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La presence de l’invisible dans les espaces et les lieux comme revelateur de l’identite dans Felix et la source invisible d’Eric-Emmanuel Schmitt

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Academic year: 2021

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dans Félix et la source invisible d’Éric-Emmanuel

Schmitt

by

Dawn Elizabeth Saunders

Thesis presented in fulfilment of the requirements for the degree Master of Arts (French) Stellenbosch University

Supervisor: Dr Éric Levéel Department of Modern Foreign Languages (French) Faculty of Arts & Social Sciences

(2)

i

Declaration

By submitting this thesis/dissertation, I declare that the entirety of the work contained therein is my own, original work, that I am the sole author thereof (save to the extent explicitly otherwise stated), that reproduction and publication thereof by Stellenbosch University will not infringe any third party rights and that I have not previously in its entirety or in part submitted it for obtaining any qualification.

December 2020

Copyright © 2020 Stellenbosch University. All rights reserved

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ii

Résumé

Éric-Emmanuel Schmitt a écrit huit contes philosophiques qui composent Le cycle de

l’invisible, chacun abordant une forme différente de spiritualité. Dans chaque histoire, une

personne est confrontée à des moments traumatisants et fait soudainement face à son existence. Il s'agit d'une expérience spirituelle et, plus précisément, dans le conte philosophique Félix et la source invisible, de la spiritualité animiste. L'animisme nous conduit dans un monde invisible, où cette forme de spiritualité est étrangère et presque inconnue du monde occidental.

Pour mieux comprendre l’importance de la spiritualité chez les personnages, la théorie de la géocritique de Bertrand Westphal est utilisé pour démontrer et analyser l'interaction des personnages avec les espaces et les lieux, selon les quatre piliers de son travail : la multifocalisation, la polysensorialité, la stratigraphie et la référentialité. De même, les théories de Robert Tally, à savoir l'influence des espaces sur le corps, les "autres espaces", le GPS comme métaphore de la formation de l'identité et de la transgression dans les espaces et les lieux, sont également exploitées. En outre, le concept de la transgression – abordé dans le livre à travers deux pays distincts qui sont la France et le Sénégal –, nous permet d’examiner la manière dont l'héritage ou les racines d'une personne forment une identité dans des lieux et des espaces spécifiques, mais aussi de voir le résultat qui survient lorsque nous nous coupons de nos racines. L'identité de chaque personne se crée tout au long de sa vie et ses racines sont profondément ancrées dans la connaissance de qui elle est et d'où elle vient.

En explorant certains rituels ou comportements souvent considérés comme étranges et parfois totalement invisibles pour une personne qui ne connaît pas le monde de l'animisme, nous faisons connaissance avec des esprits, des guérisseurs ou des totems qui nous invitent dans un monde spirituel poétique. L'invisible se retrouve non seulement dans le non-dit, dans les comportements et les émotions des personnages, mais aussi dans la dualité culturelle des deux pays. Il est nécessaire d'accorder une attention particulière à ces aspects pour mieux comprendre ce qu'est la vérité et de ne jamais juger en surface.

Finalement nous mettons également en lumière le fait que, dans toute forme de spiritualité, il y a l’amour inconditionnel et ce n’est que lorsqu’il est atteint qu’une personne peut s'épanouir et être en paix.

(4)

iii

Abstract

Éric-Emmanuel Schmitt has written eight philosophical tales that form part of The Invisible

Cycle, where each one deals with a different form of spirituality. In each story, a person is

confronted with traumatic moments and suddenly comes face to face with his own existence. This is a spiritual experience and, more specifically, in the philosophical tale Felix et la

source invisible , animist spirituality. Animism leads us into an invisible world, where this form

of spirituality is foreign and almost unknown to the Western world.

To better understand the importance of spirituality in the different characters, Bertrand Westphal's theory of Geocriticism is used which demonstrates and analyzes the interaction of characters with spaces and places in literature. The four pillars of his work are: multifocus, polysensoriality, stratigraphy and referentiality. Similarly, Robert Tally's theories, namely the influence of spaces on the body, "other spaces", GPS as a metaphor for identity formation and transgression in spaces and places, are also explored. In addition, the concept of transgression - discussed in the book through two distinct countries, France and Senegal - allows us to examine how a person's heritage or roots form an identity in specific places and spaces, but also to see the result that occurs when we cut ourselves off from our roots. Each person's identity is created throughout his or her life and the roots are deeply anchored in the knowledge of who they are and where they come from.

By exploring certain rituals or behaviors, often considered strange and sometimes totally invisible to a person who is not familiar with the world of Animism, we become acquainted with spirits, healers and totems that invite us into a poetic spiritual world. The invisible is found not only in the unsaid, in the behaviors and emotions of the characters, but also in the cultural duality of the two countries. It is necessary to pay special attention to these aspects to better understand what truth is, and never to judge someone according to their looks and appearances.

Lastly, the study highlights the fact that in all forms of spirituality there is unconditional love and only when it is attained, can a person blossom and be at peace.

(5)

iv

Remerciements

Je tiens à remercier mon directeur de mémoire, M. Éric Levéel, pour son aide précieuse, ses conseils et le temps qu’il m’a consacré. Cette année a été marquée par de nombreux défis lors de l'épidémie de Covid-19, M. Levéel a néanmoins toujours fait preuve de patience et est resté fidèle à son éthique de travail.

MJ- merci infiniment.

(6)

v

Le monde se donne à qui le contemple… (Schmitt, 2019a : 94)

(7)

vi

Table des matières

Déclaration

i

Résumé

ii

Abstract

iii

Remerciements

iv

Introduction

x 1. La spiritualité et l’animisme xi 2. La géocritique xii 3. L’identité xiii

Chapitre 1

Félix et la source invisible

1 1.1 Le conte philosophique - Félix et la source invisible 1

1.1.1 Biographie sommaire d’Éric-Emmanuel Schmitt 1

1.1.2 Le livre dans son contexte 5

1.1.3 Résumé du conte 7

1.1.4 L’intérêt de ce livre 8

1.1.4.1 La conversion 8

1.1.4.2 L’identité 9

1.1.4.3 L’enfance 9

1.1.5 L’intérêt de l’analyse géocritique dans ce livre 10

1.2 Le genre et la structure du livre 11

(8)

vii

1.2.2 Les éléments du conte philosophique selon

Éric-Emmanuel Schmitt 12

1.2.2.1 Les personnages 13

1.2.2.2 Les symboles 14

1.2.2.3 Les dialogues 16

1.2.2.4 Le monologue intérieur de Félix 17

1.2.3 La structure : les trois chapitres 18

1.3 Conclusion 19

Chapitre 2

La géocritique en tant qu’outil critique révélateur de l'invisible et de

l'identité

20

2.1 Les quatre principes de la géocritique selon

Bertrand Westphal 21

2.1.1 La multifocalisation 21

2.1.2 La polysensorialité 23

2.1.3 La stratigraphie 26

2.1.4 La référentialité et l’intertextualité 29

2.2 Les quatre principes de la géocritique selon Robert Tally 31

2.2.1 Les coordonnées de GPS comme métaphore d’une

construction de l’identité dans la littérature 31

2.2.2 La transgression 33

2.2.3 Les « autres » espaces 35

2.2.4 L’influence de la géographie sur le corps 37

2.3 L’entrelacement des idées de la géocritique 39

2.4 L’identité révélée 41

2.4.1 Les lieux et les espaces comme révélateur de

(9)

viii

2.4.1.1 Fatou : dualité identitaire et spatiale ? 42

2.4.1.2 Félix : identité et singularité spatiale 45

2.4.1.3 La relation de Félix avec son père 46

2.4.1.4 Le hasard et l’identité 50

2.4.1.5 L’identité : une histoire à raconter 51

2.5 Conclusion 53

Chapitre 3

L’invisible comme fil d’Ariane

54

3.1 Les personnages 54

3.1.1 Fatou 54

3.1.2 Oncle Bamba 59

3.1.3 Madame Simone 62

3.2 Le non-dit 65

3.3 L’Invisible dans la spiritualité et les croyances 68

3.4 La spiritualité animiste 71

3.4.1 L’animisme au Sénégal dans Félix et la source invisible 72

3.4.1.1 Les marabouts 74 3.4.1.2 Les symboles 79 3.4.1.3 Le chien jaune 82 3.4.1.4 Le feu et l’eau 83 3.4.1.5 Les rites 83 3.5 Conclusion 86

