Volume II
Le Lieutenant Jérôme Becker est un peronnage typique de l’époque AIA. Le temps des
« taches blanches » sur la carte du Dark Continent s’achève. Le « partage de Berlin » est encore à venir. Lorsqu’il part pour l’Afrique, en 1880, Léopold II avance encore masqué dans ses projets coloniaux, s’abritant derrière l’AIA, organisation scientifique et humanitaire créée dans la foulée de la Conférence Internationale de Géographie à Bruxelles de 1876. On arrivait alors au Congo – dont les frontières n’étaient pas encore définies, en partant de Zanzibar vers Karema sur le Tanganyika.
C’est dire que, dans des zones complètement soumises à l’influence des négriers, dont ils dépendaient pour leur survie et leur sécurité, ils devaient plutôt s’infiltrer avec ruse et discrétion que de prendre prématurément des airs autoritaires et dominateurs. Le portrait de Becker « »en tenue de station » est assez parlant à ce sujet.
Le reproche « d’avoir adopté les mœurs des arabisés » s’abattit d’ailleurs sur tous les Blancs ayant servi dans la « zone arabe » de l’Est, même ceux qui, comme Dhanis, furent par après les vainqueurs de la « guerre contre les esclavagistes arabes » et mirent fin à ce trafic.
Comme d’autre part l’Afrique de cette époque avait nettement des côté de Far West où les querelles se règlent en faisant parler la poudre, on ne doit pas s’étonner outre-mesure de ce que Becker se soit vu par après traité d’assassin.
L’on trouvera ci-après sa notice IRCB, rédigée en 1948, et l’on pourra constater que, sur un texte de trois colonnes, une entière est consacrée à le défendre de ces accusations.
La plus grave est qu’il a écrit des choses que l’on a considéré comme « favorables à l’esclavage » et ceci à une époque l’opinion était « chauffée à blanc » contre l’esclavage, d’autant plus que Léopold II fera de l’anti-esclavagisme un des principaux arguments justificateurs de son action coloniale.
En fait, Becker s’est borné à faire remarquer que, si le sort d’un esclave n’est pas enviable, il lui assure néanmoins une certaine sécurité, alors qu’un homme libre, confronté avec des chefs abusif, sera un oiseau pour le chat ! Et le Lieutenant ne dut pas seul à tenir de tels propos !
En voici, par la voix du RP Cambier, de Scheut, le commentaire missionnaire : « Hier matin, nous avons aperçu dans le lointain, se dirigeant vers nous, une longue caravane. Serait-ce un blanc de Lusambo se dirigeant vers Loulouabourg ? Mais voici la tête de la colonne : pas de charges, donc pas de blanc. C’est une troupe de trois cents esclaves achetés par les Nzappos chez Mpania- Mutombo, hommes, femmes, enfants, payés qui par un carré d’étoffe, qui par une petite croix de cuivre rouge.
Quelques-uns paraissent robustes, la plupart sont éreintés de fatigue, plusieurs mourront avant deux jours, tous manifestent dans leur regard fixe, hébété, stupide, une indifférence à faire peur.
Que leur importe, en effet, d’être esclaves de Mpania, ou ceux des Nzappos ? J’ose dire plus : que leur importe d’être libres ou esclaves ? Sans doute, ils préfèrent le maître doux et humain, qui les nourrit abondamment et ne les surcharge pas de travail, au tyran qui ne leur laisse aucun repos et prend plaisir à les frapper sans raison. Mais la liberté, allez donc leur parler de cela ! Les pauvres ouvriront de grands yeux, une bouche plus grande encore, et vous demanderont si la liberté vaut mieux qu’une racine de manioc.
« Je sais qu’à parler de la sorte je vais stupéfier plus d’un philanthrope de cabinet. Je ne suis que missionnaire, et j’aime les noirs, puisque je leur donne ma vie. Eh bien, j’affirme que le législateur qui voudrait actuellement édicter la suppression complète de l’esclavage donnerait dans la plus folle des utopies, et serait plus cruel pour le noir que ses maîtres inhumains. Empêcher les razzias d’esclaves, s’opposer à la traite, punir les maîtres trop méchants à la bonne heure ! Mais allez donc dire à un esclave que désormais il n’appartient plus à son maître vous lui donnerez une liberté dont il ne voudra pas, parce que cette liberté, ce sera pour lui la mort par la faim.
L’esclavage est tellement inhérent à sa personne, à son mode d’existence et de vie, qu’une longue éducation peut seule le former
à se passer de maître pour avoir de quoi se remplir le ventre.
« Et c’est là le but que nous, missionnaires, nous poursuivons, conjointement avec un but encore plus relevé, celui de faire de ces malheureux des enfants de l’Eglise et des héritiers du Ciel.
Toutes nos ressources vont donc à racheter des esclaves. A Saint-Joseph de Loulouabourg, nous en avons douze cents, hommes, femmes et enfants. »
L’autorité civile peut en profiter pour peindre un tableau contrasté, tout à l’honneur de
« Boula- Matari » :
« Dans la société noire primitive, de tout temps, il y a eu des chefs, des sujets et des esclaves.
Les chefs étaient tout, les sujets peu de chose, et les esclaves rien du tout. Il n’est guère difficile de s’imaginer les relations entre ces différentes personnes si pour un «oui» ou pour un
«non», un chef envoyait à la mort, ou en prison, ou au supplice, un de ses sujets ; pour un «oui» ou pour un «non », un des sujets martyrisait ou tuait son esclave, pour peu que le chef n’eût déjà pas ordonné auparavant son massacre. Les chefs étaient rares, les sujets, peu nombreux, les esclaves, foule. Aussi les malheureux payaient-ils un rude tribut à la barbarie de leurs maîtres. (...)
« C’est à cette charmante période que les Blancs sont venus, il y a eu hier cinquante ans. Et voyez maintenant.
