de développe-
ment : malheureusement la superstition entrave tout
progrès (<).
Il
est certain que dans le passé, l'intérieur du Congo a été exploré avec soin par des envoyés portugais, par desmissions religieuses. Tous les voyageurs modernes y con-
statent l'existence des débris de temples élevés à une
époque déjà fort ancienne, et, chose digne de remarque,
les cartes du xvi° siècle nous représentent, sinon d'une manière très exacte, du moins d'une façon approxi- mative remarquable, la plupart des grandes découvertes modernes. C'est ce qui explique, et les documents officiels en font foi, que le Portugal seul a dépensé plus de deux cent millions pour la conquête et la colonisation de ses vastes possessions de l'Afrique australe.
(]) Voyez : Quatre années au Congo. — Charpentier, éditeur, 1883.
Pp. 157 et 204.
-
14 —Il faut donc
attribuer
à des causes indépendantes de sa volonté, la situation actuelle du Congo. Mais grâce à l'initiative généreuse de quelques hommes énergi- ques, ce vaillant pays travaille sérieusement à redevenir digne de ses ancêtres.Il
reporte toute son attention surses colonies d'Afrique, et avant tout sur le Congo. Cette
préoccupation s'explique naturellement par les décou-
vertes des dernières années, qui ont donné l'élan à la société de géographie de Lisbonne et stimulé le gou- vernement : les projets du chemin de fer de Ambaca
et de Lorenzo Marques au Transvaal sont dus à son initiative (1).
Sir Travers Twiss est d'avis que les gouvernements doivent empêcher que l'invasion de la civilisation euro- péenne, ne devienne pour les indigènes un fléau, au lieu
d'être
un bienfait : « L'homme blanc, ancien esclavagiste, doit des compensations aux nègres qu'il a autrefois exploités et vendus. Les gouvernements chré- tiens de l'Europe et de l'Amérique devraient prendre des mesures afin que l'oeuvre privée, entreprise sous unhaut
patronage, ne vînt échouer à cause des compétitions européennes elles-mêmes. «
Nous partageons entièrement cette manière de voir.
Qui nous dit que sans l'établissement d'une juridiction légitimement reconnue, nous ne verrions pas bientôt dans
ce vaste empire du Congo, des territoires anglais, alle- mands, belges, hollandais, avec des frontières armées, et
des forts hérissés de canons, le tout au grand dommage
de la civilisation? Le spectacle de nos rivalités, et peut- être un jour de nos hostilités,
aurait
donné aux sauvages que nous avons la prétention de civiliser, une bientriste
idée de nos moeurs, et de l'avenir que nous leur ré-
servons.
La question est de savoir quelle sera cette juridiction.
(1) Bulletin de la Société de géographie d'Anvers, t. VII. L'Afrique aus- trale et les Portugais, par le Dr Delgeur, 1er vice-présidentde la Société.
Pp. 55 et 56.
— 15 —
Comme le
dit
très bien sir Travers Twiss, « aucun gouvernement européen n'exerce une juridiction reconnuede tous, sur le fleuve et ses rives, et lorsque des crimes sont commis, des juges improvisés ont du souvent prendre sur eux d'exécuter leur sentence, et le sentiment de leur
faiblesse les a conduits, dans le
but
même de leur propredéfense, à avoir quelquefois recours à des mesures de sévérité qu'une autorité constituée
n'aurait
pas été dansle cas de devoir adopter. »
Comment cet état de choses s'est-il produit? Le gou- vernement de Lisbonne, chacun le sait, a émis de
tout
temps, des prétentions sur la possession du Congo et de
ses rives; nous allons voir avec sir Travers Twiss, la
légitimité de ses revendications.
Les Portugais occupaient autrefois le Congo.
En 1838 ils
prirent
des mesures pour fonder de nou-velles stations, mais leur initiative fut contrecarrée par l'Angleterre, qui dès 1842, souleva des objections contre
une occupation effective.