(10)

ix

Chapitre 4

Les interactions entre l’identité, la spiritualité, l’invisible, les

espaces et les lieux au service du questionnement sur les

croyances

87

4.1 Comment l’interdépendance de la géocritique, de l’identité

et des espaces-lieux mènent à « la source invisible » ? 87

4.1.1 La géocritique et l’identité 87

4.2 L’amour comme source de l’invisible (ou comme révélateur de toute croyance) 94

4.2.1 L’amour inconditionnel 98 4.2.2 L’amour inconscient 98

4.2.3 L’amour et la liberté 99

4.3 Conclusion 100

Conclusion

102

La représentation de l'espace dans l'univers fictionnel explore

certains liens avec la réalité

103 1. L’analyse de la géocritique 104 2. La spiritualité animiste 106 3. L’identité 106 4. L’amour inconditionnel 107

Bibliographie

111

Annexe

120

(11)

x

Introduction

Celui qui regarde bien, finit par voir.

Proverbe africain

Le conte philosophique, Félix et la source invisible, fait partie du Cycle de l’invisible. Il s’agit d’une série de sept récits d’Éric-Emmanuel Schmitt, indépendants les uns des autres, qui abordent tous les thèmes de la spiritualité.

L’intérêt que porte Schmitt à la religion provient d’une expérience personnelle. Au début, il était athée, puis il est devenu agnostique, jusqu’à sa conversion qui commence une nuit dans le Sahara. Les mots lui manquent pour décrire son expérience, quand il se rend compte que c’est par le cœur que nous sentons l’appel de la spiritualité et non par la raison. « Quand nous rencontrons la sollicitation de

l’invisible, nous nous débrouillons avec ce cadeau » (Schmitt dans Lalanne, 2015 :

209).

Il avoue qu’après cette expérience, il a pu mieux appréhender toutes les religions, puisque dans chacune d’entre elles, se trouve le mysticisme. Un autre monde s’ouvre alors à lui. Il découvre des âmes sœurs intimes à diverses époques, dans des religions différentes en différents lieux du monde. Il décide alors de partager son point de vue : « […] je voulais, dans mon écriture, faire ressentir aux lecteurs ces

différents continents spirituels » (Schmitt cité par Hamouchi, 2019 : 1).

Il entame ainsi son Cycle de l’invisible en écrivant Milarepa (1997), dans lequel il parle du bouddhisme ; puis, dans Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran (2001), de l’islam ; Oscar et la dame rose (2002), du christianisme ; L’enfant de Noé (2004), du judaïsme ; Le sumo qui ne pouvait pas grossir (2009), du bouddhisme zen ; Les dix

enfants que Madame Ming n’a jamais eus (2012), du confucianisme ; dans Madame Pylinska et le secret de Chopin (2018), comment la musique remplit l’âme et enfin

dans Félix et la source invisible (2019), il se penche sur l’animisme.

Puisque ce conte a été publié en janvier 2019, aucune recherche universitaire n’a encore été effectuée sur Félix et la source invisible. Il existe seulement quelques

(12)

xi

entretiens avec Schmitt et des articles dans certains magazines, où il affirme que

Félix et la source invisible est un regard humaniste sur la spiritualité, comme les

autres romans du Cycle de l’invisible (Schmitt, 2019a : 97).

Lorsque nous lisons Félix et la source invisible, pour la première fois, cela semble être une histoire amusante et assez légère : celle-ci décrit une partie de la vie de Fatou, femme d’origine sénégalaise qui habite Paris (Belleville) avec son jeune fils Félix. Elle est propriétaire d’un café qui s’appelle Au Boulot, dans lequel elle est entourée de personnages extraordinaires, vivants et joyeux. Mais sa vie va changer à cause d’une énorme dette, qui va la faire sombrer dans une profonde mélancolie. Félix l’emmène alors au Sénégal pour trouver un féticheur qui pourrait la sauver. Fatou et Félix sont confrontés à des moments traumatisants et ils font soudain face à certaines questions existentielles. Lorsque nous lisons ce conte une seconde fois de façon plus approfondie, de nombreux indices cachés apparaissent à différents niveaux qui nous conduisent vers ce qui n’est pas immédiatement de l’ordre du visible.

Nous nous rendons ainsi compte que le conte Félix et la source invisible est écrit sur deux plans simultanés : le visible et l’invisible. À chaque fois que le lecteur ouvre une porte dans le récit, une autre porte se présente devant lui et il est confronté à une mise en abîme. Ainsi, le récit présente une dualité qui évoque de nombreuses questions. Dans cette étude nous nous concentrerons sur l’approche de la spiritualité, de l’identité et de la géocritique, trois révélateurs de l’invisible dans ce conte philosophique.

Nous nous poserons la question de recherche suivante : commentSchmitt emploie-t-il ce conte phemploie-t-ilosophique au service de la révélation de l’invisible ?

La vie quotidienne se déroule au niveau du conscient (le visible) et de l’inconscient (l’invisible). Il y a toujours une interaction entre le visible et l’invisible, entre le conscient et l’inconscient. La spiritualité se trouve alors dans le domaine de l’invisible.

1. La spiritualité et l’animisme

Si le bouddhisme, le christianisme, l’islam – pour ne citer qu’eux – sont différentes formes de spiritualité, une autre forme coexiste, que l’on nomme animisme. On la

(13)

xii

rencontre en Afrique, mais aussi en Asie, dans la vie quotidienne, dans la culture et les traditions.

Qu’est-ce que l’animisme ?

Ce mot vient du latin animus qui veut dire « l’esprit » ou « l’âme ». « Il désigne la

croyance selon laquelle un esprit, un souffle anime les êtres vivants, les objets mais aussi les éléments naturels. Ces âmes ou ces esprits mystiques, manifestations de défunts ou de divinités animales, peuvent agir sur le monde, de manière bénéfique ou non » (Le Priol, 2018 : 1).

Les convictions religieuses animistes considèrent que chaque objet a un esprit (les pierres, les fleuves, les arbres), qu’une personne ne meurt pas dans la vie, mais reste en vie sous une autre forme (les ancêtres) et que l’identité d’une culture et d’une personne sont construites par l’animisme (Balonen-Rosen, 2013 : 8).

La religion animiste relève davantage du culte et des cérémonies. Les rites et les symboles sont inconnus pour une personne qui ne croit pas en l’animisme. Le nombre sept, par exemple, est la clef qui ouvre les portes du bonheur ; l’étoile est la lumière qui éclaire le chemin du berger (Douadap, 2002 : 34).

Schmitt nous fait voyager dans « un autre monde, celui de l’invisible » (Hamouchi, 2019 : 3). C’est un voyage plein d’amour, d’imagination et de poésie.

2. La géocritique

Ce voyage vers la spiritualité est intégré dans des espaces et des lieux. Nous pouvons ainsi employer la géocritique comme la méthode d’analyse. Qu’est-ce que la géocritique ? Bertrand Westphal, père de cette discipline, la définit comme une « poétique dont l’objet serait non pas l’examen des représentations de l’espace en

littérature, mais plutôt celui des interactions entre espaces humains et littérature »

(Westphal, 2007 : 11).

Au début de la théorie de la géocritique, la focalisation s’est portée sur le concept du temps, mais après la Seconde Guerre mondiale, elle s’est aussi déplacée vers le concept de l’espace. Ce changement s’est produit à cause de la reconstruction des villes, des bâtiments et des maisons (Westphal, 2005 : 1).

(14)

xiii

Les précurseurs, Michel Foucault, Gilles Deleuze et Henri Lefebvre, ont établi une forme théorique de la géocritique. Peu après, Edward Soja a créé le concept de « Tiers espace » (Tally, 2011 : xiii). Cependant, Robert Tally voit le concept de géocritique comme un concept qui change au fur et à mesure que le monde se développe (2011 : 25).

