• No results found

Societé civile et démocratie

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Share "Societé civile et démocratie"

Copied!
16
0
0

Bezig met laden.... (Bekijk nu de volledige tekst)

Hele tekst

(1)

Société civile et democratie

Ineke Van Kessel*

Le processus de transition en Afrique du Sud met en lumière un paradoxe interessant dans les relations entre PÉtat et la société civile. A première vue, les conditions semblent maintenant réunies pour permettre l'épanouissernent de la société civile. Les efforts de la hitte anti-apartheid ont laissé la place ä de nouveaux efforts de reconstruction et de déve-loppement. La répression d'État s'est calmée. La police n'arrête plus les manifestations avec des policiers brandissant lacrymogènes et bätons. Les journaux ne vivent plus sous la menace d'interdictions et de censures. Les meetings ne s'organisent plus dans la clandes-tinité. Tout un éventail d'opinions peut s'exprimer ; de l'extrême gauche, qui conteste Ie contrat actuel de transition, piloté par les gros capitaux, ä l'extrême droite, oü certains Blancs font librement campagne pour leur utopique Volksstaat blanc.

Malgré tout, l'état actuel de la société civile n'est pas aussi sain que cela. Les organi-sations des droits de rhomme ferment, nombre de journaux ont du cesser de paraitre, Ie secteur non gouvernemental (ONG) s'étiole, et dans de nombreux cas, les associations de résidents (civics) dans les banlieues noires ont cessé de fonctionner.

Comment expliquer ce paradoxe ? La reconstruction de l'État sud-africain, renaissant après les morcellements de l'apartheid, les bantustans et les zones résidentielles ségréga-tionnistes pour blancs, Africains, Indiens, Noirs et Métis, semble aller de pair avec une décomposition partielle de la société civile. Pour trouver une explication ä cela, nous devons tout d'abord nous retourner vers la décennie précédente : pour la société civile, les années quatre-vingt furent une époque de vitalité exceptionnelle, de créativité et de visions uto-piques d'une nouvelle société, mais aussi de violents affrontements et de conformisme

(2)

tique. Je me propose de présenter brièvement l'héritage des années quatre-vingt, pour dis-cuter ensuite des causes possibles de l'affaiblissement de la société civile. Mais je voudrais d'abord rapidement revenir sur Ie concept de société civile.

La notion de « société civile » est porteuse de connotations irrésistiblement positives, alors que celle d'« État» a pris une image de plus en plus negative. « Société civile » est Ie nouveau mot clé dans les discours du développement. Il semble qu'il n'y ait pas de défï-nition de la « société civile », faisant autorité au-dela de l'idée qu'elle concerne une col-lection d'associations opérant dans les sphères publiques, qui composent avec l'État tout en restant indépendantes. Je n'ai pas l'intention d engager un debat sur les définitions, maïs je voudrais poser la question de savoir si la notion de « société civile » inclut également des phénomènes négatifs tels que Ie crime organisé, les gangs ou les associations de taxis noirs actuellement engagées dans une compétition meurtrière visant ä conquérir les parcours les plus rentables.

Il est également bon de noter que, dans Ie contexte sud-africain, la société civile se trouve forcée de jouer face ä l'État toute une série de röles. L'un des plus courants, est celui de la société civile gardienne de la democratie : comme chien de garde, comme lobby de citoyens, comme groupes de pression ou comme contre-pouvoir, assurant les nécessaires controles et arbitrages. Un second röle attribué ä la société civile est celui d'agent de déve-loppement, présumé capable de fournir tout un choix des supports au développement dont l'État est jugé tragiquement dépourvu. Ces fonctions ne sont pas naturellement compatibles. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet, après notre examen des états passés et actuels de la société civile.

L'héritage des années quatre-vingt

(3)

SOCIÉTÉ CTVILE ET DEMOCRATIE

Bien qu'ils aient occupé des positions totalement différentes dans Ie spectre politique, l'ANC et Ie Parti national (NP) avaient certaines caractéristiques en commun. Tous deux étaient historiquement fortement Orientes vers des politiques économiques centrées sur l'État. Le NP fut tardivement converti au libre marché et ä la libre entreprise. Depuis son arrivée au pouvoir en 1948, il a usé systématiquement de son controle sur l'État pour pro-mouvoir l'essor afrikaner. L'émancipation socio-économique des Afrikaners fut obtenue par un programme agressif d'actions autoritaires. Le secteur agricole, alors dominé par les Afrikaners, bénéficiait des subvéntions et de la protection de l'État. Le secteur public fut largement envahi par les fonctionnaires afrikaners. Les entreprises d'État, comme les chemins de fer et la poste, étaient des réserves d'emplois protégées pour les Afrikaners pauvres. C'est seulement au cours des années quatre-vingt, quand les Afrikaners atteignirent un niveau de prospérité et de qualifications scolaires semblables ä celui des Sud-Africains blancs anglophones, que Ie NP embrassa les vertus du libre marché. Comme chez tous les convertis de dernière minute, il y déploya un tel zèle qu'il resta peu de place pour une perspective plus équilibrée.

