Apprendre les mathématiques à
partir d’exemples abstraits :
les résultats de Kaminski
sont-ils convaincants ?
Dirk De Bock, Johan Deprez,
Wim Van Dooren, Michel Roelens,
• Johan Deprez
♦ professeur de mathématiques, Faculteit Economie en Management, HUBrussel (EHSAL)
♦ professeur/assistent, Agrégation de
l'Enseignement Secondaire Supérieur, Universiteit Antwerpen et KULeuven
♦ membre de la rédaction de la revue Uitwiskeling
• Dirk De Bock
♦ professeur de mathématiques et coordinateur du groupe de recherche Educational Research &
Development, Faculteit Economie en Management, HUBrussel (EHSAL)
♦ chercheur au Centrum voor Instructiepsychologie en –technologie (Departement Pedagogische
Les mathématiques abstraite s’apprennent
mieux que les exemples pratiques
Est-ce que les mathématiques à l’école s’occupent des
trains qui meuvent, …, des paysans qui
sèment ? Ou
d’équations abstraites contenant des x et y et des fractions et des
carrés ? Et lesquelles des deux fonctionnent
Les exemples sont mauvais
pour l’apprentissage des
mathématiques
Introduction
articles sont inspirés par
• thèse de doctorat
Kaminski, J. A. (2006). The effects of concreteness on learning, transfer, and representation of mathematical concepts.
• série d’articles dans des revues
scientifiques
…
Kaminski, J. A., Sloutsky, V. M., &
Heckler, A. F. (2008). The advantage of abstract examples in learning
Kaminski et ses collaborateurs
• ont mis en doute la conviction comme quoi
l’apprentissage des maths se déroule du concret à
l’abstrait
“Instantiating an abstract concept in concrete contexts places the additional demand on the learner of
ignoring irrelevant, salient superficial information,
making the process of abstracting common structure more difficult than if a generic instantiation were considered” (Kaminski, 2006, p. 114)
• série d’expériences contrôlées avec (principalement)
des étudiants bacheliers en psychologie
Kaminski et ses collaborateurs
conclusion principale
“If the goal of teaching mathematics is to produce
knowledge that students can apply to multiple
situations, then representing mathematical
concepts through generic instantiations, such
as traditional symbolic notation, may be more
effective than a series of “good examples”.”
Réactions critiques de collègues
chercheurs
• dans le Educational Forum et les e-letters de
Science :
♦ Cutrona, 2008
♦ Mourrat, 2008
♦ Podolefsky & Finkelstein, 2008
♦ …
• research commentary par Jones dans le Journal
for Research in Mathematics Education (2009)
• dans des médias moins formels
Cette présentation
1. Introduction
2. Groupe commutatif d’ordre 3
3. L’étude de Kaminski et ses collaborateurs
4. Quelques éléments importants de critique
1. Une comparaison injuste
2. Qu’est-ce que les étudiants ont vraiment appris ? 3. Transfert à un groupe d’ordre 4
4. Est-ce que les résultats de Kaminski peuvent être généralisés ? 5. Quelques éléments supplémentaires de critique
5. A la recherche d’évidence empirique
6. Considérations finales
Groupe commutatif d’ordre 3
• un ensemble G de 3 éléments …
exemples :
♦ {0,1,2}
♦
{r
120°, r
240°, r
0°} , où r
120°dénote la rotation de 120°
♦ {a, b, c} où a, b et c ne sont pas précisés
• muni d’une opération * …
♦ {0,1,2} : addition modulo 3, par exemple : 2+2=1
♦
{r
120°, r
240°, r
0°} : appliquer les rotations successivement,
par exemple : d’abord r
120°, puis r
240°donne r
0°♦ {a, b, c} : l’opération est décrite par un tableau 3 sur 3
Groupe commutatif d’ordre 3
• un ensemble G de 3 éléments …
• muni d’une opération * …
• qui remplit certaines conditions :
♦ commutativité : x*y=y*x pour chaque x et y dans G
♦ associativité : (x*y)*z=x*(y*z) pour chaque x, y et z dans G
♦ l’existence d’un élément neutre : G contient un élément n pour lequel x*n=x=n*x pour chaque x dans G
♦ l’existence d’un élément inverse : pour chaque élément x dans G il y a un élément x’ pour lequel x*x’=n=x’*x
les deux exemples sont des groupes isomorphes
0
1
2
L’étude de Kaminski et ses
collaborateurs
L’expérience de base de Kaminski
(80 étudiants bachelier)
Phase 1 :
Domaine d’instruction
étude +test
Phase 2 :
Domaine de transfert
présentation + test
T : Jeu pour enfants A : Tablettes d’argile
d’un site archéologique
Phase 1
• instruction :
♦ introduction ♦ présentation
explicite des règles par exemples
♦ exercices avec feedback
♦ exemples complexes ♦ résumé des règles
• test
d’apprentissage :
24 questions à
choix multiples
Phase 2
• présentation
♦ introduction au jeu
♦ “Les règles du système que tu as appris tout à
l’heure sont comme les règles du jeu.”
