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L'alternance codique dans le rap français métropolitain

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L’alternance codique dans le rap français métropolitain

«Le hip hop mon royaume, mon home sweet home»

Nom : Diederik van Leussen

Université : Universiteit van Amsterdam (UvA)

Master : Linguistique des langues européennes (français)

Nombre d’étudiant : 11151870

Année : Août 2016

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Bienvenue dans la jungle

On parle chleuh, le créole, Bambara, on est tous quadrilingues

Rohff – Vitry-sur-Haine

Dans ma rue, pour communiquer il faut être trilingue Et faire attention quand on marche sur des seringues Don Gyneco – Dans ma rue

J'vais pas fréquenter les thés dansants pour te charmer J'transpire le verlan sans doute, même sans parler La Rumeur – Minette

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Table des matières

Page

1. Introduction 4

2. Alternance codique 6

2.1 Théories 6

2.1.1 Théories sur l’alternance codique 6

2.1.2 Le modèle de Poplack (1980) 8

2.1.3 Le modèle de Muysken (2000) 9

2.1.4 Contraintes pour l’alternance codique 10

2.1.4.1 Les contraintes de Poplack (1980) 10

2.1.4.2 Le Matrix Language Frame Model de Myers-Scotton 11

2.2 L’alternance codique et français 13

2.2.1 L’alternance codique en France 13

2.2.2 L’alternance codique dans d’autres pays francophones 16

3. Le rap

3.1 Les origines du hip hop et du rap 18

3.1.1 Le rap américain 18

3.1.2 Le rap français 19

3.2 Alternance codique dans le rap francophone 19

3.2.1 Alternance codique dans le rap français métropolitain 19

3.2.2 Alternance codique dans d’autres pays francophones 23

3.3 Identité et le rap 24 4. Hypothèses 30 5. Méthode 31 5.1 Le corpus 31 5.2 Procédure 32 6. Résultats 34

6.1 Fréquence de l’alternance codique 34

6.2 Lexique du corpus de rap 2015 36

6.3 Alternance codique dans le corpus 40

6.3.1 Alternance codique intraphrastique 40

6.3.2 Alternance codique interphrastique 41

6.3.3 Alternance codique tag-switch 42

6.4 Les contraintes sur l’alternance codique 43

7. Discussion 45

8. Conclusion 48

9. Références bibliographiques 49

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1. Introduction

Lorsqu’on pense à la musique française, on pense surtout aux chansons d’artistes comme Édith Piaf et Charles Aznavour. Pourtant, ces dernières décennies un autre genre musical est entré en scène hexagonale : le rap. Sa popularité énorme dans la société française est indiscutable. Le fait que la France est même le deuxième plus grand producteur et consommateur de hip hop du monde, après les États-Unis, en témoigne (Paine 2012 : 52). Le trait du rap français qui nous intéresse par-dessus tout dans ce mémoire est son caractère multilingue, plus spécifiquement : l’alternance codique (aussi appelée le changement de code ou le code-switching). Par opposition au rap américain, le rap français a une réputation de renfermer une grande variété de langues et de codes. À part le français standard, d’autres codes comme l’anglais, l’arabe et l’espagnol n’y sont pas rares.

Alors que le côté sociologique et historique du rap francophone ont déjà été le sujet d’un grand nombre de recherches, le domaine linguistique est encore largement méconnu. Les articles prolifiques de Mela Sarkar (2005, 2008) ont eu une influence positive sur ce secteur de recherche. Cependant, sa recherche avait pour sujet le rap francophone canadien. C’est pour cela que ce mémoire peut contribuer de manière importante à la littérature parce qu’il concerne un sujet quasiment inexploré, à savoir le changement de code dans le rap français métropolitain. La première question à laquelle on essaye de donner une réponse est : que voit-on de l’emploi de l’alternance codique dans les paroles des rappeurs français ? En coupant cette question en deux, on peut l’analyser d’une manière quantitative et qualitative. La deuxième question est : de quelle manière utilisent-ils les différents types de code-switching dans leurs paroles de rap ? Pour répondre à cette deuxième question, on se base sur la théorie de Poplack (1980), qui fait une distinction entre trois types d’alternance codique. En outre, on verra si les contraintes que Poplack propose pour l’alternance codique (la Contrainte du Morphème Libre et la Contrainte de l’Équivalence) valent aussi pour le rap français.

Ce mémoire est organisé comme suit. Dans le chapitre 2, on traite les théories concernant l’alternance codique, aussi bien plus générales que spécifiques pour la langue française. Dans le chapitre 3, on se concentre sur les origines du rap américain et français. Puis, on regarde les traits de l’alternance codique dans le rap francophone et l’importance de l’identité dans

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le rap français. La quatrième et cinquième chapitre traitent respectivement les hypothèses et la méthode de la recherche présente. Le chapitre 6 présente les résultats, qui sont ensuite discutées dans le septième chapitre. Dans le chapitre 8, on tire les conclusions au sujet de ce mémoire.