Dans notre étude, nous aborderons la multifocalisation, la polysensorialité, la stratigraphie, la référentialité et l’intertextualité, selon la théorie de Westphal. Mais, il nous faudra intégrer le travail de Tally, qui y ajoute d’autres aspects : les coordonnées GPS comme métaphore d’une construction de l’identité dans la littérature, les « autres » espaces, la transgression et l’influence de la géographie sur le corps.

L’analyse du conte Félix et la source invisible nous permettra d’observer la manière dont la transgression spirituelle peut s’opérer, comment le monde de la spiritualité influence une personne et, au contraire, comment l’absence de spiritualité peut aussi l’influencer. Un autre monde s’ouvre à nous en étudiant l’interaction des personnages avec les lieux et les espaces à un niveau spirituel.

Mais surtout, dans Félix et la source invisible, c’est la transgression qui aide à mieux distinguer le visible (physique) de l’invisible (spirituel). Le rôle de la spiritualité est de garder l'équilibre et le contact avec la réalité. La rencontre de la spiritualité (ici, l’animisme) est un trésor de sagesse, de santé et de poésie pour les Sénégalais. Ainsi, nous pouvons nous demander comment les différents aspects présents dans la géocritique (les lieux et les espaces) interagissent avec les personnages dans ce conte.

Claude-Hélène Perrot – spécialiste des sources orales africaines – affirme que les pratiques animistes sont l’expression de l’identité de ces populations (Perrot cité par Le Priol, 2018 : 1). Ainsi, pouvons-nous nous interroger sur le rôle de la spiritualité dans la formation de l’identité.

3. L’Identité

Nous avons la possibilité de suivre la géocritique à travers les espaces et les lieux inconnus, les frontières entre deux pays, chaque pays ayant ses caractéristiques individuelles. Les espaces et les lieux particuliers forment l’identité d’une personne

(15)

xiv

qui y habite. Ces lieux et ces espaces ont certaines caractéristiques principales qui influencent le développement d’une personne (Walonen, 2015 : 38).

Au quotidien, il nous arrive de juger une personne sans avoir connaissance de son histoire. De plus, nous jugeons la culture, le comportement, la religion et les amis d’une personne selon notre propre connaissance, donc l’évaluation se fait seulement à travers ce qui est visible. Cependant, il arrive très souvent que ce jugement soit l’aboutissement d’une très mauvaise évaluation. Demandons-nous alors quelles sont les conséquences de cette erreur de jugement ? Que se passe-t-il quand nous voyons enfin qui est véritablement cette personne ? Quel est le résultat pour la personne elle-même, quand nous la voyons véritablement, quand nous percevons son âme ?

Il existe de très nombreuses théories sur la formation de l’identité ; il est difficile d’en offrir une seule définition. La formation de l’identité des personnages dans ce conte n’est pas fondée sur une seule théorie, mais sur plusieurs d’entre elles. Ainsi, nous choisirons une approche critique éclectique.

Une telle stratégie nous permettra de développer et d’interroger les notions de formation de l’identité personnelle, culturelle et spirituelle. Nous nous focaliserons principalement sur l’identité de Fatou, mais nous nous intéresserons aussi à la formation de l’identité de Félix.

Nous pouvons ainsi nous poser les questions suivantes : comment Fatou et Félix ont-ils perdu leur identité personnelle ? Comment la confrontation avec une culture étrangère peut-elle influencer la formation d’une identité ? À l’inverse, la culture d’un autre pays que celui d’origine peut-elle entraîner une perte d’identité ? Martin Heidegger souligne le fait que l’identité se développe dans un espace grâce à la relation entre la terre, le ciel, les dieux et les mortels (2001 : 41-42). Donc nous avons un entrelacement entre les espaces, les lieux et l’identité. Ainsi, quand nous nions nos racines, nous risquons de perdre une part de notre identité. L’espace fait donc partie de notre existence, dans un lieu spécifique et dans un contexte historique. Une communauté existe ensemble, partage une histoire et un destin dans l’avenir (Heidegger dans Röhkramer & Schulz, 2009 : 1341).

(16)

xv

Dans Félix et la source invisible, nous analyserons la manière dont l’identité se révèle grâce à la spiritualité de l’animisme dans un pays donné. En même temps, que faire pour la garder dans un monde où nous pouvons nous perdre en nous coupant de nos racines ?

De plus, dans le monde que Fatou a créé à Paris pour son fils et pour elle, nous rencontrons des personnages en qui ils ont trouvé une fraternité exceptionnelle. Ce ne sont pas des personnes ordinaires, mais chacune d’entre elles possède une valeur essentielle qui ne réside pas dans son apparence, mais dans son âme, dans l’invisible (Schmitt dans Hamouchi, 2019 : 1).

Chaque personne a une identité qui s’est créée au fil de son histoire et dont les racines sont profondes. En niant cet « héritage », des maladies apparaissent parce que le passé se venge. Dans un pays occidental, nous parlons de névrose, tandis qu’au Sénégal, on parle de démons ou d’esprits vengeurs.

Pour survivre, nous créons un microcosme dans le macrocosme et parfois nous devons joindre à un nouveau groupe, loin de nos références. Cependant, d’autres personnes forment un clan avec de nouvelles affections, de la tendresse ou d’autres rites. Malheureusement, quand nous nous coupons de nos racines, nous créons involontairement un déséquilibre. Dans certains cas, cette fragmentation entrave non seulement la stabilité émotionnelle, mais également la santé en général.

Dans un monde où le matérialisme est à l'ordre du jour, nos émotions et nos sens sont émoussés. Nous oublions de regarder autour de nous, de contempler les étoiles, de sentir le vent, d’écouter la pluie, de profiter des petits plaisirs que nous offre l’existence. Les effets sont potentiellement dévastateurs et peuvent faire apparaitre des maladies de l’esprit par exemple. Dans son entretien avec Maïté Hamouchi, Schmitt dit : « Tout ce qu’il y a autour de nous a été créé par l’Homme, il

n’y a rien de naturel. C’est épuisant » (Schmitt dans Hamouchi, 2019 : 2).

C’est aussi pour cette raison que le conte attire notre attention. Le récit nous mène vers un monde différent, mais puissant. Nous faisons connaissance avec un monde d’esprits, d’âmes, de totems, de marabouts, de guérisseurs, de rites. C’est un autre monde, comme le dit Rachel Collins, c’est un « autre espace » (2011 : 139). Ici, nous trouvons certains rites, règles ou comportements qui seraient « anormaux » pour une

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xvi

personne étrangère au monde de l’animisme. Il faut être curieux, sinon nous passons à côté d’une spiritualité poétique riche.

Enfin, la dernière question concerne l’entrelacement de deux cultures provenant de deux pays entièrement différents comme moyen de préserver son identité. Schmitt donne lui-même une solution très pratique et positive : son lecteur est rempli d'enthousiasme et d'attitude positive à l’issue de la lecture de ce conte. En effet, un changement ou une évolution positive chez des personnages de fiction peut faire écho à sa propre vie, à sa propre quête spirituelle (Schmitt, 2015 : 162).

Le lecteur ne peut rester indifférent après la lecture du conte. Consciemment ou inconsciemment, il réfléchit à sa spiritualité, son existence, son équilibre ou la manière dont il pourrait améliorer son quotidien en voyant toutes les beautés que la vie lui offre : l’amour, l’imagination et la poésie.

Dans la première partie de notre analyse, nous présenterons une courte biographie de Schmitt pour montrer comment son expérience personnelle a pu influencer le contenu du conte. Puis, nous remettrons ce récit dans son contexte et ferons un bref résumé de l’intrigue ; enfin, nous justifierons l’intérêt d’une étude géocritique dans ce conte comme révélateur de l’invisible dans les espaces et les lieux. Nous continuerons à montrer comment la forme littéraire de ce conte philosophique aide à soutenir le thème de la double culture et des doubles références et croyances culturelles. Nous discuterons aussi des raisons pour lesquelles Schmitt emploie un enfant comme narrateur et utilise le ‘je’. Nous nous concentrerons sur d’autres personnages qui sont en surface étranges, mais quand nous faisons mieux connaissance avec eux, nous nous rendons compte que ce sont les perles du monde dont Éric-Emmanuel Schmitt parle. Leurs mots, leurs dialogues et leurs idiomes ramènent l’invisible à la surface, mais montrent aussi les différences entre les cultures.