« Il y a encore des chefs, il y a des sujets, il n’y a plus que des esclaves domestiques, très rares du reste. Tous sont égaux devant la loi que nous avons instaurée. La justice est la même pour tous, comme l’impartialité, comme le sincère intérêt que nous portons à tous. Les luttes intertribales
n’existent plus, et les vieux chefs meurent, entourés de respect, même s’ils sont presque ou tout à fait gâteux, si impatients que soient leurs héritiers de leur succéder au pouvoir. Et vous avez encore tous, présents à la mémoire, les noms des glorieux chefs qui ont mené la campagne
antiesclavagiste. Ne serait-il acquis que ce simple résultat - la paix et la tranquillité intérieures - cela justifierait, à lui seul, la présence du Bula-Matari. »
Et il est aisément constatable que, non seulement au Congo mais partout où l’on a eu à libérer des esclaves, on n’a rien fait pour les doter de moyens d’existence. Ils sont instantanément devenus des sous-prolétaires, dont le sort est parfois pireque l’esclavage.
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BECKER (Jérôme) (Calmpthout, 21.S.1850- A n v e r s , 30.3.1912). F i l s d e G u i l l a u m e - J o s e p h et d ' A n n e - M a r i e A n t h o n i s s e n . L i e u t e n a n t a u 5a r é g i m e n t d ' a r t i l l e r i e , d é t a c h é à l ' I n s t i - t u t c a r t o g r a p h i q u e m i l i t a i r e (26 a v r i l 1880).
C ' é t a i t l' é po q u e d e s p r e m i è r e s e x p é d i t i o n s e n A f r i q u e o r g a n i s é e s p a r l ' A s s o c i a t i o n I n - t e r n a t i o n a l e A f r i c a i n e , avec b a s e d e d é p a r t à Z a n z i b a r , s u r la côte o r i e n t a l e d ' A f r i q u e . J é r ô m e B e c k e r p a r t i c i p a à d e u x d e ces e x p é d i t i o n s . Il f i t u n t r o i s i è m e s é j o u r e n A f r i q u e p o u r le compte de l ' E t a t I n d é p e n - d a n t d u Congo, e n d é b a r q u a n t c e t t e f o i s s u r la côte occidentale.
Son p r e m i e r d é p a r t a lieu le 4 j u i n 1SS0, I l f e r a e n A f r i q u e u n s é j o u r d e p r è s d e t r o i s a n n é e s , fécond e n i n c i d e n t s e t e n ré- s u l t a t s . C'est ce s é j o u r q u ' i l a d é p e i n t d a n s son l i v r e : La Vie en Afrique.
L ' e x p é d i t i o n é t a i t p l a c é e sous les o r d r e s d e R a m a e c k e r s e t c o m p t a i t d e u x a u t r e s m e m b r e s , D e L e u et D e Meuse. I l s d é b a r - q u è r e n t à Z a n z i b a r le 30 j u i n . L ' e x p é d i t i o n é t a i t à T a b o r a le 17 s e p t e m b r e et y d e m e u r a j u s q u ' a u 2 n o v e m b r e . D e L e u , c e p e n d a n t , n e p u t c o n t i n u e r . Il é t a i t m a l a d e e t m o u - r u t peu a p r è s . L e 4 d é c e m b r e , B e c k e r e t s e s c o m p a g n o n s a r r i v a i e n t à K a r e m a , s u r l a côte o r i e n t a l e d u lac T a n g a n i k a . Ce p o s t e a v a i t été f o n d é p a r C a m b i e r , qui e n r e m i t le c o m m a n d e m e n t à R a m a e c k e r s le 10 dé-
c e m b r e 1880, a v a n t d e p r e n d r e l a r o u t e du r e t o u r à la côte. B e c k e r p a r t i c i p a active- m e n t a u d é v e l o p p e m e n t et à l'embellisse- m e n t d e K a r e m a j u s q u ' à son d é p a r t p o u r T a b o r a , o ù il d e v a i t r e l e v e r le Dr V a n d e n H e u v e l , en a o û t 1881.
C ' e s t à c e t t e époque q u e B e c k e r e n t r a en r e l a t i o n avec M i r a m b o , l e p u i s s a n t p o t e n t a t a f r i c a i n , le « B o n a p a r t e n o i r », c o m m e on l ' a p p e l l e p a r f o i s . M i r a m b o é t a i t l ' e n n e m i i r r é d u c t i b l e d e s A r a b e s . I l f u t en bon t e r - m e s avec l e s E u r o p é e n s des d i v e r s e s expé- d i t i o n s .
B e c k e r v e n a i t d ' a p p r e n d r e p a r R a m a e - c k e r s q u e l a s i t u a t i o n à K a r e m a é t a i t f o r t t e n d u e p a r s u i t e d e l ' a t t i t u d e m e n a ç a n t e d e s v a s s a u x d e M i r a m b o , qui s ' i m a g i n a i e n t que celui-ci, a p r è s sa v i c t o i r e s u r S i m b a , a l l a i t d é c l a r e r la g u e r r e a u x E u r o p é e n s d u T a n g a n i k a . B e c k e r se r e n d i t chez M i r a m b o , q u i le r e ç u t f o r t c o u r t o i s e m e n t , et o b t i n t d e l u i l ' a s s u r a n c e q u ' i l n e m é d i t a i t a u c u n e a t t a q u e c o n t r e K a r e m a , m a i s encore q u ' i l r a p p e l â t à p l u s d e d i s c r é t i o n ses v a s s a u x t r o p zélés. E n o u t r e il o b t i n t que M i r a m b o r e n o u v e l â t p o u r son c o m p t e la concession de K a r e m a e t d o n n â t a u s s i a u x o c c u p a n t s du p o s t e d e K a r e m a s u z e r a i n e t é s u r les envi- r o n s .
C'est h c e t t e é p o q u e q u ' i l e n t r a en r e l a - t i o n a v e c Tipo-Tipo, qui se t r o u v a i t à T a - b o r a e n t r e d e u x voyages d u et v e r s le M a n i e m a , d ' o ù il v e n a i t d e r a m e n e r u n e g r a n d e c a r a v a n e d ' i v o i r e . Tipo-Tipo l ' i n v i t a h v e n i r chez l u i e t l u i a u r a i t m ê m e p r o m i s u n e concession a u M a n i e m a .
