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Réformes institutionnelles en République Démocratique du Congo : à quels résultats s’attendre?

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Le 28 novembre 2013

59, rue Sparks St., C.P. 967, Ottawa, Ontario, K1P 5R1, Canada

Réformes institutionnelles en République Démocratique du Congo : à quels résultats s’attendre?

Résumé

La République Démocratique du Congo (RDC) a entrepris ces dernières années plusieurs réformes, notamment la réforme de la Cours Suprême de Justice (CSJ) et la restructuration de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), sans pouvoir convaincre l’opinion tant nationale qu’internationale. Plus récemment, la tenue des concertations nationales en vue de consolider la cohésion nationale n’a pas permis non plus de mettre ensemble toutes les forces vives du pays, laissant au port certaines d’entre-elles qui ont refusé de participer à cette initiative de la Majorité Présidentielle. L’une des résolutions de ces concertations est la mise en place d’un gouvernement de cohésion nationale qui regroupera les membres de la majorité au pouvoir, de l’opposition et de la société civile. Il y a donc lieu de se demander à quels résultats peut-on s’attendre de ce type de gouvernement.

Cette étude vise à valider, dans le contexte sociopolitique actuel de la RDC, un modèle de réforme institutionnelle qualifié de franc succès en Amérique du Sud. Ce modèle qui est soutenu par une analyse empirique de toutes les réformes touchant les règles électorales présidentielles qui ont eu lieu en Amérique du Sud à partir de 1990, n'est pas un outil de prédiction du temps de déclenchement d’une réforme électorale. Il permet cependant de prédire les résultats auxquels s'attendre d'une réforme en fonction du type de coalition politique qui l'initie.

Le modèle part d'un contexte de crise politique exprimée par une forte volatilité électorale qui conduit à deux types de réformes électorales. D’une part, une reforme initiée suite à l’impopularité des gouvernants qui centre la discussion sur la question de légitimité et qui aboutit à la proposition des règles inclusives menant à un gouvernement d'union ou de cohésion nationale. D’autre part, une reforme initiée par les nouveaux gouvernants qui jouissent du soutien populaire, qui centre le débat sur l’efficacité et qui aboutit à la mise en place des règles exclusives. L’expérience des pays de l’Amérique Latine montre que ces deux types de réformes ne visent que le maintien au pouvoir de la coalition qui les initie. Ainsi, un modèle intermédiaire utilisé en Argentine et au Kenya serait propice à favoriser l’alternance démocratique. C'est ce modèle que nous recommandons à la RDC.

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© Bureau International d’Études pour la Paix et le Développement (BIEPD) 2 I.

Introduction

Une fin de non recevoir par une partie de la classe politique à l’appel du Chef de l’État de la RDC pour la tenue des concertations nationales en vue de consolider la cohésion nationale a clairement démontré l’existence d’un profond clivage bipolaire de la société congolaise. D’une part, on y retrouve ceux qui brandissent le manque de légitimité de gouvernants actuels comme source de la crise institutionnelle que traverse le pays, et d’autre part, il y a ceux qui la justifient par un manque de cohésion nationale.

Bien que chaque faction campe sur sa position, fermant ainsi la porte à toute issue consensuelle, elles s’accordent néanmoins sur le fait que les résultats des élections du 28 novembre 2011 demeurent l’élément aggravant de l’actuelle crise que traverse la RDC.

La RDC a entrepris ces dernières années plusieurs réformes, notamment la restructuration de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), sans pouvoir convaincre l’opinion tant nationale qu’internationale.

Comme ces réformes sont initiées par les acteurs aux affaires dans le gouvernement qui s’appuient sur le soutien de leur majorité politique, elles sont motivées soit par leurs intérêts, soit par les caractéristiques de leur environnement (Boix 1999). Pour toute réforme électorale, il est important de comprendre les conditions et les motivations qui conduisent une coalition politique au pouvoir à modifier les règles électorales qui leur ont procuré une victoire électorale, par ricochet leur ont permis de former le gouvernement. Ainsi, il peut se dégager une évidence des types de réforme auxquels nous pouvons nous attendre. Le modèle que nous présentons dans ce document n’est pas un modèle de prédiction du temps de déclenchement d’une réforme électorale, mais plutôt du type de réforme auquel on peut s’attendre en considérant le contexte politique et les caractéristiques de la coalition politique qui l’initie.

Cette étude vise à valider dans le contexte sociopolitique actuel de la RDC, un modèle de réforme institutionnelle qualifié de franc succès en Amérique du Sud. Ce modèle est soutenu par une analyse empirique de toutes les réformes

touchant les règles électorales présidentielles qui ont eu lieu en Amérique du Sud à partir de 1990.

Dans ce modèle, les réformes institutionnelles, en particulier les réformes électorales, sont définies comme un processus politique concurrentiel qui évolue dans un cadre démocratique. Le modèle part d'un contexte de crise politique exprimée par une forte volatilité électorale qui conduit à deux types de réformes électorales. D’une part, une reforme initiée suite à l’impopularité des gouvernants qui centre la discussion sur la question de légitimité et qui aboutit à la proposition des règles inclusives.

D’autre part, une reforme initiée par les nouveaux gouvernants qui jouissent du soutien populaire, qui centre le débat sur l’efficacité et qui aboutit à la mise en place des règles exclusives. L’expérience des pays de l’Amérique Latine montre que ces deux types de réformes ne visent que le maintien au pouvoir de la coalition qui les initie. Ainsi, un modèle intermédiaire serait propice à favoriser l’alternance démocratique. Ce modèle utilisé en Argentine et au Kenya est celui que nous recommandons à la RDC.

II.

Constat

2.1. Cohésion nationale

La cohésion d’une nation est définie comme l’ensemble de processus qui contribuent à assurer à tous les individus ou groupes d’individus l’égalité des chances et des conditions, l’accès effectif aux droits fondamentaux et au bien-être économique, social et culturel. Ces processus devraient permettre à chaque individu de participer activement à la société et d’y être reconnu, et ce quel que soit son origine provinciale, ethnique ou tribale; son appartenance culturelle, religieuse ou philosophique; son statut social, son niveau socio-économique, son âge, son orientation sexuelle, sa santé ou son handicap1. A cet effet, il convient de substituer l’influence d’un individu par les institutions, la force et la justice inflexible des lois. Ainsi, se concerter pour renforcer la cohésion nationale devrait aller de pair avec les discussions sur les institutions devant garantir cette cohésion.