Dans notre seconde partie, en utilisant la géocritique comme base théorique, nous déterminerons comment l’auteur emploie les lieux et les espaces comme des révélateurs de l’identité et de l’invisible. Nous nous concentrerons sur les quatre piliers de Bertrand Westphal (multifocalisation, polysensorialité, stratigraphie, référentialité), mais aussi sur la transgression, les ‘autres’ espaces et l’influence de la géographie sur le corps, les idées de Robert Tally. Nous nous attacherons aussi à

(18)

xvii

la philosophie de Paul Auster, à savoir comment le rôle du père, le hasard et l’héritage sont des éléments constitutifs de l’identité, parallèlement aux idées de Schmitt. En outre, nous examinerons la théorie de la psychologue Karin Horney, pour mieux comprendre la formation de l’identité.

La troisième partie nous amènera à explorer la manière dont la spiritualité – ou plus spécifiquement l’animisme – nous révèle l’invisible au Sénégal. Nous nous pencherons également sur la différence entre les croyances dans les deux pays.

Dans la dernière partie de notre analyse, nous observerons comment les comportements des habitants de deux pays peuvent s’entrelacer et comment nous pouvons nous adapter grâce à la sagesse et la spiritualité du pays original. Lorsque nous protégeons nos racines d’origine, nous protégeons notre identité.

Pour conclure, nous réfléchissons aux valeurs cachées de ce conte philosophique, vu comme un trésor.

Les religions sont des trésors que l'humanité a reçus ou fabriqués (suivant que l'on

est croyant ou pas), et les trésors nous aident à vivre.

(19)

1

Chapitre 1

Félix et la source invisible

Dans ce chapitre, nous aborderons Félix et la source invisible dans son contexte, nous présenterons la structure et l’intrigue de ce récit et nous nous pencherons sur l’intérêt de ce livre. Nous offrirons également une biographie sommaire d’Éric Emmanuel Schmitt afin de souligner la manière dont certains aspects de sa vie personnelle forment des thèmes cruciaux dans ce conte. De plus, nous nous intéresserons à la forme littéraire de l'histoire.

1.1 Le conte philosophique - Félix et la source invisible

1.1.1 Biographie sommaire d’Éric-Emmanuel Schmitt

Éric-Emmanuel Schmitt est dramaturge, nouvelliste, romancier et réalisateur. Il a l’apparence d’un sage dans un corps de sportif. Il a des épaules de rugbyman, un nez de boxeur et une âme très sensible comme celle d’un adolescent. Comme il le dit lui-même « mon enveloppe extérieure n'a jamais correspondu avec mon

intérieur » (Schmitt cité par Klappe, 2014 :1).

Il habite à Bruxelles, une ville qui cultive, selon lui, l’optimisme. Sa maison est plutôt simple de l’extérieur. À l’intérieur, elle est pleine de livres ; un piano quart de queue se place au premier étage avec des partitions de Chopin. Cependant, les vrais maîtres de la maison restent sur le tapis - deux chiens qu’il adore. Tous ces éléments améliorent une atmosphère tranquille et sereine (Schmitt, 2019b : 1).

Schmitt est une source d’inspiration et de motivation. Il a des idées, des pensées et des connaissances entre un monde réaliste et un monde d’archétypes, comme un pont entre le conscient et l’inconscient. Il est censé posséder une sorte de flair, une intuition divinatrice qui lui permet de saisir ce qui doit être fait et comment le faire. Au contraire, à cause de ce don, il est quelquefois malentendu ou critiqué, ce qui le rend timide et renfermé (Schmitt, 2019b : 2).

(20)

2

Schmitt est né le 28 mars 1960, à Sainte-Foy-Lès-Lyon. Son père était professeur d’éducation physique et champion de France de boxe ; sa mère, championne de course à pied (Classique & Contemporain, 2019 : 1).

Quand il était encore un petit garçon, il regardait Lyon du balcon de leur appartement, situé au quatrième étage. Avec une main agrippée à la balustrade et l’autre tenant un ours en peluche, il contemplait le monde. Il avoue que « le

dramaturge, le philosophe, le romancier qu’il est, résulte de la contemplation depuis ce balcon de l’Avenue Valioud » (Schmitt dans Lalanne, 2017 : 17). Aujourd’hui, il

ressent encore le besoin de rejoindre le point de vue des oiseaux. Chez lui, son bureau est au dernier étage, parce que selon lui, un auteur doit dominer les situations et ses personnages pour tisser un récit. « Je suis né spectateur » (Schmitt dans Lalanne, 2017 : 16).

Quand il était jeune, les adultes le voyaient comme un étranger, un ‘métèque’ – un mélange entre la Martinique, le Vietnam et le Caucase – qui débarquait d’ailleurs. Pour lui, cet ‘ailleurs’ était une échappatoire et devenait son espace de liberté (Schmitt dans Lalanne, 2017 : 18). Il commençait à explorer l’étranger en lui, peut-être que c’était ses ancpeut-êtres ou ses fantasmes, mais « […] loin de cet ailleurs

intérieur, exotique, métisse, je me sentais en exil » (Ibid.).

Au début, il ressentait son identité comme une entité complexe, parce qu’il était jugé selon son apparence. Plus tard, il a appréhendé cette situation sous un angle comique et a décidé de ne pas prendre cette situation au sérieux et qu’elle ne l’empêche surtout pas de vivre : « Au fond, je m’estime très Lyonnais… » (Ibid.).

Ses parents aimaient le théâtre et la musique, Schmitt a donc souvent fréquenté les lieux de spectacle. Sa carrière de dramaturge a débuté à l’âge de huit ans. Après avoir vu la pièce de théâtre Cyrano de Bergerac avec sa mère, la scène est devenue sa passion. À seize ans, il a décidé qu’il serait écrivain. Il a écrit et mis en scène ses premières pièces quand il était encore au lycée. Outre le théâtre, la musique fait aussi partie de sa vie spirituelle et intime (Classique & Contemporain, 2019 : 1).

Il décrit le théâtre comme suit :

La philosophie prétend expliquer le monde, le théâtre le représente. Mêlant les deux, j’essaie de réfléchir dramatiquement à la condition humaine, d’y déposer l’intimité de

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3

mes interrogations, d’y exprimer mon désarroi comme mon espérance, avec l’humour et la légèreté qui tiennent aux paradoxes de notre destinée. Le succès rend humble : ce que je croyais être mon théâtre intime s’est révélé correspondre aux questions de beaucoup de mes contemporains et à leur profond désir de réenchanter la vie.

(Schmitt, 2019b : 4) Ses pièces de théâtre lui apportent un succès immédiat. En 1991, il compose une étude moderne du légendaire Don Juan, La nuit de Valognes, suivie par Le visiteur, récompensée par trois Molières en 1994. Il met en scène Diderot dans Le Libertin, qui était un grand succès en France et à l’étranger. Beaucoup d’autres pièces de théâtre suivent comme Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran (2001) et Oscar et la

dame rose (2003). Toutes les deux ont été adaptées au cinéma. Ces autres pièces

de théâtre sont : Le chien, Milady, Confidences, Madame Pylinska et le secret de

Chopin, pour n’en nommer que quelques-unes (Classique et Contemporain, 2019a :

1).

Il a aussi écrit trois pièces en un acte pour des causes humanitaires, par exemple

L’école du diable pour une soirée d’Amnesty International.