D u r a n t son s é j o u r à T a b o r a , B e c k e r s'oc- c u p a d ' é t a b l i r d e s r e l a t i o n s c o m m e r c i a l e s e t a u t r e s avec l e s A r a b e s , à consolider l ' i n - f l u e n c e d e s E u r o p é e n s p o u r f a c i l i t e r le p a s - s a g e d e s c a r a v a n e s . C ' e s t d e ces c o n t a c t s a v e c les A r a b e s q u e d a t e n t v r a i s e m b l a b l e - m e n t ses s e n t i m e n t s n o n d é g u i s é s en l e u r f a v e u r . I l a t o u j o u r s d é f e n d u l ' é l é m e n t a r a - be e t conseillé des a l l i a n c e s avec e u x . Selon lui, l ' i n f i l t r a t i o n a r a b e a u M a n i e m a f u t t o u t e p a c i f i q u e et l ' a s s i m i l a t i o n de l a popu- l a t i o n f u t r é a l i s é e t o u t n a t u r e l l e m e n t (let- t r e a d r e s s é e à la Gasette, cit. Chapauœ, p. 839). H o d i s t e r é t a i t d ' a i l l e u r s d u m ê m e avis.
B e c k e r f u t , semble-t-il, le p r i n c i p a l i n s t i - g a t e u r d e la v i o l e n t e . c o m p a g n e d e p r e s s e q u i se d é c l e n c h a a p r è s le m a s s a c r e d e la Mission H o d i s t e r . On a v a i t r e j e t é l a f a u t e d e ce m a s s a c r e s u r l e C a p i t a i n e J a c q u e s , qui a v a i t a t t a q u é les A r a b e s à M t o a e t q u ' o n
a c c u s a i t à t o r t d e p r é l e v e r d e s d r o i t s d e p a s s a g e s u r les c a r a v a n e s a r a b e s .
B e c k e r c o n s i d è r e l ' e s c l a v a g e a f r i c a i n u n peu comme la te f a m i l i a » r o m a i n e . Il e s t i m e que c e t t e i n s t i t u t i o n s ' a d a p t e p a r f a i t e m e n t a u c a r a c t è r e d u n è g r e . L ' é t a t d ' e s c l a v a g e a s s u r e la s é c u r i t é , t a n d i s que l ' h o m m e l i b r e e s t s u j e t a u x corvées, a u x e x a c t i o n s de t o u t e s s o r t e s d e ses c h e f s ; il est l ' é t e r n e l l e victime des g u e r r e s e n t r e t r i b u s . L ' e s c l a - v a g e e s t p o u r lui u n e s o r t e d e d é l i v r a n c e q u ' i l accueille avec p l a i s i r . L ' e s c l a v e a f r i - c a i n est b e a u c o u p p l u s h e u r e u x que l ' h o m - m e libre.
A c e t t e époque d e r é a c t i o n s i n t e r n a t i o n a - les c o n t r e l ' e s c l a v a g i s m e , il f a l l a i t u n e g r a n d e i n d é p e n d a n c e d ' e s p r i t p o u r p u b l i e r p a r e i l l e opinion (La Vie en Afrique).
Nous l u i l a i s s o n s la r e s p o n s a b i l i t é d e cet- t e t h è s e .
L e s n é g o c i a t i o n s d e B e c k e r avec M i r a m b o p u r e n t donc a s s u r e r la p a i x a u poste d e K a r e m a . M a l h e u r e u s e m e n t , R a m a e c k e r s , g r a v e m e n t m a l a d e d e p u i s q u e l q u e t e m p s , m o u r a i t le 25 f é v r i e r . D è s q u ' i l a p p r i t c e t t e nouvelle, B e c k e r décida d e se r e n d r e à K a - r e m a p o u r en p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t . I l q u i t t e T a b o r a le 20 m a r s , a p r è s a v o i r c h a r g é les P è r e s B l a n c s d e l ' e n t r e t i e n d u poste, e t il a r r i v a le 24 a v r i l à K a r e m a .
Son p r e m i e r soin f u t d ' é l e v e r u n m a u s o - lée à la m é m o i r e d e R a m a e c k e r s . I l d u t en- s u i t e r e p r e n d r e en m a i n le p e r s o n n e l d e l a s t a t i o n , d o n t l a d i sci p li n e s ' é t a i t f o r t r e l â c h é e a p r è s l a m o r t de R a m a e c k e r s .
11 s ' a t t e l a b i e n t ô t à la t â c h e d e dévelop- per les i n s t a l l a t i o n s créées p a r R a m a e c k e r s . Il s ' y d é p e n s a s a n s c o m p t e r , et l o r s q u e S t o r m s v i n t le r e l e v e r à l a f i n d e l ' a n n é e , il p o u v a i t ê t r e f i e r des r é s u l t a t s a c q u i s . I l a v a i t a c h e v é n o t a m m e n t l a c o n s t r u c t i o n d ' u n borna d e 250 m è t r e s d e long, c r e u s é u n p u i t s , d o t é la s t a t i o n d ' u n e b a r q u e à voile, créé à l ' a i d e d e p o p u l a t i o n s , v e n u e s volon- t a i r e m e n t à s a d e m a n d e , des M a r u n g u , un n o y a u d e colons i n d i g è n e s .
S t o r m s a r r i v a à K a r e m a le 27 s eptem- b r e 1882. I l d e v a i t r e p r e n d r e l ' e x p é d i t i o n P o p e l i n - R o g e r et c r é e r u n e s t a t i o n s u r l a r i v e opposée d u lac T a n g a n i k a . B e c k e r , e s t i m a n t a v o i r a c h e v é sa m i s s i o n , se dispo- s a i t à r e n t r e r , m a i s , , s u r les i n s t a n c e s de S t o r m s , il se d é c i d a à p r o l o n g e r son s é j o u r à. K a r e m a . C ' e s t v e r s c e t t e époque q u e se place u n i n c i d e n t , s a n s g r a n d e i m p o r t a n c e d ' a i l l e u r s , m a i s q u i l u i p e r m i t de f a i r e a v e c à p r o p o s la d é m o n s t r a t i o n p o u r les indigè- n e s d e s e n v i r o n s , d e l a d é t e r m i n a t i o n d e s Belges i n s t a l l é s e n A f r i q u e , d e n e t o l é r e r a u c u n e i n c a r t a d e .