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2.2 Crise de légitimité

La légitimité est avant tout la reconnaissance, par celui sur qui s’exerce le pouvoir, du bien- fondé de celui qui l’exerce. Elle ne se décrète donc pas. De la même manière que cette reconnaissance manifeste une dépendance acceptée, l’exercice du pouvoir signe l’aveu de la dépendance de celui qui en use. Mais avec l'avènement de l'État de droit et le développement des démocraties modernes, l'exigence de légitimation s'est liée à celle de légalité. Lorsqu'on exige dans un État de droit qu'un pouvoir soit légitime, on demande que celui qui le détient ait un juste titre pour l’exercer; lorsqu'on invoque la légalité d'un pouvoir, on demande qu'il soit exercé justement, c'est-à-dire dans le respect des lois établies. La légalité et légitimité forment donc un couple parfait et inséparable dont les termes sont à la fois distincts et complémentaires, selon qu’on se trouve dans le camp de gouvernants ou de gouvernés2.

Le pouvoir légitime est un pouvoir dont le titre est juste; un pouvoir légal est un pouvoir dont l'exercice est juste. La légitimité est la perspective d'où se place d'ordinaire le gouvernant; la légalité est par contre la perspective d'où se place d'ordinaire les gouvernés, c'est-à-dire le peuple. Là où les gouvernants invoquent la légitimité, les gouvernés invoquent la légalité. Que le pouvoir soit légitime, c'est l'intérêt des gouvernants qui compte; qu'il soit légal, c'est l'intérêt des gouvernés qui compte. La légitimité est ce qui fonde le droit des gouvernants, alors que la légalité est ce qui fonde son devoir. Quant aux gouvernés, la légitimité du pouvoir est le fondement de son devoir d'obéissance tandis que la légalité du pouvoir est la garantie principale de son droit de ne pas être opprimé3.

La légalité formelle est insuffisante pour établir la légitimité d'un gouvernement, la légitimation d’un pouvoir étant de fait, non de droit.

Cependant, hors des moments de crise, on ne dissocie pas les deux concepts de légitimité et de légalité qui trouvent une racine commune dans le langage du droit. C’est le cas de la légitimité de Louis XVIII en face de « l'usurpation »

napoléonienne ou encore, plus près de nous, Charles De Gaulle qui déclarait en 1940 que la légitimité est incarnée en lui, alors qu'à Londres le gouvernement illégal est réputé légitime4.

2.2.1. Crise de légitimité au Cameroun Au Cameroun, le pouvoir de Paul Biya a connu une crise de légitimité sans précédent. La montée de la violence, le désenchantement populaire, une certaine rupture de relations entre les gouvernants et les citoyens, ont accompagné ces spasmes. Pour les opposants au régime, convaincus de la faillite et de la vulnérabilité du régime, Paul Biya devrait partir5. Cependant, face à cette conjoncture instable et à une opposition qui se divise suite aux ambitions personnelles qui passent au premier plan, le pouvoir a su domestiquer la contestation en lui imposant des normes de formulation et d’accomplissement de ses revendications propres à garantir sa continuité politique6. La crise de légitimité au Cameroun a permis de montrer que le régime pouvait gérer habilement toutes les turbulences en changeant de style et en acceptant une cohabitation avec l’opposition. Le pouvoir n’a pas cherché à tout sauvegarder, laissant à la disposition d’une société traversée par de courants contradictoires, des lieux de conflits communautaires, des espaces d’agitation et de parole ou des interstices de gestion.

2.2.2. Crise de légitimité en RD Congo La RDC a tenu au mois de novembre 2011 des élections présidentielle et législatives dans une indescriptible confusion, entachées des violences parfois meurtrières, des irrégularités et des fraudes avérées. Le Chef de l’État sortant Joseph Kabila a été déclaré vainqueur par la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), mais les résultats publiés ont été jugés non crédibles à la lumière des nombreuses irrégularités et fraudes constatées lors du processus électoral, selon plusieurs observateurs nationaux et internationaux. Par ailleurs, M.

Étienne Tshisekedi, le candidat malheureux selon les résultats de la CENI, convaincu des fraudes orchestrées par le pouvoir organisateur des élections, rejeta les résultats du scrutin et s’autoproclama Président de la république. Il en

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a résulté un conflit postélectoral qualifié de « crise de légitimité » par plusieurs dont l’impact est réel sur la vie politique de la RDC qui est aujourd’hui polarisée entre, d’une part, les tenants du camp du Président Joseph Kabila, et d’autre part, le camp de ceux qui le considèrent illégitime. Cette bipolarisation de la vie politique des élections contestées de novembre 2011 continue à affaiblir toutes les institutions républicaines en RDC.

2.3. Solutions envisageables à une crise de légitimité

Plusieurs solutions sont envisageables pour solutionner une crise de légitimité. Dans le cadre de cette étude, le BIEPD présente une solution pacifique qui a fait ses preuves récemment au Kenya. Il s’agit d’une approche consensuelle qui préconise les élections soutenues par des institutions issues des réformes initiées par un gouvernement d’union nationale. Le prochain chapitre s’articule sur les types des résultats auxquelles s’attendre en fonction du type de réforme et de la coalition qui l’initie.

III.

Réforme du système électoral

Il existe trois types possibles de réformes électorales qui dépendent du type de coalition politique qui l’initie. Il s’agit d'une coalition dont la popularité a fortement baissé et qui court le risque de perdre les élections d’une part, et d’une coalition populaire qui jouit encore du soutien du peuple et qui serait à même de gagner les nouvelles élections, d’autre part. Une coalition impopulaire est formée des partis politiques au pouvoir qui se considèrent comme des futurs perdants. Dans ce cas, leur proposition de réforme est basée sur la recherche de légitimité du système politique en place et serait orientée vers un gouvernement d’union nationale (normes inclusives) comme moyen de minimiser un échec électoral éventuel. Une coalition populaire est au contraire constituée des partis ou mouvements qui se substituent à l’ancienne coalition dominante communément appelée Majorité Présidentielle ou Majorité au pouvoir, à la suite d'un changement dans les préférences

électorales ou suite à une révolution populaire.