D'après nous, il ne s'en suit pas que le Portugal
ait
abandonné ses droits ; il semblerait démontré au con-
traire
que son plus vif désir est d'occuper, sans contes-tation, des territoires qu'il revendique comme siens, et dont depuis 1842, il négocie avec l'Angleterre, la libre et tranquille possession.
En
attendant
qu'une solution intervienne, certains jurisconsultes, plus philanthropes que diplomates, ontproposé, nous l'avons dit plus haut, d'établir sur le Congo un contrôle international, comme pour le Danube.
A ce sujet, sir Travers Twiss estime que le Portugal peut être disposé à objecter que ce contrôle porterait atteinte à ses droits de souveraineté. Si le Portugal était
prêt
à accueillir tel arrangement qui lui conférât lesdroits de juridiction sur la rivière et ses embouchures,
l'illustre
avocat, anglais pense, mais sans dire sur quoi il base ses suppositions, que le Portugal ne serait pas àmême de donner satisfaction aux réclamations actuelles, pour le présent, et moins encore dans l'avenir.
— 16
-
Il
nous semble que sir Travers, oublie, peut-être un peu volontairement, que si lePortugal n'a
pas exercé sonautorité
sur le Congo, c'est à l'Angleterre qu'on en est redevable, puisque cette dernière puissance s'est opposée à l'exercice de ces droits. Affirmer sans preuves probantes, que le Portugal neserait
pas à même de donner satisfac- tion aux réclamations actuelles, lorsqu'il maintient parfai- tement l'ordre dans ses colonies voisines d'Angola,et
lorsqu'enfin chaque fois que son concours a été requis, il
a su châtier les pirates sur le Congo, c'est, pensons-nous, fermer volontairement les yeux à l'évidence.
Si M. Hopkins, consul d'Angleterre à
Saint-Paul
de Loanda, capitale d'Angola, et résidencedu
gouverneurgénéral des possessions portugaises sur la côte occidentale d'Afrique, a pu écrire en 1877 à Lord Derby, ministre
des affaires étrangères, que « tous les blancs entre Angola
et
le Gabon prétendentqu'il
n'y a pas de loi,qu'ils
nerelèvent d'aucun gouvernement, et font ce qu'ils veulent, »
à qui la faute? Au
Portugal,
qui depuis 1842 demandaitavec instance, que ses droits fussent reconnus
par
l'Angle- terre, pour maintenirl'ordre
sur le fleuve et ses rives, ou à l'Angleterre, qui se refusait à permettre l'occupationeffective
du
Congo?Et
cependant en 1845, lorsd'une
convention conclue entre la France et l'Angleterre pour la suppression de la
traite
des noirs au Congo, Lord Aberdeen ministre des affaires étrangères, en contradic- tion certainement avec lui-même,déparait,
« une foispour toutes que la convention
n'avait
pas pourbut d'usurper
d'aucune façon les droits du Portugal. »D'ail-
leurs, l'affirmation de M. Hopkins, est très sujette à
caution, comme nous le démontrons plus bas.
Sir Travers Twiss, faisant allusion aux droits de sou- veraineté revendiqués par le
Portugal,
quipourraient
être cause, selonlui,
que celui-cin'adhérât
pas àl'éta-
blissement d'une commission riveraine internationale, ose
affirmer que l'Angleterre a toujours contesté ces pré- tentions.
Avec tout le respect que nous professons pour
la
haute-
17-
personnalité
de sir Travers Twiss, nous nous permet-trons
delui
faire observer quel'Angleterre n'a pas
toujours contesté les
prétentions
portugaises ;il
nelui
est venu des scrupules que depuis 1842. Pourquoi dès lorsn'a-t-on
pas songé à proposerl'établissement d'une
commissioninternationale
au Congo puisque à cette époque il y avait déjà sur le fleuve àPonta
daLenha,
à Borna, à Chengo, Canzi,Pedra
do Peitico,Cabinda,
etc., des factoreries hollandaises, anglaises, françaises,portugaises?
A quelle influencesupérieure
est dueaujourd'hui
cette levée de boucliersd'un
nouveau genrepour
l'établissementd'un protectorat international?
