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Le Multilinguisme dans les Organisations Internationales - Le maintien de l’équilibre entre le français et l’anglais dans les organisations internationales

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Le

Multilinguisme

dans

les

Organisations Internationales

Le maintien de l’équilibre entre le français et l’anglais dans les

organisations internationales.

Mémoire de MA

Louisa Belguebli S1341898

Directeur de mémoire : Dr. K. Sanchez Second lecteur : Dr. J. Doetjes

Août 2018

Université de Leiden Département de Français

(3)

Table des matières

Introduction p. 4

1 Langues, mondialisation et organisations internationales p. 6 1.1 Langues, globalisation et mondialisation : Approche historique p. 6 1.2 Langues, globalisation et mondialisation : Tendances p. 10

1.3 Langues et organisations internationales p. 12

1.4 Débats autour de la menace et de la défense de la langue française et

de l’impact de la sphère anglophone p. 17

1.4.1 Le déclin du statut du français p. 18

1.4.2 La corruption linguistique p. 18

1.4.3 La colonisation idéologique p. 19

2 Nations Unies, Cour internationale de Justice et multilinguisme p. 22 2.1 Nations Unies et débats sur le multilinguisme historique et contemporain p. 22 2.1.1 C. Pollard et R. Phillipson à propos du monolinguisme à l’ONU p. 23 2.2 La Cour internationale de Justice et les débats linguistiques p. 27

2.3 Langues et procédures judiciaires p. 29

2.4 Le département des affaires linguistiques p. 31

Conclusion p. 35

Bibliographie p. 38

(4)

Introduction

En raison de la mondialisation croissante, de plus en plus d’organisations internationales se trouvent dans une situation où la nécessité d'étudier les liens entre la diversité linguistique, le rôle de l’anglais et la gestion organisationnelle internationale a augmenté. En effet, des difficultés dans le domaine de la communication multilingue peuvent être un obstacle dans la quête de l’organisation vers une intégration globale.1 En observant ceci, on s’attendrait à ce que beaucoup d’attention ait été prêtée au

rôle du multilinguisme dans les organisations internationales. Cependant, ceci n’est pas le cas ; le langage serait même considéré comme « un facteur oublié2 », au sein de la recherche

organisationnelle. Dans ce mémoire, nous avons choisi de nous pencher sur ce défi, en tentant de trouver une réponse à la question de recherche suivante : dans quelle mesure, dans le contexte contemporain de globalisation et mondialisation, un équilibre linguistique est-il maintenu dans les organisations internationales ?

Durant de notre cursus universitaire et nos expériences professionnelles, nous avons été fascinée par l’analyse de situations plurilingues. De plus, pendant le stage que nous avons effectué au Département Linguistique de la Cour Internationale de Justice3, nous avons été confrontée à de

nombreuses questions ayant trait à au rapports entre les langues officielles et langues utilisées dans les organisations internationales.

La situation linguistique à la Cour nous a servi comme cas d’études que nous plaçons dans un contexte plus large de globalisation et de mondialisation. C’est pour cela que nous avons divisé notre mémoire en deux parties : dans la première (‘Langues, mondialisation et organisations internationales’), nous prêtons attention aux développements historiques et aux tendances qui entourent le multilinguisme au sein des organisations internationales. Cependant, comme le rôle du multilinguisme au sein d’organisations internationales est un sujet très large, le lien linguistique auquel nous prêtons le plus d’attention est celui entre la langue anglaise et la langue française. Celles-ci sont les langues offiCelles-cielles autant que les langues de travail4 au sein de la Cour internationale de

Justice.

1 Marschan, R., et al. “Language: The Forgotten Factor in Multinational Management.” European Management Journal,

vol. 15, no. 5, 1997, p. 591.

2 Ibidem

3 De février jusqu’à avril 2018

4 Une langue officielle est une langue qui est spécifiquement désignée comme telle, dans la constitution ou les textes de

loi d'un pays, d'un État ou d'une organisation quelconque. Une langue de travail est une langue à laquelle on attribue un statut légal dans une entreprise supranationale, dans une organisation internationale, dans un État ou une autre organisation comme son moyen principal de communication.

(5)

La deuxième partie de notre mémoire (‘Nations Unies, Cour internationale de Justice et multilinguisme’), consiste en une analyse des débats historiques et contemporains sur le multilinguisme au sein des Nations Unies. Par la suite, nous nous focalisons sur le multilinguisme au sein de la Cour Internationale de Justice.

Les sources que nous avons consultées concernent plusieurs domaines. Pour formuler des réponses à des sous-questions telles que ‘de quelles façons la diversité linguistique s’organise-t-elle dans un contexte organisationnel ? Nous nous servons d’études qui concernent le domaine organisationnel. De plus, nous consultons et en comparons des opinions d’experts ayant une position très différente sur le multilinguisme (les points de vues de Catherine Pollard5 - coordinatrice pour le

multilinguisme au sein du Secrétariat des Nations unies et de Robert Phillipson6 - professeur de

recherche au Département d'anglais de la Copenhagen Business School). A partir de cela, nous tenterons de découvrir les enjeux de la globalisation au sein des débats linguistiques dans les organisations internationales.

5 La carrière de Mme Pollard aux Nations Unies a commencé en 1989 lorsqu'elle a travaillé avec le Programme des

Nations Unies pour le développement (PNUD) en tant que chef des projets d'exécution nationale. Née en 1960 en Guyane, Mme Pollard est titulaire d'une maîtrise en comptabilité de l'Université des Antilles, à Kingston, en Jamaïque. Elle

6 Robert Henry Lawrence Phillipson (1942) a marqué le champ des politiques linguistiques avec ses ouvrages

(controversés) Linguistic Imperialism et English-Only Europe? Il a obtenu son doctorat à l'Université d'Amsterdam et ses intérêts incluent la pédagogie des langues, la politique linguistique et les droits humains linguistiques.

(6)

1 Langues, mondialisation et organisations internationales

1.1 Langues, globalisation et mondialisation : Approche historique

Les hésitations entre monolinguisme et multilinguisme ont toujours animé les débats des différentes sociétés. À partir de 1628, Comenius, théoricien du multilinguisme, avait un grand intérêt pour l’idée qu’il serait possible d’instaurer une langue universelle : « Le grand bonheur que nous aurions s’il n’existait qu’une seule langue ! […] Je concède que la connaissance de plusieurs langues n’est pas essentielle à l’atteinte de la sagesse […] De fait l’homme n’en serait pas moins heureux si, comme c’était le cas au Paradis, il ignorait pour toujours les langues pour n’en parler qu’une seule7 ». A vrai

dire, Comenius n’était pas le seul à réfléchir sur l’instauration d’une langue universelle, sa pensée linguistique constitue l’une des bases qui fonde cet espoir. Le fait que ces idées étaient populaires au cours de la Renaissance et au long du XVIIe siècle, est dû à des changements mondiaux :

l’Europe subit […] l’expérience de l’éclatement de l’unicité linguistique à travers trois processus simultanés:

- La désagrégation de l’universalité du latin comme langue d’accès à la culture (gréco-latine) et de support de toute recherche ou débat intellectuel (philosophique) ;

- La (re)découverte du grec comme langue complémentaire de culture et de l’hébreu comme langue religieuse ; - L’accès des différentes langues vernaculaires au statut de langues dignes d’être parlées et écrites ;

- La découverte des multiples langues parlées de par le monde, à la suite des voyages en Amérique et aux Indes orientales.8

Par conséquent, on s’efforçait de déterminer quelle langue présenterait les meilleures garanties en tant que langue universelle, voir même langue originelle (lingua ademica, c’est à dire la langue étant supposée avoir été celle du paradis même).9 Cependant, la conclusion qui fut tirée à partir de

cette recherche utopique, était que la diversité linguistique est inévitable (Comenius).