Dans ce cas, le projet de réforme sous l’initiative d’une telle coalition viserait à améliorer l'efficacité du système gouvernemental et tentera d'établir des règles plus exclusives c'est-à-dire un gouvernement qui fera usage des normes exclusives comme mode de gouvernance afin de renforcer son pouvoir et maximiser les gains possibles pour l'avenir. Entre ces deux extrêmes se trouve un autre modèle intermédiaire initié par un gouvernement d'union nationale incluant à la fois les deux types de coalitions citées ci-haut suivant un processus de négociation qui aboutit à un modèle de mixage des normes inclusives et exclusives7.

De toute évidence, les réformes électorales dans le monde réel ne répondent pas à l'un des deux modèles (inclusif et exclusif) dans leur forme pure, principalement pour les deux raisons suivantes:

(a) premièrement, parce que la rationalité supposée des acteurs n'est pas parfaite et les informations dont ils disposent ne leur permettent pas d’appuyer une réforme qui leur nuiraient électoralement; et

(b) d'autre part, parce qu'une coalition n’est pas nécessairement constituée d’un groupe d'acteurs unifiés, ce qui revient à dire que les intérêts divergents coexistent à l’intérieur même d’une coalition.

Ceci conduit pour la plupart de cas à une réforme négociée avec les initiatives de différents types. Ainsi, la réforme qui en résulte pourrait contenir à la fois les normes les plus exclusives et plus inclusives. En conséquence, le résultat dépend aussi bien du processus politique par lequel la réforme est réalisée, en considérant la puissance et l'homogénéité de la coalition qui l’initie. S’il y a un processus d'imposition d'une coalition pour initier des réformes avec les acteurs ayant des intérêts homogènes, on pourrait s'attendre à un résultat proche de l'un des types purs de la réforme. Toutefois, si la coalition de réforme initiale devrait s'élargir pour inclure d'autres acteurs afin de rendre la réforme viable, il est plus probable que le résultat sera une réforme mixte. Le tableau

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suivant présente de manière synthétique le modèle présenté.

Certes, il n'y a pas de système électoral optimal et les réformes électorales ne suivent toujours pas un schéma unique de règles établies. Même si le modèle proposé est général, il est cependant valide pour tous les processus de réformes

politiques. L'analyse empirique sur laquelle il se base est axée sur les réformes des systèmes qui régissent les élections présidentielles en Amérique du Sud.

Tableau 1. Modèle général de Réformes électorales

Tiré de: Daniel Buquet, 2007; Between legitimacy and efficacy: reform in presidential election systems in Latin America.

Rev.urug.cienc.polít.vol.3 no.se Montevideo 2007

3.1. Le modèle théorique de réforme électorale

Le modèle présenté dans cet article est un modèle général qui relie trois dimensions. La première dimension du modèle implique la simple adoption des hypothèses de la théorie du choix rationnel. Par conséquent, il est supposé que les réformes sont initiées par des politiciens qui tiennent compte de leurs propres intérêts pour évaluer les normes qui régissent la compétition politique. Ainsi, les politiciens sont normalement tentés d’approuver les

modifications quand ils assument que cela leur bénéficiera. Par contre, ils seront réticents à soutenir les changements qui pourraient nuire à leur carrière politique. Les deux autres dimensions sont la légitimité et l'efficacité, deux attributs essentiels dont tout système politique a besoin pour être considéré comme un succès (Lipset, 1988). Aussi, en plus d'être nécessaire, ces deux dimensions interagissent clairement (Linz 1990). D'une part, un gouvernement qui détient la légitimité aura plus de facilités pour gouverner avec efficacité, et d'autre part, l’obtention des résultats attendus apportera une

Contexte Type de coalition Type de

processus

Type de résultats

Processus de changement

électoral

Déclinante ou impopulaire:

Anciens Partis au pouvoir menacés par la volonté du

changement

Ascendante ou Populaire:

Nouveaux partis favorisés par la volonté du changement

Imposition

Négociation

Inclusif

Mixte

Exclusif Imposition

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plus grande légitimité. Mais ce cercle vertueux peut devenir vicieux, comme un gouvernement qui n'atteint pas les résultats escomptés pourrait pour cette raison perdre sa légitimité. Cette perte de légitimité peut, à son tour, être un obstacle au processus de prise de décision et à la mise en œuvre de politiques efficaces.

Les réformes politiques, notamment les plus ambitieuses, sont généralement faites sur la base d’un diagnostic qui décèle un déficit sur les deux dimensions précitées et, par conséquent, elles ont tendance à incorporer des modifications à la fois destinées à générer le soutien populaire (légitimité) et de faciliter le travail du gouvernement (efficacité).

Finalement, bon nombre des réformes politiques entreprises en Amérique latine constituent des forfaits qui se présentent comme les résultats de négociation entre partis politiques. Elles ne répondent pas nécessairement à un choix rationnel. Les perspectives à long terme et des intérêts conjoncturels, auxquels différentes approches politiques sont combinées peuvent conduire à des résultats différents et parfois même opposés à ceux originalement prévus.

La première étape vers l’élaboration d'un modèle qui explique un processus de réforme électorale consiste à déterminer les conditions qui définissent ledit processus. Personne ne voudrait améliorer un système électoral ou tenterait d'obtenir de plus grands avantages électoraux sans un diagnostic qui établit l'existence d'un problème qu'un nouveau système électoral serait en mesure de résoudre. Ainsi, la perception d'une crise politique liée à certains

"dysfonctionnements" dans le système électoral est à la base de tout processus de réforme électorale. Dans le cas de la RDC, les réformes successives qui ont métamorphosé le système électoral congolais de la CEI à la CENI pour en finir à l'actuelle CENI restructurée sont fondées sur aucun diagnostic et la réforme entreprise n’apporte non plus aucun élément correcteur.

Ceci explique non seulement les échecs qu’ont connus le système électoral congolais en 2006 et en 2011, mais aussi le risque de s’enliser davantage en 2016 si rien n’est fait pour mettre en place des vraies réformes.

Les diagnostics critiques élaborés par les élites politiques dominantes peuvent être classés en deux catégories: il s’agit soit d’un déficit de légitimité ou d’un déficit d'efficacité. Dans le premier cas, la classe politique est de plus en plus perçue comme se référant à elle-même et éloignée de la population. Dans le second cas, les dirigeants politiques sont perçus comme une impasse et incapable de jouer leur rôle de premier plan. Dans tous les cas, le groupe politique dominant fait face à court terme au risque d'être chassé du pouvoir par force, ou au risque de ne pas être en mesure de remplir leurs fonctions gouvernementales. C'est la perception de ce risque qui constitue un autre élément déclencheur du processus de réforme électorale.