♦ 12 exemples de combinaisons
• test de transfert
Resultats
• test d’apprentissage : A = C
• test de transfert : A > C
Quelques éléments importants
de critique
1. Une comparaison injuste
• Kaminski a contrôlé la “similitude superficielle”
(autres) étudiants bacheliers qui uniquement ont lu des descriptions des contextes T-A ou T-C et ils ont indiqué le degré de ressemblance qu’ils percevaient
peu de ressemblances
pas de différence significative entre T-A vs. T-C
• critiques : comparaison injuste à cause de
similitudes à un niveau plus profond entre T et
A
(McCallum, 2008; Cutrona, 2009; Deprez, 2008; Jones,
A
C
1. Une comparaison injuste
1. rôle joué par des connaissances
préalables
A et T :
♦ symboles arbitraires
♦ opérations déterminées uniquement par des règles formelles
♦ message : connaissances préalables sont inutiles !
C : interprétation physique/numérique
♦ … pour les symboles ♦ … pour les opérations
♦ message : connaissances préalables sont utiles !
A est beaucoup plus similaire à T que C
A
C
1. Une comparaison injuste
2. le concept mathématique appris
A et T : groupe commutatif
(commutativité, associativité, existence d’un élément neutre, existence des éléments inverses)
C : communiqué explicitement (groupe commutatif) vs. communiqué implicitement (addition modulaire) les deux sont des concepts importants en maths
… mais il s’agit de concepts différents !
♦ 2 et 3 éléments : uniquement le groupe déterminé par l’addition modulaire
♦ n éléments, n>3, non-premier : il y a d’autres groupes que le groupe déterminé par l’addition modulaire
A
C
1. Une comparaison injuste
3. structure mathématique
A : élém. neutre n, 2 générateurs symétriques a et b
♦ {n,a,b},
♦ (1.1) a+a=b, ♦ (1.2) b+b=a
♦ (1.3) a+b=b+a=n
C : symétrie rompue (12), un générateur a
♦ {n,a,b}
♦ (2.1) a+a=b ♦ (2.2) a+a+a=n
structures équivalentes …
… mais des aspects différents sont accentués
A/C apercevaient/ignoraient des aspects différents structure de T = structure de A ≠ structure de C
A
C
T
1+1=2
1+1+1=3
2. Qu’est-ce que les étudiants ont
vraiment appris ?
• Questions à choix multiples ne donnent pas d’informations pour savoir comment les sujets ont trouvé la réponse.
• Qu’est-ce que les étudiants ont réellement appris ?
♦ appliquer un ensemble de règles spécifiques ? ♦ addition modulo 3 ?
♦ propriétés d’un groupe commutatif d’ordre 3 (commutativité, … ) ? ♦ …
• Est-ce que les sujets appliquent les propriétés d’un groupe commutatif de façon consciente ?
♦ Les sujets sont habitués à ces propriétés par leurs expériences dans les systèmes de calcul traditionnels.
♦ En plus, ils ne connaissent pas de systèmes de calculs dans lesquels ces propriétés ne sont pas valables.
3. Transfert à un groupe d’ordre 4
• une expérience de la thèse de doctorat de
Kaminski qui n’est pas rapportée dans
Science et les autres revues
• notre interprétation des résultats de cette
expérience
• un nouveau test de transfert concernant un
groupe d’ordre 4 : cf. dia suivant
• Répondez aux trois premières questions du
test !
