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Année 2011, n° 19 – Sommaire

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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le samedi 17 septembre 2011

Quand une connerie est suffisamment énorme, elle mérite la Une !

Exemple :

Encore une perle de JC Van Damme.

Année 2011, n° 19 – Sommaire

Belgique

We did not reopen 9/11 … page 1

Libye

La symétrie du chaos, vers un nouveau paradigme international ? …page 6 USA

L’introuvable déclin américain … page 11

Sensationnel !!!... page 15

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Belgique

We did not reopen 9/11

Par Guy De Boeck

Notre RTBF nationale s’est largement associée aux commémorations des attentats du 11 septembre 2001 au Wall Trade Centre de New York.

Je ne désire nullement lui faire un mauvais procès en discutant l’opportunité de couvrir cet événement-là plutôt qu’un autre ou consacrer, pendant une semaine, la moitié du JT à Ground Zero plutôt qu’à tel ou tel autre vicissitude belge ou étrangère. Soyons même bons princes et admettons qu’il était certainement plus tentant, pour un journaliste, de se voir confier l’un de ces reportages new-yorkais que le 400° et plus… compte rendu du sur-place des négociations politiques et communautaires.

Il n’est pas question non plus de critiquer le fait que l’on ait rendu hommage aux victimes et surtout magnifié le courage des sauveteurs nombreux qui à cette occasion sont tombés victime d’un devoir devenu soudain terrible qui ne les a pas fait reculer. Allons plus loin : dans ce que l’on nous a montré de ces petits, de ces obscurs, de ces sans-grade, victimes ou sauveteurs, de la manière aussi dont tout cela fut vécu difficilement par les Américains d’origine arabe ou de confession islamique, il y avait de choses fortes, touchantes et de l’information qui nous apprenait quelque chose.

Mais ces victimes précisément, volontaires ou involontaires, directes ou indirectes, on ne nous a jamais dit que l’on ne sait pas trop de qui ils et elles furent victimes. Du moins, on ne nous l’a jamais dit à une heure de grande écoute, dans les JT de 19h30 de la Une, au moment où la plupart des téléspectateurs belges ingurgitent leur dose quotidienne de

« novelles ». Il était seulement loisible aux initiés de découvrir sur la Deux, à une heure plus tardive, qu’il existe des Américains sceptiques et une action comme « reopen 9/11 ».

Le téléspectateur Lambda n’a eu droit qu’à un discours parfaitement conformiste, où les Etats-Unis ont été les victimes d’un attentat terroriste dont la responsabilité incombe sans aucun doute à Oussama Ben-Laden et Al-Qaïda.

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Dès lors que l’on que l’on admet cela comme des évidences, on se trouve obligé d’admettre au moins quant au principe toute une série d’actes ultérieurs de la politique américaine et occidentale, come la guerre d’Afghanistan ou les restrictions graves des droits et libertés individuels tant en Europe qu’aux Etats-Unis. Par « admettre quant au principe », je veux dire que ces interventions et restrictions, même si l’on en discute les modalités, si l’on en trouve l’une ou l’autre excessive, maladroite ou inadéquate, finissent, lorsqu’on a mariné suffisamment longtemps dans ce jus d’information dominante, par paraître compréhensibles, rationnelles… peut-être même, qui sait, presque justifiées.

Je ne prétends aucunement que la RTBF aurait dû prendre le contrepied de l’information mainstream, consacrer tout son temps d’antenne à la « théorie du complot » et faire défiler les participants de reopen 9/11 comme étant les détenteurs de quelque vérité absolue qui n’est pas de ce monde.

Cela aurait été d’autant moins souhaitable qu’il y a au moins deux « théories du complot », qui, histoire de rendre les choses encore moins simples, pourraient parfaitement être vraies l’une et l’autre.

La première, axée avant tout sur l’effondrement le moins explicable, celui de la tour 7, sur l’hébergement, dans cette tour, de plusieurs services gouvernementaux, relevant des services secrets mais aussi de l’administration fiscale et sur l’aura inquiétante qui entoure son propriétaire, un Mr. Silverstein, mène plutôt vers des suspicions de fraude et de malversations financières.

La seconde est que l’on a, délibérément et à des fins politiques, cherché à créer de toute pièce un mythe.

Comme beaucoup de mots, « mythe » a un sens original et fort, et un sens dérivé, populaire et quotidien, beaucoup plus faible. Dans le langage courant, on va parler de

« mythe » pour un récit de choses inexistantes, et « mythe » y figure dans la même rangée que « fichaises », « billevesées », « contes » ou « histoire à dormir debout ».

Au sens fort, un mythe est un récit originel (on compte d’ailleurs parmi les grands mythes diverses cosmogonies : récits sur l’origine du monde). Il n’est pas seulement le récit de certains faits, mais l’occasion d’actes d’adhésion et de cohésion sociales, autour de commémorations et de fêtes qui recréent l’événement originel, replacent le groupe dans un temps originel et lui permettent de revivre l’émotion originelle. Ce processus fait évidemment appel à la Foi des participants ce qui lui confère une auréole sacrée. La Foi ou le Sacré peuvent être ceux d’une Religion, mais ce n’est pas nécessairement le cas : le patriotisme, d’ardentes convictions politiques, toutes les formes d’engagement personnel dans un groupe, au service d’un cause, peuvent s’y prêter.

Alors que dans son sens populaire le mot « mythe » désigne le récit d’un événement dont la première caractéristique est de n’être pas vrai, de ne pas avoir eu lieu, le Mythe, au sens fort, au sens moteur, peut très bien concerner un fait réel. Il suffit pour cela que ce fait soit considéré comme originel et primordial pour un groupe, qu’il exerce un puissant magnétisme émotionnel sur ses membres, ravive leurs émotions, leur foi et leur adhésion au groupe...

Bien sûr, autour du fait d’origine et lors de sa métamorphose en récit à fonction de mythe et de symbole, la fonction mythique, la piété chargent le récit de concrétions légendaires qui sont comme les ex-voto de la Foi … Au bout du compte, on en arrive à ces nombreux livres, qui chargent les rayons « Histoire » des librairies et des bibliothèques et qui ont pour titre « X, mythe et réalité ».