A l'autre bout du spectre politique, l'ANC était évidemment tenté d'imiter eet exemple, et d'utiliser l'État comme véhicule de l'essor noir. Durant les longues années d'exil, l'ANC a subi la forte influence des modèles socialistes. La force d'influence de la doctrine de son allié, Ie Parti communiste sud-africain (SACP), dépassait largement la force numérique des communistes. Le SACP recruta les meilleurs et les plus intelligents des partisans de l'ANC, et se ménagea de nombreux postes stratégiques dans l'ANC et dans son aile armee, l'armee de guérilla Umkhonto we Sizwe. Dans la mesure oü les pays communistes représentaient les sources principales d'armement et de formation militaire, ils étaient considérés comme les alliés naturels. La version communiste du SACP était une variante du stalinisme, non corrompue par les idees renégates des eurocommunistes. Le discours que tenait l'ANC reflète l'obsession d'une centralisation du pouvoir d'État. C'est un discours de controle, mais pas de prise de pouvoir par Ie peuple. Les tres dures conditions de l'exil et de la lutte armee ne conduisaient pas ä se f orger des idéaux d'ouverture et de tolérance. Néanmoins, après 1990, beaucoup des dirigeants de l'ANC fïrent preuve d'une souplesse et d'une apti-tude aux compromis que leurs sympathisants eurent souvent du mal ä accepter.

(4)

bureau-crates afrikaners qui dessinèrent les modèles du néo-apartheid, dans lesquels la libéralisation économique allait de pair avec la sauvegarde des privileges des Blancs.

Avec Ie recul, il faut reconnaïtre que l'établissement d'une nouvelle Constitution en 1983 fut un evenement mémorable. Ce n'est pas que cette Constitution ait été tellement révo-lutionnaire : eile souhaitait requisitionner les minorités noires et indiennes, en tant que jeunes partenaires, dans une alliance avec les Sud-Africains blancs, tout en excluant les Africains du pouvoir. Les partis noirs et indiens furent encouragés ä voter pour leurs propres chambres séparées au Parlement. Mais, tandis que s'organisait ceci, Ie champ libre fut laissé ä l'Opposition pour organiser ses forces et lancer avec succes une campagne de boycott des élections. Les années 1983-84 furent des années d'une relative liberté, une bouffée d'air entre la periode de silence forcé qui suivit les soulèvements de Soweto et l'interdiction du Black Consciousness Movement (Mouvement de la conscience noire) de Steve Biko, et Ie tres dur état d'urgence, qui essaya d'écraser toute protestation ä partir du milieu de 1985. Les forces d'Opposition coordonnèrent leurs campagnes contre la nouvelle Constitution en une nouvelle fédération : l'United Democratie Front (Ie Front démocratique uni, UDF). Par cette alüance, l'UDF se transforma en un grand mouvement social, regroupant des cen-taines d'organisations locales et sectorielles. Au sein des organisations locales, la place d'honneur revint aux associations civiques, les organisations de résidents des townships qui étaient apparues au début des années quatre-vingt afin d'organiser les protestations contre l'augmentation des loyers ou les miserables conditions de vie dans les townships. L'exis-tence de l'UDF améüora énormément la communication et les contacts entre les différentes régions et encouragea la formation d'autres associations civiques. Parmi les organisations de secteur, les plus actives étaient celles des jeunes et des étudiants. D'autres affiliés ä l'UDF étaient les organisations feminines, certains syndicats ouvriers (mais la plupart des syndicats noirs préféraient garder leur indépendance), des groupes rattachés ä l'Église, des clubs de sport, etc. S'y épanouissaient aussi les médias « alternatifs », indépendants par rapport au courant principal de la presse commerciale, qui allaient des bulletins de commu-nauté paraissant de temps ä autre, ä l'hebdomadaire national New Nation, qui ä son apogée ä la fin des années quatre-vingt atteint une diffusion de 70 000 exemplaires. L'UDF, qui fut plus un mouvement qu'une Organisation, demeura un phénomène tres souple, qui s'adap-tait aux conditions locales et instaurait une relation de coopération avec les organisations et les institutions qui sympathisaient avec Ie Front sans pour autant y adhérer. Cette cate-gorie comprenait les Églises du courant principal, la presse liberale, les organisations des droits de l'homme et tout un choix de bureaux de conseils et de services.

A l'origine l'UDF fut un grand mouvement fédérant, aspirant ä réunir toutes les forces internes anti-apartheid. Ce but ne fut jamais atteint, même si Ie Front devint sans doute Ie mouvement Ie plus représentatif dans l'histoire de l'Afrique du Sud.

(5)

SOCIÉTÉ CIVILE ET DEMOCRATIE décidèrent de rester en dehors du Front qui avait adopté les principes de non-ségrégation. L'UDF adhéra ä la charte politique de base de l'ANC, Freedom Charter, qui plaidait pour un nationalisme total: l'Afrique du Sud appartenant ä tous, Noirs et Blancs, vivant sur son sol. Le credo de cette charte était un verkable anathème pour les nationalistes africains purs, qui regardaient les habitants blancs du pays comme des immigrants illégaux occupant la terre de la population indigène. Les trois coprésidents de l'UDF étaient tous des veterans de l'ANC. Les traditions de l'ANC, ses symboles et ses chants, étaient importants pour la légitimité de l'UDF. La relation fut mutuellement avantageuse : pour la légitimité de l'UDF, la bénédiction de l'ANC était importante, tandis que l'iexistence de l'UDF permit ä l'ANC en exil de faire son retour au pays comme un mouvement majeur de libération, et comme Ie partenaire indispensable ä tout accord politique. L'ideologie de l'UDF était éclectique, on y trouvait des communistes orthodoxes, des socialistes chrétiens, des socio-démocrates et des nationalistes. En cela, l'UDF ne différait pas beaucoup de l'ANC. En avancant dans la décennie, l'UDF s'identifia de plus en plus ouvertement ä l'ANC banni. Il garda malgré tout certaines de ses propres caractéristiques : Ie Front se distinguait de l'ANC par son acharnement au renforcement de la communauté, ä la participation populaire et ä l'activisme

grassroots.