A l a s u i t e d ' u n e q u e r e l l e e n t r e A s k a r i s d u p o s t e e t indigènes, a u c o u r s d e l a q u e l l e d e s A s k a r i s a v a i e n t été' blessés e t dépouil- l é s d e l e u r s a r m e s , B e c k e r , e n p r é s e n c e d u r e f u s d e Y a s s a g u l a , s u l t a n d e -Karema, d e r é p a r e r le p r é j u d i c e c a u s é , a t t a q u a le vil- l a g e et, a v e c ses s o i x a n t e s o l d a t s , m i t e n f u i t e les i n d i g è n e s a u n o m b r e d e p l u s de 500.
Y a s s a g u l a a v a i t é g a l e m e n t p r i s la f u i t e , m a i s u n m o i s p l u s t a r d il v e n a i t f a i r e s a s o u m i s s i o n .
L e 16 n o v e m b r e , B e c k e r q u i t t a K a r e m a et a r r i v a à Z a n z i b a r le 7 f é v r i e r 18S3. I l s'em- b a r q u a à b o r d d u Malacca le 24 m a r s sui- v a n t e t a r r i v a e n B e l g i q u e le 21 m a i .
L e 19 octobre d e la m ê m e a n n é e il r e p a r - t a i t , c o m m e chef d e l a 5° e x p é d i t i o n , com- posée d e D u r u t t e , D h a n i s , D u b o i s e t Mal- l e u r , a n c i e n s o u s - o f f i c i e r a u x t i r a i l l e u r s s é n é g a l a i s . L e b u t d e c e t t e e x p é d i t i o n é t a i t de r e l i e r les s t a t i o n s d u T a n g a n i k a à celles d u Congo, mission que P o p e l i n a v a i t d é j à t e n t é d ' a c c o m p l i r . B e c k e r d e v a i t , lui, t e n - t e r d e p o u s s e r j u s q u ' à N y a n g w e , m a i s l'ex- p é d i t i o n é c h o u a p a r s u i t e d e m u l t i p l e s d i f - f i c u l t é s , n o t a m m e n t l e r e c r u t e m e n t d e s p o r t e u r s e t l ' h o s t i l i t é d u s u l t a n de Z a n z i - b a r , que la r é c e n t e r e c o n n a i s s a n c e d e l ' E t a t I n d é p e n d a n t d u Congo i n d i s p o s a i t à l ' é g a r d
d e s Belges.
B e c k e r , g r a v e m e n t m a l a d e , d u t r e n t r e r et r e m i t le c o m m a n d e m e n t d e l ' e x p é d i t i o n à D u r u t t e , le 15 m a i 1885.
Son t r o i s i è m e d é p a r t v e r s le Congo e u t lieu le 17 s e p t e m b r e 188S. Il p a r t a i t c e t t e f o i s p o u r l ' E t a t I n d é p e n d a n t , en q u a l i t é d e c o m m i s s a i r e d e d i s t r i c t , c h a r g é de f o n d e r un c a m p s u r l ' A r u w i m i , avec R o g e r c o m m e a d j o i n t . Il a r r i v a à B a n a n e le 20 octo- b r e 1888 e t p a s s a q u e l q u e t e m p s d a n s le Bas-Congo a v a n t de s ' e m b a r q u e r p o u r les F a l l s , où il d e v a i t é t a b l i r e t e n t r e t e n i r d e s r e l a t i o n s avec les A r a b e s et n o t a m m e n t a v e c Tipo-Tipo, q u ' i l c o n n a i s s a i t p o u r l ' a v o i r r e n c o n t r é à T a b o r a q u e l q u e s a n n é e s a u p a r - a v a n t .
I l a r r i v a le 10 f é v r i e r a u x F a l l s , d o n t T i p p o - T i p é t a i t s u r le p o i n t d e r e m e t t r e la d i r e c t i o n à son n e v e u R a c h i d .
B e c k e r a v a i t été choisi p o u r c e t t e mis- sion à c a u s e de sa s y m p a t h i e p o u r l ' é l é m e n t a r a b e , m a i s à ce m o m e n t l a p o l i t i q u e d e l ' E t a t I n d é p e n d a n t p r i t u n e a u t r e d i r e c t i o n . L a t a c t i q u e d e l ' i n f i l t r a t i o n a l l a i t f a i r e pla- ce à u n e p o l i t i q u e de f o r c e , e t B e c k e r r e s t a f i d è l e à ses s y m p a t h i e s p r o - a r a b e s .
I l t o m b a e n d i s g r â c e e t d o n n a s a démis- sion. I l semble b i e n q u ' i l a v a i t d e p u i s quel- que t e m p s d é j à l ' i n t e n t i o n d ' a b a n d o n n e r le service a d m i n i s t r a t i f p o u r se c o n s a c r e r üi d e s e x p l o r a t i o n s g é o g r a p h i q u e s p o u r son p r o p r e c o m p t e .
Quoi q u ' i l en soit, a p r è s a v o i r d o n n é sa d é m i s s i o n , il se d i r i g e a a v e c les A r a b e s v e r s D j a b i r . I l e x p l o r a l ' I t i m b i r i ou R u b i e t r e m o n t a v e r s le N o r d d e l ' U e l e p a r la L i k a t i , se r e n d i t à D j a b i r , r e v i n t à B u m b a .
I l r e n t r a en E u r o p e le 27 j u i n 1890.