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2. L’alternance codique

2.1.1 Théories sur l’alternance codique

Quant aux bilingues et multilingues, il y a beaucoup de différences en ce qui concerne l’emploi de leurs langues. Chaque communauté de locuteurs bilingues a sa propre manière d’employer les deux langues. Souvent, une des langues est utilisée dans un contexte déterminé (par ex. à la maison) et l’autre dans un autre contexte (par ex. au travail). Dans un double contexte linguistique, il se peut que l’individu bilingue change de langue en fonction de la personne à laquelle il s’adresse. Pourtant, dans d’autres communautés bilingues, l’individu alterne de langue dans une seule conversation sans raisons apparentes externes. (Green & Li Wei 2014 : 499). Il a souvent été remarqué qu’il est possible que l’alternance codique soit le medium non marqué de communication pour les bilingues dans beaucoup de situations quotidiennes. Les personnes qui alternent sont souvent même inconscientes du fait qu’ils le font (Davies & Bentahila 2006 : 367). Cependant, parfois l’alternance codique est employée dans une situation plus publique, dans un discours qui se concentre sur un public de masse, par exemple dans des discours publics, des publicités, de la littérature et des paroles musicales. Étant donné qu’un tel discours est normalement préparé au lieu d’être improvisé spontanément, on peut s’attendre à ce que l’alternance codique soit perçue comme moins inévitable. Dans ce cas, il devrait y avoir une motivation plus profonde pour son emploi (Davies & Bentahila 2006 : 368).

L’alternance codique, aussi appelée le changement de code ou le code-switching, est un concept difficile qui connaît beaucoup de définitions différentes. Gumperz (1989 : 57) la définit comme «la juxtaposition à l’intérieur d’un même échange verbal de passages où le discours appartient à deux systèmes ou sous-systèmes grammaticaux différents. Le plus souvent l’alternance prend la forme de deux phrases qui se suivent. Comme lorsqu’un locuteur utilise une seconde langue soit pour réitérer son message soit pour répondre à l’affirmation de quelqu’un d’autre». Poplack (2001 : 1) dit que le concept réfère au «mixing, of bilinguals (or multilinguals), of two or more languages in discourse, often with no change of interlocutor or topic».

Bien que l’alternance codique ait toujours été caractéristique de communautés bilingues mondiales, l’attention scientifique pour ce phénomène ne date que depuis quelques

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décennies. Au début des recherches (p. ex. Labov 1971 via Poplack 1988) on constatait que le comportement du changement de code formait une exception à la nature systématique et gouvernée de règles de la variation linguistique. Les recherches faites par Gumperz et ses étudiants ont, cependant, bien élaboré l’idée que l’alternance codique était au moins liée au conditionnement pragmatique (p.ex. Gumperz & Hernandez-Chavez 1971, Blom & Gumperz 1972).

Bullock & Toribio (2009 : 4) affirment que l’alternance codique n’est pas un mélange aléatoire, comme on admet souvent. Cette idée fausse subsiste encore et on le voit dans les portemanteaux comme franglais et spanglish. Bien que ces termes soient amusants, ils ont souvent une connotation péjorative, ce qui implique que les personnes qui utilisent ces variétés ne seraient pas capables de s’exprimer correctement. Cependant, dans certaines cultures, le changement de code est considéré comme une manifestation prestigieuse de talent linguistique (MacSwan 2005 : 62).En outre, un bon nombre de recherches montrent que l’alternance codique ne veut pas dire qu’il y a une rupture de la communication, mais qu’elle reflète la manipulation adroite de deux systèmes de langue pour toutes sortes de fonctions communicatives.

Mais pourquoi changent-ils de code, certains bilingues? Bullock & Toribio (2009) prétendent que, au niveau de la communauté, l’emploi d’alternance codique peut être une manifestation de prestige couvert attribué à ce comportement bilingue. Dans ce cas, l’alternance codique sert à marquer la solidarité et son appartenance au groupe. Il est important de dire qu’on change seulement de code avec d’autres bilingues partageant la même identité linguistique. Souvent, l’alternance codique fonctionne comme un discours qui permet d’exprimer son appartenance aussi bien au groupe dominant qu’au groupe minoritaire (Bullock & Toribio 2009 : 10). Parfois, l’alternance codique peut marquer le prestige ouvert. Kyuchukov (2006 : 41) fait remarquer qu’en Bulgarie, certains Roms musulmans trilingues qui parlent romani, bulgare et turc changent de code en turc parce que cette langue a plus de prestige que les autres langues qu’ils maîtrisent.