Selon lui, à la différence des pièces de théâtre, les nouvelles et les romans, prennent beaucoup de temps avant d’être publiées. Sur un sujet touchant à l’histoire de Jésus-Christ, il écrit L’évangile selon Pilate en 2000 et La part de l’autre, une histoire sur Adolf Hitler. Le cycle de l’invisible a un succès presque immédiat (Schmitt, 2019b : 3). Dans une nouvelle qu’il publie en 2010, Concerto à la mémoire d’un ange, il pose la question : sommes-nous libres ou subissons-nous un destin ?

Il publie un récit épistolaire, Ma vie avec Mozart, qu’il met en scène. Selon Schmitt, la musique de Wolfgang Amadeus Mozart est la clé qui ouvre toutes les portes ; la musique est lumière, grâce et mystère. Adolescent, il traversait une passe difficile, mais la musique de Mozart a donné un nouveau sens à sa vie : « Mon but s’avoue

autant existentiel que culturel. Introduire à Mozart, certes, mais surtout guérir par Mozart, réconforter par Mozart, convertir à la joie par Mozart » (Schmitt, 2017 :65).

Il ne cesse de montrer ses talents. Schmitt s’est aussi attelé à l’opéra. Il a traduit Les

noces de Figaro et Don Giovanni de Mozart de l’italien en français.

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4

Si je peux passer une journée sans écrire ou sans lire – rarement –, je ne la laisse jamais se terminer sans écouter de la musique. “Ecouter”, c’est-à-dire faire le vide en moi, le vide de moi, pour me laisser envahir. J’entretiens un dialogue constant avec la musique, l’art que je place au-dessus de tous les autres. Je la cherche sous mes phrases, je lui offre mes phrases à l’occasion d’une chanson ou d’un opéra, ou j’invente des livres pour qu’on l’entende mieux.

(Schmitt, 2019b : 4)

Entre 1980 et 1985, il passe avec succès son agrégation de philosophie, avec un intérêt spécifique pour Denis Diderot. Sa thèse de doctorat a pour titre « Diderot et la

métaphysique ». En 1997, il la publie sous le titre « Diderot ou la philosophie de la séduction ». Pendant ses études, il s’intéresse particulièrement aux travaux de

Friedrich Nietzsche, Jean-Paul Sartre et Sigmund Freud (Schmitt, 2014a : 1).

Il avoue avoir cherché sa voie entre ses 20 et 30 ans : « Je savais faire du faux

Chateaubriand, du faux Proust, du faux Sartre, du faux Beckett… J’aurais voulu être un grand lyrique, un Claudel » (Schmitt, 2014b : 1).

Il a reçu beaucoup de prix, pas seulement en France, mais aussi dans d’autres pays ; pour n’en mentionner que quelques-uns : Molière du meilleur spectacle du théâtre privé pour Le Visiteur (1994) en France ; prix Chronos pour Oscar et la dame

rose en Suisse ; Grand prix étranger décerné par les Scriptores Christiani pour Milarepa, Oscar et la dame rose, L’enfant de Noé, Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran et Le visiteur en Belgique ; Prix du Théâtre de la ville pour Le libertin, en

Allemagne et, en Ukraine en 2013, il a reçu la Médaille pour le développement des arts et de la culture, la plus haute distinction culturelle ukrainienne (Classique & Contemporain, 2019 : 4 - 6).

L’Académie royale de la langue et de la littérature en Belgique, lui a offert le fauteuil n°33, occupé auparavant par Colette et Jean Cocteau, en 2012. Il devient membre de l’académie Goncourt en 2016. Le 21 juillet, il est décoré du rang de Commandeur de l’ordre belge de la Couronne (Schmitt, 2019b : 3).

Quant à ses croyances, la nuit du 4 février 1989 change radicalement sa vie. Après cette expérience bouleversante, il écrit L’évangile selon Pilate. Il décrit cette expérience dans l’introduction de cet ouvrage. Il écrit aussi les romans qui constituent ce qu’il appelle Le cycle de l’invisible, qui mettent en lumière les vérités

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5

religieuses. Il en a vendu plus de 10 millions d’exemplaires et son travail est traduit en 45 langues (Ibid.).

Le conte Félix et la source invisible, fait partie du Cycle de l'invisible et pour mieux comprendre le livre dans son contexte, nous devons revoir la nuit du 4 février 1989.

1.1.2 Le livre dans son contexte

Un pèlerinage est souvent étroitement lié à notre sentiment d’identité. Henry David Thoreau constate: «Not till we are lost, in other words, not till we have lost the world,

do we begin to find ourselves, and realize where we are and our infinite extent of our relations » (1854 : 185).

Cette déclaration décrit exactement ce qui est arrivé à Schmitt pendant une nuit dans le Sahara. Après une expérience de mort imminente, il a atteint une spiritualité qui lui a donné une nouvelle direction à prendre dans la vie et une nouvelle approche littéraire (Filhol, 2015 : 1).

Dans le Sahara, alors qu’il fait l’ascension d’un mont avec un groupe, il s’égare et se retrouve tout seul, perdu. Il n'a ni eau, ni nourriture. Un vent glacial commence à souffler. Il creuse alors un lit dans le sable pour se protéger du froid. Son corps se fige dans une torpeur. Tourmenté par la peur, il attend de mourir. Tout à coup, il a le sentiment que son corps s’est divisé en deux. « Je m’approche d’une Force

fondamentale. […] Béatitude. Paix. Lumière » (Schmitt dans Lalanne, 2017 : 118).

Son expérience le laisse sans mots, il ne peut la décrire : « C’est une force

davantage qu’une personne. Disons que cette force s’appelle Dieu » (Ibid.).

L’auteur se rend compte que, quand nous mourrons, ce n’est pas la fin, mais un changement de forme et que nous pouvons appréhender la mort comme la vie, avec confiance. Il conclut « Tout a un sens. Tout est justifié » (Schmitt, 2015 : 162). Il est arrivé athée dans le désert ; il en est ressorti croyant.

Je suis devenu philosophe pour lutter contre mon hypersensibilité. Un jour, j’ai compris que la seule façon de ne pas succomber à mes émotions excessives était de me solidifier intérieurement. La philosophie fut une réponse. Celle de l’absurde, mon parti pris. J’étais amoureux de mon courage, de la bravoure avec laquelle je combattais le désespoir. Mais cette fierté farouche ne laissait pas mon esprit en repos, assiégé par l’insupportable idée de la mort. Elle était un cancer pourrissant mon existence, contaminant le réel sous la forme du « à quoi bon ? ».

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6

(Schmitt cité par Filhol, 2015 : 2) Avant sa conversion à cette nouvelle foi, Schmitt trouve son écriture trop analytique et trop poétique, sans cohérence. Mais après son expérience mystique dans le désert, il commence à écrire non seulement comme un philosophe, mais aussi comme un simple mortel. Il affirme ainsi : « j’explore les ténèbres en cherchant la

lumière » (Schmitt cité par Filhol, 2015 : 3).

À la suite de cette expérience, Le cycle de l’invisible voit le jour. Dans chaque récit, une personne est confrontée à des moments traumatisants (comme Schmitt lui-même) et elle fait soudain face à une crise existentielle. Dans Félix et la source

invisible, nous entrons dans un monde invisible, où la spiritualité est étrange et

presque inconnue pour le monde occidental.

Si les espaces et les lieux particuliers forment l’identité d’une personne, ils ont aussi des caractéristiques qui influencent le développement d’une personne (Walonen, 2015 : 38). Ainsi, l’analyse du conte Félix et la source invisible nous permet de voir comment une transgression spirituelle peut s’opérer, comment le monde de la spiritualité influence une personne ou, au contraire, comment l’absence de spiritualité l’influence aussi. Un autre monde s’ouvre à nous en étudiant l’interaction des personnages avec les lieux et les espaces à un niveau spirituel.

Schmitt veut écrire la vérité pour redonner une vraie noblesse à l’animisme, par exemple, en montrant que les marabouts à Paris sont des escrocs (Schmitt dans Hamouchi, 2019 : 2). En le faisant, il sert deux buts : l’un est de montrer que les « marabouts de ficelles » (Schmitt, 2019a : 88) - tels que l’auteur les appelle - sont issus du monde matériel et que le vrai guérisseur est, lui, issu du monde spirituel ; l’autre est de recourir à une forme humoristique qui tourne la situation en dérision et suscite le rire chez le lecteur.

