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L’impunité des assaillants,commeun second viol pour les femmes du Kivu

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LE COURRIER

MARDI 11 MAI 2010

11 SOLIDARITÉ

L’impunité des assaillants,comme

un second viol pour les femmes du Kivu

RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO • Sept femmes parlementaires suisses ont effectué une tournée dans la région des Grands Lacs. Les viols y sont légion mais les agresseurs sont très rarement condamnés.

GRÉGOIRE DURUZ, BUKAVU

La sale guerre fait toujours rage au Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Et la population civile en paie le prix. Partout, en bor- dure des forêts qui s’enfoncent loin à l’intérieur des terres, le scénario se répète: des villages entiers attaqués, pillés, incen- diés. Tour à tour par des groupes rebelles, les Forces dé- mocratiques de libération du Rwanda (FDLR) en tête, ou des bataillons de l’armée régulière congolaise qui, entre deux as- sauts militaires, se montrent tout aussi barbares envers la population.

Débuté en 1996, le désastre humanitaire atteint des som- mets depuis 2009. Les femmes en sont les premières victimes.

Le nombre de cas de violences sexuelles, un temps en baisse, ne fléchit plus: entre 10 000 et 15 000 actes ont été recensés pour 2009 rien que dans la pro- vince du Sud Kivu. En incluant les viols non déclarés, les statis- tiques peuvent être multipliées par deux, affirment les organi- sations qui, quotidiennement, recueillent des témoignages de femmes violentées.

La honte des victimes

A Bunyakiri, agglomération située à 120 kilomètres au nord-ouest de Bukavu, des vi- sages fermés racontent. «La nuit, nous avions pris l’habitu- de de quitter notre village pour aller dormir en forêt. Mais par- ce que les assauts des FDLR se répétaient, nous avons fini par déménager ici, le long de la route», souffle Buuma, une femme de 50 ans. «Le plus dur est de ne plus pouvoir accéder à nos champs», ajoute une jeune mère.

Les mots choisis ne livrent guère de détails sur les rebelles et leurs agissements. Les viols commis par dix hommes armés sur une femme, les pénétrations infligées aux bébés ou aux grand-mères, les coups de fusil tirés dans le va- gin et autres tortures ma- cabres, tout cela se lit dans les rapports, mais ne se dit pas au premier venu.

Le viol est honteux. Et syno- nyme de répudiation par le mari, souvent, a fortiori lorsque la victime est testée séropositi-

ve. De 3% pour l’ensemble de la population, le taux de préva- lence du VIH grimpe à 22% par- mi les femmes et hommes (beaucoup plus rares) violés.

Au bord de la route

De modeste carrefour com- mercial, Bunyakiri s’est trans- formé en dix ans en un long ser- pent d’habitations de plusieurs kilomètres. La route défoncée, jamais réhabilitée depuis l’é- poque coloniale belge, fait office de refuge pour des dizaines de milliers de villageois en fuite; les provinces du Nord et Sud Kivu compteraient 1,5 million de dé- placés. Des deux côtés de l’artè- re, des maisons rafistolées, où l’on s’entasse à plusieurs fa- milles. A côté des huttes construites en terre, les abris faits de paille traduisent la dé- chéance et l’arrivée récente de nouveaux déplacés. «Il arrive que des villageois trouvent à lo- ger dans des maisons désertées par des familles plus riches qui sont elles-mêmes parties se ré- fugier à Bukavu», explique Pon- tien Musomerwa, jeune prési- dent de la société civile locale.

Car il ne fait pas bon vivre à Bunyakiri. Les écoles, dé- placées elles aussi et érigées à la hâte sous des bâches, peinent à contenir tous les enfants qui af- fluent des environs. Le travail manque. Surtout, la population demeure aux abois, dans un cli- mat de paranoïa généralisée.