Tout de même, le désir d’unité ne disparaissait pas « [Il] se transfère alors sur l’effort d’ériger une langue existante en langue universelle pour le monde civilisé. Ce sera, bien sûr, la langue du pays hégémonique du moment qui s’impose à l’élite internationale, aux cosmopolites de la jet-set et à d’autres citoyens du monde. À l’époque moderne, ce sera le français10 ». Trois facteurs était mis en

avant pour justifier le statut universel de la langue française : le rêve de la monarchie universelle, l’idéal révolutionnaire, puis l’aventure impériale.11

7 Comenius, J. A. ([1648] 2005). Novissima Linguarum Methodus. La toute nouvelle méthode des langues. Gèneve-Paris

: Droz. Dans : Zarate, G., et al. Précis Du Plurilinguisme Et Du Pluriculturalisme. Editions Des Archives Contemporaines, 2008, p. 392.

8 Suso López, J. « Diversité des langues ou langue universelle : Comenius et le ‘surpassement’ de la malediction de Babel

» Dans : Zarate, G., et al. Précis Du Plurilinguisme Et Du Pluriculturalisme. Editions Des Archives Contemporaines, 2008, p. 391.

9 Comenius op. cit. p. 427, voir note 1 10 Ibidem

(7)

Jusqu’au premier quart du XXe siècle, le français était donc devenu la langue de référence de la diplomatie.12 Ceci eut également un impact sur les choix concernant la politique linguistique,

pendant l’établissement d’organisations internationales. Dans ce mémoire, nous traitons de l’Organisation des Nations Unies (l’ONU).13 Lorsque l'ONU a été fondée, et même avant sa création,

un langage commun était nécessaire pour ses opérations et l’établissement d’un dialogue international. Pour ceci, la Société des Nations (SDN, le prédécesseur de l’ONU) utilisait deux langues : le français et l’anglais.

La raison pour laquelle les négociations faites pendant le traité de Versailles, qui ont abouti à l’établissement de La Société des Nations en 1919 ont été menées en anglais et en français plutôt que seulement en français, est que les dirigeants de la Grande-Bretagne (Lloyd George) et des États-Unis (Woodrow Wilson) ne s’exprimaient pas en français.14 Par conséquent, les délégations anglophones

exigèrentl’engagement d’officiers militaires pendant ces réunions pour qu’ils traduisent les discours de la contrepartie française. C’est lors de ces négociations que l’interprétation moderne a été lancée :

en se souciant de l’organisation de la parole exigea des délégués qu’ils débattent de l’interprétation des discours. Ainsi fut inventée l’interprétation vocale consécutive pour les sessions plénières comprenant de grands groupes d’auditeurs, une interprétation de proximité avec un plus petit nombre de personnes pour l’interprétaient entre délégations, et des versions autorisées des décisions imprimées, autrement dit, des traductions qui engageaient les partis.15

Comme le français et l’anglais furent employées pendant cette première réunion, elles demeurent les deux langues de travail de la Société des Nations. La médiation langagière est également un sujet que nous traitons plus en profondeur plus loin dans ce mémoire. En tant que successeur de la Société des Nations, l’ONU adopta également le français et l’anglais comme ses langues de travail.

Le statut élevé de ces langues était maintenu par le fait qu’elles étaient largement utilisées dans le domaine de la science, la diplomatie et les affaires internationales. Elles étaient également largement enseignées dans les systèmes éducatifs à travers le monde.16

12 Lo Bianco, J. « la traduction comme institution : héritage et pratique » Dans : Zarate, G., et al. Précis Du Plurilinguisme

Et Du Pluriculturalisme. Editions Des Archives Contemporaines, 2008, p. 350.

13 C’est le 24 octobre 1945, en remplaçant La Société des Nations - une organisation internationale introduite par le Traité

de Versailles en 1919 - que l’Organisation des Nations Unies (l’ONU) était officiellement entrée en vigueur. L’ONU est une organisation internationale qui regroupe 193 États. En promouvant la protection des droits de l'homme, l'aide humanitaire, le développement durable et la garantie du droit international, l’ONU se charge du maintien de la paix et de la sécurité internationale. La Charte des Nations Unies décrit la composition de ses organes principaux, à savoir l'Assemblée générale, le Conseil de sécurité, le Conseil économique et social, le Conseil de tutelle, la Cour internationale de justice et le Secrétariat.

14 Tonkin, H., « Language and the United Nations: A Preliminary Review »

esperanto-un.org/images/languages-un-tonkin-draft-dec2011.pdf, 2011, p. 3.

15 Lo Bianco op. cit. p. 350, voir note 6 16 Tonkin op. cit. p. 2, voir note 8

(8)

La représentation des langues est, selon les contextes historiques et géographiques, normée et hiérarchisée17. Si la hiérarchie des langues serait liée à une forme de pouvoir, ceci ne semble pas être

pertinent pour la situation contemporaine. Ceci est illustré à partir de la situation au sein de l’Union Européenne : « parmi tous les groupes linguistiques de l’Union Européenne, l'allemand a le plus de locuteurs natifs, l'économie la plus forte, ainsi qu'un fonctionnement extranational. Cependant, rien n'indique que l'allemand pourrait rivaliser avec l’anglais de nos jours18 ».

En effet, avec la mondialisation qui s’est intensifiée dans les années 1970, ce n’était plus le français, mais l’anglais qui a obtenu un statut hégémonique dans l’Europe plurilingue :

Et maintenant de l’anglais comme langue préférentielle de la communauté scientifique internationale, enfin à la maîtrise doucement imposée de l’anglais par le monde des médias, de la culture populaire, de la technologie et plus récemment de l’univers numérique. Cette dominance de l’anglais est souvent présentée ou redoutée comme une conséquence inévitable et définitive de la mondialisation et elle se pare volontiers d’arguments symboliques, tel le prestige de la liberté, la prospérité et la démocratie que ses pays propagent.19_

La dominance de l’anglais est fréquemment liée au phénomène de la mondialisation, un terme sur lequel nous voulons nous attarder brièvement, puisqu’il est souvent employé dans le même contexte que la globalisation. La mondialisation renvoie à l’idée d’une unification du temps et de l’espace : « La mondialisation se définit comme un processus multidimensionnel concernant différents aspects de la vie des sociétés et des individus. Elle se traduit par l’intensification des flux d’échanges de biens matériels et immatériels. Elle concerne les registres social, culturel, environnemental et économique et de fait interpelle différentes disciplines20 ».

En ce qui concerne la définition du terme « globalisation », nous adopterons la définition de Cynthia Ghorra-Gobin, qui explique que ce terme fait référence à l’universalisation des enjeux mondiaux :

Elle participe d’une réflexion sur d’une part la métamorphose du capitalisme et d’autre part la recomposition du local sous l’effet du transnational. La globalisation renvoie à la métamorphose d’un capitalisme émancipé du cadre national (ou postfordiste) et financiarisé. La politique de déréglementation relevant de l’idéologie néolibérale a renforcé le poids des actionnaires dans les instances décisionnelles et a sensiblement modifié l’organisation des entreprises.21

De cette façon, nous avons tenté de faire une distinction objective entre les deux termes. Cependant, il existe des parties qui font une distinction entre ces deux termes, qui semble contenir un jugement

17 Tsui, A. « Mondialisation et paradoxes linguistiques : le rôle de l’anglais » Dans : Zarate, G., et al. Précis Du

Plurilinguisme Et Du Pluriculturalisme. Editions Des Archives Contemporaines, 2008, p. 353.

18 Ibidem

19 Frijhoff, W. « Histoire, pratiques et modèles - Contrepoint » Dans : Zarate, G., et al. Précis Du Plurilinguisme Et Du

Pluriculturalisme. Editions Des Archives Contemporaines, 2008, p. 427.

