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Le procès Katanga devant la CPI

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Academic year: 2022

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Le présent document est une pré-publication. Autrement dit : l’auteur a jugé bon d’en donner

connaissance au public dès maintenant, tout en ne le considérant pas encore comme totalement

achevé. Il est donc possible que, dans un futur proche, vous en rencontriez une version définitive

quelque peu différente.

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© « Collection des Thèses » éditée par l’Institut Universitaire Varenne Directeurs scientifiques : Daniel POUZADOUX et Jean-Pierre MASSIAS Diffusion : L.G.D.J - lextenso éditions

ISBN 978-2-37032-058-2 Dépôt légal : quatrième trimestre 2015

catégorie : « Justice pénale internationale »

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AU CONTRAT SOCIAL GLOBAL

Un regard sur la Cour pénale internationale

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ont été sélectionnés par le jury suivant :

Présidents :

Daniel POUZADOUX (Président de la Fondation Varenne) Jean-Pierre MASSIAS (Président de l’Institut Universitaire Varenne et Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour)

Diane de BELLESCIZE (Université du Havre) Florence BENOÎT-ROHMER (Université de Strasbourg)

Jean-Sylvestre BERGÉ (Université Lyon III) Christophe BIGOT (Avocat au Barreau de Paris)

Véronique CHAMPEIL-DESPLATS (Université Paris Ouest Nanterre La Défense) Marie-Anne COHENDET (Université Paris 1)

Olivier DÉCIMA (Université Bordeaux IV) Bruno DONDERO (Université Paris 1) France DRUMMOND (Université Paris II)

Patrick EVENO (Université Paris 1) Hélène GAUDIN (Université Toulouse 1)

Jean GICQUEL (Université Paris 1) Klaus-Gerd GIESEN (Université d’Auvergne) François HEINDERYCKX (Université libre de Bruxelles) Henri LABAYLE (Université de Pau et des Pays de l’Adour)

Eddy LAMAZEROLLES (Université de Poitiers) Virginie LEMONNIER-LESAGE (Université de Rouen)

Anne LEVADE (Université Paris Est Créteil Val de Marne) Rostane MEHDI (Université Aix-Marseille)

Anthony MERGEY (Université Rennes 1) Slobodan MILACIC (Université Bordeaux IV) Éric MILLARD (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)

Renaud MORTIER (Université de Rennes 1) Horatia MUIRWATT (IEP Paris) Philippe NIVET (Université de Picardie)

Claude OPHÈLE (Université de Tours)

Prisca ORSONNEAU (Responsable du Comité juridique de Reporters sans frontières) Xavier PHILIPPE (Université Aix-Marseille)

Geneviève PIGNARRE (Université de Savoie) Albert RIGAUDIÈRE (Université Paris II)

André ROUX (Université Aix-Marseille) Olivia SABARD (Université d’Orléans) Michel TERESTCHENKO (IEP Aix-en-Provence)

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DE L’AFFAIRE KATANGA AU CONTRAT SOCIAL GLOBAL

Un regard sur la Cour pénale internationale

JUAN BRANCO

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École doctorale 540 Transdisciplinaire Lettres-Sciences

THÈSE

en vue de l’obtention du grade de

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(Doctorat nouveau régime, discipline droit Xxxxxxx)

Présentée et soutenue publiquement à Paris le 26 novembre 2014 par

Monsieur Juan BRANCO

Directeur de thèse :

Jean-Louis HALPÉRIN, Professeur, École normale supérieure (Paris)

Membres du jury :

Marc CRÉPON, Directeur de recherche, CNRS (Paris) Isabelle DELPLA, Professeur, Université Jean Moulin (Lyon)

Mireille DELMAS-MARTY, Professeur honoraire, Collège de France (Paris) Hélène RUIZ FABRI, Professeur, Max Planck Institute (Luxembourg)

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Panthéon-Sorbonne, de la Law School de l’Université de Yale (États-Unis) et de l’École normale supérieure (Paris).

Elle a été financée en dehors du système universitaire français et nourrie par plusieurs expériences professionnelles, notamment au sein du Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (2010-2011), du ministère des Affaires Étrangères français (2012-2013) ainsi que de l’équipe juridique de Wikileaks (2014).

Elle s’appuie en outre sur un certain nombre de séjours de recherche menés dans différentes zones de conflit, notamment en Tunisie en janvier 2011, au Nord-Kivu (République Démocratique du Congo) en août 2012 et en République Centrafricaine en décembre 2013.

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est une des conditions auxquelles on peut devenir savant. Il faut plutôt admettre que le pouvoir produit du savoir (et pas simplement en le favorisant parce qu’il le sert ou en l’appliquant parce qu’il est utile) ; que pouvoir et savoir s’impliquent directement l’un l’autre ; qu’il n’y a pas de relation de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir.

Michel Foucault, Surveiller et punir

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Propos liminaire ...1

INTRODUCTION ...5

Chapitre préliminaire. Récit et structures de la Cour pénale internationale ...33

PARTIE I. L’AFFAIRE KATANGA, UNE ÉPREUVE POUR LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE...73

Chapitre 1. Les prémisses de l’affaire Katanga : le choix de la République Démocratique du Congo ...79

Chapitre 2. L’affaire Katanga, la difficile codification juridique d’une réalité impensée ...133

Chapitre 3. La procédure de l’affaire Katanga aux confins du droit international pénal ...209

PARTIE II. LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE ET LE CONTRAT SOCIAL GLOBAL ...293

Chapitre 1. De Hobbes à la justice internationale ...315

Chapitre 2. La CPI au cœur du contrat social ...365

CONCLUSION ...407

SOURCES…… ...423

BIBLIOGRAPHIE ...437

ANNEXES…… ...461

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...515

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Il convient de faire savoir que l’angle adopté pour cette thèse a tardivement évo- lué sous l’influence d’un événement déclencheur : la lecture du jugement contre Germain Katanga, deuxième accusé de la Cour pénale internationale, condamné pour « complicité résiduelle » d’actes commis dans un village isolé de la région la plus excentrée de la Répu- blique Démocratique du Congo. Germain Katanga a été reconnu coupable d’avoir, à 24 ans, reçu et redistribué, sur ordre, des armes dont personne n’a jamais cherché à connaître les acquéreurs ni les destinataires, dans un village où les équipes du Procureur ne se sont jamais rendues. La condamnation est intervenue onze ans après les faits, dix ans après l’ouverture de l’enquête, sept ans après le transfert de l’accusé à la Haye et plus de quatre ans après l’ouverture de son procès. Germain Katanga est aujourd’hui la seule personne à avoir été définitivement reconnue coupable par la Cour pénale internationale, institution pensée pour mettre fin à l’impunité contre les crimes les plus graves et ses principaux responsables.

Son Jugement a fait l’objet d’une opinion dissidente d’une virulence rare par l’un des trois juges ayant participé au procès, juge qui s’est désolidarisée de toutes les procédures menées les deux années précédentes. Alors que son co-accusé a été acquitté dans l’indifférence en 2012, M. Katanga a lui été condamné après avoir vu ses charges requalifiées six mois après l’ouverture des délibérés, alors qu’il avait été établi qu’il n’était pas l’auteur des crimes dont on l’accusait. Encore un an avant les événements qui lui valurent son transfert à La Haye, il chassait des okapis au milieu de la forêt congolaise.