Mais cette dernière affirmation ne signifie pas que le processus conduit linéairement à la conception d'une réforme qui facilite la continuité du pouvoir du groupe dominant (la majorité au pouvoir). Il y a deux raisons fortes qui justifient l'impossibilité de suivre cette trajectoire linéaire. La première est que les réformes auxquelles nous faisons référence sont traitées dans des contextes démocratiques, donc la simple possibilité qu'un groupe dominant pourrait changer le système électoral à ses caprices afin de rester au pouvoir empêcherait la classification d'un tel système comme démocratique. La deuxième, la plus importante raison, stipule que le groupe dominant ne peut guère être considéré comme un ensemble d’acteurs unifiés dont les membres partagent le même ordre de préférence, même si ils ont la majorité nécessaire pour gérer la réforme. Par conséquent, les réformes doivent surmonter deux obstacles entrelacés pour être réalisables. Elles doivent se conformer à une série de formalités et parvenir à un accord politique. Certes, ces obstacles peuvent avoir des amplitudes différentes selon les caractéristiques du cadre institutionnel et la configuration de la carte politique.

3.1.1. Le modèle colombien

La réforme colombienne de 1991 est un cas exemplaire d’une coalition déclinante (impopulaire) qui initie un système électoral plus inclusif. Le processus a été lancé par la coalition au pouvoir dans un contexte de crise politique. À

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l'initiative du Président Samper et après un large consensus des différents groupes politiques de l’Assemblée Constituante, la méthode de vote à deux tours a été adoptée à l'élection présidentielle et la réélection a été interdite indéfiniment, en plus d'autres normes inclusives. Il s'agissait clairement d'une tentative de re-légitimer le système politique, soutenue par une classe politique dont la popularité était en baisse et qui se sentait menacé.

3.1.2. Le modèle vénézuélien

Au Venezuela, par contre, la réforme de 1999, intègre clairement les normes exclusives, en prolongeant la durée du mandat présidentiel et l'ajout immédiat de la réélection présidentielle sans limite. Ce fut un processus promu par le Président Chávez, qui a joui d'une grande popularité et a eu la possibilité de contrôler le processus constitutionnel face à un parlement hostile et à créer un nouvel ordre juridique qui a favorisé une forte concentration du pouvoir entre les mains du Président.

3.1.3. Le modèle argentin

La réforme argentine de 1994 est un modèle intermédiaire entre les deux cas susmentionnés.

Cette réforme montre les modifications dans des sens opposés. D'une part, elle a adopté la réélection présidentielle immédiate, mais en même temps intégré l’élection à deux tours et la réduction de la durée du mandat présidentiel.

Cette combinaison obéit clairement aux transactions effectuées au sein d'une coalition des intérêts opposés. Le Président Menem (PJ) a été à la recherche d'une réélection et pour l'obtenir, il fallait accepter les demandes de l'opposition radicale (UCR) de réduire la durée du mandat de 6 à 4 ans. En outre, une élection à deux tours a été introduite, mais avec un seuil réduit qui permet une victoire avec une majorité relative. En définitive, ce paquet ressemble à une transaction située approximativement à mi- chemin entre le modèle exclusif et le modèle inclusif.

3.1.4. Le modèle bolivien

La Bolivie à son tour a effectué une réforme en 1995 qui a généré un large consensus dans les systèmes politiques de la planète. Le modèle peut être classé comme exclusive, car les modifications liées à l'élection présidentielle ont cette caractéristique. Toutefois, la réforme a inclus d'autres aspects qui peuvent ainsi être considérés de normes inclusives et qui tend à légitimer la coalition au pouvoir. Mais dans la pratique, l’initiateur de la réforme (MNR) était en effet une partie gagnante à ce moment qui pourrait se percevoir comme un gagnant dans l'avenir.

3.2. Autres modèles de réforme électorale en Amérique Latine

Le reste des cas sont des réformes qui s’identifient à une seule de trois dimensions mentionnées au point 3.1. De toute évidence, les réformes établissant la réélection présidentielle immédiate au Pérou (1993), au Brésil (1997) et en Colombie (2005) ont été initiées par des coalitions ascendantes qui jouissaient de l’appui du peuple, mais qui cherchaient à se maintenir au pouvoir. Par contre, la réforme uruguayenne de 1996 instituant une élection à deux tours était initiée par une coalition en baisse de popularité qui se sentait menacée. Les cas dans lesquels la seule modification a été la réduction de la durée du mandat présidentiel nécessitent une mise en garde, même si ce type de réforme vise à être plus inclusif et légitime, il ajoute également l'efficacité du gouvernement quand il est bon de faire coïncider les élections présidentielles et législatives. Ce sont les cas du Brésil (1993) et du Chili (2005). Quoi qu'il en soit, dans les deux cas, les coalitions au pouvoir auraient pu se sentir menacées par leurs oppositions respectives, ce qui rendait plus rationnelle la réduction de la durée du mandat.

Enfin, le cas de l'Équateur est moins clair. La forte volatilité électorale et l'instabilité politique permanente dans le pays a conduit à la destitution du Président Bucaran, l'incertitude générée parmi les élites, a conduit aux réformes inclusives. Toutefois, l'Assemblée Constituante a été dominée par trois grands partis politiques qui ont choisi de réduire le seuil pour être en

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mesure d'accéder à la présidence au premier tour, visant à réduire la fragmentation politique et favoriser la gouvernance. La classification des réformes électorales en Amérique Latine est présentée dans le tableau 2.

3.3. Réformes des systèmes électoraux en Afrique

En matière de gestion du processus électoral, croyant effectivement révolue l’ère des partis uniques et leur gestion autocratique, les démocrates africains ont vivement souhaité voir émerger des structures indépendantes du pouvoir et de l’opposition. Force est de constater que la plupart des réformes institutionnelles menées en Afrique ont conduit aux commissions électorales trop politisées ou traversées par des clans en perpétuelles disputes. Les commissions mises en place dans la plupart des pays africains se sont toujours difficilement acquittées de leurs obligations suite au devoir de reconnaissance des commissaires à l’égard de ceux qui les ont désignés, à la cupidité et à la malhonnêteté intellectuelle et morale, si bien que presque jamais, elles n’ont réellement su faire la preuve d’une réelle indépendance. Par conséquent, des ratés ont marqué nombre d’expériences démocratiques, tant dans la confection des listes électorales que dans la transparence du scrutin.

