Dieu, la ntorale et
les droits de l'Hoinllle
D
ans un numéro parlant desdroits de l'Homme, l'objet principal de la religion, Dieu, a tout naturellement sa place. Il y a toutes sortes de dieux. Mais, dans le monde occidental, c'est Dieu qui exerce la plus grande influence. C'est le dieu qui est honoré par les juifs, les islamistes et les chrétiens, un dieu auquel sont attribuées des qualités telles la sainteté, la bonté et la toute-puissance. Ce dieu est consi-déré comme le créateur de la terre et du ciel et, important pour nous, également le créateur de l'être humain. Un tel dieu, on l'appelle Dieu, avec une majuscule donc, dans la tradition occidentale.
Dieu a un comportement tout à fait diffé-rent de celui des dieux grecs. Selon le philosophe Épicure, les dieux grecs ne s'occupaient pas du monde. Pour cela, ils étaient bien trop "divins". Ils vivaient dans un climat de béatitude et n'allaient pas permettre que le grouillement terres-tre leur porte ombrage. Tout comme nous, hommes, nous n'allons pas inter-venir dans les guerres que se livrent deux . colonies d~ fourmis et nous n'allons pas tenter de convertir les tigres au végéta-risme, les dieux grecs n'allaient pas se mêler des petites affaires humaines. Avec Dieu, il en va tout autrement. Dieu nous aide, nous soutient. On peut s'adresser à Lui par une supplique. Selon certains, par une prière directe, selon d'autres, par l'intermédiaire de person-nes spécialement formées à cet effet. Mais, quoi qu'il en soit, Dieu est "appro-chable". Dieu n'est pas seulement acces-sible, il nous approche aussi. Il s'adresse aux hommes en exprimant ses désirs. Et, les désirs de Dieu sont pour nous des commandements. Les commandements les plus connus que Dieu a adressés aux hommes sont les «Dix Commande-ments». Étant donné l'origine divine de ces commandements, ceux-ci ne consti-tuent pas simplement dix conseils de conduite ou dix suggestions, mais bien dix ordres absolus, à respecter en toutes circonstances.
À ce sujet, il y a cependant un important conflit entre la pensée moderne qui culmine dans les déclarations des droits de l'Homme de l'après-guerre et les morales des grandes religions du monde. D'ailleurs, les Dix Commandements sont, en divers points, en contradiction · avec les droits des Hommes. «Vous ne briserez point les liens du mariage» est en contradiction avec la législation sur le
mariage de la plupart des pays européens modernes. «Vous n'aurez pas d'autres dieux devant ma face» contredit la liberté de religion et d'opinions. L'inter-diction de travailler le jour du sabbat n'est plus considérée aujourd'hui, dans aucun pays, comme une norme.
La question est alors de savoir quoi faire lorsqu'un commandement divin est en contradiction avec un des droits de l'Homme. Un fondamentaliste choisit, conséquent avec lui-même, l'ordre divin. Mais, la toute grande majorité des
Déclaration des droits de l'Homme, 1789. Docu.
religio!1s, est phénoménal. Ce que l'Eglise catholique n'a pas réussi avec l'Inquisition et mille ans de missions, a été accompli en cinquante ans par la tradition des droits de l'Homme. Ce que l'islam et toute son ardeur à convertir le monde ont raté, la tradition des droits de l'Homme 1 ' a ré u s s i . Le s dr o i t s de l'Homme ont depuis lors repoussé sans bruit à 1' arrière-plan toute tradition religieuse comprenant des prescriptions morales avec lesquelles ils sont en contradiction.
À mon avis, c'estle progrès, et la preuve en est que la tradition des droits de l'Homme est devenue la principale perspective morale
Femmes dans la prison d'Evin à Téhéran. Photo Sipa Press qui a reçu une adhésion
mondiale et nous pensons tous la même chose. Même si tout le apparence. Nous sélectionnons dans les
écrits religieux ce qui nous semble valable et laissons tomber le reste. Ce n'est que très tard dans l'histoire de l'hu-manité que nous avons, plus ou moins, reconnu cela officiellement. En 1948, dans le préambule de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, il est dit que les droits de l'Homme, en tant qu'idéal des peuples, sont basés sur la «dignité inhérente» de l'être humain. Donc pas sur la volonté de Dieu, mais sur une caracté~istique de l'être humain : la
Espace de Libertés 2651 Novembre 1998
dignité. Jamais encore dans l'histoire de l'humanité, cela n'avait été dit. Toutes les déclarations précédentes concernant le droit supérieur étaient basées sur la notion de créateur qui avait transmis certains droits aux hommes. Ce n'est qu'après en avoir terminé avec la notion de Dieu, base de tous les droits, que la tradition des droits de l'Homme a pu conquérir le monde en tant qu'"espé-ranto" moral contraignant pour tous les peuples. Le succès de la tradition des droits de l'Homme comparé à celui des
monde ne va pas le déclarer aussi
ouver-tement. ·
lill
Paul Cliteur
Professeur de droit et de philosophie aux universités de Leiden et de Delft
Traduction d'Anne Lowyck extraite de Libertés !, mars 1998, publication d'Amnesty International.
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