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Il est donc courant que des événements, qui ont bien eu lieu, soient cités comme

« dates mythiques » de faits avec lesquels ils avaient peu de rapports. Il n’y a pas eu de partage de l’Afrique en 1885 à Berlin, ni de partage du Monde à Yalta en 1945, la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, est un événement tout à fait anecdotique dans la Révolution française et la bataille des Eperons d’Or de 1302, épisode des luttes de la royauté, des grands féodaux et de la bourgeoisie des villes à l’intérieur de la France médiévale, n’a aucun rapport avec le nationalisme flamand qui la choisira comme symbole, dans une Belgique dont l’existence ne commencera que 528 ans plus tard !

Toutes les sociétés ont des mythes et les utilisent pour motiver leurs membres et raviver leur adhésion. Le mythe est présent depuis le plus embryonnaire groupement d’humains, chasseurs de la forêt équatoriale, jusqu’à l’exaltation, par une société extrêmement technique, complexe et sophistiquée, de l’American Way of Life. Il est donc hors de doute qu’il s’agit là au départ d’un mécanisme spontané du psychisme humain, correspondant à un besoin inné de connaître et d’exalter ses origines. Mais qui dit « tendance du psychisme humain » dit aussi « possibilité de manipulations psychologiques ». Et celles-ci seront d’autant plus tentantes que les manifestations liées au mythe peuvent facilement dévier vers le fanatisme.

A côté de leur émergence spontanée dans la conscience collective, les mythes peuvent donc devenir l’objet d’une fabrication volontaire et raisonnée, d’une sorte d’ingénierie mythique, visant à donner à un certain fait le pouvoir mobilisateur, unificateur, voire fanatisant, du mythe. L’histoire a ainsi fourni un certain nombre de « grandes figures symboliques » autour desquelles put s’opérer cet investissement mythique. L’historiographie nationaliste et romantique du XIX° siècle fut particulièrement féconde dans ce genre de production.

On peut se demander pourquoi à côté de l’histoire scientifique, de l’histoire patriotiquement débarrassée de ses plus vilaines scories, telle qu’on l’enseigne dans les écoles et des écrits de pure propagande, on a procédé à cette œuvre de mythification. La réponse est sans doute dans le fanatisme que le mythe peut engendrer.

Lorsqu’une conviction est acquise par un apprentissage rationnel et raisonné, elle reste toujours accessible à la critique. Tout raisonnement peut être détruit par un raisonnement meilleur. Par contre, le fanatisme engendré par le mythe est du domaine de la Foi. Il s’agit d’une conviction que rien, pas même la raison, ne saurait entamer. Elle est non seulement conviction de savoir la Vérité, mais aussi – et peut-être même davantage – conviction que toute affirmation contraire est fausse et ne peut relever que d’une volonté mauvaise, d’une volonté démoniaque. Tout cela évoque bien sûr le domaine de la religion, mais a un champ d’application bien plus vaste. Si la religion proclame « Hors de l’Eglise, pas de salut ! » et voit facilement dans le contradicteur un « suppôt de Satan », nous connaissons aussi dans le domaine temporel des « Empires du Mal », des « vipères lubriques » qui n’ont rien à envier aux anathèmes et excommunications des églises.

L’invention du haut-parleur a certainement été un grand jour pour la propagande, puisqu’il donne à l’orateur au micro la voix d’un géant, et aux protestations du contradicteur, perdu désormais dans la foule d’un stade, l’importance d’un couinement de souris. Combien supérieure cependant est la foi dans un mythe, car elle rend impossible de même penser la contradiction. L’ingénierie mythique est faiseuse de pensée unique, d’engagement inconditionnel dans une seule direction : la bonne, qui est indiquée par le mythe… ou ceux qui, derrière le mythe, le manipulent ou même, peut-être, le créent.

L’acquisition de la qualité de mythe par certains événements apparaît aussi en ceci que, contrairement à ce que l’on fait pour toutes sortes d’autres faits, on veut rendre

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obligatoire d’y croire. Ce sont là des démarches régressives dont le principe même est scandaleux. Vouloir imposer une vérité historique par la répression ou poursuivre des idées nous ramène purement et simplement à l’Inquisition. Celle-ci envoyait au bûcher les personnes dont la Foi religieuse s’écartait de l’orthodoxie. Elles n’avaient pas les mythes religieux qui convenaient. Aujourd’hui, on parle de poursuivre ceux qui mettent en doute des faits érigés en mythes historico-politiques. La mythification est donc une opération fort avantageuse et on peut être très intéressé par le mythe, le manipuler ou même, peut-être, le fabriquer, le créer de toutes pièces.

Jusqu’où peut aller cette « création » ? Cette question a précisément été posée avec insistance et acuité au lendemain des « attentats terroristes » du 11 septembre 2001. David Ray Griffin, notamment, dont il faut souligner que c’est un enseignant universitaire en retraite, spécialisé en philosophie et en théologie, c'est-à-dire dans ces phénomène de foi que nous venons d’évoquer, fait partie du mouvement Scholars for 9/11 Truth & Justice et s'inscrit plus globalement dans le 9/11 Truth Movement.

Il a soulevé une vive polémique en consacrant en 2004 un ouvrage, Le Nouveau Pearl Harbor, à la théorie présentant les attentats du 11 septembre 2001 comme le fruit d'un

« complot intérieur », ce que nous appelons, en français, un « coup monté ». Selon lui, les explications alternatives offrent une rigueur et une qualité logique bien supérieure aux explications du gouvernement. Par la suite, il a publié un second ouvrage critiquant la composition, la méthode et le rapport de la Commission d'enquête Kean. Enfin, dans son livre le plus récent, 11 Septembre, la Faillite des médias, une conspiration du silence (2007), il revient sur les différentes tentatives des médias dominants, pour contrer les arguments de ceux qui doutent de la version officielle des attentats.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la logique et la cohérence des démonstrations qui font des « attentats » contre le WTC et le Pentagone un « montage » organisé de toutes pièces par les services secrets américains tiennent infiniment mieux la route que ceux de l’Administration Bush. Les « services » auraient agi ainsi dans le but de provoquer dans l’opinion américaine un courant d’unanimité et d’agressivité analogue à celui qui avait suivi le bombardement de Pearl Harbour. Il s’agissait de déclencher, cette fois de façon délibérée, le réflexe d’entrée en guerre « Nous sommes agressés. Tous unis autour du Président et de la bannière étoilée. Right or wrong, my country !... » Ce mouvement devait faire remonter l’estime pour un Président élu dans des conditions contestées et en chute de popularité. Il est un fait que Bush aurait en l’occurrence fait preuve de réalisme : il n’avait pas d’autre choix que de provoquer un courant de foi aveugle; toute autre attitude aurait dû se baser sur ses qualités…

Ce n’est pas ici le lieu de discuter dans le détail les événements du 11 septembre 2001.