Des leçons ont donc été tirées de ces commissions supposées indépendantes qui, d’un bout à l’autre du continent, ont montré leurs limites. Bien souvent, en effet, la mise en place de ces commissions a fait l’objet d’une grande suspicion au sein de la classe politique africaine.

La manière de désigner les principaux responsables, les modalités de fonctionnement et surtout la mobilisation des fonds, n’ont presque jamais convaincu l’opinion.

3.3.1. Le modèle malien

Les réformes institutionnelles maliennes de 2012, à la fin du second et dernier mandat du Président Amadou Toumani Touré (ATT) sont le résultat d’une autocritique sincère. Bien qu’initiées par une coalition au pouvoir, les réformes institutionnelles maliennes ont été conduites par un comité formé d’experts représentatifs de la classe politique et de la Société Civile malienne. Ce qui représente un Tableau 2. Réformes électorales en Amérique Latine

Pays Année de la réforme Type de coalition qui l'initie Résultats obtenus

Argentine 1994 Ascendante Intermédiaire

Brésil 1993 Déclinante Inclusifs

Brésil 1997 Ascendante Exclusif

Bolivie 1994 Ascendante Exclusif

Chili 1994 Ascendante Inclusifs

Chili 2005 Déclinante Inclusifs

Colombie 1991 Déclinante Inclusifs

Colombie 2005 Ascendante Exclusif

Équateur 1996 Haute volatilité Exclusif

Équateur 1998 Haute volatilité Exclusif

Pérou 1993 Ascendante Exclusif

Pérou 2000 Ré-démocratisation Inclusifs

Uruguay 1996 Déclinante Inclusifs

Venezuela 1999 Ascendante Exclusif

Tiré de:Daniel Buquet, 2007; Between legitimacy and efficacy: reform in presidential election systems in Latin America.

Rev.urug.cienc.polít.vol.3 no.se Montevideo 2007

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modèle intermédiaire des normes inclusives et exclusives.

L’une des innovations majeures de ces réformes porte sur la création d’une agence générale chargée de gérer les élections. Ce nouveau modèle malien, il faut l’espérer, permettra de soustraire le processus démocratique des nombreux conflits d’intérêts qui ont de tout temps miné les efforts des commissions électorales. Encore faudra-t-il que les différents acteurs jouent à fond leur partition dans une Afrique où la faune politique est en mal de crédibilité. Par ailleurs, les experts maliens ont trouvé utile de donner un coup d’arrêt à la transhumance des députés. Un nomadisme déplorable car après avoir été élus sur la base du programme d’un parti, certains députés n’hésitent pas à trahir leurs électeurs, généralement au profit de la majorité au pouvoir.

Ils avaient pourtant été choisis sur la base de la confiance. Les électeurs étaient loin de se douter qu’un jour ils feraient les frais d’une cupidité sans bornes. Désormais, au Mali, les coupables pourraient être frappés d’inéligibilité pendant au moins deux mandats successifs. Cette mesure dissuasive au profit des électeurs est le fruit d’un modèle de réforme basée sur les normes intermédiaires.

Un des points forts des réformes maliennes est le fait de n’avoir pas touché au mandat présidentiel qui est de cinq ans renouvelable une fois. Ces réformes dont les résultats se prêtent à l’alternance démocratique aujourd’hui ont au début fait l’objet des critiques et de boycotts de l’opposition et de la société civile maliennes qui, bien que le Président ATT ait ouvertement dit qu'il n'envisage pas un 3ème mandat, une grande partie de l'opinion nationale malienne a prêté au Président Touré l'intention de "tripatouiller" la constitution pour se maintenir au pouvoir.

3.3.2. Le modèle kenyan

Au Kenya, après les élections présidentielles du 27 décembre 2007, le Président sortant, Mwai Kibaki, est réélu avec une très faible avance sur son plus proche adversaire, Raila Odinga, du Mouvement démocratique orange (ODM).

Convaincu que la coalition présidentielle a orchestré des fraudes massives, M. Odinga

rejette les résultats et exige un nouveau scrutin.

Dès lors, le pays sombre dans une crise politique majeure qui soulève la violence dans la population, divisée selon des bases ethniques.

En février 2008, les deux parties rivales du Kenya en viennent à un accord qui vise à mettre un terme à la violence et à fixer un calendrier de négociations. Les négociations au Kenya ont conduit à un accord de sortie de crise qui donna naissance à un gouvernement de coalition avec un poste de Premier Ministre réservé à l’opposition et attribué à Raila Odinga qui a eu pour mandat de « coordonner et superviser les affaires du gouvernement». Le régime politique kenyan se prêtant mal à un partage des pouvoirs, les deux parties établissent les bases de la future Constitution qui prévoit la formation d'un gouvernement de coalition et d’un cabinet reflétant la représentation parlementaire. Chaque partie pouvait nommer un nombre de ministres proportionnel à la taille de son groupe parlementaire et qui ne peuvent être révoqués que par une motion de censure du Parlement.

Ainsi, le 6 mars 2008, le Président Kibaki convoqua le Parlement pour entériner l'accord et adopter les lois nécessaires pour son entrée en vigueur. Ce modèle de réforme est un modèle mixte qui rejoint celui de l’Argentine et qui se prête à une alternance du pouvoir.

3.3.3. Le modèle zimbabwéen

Au Zimbabwe, toutes les réformes du système électoral ont été entreprises par la ZANU-PF, une coalition déclinante et impopulaire, au pouvoir depuis plusieurs années. Ces réformes ont été initiées pour contourner une défaite électorale éventuelle due à une volonté populaire pour le changement. Ainsi, au lendemain des élections présidentielles controversées du 27 juillet 2008, un cadre de négociation a été mis en place pour le partage du pouvoir avec l’opposition, un pouvoir qui serait régi par les institutions mises en place par les réformes pilotées par la coalition au pouvoir. Ceci suggère un modèle unique en son genre où les réformes ont été menées suivant des normes les plus exclusives, alors que le partage et l’exercice du pouvoir se font suivant les normes inclusives.