Des soldats, déguisés en mili- ciens pour brouiller les pistes, pillent ou violent de nuit en pleine ville. Il se dit que l’armée paierait des civils pour approvi- sionner les FDLR en munitions et nouveaux uniformes en échange de chanvre… Le tout au nez et à la barbe d’un ba- taillon de Pakistanais de la mis- sion onusienne au Congo (MO- NUC), plus occupés à compter leurs jours de paie qu’à pa- trouiller, grincent les habitants.

En novembre dernier, 300 femmes protestèrent seins nus contre l’insécurité ambian- te. Les soldats tirèrent sur le cortège, tuant deux adoles- centes qui portaient le cadavre d’un homme abattu, la veille, par les FDLR.

Installés à Bukavu dans une minuscule pièce de cinq

mètres carrés où ils se parta- gent deux ordinateurs, quatre jeunes avocats enregistrent chaque semaine de nouveaux cas d’atteinte aux droits hu- mains. Leur association, Les Amis de la Justice, propose une aide juridique, en priorité aux femmes violées. Pas une mince affaire. Tout, de l’hésitation des victimes à porter plainte au coût de la procédure (mini- mum 500 dollars), conduit à l’impunité des agresseurs. 70%

des violences sexuelles sont le fait d’hommes armés, miliciens ou soldats de l’armée régulière.

Or, les plaignantes sont tenues de se déplacer physiquement à Bukavu pour que l’Auditorat militaire les entende. Bien peu ont les moyens de payer deux à trois jours de transport chao- tique à travers la province…

Au final, seuls 3% des cas dénoncés conduisent à une peine réellement exécutée, cal- culent les avocats des Amis de la Justice. L’application de la loi sur les violences sexuelles de 2006 (qui prévoit de cinq à vingt ans d’emprisonnement pour viol) achoppe sur la corruption

omniprésente de la police et les magistrats. Les mises en liberté provisoire ou amnisties se né- gocient à l’amiable, contre une chèvre ou une poignée de dol- lars. «Imaginez une victime qui voit son agresseur circuler en toute liberté, deux jours après avoir été arrêté…», avise Me Sandra Muya. «Même l’Etat, lorsqu’il est condamné à verser des indemnités, est le premier à ne pas s’exécuter», vitupère son confrère, MeGrégoire Kasadi.

«Nous travaillons!»

Honorine Munyole, com- mandant de la Police pour la protection de l’enfance et de la femme pour la province du Sud Kivu, admet: «La victime s’y re- trouve rarement.» En sirotant un coca-cola, la major en uni- forme reconnaît des «blo- cages», des «ingérences» et des

«monnayages de la justice».

Elle s’excuse presque. «Si je vous disais mon salaire, vous auriez pitié de moi.» Sa paie mensuelle, apprendra-t-on, ne dépasse pas les… 30 dollars.

Elle assure faire ce qu’elle peut avec ses moyens. «Nous

n’avons même pas de véhicule pour arrêter les violeurs.»

L’impunité qui entoure les violences sexuelles fragilise doublement les victimes et désinhibe les agresseurs (qui se recrutent de plus en plus parmi les civils). Elle tour- mente aussi ceux qui la condamnent. Jolly Kamuntu, vibrante rédactrice en chef de Radio Maendeleo, une des ra- dios les plus écoutées au Sud Kivu, en sait quelque chose.

Durant trois ans, elle a tendu le micro à des femmes violées qui s’inquiétaient de la lenteur de la justice, ainsi qu’à des juges sommés de s’expliquer, avant d’être menacée de mort par SMS avec deux autres consœurs. Pas de quoi lui faire regretter ses enquêtes: «De 35 en 2007, les condamnations de militaires sont passées à 212 en 2009, se félicite Jolly Kamuntu. D’anciens collègues d’études de droit employés à l’Auditorat militaire m’ont dit:

«Tu nous as tellement matra- qués avec tes émissions, nous voulions te prouver que nous travaillons!» I

OÉRATIONS ARMÉES AU KIVU: VERS LE PIRE

«Les conséquences sur le terrain sont à l’opposé de ce que le gouvernement nous a promis», déplore Jean-Paul Ngongo, coor- donnateur de Voix de sans voix ni liberté (VOVOLIB). Tous les travailleurs humani- taires admettent que la dernière série d’opérations armées, lancée début 2009 par l’armée congolaise avec le soutien logis- tique de la mission onusienne au Congo (MONUC) et du Rwanda, a aggravé la situa- tion pour les civils. Chassés de certaines de leurs positions, les FDLR commettent les pires exactions là où elles se replient.