I l v é c u t e n B e l g i q u e u n e vie f o r t s i m p l e et s a n s g r a n d e s r e l a t i o n s . Un seul i n c i d e n t e s t à n o t e r a u c o u r s d e c e t t e p é r i o d e , inci- d e n t r a p p o r t é p a r l a Tribune congolaise, à l a q u e l l e il a v a i t collaboré. A y a n t é t é a c c u s é p u b l i q u e m e n t d ' a v o i r commis des m a l v e r - s a t i o n s p e n d a n t son s é j o u r en A f r i q u e , B e c k e r n e se c o n t e n t a p a s d ' a s s i g n e r l'in- d i v i d u — u n o f f i c i e r r e t r a i t é — en j u s t i c e , m a i s il d e m a n d a l u i - m ê m e l ' o u v e r t u r e d ' u n e p o u r s u i t e à s a c h a r g e . L e Conseil d e g u e r r e l ' a c q u i t t a à l ' u n a n i m i t é et, le j u g e m e n t r e n - d u , t o u s les o f f i c i e r s qui le c o m p o s a i e n t v i n r e n t l u i s e r r e r la m a i n . L ' a c c u s a t e u r d e B e c k e r f u t , de son côté, c o n d a m n é à neuf m o i s de p r i s o n . Celui-ci l ' a v a i t m ê m e accusé d ' a v o i r v o u l u t u e r son chef R a m a e c k e r s à K a r e m a , a c c u s a t i o n q u ' i l p u t t r è s f a c i l e - m e n t r é d u i r e à n é a n t , g r â c e à u n e l e t t r e é c r i t e p a r R a m a e c k e r s six s e m a i n e s a p r è s la soi-disant t e n t a t i v e d e m e u r t r e .
P u i s B e c k e r q u i t t a l ' a r m é e et il a l l a à M a d a g a s c a r et à S a i n t - D o m i n g u e , m a i s il n e se r e m i t j a m a i s c o m p l è t e m e n t d e s émo- t i o n s d e son procès.
C a p i t a i n e d ' a r t i l l e r i e en r e t r a i t e , il f u t n o m m é , e n 1902, i n s p e c t e u r d e s e x p l o s i f s à Lillo.
L e 30 m a r s 1912 il m o u r u t d ' u n e h é m o r r a - gie c é r é b r a l e , à la s u i t e d ' u n e c h u t e q u ' i l f i t en t r a v e r s a n t la p l a c e S a i n t - J e a n à A n v e r s .
Il e u t des f u n é r a i l l e s t r è s s i m p l e s et f u t i n h u m é a u c i m e t i è r e de Kiel, où le Conseil c o m m u n a l d ' A n v e r s lui éleva u n m o d e s t e m o n u m e n t f u n é r a i r e .
B e c k e r é t a i t décoré d e l ' E t o i l e de service et de l ' O r d r e m u s u l m a n d u M e d j i d i é .
I l e s t l ' a u t e u r de La Vie en Afrique ou Trois ans dans l'Afrique centrale, en d e u x volumes, p u b l i é p a r J . L e b è g u e e t Cie, P a r i s - B r u x e l l e s , 1887.
12 j u i n 1947.
E. Dessy.
Chapaux, Le Congo, Rozez, Bruxelles, 1894, pp. 26-29, 49-50, 176, 185, 211, 213, 214, 288, 839, 843. — Lotar, P. L., La Grande Chronique de l'Uele, Mémoires de l'Institut Royal Colonial Belge, 1946. — Banning, E., Mémoires politiques et diplomatiques, Bruxelles, 1927, pp. 155, 291.
— Bull. Soc. Royale de Gêogr. d'Anvers, 1907- 1908, pp. 522, 535. — Delcomnmne, Vingt années de vie africaine, Larcier, Bruxelles, 1922, T, I, pp. 137, 138. — Stanley, Dans la s ténèbres de
l'Afrique, Paria, 1896, t. I I . p. 428. — Motilaert, Campagne du Tangariika, Bruxelles, 1934, p. 151.
— Terhoeven, Jacques- de Dixmude, Bruxelles, 1929, p. 48, •— Defester, Les pionniers belges au Congo, Du culot. Tamines, 1927, pp. 25, 104. — Daye, P., Léopold II, Paris, 1934, p. 299. — A nos Héros coloniaux, pp. 44. 50-52, 124, 207. — Bull.
Soc. Royale Belge de Géogr., 1880, p. 326 ; 1887, p. 81; 1880, pp. 619, 713; 1881, p. 106, — Thomson, Fondation de l'E. I. C.. p. 59. — Boulger, The Congo State, Londres, 1898, pp. 24-25. — Bull.
Soc. Géogr. d'Anvers, 1880-1881, p. 446. — Mou- vement géogr., 1912. p. 240. — Périer, G. D., Petite Histoire des lettres conf. de Belg., Bruxel-
les, 1942, pp. 21, 30. — Tribune congolaise des 6 avril 1912; 29 j u i n 1912; 26 février 1914; 15 jan- vier 1903. — Becber, La Vie en Afrique, Bruxel- les, Lebègue, 1887. — Masoin, Hist, de l'E. I. C., Namur, 1913. — Dupont, Lettres sur le Congo, Paris, 1889, p. 529. — Mouvement antiesclav., avril 1890, p. 144. — Bibliogr. privée de Dejon- ghe. Bull, Vêt. Col., numéro spécial février 1947, p. 33.
Inst. roy. colon. belge Biographie Coloniale Belge, T. I, 1948, col. 93-98
LA VIE EN AFRIQUE
IMPR. ET LITH. AD. MERTENS,
RUE D'OR, 12, BRUXELLES,ET RIE DESARCHIVES, 5, PARIS.
VIE EN AFRIQUE LA
OU
TROIS ANS DANS L'AFRIQUE CENTRALE
JEROME
PARBECKER
Lieutenant du 5e Rég. d'Artillerie de Belgique
avec Préface du
CteGOBLET D'ALVIELLA
Président de la Société royale belge de Géographie
ET DE
150 DESSINS ORIGINAUX
SIGNÉS: ABRY, BERTRAND,BROERMAN,COCRTENS, DELL'ACQUA,DIERICKX,0. et J. DILLENS,
DE RUDDER, DUYCK, FARASYN, FRÉDÉRIC, HRINS, HERBO, HOUBBN, HUBERT, LAGAE, LAMBEAUX, LAMORINIBRE, MOLS, PORTAELS, SERRURE, SIMONS, SMITS, VANAISE. VAN
CAMP, VAN ENGELEN, VAN KUYCK, VAN LEEMPDTTEN, VERHAERT, VERLAT,VERSTRAETB
et WYTSMAN,
TOME II
J. LEBÈGUE & Cie, ÉDITEURS.
PARIS
25, RUE DE LILLE, 25
BRUXELLES
46, RUE DE LA MADELEINE, 46
1887
PORTRAIT DE L'AUTEUR, EN COSTUME DE STATION.