3. Transfert à un groupe d’ordre 4
• premier domaine d’instruction de cette
nouvelle expérience = domaine d’instruction
A de l’expérience de base (tablettes d’argile)
• résultats pour le nouveau test de transfert
n’étaient pas bons : statistiquement pas
discernables de simples réponses aléatoires
• transfert à partir du domaine d’instruction A
est très limité ! ( titre affirmatif de Kaminski
et al dans Science)
3. Transfert à un groupe d’ordre 4
• deuxième domaine d’instruction de l’expérience
nouvelle = domaine d’instruction A de
l’expérience de base + ‘diagramme relationnel’
• bons résultats au nouveau test de transfert
• diagramme communique le caractère cyclique
du groupe (équivalent à l’addition modulaire)
3. Transfert à un groupe d’ordre 4
• troisième domaine d’instruction de
l’expérience nouvelle est un domaine concret
avec une ‘représentation graphique’
• bons résultats au nouveau test de transfert
• bon transfert à partir d’un exemple concret
3. Transfert à un groupe d’ordre 4
Cette expérience de Kaminski et ses
collaborateurs donne une autre impression que
l’expérience de base :
•pas de transfert à partir du domaine
d’instruction abstrait
•bon transfert à partir d’un domaine
d’instruction concret
4. Est-ce que les résultats de Kaminski
peuvent être généralisés ?
• Kaminski et al. dans Science, 2008, p. 455
“Moreover, because the concept used in this research involved basic mathematical principles and test questions both novel
and complex, these findings could likely be generalized to
other areas of mathematics. For example, solution strategies
may be less likely to transfer from problems involving moving trains or changing water levels than from problems involving only variables and numbers.”
• beaucoup de chercheurs ont exprimé des doutes
• une question spécifique concernant généralisabilité :
Est-ce qu’il est possible de construire un domaine d’instruction dans le style de Kaminski pour des objets mathématiques un petit peu plus complexes, notamment les groupes cycliques d’ordre 4 et plus ?
4. Est-ce que les résultats de Kaminski
peuvent être généralisés ?
• Domaine d’instruction abstrait dans le style de Kaminski
pour les groupes cycliques d’ordre 4 et plus ?
• ordre 3 : él. neutre n, 2 générateurs symétriques a et b
♦ {n,a,b},
♦ (1.1) a+a=b, ♦ (1.2) b+b=a
♦ (1.3) a+b=b+a=n
• table de Cayley d’un groupe commutatif d’ordre 3
n a b n n a b n n a b n a b n n a b n a b n n a b
4. Est-ce que les résultats de Kaminski
peuvent être généralisés ?
• Domaine d’instruction abstrait dans le style de Kaminski
pour les groupes cycliques d’ordre 4 et plus ?
• table de Cayley pour le groupe cyclique d’ordre 4
(un des deux groupes d’ordre 4)
♦ 16 cellules
♦ 9 cellules à faire après application du règle de l’élément neutre ♦ 3+2+1 = 6 règles spécifiques
♦ 3 cellules en appliquant la propriété de la commutativité
n a b c n a b c n a b c n n a b c a a b b c c n a b c n n a b c a a b c n b b n a c c b n a b c n n a b c a a b c n b b c n a c c n a b
4. Est-ce que les résultats de Kaminski
peuvent être généralisés ?
• Groupes cycliques d’ordre …
♦ … 5 : 4+3+2+1 = 10 règles spécifiques ♦ … 6 : 5+4+3+2+1 = 15 règles spécifiques ♦ 7, 8, 9, … : 21, 28, 36, … règles spécifiques
• notre étude empirique : sujets dans le domaine
d’instruction abstrait de l’expérience de base de Kaminski
appliquaient surtout les règles spécifiques
• Probablement, un domaine d’instruction abstrait dans le
style de Kaminski ne conduira ni à l’apprentissage des
groupes cycliques d’ordre 4 et plus ni au transfert réussit.
n a b c n n a b c a a b c n b b c n a c c n a b
5. Quelques éléments supplémentaires
de critique
• Transfert dans l’expérience de base de Kaminski est
♦ transfert proche (pour la domaine d’instruction A) ♦ transfert immédiat ( transfert à long terme)
♦ transfert provoqué ( transfert spontané)
transfert dans une situation d’enseignement réelle !
• phase d’instruction concrète très éloignée d’un bon cours
de mathématiques qui part du monde concret des élèves:
♦ des contextes très artificiels
♦ phase de décontextualisation est totalement absente
♦ règles d’un groupe commutatif d’ordre 3 ne sont pas utiles dans la phase d’instruction concrète et par conséquence elles ne sont pas apprises par les sujets
A la recherche d’évidence
empirique
Méthode
• Participants : 130
étudiants bacheliers en
pédagogie
• Deux phases
(1) contexte d’instruction : instruction + test (2) contexte de transfert : présentation + test
• Quatre conditions expérimentales
(A = abstraite, C = concrète)
♦ AA, CA, AC, et CC
♦ AA et CA : « conditions Kaminski » ♦ AC et CC : ajouts importants par nous
Méthode
Élaboration des domaines
• instruction A : tablettes d’argile d’un site
archéologique
• transfert A : jeu fictif pour enfants
• instruction C : gobelets gradués
• transfert C : pizzas
(morceaux de pizza qui se comportent de la même
façon que les gobelets gradués)
Méthode
Dans toutes les conditions :
Avant de faire passer le test à la fin de la
phase d’instruction : présentation d’un
aperçu des idées clés.