Nous reconnaissons avec
tout
le monde,qu'il
faut quela
sécurité de l'existence et de lapropriété
soient assurées dansun
pays oùmaintenant
règnel'anarchie,
et oùla force prime le
droit. Il
fautétablir
des Cours dejustice,
afin deréprimer
les actes decruauté,
et lesoutra-
geuses représailles
qu'ils entraînent;
afin aussid'éviter
que les
parties
léséesne
soient obligées de faire appelau
gouverneur de
Loanda,
qui réside à des centaines de milles de là, ou à descapitaines
debâtiments
de guerre,que le
hasard
amène dans ces parages.Quant
à l'esclavage et à latraite, sir
Travers Twissreconnaîtra
lui-même, qu'en 1836, lePortugal
a faitpublier un
décretinterdisant l'exportation
des esclaves de ses colonies.C'est
sous ses auspicesqu'a
été conclu en 1842 avecl'Angleterre,
letraité tendant
àrendre
beaucoup plus efficace la suppression dela traite;
c'estencore
lui
qui, en 1854, apris l'initiative pour l'abolition
complète de l'esclavage dans toutes ses colonies ; les nègres
appartenant
au gouvernementont
été affranchis,et
la même mesure étendue, en 1856, aux esclaves des corporations municipales, des établissements decharité, et
des églises. Bref, en 1876, iln'existait
plusun
seulesclave dans aucune des colonies portugaises.
Ce que le
Portugal
a fait dans tous les endroits placéssous son
administration
immédiate,il pourra
l'accomplir également au Congo, dèsqu'il
yaura établi
sonautorité
— 18 —
d'une façon permanente. C'est cette prévision qui a
soulevé les clameurs de certaines maisons de commerce européennes établies au bas Congo, où elles se livrent à
l'achat
et à la vente des esclaves, et exploitent le travaildes nègres.
Voici de quelle manière spécieuse, sir Travers Twiss essaie de prouver que l'Angleterre s'est toujours refusée à
reconnaître les prétentions portugaises :
" II ne peut être soutenu victorieusement, que l'Angle- terre a reconnu des droits de souveraineté dans le
traité
d'alliance, conclu avec le Portugal, le 19 février 1810, ni dans letraité
pour l'abolition de l'esclavage, signéle 22 janvier 1815, ni dans
l'article
additionnel dejuillet
1817, quoique d'éminentes autorités portugaises aient soutenu cette interprétation.a On peut certainement admettre que le
Portugal, par
ces
traités,
a consigné ses prétentions sur les territoires de Cabinda et de Molembo, au nord du Congo, maisd'un
autre côté, il a reconnu, qu'à ce moment, il ne les occupait pas. Il est à peine raisonnable pour le Portugal, d'insister aujourd'hui, en vertu de priorité de découvertes remon-tant
à 400 ans, lorsqu'il a lui-même renoncé virtuellementà toutes ses revendications au nord du cap Padron, par une déclaration annexée au
traité
de Pardo, mieux connusous le nom de
traité
de Madrid de 1786, conclu entre la Erance et le Portugal, sous la médiation de l'Espagne.Dans cette déclaration, le Portugal limite, ses prétentions
au territoire sud de la rivière Zaïre, pendant qu'il recon- naît le droit à la France, à la Hollande et à la Grande- Bretagne, de faire librement le commerce avec la côte du nord de la rivière. Il est bon de remarquer que dans cette déclaration, le droit de la France de faire le commerce avec les peuples de la côte du nord du Congo, contraste
avec
la
liberté detraiter
avec les peuplades de la côte, jusqu'à Ambriz et Massula au sud, si une pareille libertéétait laissée à l'Angleterre et à la Hollande.
«
Je
ne me propose pas en cette circonstance d'entamer une discussion au sujet des prétentions duPortugal.