La raison d'être de l'UDF disparut lorsque Ie président F.W. De Klerk ouvrit les arènes politiques en 1990. Suite ä la levée de l'interdiction de l'ANC en février 1990, l'UDF se chercha un nouveau röle. Pendant un certain temps, il observa sa transformation en forum des organisations de société civile, changeant en cela ses objectifs de protestation et d'affrontement.

L'objection théorique ä ce Statut était que Ie Front s'était trop identifié ä l'ANC pour pouvoir se transformer en une assise crédible pour les corps autonomes. L'obstacle matériel était que l'UDF était devenu une coquille creuse : il s'était littéralement vide au profit de l'ANC. L'UDF fut officiellement dissous en 1991. Ainsi, l'Afrique du Sud entra dans les années quatre-yingt-dix avec une vibrante société civile. Sur Ie continent africain, carac-térisé par des Etats ä parti unique et des dictatures militaires qui laissaient peu de place ä des agents sociaux autonomes, l'Afrique du Sud se posait en modele accueillant d'innom-brables initiatives de citoyens, allant des organisations de chömeurs au congres des chefs traditionnels, qui veillait ä leurs interets. Mais, cette « société civile » n'était pas sans avoir ses problèmes. Aux yeux de beaucoup, eile était amplement assimilée au mouvement inspiré par la Charte de liberté (1955), adhérant largement au leadership de l'ANC. La « société civile » était souvent citée de maniere interchangeable avec Ie « peuple ». Et dans les dis-cours de l'ANC, « Ie camp du peuple » signifiait Ie camp chartériste.

(6)

L'affaiblissement de Ia société civile

Au début des années quatre-vingt-dix, en marge des inquiétudes pour l'avenir, l'etaf! la société civile elle-même n'était pas des plus brillants. Beaucoup d'organisations'civk écrasées par les lourdes répressions d'État entre 1985 et 1989, s'étaient quasi effoi

Les syndicat ouvriers bases dans les townships déployèrent de grands efforts pour r Ie civisme, mais, et de beaucoup, celui-ci ne retrouva jamais sa force d'auparav répression avait aussi laissé des traces dans les organisations de jeunes et d'étudiaot avaient été brisées et désorganisées. La reconstitution de la Ligue des jeunes de 1 Afrique du Sud posa d'ailleurs un dilemme aux jeunes activistes : d'un cöté, ils étak du retour de leurs héros ; de l'autre, ils ressentaient vivement la perte de 'leur a« La Confédération des jeunesses locales, leur Organisation précédente, avait été vi affiliée ä l'UDF. Mais la Ligue des jeunes était dévouée au tronc fondateur, VA lèlement, la plupart des organisations feminines qui s'étaient jointes ä l'UDF, désorganisées, fusionnèrent avec la Ligue des femmes de l'ANC.

Les journaux alternatifs, qui avaient courageusement brave les foudres de de l'intimidation, s'effacèrent alors les uns après les autres, suite parfois ä fusions. La liste des victimes est longue et continue encore maintenant de s'alï domadaire de langue akrikaans Vrye Weekblad, Ie South de Cape Town, lë lytique de gauche Work in Progress, la revue feminine Speak, l'éducatif Lern, Le journal communautaire du Western Cape Grassroots, qui fut ä la tête dti de journaux des communautés locales pendant les années quatre-vingt, av paraïtre en 1990. L'hebdomadaire New Nation, qui était devenu Ie porte-j vit son tirage baisser de moitié, passant de 70 000 ä la fin des années quat de 30 000 en 1994. Le Weekly Mail, une voix forte de la presse indépe peine ä survivre ä sa breve aventure quotidienne et fut finalement sauvé parij Ie quotidien britannique The Guardian.

Avec la fin des financements anti-apartheid, les organisations des _,„ retrouvèrent face ä un avenir difficile. Elles trouvèrent un sursis dans Ie« fiques régionaux et locaux qui surgirent après 1990 dans les zones Mais les initiatives de financement pour la paix cessèrent après les éle. 1'avenir de Black Slash, l'Organisation feminine redoutable qui s'était: causes de liberté et de justice depuis sa création dans les années ? moment ne tenir qu'ä un fïl. Les Églises se retirèrent de l'arène poliï«: role dans une nouvelle Afrique du Sud. Les syndicats ouvriers sot certains de leurs chefs les plus efficaces vers des postes gouver du nombre de leurs adhérents.

(7)

SOCIÉTÉ CIVILE ET DEMOCRATIE

veile Afrique du Sud » héritait des idéaux d'une participation populaire. Les politiques de développement devraient être « construites autour du peuple » et« conduites par Ie peuple » au lieu d'être imposées par l'État. Un analyste politique renommé, Mark Swilling, commen-tant Ie passage de l'affrontement au développement, notait en 1990: « La résistance ä l'apar-theid au cours des dix dernières années a tourné autour d'une forme organisée typiquement anti-étatiste, décentralisée, contrölée par la communauté et/ou les ouvriers, démocratique, non lucrative, bien organisée et exceptionnellement créative. Elle a conduit d'importantes couches de la société ä des modes de comportement enclins ä l'action et ä l'indépendance »

[M. Swilling, 1990, p. 157]*.

La société civile aurait ä jouer dans un proche avenir un röle majeur dans Ie processus de développement. Swilling a justement remarqué que la puissance de l'État serait limitée par un arrangement constitutionnel fondé sur Ie partage des pouvoirs et Ie consensus. Le nouveau gouvernement allait hériter de la bureaucratie de l'ancien État, qu'il serait difficile d'utiliser comme un outil effïcace de développement. Enfin, l'enseignement des expériences de développement tentées ailleurs dans Ie monde prouvait que l'État obtenait rarement des résultats en tant que moteur du développement.