20 Ghorra-Gobin, [en ligne],

http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/notion-a-la-une/mondialisation-globalisation (page consultée le 7 mai 2018).

(9)

de valeur : « The French use the term mondialisation to signify a more benign form of globalisation,

one fostering cultural, economic, political and linguistic diversity22 ». Dans ce cas, il s’agit de parties

qui perçoivent la langue française comme menacée par la globalisation. Cette définition implique en effet que la globalisation, contrairement à la mondialisation, ne préserverait pas la diversité culturelle, économique, politique et linguistique et est - par conséquent - perçue comme une menace : «

Globalisation constitutes what the language defenders see as the greatest external threat to French identity and therefore to the French language. It is often referred to in France as Americanisation23

». Nous revenons sur ce sujet en détail dans le quatrième chapitre de ce mémoire.

22 Adamson, R. The Defence of French: a Language in Crisis? Multilingual Matters, 2007, p. 158. 23 Ibidem

(10)

1.2 Langues, globalisation et mondialisation : Tendances

Depuis des siècles24 les gouvernements des pays occidentaux imposent une langue d’administration

uniforme, autant pour le bon ordre du gouvernement que pour promouvoir l’unité vécu du territoire et l’identité culturelle du pays. Par conséquent, dans les grands pays officiellement monolingues tels que la France, la langue nationale est celle qui est généralement employée dans les communications internationales. Cependant, ceci ne doit pas faire oublier le fait que le plurilinguisme est omniprésent dans la vie quotidienne de la majorité de ces pays. D’une partie, ceci est dû à l’existence de langues « concurrentes ou subalternes, dialectes, régiolectes ou sociolectes. 25 » Et de l’autre, à

l’internationalisation des jardins professionnels.26 Ce dernier facteur fut prédit par l’économiste

Jacques Attali dans son livre Une brève histoire de l’avenir :

[Dans ce XXIe siècle] le voyage deviendra une part majeure de la formation universitaire et professionnelle ; il faudra démontrer sans cesse des qualités de voyageur pour rester ‘employable’ (…) au total, dans vingt-cinq ans, environ cinquante millions de personnes vivront ailleurs que dans leur pays natal ou que dans le pays natal de leurs parents.27

Il nous semble que dans un tel contexte de mobilité, les organisations internationales sont une composante importante de ces jardins professionnels. Cependant, seulement un nombre d’études limité s’est attaché au rôle et à l’impact des langues dans les organisations internationales.28

Auparavant, la communication internationale et par conséquent le multilinguisme, étaient un aspect qui concernait uniquement les échelons supérieurs d’une organisation.29 De nos jours ceci n’est plus

le cas. Il y a plusieurs tendances qui indiquent le fait que les organisations internationales sont des organisations multilingues dans lesquelles la diversité linguistique doit être prise en compte dans l’organisation structurelle :

New organizational forms and practices such as network structures have pushed the language challenge to multiple hierarchical levels. Not only managers at top echelons of the organization frequently communicate in multiple languages, but also personnel at multiple organizational levels.30

Un autre changement pertinent concerne celui de la mobilité. Auparavant, la communication internationale concernait surtout des cadres expatriés travaillant dans des filiales étrangères. Cependant, grâce aux nouvelles technologies et à une mobilité croissante, les gestionnaires interagissent presque quotidiennement avec des collègues à l’étranger, en parlant différentes langues.31

24 En France depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. 25 Frijhoff op. cit. p. 427, voir note 16

26 Ibidem

27 Attali J., 2006, Une brève histoire de l’avenir, Paris, Fayard, pp 185, 203.

28 Janssens, M., Lambert, J., Steyaert, C, Developing language strategies for international companies: The contribution of

translation studies. Journal of World Business,39(4), 2004, 416.

29 Janssens op. cit. p. 414, 415 voir note 23. 30 Ibidem

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La troisième tendance concerne l’emploi répandu de la langue anglaise, qui, en soi contredirait le fait que le multilinguisme augmente. Un paradoxe semble être présent en ce qui concerne ce sujet. Nous prenons l’éducation comme exemple : pour être compétitifs sur le marché mondial, les États dont la langue nationale est une lingua franca en concurrence avec l’anglais - c’est à dire, la France, l'Allemagne et l'Espagne - investissent dans l'apprentissage de l'anglais dans l'éducation publique, même si cette langue serait considérée comme une menace pour les valeurs culturelles et linguistiques de ces pays.

En même temps, la didactique des langues est en cours de transformation. Ceci est le cas à un niveau européen :

Le champ de la didactique des langues est en cours de transformation. Depuis plus de dix ans, l’espace européen se constitue en entité géopolitique spécifique, de moins en moins réductible à la somme des pays qui la composent. Le rôle que jouent les langues dans l’architecture politique, économique et sociale de cet ensemble se repère dans un certain nombre de textes qui invitent à une vision commune de la diversité linguistique et culturelle. En témoignent la Charte

européenne des langues régionales ou minoritaires, (Conseil de l’Europe, 1992), la définition des compétences

linguistiques du citoyen européen sur la base de la maîtrise de trois langues communautaires (Livre blanc. Enseigner et

apprendre. Vers la société cognitive. Commission européenne, 1995), le Cadre européen de référence pour les langues

et le Portfolio européen des langues (Conseil de l’Europe, 2001) qui sont autant de signes officialisant le rôle des langues dans la définition d’une identité européenne.32

De plus, hors de la dimension éducative, il y a d’autres tendances qui indiquent que cette hégémonie de l’anglais pourrait décliner :

Des failles se montrent déjà dans l’Extrême Orient. Le déclin probable de l’emprise américaine sur le monde aidant, l’historien prévoit que l’anglo-américain suivra un jour le chemin du français. Considéré jadis comme la langue universelle définitive, celui-ci a dû baisser pavillon en raison de la faillite de l’idéologie de supériorité de la civilisation française et du déclin politique de la France sur la scène internationale.33

32 Zarate, G., et al. Précis Du Plurilinguisme Et Du Pluriculturalisme. Editions Des Archives Contemporaines, 2008, p.

16.

(12)

1.3 Langues et organisations internationales

Dans ce chapitre nous traitons du rôle des langues et du multilinguisme au sein d’un espace organisationnel. Dans la première partie, nous analysons différents concepts linguistiques pertinents. Ceci nous servira pour mieux entrevoir la façon dont le multilinguisme se manifeste dans un contexte organisationnel.

Une façon de comprendre le langage est en tant que phénomène social.34 Deux éléments de ce

phénomène sont à considérer : la langue en tant que « cristallisateur d’attitudes diverses » et en tant « qu’objet de représentations » (à partir de maintenant, nous faisons référence à ceci en employant le terme « représentation sociale »). Nous commençons par expliquer ce dernier en plus de détail, pour en venir aux attitudes plus tard dans ce chapitre. Les représentations sociales font référence à des cadres de référence partagés, qui sont utilisés par les locuteurs comme grilles de lecture pour interpréter et donner un sens au monde qui les entoure.

Il existe des similitudes entre le concept des représentations sociales et une notion établie par Appadurai (1996), nommé le « linguascape35 ». Tout comme dans la définition des représentations

sociales, pour les linguascapes, la notion de l’espace joue un rôle clé. L’anthropologiste Arjun Appadurai conceptualise le monde en tant que paysages liés. Il distingue cinq « scapes » différents (ethnoscapes, financescapes, technoscapes, ideoscapes and mediascapes). La notion du linguascape36

est applicable dans un grand nombre de contextes :

Simply put [a linguascape] is used to describe the flow of languages that cross a specific space. The notion of the linguascape can be used in many different contexts, as these spaces can be filled in differently (for instance, a nation). Thus a linguascape refers to the discursive space in which an organization or any other actor frames and imagines how it can deal with its (de facto) multilingual composition.37

La façon dont nous voulons comprendre ce terme, est en analysant les flux de langages dans des organisations internationales. Par conséquent, l’environnement social pertinent dans notre étude, est un environnement organisationnel.