Cela ajoute une légèreté au conte et permet une lecture à deux niveaux, chaque lecteur pouvant considérer les faits à la légère ou au contraire réfléchir à la question des croyances. Malgré le fait que Schmitt aborde un sujet très sérieux, le conte sait atteindre plusieurs générations en véhiculant un message vraiment positif. Il embarque le lecteur dans une véritable aventure à travers un voyage spirituel. Le lecteur ne peut pas rester indifférent. Il se pose des questions sur sa propre

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7

spiritualité, son existence, son équilibre et comment il peut améliorer son quotidien en voyant tous les dons que la vie lui offre : l’amour, l’imagination et la poésie.

1.1.3 Résumé du conte

L’histoire est un conte philosophique (cf. 1.2.2.) qui explore les mystères de l'animisme. Fatou, d'origine sénégalaise, est propriétaire du café Au Boulot, dans le quartier de Belleville à Paris. Avec son fils Félix, ils sont très heureux au sein de leur ‘famille’ constituée de clients devenus proches, personnes joyeuses et qui sortent définitivement de l'ordinaire. Malheureusement, Fatou s'enfonce dans une dépression terrible à cause de soucis financiers.

Félix est dans une situation désespérée et décide d'écrire une lettre à son oncle Bamba du Sénégal qui arrive en France pour aider sa mère. Oncle Bamba trouve le nom d'un marabout dans un annuaire téléphonique qui garantit le succès de son travail. Malheureusement, il s'avère qu'il s'agit d'un charlatan qui ne veut que gagner de l'argent. Un deuxième marabout est consulté, qui se trouve aussi être un escroc. Pendant ce temps, l’état de Fatou se détériore, elle commence à tout blanchir avec de la Javel, comme si elle voulait nettoyer sa vie. Fatou va même jusqu’à empoisonner à la Javel le café qu’elle propose à ceux qui l’empêchent de mener à bien son projet. Les résultats sont dévastateurs : elle doit aller en prison ou dans un hôpital psychiatrique, ce qui laisserait son fils Félix sans mère et sans maison. À ce moment-là, compte tenu de sa situation, il est sur le point de se suicider. Mais le Saint-Esprit arrive juste à temps pour le sauver. Celui qu’on appelle le Saint-Esprit est le père de Félix, d’origine antillaise, Félicien Saint-Esprit.

Pour Félix, il est désormais certain que sa mère doit retourner au Sénégal pour guérir de son mal. C’est ainsi que toute la famille réunie se retrouve au Sénégal. C’est une intervention essentielle qui sauve la vie de Fatou et donne à Félix un nouveau regard sur son propre monde. Au Sénégal, un tout autre univers s'ouvre à lui. Pour la première fois de sa vie, il apprend à connaître son père, sa mère et son héritage. C'est le Saint-Esprit qui se rend compte que la raison de la maladie de Fatou est le fait qu'elle nie son héritage, culturel et spirituel.

Papa Loum, le féticheur sénégalais qui va aider Fatou, est un homme qui possède beaucoup de sagesse. Il ouvre une nouvelle porte spirituelle à Félix et à son père,

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8

qui sont initiés à des rituels et à des cérémonies animistes. Ils apprennent ainsi que les rivières, les roches et les arbres ont un esprit. L'immensité des paysages, la sauvagerie des scorpions, des chauves-souris, des hyènes, mais surtout les esprits étrangers et invisibles les remplissent de peur. Archimède, un chien jaune, est leur gardien : il peut voir tous les esprits, bons et mauvais, et de temps en temps il hurle à la mort.

Cependant, grâce à ses connaissances, son amour et sa tendresse, Papa Loum va ramener Fatou à la vie réelle, en pleine forme.

Le féticheur insiste pour que Félix garde le contact avec l’Afrique – ses racines – à Paris. Ainsi, chaque jour, il doit faire avec sa mère « un petit tour en Afrique » dans les rues de Paris. Pendant cette déambulation, ils renomment certains aspects de la ville par des éléments de la nature, cherchent des génies dans le fleuve ou encore changent leur point de vue sur les rats, le vent et les arbres. Voilà ce qui leur donne une solution optimiste qui les rend heureux. Non seulement Fatou, Félix et son père ont maintenant une nouvelle et belle vision de la vie, mais leur « famille » dans le café trouve aussi le bonheur, comme s’il était contagieux.

1.1.4 L’intérêt de ce livre

Pour mieux comprendre Félix et la source invisible, il faut aborder trois thèmes qui sont importants dans la vie de l’auteur : sa conversion, l’identité et l’enfance.

1.1.4.1 La conversion : La nuit dans le Sahara a apporté un changement

significatif et complet dans la vie de Schmitt. Il a changé de métier : de professeur de philosophie, il est devenu écrivain. Pour lui, la littérature est un mode d’expression plus humain que la philosophie. Le but de la philosophie est de simplifier le monde par la raison, tandis que la littérature le rend plus complexe parce qu’on exprime le monde avec des sentiments, avec sensibilité. Ainsi, il a ajouté les émotions dans sa production littérature. En racontant une histoire avec des personnages en chair et en os, il crée de la sagesse au lieu de la connaissance (Illman, 2010 : 239).

Le but de Schmitt est spécifique. Il veut promouvoir la paix, l’amour, la sagesse et la curiosité. L’art est un outil fort utile qui aide au « vivre

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9

ensemble »1. À travers les poèmes, la musique ou les histoires, nous

pouvons découvrir la vulnérabilité des personnes et nous pouvons mieux vivre ensemble (Ibid.). Les religions nous aident à créer du sens et à comprendre la mystique dans la vie.

1.1.4.2 L’identité : Selon Schmitt, nos identités sont le résultat de hasards,

de coïncidences historiques et de schémas sociaux. Il faut accepter la complexité de notre monde interpersonnel. Il constate que « ce que nous

avons en commun, ce sont des questions. Et ce qui nous différencie, ce sont nos réponses » (Second regard, 2017. Entrevue, 11 : 32).

Il ajoute que les identités sont problématiques, complexes et que rien qu’en regardant une personne, nous pouvons nous tromper dans notre jugement sur celle-ci. Lui qui était vu comme un ‘métèque’ – un métis martiniquais, vietnamien et caucasien – connaît bien cette situation qui le faisait se sentir en exil (Schmitt dans Lalanne, 2017 : 18).

1.1.4.3 L’enfance : L’enfance est une période très importante pour Schmitt

et il souligne le fait que nous restons toujours des enfants. Il constate : « Je

n’ai pas eu la même enfance toute ma vie » (Schmitt dans Lalanne, 2017 :

1).

Comme nous l’avons déjà remarqué, Schmitt enfant aimait regarder la vie qui se déroulait en bas depuis son balcon lyonnais. Or, cinquante ans plus tard, à Bruxelles où il habite, il éprouve toujours ce besoin d’avoir le point de vue d’ensemble. C’est pourquoi son bureau est au dernier étage, d’où il peut voir les champs à des kilomètres à la ronde (Schmitt dans Lalanne, 2017 : 17).

Mentionné plus haut, quand il était jeune, son apparence était étrange pour d’autres personnes. Ils étaient étonnés par son visage basané de Martiniquais, ses yeux bridés d’Asiatique, ses gros muscles d’athlète caucasien. Peut-être que l’idée de l’invisible et de l’identité avait déjà commencé dans les pensées de Schmitt quand il était petit garçon ? Il admet

1

Selon Roland Barthes cité par Bert : « Le but est […] de découvrir la possibilité d’un style de vie, un art de vivre, médian ou

des groupements d’individus pourraient vivre ensemble sans exclure la possibilité d’une liberté individuelle qui ne les marginaliserait pas » (1977 : 20).

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que cet ‘ailleurs’ est très vite devenu son territoire imaginaire et son espace de liberté (Schmitt dans Lalanne, 2017 : 18).