Dans l'analyse de Swilling, la société civile n'est pas pergue en tant que contre-pouvoir de l'État, mais plutot comme l'outil Ie plus apte ä produire les fruits promis de la libération: logements, éducation, soins médicaux, emploi, etc. Swilling évoque aussi Ie röle de chien de garde de la société civile, mais dans une perspective étroitement désignée. Si« un secteur de développement non lucratif, indépendant et créatif peut être consolidé au coeur de la société civile », alors il y a de bonnes chances que «Ie Systeme soit toujours plus poussé ä mettre les ressources ä portee dans les centres adaptés aux communautés, et non plus au profil du processus politique, ou aux secteurs de profits » [Swilling, ibid.].

Ces déclarations illustrent une culture politique caractéristique de la coalition interne anti-apartheid des années quatre-vingt. Certaines de ces hypotheses restent néanmoins dis-cutables. L'analyse enthousiaste de Swilling ne prend pas en compte les aspects les plus problématiques de la culture de «lutte ». L'usage répété du boycott a peu contribué ä l'apprentissage de la négociation. La strategie du boycott fut utilisée dans les campagnes de protestation contre l'augmentation des tickets de bus, de l'électricité, des loyers, contre la qualité inférieure de l'éducation bantoue, contre l'élection d'hommes de paille et contre ceux ne faisant pas partie du people's camp (camp du peuple). Des boycotts de la consom-mation furent lancés pour appuyer les demandes de levée de l'état d'urgence et de la libé-ration de prisonniers, et pour permettre ä une clientèle noire sans recours de faire pression sur Ie business blanc dans des litiges auprès des autorités blanches. Le déclenchement des

(8)

boycotts comportait inévitablement son poids de contraintes. Malgré sa connotation gandhienne, Ie boycott ne fut pas toujours une arme non violente.

Aujourd'hui, la strategie du boycott pénalise Ie nouveau gouvernement par les habitudes prises de non-paiement des services gouvernementaux. Une décennie de protestations a pro-duit une culture du « ce qui revient de droit» : quand les gens préparent leurs demandes et présentent des pétitions, iïs attendent de l'État ou des dirigeants de l'ANC qu'ils acquies-cent tranquillement. J'ai rencontre un petit mais significatif exemple de cela dans un village rural de la province Nord. En énumérant leurs griefs, les activistes de la Sekhukhune Youth

Organisation (l'Organisation de jeunesse de Sekhukhune) rapportaient que leurs écoles

étaient dépassées, que Ie transport vers les villes voisines était hors de prix et la vie dans leur petit village tres ennuyeuse. L'éducation et Ie transport étaient hors de leur controle, mais qu'avaient-ils fait pour proposer plus d'animations aux jeunes ? lis avaient envoyé une pétition ä Johannesburg demandant une table de baby-foot. Le souhait de Swilling pour une strategie non étatisée et basée sur Ie développement communautaire appelle d'autres questions. Il estime que Ie secteur des organisations non gouvernementales est redevable envers les communautés, mais que Ie « processus politique » ne l'est pas. Il est ä souhaiter que les politiciens élus soient redevables envers leurs électeurs. Aussi, les ONG s'intéres-sent surtout aux problèmes de secteur : elles militent pour des hébergements abordables, Ie droit ä la propriété pour les femmes, ou la préservation des réserves naturelles. Qui équi-librera toutes ces revendications de secteur si ce n'est pas l'État ? Et de quelle maniere ces agences sociales sont-elles « redevables envers la communauté » ? Jusqu'ä quel point les organisations de la société civile, pour la plupart sises en zone urbaine, sont-elles repré-sentatives, en termes de composition sociale ?

Récemment, Ie debat sur Ie röle de la société civile a pris une nouvelle tournure. Les louanges sans réserves aux ONG ont fait place ä une attaque sur deux fronts. D'un cöté, Ie nouveau gouvernement d'unité nationale aspire ä prendre l'initiative et ä insérer les ONG dans Ie cadre de ses visées politiques. De l'autre cöté, de nouveaux candidats réclament eux aussi leur part du gäteau. Les ONG ont maintenant la réputation d'être « chauvines, extrêmement compétitives en matière de ressources et de n'obtenir pour leurs projets que des succes irreguliere' ». Il est maintenant ä la mode de dépeindre les ONG, jusqu'il y a peu louées comme moteur de développement, ou comme chien de garde contre les tendances autoritaristes, d'être en fait des sortes d'« assiette au beurre » offrant de faciles bénéfices ä ses dirigeants. Le nouveau mot clé est« organisations basées sur la communauté »(CBO). Contrairement aux ONG, ces CBO — par exemple, les centres sociaux l— sont ressenties comme étant en prise avec Ie sentiment grassroots.

Le gouvernement a tenté d'établir un certain controle sur Ie secteur des ONG. Une

(9)

SOCIETE CIVILE ET DEMOCRATIE

Position controversée d'enregistrement a été abandonnée, mais les ONG ont été sommees de mettre de l'ordre dans leur maison, et d'établir une maniere de corps représentatif. On ne peut pas attendre du gouvernement qu'il s'occupe du nombre enorme des ONG en Afri-que du Sud. Les rapports de presse ont chiffré les ONG des secteurs des droits de l'homme, du développement des ressources, de l'hébergement, des syndicats ouvriers, et du déve-loppement rural, ä pas moins de 50 0002. Dans ce combat entre Ie gouvernement, les ONG et les CBO, c'est Ie controle des financements étrangers au développement qui est en jeu. Le gouvernement voudrait mettre la main sur la substantielle manne de fonds étrangers qui échoit au secteur ONG.