Nous procédons par une description de plusieurs façons dont une situation plurilingue est gérée dans un contexte organisationnel. Comme point de départ, nous nous servons d’une liste de points concernant la direction d’organisations38 :

34 Moore, D., Py, B. « Introduction : Discours sur les langues et représentation sociales » Dans : Zarate, G., et al. Précis

Du Plurilinguisme Et Du Pluriculturalisme. Editions Des Archives Contemporaines, 2008, p. 273.

35 Steyaert, C., et al. Multilingual Organizations as ‘Linguascapes’: Negotiating the Position of English through

Discursive Practices. Journal of World Business, vol. 46, no. 3, 2011, p. 270.

36 Le concept du linguascape a des similitudes avec le concept de l’ethnoscape, mais ils ne coïncident pas. Les langues

employées en tant que premières langues peuvent suivre les flux de migrations, car les gens portent leur première langue avec eux. Cependant, le fait que les gens puissent apprendre des langues plus tard dans la vie, en tant que langues secondes et étrangères, suggère que les linguascapes n'ont pas les mêmes profils que les ethnoscapes.

37 Steyaert, C., et al. Multilingual Organizations as ‘Linguascapes’: Negotiating the Position of English through

Discursive Practices. Journal of World Business, vol. 46, no. 3, 2011, p. 270.

38 Marschan, R., et al. Language: The Forgotten Factor in Multinational Management. European Management Journal,

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1. In the extreme, one response is to do nothing. In other words, an individual who lacks fluency in the company language, may ignore or disregard a communication and not seek to translate it.

2. Another response is to seek out and use someone within the subsidiary who is fluent in the company language to provide the necessary translation.

3. Individual staff may identify or know people in other units and at headquarters who can speak their mother tongue. 4. Clearly, one way that subsidiary staff may cope with language barriers is to learn the company language.

Cette approche apporte différents défis pour l’organisation. La première peut être problématique dans le sens où elle empêche un flux d’information de circuler. Il en va de même pour la traduction décrite dans la deuxième approche. C’est à dire que des messages seraient parfois seulement transmis en partie ou bien altérés pendant la transmission.39 Par conséquent, les différences de maitrise

linguistique peuvent créer un déséquilibre en ce qui concerne qui possède certaines informations dans une organisation. Ce qui, à son tour, peut avoir des implications sur les rapports de pouvoirs entre des employés (sur lequel nous revenons plus tard dans ce chapitre) et à la distribution des tâches dans l’organisation, puisqu’avoir un rôle informel d’intermédiaire linguistique pourrait empêcher celui-ci de faire d’autres tâches. La quatrième solution introduit le terme « company language », ce qui implique qu’une seule langue de travail est employée pour gérer les flux linguistiques et de communication. La détermination d’une telle langue n’est pas une chose évidente, puisque cela évoque plusieurs questions ; faut-t-il choisir la langue locale ? Ou bien la langue maitrisée par la majorité des employés ? Ou bien une langue commune (qui dans beaucoup de cas est l’anglais) ? L’instauration d’une langue commune est généralement considérée comme une étape simpliste dans le traitement de la diversité linguistique.40 Cependant, il ne s’agit pas d’un processus évident. Il faut

premièrement tenir compte du rôle que d’autres langues (locales) vont jouer à côté de cette langue ; « introducing a common corporate language will not render the firm monolingual ». A vrai dire, cette solution n’est pas une solution qui est toujours intégrative :

« [it] can bring with it disintegrative patterns of communication or signs of a shadow-language41 ».

Voici un exemple concret de la façon dont ceci peut causer des tensions. Il s’agit d’un cas d’étude de l’organisation (anonimisée) ‘Maximal’, qui se trouve dans en Suisse, et où par conséquent, le français et l’allemand sont employés. Nous avons souligné les différentes options possibles42 :

The ‘linguascape’ of Maximal is characterised by an ongoing negotiation process where tensions among various discursive practices are reconfigured. The discursive practice that the location should orient people to adopt the local language used to be dominant but is increasingly in tension with the discursive practice which prompts people to use English as a third language. This tension is mediated by other options which are instigated by drawing upon more situational practices, where people negotiate a common solution or where they improvise and actively mix different

39 Marschan op. cit. p. 595, voir note 37 40 Steyaert op. cit. p. 271, voir note 34 41 Steyaert op. cit. p. 274, voir note 34 42 Ibidem

(14)

languages […] the growing presence of expats increases the orientation towards a compromise language. Even when negotiation occurs, the pressure to take on English as a negotiated solution is rising, while improvisation allows people to switch among languages.

Nous voyons qu’il y a une tendance à adopter l'anglais comme langue de compromis. Cependant, ce processus est accompagné de signes de résistance et de tensions, où d'autres options linguistiques demeurent viables pour un certain nombre d'employés.

Une deuxième chose qui rend cette démarche simpliste, est le refus de reconnaître que ceux qui utilisent l'anglais peuvent avoir différents niveaux de maitrise de cette langue. Cela nous emmène à la question de l’apprentissage de la langue. Le linguiste Larry Selinker (1972) a établi une notion qui nous semble pertinente dans ce contexte, c’est à dire celle de « l’interlangue » (toute langue acquise / apprise au-delà de la première langue) :

Elle [l’interlangue] est une langue d’apprenant, langue par principe instable et en instance permanente de “normalisation”. Avec la notion de normalisation nous nous référons à dessin à la langue et non pas à tel locuteur, locuteur “natif” à tort idéalisé au cours de l’histoire de la didactique des langues et de certains courants linguistiques. C’est notre langue dite “étrangère” que nous avons l’intention de développer afin qu’elle apparaisse plus ou moins “normale”, compréhensible, plaisante, qu’elle ne choque pas l’autre et surtout pas le natif.43

Cette notion de normalisation mène inévitablement à une réflexion sur la différence entre un locuteur natif et un apprenant. Les auteurs du Cadre européen de référence pour les langues, ont défini ces niveaux de compétences.44 Cependant, le processus pour arriver d’un niveau de maitrise à un autre,

n’est pas toujours évident et peut mener à différentes représentations d’une même langue. Nous voyons par exemple que, dans le cas suivant, l’anglais est caractérisé de trois différentes façons (que nous avons soulignées) : « Malgré tous les efforts de “normalisation”, nous n’arriverons pas à parler la langue d’un locuteur ‘idéal’, ni même à parler la langue d’un locuteur natif réel, mais nous parlerons notre langue ‘autre’45 ». Dans de telles situations, les discours qui circulent sur les langues, sur les

locuteurs et sur l’apprentissage jouent un rôle déterminant pour la dynamique dans une organisation. Ceci est le cas, parce que les représentations d’une langue influencent les attitudes envers elles.46

Voici un exemple concret de la façon dont des tensions peuvent se manifester entre des locuteurs natifs et des apprenants d’une langue :

On the one hand, a simplified version of English is used as a ‘business tool’ by people from different linguistic backgrounds. On the other hand, English is the language that employees from the Anglophone linguistic space speak as

43 Christ, H, Adelheid, H., « Soi et les langues - Contrepoint » Dans : Zarate, G., et al. Précis Du Plurilinguisme Et Du

Pluriculturalisme. Editions Des Archives Contemporaines, 2008, p. 114.