Ce modèle hybride permet une accalmie à court terme pour rallumer le feu à long terme, c’est-à-

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dire lors des prochains scrutins. Ce modèle qui est conçu pour des fins électorales, a permis d’accorder un espace de pouvoir à l’opposition à court terme, en attendant sa reprise totale aux prochaines élections toujours par la fraude.

L’opposition qui fait partie de la machine gouvernementale devient co-responsable des fraudes électorales, par conséquent moins crédible pour les dénoncer.

Le modèle de réforme zimbabwéenne est un modèle hybride, basé sur les normes exclusives camouflées. Elle consiste à isoler les figures importantes de l’opposition de leur coalition et bases, de miner ensuite leur crédibilité afin de les écraser. La coalition au pouvoir pour assurer sa continuité politique, cède un certain espace politique à une partie de l’opposition tout en excluant le reste des partis politiques, ainsi que la société civile.

Au Zimbabwe, un accord de partage de pouvoir a été signé après le deuxième tour des élections présidentielles très controversées qui ont eu lieu le 27 Juin 2008. L'Union Africaine a résolu que les partis politiques impliqués entament des négociations visant à former un gouvernement d’union nationale. Les négociations ont été placées sous l'égide de la Southern African Development Community (SADC) et devaient être dirigées par le Président de l'Afrique du Sud, M. Thabo Mbeki. Ces dernières ont abouti à un accord signé le 15 Septembre 2008 par les dirigeants de trois principaux partis politiques impliqués dans ce contentieux, à savoir Mr.

Morgan Tsvangirai du MDC-T, le professeur Arthur Mutambara du MDC-M et Mr. Robert Mugabe de la ZANU-PF. Les réactions à cet accord ont été variées, du scepticisme (surtout des organisations de la société civile zimbabwéenne qui furent écartées des négociations) à un optimisme prudent de la part de la communauté internationale et au triomphalisme pur et simple de certaines parties de la SADC, notamment l'ancien Président sud- africain Thabo Mbeki, qui a salué l'accord comme un produit de Zimbabwéens eux-mêmes et a appelé "toute l'humanité progressiste à soutenir le peuple du Zimbabwe" alors qu’il n'y avait aucune célébration à l'intérieur et à l'extérieur du Zimbabwe par les Zimbabwéens eux-mêmes. Les optimistes prudents ont exprimé

un sentiment de soulagement et attendaient de voir les détails du plan et comment il pourrait être mis en œuvre. Pour les sceptiques, l'affaire a soulevé plus de questions que de réponses.

Les lacunes associées aux négociations de 2008 au Zimbabwe étaient tellement flagrantes au point qu’un observateur averti pouvait imaginer son issue. Plusieurs études8 ont été menées sur cette question et les conclusions sont résumées dans les paragraphes suivants :

Du processus:

 La majeure partie des négociations ont été menées dans le secret, ceci a soulevé des questions sur l'intégrité de l'ensemble du processus et a créé la méfiance au sein du MDC et entre le MDC-T et ses principaux alliés, tels que le mouvement syndical.

 Le processus n'était ni inclusif ni consultatif, d'où les craintes que l'accord était un pacte d'élite qui pourrait en fait avoir omis certaines des questions clés de la société civile et la société zimbabwéenne dans son ensemble.

 Le processus semblait supposer que les problèmes au Zimbabwe était une exclusivité des partis politiques, au point de croire que si la ZANU-PF et les deux MDCs parvenaient à une entente la crise zimbabwéenne serait naturellement résolue, oubliant que les questions de réformes constitutionnelles, de justice transitionnelle, de l’économie, etc., ne peuvent définitivement être résolues qu’avec une large implication de toutes les parties prenantes et des acteurs clés de toute la société zimbabwéenne.

Du contenu même de l’accord:

 L’accord a été rédigé suivant les couleurs et l’idéologie de la ZANU PF, parti cher à Robert Mugabe.

 L'accord ne reflétait pas la volonté du peuple exprimée le 29 mars 2008, mais plutôt un ralliement d’un groupe d’individus à une coalition désavouée par le peuple.

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 L'accord crée un gouvernement de transition sans un énoncé clairement défini sur le délai pour rédiger une nouvelle constitution et organiser de nouvelles élections sous la supervision de la Communauté Internationale. Au contraire, il établit un gouvernement d'union nationale dont la durée sera un mandat complet de cinq ans.

 L'accord est resté vague et ouvert à diverses interprétations, il ne précise pas clairement quel ministère sera alloué à tel ou tel autre parti politique. Le processus était déjà au point mort avant même sa mise en place suite aux désaccords sur la répartition des ministères.

 La question de répartition des ministères a ouvert de nouvelles rondes de négociations susceptibles de faire échouer le processus et de conduire à un échec sur respect des échéances définies dans l'accord.

 Un flou orchestré sur la limite du pouvoir entre le Président et le Premier Ministre au point d’entraîner un chevauchement dans leurs fonctions respectives a constitué une source potentielle des futurs conflits et blocage.

 L’accord a reconduit un Parlement dont le MDC-T a une faible majorité à la Chambre basse (Assemblée) et la ZANU PF dispose d'une majorité confortable à la Chambre Haute (Sénat). Ceci suppose d'énormes difficultés en termes d'adoption des lois qui seront cruciales pour établir les priorités du nouveau gouvernement. L'accord n'aborde pas cette question.

La nature du nouveau gouvernement n'est pas clairement définie s’il s’agit d’un système présidentiel ou parlementaire. Dans ce cas, il semble que les parties en sont venues à un modèle français en miniature, à savoir un système semi-présidentiel avec un président très puissant, ce qui allait à l’encontre de la volonté du peuple clairement exprimée lors du scrutin du 29 mars 2008.

3.3.4. Le modèle congolais

En RDC, les premières réformes qui ont marqué l'ouverture du pays à la démocratie ont eu lieu sous le régime Mobutu avec l'avènement de la Conférence Nationale Souveraine dans les années 1990. Ces réformes ont été initiées par le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), un parti unique appelé Parti-État qui avait connu 32 ans de règne sans partage et dont la baisse de popularité a été marquée par des contestations de plus en plus grandissantes. Pour faire face à une nouvelle coalition des partis de l'opposition (Union Sacrée de l'opposition) dont la popularité n'était plus à contester, et pour contourner une défaite électorale qui s'annonçait, le MPR initia des consultations populaires, qui ont abouti à la convocation d'une Assemblée Constituante qui s'était convertie suite aux pressions de l'opposition à une Conférence Nationale Souveraine (CNS) à l'issue de laquelle des nouvelles institutions devant mener les reformes institutionnelles devaient être mises en place.