L'attaque sur l'autre front, apparemment inspirée par des sentiments de type grassroots, est menée par l'Association nationale sud-africaine des organisations civiques (SANCO), la Fédération nationale des associations civiques basées dans les townships. A la veille des élections de 1994, la SANCO a publié un document titré : « Faire fonctionner Ie déve-loppement mené par Ie peuple », qui avertissait les ONG que «Ie déjeuner ä l'oeil était terminé ». Les ONG s'y faisaient traiter de «louches garde-barrières » contrölant « des financements importants et des centaines de milliers d'emplois3 ». Il est clair que SANCO désire sa part des fonds au développement. SANCO s'est aussi plaint que nombre d'ONG étaient dirigées par des hommes blancs. Comme dans beaucoup des aspects de la politique sud-africaine, cette lutte acharnée et prolongée a, inévitablement, sa teinte raciste. Les ONG sont percues comme un domaine des Blancs, et ä un moindre niveau, des Indiens, dont beaucoup sont diplömés de l'Université. Les associations civiques — specimen type de CBO — sont basées dans les townships et sont donc Ie domaine d'activistes africains. Beau-coup d'activistes des townships en sont venus ä considérer avec ressentiment Ie röle d'inter-mediaire tenu par les ONG entre les organisations communautaires et les bailleurs de fonds, et entre ces organisations et FÉtat.

Ce ressentiment est naturel dans une certaine mesure, mais Ie fait de substituer les CBO aux ONG ne résoudra pas Ie problème. Les louanges sans réserves accordées aux « asso-ciations basées dans les communautés » méritent aussi que l'on se pose quelques questions. Les associations civiques sont-elles réellement aptes ä jouer un röle dans Ie développement ? Comme l'a noté Swilling, les associations civiques sont, ä une vitesse étourdissante, pro-jetées dans des projets de développement pour lesquels elles ne sont pas équipées, qu'elles

ne comprennent pas et qu'elles ne peuvent pas contröler [Swilling, 1990, p. 158]. Jusqu'ä quel point les associations civiques sont-elles représentatives ? Parlant au nom des communautés, les associations civiques ont tendance ä considérer lesdites communautés comme un corps homogene, et ignorent la possibilité qu'il puisse y avoir des interets

2. Ibid.

(10)

conflictuels entre elles. La « communauté », dans ce contexte sud-africain, fait génerale-ment référence aux habitants des townships africains et aux zones résidentielles attribuées aux Métis noirs et aux Indiens sous la législation de l'apartheid. Mais Ie fait que les gens resident dans la même zone ne veut pas dire qu'ils ont des interets communs. Les popu-lations des townships sont stratifiées en niveaux de classe sociale, d'äge, d'éducation, de sexe, etc. Les corps civiques ont plutöt tendance ä être enracinés dans les sections établies des townships que dans les bidonvilles.

Les préoccupations des associations civiques ont eu souvent tendance ä aller aux résidents ayant des droits d'un certain niveau. Les squatters et les ouvriers itinérants loges dans les foyers d'ouvriers périphériques, ainsi que les habitants des arrière-cours, sont souvent tres mal représentés par les associations civiques. La direction civique est souvent autodésignée ou cooptée, mais rarement élue. Les chefs civiques ont souvent un assez bon niveau d'édu-cation, cela ne signifiant pas forcément qu'ils sont aisés. Un de leurs points communs n'est pas d'être « bourgeois», mais d'être « activiste ». L'activisme, comme Ie notent Kehla Shu-bane et Pumla Madiba, est souvent une longue carrière, teile que les organisations de jeu-nesse ou d'étudiants, les syndicats ouvriers, les associations civiques, etc. [Shubane et Madiba, 1994, p. 250]. Comment s'assurer que les activistes débattent vraiment des interets de leurs électeurs ? Depuis la fin des années quatre-vingt, gräce ä la disponibilité des finan-cements extérieurs, les activistes ont pu couper court avec leurs électeurs, et se muer en « porte-parole autodésignés de la communauté ». C'est ainsi que Ie problème même de fia-bilité se pose, pour les ONG comme pour les CBO.

Les associations civiques, reconnues comme étant les plus proches de la base grassroots, ont également pris un coup au niveau de leur crédibilité. Durant les années quatre-vingt, elles avaient appelé ä la reconnaissance de leurs organisations massives de boycott du loyer et des services, en protestation contre les augmentations des loyers, les maigres conditions de vie, et un système de gouvernement local qui manquait de légitimité. Dans de nombreux townships les maires et les conseillers furent dans l'Obligation de demissionner. Mais, après avoir négocié la fin du boycott des loyers au début des années quatre-vingt-dix, les asso-ciations civiques n'ont pas été suivies par leurs adhérents. La direction civique conclut un accord au nom de la communauté, mais les habitants ne reprirent pas Ie paiement des loyers et des services. Même une association avec une réputation aussi forte que l'Association civique de Soweto ne réussit pas ä trouver un soutien pour en finir avec Ie boycott. Elle tint effectivement une série de meetings avec ses sections, mais les objections ne furent exprimées qu'après la signature de l'accord. Les opposants ne participèrent pas activement aux réunions.

(11)

SOCIÉTÉ CIVILE ET DEMOCRATIE [Shubane et Madiba, 1994, p. 253]. lis estiment que la tendance pour les associations civiques aujourd'hui est au röle de groupe de pression local, pas ä un röle dans Ie déve-loppement. Ce dernier obligerait les associations civiques ä faire des choix difficiles entre des interets divergents, certains risquant de fake des bénéfices aux dépens des autres.