L’armée, dont la MONUC a décidé en 2010

de ne plus assurer l’approvisionnement, n’est pas en reste. «Avant 2009, les soldats pillaient les villages pour se nourrir. Aujour- d’hui, ils pillent pour revendre leur butin aux... villageois», observe Christof Ruhmich de l’organisation Malteser International.

Fin avril, Margot Wallström, représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU pour la question des violences sexuelles, est allée jusqu’à qualifier la RDC de «capitale mondiale du viol». Alors même que le prési- dent Joseph Kabila exige que la MONUC se retire au plus vite de son pays! «De fait, la MONUC est en train de perdre la confiance de la population», note Jean-Paul Ngongo.

Et avec elle, toute la communauté interna- tionale, accusée de n’exercer aucune pres- sion sur le président rwandais Paul Kagame pour qu’il dialogue avec les FDLR (ex-géno- cidaires). La guerre garantit en effet pour beaucoup un accès facilité au coltan, à la cassitérite et à l’or du Kivu.GDZ

«AXER DAVANTAGE L’AIDE EN FAVEUR DES FEMMES»

Six jours de visite au Burundi, en RDC et au Rwanda. Après la Colombie et la Bosnie-Herzé- govine, la région des Grands Lacs a accueilli la semaine dernière une délégation de femmes parlementaires suisses pour une nouvelle opé- ration «marrainage», initiée par la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey et la Direction du développement et de la coopération (DDC).

Trois conseillères nationales romandes – Josiane Aubert (PS/VD), Maria Roth-Bernas- coni (PS/GE), Francine John-Calame

(Verts/NE) – et quatre suisse alémaniques – Therese Frösch (Verts/BE), Yvonne Gilli (Verts/SG), Brigit Wyss (Verts/SO), Ida Glanzmann-Hunkeler (PDC/LU) – ont pu exprimer leur solidarité à de nombreuses femmes victimes de violences et entendre la réalité du terrain.

Après le passage de Micheline Calmy-Rey début février en RDC, le séjour des parlemen- taires constituait une deuxième occasion pour

la DDC de promouvoir l’importance de son intervention dans les Grands Lacs, en particu- lier dans le domaine de la prise en charge psy- chosociale des femmes traumatisées par un viol ou la guerre. La DDC a lancé ce printemps un nouveau projet régional dans ce sens qui prend le relais de sept années d’aide humani- taire (2003-2009) en RDC et au Burundi.

«Nous attendons des parlementaires qu’elles témoignent auprès de leurs collègues du Parle- ment de la nécessité d’intervenir durablement dans cette région en pleine transition», explique Maya Tissafi, cheffe de la section Afrique orientale et australe à la DDC. Un lob- bying indispensable pour la DDC qui doit sans cesse justifier son action auprès des politiques.

«Ce que j’ai vu me conforte dans l’idée qu’il faut axer encore davantage l’aide au dévelop- pement en faveur des femmes», suggérait pour sa part la conseillère nationale Francine John- Calame.GDZ

La Fédération genevoise de coopération (FGC), qui regroupe une cinquantaine d’organisations de solidarité Nord-Sud, soutient financièrement, avec l’appui de la Ville de Genève, la rubrique «Solidarité internationale». Le contenu de cette page n’engage ni la FGC ni la Ville de Genève.

www.fgc.ch

En République démocratique du Congo, à dix kilomètres de la ville de Bukavu, des parlementaires suisses ont rencontré des victimes de violences sexuelles.GDURUZ

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