44 Le niveau de compétence de l’apprenant le plus haut « maîtrise », soulignent qu’ils n’ont pas eu l’ambition d’égaler la

compétence du locuteur natif ou presque. « Le but est de caractériser le degré de précision, d’adéquation et d’aisance de la langue que l’on trouve dans le discours de ceux qui ont été des apprenants de haut niveau (2000 : 34). Apprenants de haut niveau, mais apprenants quand même. (précis p. 114, 115). »

45 Christ op. cit. p. 114, voir note 42 46 Moore op. cit. p. 274, voir note 29

(15)

a mother tongue — a ‘real’ language with all the cultural connotations and subtleties of a ‘real’ language. In the latter case, English functions as discursive practice one: ‘adaptation to the viable language of a certain location’, in this case the Anglophone linguistic space.4748

On peut imaginer que ces représentations d’une langue créent des tensions au sein de l’espace organisationnel :

This distinction brings along a variety of political meanings where English is simultaneously considered as offering a chance at democratization and assessed as a form of power imbalance: because a minority of employees can speak their mother tongue, non-native speakers of English are forced into a subordinate position.49

Pour clarifier le lien entre le pouvoir, la culture et la divergence entre les locuteurs natifs et les apprenants d’une langue, nous faisons appel à un dernier concept, c’est-à-dire celui des ‘stratégies linguistiques’.50 Il s’agit de stratégies qui représentent des conceptions différentes par rapport à la

façon dont on peut organiser l’activité linguistique d’une organisation. Trois types de stratégies linguistiques se distinguent : (1) une stratégie mécanique, (2) une stratégie culturelle et (3) une stratégie politique.51

Le point de départ de la stratégie mécanique est qu’une seule langue de travail est employée et que la culture organisationnelle est homogène. D’un point de vue culturel (2), cette conception est limitée. Son point de départ est que les langues sont un élément clé en ce qui concerne la création d’une culture. Dans la première partie de ce chapitre, nous avions soulevé le lien entre le langage et les cadres de références. D’un point de vue culturel (2), les employés ne peuvent pas automatiquement avoir un cadre de compréhension partagé en raison de la variation inévitable des cadres culturels à travers lesquels la langue est comprise. La perspective politique (3) reconnaît ceci, cependant ; elle présuppose que cette diversité linguistique et (par conséquent) culturelle, mène à des rapports de pouvoirs entre les parties différentes.

Dans le chapitre suivant, nous nous focalisons sur deux langues : le français et l’anglais. Nous faisons ceci à partir de la perspective politique, en analysant notamment les rapports de pouvoirs entre ces deux langues.

47 Steyaert op. cit. p. 275, voir note 34 48 Souligné par l’auteur

49 Ibidem

50 Janssens op. cit. p. 418, voir note 23 51 Janssens op. cit. p. 415, voir note 23

(16)

1.4 Débats autour de la menace et de la défense de la langue française et de l’impact de la sphère anglophone

« En principe, les deux langues, l’anglais et le français, sont sur le même pied. Mais, en réalité, ce sont deux pieds sur la même langue » - le Cornec, 1981

Dans le premier chapitre de ce mémoire, nous avons brièvement traité le fait que les termes « globalisation » et « mondialisation » ne sont pas interchangeables, après quoi nous avons formulé une définition objective de ces deux concepts. Nous avons vu que la globalisation, contrairement à la mondialisation, est perçue comme un phénomène qui ne préserverait pas la diversité culturelle, économique, politique et linguistique et qui, par conséquent, est perçu comme une menace pour la langue française.

Par la suite, on est amené à se demander depuis quand des efforts ont été faits pour défendre la langue française. Comme nous l’avions expliqué dans le premier chapitre, en Europe, jusqu’au dix-neuvième siècle, le français était la langue qui s’était imposé à l’élite internationale, aux cosmopolites de la jet-set et à d’autres citoyens du monde.52 Avec la colonisation, elle avait également obtenu le

statut de langue mondiale. Par conséquent, avant le début du vingtième siècle, il n’y eut aucun besoin de défendre le français. Cependant, même s’il n’était pas question d’une nécessité, des mécanismes pour défendre la langue française avaient déjà été mis en marche dès le 16e siècle.53

Ultérieurement, les premières alliances formelles pour défendre le français ont été formées avant la deuxième guerre mondiale. Cependant, plus d’organisations de défense furent formées dans la deuxième partie du vingtième siècle. Ces organisations opèrent à la fois à un niveau national et à un niveau international :

These organisations act as international pressure groups, actors in Cooper’s terms, to influence French language policy in France and in other countries, their ends being to ensure that those who control the linguistic culture of their working environment act to ensure that it remains French.54

Une série de publications par des spécialistes de la langue française et des journalistes donne un aperçu de leur attitude à l'égard de l’anglais :

Couteaux P.M., 2002 : Jusqu’à perdre sa langue

De Cuellar P., 2003 : Il faut sauver le français à l’ONU (dans la partie suivante nous y reviendrons). Duneton C., 2002 : Une attaque à la diversité culturelle

Favre d’Échallens M., 2002 : Après l’euro, l’anglo

52 Frijhoff op. cit. p. 427, voir note 16

53 Par exemple par le roi François I, qui rendit le français la langue officielle des textes juridiques en 1539, en

remplaçant le latin.

(17)

Favre d’Échallens M., 2002 : L’avenir s’écrit aussi en français Hagège C., 2007 : Halte au pseudo-anglais dans les entreprises

Hagège C., 2007 : Ne laissons pas l’anglais dominer, par fatalisme ou servilité Lavernir de Buffon H., 2002 : Le français, une langue pour l’Europe

Macé-Scaron J., 2002 : Quand l’Académie des sciences morales et politiques se penche sur le devenir du français Poivre d’Arvor O. et P., 2006 : La langue française, grande absente du débat présidentiel55

Nous voyons que la notion de combat est récurrente dans ces ouvrages (e.g. : ‘sauver’, ‘attaque’, ‘domination’). Ces auteurs, qui sont de l’avis que l’hégémonie de l’anglais est une menace pour la langue française, perçoivent cette menace à trois niveaux : (1) le déclin du statut de prestige (politique, sociale et linguistique) de la langue française, (2) la corruption linguistique et (3) la colonisation idéologique.

1.4.1 Le déclin du statut du français

Le déclin du statut de la langue française (1) fait référence à un déclin sur la scène internationale et à l’idée que le français se trouve « mis en situation d’infériorité, psychologique et technologique, par rapport à l’anglo-américain56 ». Pour aller à l’encontre ce phénomène, ceux qui défendent le

français réalisent qu’une défense de la langue va au-delà de la dimension linguistique. Elle passerait aussi par la représentation de la France :

Le Projet culturel extérieur (1983), un plan initié par le gouvernement pour promouvoir la langue et la culture françaises à l'étranger, articule cet impératif, reconnaissant la nécessité de « conserver à notre pays son image d’indépendance, de paix et de liberté, sur laquelle repose pour une part essentielle le prestige de sa langue et de sa culture à travers le monde57 ». Actuellement, ce sont les

États-Unis qui continuent de représenter ces images progressives dans le monde selon ce groupe de pensée. Cela explique en partie pourquoi l'anglais est perçu comme une menace pour la langue et la culture française.58

L’enjeu dépasse celui de la langue. "Celle-ci est constitutive de notre identité et véhicule des modes de perception qui ont modelé le système européen", explique l’ambassadeur de France à Bruxelles, Pierre Sellal, qui déplore que "les concepts aujourd’hui, que ce soit ceux de "développement durable", de "gouvernance économique" ou d’"agence" ne sont plus français.59

1.4.2 La corruption linguistique

55 Faitz op. cit. p. 104, voir note 50 56 Ibidem

57 Faitz op. cit. p. 105, voir note 50 58 Faitz op. cit. p. 104, voir note 50

(18)

La corruption linguistique (2) fait référence à la prolifération d’emprunts lexicaux à l’anglais, par exemple l’emploi des mots « weekend », « meeting » et « computer ». L'inévitabilité du changement de langage est un phénomène reconnu par l'Académie française. De plus, nous observons que malgré le fait qu’il s’agit de sujets importants autour de la langue, les linguistes semblent rarement être impliqués dans les mouvements de résistance, que ce soit en tant que participants ou consultants.60

1.4.3 La colonisation idéologique

La dernière dimension (3) est celle de la colonisation idéologique. La notion de ‘colonisation’ indique qu’il s’agit ici d’une question de pouvoir. En effet, cette dimension fait référence à l’idée que la dominance de l’anglais serait liée à l’imposition d’une culture et d’une vision du monde : « what

worries them most about the dominance of English, apart from the effect this will have on French, is the concomitant imposition throughout the world of one culture and one world view61 ». Dans son

article « Usage et défense de la diversité linguistique dans les organisations internationales ». Dominique Hoppe, président de l’Assemblée des francophones fonctionnaires des organisations internationales exprime la même inquiétude : « profondément influencées par le modelage de la

globalisation, ces logiques sociales se réfèrent aux mêmes sources linguistiques culturelles et conceptuelles. La langue est l’anglais, les outils conceptuels anglo-saxons et la doctrine à dominante néolibérale62 ».