Selon Poplack (2001) il va sans dire que le changement de code est différent d’une autre manifestation de contact entre des langues : l’emprunt lexical. Elle souligne que ces emprunts assument l’identité morphologique, syntaxique, et souvent, phonologique de la

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fréquemment utilisés dans le langage individuel mais aussi dans la communauté. Ils font partie du vocabulaire des locuteurs monolingues de la langue réceptrice, qui les emploient de la même manière que le reste du lexique. Cependant, le changement de code fait preuve d’influences morphologiques, syntaxiques ou phonologiques de la langue superstrate. Poplack & Meechan (1995 : 200) reconnaissent que l’analyse de l’alternance codique et des emprunts est le focus de beaucoup de débats linguistiques. Alors que certains chercheurs arguent qu’il faut faire une distinction entre les deux (e. a. Muysken 1987, Poplack 1990), d’autres trouvent qu’il ne doivent pas être considérées comme des entités différentes (e. a. Davies & Bentahila 2006, Myers-Scotton 1993). Ce dernier point de vue fonctionne comme le point de départ de la recherche actuelle.

2.1.2 Le modèle de Poplack (1980)

À côté de la discussion concernant l’interprétation du concept d’alternance codique, la question se pose comment grouper les différents sous-groupes. Dans un article célèbre Poplack (1980) en distingue trois et dit qu’il est possible de les tous voir apparaître dans une seule conversation. Le premier cas d’alternance codique est l’alternance intraphrastique où l’alternance survient à l’intérieur de la phrase. L’exemple suivant vient de Pfaff (1979 : 301) :

(1) espagnol-anglais

Tú lo underestimate a Chito Tu le sous-estime, Chito

On voit que le verbe underestimate («sous-estimer») remplace entièrement son équivalent espagnol dans cette phrase. Ce verbe se trouve à l’intérieur d’un syntagme. Par contre, le changement de code peut même se présenter à l’intérieur d’un mot, comme dans l’exemple suivant de Poplack (1988 : 10) :

(2) Français-anglais Sont spoilés rotten

«(Ils) sont gaspillés, pourris.»

Le verbe anglais spoil («gaspiller») reçoit l’affixation française és, qui marque la forme masculine plurielle du participe passé.

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La deuxième forme est l’alternance interphrastique. Cela veut dire qu’on change de code d’une phrase ou proposition à l’autre. Un exemple célèbre vient de Poplack (1980 : 594) :

(3) Anglais-espagnol

«Sometimes I’ll start a sentence in English y terminó en espanôl.»

«Parfois je commence une phrase en anglais et je la termine en espagnol.»

Dans l’exemple (3), le changement de code se produit entre deux propositions indépendantes coordonnées («Sometimes I’ll start a sentence in English» et «y terminó en espanôl»). Tout comme l’alternance intraphrastique, l’alternance interphrastique demande une bonne compétence bilingue, parce qu’il faut bien savoir produire des phrases complètes dans les langues concernées. Pourtant, l’alternance intraphrastique peut donner plus d’information sur l’interaction de deux groupes de mots au niveau de la phrase d’une personne bilingue et l’alternance interphrastique ne le peut pas (Bullock & Toribio 2009 : 3). La troisième forme est l’alternance de code emblématique ou le tag-switch. Cette forme d’alternance codique se manifeste par l’insertion pragmatique d’une expression formulaire de la langue B dans la langue A (p. ex. d’accord, so, well), notamment pour l’effet pragmatique. Ce type d’alternance codique se compose d’interjections, d’expressions idiomatiques et de substantifs individuels. Poplack (1980 : 589) souligne que ce sont surtout ces substantifs individuels qui sont difficiles à traduire à cause de leur valeur culturelle. L’exemple suivant vient de Bullock & Toribio (2009 : 4) :

(4) Français-anglais de Frenchville

«Les autres pourraient (sic) parler français comme lui, ya know.» «…………, tu sais.»

2.1.3 Le modèle de Muysken (2000)

Un autre modèle avançant les différents types d’alternance codique a été proposé par Muysken (2000). Il fait une distinction entre trois stratégies dans l’emploi de l’alternance codique. La première est l’alternation, où deux langues restent relativement séparées dans une structure A-B, comme dans l’exemple (3) ci-dessus. La deuxième, la lexicalisation congruente, reflète une situation dans laquelle deux langues ont une structure grammaticale commune qui peut être remplie d’éléments grammaticaux des deux langues, comme dans (5)

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(5) Néerlandais – sranan

Wan heri gedeelte de ondro beheer fu gewapende machten «Une partie entière est sous le contrôle des forces armées.» (Bolle 1994 : 75, cité dans Muysken 2000 : 139)

La dernière stratégie est l’insertion, qui représente l’intégration d’un constituent dans une structure A-B-A., comme dans (6) :

(6) Persan – suédois xob pas falsk-an pesa-â

«Eh bien les garçons sont faux.»