Il faut cependant remarquer que le 9/11 Truth Movement n’est ni un groupuscule insignifiant, ni un rassemblement de marginaux plus ou moins lunatiques. Des gens comme David R.

Griffin sont de respectables membres de l’establishment américain. Ils ont « réussi » dans l’American Way of Life et ne sont pas amers ni déçus. Il leur semble cependant envisageable que, dans le contexte du XXI° siècle, avec les connaissances et les moyens de notre époque, un gouvernement ait pu tenter de propos délibéré de créer de toutes pièces un événement destiné à devenir un mythe moteur. Peu nous importe ici que Griffin et ses pareils aient raison ou tort. Le renseignement intéressant qui nous intéresse dans la polémique autour du 11 septembre, est avant tout que cette polémique a lieu. Son existence prouve en tous cas la faisabilité du « complot interne ».

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Certes, qui peut le plus peut le moins. Si l’on peut envisager la création de toutes pièces d’un mythe à partir d’un événement artificiellement organisé pour la circonstance, il va de soi qu’il est encore plus facile, plus faisable, de mythifier un événement qui s’est produit de façon normale, sans intervention de la volonté de ce gouvernement.

On est donc amené à formuler l’hypothèse suivante : Le 11 septembre a constitué, soit une tentative (ratée, diraient David R. Griffin et ses amis) pour créer de toute pièce l’événement choc, soit une tentative pour tirer d’un véritable attentat le résultat maximum dans le sens d’une mythification favorable à l’Administration Bush.

En n’expliquant rien de tout cela et en se laissant au contraire doucement flotter au gré du courant dominant de la mythification, la RTBF a raté une belle occasion de faire œuvre éducative. Dommage.

Il est vrai que ce n’est pas le seul « dossier » à propos duquel les médias belges aient l’habitude d’avoir une abstention frileuse pour attitude dominante…

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Libye

Des lance-roquettes de l'armée libyenne dans le désert près d'Ajdabiya. © REUTERS/Ahmed Jadallah

La symétrie du chaos, vers un nouveau paradigme international ?

par Wissem Chekkat1

Après six mois de résistance, le régime du colonel Gaddafi a fini par être surpris dans sa capitale par un coup de main assez élaboré. Il aura néanmoins réussi à briser l'élan des nouvelles guerres high-tech, rapides et multimédia s'abattant sur un nombre précis de pays arabes depuis l'avènement de l'année 2011.

Ce remake réussi de la Baie des cochons sur les rivages de Libye marque non seulement un tournant dans les relations internationales mais pèsera négativement à l'avenir sur les relations Nord-Sud en Méditerranée occidentale. Vingt ans après l'effondrement de l'empire soviétique et la suppression de la menace dite rouge, l'année 2011 fut choisie comme celle de l'assaut général contre les derniers régimes rétifs à l'hégémonie du nouvel ordre mondial et son idéologie. Première cible avant les pays satellites de la Chine et les pays d'Amérique latine contestataire de l'ordre mondial : les pays arabes hors de l'influence. En sacrifiant deux leaders alliés dont l'un du pays arabe le plus peuplé et le plus influent, les USA escomptaient obtenir un effet domino dans l'ensemble de la région et plus particulièrement un changement de régime dans des pays comme la Libye et la Syrie. Cependant, la très coûteuse occupation de l'Irak de Saddam Hussein et le désastre afghan obligèrent les stratèges américains à opter pour un nouveau type de guerre plus économique en utilisant les moyens de l'information, les réseaux sociaux, les Psyops, la propagande, les cellules terroristes dormantes et Al-Qaida, outil créé, financé et armé par la CIA, le MI-6 et bien d'autres services de renseignement pour l'achèvement de certains objectifs géostratégiques globaux. C'est en effet une nouvelle forme de guerre High Tech, rapide et reposant sur le concours des populations locales préalablement formatées par une propagande massive, multi-vectorielle, élaborée et adaptée à l'humus culturel, religieux et/ou idéologique. Si le putsch militaire en Tunisie fut relativement facile, ordonné et sans grande effusion de sang, celui de l'Égypte contraria deux acteurs clé de la politique étrangère US : le royaume d'Arabie Saoudite et Israël. Ce dernier avait toutes les raisons du monde d'appréhender un changement de régime en Égypte susceptible d'amener à sa tête des factions hostiles à l'État hébreux.