Après l'élection d'un Premier Ministre et d'un Parlement de Transition issue de la CNS, une coalition formée du MPR et d’un groupe de ses partis-satellites bloquèrent le processus et empêchèrent le nouveau gouvernement d'entrer en fonction au point de créer une nouvelle crise institutionnelle qui entrainèrent le pays vers un cycle interminable de gouvernement de transition et qui permirent la continuité politique de l'ancienne coalition impopulaire jusqu'à ce qu'une nouvelle coalition politico-militaire, l'AFDL sous le leadership de Laurent-Désiré Kabila et de l'impulsion populaire vienne mettre fin à cette dictature du MPR. La relecture de ce parcours politique de la RDC s'inscrit bien dans le cadre d'un modèle hybride, initialement intermédiaire de deux principaux modèles de réformes jusqu'à l'élection d'un gouvernement issue de la CNS. La reprise du contrôle de la situation par le MPR en empêchant le nouveau gouvernement d'entrer en fonction constitue un point d'inflexion qui bascule la tendance à un modèle où une ancienne coalition au pouvoir s'accroche et met en place toutes sortes de stratagèmes à travers de semblants d'ouvertures et de simulacres de réformes pour assurer sa prolongation au pouvoir. À partir de ce point, la coalition au pouvoir (le MPR et alliés) s'est servie d'un modèle qui fait usage des normes

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inclusives en cohabitant avec l'opposition afin de garantir sa continuité à la tête de l'État. L'échec de ce processus doit être attribué au modèle fondé sur les normes inclusives sous la gouverne d'une coalition politique au pouvoir et non au modèle intermédiaire dont l'élan a été interrompu.

L'avènement de l'ADFL en 1997 et le nouveau leadership de L.-D. Kabila a introduit des nouvelles réformes qui s'inscrivent dans le cadre d'une nouvelle coalition qui jouit de l'appui du peuple suite au désir de changement et qui centre les débats sur la question de l'efficacité. Pour assurer sa survie et sa longévité politique, la nouvelle coalition a procédé à son tour à l'exclusion des membres de l'ancien régime qui à leur tour devaient créer des nouvelles alliances militaires pour revenir aux affaires. Ce modèle qui peut être fonctionnel ailleurs est à proscrire en RDC suite à son échec dans le passé.

Les réformes issues des Accords de Sun City sous le modèle de gouvernance 1+4 et qui ont conduit à l'élaboration de l'actuelle constitution et à l'organisation des élections de 2006 s'apparentent à un modèle intermédiaire. Ce modèle qui a fait ses preuves ailleurs comme en Argentine et au Kenya a cependant montré ses limites en RDC. Le partage du pouvoir s'est fait entre anciens belligérants des luttes armées qui avaient tous un même centre de commandement, à savoir la coalition Rwando-Ougandaise, excluant ainsi l'opposition non armée. Le manque de compétence et l’irresponsabilité politique de certains acteurs a conduit à la violation des termes de l’Accord. C'est le cas des réformes de la Cour Suprême de Justice (CSJ) qui passa de la RCD-N à la coalition au pouvoir qui ensuite plaça ses pions à la tête de cette institution en charge de valider les résultats des élections afin de cautionner une fraude planifiée.

L'esprit et la lettre des Accords de Sun City étaient d'empêcher à une composante toute seule de contrôler à la fois la CENI et la CSJ, le focus étant sur les élections transparentes. Chose que le pouvoir a réussi à contourner par des accords complémentaires en s'accaparant du contrôle à la fois de la CENI dont il était en charge de mener les réformes et de la CSJ qu'il a obtenu en échange de certains portefeuilles ministériels.

Ceci amena à l'implantation d'un décor propice à la fraude, d'où l'échec de 2006.

Après sa victoire contestée de 2006, la nouvelle coalition, appelée Majorité Présidentielle qui faisait face à une opposition minoritaire et divisée opta pour un modèle exclusif qui lui a permis de réaliser seule toutes les réformes, notamment celle de la CSJ qui envoya tous les magistrats hostiles à la retraite anticipée et leur remplacement à la veille des élections de 2011.

Il y a aussi celle de la CEI en CENI sous le contrôle du pasteur Daniel Ngoyi Mulunda, un proche du Chef de l'État Joseph Kabila. Voilà encore un décor qui était bien rôdé pour répéter les exploits de 2006, cette fois-ci avec un adversaire qui n'opposera aucune résistance militaire contrairement à Bemba en 2006.

Après les élections de 2011, M. Étienne Tshisekedi, qui rejeta les résultats annoncés par la CENI refusa de les contester devant la CSJ qu'il considère comme partisan. L’on peut formuler l’hypothèse que si M. Étienne Tshisekedi était à la tête de l'État, une réforme de la CSJ s'imposerait pour dépolitiser cette institution. Cette dépolitisation de la CSJ équivaut à congédier tous les magistrats issus des nominations partisanes, mais pour les remplacer par qui? Il s'agit ici d'une question capitale qui ne doit pas être abordée avec parti pris. Nous pouvons postuler que personne n'initierait ces réformes en congédiant tous ces magistrats pour les remplacer par d'autres qui lui seront hostiles. Il les remplacerait par des personnes proches à lui et qui lui seraient soumises pour assurer la continuité de sa famille politique. Voilà pourquoi les réformes institutionnelles, en particulier celles de la CSJ et de la CENI, comme deux piliers de réussite d'un système électoral ne doivent pas être l'affaire d'un groupe isolé mais l'affaires de tous.

Un modèle intermédiaire qui inclut toutes les parties pour réaliser ces réformes en portant les correctifs sur les ratés du passé donnera une lueur d'espoir à cette démocratie naissante. Pour y arriver, une entente qui définit la limite de pouvoir de chaque partie s'avère nécessaire.

Cette entente ne peut être que les résultats d'une négociation entre les parties impliquées par le biais d'un vrai dialogue inclusif entre les

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Congolais. La figure que prendrait un tel dialogue reste à définir, en tirant les leçons de dialogues antérieurs et des exemples des modèles qui semblent avoir porté fruits ailleurs dans le monde.