(Lotfabbadi 2002 :101, cité dans Bullock & Toribio 2009 : 3)

Selon Muysken (2000), la lexicalisation congruente est fréquente si les deux langues sont étroitement liées au niveau typologique, comme dans (5) avec le néerlandais et le sranan, un créole basé sur le néerlandais. L’insertion, comme dans (6) a beaucoup en commun avec l’emprunt lexical, qui ne nécessite pas la compétence bilingue. C’est pour cela qu’elle est différente de l’alternance intraphrastique.

2.1.4 Contraintes pour l’alternance codique

À la recherche d’une structure morphologique et syntaxique de l’alternance codique, de nombreux linguistes ont postulé des règles et des restrictions par rapport aux places où le changement de code est possible. Les modèles sur les restrictions peuvent grosso modo être subdivisés en quatre catégories : les contraintes linguistiques spécifiques, les contraintes plus générales et universelles, les contraintes théoriques et les contraintes concernant l’approche de langue matrice (matrix language) (Naseh 1997 : 202).

2.1.4.1 Les contraintes de Poplack (1980)

Poplack (1980) est probablement un des premiers auteurs qui a proposé des contraintes pour l’alternance codique. Dans son article Sometimes I’ll start a sentence in Spanish y termino en español (1980), elle élabore deux contraintes : la Contrainte de l’Équivalence (Poplack 1980 : 581) et la Contrainte du Morphème Libre (Poplack 1980 : 585).

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«L’alternance codique tend à se produire aux endroits du discours où des éléments de L1 et L2 sont juxtaposés les uns à côté des autres et où ils ne violent aucune loi syntaxique des deux langues, i.e. là où les structures de surface des deux langues correspondent les unes aux autres» (Poplack 1980 :586).

Cette contrainte traite donc notamment l’équivalence entre l’ordre des mots des deux langues. Elle implique qu’à l’intérieur d’un syntagme dans lequel il y a une structure syntaxique de L1 que L2 ne partage pas le changement de code n’est pas permise (Berkhout-Gerrits 2006 : 14). La Contrainte de l’Équivalence prévoit très bien que les énoncés de l’exemple (7) ne sont pas correctes :

(7) *told le, le told, him dije, dije him

told to-him, to-him I-told, him I-told, I-told him «Je lui ai dit» (Poplack 1981:176)

En ce qui concerne la Contrainte du Morphème Libre, Poplack écrit :

«L’alternance codique peut se produire après chaque constituant dans le discours à moins que ce constituant ne soit pas un morphème lié» (Poplack 1980 : 585).

Pour expliquer cette contrainte, Poplack donne l’exemple du verbe anglais-espagnol *eat-iendo «en train de manger». Selon la Contrainte du Morphème Libre un tel énoncé n’est pas permis, parce que le changement de code se produit entre le radical anglais eat «manger» et la terminaison verbale espagnole iendo «en train de » (Poplack 1980 : 586).

Dans une étude sur la validité et l’universalité des contraintes, Redouane (2005) teste entre autres ces deux contraintes de Poplack. En examinant des cas d’alternance codique entre le français et l’arabe marocain, deux langues syntaxiquement différentes, l’auteur recherche si la Contrainte de l’Équivalence et la Contrainte du Morphème Libre tiennent le coup. Redouane conclut que ce n’est pas le cas et donne des exemples qui contredisent les contraintes de Poplack.

2.1.4.2 Le «Matrix Langue Frame Model» de Myers-Scotton (1992)

Dans une recherche importante, Myers-Scotton (1992) propose un modèle pour l’alternance codique d’insertion. Myers-Scotton soutient que son modèle, le Matrix Language Frame (MLF), est en mesure de tenir compte de la variation dans la performance concernant

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l’alternance codique, quelle que soit la situation sociale. Selon elle, les contraintes sur l’alternance codique, qui dépendent des paramètres, sont d’une certaine façon universelles. Cela veut dire qu’on est en mesure de prédire quelles sont les possibilités pour l’alternance codique, même si la performance est différente d’une communauté et d’une personne à l’autre. Le modèle MLF est apparu pour la première fois en 1992, mais il a été transformé et adapté dans l’intervalle (1993, 1995, 2001, 2002) pour répondre aux critiques. Malgré ces adaptations, son hypothèse principale, la Matrix Language Hypothesis (MLH), et ses principes principaux restent les mêmes. La MLH est basée sur l’idée que, dans un contexte bilingue, une des deux langues est plus activée que l’autre (Myers-Scotton 1995 : 239). La langue la plus activée est la langue matrice et l’autre est la langue intégrée.