1Le Quotidien d’Oran / 15-09-11

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Malgré la soumission totale de l'armée égyptienne à son mentor US, véritable maître du pays du Nil, les choses semblent se détériorer dans la péninsule du Sinaï. Au détriment d'Israël. Effet collatéral inattendu d'une guerre dite globale. C'est le concept de la guerre tous azimuts ou guerre totale multidimensionnelle appliquée à des cas concrets. A distinguer du concept clausewitzien de la guerre. C'est une nouvelle forme de guerre dans laquelle les aspects informationnels, propagandistes, psychologiques, diplomatiques et économiques sont mobilisés comme des armes de combat de première ligne contre des États ou des groupes d'États. D'ailleurs, ce n'est point un hasard si les moyens diplomatiques incluant le recours au CS de l'ONU, et les médias sont considérés comme des étapes cruciales de tout plan militaire US. Ainsi après l'Afghanistan, le Pakistan, l'Iran, l'Irak, le Liban, la Palestine, la Syrie, le Yémen, la Somalie et le Soudan, il n'était pas étonnant de voir la machine bien huilée se tourner vers le Maghreb. Premier maillon faible de cet espace géopolitique en mal d'intégration : la Libye du colonel Mouammar Gaddafi. Bête noire et vieil ennemi de bons nombre de pays occidentaux et arabes du golfe arabo-persique. L'aventure militaire précipitée de l'OTAN sur les côtes libyennes a non seulement bousculé l'équilibre géostratégique de cet espace géopolitique mais risque fort de bouleverser l'ensemble des relations Nord-Sud en méditerranée occidentale. Cette aventure militaire a mis fin à cinquante ans de paix, puisque la dernière intervention armée occidentale en Afrique du Nord remonte à la bataille de Bizerte (Tunisie septentrionale) et à la guerre d'Algérie. Plus préoccupante est l'ingérence presque immorale de certaines entités étatiques du Golfe persique au Maghreb : la chasse frénétique aux subsahariens par les rebelles en Libye relève plus d'une vindicte dictée contre l'orientation africaine de la Jamahiriya et son mépris des Arabes du Golfe persique. Cette tendance africanophobe traduit la future orientation de la Libye de demain telle que voulue par les mentors et financiers de l'agression militaire contre ce pays : La Libye post-Gaddafi sera Arabe du premier camp. Celui de la Jordanie, du Qatar, des Émirats Arabes Unis, du Koweït et du Bahreïn. En d'autres termes, un pays détaché de son environnement africain.

Malgré la chute de Tripoli suite à l'opération «Siren», opération coup de poing qui fera date dans les manuels militaires des armées, les Libyens n'auront pas démérité et ont globalement fait face à l'agression de leur pays avec plus d'efficacité que ne l'ont fait les Irakiens pourtant infiniment mieux armés. La Libye a tenu à six mois de bombardements et autres pilonnages intensifs des forces de l'OTAN, lesquelles ont déversé sur ce pays près de 200 bombes par jour. Dans cette guerre, les rebelles libyens, en particulier ceux de la ville de Misurata ont bénéficié du soutien de firmes de sécurité et de renseignement privées ainsi que de mini-drones (des drones quadricoptères de type Scout). Ailleurs dans le pays, des drones américains Predator II armés croisaient dans le ciel libyen chassant en meute des cibles désignées.

Sous-estimée, la Libye du colonel Gaddafi et son système atypique de pouvoir non hiérarchisé et horizontalement distribué a donné du fil à retordre à l'OTAN. A la surprise générale de ses voisins, la Libye, plus petit pays du Maghreb, a failli écraser rapidement et efficacement la rébellion armée qui s'est déclarée en Cyrénaïque le 16 février 2011, n’était-ce l'intervention militaire occidentale. Néanmoins, la Libye a réussi à absorber le choc initial de l'agression de la coalition internationale menée par les USA, la France, la Grande Bretagne, le Qatar et les Émirats Arabes Unis avant de tenir tête à l'OTAN, la plus grande alliance militaire du monde.

Cette capacité de résistance d'un pays aux capacités technologiques quasi-inexistantes, doté d'une toute petite armée de quatre ou cinq brigades, ne peut s'expliquer que par le régime très particulier et hors normes imposé par le colonel Kadhafi. Un système opaque où le pouvoir est dissous parmi des centaines de tribus et où la notion d'État selon l'acception occidentale demeure un concept étrange. L'organisation de l'État des masses, un concept paradoxal pour un pays de cinq ou six millions d'habitants, a rendu caduc tous les plans

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précédemment utilisés en Irak et a imposé à l'OTAN un nouveau paradigme à peine connu.

Indubitablement, c'est en Libye qu'a été mis en échec le cycle des révoltes arabes par le désordre et l'ingénierie du chaos au moyen des réseaux sociaux et des services de messagerie.

Car, contrairement à la Tunisie et l'Égypte, pays pro-occidentaux ayant connu des putschs militaires déguisés en révolutions colorées, la Libye comme le Yémen et la Syrie ont fait autrefois partie d'un front du refus et de la résistance qui aura vécu. Il est paradoxal de constater qu'une ville éloignée comme Brega ait tenu tout au long de la guerre et ait survécu à Tripoli qui a succombé à un coup de main éclair et complexe.

L'histoire est riche de ces retournements spectaculaires d'alliances et d'allégeance.

Toutefois, qui aurait osé concevoir il y a à peine une trentaine d'années que l'OLP (Organisation de Libération de Palestine) se retournerait contre Damas ? Il est vrai que la vieille organisation désuète et corrompue de la résistance palestinienne n'a jamais pardonné le positionnement du régime syrien laïc aux côtés d'une organisation islamiste rivale, ayant réussi à prendre le pouvoir dans l'enclave assiégée de Gaza. Comme dans l'épisode libanais, la main des Saoudiens n'est jamais très loin et il n'est pas étonnant dès lors de constater la stratification en cours et la superposition de la rivalité créée de toutes pièces entre l'Arabie Saoudite et ses alliés, garant d'une version rigoriste de l'Islam sunnite contre l'Iran chiite, ultime avatar de l'impérialisme perse. Un schéma correspondant parfaitement aux plans d'hégémonie US au Moyen-Orient, basés sur les divisions ethniques et confessionnelles et même au-delà.

L'une des techniques de tromperie en usage dans ces nouvelles campagnes militaires d'un nouveau genre contre des États est l'imposition d'un mensonge comme vérité dans la plus pure tradition stalinienne. Ainsi des médias nous présentent sans vergogne aucune des informations faisant état de l'usage du gouvernement syrien d'embarcations armées contre ses propres populations civiles tout en avançant des bilans dignes d'un accident de circulation.

Est-il possible qu'une ville de la taille de Lattaquié soit pilonnée par l'artillerie navale et n'enregistre que trois ou quatre victimes ? Le cas libyen est encore plus pathétique : l'OTAN qui ne maîtrise qu'une forme de propagande unique et disons le sans ambages, sclérosée, qualifie ses raids meurtriers contre les populations civiles libyennes comme une opération de protection de ces mêmes populations ! Les sites officiels britanniques se sont illustrés par une propagande mensongère sans vergogne pire que celle de Staline. Cercle vicieux d'un mensonge orwellien. Cet auteur avait bien pressenti que le totalitarisme anglais pourrait être bien plus pire que celui du nazisme et du stalinisme de son époque.