Cet événement, ainsi qu’une distanciation avec le Bureau du Procureur suite à une tentative d’intervention dans le contenu de nos recherches, ont permis de condenser tout ce qui jusque-là était apparu comme gênant, contestable, parfois scandaleux, mais qui, pris isolément, n’entamaient pas un jugement d’ensemble globalement bienveillant sur l’institution. Au cœur du pouvoir, au plus proche du Procureur puis sous les ors vieillis d’une grande chancellerie, l’on ne s’inquiète pas des petits détails, de l’importance des destins individuels et de la cruelle symbolique qu’ils peuvent renvoyer. Il en va autrement dès que l’attache se fait plus profonde ; que, dans le cadre d’une recherche minutieuse et d’appa- rence vaine ou secondaire, les grands desseins s’effacent pour faire face à la réalité des corps, révélant le cœur d’une institution née du traumatisme de l’Holocauste pour en éviter la

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répétition et réduite à poursuivre des hères coupables d’avoir été entraînés, à peine adultes, dans la violence téléguidée d’un endroit oublié de tous si ce n’est des marchands d’armes occidentaux, de l’hubris néo-divine des potentats locaux et de nombreuses multinationales.

En l’occurrence donc, M. Katanga, paysan devenu milicien au milieu de cet impensé de la modernité politique qu’était l’Afrique des Grands lacs, coupable d’avoir pris les armes suite à la destruction de son école et au massacre de ses camarades, d’être devenu un combattant pour défendre sa communauté, puis d’avoir croisé des forces lancées par le pouvoir central, forces qu’il alimenta comme un logisticien d’un soir1.

Germain Katanga donc, âgé de 24 ans, qui fit transiter des armes automatiques

« venues du ciel », armes dont la présence sur ce territoire fit qu’entre trente et deux cent personnes, dont des enfants et des vieillards, ne mourussent pas seulement sous le coup des machettes et des arcs, de la pauvreté et de l’indifférence, mais aussi de kalachnikovs produites en Europe et financées par ses consommateurs de matières premières, c’est-à-dire par nous.

C’est de cet homme rattaché finement à notre existence par notre propre « compli- cité résiduelle » dont la Cour pénale internationale a fait son premier condamné définitif après douze ans d’existence. Un homme que l’on affubla un jour d’un costume de général, à la veille de ses vingt-six ans, afin de le transférer à La Haye et de l’y faire juger comme un grand homme. Un homme soudainement « passé du mauvais côté » pour une com- munauté internationale qui s’était jusqu’alors obstinée à l’ignorer, et qui s’est soudainement crue légitime à le condamner, en s’appuyant sur l’indifférence, le malaise au mieux de ceux qui, trop vaguement intéressés, craignirent et craindront toujours trop de s’apitoyer sur un bourreau pour chercher à regarder. Un homme coupable peut-être, en tout cas condamné comme bien d’autres à l’angle mort de la prétention à l’universel.

La fragilité de la « perspective » dans les recherches intellectuelles appelle à l’humi- lité. Une évolution tardive du regard sur un objet de recherche peut apparaître comme une faiblesse dans le cadre d’un travail universitaire. J’ai pourtant accueilli avec bonheur cette remise en question, comme un rappel juste à temps de la versatilité des constructions théoriques, pour élaborées, étayées et confrontées à « l’expérience » qu’elles puissent sembler.

Cette rupture fut aussi accueillie comme la confirmation que l’esprit critique n’est jamais assez aiguisé, et que, pour reprendre le mot de Pascal Quignard, « il y a un apprendre qui ne rencontre jamais le connaître ». Il me semblait dès lors important d’admettre cette évolu- tion avant de proposer ce travail et, partant, admettre être conscient d’une fragilité qui est nécessairement encore présente, qui est celle de toute entreprise similaire, et qui se renforce naturellement avec l’implication personnelle, professionnelle et émotionnelle du chercheur

1 Que soit ici immédiatement évacuée toute assimilation que ce terme pourrait induire avec l’affaire Eichmann, cas paroxystique de ce qu’on a cru bon de définir comme la banalité du mal et dont la propagande entretenue par sa propre défense à Jérusalem en aurait presque fait un bureaucrate simplement chargé de l’aiguillage des trains, alors qu’il avait été associé dès ses premières heures et au plus haut niveau politico-administratif au projet de la solution finale, avant d’en devenir l’organisateur zélé, l’un des idéologues et, à bien des égards, le premier responsable de son « succès ». Sans même rentrer dans des considérations d’échelle évidentes, rien ici n’associe un cas à l’autre, comme nos lecteurs pourront s’en apercevoir.

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dans ses sujets de recherche – mais dont j’ai eu la chance qu’elle apparaisse partiellement à temps pour retrouver une distance que j’espère aujourd’hui suffisante. Il est évident que cette rupture a permis d’éclairer ma démarche et de faire un petit pas dans le sens d’une plus grande sincérité, d’une moindre cécité, mais il est tout aussi évident que rien ne permette d’affirmer que ce soit là assez. Il faudra se contenter d’avoir pu rompre les dernières digues émotionnelles comme intellectuelles qui me rattachaient à une institution qui m’a beaucoup offert, et ainsi d’enfin pouvoir percevoir clairement ce sur quoi, comme beaucoup d’autres, je buttais depuis que j’avais rencontré la Cour sans jamais réussir à le comprendre : l’ouvrage auquel je me suis dédié pendant cinq ans avec minutie, comme un petit artisan tentant de corriger un objet rongé par un invisible défaut qu’aucun geste ne viendrait compenser, vrillerait en fait de par ses inaltérables fondations.

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Le présent travail a été élaboré à deux lisières : celle qui va de la philosophie au droit, et celle qui sépare le monde universitaire et ce qu’il est devenu commun de nommer, par opposition, comme si le premier n’appartenait pas au second, le monde professionnel.

Il s’agit de proposer à travers un parti pris expérimental et un appui successif, plutôt que combiné, sur la méthodologie de deux disciplines des sciences humaines et sociales2, un regard d’ensemble sur une institution, la Cour pénale internationale, et son champ de pouvoir adjacent, le droit international pénal3, dont la puissance sym- bolique dépasse de beaucoup la capacité d’action réelle.

Nous nous sommes proposés de partir du procès à La Haye d’un milicien congolais, né Germain Katanga en 1978 à Mambasa (Ituri), pour tenter d’analyser

2 Nous adopterons ainsi successivement les méthodologies requises par ces deux champs disciplinaires dans les deux parties qui composeront notre travail, nous appuyant dans un premier temps sur les structures formelles, les réquisits référentiels ainsi que les caractéristiques d’énonciations propres au droit international pour étudier le fonctionnement de la Cour pénale internationale à partir d’une de ses affaires, avant de confronter les conclusions de cette étude in concreto de la théorie et de la pratique de l’institution à un travail herméneutique reposant principalement sur la lecture d’une œuvre philosophique, le Léviathan de Thomas Hobbes, lecture contrastée par par un nombre volontairement limité de sources secondaires (afin d’atteindre, comme avec la lecture de l’affaire Katanga, un regard volontairement naïf que nous justifions plus en avant dans cette introduction) et qui nous amènera, à partir du texte, à étudier cette réalité que nous venions d’aborder à partir de son propre langage – celui du droit international pénal – à l’aune de l’auteur anglais et de la théorie du contrat social.