Dans les premières versions du modèle MLH, Myers-Scotton proposait que la langue matrice soit la langue contenant le plus de morphèmes (Myers-Scotton 1992 : 22). Pourtant, dans les révisions de 1993 et 1995, la langue matrice est celle qui sert de cadre morphosyntaxique des constituants de la phrase. Il y a deux principes principaux gouvernant le modèle MLF : le Morpheme-Order Principle et le System-Morpheme Principle. D’après Myers-Scotton (1993), le Morpheme-Order Principe représente l’idée que l’ordre séquentiel dans un énoncé contenant de l’alternance codique doit suivre l’ordre de la langue matrice. Le System-Morpheme Principle est basé sur la distinction entre morphèmes de contenu (content morphemes) et morphèmes de système (system morphemes). Selon ce principe, tous les morphèmes de système syntaxiquement relevant doivent provenir de la langue matrice. Dans les versions récentes du modèle MLF les morphèmes de contenu sont décrits comme des éléments participant au réseau thématique, soit recevant soit assignant des rôles thématiques : noms, adjectifs, pronoms, verbes désuffixés et quelques prépositions. Par contre, les morphèmes de système sont des éléments fonctionnels : déterminants, possessifs contenant ‘de’, quantificateurs et affixes flexionnels (Myers-Scotton 1993 : 8).

Dans la recherche qu’on présente dans le chapitre 5, on choisit de se concentrer sur les contraintes de Poplack et d’ignorer le modèle de Myers-Scotton. À présent, on a discuté la théorie générale concernant l’alternance codique. La prochaine partie de ce chapitre (2.2) traite le rôle que joue l’alternance codique en France.

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2.2 L’alternance codique et le français 2.2.1 L’alternance codique en France

Comme partout dans le monde où des langues se rencontrent, l’alternance codique est un phénomène qu’on observe en France aussi. Étant donné que la France contient un nombre élevé d’habitants originaires de pays arabophones, il n’est pas étrange de voir que ces populations en gardent des traits dans leur langage quotidien. En observant la langue d’un quartier périphérique de Rouen, Melliani (2000) se rend compte de la présence d’une forme d’alternance codique, qu’elle nomme «un métissage» langagier et une hybridation de français et d’arabe. Selon elle, «l’alternance constitue, en effet, le procédé le plus efficace, pour les jeunes, d’effectuer un véritable travail sur la langue parlée.» (Melliani 2000 : 87). Par ailleurs, l’arabe apparaît surtout sous certaines formes (interjections, expressions etc.) et a donc une fonction symbolique dans les conversations entre pairs. D’après Ali-Bencherif (2009) l’usage de l’arabe dialectal dans les séquence d’ouverture constitue pour les immigrés d’origine arabe une affirmation de leur héritage linguistique et culturel. L’alternance codique entre l’arabe dialectal et le français donne une valeur d’amabilité aux conversations, ce qui permet de les gérer au mieux. Selon lui le passage entre ces deux langues est causé par le besoin d’affirmer un rapport d’intimité basé sur le respect pour l’interlocuteur (Ali-Bencherif 2009 : 87).

En situation familiale, le mélange de codes et l’alternance codique arabo-français sont normaux, bien que la langue matrice change selon les locuteurs. En ce qui concerne les parents, ils ont surtout tendance à parler arabe maghrébin en insérant quelques mots ou expressions françaises. En revanche, les enfants parlent français entre eux et également avec leurs parents, mais intègrent souvent de l’arabe dialectal dans leur français. Certains jeunes sont des bilingues équilibrés, ce qui les rend capables d’utiliser soit le français soit l’arabe magrébin, selon les situations. Cependant, d’autres ont une forte préférence pour le français, parce qu’ils ne maîtrisent pas bien l’arabe maghrébin. Dans ce cas, le français a la fonction de la langue matrice, mais l’insertion de quelques mots maghrébins et la maghrébinisation de l’accent marquent encore une appartenance à leurs racines (Caubet 2002 : 13).

Caubet (2002 : 12) souligne que beaucoup de verbes arabes sont intégrés dans le parler de certains jeunes français. Parfois, ils sont conjugués de manière française. De bons exemples

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sont le verbes «kiffer» («kiffe» est «plaisir» en arabe), «choufer» («voir ou regarder, de «shuf») et «xouner» («voler», de l’algérien «xun»). Pourtant, d’autres verbes n’ont pas pris la forme française. Melliani (2000) nomme quelques exemples de ces verbes qui ne sont pas conjugués : «je t’ai shedd !» («je t’ai eu», «shedd» veut dire «attraper»), «Tu xdem alors ?» («travailler», de «xdem»). Fréquentes sont aussi les particules venant de l’arabe dialectal comme «wellah» (par dieu), «zarma» («c’est-à-dire») et l’algérien «wach» («quoi» > alors ?). L’intégration des expressions et des substantifs de l’arabe dialectal se fait aussi : «faire la hala» («faire la fête», «j’ai eu la hash» («j’ai eu honte», de «hshuma»). Pooley (2008 : 323) souligne que l’alternance codique est une manière pour les jeunes d’origine arabe ou maghrébine d’affirmer leur identité. En même temps, il dit que l’alternance codique parmi eux est aussi une manière d’exclure d’autres groupes ethniques.