(Photogravure,il après un portraitdo LÉON HERCO.)
LA VIE
CHAPITRE XXIt
Déconvenue! — All'swell thatends well ! — La revanche de M. Sergère. — Les Pères de la Mission Algérienne. — La tombed'Albertde Leuau cimetièreeuro-
péan de Tabora. — Tchiano et Songoro, le Balafré. — Capitani et Férouzi. — Je vais habiterle tenibé de M. Sergère. — Départdu docteur Van den Heuvel.—
Double disparition. — L'âne retrouvé. — Sikoukou, ou jour d'étrennes. — Barouti. — Un homme libre pour 75 francs ! — Monpersonnel. — Bien-être.—
L'inventaire. — Héros et mendiant. — Détails de ménage. — Les odeurs de Tabora.—Désordre.— Similla!Similléni! — Le marchéPhoenix.— Cuisine.—
Les Oua-Nyamouézis chez eux.—Patte de velours.—Lété kahaoua! — Soûltan
Bin Ali, l'ancien.— Me voilàmédecin.—Zeid bin Djouma, le riche marchand.— Salim bin Sef, l'amphytrion.— Les ânes. — Arabes et Européens.—Lesdeux boudions.—Un revenant et un argument.
Le docteur est venu à rua rencontre, vêtu, comme un garibal-
dien, d'un gilet de flanelle rouge.
Je
le trouvefort
engraissédepuisnotre passage. Lorsque nous étions arrivés ici, une longue
indisposition,des ennuis et des soucis de toutes sortes lui avaient fait perdre un peu de sa sérénité d'âme. Maisla perspectived'un
retour
à la Côte,si longtemps différé, la lui a rendue tout entière.Il
rit,
il plaisante. Le voyage ne l'effraie pas plus qu'une simple partie de campagne. «lime
semble, dit-il, quej'irai à
Zanzibaren me promenant. »
lien
est toujours ainsi lorsqu'ils'agit
deregagner
la Côte. Nègres et blancs se sentent pousseraux
piedsles ailes symboliques du pédase mercurien.
Je
suisfort
impatient de voir le beau tembé, annoncépar
ledocteur. C'est, en effet, une habitation princière, pour le pays,
bien située, spacieuse
et
commode. M. Van den Heuvel.me laT.
n
210 LA VIE EN AFRIQUE
fait
admirer en détailet
écoute, en souriant, mes projets d'emmé- nagementet
de transformation. Puis, quandje
me suis bienemballé, comme on dit vulgairement :
— Belle cage,
n'est-ce
pas ?— Magnifique,
et
quand çasera
un peu mieuxarrangé !...
— Bah ! C'est affaire
aux
nouveauxpropriétaires.
— Comment
aux nouveaux?...
— Mais, oui !
Je
viens de vendre auxPères
Algériens.—
Vendre!
Quoivendre
? MonTembé?...
»—
Parfaitement, et
auprix
coûtant encore.— Mais
c'est
abominable !... Oùlogerai-je,
moi?— Où
tu pourras.
— Mais pourquoi avoir vendu ?
— Ah ! voilà. !
Parce
quej'ai reçu l'ordre...
Des deux chososl'une,
outu
n'obtiendras pas plus de. concession que moi-même,et tu
neresteras
pas longtemps ici ; outu
endécrocheras une,et bâtiras
dessus àta guise... J'avais cru
pouvoir profiter d'une occasionexceptionnelle...
L'Association doitavoir le projet
desupprimer
la
Station et lesPères
se sont présentésjuste
à point.«
All 's well that ends
well! »Je
suis on ne peut pluscontrarié, car
me voilà avec un nouvel emménagementsur
lesbras
! Du moins ne fallait-il pas me fairevenir l'eau
à la bouche ! Toutefois, enattendant
sondépart et la
prise de possession du fameux tembépar
la Missionfrançaise.
M.
Van
den Heuvela
continuéà y demeurer et je m'y
installe provisoirement.Et
comme, en ce bas monde, ilfaut prendre
sonparti
detout, je
finispar rire tout le premier
dema
déconvenue.Dîner excellent, mais pas une
goutte
de vin. Enrevanche,
du Pombé fraîchementbrassé.
— M.
Sergère
a mis sa menace à exécution. Le Gouverneur Abdallah bin Nassibs'est
vu intimerl'ordre
de serendre
à Zan- zibar. Cerappel a
causé dansla
Colonie Arabe unegrande
sensation. En effet, une pareille mesure ne s'applique que dans des casgraves, et, jusqu'ici,jamais
les Sultans de Zanzibarn'en avaient
usé. Abdallah, quelquehabitué
qu'ilfût à substituer
sespropres
convenancesaux ordres
de son souverain,s'est exécuté
immédiatementet
estparti
presque en même temps queRoger,
en installant sonfrère,
commeGouverneur intérimaire. C'était,
d'ailleurs, le meilleurparti
qu'ileût
àprendre. En
cas de résis-CHAPITRE XXII IL tance do sa
part,
les Arabes influents de la localité se seraientempressés de le déposséder, tellement est
ancré
dans leursmoeurs le
respect
del'autorité
dynastique, tandis qu'en main-tenant
Skeik bin Nassibau
poste, qu'il espère bienreprendre,
après avoir coloré sa conduite de semblants de fidélité, il main- tient dansl'ordre
des ambitions, habilement bridées, pendant sa longueet
despotique régence.Au dessert, nous recevons la visite des
Pères
de la Mission française, venant de Mdabourou,et
qui occupentnotre
ancientembé de
Barein. Ils
ne sont que deux, MM. Guillet et Blanc, assistés d'un auxiliaire laïque, du nom de Visscher, hollandaisdo naissance
et
ancien zouave pontifical, envoyé icipar
Mon-seigneur de
la
Vigerie. Avantd'être
dirigésvers
l'Afriquecentrale,
ils ont passépar
le stage de la MaisonCarrée
d'Alger,où tous les missionnaires doivent, d'abord, recevoir
leur instruc-
tion théorique et
pratique.