Pour mieux comprendre l’œuvre de Schmitt et la raison pour laquelle il aime écrire sur l’enfance et l’adolescence, considérons que les récits sur l’enfance et l’adolescence sont les plus universels, parce que le lecteur a souvent déjà vécu lui-même ces périodes-là, de façon unique, dans un contexte particulier (Schmitt dans Coly, 2017 : 1).

Pour Schmitt, l’enfant est spontanément philosophe. Il a des questions, mais pas nécessairement de réponses. C’est pour cela qu’il s’interroge, doute et réfléchit. Au contraire d’un adulte, il ne prétend pas savoir. Pour lui, l’esprit de l’enfance qui reste innocent est formidable. Il peut s’émerveiller, être surpris et accueillir chaque moment comme si c’était la première fois. Il aime raconter une histoire à travers les yeux d’un enfant, car dans leurs raisons, ils mélangent le familier et le sublime, le drôle et le tragique. Pour lui c’est une façon pure d’écrire (Ibid.).

Or, c’est aussi un défi de raconter dans le style d’un enfant. L’auteur doit limiter son vocabulaire et inventer des métaphores surprenantes. De plus, il doit rester dans la raison d’un enfant. Le but est de rester naturel (Ibid.).

Nous pouvons voir que les trois thèmes ci-dessus sont très importants pour l’auteur. En outre, ce ne sont pas seulement trois concepts de base, mais trois concepts clés qui font partie de l’existence de Schmitt. Il est important que les concepts aient été vécus dans des lieux et des espaces spécifiques qui vont influencer voire définir la sensibilité de l’auteur. Ainsi, pour mieux comprendre Félix et la source invisible, il nous paraît nécessaire de faire usage de la géocritique pour mieux analyser l’interaction entre les personnages et les lieux et les espaces dans ce conte.

1.1.5 L’intérêt de l’analyse géocritique dans ce livre

Bertrand Westphal dit que la géocritique est une interaction « entre espaces humains

et littérature » (2007 : 11). Cependant, Robert Tally précise que l’expérience des

espaces et des lieux est aussi une expérience à l’intérieur de nous. Par conséquent, la géocritique peut déterminer la nature et la qualité de notre expérience dans les espaces et les lieux. De plus, une personne doit être intégrée dans son

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11

environnement pour une expérience subjective (Prieto, 2011 : 18). Tally justifie l’idée et ajoute qu’avec le concept de la transgression, nous pouvons révéler la notion de pensée spatiale (Tally, 2011 : 19).

Dans son entretien avec Catherine Lalanne, Schmitt souligne le fait qu’un auteur investit toute son âme dans son écriture : le cœur, la sensibilité, l’imagination, l’intellect, la mémoire et le corps (Schmitt dans Lalanne, 2017 : 25). Est-ce que ce ne sont pas les concepts de la géocritique, notamment la multifocalisation (l’intellect, la mémoire), la polysensorialité (le corps, le cœur et la sensibilité), la stratigraphie (la mémoire) et la transgression (l’imagination) ?

Dans ce conte, on relève une transgression des frontières, lorsque les personnages voyagent de la France au Sénégal. Ils transgressent à différents niveaux : la géographie, la culture, les coutumes, la religion, pour n’en nommer que quelques-uns.

Dans le récit, Fatou est décrite comme une personne complètement perdue en France, parce qu’elle nie son passé : « Fatou s’est coupée de ses racines. Elle flotte.

Elle a souhaité supprimer son histoire, ses origines [...]. C’est pour cette raison, que Fatou est malade – elle doit renaître de la terre ou elle est déjà née » (Schmitt,

2019a : 64).

Nous pourrions dire que les lieux et les espaces où nous nous trouvons sont inextricablement liés aux racines de l’identité de l’homme.

1.2 Le genre et la structure du livre

1.2.1 Le « je »

Schmitt admet, comme nous l’avons vu, qu’un enfant est spontanément philosophe. Il n’a pas peur de poser des questions, il reste humble et confiant. En outre, il ne regarde pas la vie comme un adulte qui pose des questions pour paraitre intelligent, mais il pose des questions pour échanger des idées : « du dialogue ne sort pas

toujours la vérité mais le dialogue témoigne constamment d’une recherche de vérité » (Schmitt dans Coly, 2017 : 1).

En écrivant à travers les yeux d’un enfant et surtout en lui donnant la parole, l’auteur limite son vocabulaire, il écrit en toute simplicité et honnêteté. L’enfant narrateur crée

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aussi une distance entre le passé et le présent. Nous sommes donc dans une sorte d’objectivité, dans laquelle l’auteur est capable de remettre en question les problèmes de société, les motivations des individus, les codes et les préjugés dans un cadre naïf. La vérité se révèle dans la vie (Ibid.).

D‘un autre côté, pour Schmitt, les personnes âgées ont une sagesse et une humanité, telles que Monsieur Ibrahim dans Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran et Mamie Rose dans Oscar et la dame Rose (Schmitt dans Lalanne, 2017 : 30). Dans Félix et la source de l’invisible, c’est Papa Loum qui guide Félix. Pour l’auteur, les personnes âgées sont de vrais bienveillants, des sauveurs dans la vie : « L’enfance et la vieillesse me semblent des périodes philosophiques » (Ibid.).

Donc, avec Félix, un petit garçon qui n'a pas peur de s'interroger sur ce qui se passe dans sa vie, et Papa Loum avec sa sagesse, sa patience et son amour, nous avons deux personnages qui nous font réfléchir aux questions de l'âme ou de l’importance de la spiritualité dans la vie.

1.2.2 Les éléments du conte philosophique selon Éric-Emmanuel Schmitt

Le conte philosophique fait partie du genre narratif. Dans cette forme littéraire, nous avons deux réalités opposées : le récit imaginaire et la réflexion philosophique (Yassine, 2015 : 1). Dans ce conte, l’auteur incite le lecteur à réfléchir à trois aspects : l’animisme, l’identité et l’invisible.

Selon Schmitt, nous avons deux contes en un : le conte sur l’animisme et le conte sur Félix. D’un côté, il éprouve le besoin d’écrire sur l’animisme, parce qu’il se rend compte que nous pouvons seulement le comprendre par l’imagination et non par la raison. D’un autre côté, il veut montrer le sens des responsabilités qu’un enfant a pour ses parents, donc c’est l’histoire initiatique de Félix qui est très heureux avec sa mère. Il n’y aucune place pour un autre homme dans leur vie – il est tous les hommes pour sa mère (La Grande Librairie, 2019 : 2. 15).

Quand Fatou tombe malade, c’est Madame Simone qui l'emmène chez le médecin et Bamba qui les emmène chez les marabouts pour tenter de la guérir. Cependant, ils font connaissance avec des marabouts qui veulent seulement gagner de l’argent.

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Schmitt dit qu’il veut montrer de faux marabouts pour montrer plus tard la beauté, la puissance d’un vrai féticheur à travers le personnage de Papa Loum du Sénégal. Il avoue qu’il « veut redonner la vraie noblesse au vrai animisme en montrant les

escrocs et les caricatures » (Schmitt dans Hamouchi, 2019 : 3).

De plus, Félix apprend à faire la distinction entre les vrais marabouts et les charlatans. C'est une leçon de vie pour lui dans son développement en tant qu'être humain, d'un garçon à un homme. Il réalise que la seule solution pour lui est de faire un voyage au Sénégal, parce que la guérison de sa mère ne peut advenir que là-bas. (La Grande Librairie, 2019 : 2. 31).

Ce voyage emmène le lecteur sur un chemin aventureux qu'il n'aurait peut-être pas parcouru de son plein gré. Schmitt introduit la beauté de l’animisme : « le monde

visible est doublé d’un monde invisible » (La Grande Librairie, 2019 : 7. 12). Tout a

une âme : les arbres, les roches et les fleuves. De plus, les ancêtres sont toujours présents : « C’est une organisation du monde qui sous-tend l’expérience visible du

monde » (La Grande Librairie, 2019 : 7. 38).