En définitive, toutes choses étant égales par ailleurs, le modèle actuel de la RDC est un modèle qui s'apparente à celui du Zimbabwe, un modèle exclusif et sélectif initié par une coalition impopulaire au pouvoir pour contourner une défaite électorale en perspective, suite au désir du changement du peuple. La coalition au pouvoir qui fait face à une opposition divisée, sélectionne certains acteurs dans l'opposition qu'elle domestique et à qui elle impose les règles de réforme de manière à garantir sa continuité politique. Il s’agit donc d’un modèle d'une coalition déclinante des partis au pouvoir menacés par le désir du changement, qui initie des réformes pour la simple raison de légitimer un pouvoir dont l’impopularité n'est plus à démontrer. Pour y parvenir, la coalition au pouvoir (Majorité Présidentielle) s'est ouverte à l'opposition et à la société civile via les concertations nationales convoquées sous prétexte de renforcer la cohésion nationale et mettre en place un gouvernement dit de Cohésion Nationale. Le modèle congolais s’éloigne de la réalité en mettant la charrue devant le bœuf, c'est-à-dire en mettant en place des réformes institutionnelles (CENI, Cour Suprême de Justice, armée et forces de polices) avant la mise en place d’un véritable gouvernement d’union nationale censé diriger ces réformes. Le paradoxe à ce point est que le modèle congolais fait usage des normes exclusives pour mettre en place des réformes au profit de la coalition au pouvoir et recourir ensuite aux normes inclusives pour mettre en place un gouvernement d’union nationale ou de cohésion nationale qui se soumettra enfin aux institutions issues des réformes exclusives dans le seul but d’assurer la continuité politique de la coalition au pouvoir. C’est un cercle vicieux qu’il importe de briser afin de sortir le pays de la longue nuit d’incertitudes et d’impasses.

Les réformes institutionnelles, en particulier celles de la CSJ et de la CENI, comme deux piliers de réussite d'un système électoral ne

doivent pas être l'affaire d'un groupe isolé mais l'affaires de tous.

IV.

Discussion et conclusion

4.1. Discussion

Eu égard à ce qui précède, il appert que deux tendances principales ont caractérisé les types de réforme du système électoral dans le monde. La première est celle qui régit des réformes initiées par une coalition décroissante dont la popularité a baissé et qui centre le débat sur la question de légitimité. Elle aboutit à une gouvernance fondée sur les normes inclusives qui incluent toutes les parties impliquées. La seconde est celle qui régit des réformes initiées par une coalition en pleine ascension dont la popularité est dans la plupart de cas due à l'impopularité de la coalition au pouvoir, mais aussi par faute de mieux pour le peuple. Les réformes initiées par ce type de coalition qui centre le débat sur la question de l'efficacité aboutissent souvent à une forme de gouvernance fondée sur les normes exclusives qui excluent les membres de l'ancienne coalition au pouvoir et ses alliés à la gestion du pays. Cette étude a clairement démontré que les deux modèles précités visent carrément au renforcement de la coalition qui l'initie, et, par conséquent, représente un frein à l'alternance démocratique. Un modèle intermédiaire entre les deux, piloté par un véritable gouvernement d'union nationale formée des représentants de deux types de coalitions comme ce fut le cas du Kenya est celle qui se prête à une alternance démocratique.

Plusieurs solutions sont envisageables à une crise de légitimité dont la réalisation ferait usage des moyens pacifiques ou violents. Une étude publiée par le BIEPD sur les voies de sortie des crises récurrentes en RDC9 a démontré qu’un dialogue intra-congolais comme cadre de discussion des questions d’intérêts communs représentait l’option la plus viable pour toutes les parties impliquées dans cette crise de légitimité que traverse la RDC.

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4.2. Conclusion

La recherche des solutions pacifiques à une crise de légitimité obéit à un schéma politique dont la RDC ne saura échapper. Il s'agit de la formation d'un gouvernement d'union nationale digne de ce nom (cas du Kenya) dont le succès dépendra de l’accord qui l’exige, de sa composition et de son mandat. Un gouvernement d'union nationale pour être efficace doit premièrement être issu d’un consensus garanti par l’accord. Ensuite, il doit avoir un mandat limité à mettre en place des réformes institutionnelles devant mener aux élections générales suivant les règles consensuelles comme ce fût le cas au Kenya en 2008. Il est cependant voué à l'échec quand un groupe politique met en place les institutions et les règles à son profit et convie ensuite ses adversaires politiques à la formation d'un gouvernement dit d’union nationale qui sera régi par ces même institutions et règles, comme ce fut le cas au Zimbabwe en 2008. L’opposition et la société civile congolaise au lieu de réinventer la roue, devraient plutôt s’inspirer des exemples d’autres pays comme le Kenya et l'Argentine tout en corrigeant les ratés de ces systèmes afin d’éviter de cautionner les forfaits du pouvoir en place et de lui assurer la continuité aux affaires.

V.

Références

1Conseil de l'Europe: Rapport de la Task force de haut-niveau sur la cohésion sociale au XXe siècle. Vers une Europe active, juste et cohésive sur le plan social. TFSC(2007) 31 F Diffusion restreinte

2Josiane Boulad-Ayoub: Légitimité, légalité et vie politique (2003)

3(Sur le principe de légitimité, dans : L'idée de légitimité, Institut international de philosophie politique, coll. « Annales de philosophie politique », no 7, Paris, PUF, 1967, p. 49)

4Josiane Boulad-Ayoub: Légitimité, légalité et vie politique (2003)

5Patrice Bigombe Logo et Hélène-Laure Menthong., Crise de légitimité et evidence de la

continuité politique, GRAP (Groupe de recherches administratives et politiques), Université de Yaoundé 2

6L. Sindjoun, ((Cameroun : le système politique face aux enjeux de la transition démocratique (1990-1993)), in Afrique politique, 1994, Paris, Karthala, pp. 143-144

7Daniel Buquet, 2007; Between legitimacy and efficacy: reform in presidential election systems in Latin America. Rev.urug.cienc.polít.vol.3 no.se Montevideo 2007

8Zimbabwe watch and Crisis in Zimbabwe Coalition a time to act, 2008, Zanu PF and MDC Power Sharing Agreement: Assessment of Outcomes, Benchmarks for engagement and recommendations from Zimbabwean Civil Society

9http://www.biepd.org/site/accessoires/soutien/di c01.pdf

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