Les Missionnaires de Mdabourou avaient des
lettres
dere-
commandation du Saïd pour Mounié Mtoina, qui les logea pendant quelques
jours
dans sonpropre
Tembé. On se rappelleque les Arabes ne pronostiquaient
rien
de bon decet
établis- sement,au
sein d'une contrée, récemmentravagée par la guerre
et menacée de dangereuses représailles, de lapart
desvaincus encore réfugiés dans le
Pori.
Nos nouveaux amis ont fait là un rude apprentissage. Dès l'abord, ils se sont vus obligésde se
ravitailler
à Tabora,car
iln'a
pas été question de récolte pour cettepartie
de l'Ou-Gogo. Ils avaientcru
pouvoir emmé-nager dans un tembé abandonné, situé à quelques minutes du Borna de Mounié Mtoina, mais au lieu des anciens habitants,
qu'ils espéraient évangéliser, ce sont les Rougas-Rougas de
Nyoungou qui sont venus, assiégeant
leur
demeure. Ils ont dûretourner
précipitamment au villageet bâtir
une habitationmoins exposée à de semblables visites. A ce que
je
crois com- prendre, la Mission de Mdabourou neserait
conservée que com-'me simple Station en
rapport
avec celle de Tabora, voire défi-nitivement supprimée, au profit d'établissements plus pratiques.
Tous les sujets de Mounié Mtoina
étant
musulmans, faute de population indigène, le but desPères
est nécessairement manqué.12 LA
VIE
EN AFRIQUEMM. Guillet
et
Blanc se proposentd'étudier
leterrain
pourtâcher d'établir d'autres
Missions dans l'Ou-Nyaniembé,et sur- tout
dans le Massanzé. Envenant
ici, ils ontrencontré
le Gou-verneur, pour lequel
ilsportaient
deslettres expresses
du SaïdBargash.
Abdallah bin Nassibs'est contenté
deleur dire, qu'al- lant régler
quelques questionsd'intérêt avec
M:Sergère,
il lesadressait
entoute confiance
à son digneparent.
Celui-ci,de son côté,leur
a promis des enfantspar centaines, naturellement
moyennant finances. Aussi lesPères
ont-ils acceptéavec
em-pressement les
ouvertures
dudocteur Van
don Heuvel. Defait,
5000francs pour
une pareille construction,entourée
deprès
dedeux arpents
deterrain, c'est
donné ! Ils vont immédiatementy
fonder un Orphelinat, à
l'instar
des Missionnairesde Bagamoyo, avec adjonction d'une forgeet
d'unatelier
decharpente,
pouroffrir à
leurs
pupillesfuturs
une double éducation moraleet
professionnelle. Ils essaieront aussi
d'obtenir
une concessionpour étendre leurs cultures.
M. Guillet offre le
vrai
type du missionnairefrançais. J'ai rarement rencontré un
homme plus affable, plusinstruit et
plusvirilement attaché
à ses convictions. De taille moyenneet portant entière
une bellebarbe noire, il
ne doitavoir guères
plus d'unequarantaine
d'années. Quoiquefait
de longuedate
aux voyages,et ayant
débuté dansla carrière par
destournées dans le
Sahara, et au
Cap de Bonne-Espérance, il paie, comme tous, sontribut aux
influences climatériques.Mais déjà il commence
à
seremettre. Je
me promets delier avec
lui desrapports
suivis,car
il m'a réellementtenu
sousle charme de ses
manières
exquiseset
de soninaltérable
cordialité. Leclergé français s'entend
à choisir ses hommes.C'est moins de théologiens
et
d'oxaltés qu'on a besoin ici, que depatients
apôtreset de... charmeurs.
Le
Père
Blanc faitcontraste
avec M. Guillet, en même temps qu'il le complète. Sans comparaisonimpertinente, je
dirai volontiers quel'un représente,
plusparticulièrement,
latête
de la Mission,et l'autre
lebras.
Grandet fort,
blond comme unAllemand des bords du Rhin, M. Blanc est
expert
dans plusieurs métiers. Il excelle,surtout,
dansla
constructionet
dans lachar- pente.
C'est lui quifera,
desjeunes
Africains évangéliséspar
son
camarade,
desouvriers et
dosagriculteurs.
LE TEMBÉ DU DOCTEUR VAN DEN HEUVEL. (Dessin de A. HEINS.)
CHAPITRE XXII 15 Tous deux ne
portent la
soutane qu'exceptionnellement,dansl'exercice
du Culteet
dans lesrapports
officiels avecla
Colonie Arabe qui les voit de bon oeil.Il
serait difficile detenir rigueur
à de pareils voisin?,
réservés,
obligeants, inoffensifset... ne
manifestant aucune velléité commerciale.
MM. Guillet
et
Blancparlent
parfaitementl'Arabe.
Ils com- mencent à semettre
aucourant
du Ki-Souahili.Une nouvelle que
j'ignorais
entièrement,c'est
celle du mas- sacre, dans l'Ou-Roundi, de deuxPères
Algérienset
d'un de noscompatriotes, M. Félix d'Hoop de Gand, ancien zouave ponti-
fical, comme
la
plupart desauxiliaires
laïquesattachés aux
Missions Africaines. Quoique ce lamentable événement se soit passé le 5 mai, à l'époque de mon
départ,
nousn'en
étions pasencore informés, à Karéma,
et j'en
tiens les premiers détails dela
bouche de MM. Blancet
Guillet.Cinq Missionnaires français, les
Pères
Deniaud, Dromaux, Baumeisteret
Augier,s'étaient
établis, avec M. d'Hoop,sur la rive
orientale du Lac, dans unetribu
de Oua-Roumoungués,et
yavaient déjà formé un vaste établissement, pourvu de nombreux pupilles.