3 Pour un historique de la formation du droit international pénal, ses grandes étapes ainsi que ses sources principales, voir Ascensio. H, Decaux, E., Pellet, A., Droit international pénal, Paris, Editions A. Pedone, 2012, pages 21 à 80. Pour une présentation de ses principales institutions, ibid., pages 733 à 845.

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la place et le rôle de cette Cour au sein d’une mondialisation qu’elle se propose de réguler. Vaste projet qui part d’un point que d’aucuns pourraient considérer comme microscopique et par lequel nous chercherons à interroger le sens d’une des institu- tions internationales les plus disruptives qui soient nées ces dernières décennies. Par- tant des informations recueillies lors de ce qui n’était au départ qu’un stage à la Cour pénale internationale, nous tenterons de comprendre le pourquoi de son action, en nous appuyant sur une étude non seulement de son mouvement à partir de son propre langage, mais aussi des fondements philosophiques de la Cour, c’est-à-dire des discours qui sont tenus à son égard, en avançant à cet égard une exploration alternative à partir de la philosophie de Hobbes4.

La naissance d’un droit de punir à une échelle qui ne connaissait jusque-là la violence politique que comme fait5 ne peut à notre sens se comprendre sans inscription dans un contexte qui dépasse les discours endogènes – le droit, produit par l’institu- tion qu’il commente – et exogènes – la philosophie politique, produisant sans rapport direct un discours sur l’institution qui l’intéresse – à ce phénomène. Il est bien entendu possible d’étudier les mécanismes internes à un système de droit amenant, étape après étape, à l’élaboration de ce qui sera par la suite décrit comme sources primaires et secondaires, textes de référence et « jurisprudence », et ainsi décortiqué par les savants spécialistes de ce champ, en l’occurrence les doctrinaires. Cette étude est d’autant plus facilitée lorsqu’elle s’inscrit elle-même dans une démarche visant à alimenter ce sys- tème de droit, se proposant de l’améliorer par la critique et le commentaire. Il n’y a alors nul besoin d’une « perspective » plus large, si ce n’est afin de s’inspirer de sys- tèmes concurrents ou similaires qui, ailleurs dans le temps ou l’espace, permettraient de rendre plus efficace ou plus juste l’objet d’étude concerné.

Telle n’est pas tout à fait notre démarche. La nature du droit international pénal, dont l’inscription sociétale et temporelle reste fragile et à bien des égards hési- tante, incite naturellement à une étude des raisons de ce système lui-même, qui n’est pas né d’un pouvoir disant le droit mais qui a créé un pouvoir capable de le faire. Témoins privilégiés de cette création normative inversée, à laquelle nous avons participé pen- dant un peu plus d’un an, nous ne faisons par ailleurs pas partie de cette génération qui a attendu avec impatience la naissance de notre objet d’étude, ni encore moins participé à son élaboration conceptuelle. S’il peut paraître outrageant de contextualiser une recherche théoriquement déliée de toute contingence, il nous semble qu’il s’agit là d’une explication nécessaire pour comprendre la raison et l’utilité de notre étude.

4 Tentative dont les origines se trouvent dans un premier mémoire de philosophie sous la direction de Stéphane Chauvier, alors que nous étions toujours salarié de la CPI, Ce mémoire fut soutenu dans le cadre du Master 2 Philosophie politique et éthique de l’Université Paris IV La Sorbonne, en septembre 2011, face à Stéphane Chauvier et Alain Renaut. Il fut par la suite prolongé dans un premier temps sous la direction d’Hélène Ruiz Fabri et Jean-François Kervégan à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, avant d’être prolongé et achevé à l’ENS Ulm ainsi que, à titre temporaire, au sein de la Yale Law School, sous la direction de Jean-Louis Halpérin.

5 Puisque c’est là le sujet que nous avons décidé de traiter en décomposant pas à pas l’une de ses toutes premières applications par une instance vouée à devenir permanente, la Cour pénale internationale.

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Nullement tributaires d’une urgence ou d’un monde sans que nous n’avons pas connu, le « Système de Rome » nous est avant tout apparu comme un fait. Un fait dont l’absence avait été ressentie par ses principaux commentateurs, qui pour beaucoup par- ticipèrent à la naissance de la CPI et pour quelques rares autres luttèrent contre, tous ayant d’une façon ou d’une autre eu un rapport augural puis inaugural à un système dont la concrétisation ne pouvait dès lors que prendre la forme d’une inscription dans un mouvement de l’ordre de l’aboutissement prochain, du parcours sans fin ou de la catastrophe, bref, de l’événement.

Pour nous, un fait donc, qui, loin de s’inscrire dans une trajectoire personnelle ou collective qui induirait un rapport d’attente, c’est-à-dire un rapport de passion à notre objet d’étude, ne nous a pas coûté le moindre effort, et face auquel nous sentions dès le départ la distance que peut avoir tout individu face au monde dans lequel il né, et non celui qu’il a fait naître ou cherché à faire naître. La Cour nous est donc apparue non pas tant comme la concrétisation d’un ciel des idées tardivement et presque mira- culeusement matérialisé, mais comme un appareil de pouvoir qui, comme tout autre pouvoir – et peut-être plus encore parce qu’elle s’est pensée comme aboutissement incontesté d’une certaine idée civilisationnelle – s’est montré dès sa naissance particu- lièrement vorace et étrangement assuré de son fait.

C’est donc un premier rapport de contraste qui a fait naître en nous la nécessité de ce travail. Affecté par le décalage évident entre l’ambition performative énoncée par les défenseurs de la Cour pénale internationale, le fonctionnement de l’institution elle-même et les résultats d’une existence qui déjà s’étend sur une décennie, nous avons été progressivement amenés à tenter de comprendre, contester, étudier, déconstruire, pour éventuellement reconstruire, les évidences qui tenaient lieu de « légitimants » de l’institution, et notamment les fondements théoriques sur lesquels beaucoup de ses défenseurs prétendaient faire reposer celle-ci.

Fondements, le mot est lâché. Il est rejeté par un grand nombre de juristes, ainsi que de philosophes6. Il nous semble nécessaire, du fait d’un postulat théorique que nous tenterons de justifier plus en avant : il n’y a pas de pouvoir sans récit, pas de structure politique sans fiction légitimante, bref, pas de Cour pénale internationale sans discours prétendant tenir et justifier l’ordre politique que son existence implique.

Loin d’être secondaire, la question de la parole portée sur et par l’institution détermine non pas seulement le sens de son action, mais la possibilité de son action elle-même.

La croyance, qui implique la nécessité d’une fiction, est le seul substrat sur lequel résident les appareils de pouvoir. Comme nous tenterons de le montrer, sa dissolution entraîne la leur, et elle demeure le seul critère permettant d’en évaluer la réalité. Il importe moins en l’occurrence de déterminer ce que de la fiction ou du pouvoir créé l’un et l’autre, que d’accepter que la confusion de l’un et l’autre est entière, et qu’il n’y

6 Nulle surprise à cela, au sein même de notre perspective qui tient toute construction politique pour fiction : quelle pourrait dès lors être la valeur d’une parole cherchant à théoriser la fiction, c’est-à-dire à fictionnaliser ce qui l’est déjà ?