Ces réclamations présupposent que tous ceux qui parlent une langue partagent une culture et que par conséquent, la domination de l’anglais serait intrinsèquement liée à l’uniformité.63 Durand,

dans son livre La Manipulation mentale par la destruction des langues, va même plus loin : « la poussée vers l’usage d’une langue unique […] favorise l’émergence d’une pensée unique ayant le potentiel, à terme, de se transformer en pouvoir unique, c’est-à-dire en dictature.64 ». Nous voyons

qu’une dichotomie est formée ; d’un côté il y a l’uniformité qui serait une conséquence de l’emploi répandu de l’anglais et de l’autre, la diversité culturelle et linguistique, qui se préserverait à travers la langue française :

Du moins peut-on se demander pourquoi les candidats à la plus haute fonction de l'Etat n'inscriraient pas dans leur programme la promotion de la diversité des cultures, et donc celle de la culture française à travers sa langue. Car le

60 Faitz op. cit. p. 104, voir note 50 61 Adamson op. cit. p. 145, voir note 19

62 Hoppe, D., « Usage et défense de la diversité linguistique dans les organisations internationales », Revue internationale

et stratégique (n. 89), 2013, p. 111 – p. 116.

63 Faitz op. cit. p. 110, voir note 50

(19)

français, avec plus de cinquante pays adhérant à l'Organisation internationale de la francophonie, est à la base, aujourd'hui, du seul autre projet existant face à l'énorme défi de l'uniformité.65

Robert Phillipson rejoint cette ligne de pensée. Dans son livre Linguistic Imperialism (1992), il exprime l’idée que l'enseignement global de l'anglais est un acte d'impérialisme linguistique.66 L’un

de ses arguments principaux est que la diffusion de l'anglais prend place au détriment des droits d’autres langues et marginalise les opportunités qui existent pour une éducation multilingue répandue. Il affirme que, depuis le 18ème siècle, la propagation de l’anglais était liée aux intentions politiques et économiques des nations anglophones.

Même si la vision anti-américaine est populaire, beaucoup d’études anglo-saxonnes et francophones contestent l’idée qu’une langue aurait des qualités intrinsèquement impérialistes.67

Catherine Pollard s’y réfère également, en tentant d’affirmer l’équité linguistique :

Sur un plan strictement linguistique, rien ne prédispose une langue à l’emporter sur une autre. La facilité de l'anglais telle que peut le percevoir le public est à cet égard une absurdité totale. Aux yeux d'un linguiste professionnel, l'anglais est l'une des langues les plus difficiles du monde. Sa domination actuelle est avant tout l'expression de la suprématie économique et politique des Etats-Unis et du monde anglophone en général. Elle n'a donc intrinsèquement rien de fatal ni d'irréversible. Sachant que le chiffre de 1,8 milliard inclut des populations qui n'ont pas l'anglais comme langue première.68

Elle rejoint l’idée que la défense du français est nécessaire pour la préservation de la diversité culturelle et linguistique, et plaide pour une « intransigeance francophone » :

Il ne s’agit pas sous cette appellation de mener un combat stérile contre un anglais (normalisé) qui s’est imposé comme la langue de communication internationale. Mais de promouvoir le multilinguisme, prolongement culturel du multilatéralisme. La langue n’est pas seulement un outil de communication, elle est aussi l’expression d’une pensée, d’une culture, d’un patrimoine. Sans multilinguisme effectif, la diversité culturelle reste un concept vide de sens.69

Dans la partie suivante, nous considérerons les points de vue de Robert Phillipson et Catherine Pollard comme points de départ, en analysant le rôle du multilinguisme au sein des Nations Unies. Ce cas nous semble pertinent, car malgré le fait que le multilinguisme serait une valeur fondamentale de l’ONU, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) se plaint que la tendance au monolinguisme continue de s’accentuer. « Elle évoque l’usage systématique de l’anglais dans les réunions informelles. L’anglais domine aussi sur internet avec seulement 11 sites onusiens sur 63

65 Hagège, C. [En ligne]

https://www.lemonde.fr/idees/article/2007/03/19/halte-au-pseudo-anglais-dans-les-entreprises_884957_3232.html (page consultée le 20 mai 2018).

67 Adamson op. cit. p. 145, voir note 19

68 Deschamps, P., [en ligne], http://archives.lesechos.fr/archives/2002/Enjeux/00180-076-ENJ.htm (page consultée le 20

mai 2018).

(20)

disponibles dans les 6 langues officielles70 ». C’est pour cela que nous allons focaliser notre analyse

sur l’emploi de l’anglais face aux autres langues officielles de cette organisation internationale.

70 Chanda, T. [en ligne],

(21)

2 Nations Unies, Cour internationale de Justice et multilinguisme

2.1 Nations Unies et débats sur le multilinguisme historique et contemporain

Lorsque l'ONU a été fondée en 1945, et même avant sa création, un langage commun était nécessaire pour ses opérations et l’établissement d’un dialogue international. Lors de l’introduction de La Société des Nations, par le Traité de Versailles en 1919, deux langues étaient employées : le français et l'anglais. Comme nous l’avions expliqué dans le premier chapitre de ce mémoire, c’était dès lors que l’interprétation moderne fut lancée.

Après Versailles, des réunions internationales créèrent d’autres procédures pour organiser la médiation langagière. À la Société des Nations, des interprètes civils remplacèrent le personnel militaire.71 Par conséquent, la traduction consécutive était devenue un élément qui faisait partie de

une chacune des réunions. D’une part ceci les ralentissait, mais de l’autre cela permettait aux diplomates d’avoir plus de temps pour réfléchir sur le contenu de la réunion et pour modifier leurs propos. En tant que successeur de la Société des Nations, l’ONU a également adopté le français et l’anglais comme ses langues de travail. Les premières années de l'ONU (à partir de 1945) ont été marquées par des développements technologiques dans le domaine de l’interprétation :

The early years of the United Nations were characterized by considerable tension, even symbolic pitched battles, between the practitioners of consecutive interpretation and the emergence of a new breed of interpreters practicing simultaneous interpretation, enabled by the new electronic technology of headphones and interpreters’ booths. This system, developed in the 1930s by IBM, under the inspiration of the American businessman Edward A. Filene (of Filene’s department stores), and used extensively in the Nuremberg Trials, gradually gained traction at the UN.72

Grâce à ces développements technologiques, il était devenu possible d'envisager l’emploi de langues supplémentaires dans des contextes formels. Par conséquent, en 1945, cinq langues officielles ont été choisies : l'anglais, le chinois mandarin, l'espagnol, le français et le russe. L'arabe a été ajouté le 18 décembre 1973. Les langues officielles de l’ONU sont des langues officielles de plus de la moitié des États du monde. Elles sont la langue maternelle oula seconde langue de 40 % de la population mondiale.