Les États-Unis d'Amérique sont les principaux architectes de cet assaut. Mais dans le cas de la Libye, ils ont adopté une nouvelle ligne de conduite, faisant semblant de confier les opérations, dès l'élimination de l'ensemble des défenses aériennes libyennes à leurs alliés de l'OTAN. Ils en regrettèrent presque cette option. La Grande Bretagne et la France eurent une piètre performance face à une armée libyenne bien faible et pas du tout équipée. C'est grâce à la logistique US et à l'argent du Qatar et des Émirats Arabes Unis que cette guerre put aboutir à l'entrée des rebelles à Tripoli atour d'un noyau dur formé par les commandos spéciaux de la CIA, du SAS, du 2ème régiment de parachutistes, de la Légion jordanienne, des mercenaires de l'X (ex-Blackwater) et des forces spéciales italiennes et qatari.

Des observateurs peu avertis de la nature du pouvoir en Europe s'étaient interrogés sur les motivations de certains pays comme l'Italie de s'aliéner gratuitement et durablement l'ensemble des pays de la rive Sud de la méditerranée, en d'autres termes ses voisins immédiats, en s'impliquant dans une guerre d'agression contre la Libye ou en joignant sa voix aux cris d'orfraie des pays européens contre la Syrie. Alors que ce pays jouissait jusqu'ici d'une assez bonne image au sein des pays du Sud. Le fait est que le pouvoir réel en Italie et ailleurs en Europe n'est plus aux mains des habitants de ces pays mais appartient de facto à des oligarchies invisibles agissant assez similairement à des gouvernements d'occupation.

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La stratégie du double endiguement utilisée contre l'Iran et l'Irak, la destruction de ce dernier et son occupation, la guerre civile libanaise, la scission du Soudan, l'élimination physique des figures historiques de la résistance palestinienne, la mise au pas du Liban, l'encerclement et l'assaut de la Syrie, la déstabilisation du Yémen, l'affaiblissement des pays du Maghreb, la mise en place d'une véritable ceinture de feu entre le Sahel et l'Afrique du Nord s'étendant de la corne de l'Afrique à l'Atlantique, et, actuellement, la mise en pièces de la Libye, ne sont qu’une suite ininterrompue d'évènements liés. Lesquels s'inscrivent dans le cadre d'un plan réglé et préconçu. Tel qu'il a été ébauché par l'ex-secrétaire d'État US Henri Kissinger dès l'avènement des années 70. A posteriori, l'actuelle vague de révoltes présentée comme un printemps arabe en référence à une série d'évènements ayant abouti à l'implosion de l'ancien bloc de l'Est, n'est que la continuation d'une même et unique stratégie visant toujours le même objectif : le formatage de l'environnement immédiat et lointain d'Israël à même de garantir sa survie pour les cinquante prochaines années et par-dessus tout garantir son existence au-delà de l'année 2048.

L'enthousiasme suscité par les révoltes arabes a fait long feu. Si les médias mainstream n'ont pas hésité à qualifier cet assaut général de «printemps arabe», la réalité des faits déformés sur le terrain, grâce à la magie des caméras embarquées sur les téléphones portables dans un monde ou presque tout le monde en est équipé, a fait déchanter plus d'un.

De mémoire de révolutionnaire, on n'a jamais vu des rebelles armés de fusils d'assaut Gewehr-36 avancer contre les troupes gouvernementales de leur propre pays sous la couverture d'hélicoptères de combat avancé, de drones et de bombardiers étrangers tout en bénéficiant de l'appui feu de l'artillerie navale, le renseignement de l'imagerie satellitaire et l'encadrement des forces spéciales de pays ayant une longue tradition dans la subversion et le sabotage. C'est pourtant bien ce qui s'est passé en Libye. Et c'est ce que l'on tente de recréer en Syrie et si possible, ailleurs. Ce n'est point un hasard si, au départ des contestations, une aide logistique est mise à profit des insurgés, fussent-ils présentés comme de simples manifestants. Changement d'icônes. Depuis les années 60, le Kalachnikov était l'arme par excellence de tous les révolutionnaires et guérilléros de tous bords. L'usage par les rebelles libyens d'une variante du fusil d'assaut FN-FAL et de missiles antichar MILAN, puis après l'opération de Tripoli, du fusil Allemand G-36, équipant entre autres les forces spéciales jordaniennes, consacre une véritable rupture. Après les rébellions maoïste, communiste, socialiste et nationaliste, voici venu le temps des rébellions néolibérales financées par les riches Cheikhats du Golfe persique et soutenues militairement par les milieux trans-financiers internationaux.

Cependant, l'apparition spontanée de ces nouvelles guerres High Tech de propagation du chaos social par le bas et l'ingénierie du putsch scientifique n'est pas sans risque pour les pays l'ayant adopté. La Grande Bretagne (mais aussi la France) en sont de parfaits exemples.

Et ce, malgré la surveillance exhaustive et maniaque des réseaux par des cohortes de cyber policiers dans ces deux pays. Surveillance bien plus intense, systématique et étroite que ne le serait la surveillance d'internet dans un pays comme la Chine. Le retournement des nouvelles armes que constituent désormais les réseaux sociaux et les services de messagerie contre l'un des pays les ayant le premier utilisé pour attaquer un autre pays (la tentative britannique de susciter une révolution colorée-verte-en Iran en 2009) a donné plus que des sueurs froides à Londres. Les émeutes du mois d'août 2011 ont fait craindre un retour de boomerang, voire une British Revolution. Signe qui ne trompe pas : deux facebookers ayant posté des blagues sur le net au sujet de ces émeutes ont été condamnées à de très sévères peines d'emprisonnement. Pendant ce temps, le gouvernement de sa majesté, le plus acharné dans sa guerre en Libye, finance, encourage et soutient des milliers de jeunes Arabes à propager via les réseaux sociaux le désordre, le chaos et la sédition.

