(1er décembre 2007. Journée mondiale de la lutte contre le sida)
Sida : et si l’on s’intéressait à ceux qui progressent ?
En moins de dix ans, les fonds disponibles annuellement pour la lutte contre le sida ont été multipliés par 16. De 0,5 Milliards de dollars en l’an 1996, on est passé à 8 Milliards1 en 2005. Mais les résultats sont très loin, d’avoir suivi une courbe semblable : pendant la même période, la proportion des enfants bénéficiant des services de prévention de la transmission du VIH a progressé de 7 à 9 %. Et, alors que l’OMS et ONUSIDA s’étaient engagés à assurer l’accès aux antirétroviraux pour 3 millions de personnes dès 2005, seuls 2 millions de personnes en bénéficiaient fin 20062.
A lire ces chiffres on serait tenté d’adhérer aux déclarations de certains responsables mondiaux qui, après plus de vingt ans de lutte contre le sida, déclarent que « nous » sommes en train de perdre la bataille3. On serait tenté de se résoudre à ce remplissage du tonneau des danaïdes qu’illustrait le Secrétaire Général des Nations Unies à son retour de la Conférence Mondiale sur le VIH/SIDA à Bangkok, en déclarant en substance : « Il y a plus de malades ; il nous faut mobiliser plus d’argent ».
Ignorait-il donc - comme la grande majorité des 14 000 participants à la conférence - que les Thaïlandais du Nord ont jugulé leur épidémie ? Savait-il que dans la province de Phayao la proportion des jeunes gens âgés de 21 ans vivant avec le virus est passée en dix ans de 18% à 0,9 % ? Savait-il qu’une évolution parallèle a eu lieu dans l’ensemble de cette région de 10 millions d’habitants ? A-t-il intégré le fait que les habitants de cette région sont parvenus à ce résultat avant tout par eux-mêmes ?
La bataille contre le sida peut donc être gagnée, ou du moins « gagnante ». Encore faudrait-il mettre fin à l’illusion selon laquelle l’accroissement des budgets est le passage obligé d’une réponse efficace. Il faudrait aussi accepter une réalité dérangeante : les pays riches, avec leurs devises tant convoitées, leurs plans, leurs experts, poursuivent une fuite en avant, une stratégie de l’échec qu’ils constatent mais ne remettent pas en cause.
L’on ne peut se limiter à mettre en place les moyens de prévention et de soins. Il faut d’urgence revoir l’approche, il faut enfin nous inspirer des pays qui progressent.
C’est ce que fait la Constellation4 et ses partenaires en proposant, depuis deux ans, une nouvelle approche qui s’appuie sur les leçons apprises par la Thaïlande, l’Ouganda et le Brésil. Ces trois pays ont progressé dans la lutte contre le sida pour une même raison essentielle : la société civile, et en particulier les groupes communautaires, se sont réellement approprié la lutte quotidienne contre le sida. Et alors qu’ailleurs les gens entendent parler du sida, mais n’en parlent pas, dans ces pays, les gens en parlent ouvertement. Et dès lors, ils
1 AIDS: from crisis management to sustained strategic response, P. Piot, Lancet 2006, 368, 526-30
2 Towards universal access: scaling up priority HIV/AIDS interventions in the health sector, Progress report, April 2007, WHO, UNAIDS, UNICEF
3 Still Losing the AIDS Fight, R. Holbrooke, Washington Post, Tuesday, Oct 9, 2007; Page A17
4 Constellation pour la compétence face au sida, www.aidscompetence.org
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agissent. L’action ne s’est pas limitée à l’adoption d’un énième Grand Plan. Les progrès sont le résultat de milliers de réponses locales.
La Constellation stimule et connecte ces réponses locales, aujourd’hui dans vingt pays dans le monde. Ses membres ne viennent pas pour distribuer des brochures, du matériel ou de l’argent, mais pour stimuler la parole de ceux qui détiennent, in fine, la clé du progrès : les personnes confrontées dans leur vie privée et publique à la question du sida.
Et les résultats sont là. Un exemple parmi cent : En République Démocratique du Congo, le nombre de dépistages volontaires parmi les 1000 policiers de l’Unité de Police Intégrée est passé de 0 à 400 en six mois et la demande de préservatifs s’est multipliée.
N’est-il pas temps de s’intéresser à ce qui fonctionne, à ceux qui progressent ? Dès lors, n’est- il pas temps d’inscrire à l’agenda la facilitation des réponses locales ?
Ou doit-on considérer comme une fatalité le terrible constat de cette année 2007 où, pour chaque personne ayant accès aux rétroviraux, six autres sont infectées5 ?
Dr Jean-Louis Lamboray
Président de la Constellation pour la compétence face au sida
Information et contact : Laurence Gilliot
+ 32 486 29 02 42
laurencegilliot@gmail.com http://www.aidscompetence.org
5 Speech at Woodrow Wilson International Centre for scholars, P. Piot, 20 September 2007
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