— 19 —
L'Angleterre
a formellement rappelé en 1846 ses objec- tions à cette réclamation,et
a refusé de reconnaîtreau Portugal
aucun droit de domination absolue sur la côte au nord du port d'Ambriz, situé à 7° 52" delatitude
sud.Mon
but
en faisant allusion à la controverse qui existe actuellement ausujet
des prétentionsdu Portugal,
àexercer ses droits de souveraineté
sur
la côte del'Afrique australe, n'a
étéd'aucune
façon de dénigrer ou de mépriser les susditesprétentions,
maisplutôt
de montrer qu'ellespeuvent
donner lieu à des difficultés diplomatiques de sapart,
si les puissances européennesdont
les sujets sont intéressés à la navigation du Congo étaient disposés à semettre
d'accordpour
exercer un protectorat internationalau
Congo." De
plus,
les réclamations duPortugal au
sujetde l'exercice
d'une
espèce de suzeraineté sur la côte du bas Congo,s'appuient sur d'autres
considérations que la découverte de l'embouchure du fleuve par Diogo Câm en 1484. LePortugal
semble avoir exercé de temps aautre un protectorat
sur le » Mani Congo « ou roidu
Congo,
et
avoir dans ces dernières années, donné à ceprotectorat un
caractère de suzeraineté, en exigeant du Roi, lors de son accession au trône, un hommage etun
serment de fidélité à la couronne de
Portugal.
On a égalementprétendu
que la suzeraineté s'étend actuellementsur
les chefs de Cabinda et de Molembo, à la côte nordde la rivière du Zaïre, parce que ces chefs ont payé un
tribut
au Roi du Congo, lorsque celui-ciétait
indépendantdu Portugal. D'un autre
côté, onpeut
dire que si le Roidu
Congo se reconnaissait comme vassal de la couronne dePortugal,
ilplaçait
simplement son propreterritoire
sous
la
suzeraineté portugaise,et
enabdiquant
son indé- pendance, il faisait abandon de son propre droit de suzeraineté sur tous les chefs voisins, qui ne voulaient pas devenir vassaux de la couronne de Portugal, à moins de faire hommage et deprêter
serment de fidélité, àleur tour.
11n'y
a donc pas de doute que si lePortugal
a le
droit
de considérer le roi du Congo comme son— 20 —
vassal, ses ancêtres devinrent vassaux de la couronne de Portugal longtemps avant le
traité
de Madrid de 1786.— Mais dans ce traité, le Portugal ne réclamait pas la
suzeraineté sur Cabinda et Molembo, si elle reconnaissait
le droit à la France, à l'Angleterre et à la Hollande, de
faire librement le commerce avec les peuples de la côte septentrionale de la rivière du Congo. »
Nous allons prouver que c'est le contraire qui est vrai.
" La question
d'un
protectorat international serait trèssimplifiée si le Portugal
était
disposé à limiter ses préten- tions à des droits de suzeraineté sur le territoire directe- ment soumis auparavant au Roi du Congo, parcequ'un
tel droit de suzeraineté ne serait pas en désaccord avec les
traités pour la suppression de la
traite
des nègres, que l'Angleterre a conclus avec le chef de Cabinda, et avec lesdifférents chefs de la rivière du Congo, entre 1854 et 1876. — Si le Portugal avait exercé à cette époque une souveraineté directe sur les deux rives du fleuve, ces traités eussent été sans valeur, mais leur validité
n'aurait
pas été attaquée, par la reconnaissance des droits de suzeraineté du Portugal sur le Congo proprement
dit.
»Nous avons crû devoir faire cette longue citation,
parce qu'elle démontre combien les revendications du Portugal même contestées par l'Angleterre, mais seule-
ment depuis 1842 et non
pas
avant, sont sérieuses.Avant de discuter à fond les points historiques sou-
levés par sir Travers Twiss, il. nous a paru curieux de connaître l'opinion des géographes modernes, sur une
question aussi importante. Voici le résultat de nos recherches.
La grande carte de A. Keith Johnson, d'accord avec la politique anglaise, ne reconnaît les droits du Portugal que jusqu'à la rivière Ambrizette, soit vers le 7° environ;
les territoires, depuis le fleuve Congo, y compris les deux rives à l'embouchure, sont marqués comme indépendants.
Le Stieler's
Hand
Atlas, dans son édition en 63 feuilles,reconnaît