Bien sûr il y a également des codes qui font partie de la langue française, mais qui représentent clairement un changement du code standard. Le verlan en est un bon exemple. Le verlan est probablement l’argot français le plus discuté dans ces dernières décennies. Simplement dit, il représente le renversement des syllabes. De cette façon, le mot verlan est lui-même un renversement des deux syllabes formant l’envers. Du reste, le nom du chanteur belge populaire Stromae est par exemple le verlan du mot maestro. Un article très connu relativement à ce sujet a été écrit par Mela (1997). L’auteur souligne qu’on ne verlanise pas tous les mots d’une phrase. Elle observe que même les discours qui sont à la première écoute pleins de verlan, ne dépassent pas un emploi de 10% de mots codés. Cependant, ce sont souvent les mots clés qui se verlanisent : substantifs, verbes et adjectifs. (Mela 1997 : 30).

Mela décrit quelques fonctions dont le verlan se sert. D’abord, comme beaucoup de langues sécrètes il a la fonction de parler de choses illégales sans être compris. Pourtant, Mela pense que ce n’est plus sa fonction la plus importante. Selon elle le verlan est, pour ses locuteurs, aussi bien une manière de se distinguer de et de s’attacher à l’identité française. Ce code se trouve entre la culture de leurs parents immigrés et la culture française dominante qui reste souvent irréalisable pour ces jeunes. De plus, Mela revendique que parler verlan est également une manière de se venger de la langue standard, la langue du système scolaire, qui est difficile à maîtriser et tolère peu de fantaisie et de créativité de la part des écoliers. Puis, l’auteur fait remarquer que l’emploi du verlan est aussi un moyen pour «faire peur aux

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bourgeois». Ceux qui ne le connaissent pas à fond peuvent l’éprouver comme un abus de la langue, ce qui pourrait mener à une atmosphère violente et menaçante (Mela 1997 : 31). Par contre, Mela insiste sur le fait que le verlan a infiltré toute la société, notamment chez les jeunes, et ne se limite pas aux banlieues. Comme la culture banlieue est attirante et vivante pour les jeunes, beaucoup de collégiens parlent verlan pour marquer leur adhésion à cette culture. (Mela 1997 : 32). Hassa (2010) explique que ses locuteurs utilisent le verlan surtout pour référer aux histoires sur la banlieue, au chômage et à la délinquance et aux tensions raciales. Dans ce contexte, des mots comme keufs (flics), beu-her (herbe) et du-per (perdu), Beur (Arabe) sont courants. Ainsi, le verlan sert comme un marqueur d’identité entre membres du même groupe. Le verlan offre un vocabulaire vaste pour décrire ces liens étroits, comme reuf ou refré (frère) et reus (sœur) (Hassa 2010 : 60).

En ce qui concerne le genre des noms français, des traits de genre sont généralement méconnus quand il vient à la verlanisation d’un mot, souvent en faveur de la forme masculine (Méla 1997 : 31). Pour les non-initiés, le verlan est quasiment incompréhensible à cause des changements phonétiques des noms et verbes. Comme beaucoup de verbes perdent leurs suffixes morphosyntaxiques reconnaissables et la racine du verbe devient un préfixe, le processus de verlanisation rend les verbes difficiles à reconnaître pour un grand nombre de francophones. Wiechman (2012 : 40) explique le processus de verlanisation en donnant l’exemple de la forme infinitive du verbe français marcher, qui devient chémar en verlan. Dans une phrase rendue célèbre par l’artiste de slam français Grand Corps Malade, ça peut marcher devenait ça peut chémar. Évidemment, cette phrase causait des problèmes de compréhension pour le francophone non-initié. La structure du verbe marcher [maʀʃe] est typique pour un verbe –er : la racine du verbe est march et la fin de l’infinitif est –er.

marcher → march -er

Pourtant, Wiechman souligne qu’avant de subir un processus de verlanisation, le –er est supprimé en faveur d’une orthographe phonétique tronquée de la fin morphosyntaxique.

march → -er → é marcher

Selon Wiechman, le verbe devient méconnaissable au moment où le verbe est verlanisé en sa forme infinitive par ceux qui parlent le français normatif référentiel. Quoique marché soit

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le participe passé de marcher, l’utilisation du verbe comme un participe passé n’a pas de sens dans ce contexte.

marché [maʀʃe] → chémar [ʃemaʀ]

Wiechman fait remarquer que dans les années récentes, ce ne sont pas seulement des mots du français qui ont été utilisés pour la création de nouveaux mots. Le code inclut aussi l’arabe, des langues africaines, le vietnamien, des langues de l’Europe de l’Est, et des langues créoles. Wiechman pense qu’il se peut que cette application de langues étrangères ne soit pas seulement un écartement de la langue française standard, mais aussi de la culture française en général. D’un autre côté, Wiechman affirme qu’il est naturellement également possible que les locuteurs d’un registre plus familier ou argotique soient déjà plus bienveillants à assimiler d’autres langues et groupes dans leur sphère d’influence que les locuteurs du français standard ou normatif (Wiechman 2012 : 41).