Méthode
Le test final de la phase d’instruction ainsi
que le test de transfert étaient composés de
24 questions ‘isomorphes’ à choix multiples
Méthode
Deuxième différence importante avec la
procédure de Kaminski
:
Insertion d’une question ouverte tout de
suite après la phase d’instruction
P. ex.,
après la phase d’instruction concrète
:
Que faut-il mettre à la place du point d’interrogation ?
Explique le plus précisément possible comment tu l’as trouvé.
Méthode
Ou après la phase d’instruction abstraite :
Que faut-il mettre à la place du point d’interrogation ?
Explique le plus précisément possible comment tu l’as trouvé.
Instruction + tests
♦ individuellement
♦ sans intervalle de temps entre les deux phases
♦ à leur propre rythme
♦ ordinateur
Méthode - Analyse
• Scores aux tests d’instruction et de transfert :
analyse statistique (ANOVA + Tukey HSD)
après élimination des cas aberrants (selon une
même procédure que chez Kaminski)
• Explications « question ouverte »
système de scores développé et appliqué par
deux correcteurs indépendants
Méthode - Analyse
Système de scores
• Unité d’analyse = explication d’un participant
• Quatre catégories principales :
♦ G (Groupe)
♦ M (Modulo)
♦ R (Règles)
♦ N (Non)
• Sous-catégories :
♦
G
1, G
2, G
3, G
4♦
M
1, M
2• Scores : 2, 1 ou 0
Méthode - Analyse
Système de scores
• 2 = formulation à un niveau général
Exemples
♦ « l’ordre n’a pas d’importance »
♦ « si on combine un drapeau avec un autre
symbole, on a toujours l’autre symbole »
♦ « 2 + 2 = 4 3 = 1 »
• 1 = application non-ambigüe
• 0 = autrement
Résultats – Résultats quantitatifs
• Test d’apprentissage : AC < CA, CC
• Test de transfert : CA < AA, AC, CC et AC < CC
Condition
Moyenne et écart type des scores (Max = 24) Test d’apprentissage Test de transfert AA (N = 23) 17.1 (3.9) 18.1 (3.8) AC (N = 30) 15.3 (3.5) 17.4 (4.2) CA (N = 28) 18.5 (2.9) 12.0 (4.3) CC (N = 24) 18.3 (3.5) 20.2 (2.4)
Résultats – Résultats quantitatifs
• Kaminski confirmé (test de transfert : AA > CA)
• Mais l’inverse se révèle également valable !
(test de transfert : CC > AC)
• Quoique AC < CX (test d’apprentissage), AC
= AA (test de transfert) :
étudiants instruits par
un contexte abstrait peuvent en quelque
sorte « s’apprendre » eux-mêmes « l’addition
modulo 3 »
Résultats – Résultats qualitatifs
• Répéter (presque) littéralement une des règles de combinaison • Formulations de propriétés d’un groupe à un niveau général
sont rares
(malgré le fait qu’on ait demandé aux participants de motiver leur réponse le plus précisément possible)
Domaine d’instruction Score G M R N G1 G2 G3 G4 M1 M2 A (N = 66) 2 0 6 0 0 0 0 – – 1 16 43 0 3 0 0 11 0 50 17 66 63 66 66 4 55 62
Résultats – Résultats qualitatifs
• Application des règles du calcul « modulo 3 » par environ
la moitié des participants (pas un but du domaine
d’instruction !)
Domaine d’instruction Score G M R N G1 G2 G3 G4 M1 M2 C (N = 52) 2 0 0 0 0 7 0 – – 1 13 7 0 2 22 5 5 14 0 39 45 52 50 23 47 47 38Résultats – Résultats qualitatifs
• …
• Répétitions pures de règles de combinaison sont rares
• Quelques applications spontanées des propriétés d’un
groupe (quoique moins que dans les groupes d’instruction
Domaine d’instructio n Score G M R N G1 G2 G3 G4 M1 M2 C (N = 52) 2 0 0 0 0 7 0 – – 1 13 7 0 2 22 5 5 14 0 39 45 52 50 23 47 47 38