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La reprise du symbolisme religieux islamique par les services de renseignement US et britannique n'est pas nouveau. Il remonte à plus d'un siècle, avec les théories du manteau vert, du messie attendu et les intrigues de Lawrence d'Arabie. On percevait aisément derrière tous ces vendredis «colorés» une forte touche de marketing. «Vendredi de la colère», «Vendredi de la vengeance» ou encore «vendredi de la défiance» sont des produits marketing 100 % US adaptés à l'humus local. Un peu comme les filiales de Coca Cola au Moyen-Orient. A ces techniques s'ajoutèrent le renfort d'une pléthore de pseudo-fatwas issues de manière désordonnées et diffusées par des «clercs» musulmans majoritairement sunnites mais dont la majorité provient des pays du Golfe persique inféodés à l'empire ou de pays comme l'Égypte ou la Jordanie. C'est un Islam version US, aussi corollaire au néo-libéralisme que l'est la spéculation boursière sur des actifs pourris. Support de propagation : internet et chaînes satellitaires. Après l'anathème vient la diabolisation. Le président syrien est qualifié de Hulagu dans une référence à l'invasion mongole du Moyen-Orient au 13ème siècle ; le guide libyen qui s'est déjà auto-affublé de toute une série de titres, se voit en plus affublé de tous les noms d'oiseaux. Il est vrai qu'il ne s'est fait que des ennemis. La propagande des pays du CCG s'acharne plus particulièrement sur lui avant, pendant et après son règne. Même hors de son complexe de Bâb Azizya, le colonel sera accusé par les US d'avoir collaboré avec leurs services dans la lutte antiterroriste. Quant on sait que tous les pays musulmans ont été sommés de collaborer dans la lutte contre un terrorisme créé de toutes pièces par ceux là même qui l'exigent, on ne peut que rester stupéfait de la tromperie avec laquelle agit l'empire quel que soit le contexte.

Mais tout cela est voué à l'échec. Les Américains et leurs alliés sont dans une impasse non seulement économique mais idiosyncratique. Si au Levant, la déstabilisation de la Syrie aura de très graves conséquences sur Israël, dont l'arsenal nucléaire conséquent ne lui sera d'aucun secours, au Maghreb, le dépeçage de la Libye aura des conséquences négatives durables sur l'ensemble des relations Nord-Sud en Méditerranée occidentale. Il ne fait aucun doute que tôt ou tard, l'intrusion militaire de puissances étrangères en Libye aura un prix.

A ce propos, certains observateurs ont mis en doute la mainmise étrangère sur les ressources de la Libye à cause du sentiment ultranationaliste de certaines factions rebelles.

C'est méconnaître les ressorts cachés de la soumission consentante. Les rebelles, y compris leurs ailes militaires les plus radicales sont beaucoup trop faibles pour pouvoir prétendre tenir tête à leurs puissants protecteurs. De facto, ils sont encore plus faibles que les forces loyalistes. C'est pour cette raison que la Libye représente un cas d'école : c'est le nouvel eldorado des multinationales et l'entrée rêvée en Afrique du Nord et au Sahel. Et connaissant certains pays de la coalition «humanitaire» caractérisées par leur hargne et leur cupidité à tenir coûte que coûte la moindre parcelle de terre tombée en leur pouvoir et ne plus jamais la relâcher à moins de provoquer un génocide généralisé, on ne voit pas la Libye se débarrasser de sitôt de ces protecteurs de la dernière heure.

Avec l'épilogue libyen, l'Africom devrait avoir résolu le choix de ses bases en Afrique.

Elle y disposera aussi bien de bases stratégiquement situées sur le golfe de Syrte qu'en bordure du Sahel, voire au Sahara central. En parallèle, la Russie perd plus qu'un important client de ses armements. Tandis que la Chine voit sa présence en Méditerranée, en Afrique du Nord et au Sahel assez compromise. Certains pays occidentaux voyant d'un très mauvais œil la présence chinoise dans la bande sahélienne du Soudan en Mauritanie, en passant par le Niger, principal pourvoyeur d'uranium aux centrales électronucléaires françaises.

Propager le désordre dans un pays fait partie intégrante de la panoplie de guerre. Le chaos est un nouveau paradigme des relations internationales. L'ex-ambassadeur US en Chine, Jon Huntsman et probable candidat aux présidentielles américaines en sait quelque chose. Sa tentative très maladroite de susciter des troubles en Chine en utilisant les réseaux sociaux l'a forcé à quitter son poste.

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Cependant, la question qui se pose actuellement est celle relative aux conséquences à moyen et long terme de cette nouvelle ingénierie du chaos appliqué à l'échelle géostratégique.

Utilisant des outils transcendant la guerre asymétrique que pourrait opposer le pays ciblé face à un assaillant technologiquement plus avancé, cette nouvelle forme de guerre ne serait-elle pas susceptible de créer une symétrie du chaos dans les deux camps ? L'avenir nous le dira.

USA

L’introuvable déclin américain

Par Justin Vaïse2

Les crises économiques sont des accélérateurs d’histoire, mais elles réservent parfois des surprises. Celle partie des Etats-Unis en 2007, et qui a rapidement touché le reste du monde, a certes précipité les tendances qu’on observait déjà : montée en puissance de l’Asie, notamment de la Chine, et recul de l’Occident. Le passage de relais du G8 au G20 comme directoire de coordination mondiale en est l’illustration la plus frappante : dans ce club que les partenaires transatlantiques monopolisaient, les pays émergents font leur entrée en force.

Pourtant, à y regarder de plus près, ce n’est pas l’Occident dans son ensemble qui se voit menacé de déclassement, mais bien l’Europe.

Quand l’Amérique éternue, l’Europe s’enrhume

En effet, alors que l’Amérique d’Obama retrouve le chemin de la croissance et réajuste son leadership pour le conserver, l’Europe voit sa présence réduite dans les instances de gouvernance mondiale et se voit enjointe - par les Etats-Unis - de réduire ses quotes-parts au FMI et à la Banque mondiale pour faire de la place aux nouveaux venus. Une simple comparaison des perspectives de croissance pour la décennie résume cette situation : 1 % par

2L'auteur, Justin Vaïse est directeur de recherches à la Brookings Institution, à Washington. Il est l'auteur d'une

"Histoire du néoconservatisme aux Etats-Unis" (Odile Jacob, 2008) et, avec P. Hassner, de "Washington et le monde. Dilemme d'une superpuissance" (Autrement, 2003). Cet article est une version largement mise à jour d'un texte paru dans "L'histoire" n°331. © L’Histoire Mis en ligne le 06/08/2011

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an pour l’Europe, 2,7 % pour les Etats-Unis (et respectivement 7,7 et 10 % pour l’Inde et la Chine). Sans oublier les à-coups du projet européen : à peine sorti d’une décennie perdue à débattre de ses institutions, il est heurté de plein fouet par la fragilité sous-jacente de sa monnaie unique, l’euro.