A plusieurs
reprises,
des envoyés du SultanBikari étaient
venus lesengager à
sefixer sur
sonterritoire, ce
qu'ilsavaient
dû
refuser,
à cause de l'insalubrité notoire docette
régionmaré-
cageuse. Il en
était
résulté une hostilité, d'abord sourde, puis bientôt déclarée. Les Oua-Bikarisvoulurent
s'opposer àla
vente d'enfants,auxPères
Algériens,etallèrent jusqu'à capturer
ceux de
leurs
élèves quis'aventuraient
un peu loin dela
Mis-sion.
Toutefois, comme il était impossible de
prouver
ces méfaits, lasPères durent
se contenter defaire
meilleuregarde.
Enfin, un petit
nègro
fut volé, dans des circonstances telles qu'aucun doute ne pouvait subsister. L'enfant,vainement réclamé à plusieurs reprises, les Missionnaires,soutenuspar
lesindigènes,manifestèrent l'intention de le
reprendre
de vive force. Aussitôt les Oua-Bikaris, qui ne demandaient qu'unprétexte, prirent
lesarmes
et marchèrent
en massecontre la
maison de ceux qui n'avaient pas vouludevenir leurs
hôtes. LesPères
Deniaud et Augier, aiusi que M. d'Hoop, sortisles
premiers, tombèrentper-
cés de flèches
et
leurs compagnons nepurent recueillir
queleur
16 LA
VIE
EN AFRIQUEdernier
souffle. Cependant, les assassinss'étant retirés
sansfaire
mine derenouveler leur attaque,
quelquesjours après,
lesPères
Dromeauxet Baumeister purent s'embarquer
avec tousleurs
pupillessur
desbarques
que les Missionnaires, établisau
Massanzé, del'autre côté
du Lac,leur avaient
envoyées à lahâte.
Jusqu'à
cejour,
l'odieuxmassacre,
commispar
une poignée de bandits,n'a reçu aucun
châtiment. Voilà comment les Blancsn'ont
pas même ici leprestige
du plus misérable Sultan indi- gène !— A un
quart
de lieue de Tchem-Tchem,sur
leversant
occi-dental des
hauteurs
quiregardent Tabora,
setrouve
le tombeaudu lieutenant Albert de Leu. Dès le lendemain de mon
arrivée, je m'y rends
enpèlerinage
avec ledocteur.
Une simplecroix
de bois
noir
indiquela
place où reposenotre pauvre
etregretté
compagnon. La fosse, quoique
jonchée
de rocailles,parait
avoirété
visitéepar
les animauxnécrophages,
aussi me proposé-jede
l'entourer
d'une palissade.Les tombes, au nombre de cinq, des
Pères
Algériens, morts à Tabora, sont creusées à quelque distance.— Le
docteur
aà
son servicedeux petits
boys, qui lui ontété
donnés
par
les Arabes. Tchiano,jeune vaurien d'une
quinzained'années, né
dans l'Ou-Emba,et
déjàfort au courant
de sabesogne de
page,
suivra sonmaître
àZanzibar.
Quant à Songoro, qui
n'a guères
plu3 de douzeans,
ilrestera
acquis à mon personnel.
L'un et l'autre
commencent à cuisiner.Malheureusement, le
dernier ne
paie pas de mine, horriblement défiguré, qu'il aété, par
les griffes d'unehyène,
dans un Cambi,sur la route
de l'Ou-Emba àTabora.
Tousdeux,
gentils, éveilléset
intelligents, n'ont pasdroit
à la solde. Ils sontnourris
dela
desserteet
habillésaux frais
dumaître. L'annonce
deleur
sépa-ration
prochaineparaît
les affecter beaucoup.J'engage
aussi,dès le lendemain, comme domestiques, deux anciens
courriers,
Capitani, ainsi nommé
parce
qu'il avoyagé
avecle
capitaineCarter, et
Férouzi, oupierre
précieuse.Décidément l'Afrique est semée de diamants!—
La
question de mon logementfutur est tranchée
plustôt
CHAPITRE XXII 17 que
je
ne croyais. Uncertain
Sef bin Saad, marchand arabe, représentant de M. Sergère et chargé de sa liquidation, est venume présenter lo tembé deTchem-Tchem,abandonné
par
ce der-nier,
mais lui appartenant toujours.Bâti par un des fondateurs de la Colonie, près de la source qui
a donné son nom au village indigène, ce tembé est certainement
un des plus considérables de l'agglomération.Je
l'arrête
à raisonde 3 pièces d'étoffe
par
mois, soit 18 dollars.La porte d'entrée, magnifiquement sculptée, est précédée d'un Barza extérieur, communiquant avec le Barza
intérieur par
plusieurs fenêtres. Magasins, contenant encore quelquesmarchandises de M. Sergère, cuisines, écuries, poulaillers, clo-
set...
plus ou moinswater, rien n'y
manque. Au fond de la vaste cour, s'étendentplusieurspièces spacieuseset
commodes.servant aux logements particuliers. Ils sont meublés, à l'européenne, delits, de chaises et de tables, mais sans luxe aucun. Le
strict
nécessaire.
Les armoires, condamnées ici à cause des fourmis, sont rem-
placées
par
des niches ogivales, creusées àhauteur
convenable, dans les épaisses murailles, plaquées d'uneterre
ocreuse.L'aire battue'est
recouverte de nattes blanches, tressées d'herbessèches,
par
les indigènes.Autour du bâtiment, s'étend un
terrain
d'une cinquantaine de toises carrées, entouré de haies d'euphorbe. Quelques voisins pratiques se sont empressés de le transformer, àleur
profit, enchamps de manioc.
PlustardJ'y
ménageraiunjardin potager,grâce
aux semencesque me laisse le docteur. Des limoniers, des orangers, des man- guiers et deux dattiers, mâle
et
femelle, me donneront dufruit.
Le seul défaut de ce tembé, c'est qu'il est situé dans une
espèce de bas-fond qui le
rendrait
d'un séjour malsain, pendant la saison des pluies. Maisje pourrai
toujoursy
renoncer encas de circonstances majeures.
Pendant que
je
m'installe, Sef bin Saad fait enlever, pour les envoyer à la Côte, les dents d'ivoire quiy
sont demeurées.— Les Askaris de l'escorte, conduits
par
Forhan,retournent
à Tabora après deux