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a, à partir de là, que des degrés d’élaboration divers entre le commentaire d’actualité, le discours idéologique et la construction philosophique visant tous à représenter la même réalité, et dès lors à la faire exister ou au contraire à l’attaquer plus ou moins profondément.

La philosophie, dont nous nous servirons comme d’un appui à la suite du droit, incarne dans cette perspective rien de plus ni de moins que le suprême raffine- ment du discours que nous cherchons à appliquer sur la CPI (dans une démarche que nous voudrons ici sans ruptures) en ce qu’elle permet plus que toute autre d’approcher le plus précisément la réalité étudiée, afin d’en faire ressortir les mécaniques, subtilités et devenirs sous-jacents, et d’agir comme un puissant agent critique du discours idéo- logique et technique couvrant et nourrissant l’action de l’institution qui nous intéresse et dont elle est l’un des principaux producteurs. Par sa capacité critique sur le discours lui-même, la philosophie se présente comme un métadiscours d’une réalité qu’elle peut ainsi façonner elle-même, à une échelle différente de celle du droit, mais qui la lie par là-même immédiatement à ce qui pourrait être considéré comme les « échelons inférieurs » qu’elle prétend déconstruire.

Le choix de Hobbes comme interprète principal de la réalité que nous nous sommes proposés d’étudier s’est fait dans la prolongation de cette logique : prendre appui sur celui qui fut en quelque sorte rien de plus, mais rien de moins, que le commentateur politique le plus précis de son temps, d’un temps qui n’est pas tout à fait disparu, et qu’il fut capable de déchiffrer alors même que son avènement n’était pas encore achevé, temps historique marqué la centralisation fictionnelle du politique autour d’une forme devenue dominante et universalisante, l’État. Pour le dire autre- ment, et nous défendrons bien entendu les raisons qui nous poussent à une telle affir- mation : Hobbes sut décortiquer les mécanismes de notre modernité politique sans failles autres que celles qui se révélèrent dans le réel après ses écrits – failles qui se trou- veront au cœur de notre réflexion – jusqu’à apparaître dès lors, plusieurs siècles après sa mort, comme le meilleur guide pour comprendre les évolutions actuelles d’un monde devenu, comme sa théorie l’exigeait, entièrement mais fictionnellement politique.

L’intérêt de notre démarche partant d’un récit géopolitique du monde et arri- vant à la tentative d’interprétation philosophique de son pourquoi en passant par une tentative de compréhension de son discours ordonnateur intermédiaire, le droit, ne tient donc pas à une herméneutique savante dont beaucoup ont porté le poids au cours des siècles, déchiffrant l’œuvre hobbesienne jusqu’à la faire apparaître comme dénuée de mystères et comprise de tous. Il s’agit de partir d’une théorie que nous croyons fon- datrice pour penser le faire société en tant que réalité, théorie formulée dans les termes de « contrat social », et dont le mouvement décrit repose au départ sur une triple impulsion que nous croyons attachée, sous une forme ou une autre, à tout humain : la capacité à l’amitié – entendue comme mise en commun ; la crainte, double du désir, du trouble, que Hobbes énonce comme recherche de sécurité ; et finalement le non-dit

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omniprésent de la théorie hobbesienne : la capacité à l’imaginaire, donc à la fiction, donc au droit, donc à la solution de la seconde impulsion par la première à une échelle dépassant le rapport interindividuel.

Ce postulat, triple, nous servira de dogme fondateur au long de ce travail, à notre charge de convaincre de la pertinence d’une affirmation si totalisante, qui ne récuse aucunement la possibilité – possibilité que nous avons vérifiée à plusieurs reprises – que son support soit peuplé de failles, mais qui affirme que ce sont ces failles mêmes qui expliquent celles de notre modernité politique, et in fine de nos édifices sociétaux compensatoires et de leur traduction juridique. De la Cour pénale internationale.

De la présentation géopolitique à la philosophie politique en passant par une casuistique juridique inversée7, nous avons donc trouvé là un cheminement qui nous a semblé cohérent, amplifiant progressivement les enjeux qu’il embrassait sans jamais écraser les perspectives, et permettant de confronter chaque discours à son commen- taire ou sa réalisation pratique. La meilleure défense d’une méthode qui peut sembler radicale ou aveugle nous a ainsi semblé être le passage non seulement par l’expérience mais aussi, ou plutôt sur celle-ci, c’est-à-dire par l’étude de ce pouvoir dont nous avons fait notre sujet au plus proche de sa réalité, là où ses grandioses mécaniques prennent naissance. C’est aussi pourquoi il nous a semblé si nécessaire de rencontrer l’ensemble, sans exception, des protagonistes de l’Affaire que nous avons choisi, celle de Germain Katanga, après avoir travaillé auprès de l’un des organes de la CPI, puis d’un des acteurs de la souveraineté ayant institué le diseur de droit qui nous intéresse – mais aussi plus largement pourquoi il nous a semblé nécessaire de partir d’une seule affaire, étudiée au niveau des corps, loin des constructions idéelles qui parfois font oublier le pourquoi de leur existence. Tous les acteurs donc, y compris Germain Katanga lui-même, fin septembre 2014 (de sorte que notre travail ne soit pas trop immédiatement influencé par cette rencontre, bien qu’il l’ait en conséquence été par son absence), au sein de sa cellule, dans le cadre de six heures d’entretien surveillées et filmées par l’institution qui nous occupe, et obtenues après de trop longues négociations que seule, ironiquement, la menace d’une action juridique a fait aboutir. Tous les acteurs donc, y compris cet accusé qui n’avait eu en dix ans d’autre visiteur que sa femme, ses trois enfants et son équipe de défense, sans que l’on sache si son abîme fut le fait d’un désintéressement absolu du monde au nom duquel il était censé être jugé, des restrictions imposées par la Cour pénale internationale, ou des deux.

7 Dont un certain nombre d’exemples récents dans le domaine universitaire du droit nous semblent indiquer une nouvelle résurgence, comme le montrent entre autres les tentatives menées autour de l’affaire Perruche par Olivier Cayla et Yan Thomas (recherches qui ont fait l’objet d’une publication par ces deux auteurs : Du droit de ne pas naître : à propos de l’affaire Perruche, Paris, Gallimard, 2002 ainsi qu’un séminaire à l’ENS) ou la relecture de l’arrêt Marbury vs Madison par Bruce Ackerman au sein de son ouvrage The failure of the founding fathers – Jefferson, Marshall and the rise of Presidential Democracy, Cambridge, Harvard University Press, 2007.