Les associations civiques connurent un destin mouvementé pendant les négociations sur la nouvelle structure des gouvernements locaux. En 1990, au début des négociations sur la restructuration du gouvernement local de la région métropole de Greater Johannesburg, les associations civiques furent parmi les acteurs les plus influents. Mais une fois démarrées les vraies négociations sur Ie partage du pouvoir au niveau national, l'ANC et Ie NP esti-mèrent inopportunes des négociations locales. La restructuration du gouvernement local devait être entreprise dans Ie contexte global d'un accord national. Lorsque l'ANC fut entre en négociation ä la chambre métropolitaine de Johannesburg, les associations civiques furent lentement mises sur la touche et leurs interets spécifiques passèrent après les interets globaux de l'ANC [F. Van Berkel, 1995]. De quelle maniere se comporteront les asso-ciations civiques après les élections locales est une question ouverte. Il faudra un certain temps pour que les associations civiques définissent leur nouveau röle ä l'égard des nou-veaux conseils legitimes de la ville, cela, évidemment, s'il leur reste assez de soutien et cadres locaux au niveau local pour maintenir leur mouvement.

Financement étranger : une manne ä double tranchant

(12)

d'offï-ciels ä plein temps. L'UDF s'appuyait sur une enorme contribution de la part des bénévoles, mais il gérait également une machine de relations publiques plutot sophistiquée. Dés 1987 l'UDF avait un budget annuel de plus de 2 millions de rands, ce qui lui permit d'embaucher 80 officiels ä plein temps. Ses affiliés re§urent plus de 2 millions de rands par an, qui payè-rent les frais de publicité, d'imprimerie, de location de bus et de salles, de sonos, etc. [K. Gottschalk, 1994, p. 191-192]. Une partie de eet argent fut générée localement, mais la plus grande part vint de l'étranger. Ironiquement, les ONG attirèrent donc un flux consi-dérable de devises pendant l'époque des sanctions internationales.

Le financement étranger se révéla être une manne ä double tranchant. Sans lui, il eüt été impossible de maintenir un tel degré de professionnalisme et de si intensives campagnes publicitaires. Mais il encouragea aussi l'émergence d'une classe d'intermédiaires, d'« entre-preneurs de la lutte » qui devinrent tres habiles dans la gestion de sponsors et qui apprirent rapidement les discours ä la mode qui entretenaient les flots d'argent. Gérer les sponsors demandait d'autres qualités que celles requises pour travailler avec des communautés pauvres. Les tournees ä l'étranger de visite aux sponsors étaient certainement plus lucratives que la vente de gäteaux et les courses organisées au profit de l'Organisation, jusqu'alors methodes habituelles de récolte de fonds. Mais dans ce processus, certains brillants col-lecteurs de fonds se coupèrent inévitablement de leurs origines grassroots.

L'argent anti-apartheid était de l'argent facile. La cause était noble et presque univer-sellement applaudie. Ses Champions étaient ou des héros ou des victimes. Poser des ques-tions ä propos de l'argent, cela ne se faisait pas. Les compétences publicitaires étaient lar-gement disponibles, mais l'expérience en comptabilité était une qualité rare dans l'Orga-nisation anti-apartheid. Dans Ie cadre d'une répression sévère, avec des activistes vivant souvent clandestinement, une vraie comptabilité des fonds fut rarement obtenue et rarement demandée. Les retombées de cette gestion décontractée d'importantes sommes d'argent se firent evidentes lors des années quatre-vingt-dix. L'affaire de la Fondation pour la justice et la paix d'Allan Boesak révéla un évident manque de distinction entre les interets per-sonnels de Boesak et certains de ses collaborateurs, et les interets communautaires pour lesquels les donateurs nordiques avaient donné leur argent. L'argent des dons fut utilisé pour des prêts, des hypothèques et dans l'équipement du studio-video qu'avait monté Mme Boesak. Cette affaire, révélée début 1995, nounit la nouvelle tendance ä la mode : dénigrer les ONG.

(13)

SOCIÉTÉ CIVILE ET DEMOCRATIE

de rands. La même armee, Ie gouvernement avait alloué 2,5 milliards de rands au RDP4. Une autre estimation, faite par la Development Bank of South Africa (DBSA), calculait qu'en 1992 et en 1993 plus de 1,5 milliard de rand d'aide étrangère étaient passés par les canaux des ONG. Le DBSA a calculé que 43 % étaient passés ä l'éducation et ä la formation, 12 % au développement communautaire, 11 % aux droits de 1'homnie et ä l'aide judiciaire, et 11 % au développement rural5. En 1994, des subventions importantes furent allouées ä l'éducation electorale ainsi qu'ä d'autres aspects des premières élections non racistes de l'Afrique du Sud.

Depuis les élections de 1994, la plus grande part du financement étranger est destinée au RDP. Le gouvernement s'est engagé dans un vaste plan sur cinq ans, qui promet 2,5 mil-lions d'emplois, un million de maisons, rélectrification de 2,5 milmil-lions de maisons, l'ensei-gnement primaire et secondaire gratuit, et une redistribution partielle des terres agricoles. Il est bien sur naturel que l'État assume la responsabilité des services de base comme l'enseignement et les soins médicaux. Ce n'est que par défaut que les ONG se mirent ä construire des écoles et ä mettre en place des cliniques mobiles pour les camps de squatters. Mais la plutöt soudaine déviation des fonds trouva néanmoins beaucoup des ONG mal pré-parées. Non seulement l'argent, mais les gens furent drainés du secteur ONG vers Ie gou-vernement. Au temps de l'apartheid, les organisations de société civile bénéficiaient d'une quantité et d'une qualité rare de dirigeants. Des gens talentueux et engagés dont les carrières furent bloquées par les barrières de l'État d'apartheid, ou qui refusaient la perspective d'un travail confortable dans les bureaux de l'État ou des grandes entreprises mirent toute leur energie dans la « société civile », fournissant ainsi une direction de haute qualité pour des syndicats ouvriers exemplaires. Après les élections de 1994, une grande part de la société civile fut drainée vers l'État. Les leaders syndicalistes devinrent ministres du gouvernement, les journalistes devinrent porte-parole du gouvernement, les chefs des associations civiques s'occupèrent de la structuration des nouvelles provinces.