La morale de ce conte est qu’aucune religion n’est vraie ou fausse, elle est explicative et nourrit notre esprit. C’est un voyage où l’on découvre des choses sur soi-même, sur ce qui est universel dans une spiritualité (La Grande Librairie, 2019 : 12. 50).

Schmitt affirme que pour lui « l’invisible, c’est le sens des choses » (La Grande Librairie, 2019 : 15. 50). Pour mieux comprendre cette affirmation, il nous sera nécessaire d’analyser les personnages, les dialogues et les symboles utilisés, puisqu’on y retrouve une dualité.

1.2.2.1 Les personnages

Les personnages sont joyeux et colorés, pas du tout dans le moule normal de la vie. Les éléments narratifs d’un conte sont intégrés dans les personnages : la personne bienfaisante (Fatou) ; les mauvais (les marabouts de ficelles) ; une personne sans faille (le Saint-Esprit) et une personne qui est femme, mais née homme (Madame Simone)pour n'en mentionner que quelques-uns.

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Selon Schmitt les identités des personnes sont complexes. Nous ne pouvons pas juger une personne selon ses apparences, et même si nous creusons un peu, nous ne trouvons pas nécessairement la personne réelle (Schmitt dans Lalanne, 2017 : 19). Souvent, quelque chose d'autre est en jeu. Pour en savoir plus, nous devons examiner les personnages dans ce conte, parce que certaines caractéristiques sont cachées dans leurs noms, leurs comportements et leurs dialogues.

Nous pourrions commencer par mentionner le nom du père de Félix, le Saint-Esprit. C’est quelqu'un que tout le monde considère comme parfait. Qu’il soit au Sénégal ou en France, tout le monde le regarde avec admiration, sauf Félix. De plus, le Saint-Esprit est partout, ilremplit son rôle de père et de mari à merveille, il devient l'homme de la maison, rôle que Fatou lui a refusé puisqu'il était seulement le géniteur de son fils. Malgré tout, il est resté amoureux d'elle pendant toutes ces années où ils étaient séparés et il est prêt à rejoindre son fils pour l'emmener guérir sa mère au Sénégal. Nous pouvons voir qu'il est donc à la hauteur de son nom.

Même le changement du nom de l’animal de Mademoiselle Tran a un double sens. Mademoiselle Tran est trop timide pour entrer dans une relation avec un autre. Fatou, que Félix décrit comme une « fée bienfaisante » qui « embellit la vie », lui propose de changer le nom de son chien en « Monsieur ». (Schmitt, 2019a : 11). Le résultat est significatif. Chaque fois qu’elle appelle « Monsieur » dans la rue, « […]

les mâles des environs la rejoignaient presto, découvraient leur méprise, s’esclaffaient, rougissaient, caressaient l’animal faute de pouvoir caresser mademoiselle Tran, puis entamaient la conversation » (Ibid.). Le fait d’avoir baptisé

son chien d’un titre auquel les hommes peuvent s’identifier permet à Mademoiselle Tran de vivre soudain des aventures extraordinaires. Et plonge le lecteur dans un monde qui devient ainsi merveilleux.

1.2.2.2 Les symboles

Comme jeune fille, la vie de Fatou était extrêmement traumatisante. Toute sa famille a été massacrée et elle a voulu commencer une nouvelle vie à Paris. Pour cette raison elle veut s'éloigner de son ancienne vie au Sénégal. Elle se coupe de son histoire, de sa langue et de sa spiritualité. Malheureusement, en agissant ainsi, elle enterre les éléments qui font partie de son identité.

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Quand elle se rend compte qu’elle ne peut pas réaliser son rêve d’avoir une grande entreprise et qu’elle a une énorme dette, elle tombe en dépression. Son comportement change, d’une personne pleine de vie en une presque morte vivante.

Selon Papa Loum, le guérisseur au Sénégal, ce n’est pas du tout une dépression, mais selon la spiritualité animiste, ce sont ses ancêtres qui se vengent. Cependant, Papa Loum lui fait prendre conscience de son totem, le lion, qu’elle doit accepter. Son totem peut aider à retrouver son identité.

Encore une fois, nous trouvons un double sens : le lion est le totem de sa famille, le clan auquel elle appartient, mais il a aussi une signification plus profonde : « Celui-ci

est le symbole d’une hérédité spirituelle, psychologique et historique qui s’interroge sur son identité » (La Grande Librairie, 2019 : 15 .14).

Dans certains rites, nous retrouvons l’idée de la dualité. Papa Loum donne à Fatou une urne contenant les cendres de sa famille. Félix se demande si ce sont vraiment leurs cendres, mais le féticheur répond que ce n'est pas vraiment important. Ce qui est important, c'est le rituel symbolique – elle doit les rendre à la nature pour qu’ils puissent continuer leur chemin et après, elle peut emporter leur souvenir dans son cœur (Schmitt, 2019a : 87). Papa Loum continue d’expliquer que les ancêtres resteront avec Fatou et Félix. Pour leur rendre hommage, Félix doit répandre du sable sur le sol de leur cuisine.

Un autre exemple est le morceau d'ébène qui est censé aider Félix à dormir. Félix arrive au Sénégal où il trouve tout étrange et inconnu. Il doit aussi dormir dans une maison de deux pièces avec une famille qui compte dix-neuf membres. C'est très différent de l'appartement qu'il habite à Paris et qu'il ne partage qu'avec sa mère. De plus, il s'inquiète de sa mère qui est malade.

Papa Loum lui donne l’ébène et propose un rituel qu'il doit faire pour s'endormir. Le résultat est que Félix dort comme une souche (Schmitt, 2019a : 74). Plus tard, Félix interroge le féticheur afin de savoir si c'est une méthode pour se convaincre soi-même, mais le féticheur explique que c’est « sa croyance qui réveille les qualités des

choses » (Schmitt, 2019a : 88).

Le message philosophique de Schmitt est que ce n'est pas l'ébène qui est important, mais le rituel et la croyance qui l'accompagnent. Il s’agit de quelque chose de

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beaucoup plus intérieur. Ce qui guérit est la spiritualité, pas l'objet (Schmitt dans Hamouchi, 2019 : 3).

Ainsi, nous pouvons voir comment un double message se trouve à l'intérieur des symboles. Cependant, l’auteur emploie un autre outil pour montrer la double signification du message que les personnages véhiculent par le biais des dialogues.

1.2.2.3 Les dialogues

Le dialogue joue aussi un rôle pour révéler l’invisible. Prenons l’exemple de Robert Larousse. Fatou a surnommé ainsi un de ses fidèles clients parce qu’il a pour but d’apprendre le dictionnaire par cœur. Quand Robert Larousse entend dans une conversation un mot qu’il a déjà appris dans le dictionnaire, il ne peut pas s’empêcher d’en donner la définition.

Le premier mot qui apparait dans la conversation est « blockhaus » : « Petit ouvrage

militaire défensif » (Schmitt, 2019a : 17). Le mot pourrait faire référence au café Au Boulot qui est en surface un endroit très convivial, mais plus profondément, c’est

pour Fatou un ‘ouvrage militaire défensif’ contre le monde extérieur.

Un autre mot qui a un double sens dans ce récit et œuvre comme un avertissement, c’est « gageure ». Après avoir décidé d’acheter l’épicerie de Monsieur Tchombé, Fatou dit que c’est une ‘gageure’, que Robert Larousse clarifie comme étant une « Action si étrange, si difficile, qu’on dirait un pari à tenir, un défi à relever » (Schmitt, 2019a : 20). Comme si ses mots étaient chargés de prémonitions puisque Fatou se retrouve soudainement au milieu d’une situation bouleversante parce qu'elle apprend qu'elle ne peut pas continuer son entreprise à cause d’une dette insoupçonnée. Elle fait face à d'énormes difficultés et elle tombe malade. En outre, la situation se transforme en un autre défi parce que le reste de sa famille a maintenant du mal à trouver le moyen de l'aider à aller mieux.

Schmitt emploie le personnage de Robert Larousse pour ancrer l'histoire avec des définitions claires de certains mots, en respectant ainsi la réalité. Il le fait fort habilement, parce qu'il donne en même temps une indication du monde de l'imaginaire.

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