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i. l

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Toute politique naît fiction. Voilà, avant-là les considérations philosophiques, la réalité qui frappe celui qui pénètre un instant les entrailles du pouvoir contempo- rain. Paroles, papiers, sceaux, signatures, images, lignes hiérarchiques, rien n’échappe ni n’existe sans le gris de l’écrit qui, au détour d’un miracle, se transmute, loin de là, chaque fois plus rarement, en réalité. Évidence théorique lorsqu’ainsi énoncé, le cœur du politique apparaît plus encore pratiquement comme simple abstraction du monde, rationalisation et régurgitation de ses événements sur des polices de caractère immuables où seuls quelques traits de plume portés à la main, sur les marges des documents, témoignent de l’existence et de l’intervention de corps humains. Violente déconnection soudainement imposée à celui qui pensait embrasser le monde et se trouve à nager dans des marres de bois transformé. La « solitude du pouvoir » se trouve par là-même expliquée8, trop mal compensée par actes multitudinaires et récep- tions fastueuses dont la véritable raison d’être, parer à l’angoisse du souverain, apparaît enfin. Au reste de l’État, l’administration, les services, les exécutants, la charge du réel, la transfiguration de la parole sacrée en actes, la gestion quotidienne d’un monde exté- rieur chaque fois plus autonomisée. À eux « l’ivresse » du réel, et sa mise en mots soi- gneusement retranscrite aux fins du politique. Aux cabinets du Procureur de la Cour pénale internationale comme du ministre des affaires étrangères, lieux dans les lieux, pouvoirs qui déterminent l’ampleur du pouvoir, alors que les décisions portant sur les guerres, les massacre, brefs les destinées de milliers de personnes se succèdent, tout reste invariablement vide, silencieux, immobile.

Dans ces écosystèmes flottants en deçà du monde, soigneusement distingués et isolés du reste de l’État9, les interrogations se multiplient à mesure que le temps passe sans que rien ne tremble : d’où vient donc cette fatale attraction pour ces espaces trop grands et décatis où quelques âmes s’entraperçoivent et se croisent, parfois, de façon feutrée, et où les grands événements, ceux qui, faits de droit, feront le droit, prennent la forme d’un « oui » autographe inscrit par un homme seul, prostré dans un

8 Magistralement montrée par Raymond Depardon dans son film 1974, Une Partie de campagne (2002), non sans raisons censuré trente ans durant.

9 Ainsi, pour les plus proches collaborateurs du cabinet du ministre des affaires étrangères, l’entrée dans l’Hôtel du ministre, séparé du bâtiment accueillant le reste de l’administration, ne se fait pas à travers les portiques de sécurité empruntés par tous les fonctionnaires, y compris les plus prestigieux, mais par porte d’honneur, gracieusement ouverte sans contrôle d’aucune sorte ; puis, pour le conseiller spécial dont nous étions l’adjoint et qui par contamination nous offrait ce privilège, par la montée du « Grand escalier » encadré de drapeaux et d’immenses tapisseries représentant l’État, jusqu’à joindre le bureau éponyme, seul à laisser libre accès aux salons d’apparat et, pour les plus intrépides, aux appartements privés du Ministre. De ce bureau, un « petit escalier » caché permettra en cas de nécessité de retrouver directement celui du Ministre. Aucune générosité gratuite dans ce traitement visant à signifier l’appartenance aux entrailles et l’inévitable faire corps avec le système que l’on sert, recouvrant tant et si bien qu’il devient impossible de s’en distinguer, et dès lors superflu de le vérifier.

Au Bureau du Procureur de la CPI, où le cabinet élargi occupe entièrement l’étage où s’est installé celui-ci, le dispositif est moins élaboré mais tout aussi efficace : une porte sécurisée nécessitant un droit d’accès particulier l’isole de la plupart des autres fonctionnaires du Bureau.

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immense bureau silencieux et figé, sur une simple feuille tachée de noir ? La réponse ne vient qu’une fois retourné au dehors, face à l’immeuble hier si familier, à peine quitté, et devenu brutalement infranchissable. C’est la capacité de ces lieux et corps qui l’habitent à faire frontière, à devenir sacrés et intouchables qui ne peut que susciter le désir. À celui qui s’interrogerait sur le mythe de la frénésie du politique, ce mouvement permanent soigneusement mis en scène pour être montré par tous les médias, donnant l’illusion hystérique d’une tangibilité de l’acte de gouverner, l’évidence s’impose : cette fiction n’existe que parce que nous faisons semblant d’y croire, par la projection de nos aspirations sur ce précipice incarnant l’interdit, lieu inatteignable dont le simple contact pourrait transformer nos vies. C’est nous, sujets, qui créons cette impression mouvement, venu s’appliquer sur nos propres corps, et sitôt retirés, nous qui les lais- sons à l’arrêt. Le pouvoir est extérieur à ses lieux. Il est un astre mort qui fait tourner le monde.

La confrontation à cette intangibilité brouille la frontière qu’on avait pensé pouvoir établir entre la conceptualisation du pouvoir, sa pensée, et sa réalité. La nation, la souveraineté, le contrat social, sont des concepts qui n’ont aucune tangibilité, aucune prégnance réelle10 et qui par leur puissance imaginaire peuplent à grand-peine cette absence de matérialité. L’État lui-même, avant d’être bureaucratie, est artifice11. Son pouvoir se réduit à des lignes invisibles reliant entre eux autant de personnages, hommes masqués dont les rôles ont fini par être acceptés. Il n’y a là pas seulement une couverture, mais une un rapport fusionnel. La fiction joue comme la condition de la

10 Pierre Legendre étend en quelque sorte le diagnostic à l’ensemble des formes politiques et sociétales :

« Ainsi, une société se présente, à l’instar d’un sujet ayant écrit son texte, comme sujet de fiction. Un tel sujet est donc construit par des artifices institutionnels précisément. Il est donc là, se représentant son propre lien à l’Objet causal, il énonce un discours, il produit du sens, et même, comme je l’ai souvent souligné, évoquant alors le travail social de l’art, il rêve. Les institutions, dans leur principe, sont des montages d’écriture nécessaires à l’avènement de ce sujet de fiction, que je désigne encore du terme de sujet monumental. » (Sur la question dogmatique en Occident, Paris, Fayard, 1999, page 45, voir aussi page 130 : « Toute société est amenée à construire l’univers fictionnel de sa Référence, sur laquelle puisse se fonder une indestructibilité, une invulnérabilité, non pas matérielle ni physique, mais symbolique… »). Voir, à partir d’une perspective historiographique, au sujet de la souveraineté, avec un regard plus matérialiste : Rigaudière, A., « L’invention de la souveraineté », Pouvoirs, numéro 67, 1993, pages 5 à 21, ainsi que la bibliographie infra, note 24.

11 Burdeau ira jusqu’à affirmer « L’État n’existe qu’en raison de l’effort qu’il suscite dans l’esprit de chacun » (Burdeau, G., L’État, Paris, Seuil, 1970, page 56). Sur la théorie générale de l’État, voir pour une présentation générale : Behrendtt, C., Bouhon, F., Introduction à la théorie générale de l’Etat, Bruxelles, Larcier, 2009 ; Beaud, O., La puissance de l’Etat, Paris, PUF, 1994. Pour un regard positiviste : Carré de Malberg, R., Contribution à la théorie générale de l’Etat, Paris, Dalloz, 2003, Kelsen, H., Théorie générale du droit et de l’Etat, LGDJ, Paris, 1997. Nous ne reviendrons pas sur les débats théoriques relatifs à la fictionnalité ou l’artificialité de l’Etat en tant que personne chez Hobbes, partant notamment du Léviathan pris comme tel et en particulier sa définition d’une « personne » en son chapitre XVI (page 270 de notre édition de référence). Nous renvoyons pour cela aux deux

« commentaires totémiques » à ce sujet : Skinner, Q., « Hobbes and the purely artificial personality of the State », The Journal of Political philosophy, volume 7, numéro 1, 1999, pages 1 à 29 et Runciman, D., « What Kind of Person is Hobbes’s State ? A Reply to Skinner », The Journal of Political Philosophy, volume 8, numéro 2, 2002, pages 268 à 278.