Cela en soi n'est pas une cause d'inquiétude. Sans ces champs de recrutement des syn-dicats ouvriers, des universités et de tout un éventail d'organisations, il serait encore plus difficile de transformer l'ancienne bureaucratie de l'apartheid en administration au service du nouveau gouvernement d'unité nationale. Plus inquiétant est Ie manque apparent de nou-velles recrues pour regarnir les postes vacants dans la société civile.

Il y a plusieurs explications possibles ä eet apparent état d'apathie. En premier lieu, beau-coup de gens ordinaires sont tout simplement épuisés après les longues années de lutte. Maintenant que les dirigeants sont revenus d'exil ou de prison, ces gens ont senti qu'ils pouvaient laisser ä « nos leaders »Ie soin d'organiser les choses. La plupart des gens doivent

(14)

consacrer Ie plus clair de leur temps ä la survie quotidienne. Malgré Ie credo activiste, qui souligne l'importance vitale d'une participation permanente de chacun dans chaque secteur, la plupart des gens ont d'autres priorités. Le génie volontaire de la première moitié des années quatre-vingt a été supplanté par une nouvelle mentalité : Ie peuple demande main-tenant une rémunération. Cela, après tout, n'est pas étonnant : si vos anciens camarades sont devenus des hommes importants avec de belles voitures et un salaire confortable, serez-vous vraiment motivé pour travailler des jours et des jours dans des campagnes de porte-a-porte ennuyeuses, des programmes de nettoyage dans des townships insalubres ou des classes d'alphabétisation — et cela bénévolement ? Ceux qui ont perdu dans la course aux emplois et aux Statuts risquent de perdre aussi leurs illusions.

Les médias alternatifs en particulier furent durement frappés. En 1990, la plupart des sponsors, y compris la Communauté européenne, firent clairement comprendre que Ie finan-cement serait progressivement stoppe d'ici une periode de trois ans. Le projet de remplacer au moins une partie de l'argent des dons étrangers par de l'argent généré par les entreprises locales ne s'est jamais réalisé. L'Independant Media Diversity Trust (IMDT), fagonné ä l'exemple de modèles suédois ou hollandais, fut fondé pour acheminer l'argent du gou-vernement et des grands organes de presse vers les médias en difficulté.

L'industrie de la presse en Afrique du Sud est hautement monopolisée. Quatre groupes de presse contrólent quasi 95 % de la presse imprimée, non seulement son impression, mais aussi sa distribution. Déja, en 1990, l'ANC avait clairement annonce qu'il n'avait abso-lument pas l'intention de nationaliser les journaux, mais qu'il favoriserait une décentrali-sation de la propriété et peut-être une législation antitrust. Dans l'incertitude quant ä leur position sous un gouvernement ANC, les grands groupes montrèrent un début d'intérêt dans l'assistanat de leurs cousins pauvres de la presse alternative. Mais leur contribution ä l'IMDT ne fut pas tres importante. La Subvention de 5 millions de rand de la Communauté européenne s'épuisa au milieu de 1994; et l'argent du gouvernement ne suivit pas. Qui plus est, l'IMDT était dépassé par des initiatives compétitives.

(15)

SOCIÉTÉ CIVILE ET DEMOCRATIE

était celle d'un menu bien plus varié. La formule-type ä succes d'une publication noire, ä laquelle Ie New Nation a jusqu'ici résisté, recommande de cibler sur des nus, des histoires surnaturelles, plutöt que sur la politique et l'aspiration sociale. Quelques observateurs de presse attribuent aussi la déchéance des médias indépendants au nouveau consensus qui gagne dans la nouvelle Afrique du Sud. Ce nouveau consensus, dit Laura Kantor de l'Inde-pendant Media Monitoring Project (Projet de vérification des médias indél'Inde-pendants) ä Johan-nesburg, est: « La réconciliation et Ie support nationaux pour Ie Programme ä la recons-truction et de développement. Cela paraït être la nouvelle ideologie [...]. Il y a une hegemonie multiculturelle croissante dans les médias sud-africains. L'idée dans l'air est que tous les Sud-Africains sont des bourgeois, pas du tout racistes, et qu'ils veulent vivre dans les banlieues. Il y a ä Févidence un accroissement dans la distinction des classes » [T. R. Lasner, 1995, p. 46-49]. Ce verdict est partagé par Ie chroniqueur provocateur du

Weekly Mail, Bafana Khumalo, qui souligne que la plupart des journalistes noirs font partie

de la nouvelle bourgeoisie africaine et sont vulnérables ä la cooption. Andre du Toit, l'édi-teur du Die Suid Afrikaan, un mensuel qui a du mal ä survivre et qui vise un lectorat pro-gressif de langue afrikaans, a rejeté Ie bläme de la mort des médias alternatifs sur les «tra-ditions anti-intellectuelles en Afrique du Sud6». Il exprimait la crainte que sous Ie présent gouvernement d'unité nationale, sans une Opposition parlementaire et sans une presse cri-tique, l'Afrique du Sud risquait de glisser vers une culture politique ne laissant pas place aux objections et aux opinions indépendantes.