Un moment frappant de l’actualité internationale résume bien cette redistribution des cartes. Au sommet de Copenhague sur le climat en décembre 2009, l’accord final a été négocié en catimini par Obama et les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud) en l’absence de tout Européen. L’image a beau être injuste - puisque ce processus n’aurait pas vu le jour sans l’Europe qui était la seule à pousser à des objectifs ambitieux alors qu’Obama pouvait s’entendre avec les pays émergents sur un accord minimaliste - elle n’en offre pas moins un raccourci saisissant du monde actuel : c’est l’Europe, plus que les Etats-Unis, qui fait face au spectre de l’effacement. Sa part dans le PIB mondial pourrait décroître aux alentours de 18 % en 2030, tandis que celle des Etats-Unis resterait constante, à environ 23 %, son niveau coutumier depuis les années 1960.

C’est tout le paradoxe de cette crise : l’Amérique, qui en porte la responsabilité au premier chef, semble en mesure de tirer son épingle du jeu, alors que l’Europe est heurtée plus durement, vérifiant le vieil adage qui veut que lorsque les Etats-Unis éternuent, le reste du monde s’enrhume. L’Amérique possède, de fait, plus d’atouts structurels que l’Europe pour rebondir sur le moyen terme. Son dynamisme démographique la place dans une situation bien plus favorable que celle de l’Europe, du Japon et de la Chine - qui va bientôt subir le contrecoup de sa politique de l’enfant unique. Ses capacités de financement par ses propres marchés de capitaux et par le reste du monde sont adossées au rôle du dollar, qui sort renforcé par la crise alors que l’euro en est la victime. Son potentiel d’innovation technologique reste fort, et tandis que ses universités continuent à attirer les meilleurs cerveaux du monde entier, ses immigrants se lancent inlassablement à l’assaut du rêve américain, nourrissant par là même ses capacités entrepreneuriales. Son système politique, l’un des maillons faibles de sa puissance, et qui semblait complètement bloqué en 2009, parvient néanmoins à faire aboutir certaines réformes essentielles pour son avenir, comme celle du système financier en 2010.

Les montagnes russes du déclinisme

Bref, tous les prophètes du déclin américain pourraient bien devoir attendre encore quelques années avant de voir leurs prédictions se réaliser. Ce ne serait pas la première fois : depuis qu’au milieu du XXe siècle il est devenu clair que l’Amérique était la puissance dominante, on a maintes fois pronostiqué son déclin - et les Américains eux-mêmes se sont vus tantôt tout-puissants, tantôt promis à la chute, en une sorte de montagnes russes de perception de leur propre puissance.

En 1957, le lancement par les Soviétiques du Spoutnik, le premier satellite dans l’espace, les a plongés dans une phase de doute profond quant à leur capacité à rivaliser avec l’URSS, tant sur le plan éducatif et scientifique que sur le plan militaire et même économique.

Au début des années 1960 cependant, avec John F. Kennedy, leur moral était regonflé à bloc : le projet Apollo allait leur permettre d’envoyer un homme sur la Lune, la pauvreté allait être vaincue, on avait confiance dans la possibilité de faire du Sud-Vietnam un pays modèle tout en repoussant les infiltrations communistes ; bref, c’est un autre moment d’hubris comparable à celui des années 2002-2003.

L’optimisme fut de courte durée. Dès la fin des années 1960, l’Amérique accuse le coup : aux troubles intérieurs des années 1965-1968 (émeutes dans plusieurs villes, contestation étudiante, assassinats politiques), à l’enlisement au Vietnam et à la dévaluation du dollar en 1971, succède le scandale du Watergate qui contraint Nixon à la démission en 1974, les chocs pétroliers (1973, 1979) et les avancées de l’URSS en Afrique et en Asie. Dans les années 1970, à nouveau, certains observateurs, essentiellement des conservateurs et des

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néoconservateurs, pronostiquent le déclin inéluctable du pays. L’arrivée en 1981 de Ronald Reagan ("America is back") renverse la tendance : l’Amérique se réarme, se réforme et reprend confiance en elle.

De 1987 à 1993, c’est-à-dire au moment même où l’Amérique est en train de gagner la guerre froide, une nouvelle vague de déclinisme s’abat sur elle, précipitée par les mauvaises nouvelles économiques - ainsi lors du "lundi noir", le 19 octobre 1987, le Dow Jones perd 508 points. Cette fois, le prophète de malheur s’appelle Paul Kennedy. Dans son livre publié en 1987, "Naissance et déclin des grandes puissances", le Britannique prédit que l’Amérique, comme les puissances dominantes du passé et notamment l’Empire britannique, souffre de

"surextension impériale". Les Etats-Unis ont plus d’engagements extérieurs qu’ils ne peuvent en financer et des pays plus efficaces sur le plan économique, comme l’Allemagne et surtout le Japon, risquent de les laisser sur le bord du chemin.

Surtout, en cette fin des années 1980, les Américains redoutent la montée en puissance du Japon. On se souvient mal de la fascination mêlée de crainte - dont l’évocation actuelle de la Chine est un écho évident - qu’inspirait alors cet archipel ultra-dynamique qui commençait à dominer l’Amérique dans certains secteurs industriels et dont la monnaie puissante permettait par exemple à Sony de racheter des symboles de l’industrie américaine comme Colombia Pictures ou CBS Records. Mais finalement, au cours des années 1990, tandis que l’archipel nippon s’enfonce dans le marasme, les Etats-Unis restructurent leur industrie et renouent bientôt avec une croissance remarquable, de plus de 66 % de 1992 à 2002, qui conduit tout droit à l’ "hyperconfiance" du début des années 2000. C’est cette hubris qui, à l’intérieur, donne l’illusion que la croissance sera éternelle et pousse aux pires imprudences financières et, à l’extérieur, amène l’administration Bush à surestimer sa capacité à régler les problèmes du Moyen-Orient en envahissant l’Irak.