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communauté, du politique, qui ne s’éloigne paradoxalement du réel qu’une fois son impression suffisamment faite pour ne plus voir sa réalité contestée.

Parente de la mythologie, à laquelle elle emprunte beaucoup, la philosophie politique et ses édifices juridiques dérivés s’appuient aujourd’hui sur la rationalité pour alimenter nos formes de vivre ensemble. Mais ils ne font que prolonger un mouvement qui a habité l’ensemble des sociétés, dont les diverses formes ne cachent pas une origine commune : la nécessité de faire récit pour légitimer l’exercice du pouvoir12.

Or la fiction influe sur le réel jusqu’à s’y substituer. La prégnance d’un récit politique se mesure en nombre de cadavres tout autant qu’en richesses créés. Il ne s’agit pas là simplement des idéologies, bien que celles-ci résistent à toutes les tenta- tives de substitution par des appareils technologiques et autres monstres froids en (re) plaçant l’engagement du corps au cœur de la conquête du pouvoir – l’idée ne pouvant atteindre le réel que par une incarnation parlante chargée de faire le pont entre les deux mondes. Une Constitution peut avoir des conséquences durables sur la stabi- lité d’un pays ou d’une région, bien qu’elle ne soit que rarement l’objet apparent des luttes qu’elle a fait naître, bien qu’elle ne soit finalement qu’un assemblage de mots, enserré dans un système empli de nombreux autres mots couchés sur des filles feuilles dont personne ne sait vraiment où sont les originaux, pourtant garants théoriques de l’ordre de pays entiers. À l’inverse, la résurgence des violences de masse13, phénomène

12 Nécessité dans laquelle s’inscrivait initialement ce projet, comme instrument, et à laquelle nous serons attentif de ne pas céder.

13 En ce qui concerne l’étude de ce phénomène, par essence pluridisciplinaire, nous nous sommes appuyés à titre principal et comme porte d’entrée sur la somme incontournable rédigée par Jacques Sémelin, Usages politiques des massacres et des génocides, Paris, Seuil, 2012 ; ainsi que, sans ambition d’exhaustivité, sur l’historiographie relative aux différentes facettes des violences de masses dans la Seconde Guerre mondiale (Browning, C. R., Les origines de la solution finale : L’évolution de la politique antijuive des nazis, Septembre 1939 – mars 1942, Points Seuil, Paris, 2007, trad. J. Carnaud, B. Frumer ; Browning, C. Des hommes ordinaires, Paris, Texto, 2005 ; Neitzel, S., Welzer, H., Soldats, combattre, tuer, mourir : Procès-verbaux de récits de soldats allemands, Gallimard, Paris, 2011 ; Mayer, A., La « solution finale » dans l’Histoire, Paris, La découverte, 1990 ; Hilberg, R., La destruction des juifs d’Europe, Paris, Gallimard, 2006, trad. Charpentier, A., Dauzat, P-E., de Paloméra, M-F. ; Katz, S., The Holocaust in Historical context, New York, Oxford University Press, 1994 ; Kershaw, I., L’opinion allemande sous le nazisme, Paris, CNRS éditions, 2002 ; Aycoberry, P., La société allemande sous le IIIe Reich, Paris, Le Seuil, 1998…) ainsi que sur d’autres épisodes de violence de masse et leurs différents aspects, notamment concernant le rapport au langage et principalement en rapport au Rwanda (Bertrand, J., Rwanda, Le Piège de l’histoire, L’opposition démocratique avant le génocide (1990-1994), Editions Karthala, Paris, 2000 ; Prunier, G., Rwanda, le génocide, Editions Dagorno, Paris, 1999 ; Dumas, H., Le génocide au village, Paris, Le Seuil, 2014 ; Chrétien, J-P., Kabanda, M., Rwanda, racisme et génocide, L’idéologie Hamitique, Paris, Belin, 2013 ; Thompson, A., The media and the Rwanda Genocide, Pluto Press, Londres, 2007 ; Chrétien, J-P., (dir), Rwanda, les médias du génocide, Editions Karthala, Paris, 1995 ; Djordjevi, K., « Violence verbale dans les conversations téléphoniques entre chefs de guerre en Bosnie : la parole au service de la violence de masse », Langage et société, volume 2, numéro 132, 2010, pages 117 à 132 ; mais aussi l’important Dewerpe, A., Charonne 8 février 1962, Anthropologie historique d’un massacre d’Etat, Paris, Gallimard, 2006…) ; des tentatives de conceptualisation générales sur le concept de génocide et ses différentes réalités (Ternon, Y., L’Etat criminel. Les génocides au XXe siècle, Paris, Seuil, 1995 ; Fein, H., Genocide : a sociological perspective,

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intrinsèquement lié à la modernité politique14, peut être reliée aux contradictions et insuffisances de ses fondements philosophiques ayant débouché sur des constructions juridiques bancales.

Les mythologies fondatrices des pouvoirs sont progressivement passées de l’oralité à l’écrit, à mesure que les révolutions technologiques faisaient des carac- tères imprimés un outil de propagation plus efficace que la parole dite, entraînant une démultiplication, mais aussi une désincarnation du pouvoir âprement compen- sée. Là où les souverainetés archaïques s’appuyaient sur les phénomènes naturels pour confirmer la réalité de leur puissance15 et sur la crainte de l’au-delà pour assoir leur

New York, SAGE Publications, 1993 ; Levene, M., Genocide in the age of the nation state : The meaning of Genocide, Londres, I.B. Tauris, 2005 ; Bauman, Z., Modernity and the Holocaust, Cambridge, Polity Press, 1989…) et plus généralement sur les violences de masse (Sémelin, J., Analyser le Massacre, Paris, CERI, 2002 ; Andreoupoulos, G. (dir), Genocide. Conceptual and Historical Dimensions, UPenn Press, 1994 ; El Kenz, D., (dir.), Le Massacre, objet d’histoire, Paris, Gallimard, 2005 ; Rummer, R.J, Death by government, New Brunswick, Transaction Publishers, 2008 ; Osiel, M., Making sense of mass atrocity, New York, Cambridge University press, 2009 ; Osiel, M., Obeying orders, New Brunswick, Transaction Publishers, 2005 ; Laval, G., « Psychanalyse du meurtre totalitaire », Cahiers de psychologie clinique, volume 1, numéro 22, 2004, pages 71 à 97…) ; enfin, et il s’agit là de quatre éléments essentiels, des documents (notamment Sereny, G., Au fond des ténèbres, Paris, Texto, 2013 ; Arendt, H., Eichman in Jerusalem : a report on the banality of evil, Penguin Classics, Londres, 2007 ; Kessel, J., Jugements derniers, Paris, Tallandier, 2007…), des témoignages (Höss, R., Le commandant d’Auschwitz parle, Paris, La Découverte, 2005 ; Dallaire, R., Shake Hands with the devil, The failure of humanity in Rwanda, Arrow books, 2004 ; Hatzfeld, J., Dans le nu de la vie, Paris, Seuil, 2000 ; Hatzfeld, J., Une saison de machettes, Paris, Seuil, 2003 ; Hatzfeld, J., La stratégie des antilopes, Paris, Seuil, 2007…), des œuvres d’art (Ferreri, M., Touche pas à la femme blanche !, Paris, 1973 (long-métrage) ; Godard, J.-L., Je vous salue Sarajevo, Paris, 1993 (court-métrage) ; Godard, J.-L., For ever Mozart, Paris, 1996 (long-métrage) ; Godard, J.-L., De L’origine du XXIe siècle, Paris, 2000 (court-métrage) ; Godard, J.-L., Notre musique, Paris, 2004 (long-métrage) ; Duras, M., La Douleur, Paris, Folio, 1985 ; Kertész, I., Être sans destin, Paris, Actes sud, 1998 ; Rau, M., Hate Radio, HAU – Hebbel am Ufer, Berlin, 2011 (texte mis en scène au festival d’Avignon 2013)…) et notre expérience personnelle sur les terrains en proie à la violence, notamment en Cisjordanie (2009), au Nord-Kivu (RDC) (2012), au Centrafrique (2014) mais aussi par exemple Place d’Italie (Paris), lors de débordements suivant les manifestations contre le CPE, Place de la Bastille, le soir du second tour de l’élection présidentielle de 2007, ainsi que finalement au sein des institutions chargées de réguler, réprimer, codifier et autoriser la violence, dans le cadre cette fois d’une observation active, au ministère des affaires étrangères, à la Yale Law School et bien entendu, à la Cour pénale internationale. Nous n’incluons pas ici la bibliographie concernant le rapport au droit de ces phénomènes, détaillée par la suite.