Le rapport Multilingualism in the United Nations system organizations: status of

implementation avance l’idée que « les langues sont un outil des Etats et le multilinguisme est l’outil

des Nations Unies73 ». Cet outil servirait à promouvoir la communication, la compréhension, la

participation et l'inclusion internationale.

At the United Nations, multilingualism refers to the use, in fairness and parity, to its official and working languages. The six official languages of the United Nations are Arabic, Chinese, English, French, Russian and Spanish, while English

71 Bianco op. cit. p. 350, voir note 9 72 Tonkin op. cit. p. 3, voir note 8

73 Fall, P., Zhang, Y., Multilingualism in the United Nations system organizations: status of implementation, JIU Report,

(22)

and French are the working languages of the Secretariat. Since the creation of the United Nations, multilingualism has been a prime and recurring issue on the agendas of governing bodies of the United Nations system.74

Dans les organes délibérants comme l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité, qui ont le même nombre de langues officielles que de langues de travail, tous les discours prononcés dans l’une des six langues sont interprétés dans les cinq autres. De plus, tous les rapports et les documents décisionnels sont disponibles dans les six langues.

2.1.1 C. Pollard et R. Phillipson à propos du monolinguisme à l’ONU

Malgré le fait les organisations onusiennes utilisent plusieurs langues pour leur documentation, leurs réunions et leur communication externe, peu d’entre elles ont une politique linguistique officielle75,

ni une définition formelle de ce qu’est une langue officielle ou une langue de travail.

Ceci semble créer un désaccord : d’un côté, une grande importance est accordée à l’emploi des langues officielles sur un pied d’égalité (« in order for several languages to coexist, it is necessary to

avoid the predominance of some languages over others76 »), cependant, comme il n’y a pas de règles

officielles pour gérer l’emploi de ces langues, le multilinguisme n’est pas toujours mis en pratique de la façon dont il avait été envisagé antérieurement :

The imbalance among the official languages and the disparity between the working languages of the Secrétariat have been

a matter of concern for Member States of the United Nations, as illustrated by numerous resolutions promoting multilingualism, from the first one, General Assembly Resolution 2(I) of 1 February 1946 to the last one, General Assembly resolution 65/311 of 19 July 2011.77

Ce déséquilibre entre les langues officielles se manifesterait à travers une tendance au monolinguisme : « the trend towards monolingualism is far from decreasing, with the hegemonic use of one language,

English, over the five United Nations languages78 ».

Le Secrétariat de l’ONU a désigné Catherine Pollard, secrétaire générale adjointe aux affaires de l’Assemblée générale et à la Gestion des conférences, comme Coordinatrice pour le Multilinguisme. Pendant un entretien avec Radio France Internationale (20 mars 2017), elle confirme que l’anglais a un statut ‘hégémonique’ à l’ONU. Elle explique qu’il y a plusieurs raisons pour ceci. Premièrement, cela serait dû au manque de ressources pour mettre en œuvre le multilinguisme.79 Ceci

est également la cause principale mentionnée dans le rapport ‘Multilingualism in the United Nations system organizations: status of implementation’: « In the context of economic realities and financial

74 Fall op. cit. p. 2, voir note 73 75 Fall op. cit. p. 3, voir note 73 76 Fall op. cit. p. 9, voir note 73 77 Fall op. cit. p. 1, voir note 73 78 Fall op. cit. p. 3, voir note 73

79 Chanda, T. [en ligne],

(23)

constraints, the trend towards monolingualism is far from decreasing […] for the sake of pragmatism

». Et la deuxième cause serait « un défaut de sensibilisation à la question linguistique80 ».

Selon Catherine Pollard, plus les fonctionnaires de l’ONU maitrisent de langues, plus les organisations onusiennes seront efficaces. Réduire les coûts financiers sur le multilinguisme serait donc une stratégie qui n’est pas efficace au long terme : « Ceux qui pointent du doigt les coûts afférents au multilinguisme, je me plais à leur rappeler combien l’unilinguisme s’avérerait plus coûteux encore, tant il influerait négativement sur notre efficacité, notre légitime et la durabilité de notre action81 ».

En ce qui concerne la sensibilisation à la question linguistique au sein des Nations Unies, elle explique que ceci peut uniquement être résolu à partir d’un changement de culture organisationnelle. Au Secrétariat, elle s’en charge de multiples façons :

Concrètement, cela se traduit par des réunions périodiques, sous ma direction, du réseau des points focaux « multilinguisme » que j’ai réactivé au cours de l’année passée, et qui représentent l’ensemble des départements et bureaux du Secrétariat, dans les quatre sièges et toutes les commissions régionales des Nations unies. Au travers de ce réseau, nous cherchons à apprendre les uns des autres, à susciter des approches innovantes, et à nous émuler aussi, en quelque sorte. Ces derniers mois, j’ai aussi coordonné la rédaction du rapport du Secrétaire général sur le multilinguisme, qui est actuellement en phase de validation et qui contient toute une série de recommandations qui sont de nature à influer sensiblement sur la façon dont les langues sont prises en compte dans notre action. Je me suis aussi vu confier la responsabilité de préparer, d’ici à la fin du mois de juin, un projet de circulaire du Secrétaire général sur le multilinguisme.82

Plusieurs parties, en particulier l’OIF, lient l’émergence du monolinguisme à la disparition de la langue française à l’ONU. Cependant, selon Catherine Pollard ce lien n’est pas justifié. Elle mentionne premièrement que « le monolinguisme n’est pas une fatalité » et deuxièmement, que la langue française n'est pas sur le point de disparaître à l’ONU : « En tant que langue de travail au même titre que l'anglais, le français bénéficie d'un statut unique au sein des Nations Unies ».

Nous procédons par une comparaison entre ce point de vue et celui de Robert Phillipson. Son point de départ n’est pas le même que celui de Catherine Pollard, puisque selon lui « sélectionner un certain nombre de langues officielles ne signifie pas qu’il n’y aurait pas d’hiérarchie entre ces langues - bien au contraire83 ». Dans son étude International Languages and International Human Rights, il

explique que, même si en théorie il y aurait six langues officielles à l’ONU, en pratique, l’anglais est la langue de travail dominante et que ceci se fait secrètement accepter à l’ONU. Il s’oppose également à l’idée qu’il existerait un lien positif entre le multilinguisme et l’efficacité des organisations onusiennes :

80 Fall op. cit. p. 3, voir note 73 81 Chanda op. cit., voir note 80 82 Ibidem

83 Phillipson, R., International Languages and International Human Rights. In: Kontra, M., Ed., Language: A Right and a

(24)

The UN is looking to cut costs and as much as a quarter of the UN working budget is spent on the interpretation and translation services. […] it is paradoxical to devote substantial funds to such matters, when the UN’s primary activities such as peace-keeping, health care, and the promotion of human rights are under-funded.84

Ayant analysé le point de vue de Phillipson, nous nous sommes concentrées sur les services de traduction aux Nations Unies. Nous avons premièrement trouvé que, en ce qui concerne les traductions des conférences onusiennes, un quart du travail est externalisé, ce qui confirme son point de vue sur l’inefficacité dans le domaine linguistique au sein de l’ONU :

Les effectifs des centres de conférence, y compris le Siège, ne pouvant pas prendre en charge seuls les travaux de traduction et de traitement de texte du Département, jusqu’à 25 % de ces travaux sont confiés à plus de 220 traducteurs extérieurs, 6 agences de traduction et une soixantaine d’opérateurs de traitement de texte sur une base contractuelle.85

Cependant, il y a des normes fixées en ce qui concerne la qualité de tous les travaux effectués par les vacataires et c’est la responsabilité de chaque service de traduction de contrôler cette qualité.

Nous avons voulu comprendre comment le multilinguisme fonctionnait dans d’autres branches des Nations Unies. L’Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a cinq langues officielles : l’anglais, le français, l’espagnol, l’arabe et le chinois. Deux facteurs déterminent (ad hoc) quelle langue est employée lors d’une réunion de la FAO : les langues des participants et de la région du monde où se déroule la réunion.