Les médias imprimés sont aussi assiégés par la prolifération phénoménale de stations de radio locales et regionales qui se révèlent être plus aptes ä toucher un public souvent pauvre et partiellement illettré. La radio est gratuite quand les médias imprimés ne Ie sont pas souvent. Pendant les années quatre-vingt, la South African Broadcasting Corporation fut Ie tres controverse porte-parole du gouvernement du NP. Mais de nos jours, Ie SABC est la personnification du génie consensuel de la nouvelle Afrique du Sud. Elle a rapidement acquis une nouvelle crédibilité et limite donc Ie besoin ressenti d'une presse alternative.

Pour récapituler : l'État consensuel, Ie tarissement des fonds étrangers, l'exode des cer-veaux vers les institutions d'État et ses propres faiblesses inhérentes ont tous contribué ä l'anémie présente de la société civile en Afrique du Sud. Son potentiel de chien de garde par rapport ä l'État paraït affaibli. Sa capacité en tant qu'outil de développement appelle ä un verdict mitigé. Mais la société civile de l'Afrique du Sud est loin d'être anéantie : Ie mélange d'initiative grassroot et de professionnalisme acquis par de nombreuses ONG continue ä être l'ingrédient vital de la construction d'une nouvelle société. Malgré l'héritage dirigiste de l'ANC et du Parti national, Ie génie actif de l'alliance interne anti-apartheid aura laissé une empreinte bien marquée dans la trame de la société. Le gouvernement a

(16)

montré jusqu'ici de la bonne volonté ä integrer l'héritage de la participation populaire, mais alors que la pression monte pour accéder aux fruits de la libération, il pourrait être tenté d'accélérer la mise en oeuvre de ses objectifs de développement par une politique autoritaire.

Bibliographie

BERGER Guy, «Is the "Alternative" Press Really that Alternative ? », South, 15-21 aoüt 1991.

CARTER Chiara, « A Battle for Survival», South, 18-24 octobre 1990. COLLINGE Jo-Ann, «Inside Story », Leadership, mars 1990, p. 93-98.

DE VRIES Fred,« Kritische pers in Zuid-Afrika legt het loodje », Trouw, 17 décembre 1994. FORREST Drew et PEARCE Justin, « Alternative Press Drowns in Red Ink », Weekly Mail,

11-17 novembre 1994.

FORREST Drew, « Rent Boycott : How Long Will Politicians Bite the Bullet ? », Weekly

Mail, 7-13 octobre 1994.

GOTTSCHALK Keith, «United Democratie Front, 1983-1991 : Rise, Impact and Conse-quences», in LIEBENBERG et al., op. cit., p. 187-198.

HEYMANS Chris, « Toward People's Development ? Civic Associations and Development in South Africa», Urban Forum, vol. 4, n° l, p. 1-54.

LANSNER Thomas, « New Press, New Pressures », Africa Report, mars-avril 1995, p. 46-49. LIEBENBERG lan et al. (eds), The Long March : the Story of the Strugglefor Liberation in

South Africa, HAUM, Pretoria, 1994.

LUDMAN Barbara, « What Role will the "Organs of People's Power" Play », Weekly Mail, 5-11 juin 1992.

McLEAN Hugh, « The Cruellest Months for NGOs », Weekly Mail, 24 février-2 mars 1995. — « Media in the Future », New Nation, 6-14 septembre 1990.

SHUBANE Kehla et PUMLA Madiba, « Civic Associations in the Transition », in LIEBENBERG et al, op. cit., p. 241-259.

SWILLING Mark, « Political Transition, Development and the Role of Civil Society », Africa

Insight, vol. 20, n°3, 1990, p. 151-10.

VAN BERKEL Frank, De Transformatie van het Lokale Bestuur: politieke invloed van

helan-gengroenen in Johannesburg, these non publiée, Frasmus Universiteit, Rotterdam, 1995.

VAN KESSEL Ineke, « Beyond our Wildest Dreams » : the United Democratie Front and

the Transformation of South Africa, Ph.D. thesis, université de Leiden, 1995.

« Will SANCO Be Watchdog or Lapdog ? », Work in Progress, novembre 1993.

Referenties

GERELATEERDE DOCUMENTEN

Confronté à cette situation, Glencore reconnait une pollution et affirme avoir résolu le problème quelques jours avant la publication du rapport: «L’examen du

Notre Association déconseille fortement aux partis politiques congolais opposés à Joseph KABILA de prendre part au dialogue (ou distraction) inter-congolais qui serait organisé

Ceci, en raison d’une part, des défaillances techniques de ses kits biométriques d’enrôlement des électeurs et d’autre part, en raison de la dissimulation de ses rapports relatifs

Ainsi, l’APRODEC asbl recommande impérativement que la communauté internationale et particulièrement l’Union européenne puissent faire pression sur la Commission

Siège social : 10, Avenue de la Poste, Commune d’Ibanda, Ville de Bukavu, Sud Kivu, RDCongo Personnalité civile : Arrêté ministériel N° 492/CAB/MIN/J&GS/2003 du 27 juin 2003.. Le

Dans ladite Décision du 30 août 2011, la Chambre observe qu’en appui à la requête de mise en liberté provisoire, la Défense s’est fondée essentiellement sur deux

Pourtant, l’APRODEC asbl constate que dans la loi électorale n° 06/006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales,

En travaillant avec des Comités Locaux de Femmes (CLF) et des Clubs de Défense des Droits de l’Homme (CDDH), constitués de jeunes lycéens, nous entendons