14 Nous justifierons plus en avant cette affirmation. Il est évident que la violence en tant que phénomène collectif est intrinsèque à la vie en société de cet animal politique qu’est l’homme, et la discipline historique censée dire l’humain s’est d’ailleurs longtemps réduite au récit d’une longue succession d’événements qui seraient aujourd’hui qualifiés de barbares. Des « grandes découvertes » à la colonisation en passant par la « catastrophe timouride » qui aurait provoqué la mort de 17 millions de personnes au début du XVe siècle, soit un peu plus de 5 % de la population mondiale de l’époque, toutes ont cependant un point commun : leur caractère politique et leur commission dans les failles d’une souveraineté en recomposition. C’est-à-dire dans des failles juridiques. Le XXe siècle amplifiera jusqu’à l’absurde leur dimension pour des raisons que nous tenterons de comprendre plus en avant.

15 Supportant par là même une variabilité cause de nombreuses difficultés. Georges Bataille le montre :

« Les qualités que le premier souverain dut montrer ne ressemblaient pas en principe à celles de l’homme d’État ou du chef de guerre actuels, qui toujours interviennent du dehors afin de changer au profit des leurs les déterminations du monde objectif. Il avait à faire la preuve de qualités d’ordre

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autorité, les théories politiques et juridiques modernes se nourrissent elles des mytho- logies essentialistes ou contractualistes pour justifier l’existence des formes de pouvoir actuelles – lorsqu’elles ne font pas appel à un rationalisme abstrait censé avoir la même puissance de véridiction. Toute structure de domination a son corollaire fictionnel, bien qu’il faille parfois le débusquer, réticent qu’il est à se révéler. Car toute structure de pouvoir nécessite un tiers entre le dominant et le dominé pour légitimer ce rapport, lui donner une transcendance extérieure stabilisante et enracinée16. Nous vivons dans un monde où dominent les formes.

Le « droit » de punir se trouve au cœur de cet entrelac, en jouant un rôle performatif17, un rôle de liant permettant de faire de la fiction un opérateur du réel.

Quels que soient les fondements invoqués, par l’enfermement, l’exclusion ou toute autre punition de ceux qui refusent de croire et d’adhérer à leur projet, les puissances modernes confirment en marchant l’existence et la légitimité de leur pouvoir et dès lors de leur emprise sur la société qui les entoure. L’inertie, plus rarement l’adhésion, de la

subjectif ; il devait se placer, devant les autres, dans le rapport du sujet à l’objet, de l’être humain devant le reste du monde, devant les animaux, devant les choses […]. Il était dans les conditions du prophète ou du saint prouvant leur caractère divin par des miracles où l’efficacité extérieure de la sainteté subjective apparaît » (La Souveraineté, Paris, Nouvelles éditions lignes, 2012, page 69). La

« rationalité philosophique » moderne apparaît dès lors comme un outil bien plus stable et efficace pour préserver le pouvoir, un simple raffinement de techniques divinatoires ancestrales, dont Arthur Hocart a montré dès 1936 dans son ouvrage Rois et courtisans (Paris, Seuil, 1978), à partir de sept

« peuples-témoins », qu’elles étaient souvent généalogiquement à l’origine des structures de pouvoir, le plus souvent sous la forme de la maîtrise des rituels propitiatoires. La thèse fut contredite par les recherches de Louis Dumont, en s’appuyant sur le rôle des brahmanes en Inde, avant d’être réhabilitée alors que les indianistes mettaient progressivement en avant les failles de la proposition de Dumont.

Sur le rôle du rite comme structurant social fondamental, voir aussi la référence au sujet dans Mauss, M., Essai sur le don, Paris, PUF, 2012 et Durkheim, E., Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1968.

16 Il est en ce sens possible de considérer que la laïcisation du politique a entraîné la suprématie de la forme sur le corps, obligeant paradoxalement le politique à réinvestir un mysticisme et une sacralité propres alors que son encastrement dans les édifices religieux lui permettait au contraire de rejeter ces dimensions à un extérieur, supérieur à lui, pour s’avancer et s’énoncer comme seul support du politique terrien.

17 Sur l’interprétation du sens de la peine et ses finalités, voir Beccaria, C., Des délits et des peines, Paris, Editions du Boucher, 2002 ; Kant, E., Métaphysique des mœurs II, Paris, GF, 1994, trad. A.

Renaut (deuxième partie, E, Du droit de punir et de gracier) ; Hegel, G.W.F., Principes de la philosophie du droit, Paris, Flammarion, 1999, trad. Vieillard-Baron, J-L., (paragraphes 99 et suivants) ; Fichte, J-W., La doctrine du droit de 1812, Paris, Editions du Cerf, 2005, trad. Gahier, A., Thomas-Fogiel, I. (Troisième partie, chapitre premier, pages 141 à 161) ; Bentham, J., Théorie des peines et des récompenses, Paris, Booksurge Publishing, 2003 ; Von Liszt, F., Traité de droit pénal allemand, Paris, M.V. Giard, E. Brière, 1913 ; Ferri, E., La sociologie criminelle, Chicoutimi, UQAC, 2005 (chapitre III, paragraphes 42 à 68) ; Durkheim, E., De la division du travail social, Paris, PUF, 1960 (chapitre II) ; Merle, R., Vitu, A., Traité de droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, Paris Cujas, 2000 (notamment pages 144, 211 et suivantes, pages 743 et suivantes) et plus généralement Debuyste, C., Digneffe, F., Pires, A., Histoire des savoirs sur le crime et la peine, tomes 1 à 3 Paris, Larcier, 2008 (en particulier pages 82 à 205) ainsi que pour un bilan des débats contemporains sur la fonction de la peine : van de Kerchove, M., « Les fonctions de la sanction pénale, entre droit et philosophie », Informations sociales, volume 7, numéro 127, 2005, pages 22 à 31. Voir aussi nos développements infra sur la sentence.