English is the predominant language used in meetings held at Headquarters as well as in Asia, the Pacific and Europe. In Africa, French and English are nearly equally used. In Latin America and the Caribbean, the main languages are Spanish and English. In the Near East and North Africa, they are Arabic and English. When meetings are held in a single language, it tends to be English; this was the case in 94 of the 100 monolingual meetings held in 1998-99. English is generally included when other languages are used; only one multilingual meeting was held in 1998-99 that did not include English.86

Il est clair qu'un grand pourcentage des réunions de la FAO se déroule en une seule langue. Le rapport continue ainsi :

While five-language meetings represented only 9 percent of the meetings, interpretation provided for them constituted 52 percent of the interpretation workload, measured in interpreter days. Four-language meetings represented 8 percent of meetings and 18 percent of interpreter workload.87

Ces données indiquent que l’anglais domine et que par conséquent, beaucoup de ressources sont dépensées à la traduction. Dans ce cas-ci, il est intéressant de lier cela à nouveau tisser le lien la perspective politique que nous avions traitée dans la partie 1.3. Cette perspective redéfinit

84 Ibidem

85 [En ligne], http://www.un.org/depts/DGACM/Translation.shtml, (page consultée le 20 mai 2018). 86 Tonkin op. cit. p. 5, voir note 8

(25)

principalement le phénomène de la traduction comme une lutte et une compétition constante entre différents systèmes culturels.88 La situation à la FAO illustre que la traduction est essentielle pour le

maintien d’un équilibre entre le français et les autres langues de l’organisation.

Au sein de l’Assemblée Générale, ceci est également le cas. Le fragment suivant illustre à la fois ceci et le fait que les services de traductions sont cruciaux pour préserver le multilinguisme dans (la documentation de) l’organisation :

In New York, at least, two factors push these exchanges in the direction of English: the fact that English is the local language and the fact that members of the secretariat tend to have a high level of English competence and diplomats posted to New York are chosen at least in part because they have a command of English. This informal dominance of English extends not only to totally informal settings, over which the formal procedures of the United Nations have no control, but also to numbers of meetings in which English is used because of the absence of language services: the UN budget is under such strain and available language service personnel are stretched so thin that many meetings must dispense with interpreters.89

Dans la partie suivante, nous traitons la politique linguistique d’une troisième organisation onusienne en détail : la Cour Internationale de Justice, où nous avons effectué un stage.

88 Janssens op. cit. p. 417, voir note 23 89 Tonkin op. cit. p. 7, voir note 8

(26)

2.2 La Cour internationale de Justice et les débats linguistiques

La Cour internationale de Justice est le principal organe judiciaire des Nations Unies. Sa fonction principale est de régler les litiges judiciaires entre les États membres et de proposer des avis consultatifs aux organes de l’ONU et aux agences spécialisées. Elle comprend quinze juges élus par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité pour une période de neuf ans. Conformément à l’Article 9 du Statut de la Cour, l’affiliation à la Cour est supposée être la représentation des « grandes formes de civilisation et des principaux systèmes juridiques du monde ». Essentiellement, ceci a signifié la Common law, le droit civil et le droit socialiste (aujourd’hui, le droit post-communiste). Issu de l’Empire britannique à l’origine, le système du Common Law a été diffusé à ses colonies historiques dont bon nombre le conservent aujourd’hui. Ce système souligne l’importance de décisions prises dans le cadre d’affaires pertinentes du passé. Cependant, pour le droit civil, le droit jurisprudentiel est secondaire par rapport aux principes formulés en général (droit codifié). Apparu en Europe continentale, il s’inspire essentiellement du droit romain classique. Par la suite, le droit civil a été lourdement supplanté par les pratiques napoléoniennes, germaniques, canoniques, féodales et locales. Nous examinons ces deux systèmes car ils peuvent tous deux, en lien avec des traditions différentes, être considérés comme des cadres conceptuels liés à l’une des langues officielles de la Cour : le système du Common Law a été établi en anglais, alors que la langue française est fortement connectée au système de droit civil. Il s’agit ici d’une spécificité que l’on ne retrouve pas dans les autres branches de l’ONU, puisque la Cour (en tant que principal organe judiciaire des Nations Unies) est la seule organisation onusienne qui est centrée sur le droit internationale public.

En lisant l’article 39(1) du Statut de la Cour, on remarque une particularité quant à l’ordre dans lequel les langues sont citées :

Les langues officielles de la Cour seront le français et l’anglais. Si les parties conviennent de mener la procédure en français, le jugement sera prononcé en français. Si les parties acceptent de mener la procédure en anglais, le jugement sera prononcé en anglais.

Ce n’est pas une coïncidence si les langues officielles de la Cour n’ont pas été énumérées dans leur ordre alphabétique (anglais, français), étant donné que le français est la première langue de la Cour. De fait, initialement, le Comité consultatif de juristes de 1920 s’était prononcé en faveur de l’utilisation par la Cour du français uniquement, au motif que : « la permanence de la langue doit être un signe extérieur de la permanence de la Cour. Ce serait absurde de permettre à chacun des 15 ou 20 juges de s’exprimer dans une langue différente ». La première raison pour laquelle le français était choisi comme langue officielle (unique) de la Cour permanente de justice internationale était le fait qu’elle a longtemps été la langue diplomatique du monde. De plus, le français était également la langue officielle de la Cour permanente d’arbitrage.

(27)

Toutefois, lorsque le plan a été présenté au Conseil de la Société des Nations, les membres anglais du Conseil ont entraîné la révision de cette décision :

Le Conseil […] préférait deux langues, le français et l’anglais ; ou plutôt, les membres anglais préféraient l’anglais et la puissance de l’Empire britannique était suffisante pour imposer son acceptation.90

Il était donc décidé que la Cour permanente de justice internationale, tout comme la Société des Nations, devrait avoir comme langues officielles le français et l’anglais. Le Rapport de la langue officielle de la Cour tel qu’adopté par le Conseil soulignait « l’importance de l’anglais comme une langue internationale » et « l’importance numérique des peuples et des populations parlant l’anglais91 ». L’anglais devint donc la seconde langue officielle de la Cour.

En 1946, pendant la première session de l’Assemblée générale des Nations Unies, cinq langues officielles (le chinois, le français, le russe, l’anglais et l’espagnol) ont été adoptées pour « tous les organes des Nations Unies, outre la Cour internationale de Justice ». Malgré les tentatives de plusieurs nations (e.g. la Russie et le Mexique) d’introduire des langues officielles supplémentaires au Statut de la Cour, il ne fut pas modifié. La raison est le fait que cela n’aurait pas été pragmatique de travailler à partir de systèmes judiciaires en plus des deux systèmes établis. Cependant, en raison de la demande soumise par l’Union soviétique, de nouvelles procédures ont été établies à l’Article 39(3) concernant l’usage d’autres langues outre le français et l’anglais. Alors que par le passé, les nations avaient besoin d’une autorisation pour recourir à une langue non officielle, en 1945, il a été établi que « la Cour autorisera, à la demande de toute partie, une langue autre que le français ou l’anglais à utiliser par ladite partie ». Si une partie décide de faire ceci, c’est sa propre responsabilité d’ajouter une traduction en français ou en anglais de l’original de chaque acte de procédure soumis.92

90 Scott, J. B. A Permanent Court of International Justice, AJIL, vol. 15, 1921, p. 53.

91 Mani, V. S. (1981). International Adjucation: Procedural Aspects. Journal of the Indian Law Institute. Vol. 23, No. 4,

p. 634.

92 Statute of the International Court of Justice, [en ligne], http://www.icj-cij.org/en/statute (page consultée le 24 avril

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