La dominance numérique des immigrés magrébins en comparaison avec d’autres populations immigrées, et le fait qu’ils sont arrivés plus tôt dans les cités françaises explique le fait qu’ils ont une plus grande influence linguistique que les autres populations habitant les mêmes quartiers (Jamin 2004 : 175). D’après Méla (1997 : 31), l’intégration de mots venant d’autres langues au verlan est une manière pour les jeunes issus d’une famille d’immigrés d’établir un lien avec le pays d’origine de leurs parents. En même temps, le verlan fortifie le lien avec la langue française et la France, le pays où ils vivent. Wiechman (2012 : 43) souligne que ce sont surtout les jeunes arabes, masculins qui se considèrent comme les innovateurs de ces jeux et phénomènes linguistiques.

Evidemment, l’alternance codique apparaît aussi dans les régions françaises où une langue régionale est parlée par les gens à côté du français. Un bon exemple est la recherche de Leray (2003) en Haute-Bretagne qui se concentre sur l’alternance codique français-gallo dans les conversations entre pairs. Selon lui, cette technique de communication y fonctionne comme une stratégie identitaire et communicative. L’alternance et son «métissage linguistique» entre le gallo et le français reflèterait donc également un «métissage culturel» (Leray 2003 : 130).

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En Afrique subsaharienne, comme le dit Thiam (1994), l’alternance codique se fait beaucoup dans les contextes des anciennes colonies, dont naturellement aussi les colonies françaises. Dans ces pays, une langue dominante (p.ex. le français), qui a souvent maintenu son rôle officiel après les indépendances, est venu en contact avec une ou plusieurs langues locales. Dans les pays francophones africains, le français fonctionne comme une langue de prestige et son acquisition est la clé pour obtenir «une position de force dans les relations socio-conversationnelles». La capitale sénégalaise, Dakar, où tout le monde est plus ou moins francophone, reflète une situation où l’alternance codique wolof-français est le résultat du contact entre le wolof et le français omniprésent (médias, contacts interindividuels etc.) (Thiam 1994 :13).

En Afrique du nord, le français se trouve également entouré d’autres langues. Dans certains milieux maghrébins, l’alternance codique entre le français et l’arabe dialectal est le mode normal dans la communication entre pairs (Caubet 2002). Ziamari (2009) fait remarquer que l’alternance codique au Maroc se caractérise par des traits tant sociolinguistiques que linguistiques. Au niveau linguistique, les deux langues peuvent servir de langue matrice. Cela veut dire que tantôt le français domine l’arabe marocain et tantôt c’est l’inverse. Par conséquent, on voit la naissance de plusieurs phénomènes caractéristiques pour ce contact. Ils touchent la détermination, les dimensions phonologique et prosodique et la morphologie (l’intégration de presque tous les verbes). Quant au niveau sociolinguistique Ziamari conclut que l’alternance codique est la pratique langagière par défaut de beaucoup de Marocains, même s’ils sont aussi capables de séparer les deux langues dans d’autres situations (Ziamari 2009 : 183).

Dans la Caraïbe francophone, où deux langues coexistent souvent, l’alternance codique est un phénomène omniprésent. Cela est par exemple le cas en Haïti et en Guadaloupe, où le français se trouve respectivement dans un contexte bilingue et diglossique (Anciaux 2008), parce qu’il est utilisé à côté de langues créoles à base française.

Ce chapitre a traité les théories concernant l’alternance codique, ainsi que quelques traits de ce phénomène dans le contexte francophone. Le prochain chapitre se concentre entre autres sur les particularités de l’alternance codique dans le rap francophone. Évidemment, on discute également les origines du rap et le rôle de l’identité dans ce genre musical.