L’heure de payer l’addition

La facture de cette hubris est évidemment salée, et l’Amérique doit à présent la régler.

Si elle n’est pas promise à un déclin inéluctable, pour les raisons exposées dans la première partie, il ne fait par ailleurs aucun doute que sa position est nettement plus défavorable qu’au début de la décennie et que les défis qu’elle doit à présent affronter sont considérables. Ces défis sont de trois ordres : budgétaire, géopolitique et politique.

L’administration Bush a lancé deux guerres à crédit, celle d’Afghanistan puis celle d’Irak, non seulement en refusant d’augmenter les recettes fiscales, mais en les réduisant même par des tax cuts qui ont transformé l’excédent budgétaire confortable laissé par Bill Clinton en déficit préoccupant. Ce déficit est devenu abyssal lorsque la crise est venue et qu’il s’est agi de mobiliser les centaines de milliards de dollars nécessaires au plan de sauvetage des banques en 2008 puis à la stimulation de l’économie en 2009. Le budget fédéral a accusé un déséquilibre de plus de 1 400 milliards de dollars en 2009, soit 11,2 % du PIB, et il sera de 9,6 % du PIB en 2010. Sans compter les difficultés budgétaires parfois critiques des administrations locales, Etats et municipalités notamment : ainsi la Californie est-elle au bord de la faillite. L’enjeu des années à venir est simple : parvenir à augmenter les recettes fiscales - alors que les républicains rejettent le principe même d’une hausse des impôts - tout en maintenant les coûts des grands programmes sociaux (santé et retraites) à un niveau de croissance bas. C’est à ce prix que l’Amérique pourra sortir du piège financier qui la guette et qui risque, à défaut d’une réaction, de l’entraîner vers la chute.

Le deuxième défi est géopolitique, mais il est en partie lié au problème budgétaire.

Washington doit s’extraire de deux guerres très coûteuses en Irak et en Afghanistan sans compromettre pour autant ni la stabilité régionale, ni son image de puissance dominante et responsable - faute de quoi l’impression de vide du pouvoir pousserait à une remise en cause de sa prépondérance, notamment au Moyen-Orient. L’aventure irakienne a abouti à une

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dégradation de la position américaine vis-à-vis de l’Iran, que Washington a débarrassé de son ennemi irakien, à un manque de ressources critique dans le conflit afghan, et à des tensions considérables pour l’armée américaine. Celle-ci se trouve sollicitée sur deux fronts simultanément, et accuse le coup, tandis que le budget de la défense va devoir contribuer à l’effort de redressement des finances publiques, notamment en réduisant les programmes technologiques les plus coûteux. Bref, l’un des piliers de l’hégémonie américaine - la supériorité militaire - se trouve, à terme, compromis, si Barak Obama ne réalise pas ses objectifs de retrait au moins partiel des conflits en cours.

Le troisième défi, celui de la gouvernance intérieure, conditionne la réponse aux deux premiers. Le système politique américain souffre de deux maux : une polarisation partisane qui n’a cessé de croître depuis les années 1970, et un rapport de force équilibré entre républicains et démocrates au sein de l’électorat. Une fois combinés dans le contexte d’institutions où il est plus facile de bloquer que de construire, ces deux maux risquent toujours d’aboutir à la paralysie, à l’incapacité à réformer l’Amérique à temps - et à l’impotence du président américain sur la scène internationale, bloqué par le Congrès dans ses initiatives.

Il est vrai que Barack Obama a su dépasser ce blocage en 2010 avec la réforme de l’assurance-santé et celle du système financier, mais en sera-t-il de même dans les années à venir, à l’heure où la globalisation met en concurrence non pas seulement des entreprises, mais des Etats, des systèmes productifs ? Déjà certains commentateurs estiment que la Chine, avec son système de gouvernance non démocratique mais centralisé et efficace, est mieux armée pour répondre aux défis de la globalisation qu’une Amérique divisée et incapable de se réformer. Si l’Amérique ne parvient pas à répondre à ces trois défis, elle pourrait alors se trouver en position critique, et voir les piliers de sa puissance s’éroder.

Médiateur plutôt que gendarme

Encore faut-il garder à l’esprit qu’aucun autre pays ne possède la même gamme d’atouts, la même présence stratégique de par le monde, la même position géographique protégée et la même stabilité politique que les Etats-Unis. Pour prendre un seul exemple, les incertitudes et les fragilités chinoises sont nombreuses, notamment sur le plan de ses dynamiques sociales et politiques. Autrement dit, si la montée en puissance d’autres acteurs internationaux va logiquement relativiser l’hégémonie des Etats-Unis (et affecter plus encore la position européenne), elle ne va pas nécessairement conduire à une disparition du leadership américain, encore moins à un déclin en termes absolus. On ne peut toutefois pas exclure qu’il soit de plus en plus difficile à Washington de fédérer les énergies de la communauté internationale, ce qui pourrait mettre en péril l’ordre mondial.

Au final, le sort de l’Amérique dépendra largement des choix qui seront faits par ses dirigeants. A cet égard, si les politiques de George W. Bush ont précipité un recul sensible des positions américaines au cours des années 2000, force est de reconnaître que Barack Obama a changé le ton à Washington, et pris au sérieux le problème du nouveau contexte mondial.

Loin de s’accrocher à une hégémonie dont les bases ont disparu, il a adapté la posture américaine à un monde "post-américain", d’après la formule du journaliste Fareed Zakaria3 (1), où les pays émergents comptent davantage - et parfois plus - que les alliés traditionnels, et où Washington ne doit plus se comporter en gendarme mais en partenaire constructif, en médiateur, en guide avisé. Une forme d’adaptation pour conjurer le déclin ?

3 F. Zacharia, "L’Empire américain : l’heure du partage", Saint-Simon, 2009

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