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masse à ce récit, suscitée ou imposée par la politique répressive du souverain, sert de confirmation autotélique des théories philosophiques (mais aussi de la mythologie du pays : sa genèse postulée ainsi que son inscription dans un dessein historique18) qui l’auraient un jour fondé et le maintiennent en place. En exerçant son pouvoir sans contestation, ou plutôt sans que les contestations visibles n’entraînent immédiatement de réaction, la structure politique confirme la légitimité des fondements par lesquels ce pouvoir lui a été attribué, soit la commune nature de l’ensemble de ses membres ou la divinité du pouvoir souverain (dans le cas essentialiste) ; un accord initial entre des individus ayant accepté un certain nombre de contraintes pour faire société19 (dans le cas contractualiste) ; ou une rationalité dont la simple existence maintenue prouverait la valeur et l’efficacité (dans les cas utilitaristes et positivistes). Dans tous les cas, la légitimité du souverain à réprimer tout mouvement exogène. Affirmer que ces formes de pensée régulièrement invoquées par notre modernité pour justifier les appareils de pouvoirs seraient moins mythologiques et plus objectives que les plus anciennes serait d’autant plus trompeur que la même prétention à la vérité les rapproche toutes.

Que telle doctrine positiviste prétende n’avoir aucune ambition prescriptive – et voilà qu’elle s’offre une puissance démultipliée pour conter le monde et en offrir les clefs tant recherchées.

Si le rôle du droit de punir est essentiel et central dans la formation des fictions politiques, et leur transformation en réalité, c’est aussi parce que l’excès de l’usage de la force répressive, ou son absence trop criante, finissent par faire disparaître la croyance dans le mythe fondateur et, avec elle, dans le moyen utilisé pour empêcher la dissolution de la société – c’est-à-dire ce même droit pénal. Droit le plus ancré de tous dans les corps, le droit de punir est aussi, paradoxalement pourrait-on penser, le plus symbolique. Les processus révolutionnaires en sont la meilleure illustration. Ceux-ci ne se nourrissent pas tant de rapports de forces direct (il s’agirait alors d’une guerre civile, opposant deux mythologies qui cherchent à s’anéantir), que de la disparition de la croyance en la fiction politique dominante qui provoque l’effondrement du système contesté par la simple dissolution de ce « croire ». Quel que soit son degré de puis- sance théorique en tel cas, l’appareil répressif n’est alors plus en mesure de freiner ce mouvement sans excéder les propres limites de son système et se dérégler, la croyance en l’autorité qui le fonde ayant disparu avec sa capacité de contrainte, intrinsèque- ment liée à son emprise discursive. La fiction marque la réalité qui déchire la fiction jusqu’à provoquer un effondrement généralisé. C’est d’ailleurs le plus souvent par l’une des brèches – ou excès – ponctuels, mais déjà trop répétés, de la puissance matérielle

18 Remplaçant en cela l’appui divin, puis la réaffirmation de l’accord de tous, désormais « prouvé » de façon pérenne par la capacité du représentant de la souveraineté à imposer des mesures coercitives aux individus sans être renversé pour autant. C’est par ailleurs aussi là une des explications de l’importance de la guerre dans la formation des nations.

19 Les raisons ayant amené à cet accord « fondateur » varient selon les philosophes et les théories, de la préservation de la vie, seuil minimal, à celle de la propriété, auxquelles peuvent s’ajouter d’autres critères, comme de la « dignité ».

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que naissent l’effondrement discursif et les feux que le pouvoir tentera inutilement d’éteindre par la suite.

Avançons l’hypothèse suivante, que nous tenterons par la suite de démontrer.

Notre époque tremble et vrille de l’effondrement attendu d’une fiction qui l’a formée.

D’une fiction si bien pensée au XVIIe siècle par un philosophe anglais qu’elle en a épousé pour le réel pour le transformer, ou dont la réalité était devenue si évidente au XVIIe siècle qu’elle a été immédiatement, c’est-à-dire sans filtre ni erreurs de transcrip- tion, mise en pensées par un philosophe anglais. Cette fiction, quelle qu’en soit son origine, est devenue tellement commune qu’elle a cessé d’être pensée. Il s’agit bien de la souveraineté étatique, de ce modèle d’organisation politique monstrueux, au sens le plus neutre du terme, théorisé sans avoir à le dire par Thomas Hobbes alors qu’il se généralisait d’abord en Europe par les Traités de Westphalie20 puis progressivement, par contamination et dérivations successives, au reste du monde dans un mouvement si rapproché qu’on aurait pu le penser même. Fiction qui s’est imposée définitivement en 1648 au sein du « monde politique » tel qu’il était alors pensé en ce qu’elle y a acquis à ce moment là seulement une prétention à l’universel qui, nous tenterons de le démontrer, est la condition de son existence et de son déploiement, renvoyant les développements des siècles précédents de l’idée d’État – dont l’emprise toujours sur les territoires et les esprits ne cessa de se développer, selon les différentes historiographies entre la fin du XIIIe21 et le XVe siècle – à une archéologie de la notion. Fiction tellement commune qu’on a pu la croire naturelle, que beaucoup continuent à la croire naturelle, alors que de toute part s’effondrent ses enfants du fait d’une désadhésion de plus en plus massive, partagée par des acteurs traversant un immense spectre allant de Wiki- leaks à Al Qaeda. Tous ces ennemis de l’humanité le sont parce qu’ils refusent de ce soumettre à cette fiction pour en réinventer d’autres, soit déterritorialisées, soit si infi- niment territorialisées qu’elles rendent absurdes toute pensée étatique. Tous, comme les pirates autrefois, font l’objet d’une démesure de moyens visant à les éradiquer sans que pour autant cette tentative ne soit jamais couronnée de succès22. Car tous bénéfi-

20 Le système westphalien tire son nom des trois Traités éponymes signés en 1648 (Paix de Münster, Traité de Münster et traité d’Osnabrück) ayant permis l’instauration de la « Paix de Westphalie » (1648) mettant fin à la guerre de Trente ans et la révolte des Pays-Bas et qui firent de facto de l’État, bientôt fusionné à la forme politique de la nation, la forme politique dominante et la plus légitime dans les relations internationales. Ce système reconnaît la primauté de la notion de « souveraineté », tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières, et de l’ordre politique sur le religieux : ainsi les États souverains (européens) se voient reconnaître leur égalité naturelle, ouvrant la voie à une idée d’ordre juridique à l’échelle internationale et disqualifiant toute perspective d’empire universel, dans son extension la plus large. Voir à cet égard la présentation complète de Blin, A., 1648, La paix de Westphalie, Editions Complexe, Bruxelles, 2006.

21 Alain Boureau, qui situe, dans une thèse radicale, la naissance de l’idée d’État et de souveraineté au sein de la pensée scolastique vers 1250 est le chercheur sur lequel nous nous sommes appuyés qui place le curseur chronologique de cette notion, dans sa forme moderne ou pré-moderne, le plus en amont (Boureau, A., La religion de l’Etat, La construction de la République étatique dans le discours théologique de l’Occident médiéval (1250-1350), la raison scolastique I, Paris, Les belles lettres, 2008).

22 Voir au sujet du pirate comme premier ennemi de l’humanité, devenu tel par son exclusion de tout dispositif juridique, Heller-Roazen, D., L’ennemi de tous : le pirate contre les nations, Paris, Seuil, 2009,

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