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3. Le rap

3.1 Les origines du hip hop et du rap 3.1.1 Le rap américain

Le hip hop est un mouvement culturel urbain qui trouve ses origines dans le quartier Le Bronx à New York des années 1970. En 1976, de nouveaux types de fêtes deviennent populaires : les block parties (Cachin 1996 : 14). Membres de la communauté bloquaient la rue avec des barrières et des gardes de sécurité et organisaient des fêtes en utilisant l’électricité de l’éclairage des rues. Il est dans ces circonstances que les fondements du rap sont nés : le MC parlait à une foule sur un fond de beats rythmiques produites par un D.J.. Une personne importante pendant cette genèse du style musical était Afrika Baambaata, fondateur du mouvement Zulu Nation, une organisation qui a eu une grande influence sur la propagation du hip hop en France (Cachin 1996 : 14). Sa composante poétique s’appelle donc le rap, mais ce mouvement comprend aussi une forme de danse, le break dancing ; une forme musicale, le scratching ; et le graffiti writing, un art visuel. Le rap, qui était né dans les rues new-yorkaises, s’est rapidement transformé en art de parole, accompagné de musique rythmique et souvent électronique . Après quelques années, le caractère social du rap est devenu de plus en plus important (Sarkar 2008, Devilla 2011). Au niveau musical, beaucoup de rappeurs se laissaient inspirer par la musique noire, le soul, le funk et même le gospel. Ses incarnations politiques font partie d’une longue tradition dans la musique populaire, y compris le folk, le punk et le dub (Cachin 1996 : 20).

Low, Sarkar & Winer (2009) avancent l’idée que certains traits du rap sont typiques pour son caractère de proteste et de disruption sociale. Premièrement, les paroles de rap sont parlées plutôt que chantées. Deuxièmement, au niveau du volume de la production culturelle et sa conception par le public, la musique de rap a été et demeure principalement le terrain de jeunes hommes afro-américains, une population souvent associé avec la criminalité dans le discours américain. Finalement, certains artistes et musiciens ont délibérément cultivé la réputation d’être dangereux et menaçant (Low, Sarkar & Winer 2009 : 62).

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3.1.2 Le rap français

Sur les traces d’autres formes musicales d’origine américaine comme le jazz, le blues et le rock, le hip hop faisait également son entrée en France au début des années 1980. Dans la période 1983-1990, le rap français faisait partie d’un milieu underground des banlieues parisiennes. Cependant, dès l’année 1990, il devenait une culture de jeunesse plus ample (Lapassade 1996). La nouvelle décennie annonce une ère nouvelle pour le rap français. À l’époque les deux grandes villes de rap étaient Paris et Marseille, mais la musique était populaire aussi à Toulouse, Lyon, Strasbourg, Orléans, Nice et Angers (Vicherat 2003 : 24). Cette seconde phase du rap français métropolitain se caractérisait par une division en deux tendances générales: le rap hardcore et le rap cool (Bazin 1995). Le premier se distingue par son message combattant et radical, comme par exemple le rap du groupe parisien NTM. Le deuxième est plutôt conscient et consensuel. MC Solaar est un bon exemple d’un rappeur de cette dernière catégorie. Bien évidemment, cette subdivision est un peu simpliste et il y a avait des rappeurs, comme le groupe marseillais IAM, qui ont franchi les bornes entre les deux sous-catégories (Huq 2003).

Depuis les années 1990, le rap français a aussi gagné de plus en plus de succès commercial. Perrier (2010 : 15) revendique que MC Solaar, NTM et IAM, qui ont eu beaucoup de succès pendant ces années, peuvent être considérés comme les pères fondateurs du rap français moderne. Beaucoup de nouveaux artistes sont entrés en scène autour du nouveau millenium. Bien que beaucoup de rappeurs, comme MC Solaar et ceux de NTM, aient maintenu leur statut, ils ne sont plus les figures qui dominent le genre (Verbeke 2016 : 16). Aujourd’hui les artistes populaires sont par exemple Nekfeu, La Fouine, Youssoupha Soprano, Booba et beaucoup d’autres. Certains des nouveaux rappeurs dominant le genre font partie de notre corpus. Au cours des années le rap français a gagné de plus en plus de popularité et aujourd’hui l’industrie française est actuellement la deuxième du hip hop global. L’exigence pour chaque station radio d’avoir un minimum de 40% de musique francophone, mise au point par la loi de 1994, a certainement eu un effet positif sur ce développement (Paine 2012 : 52).

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3.2 Alternance codique dans le rap francophone

3.2.1 Alternance codique dans le rap français métropolitain

Le changement de code ne se limite pas aux conversations quotidiennes, mais figure de même dans la musique. S’il y a un genre musical où l’alternance codique se manifeste en France, c’est certainement le rap. Devilla (2011 : 81) constate que les langues représentées dans le rap français sont diverses, mais observe un rôle important pour l’anglais. Hassa (2010 : 49) affirme que malgré le fait que la plupart des écoliers français métropolitains apprennent l’anglais britannique, c’est l’anglais américain, plus précisément l’anglais afro-américain, qui est utilisé dans le rap français. Hassa dit qu’à cause de cette influence américaine, le rap français contient beaucoup de références au quartier new-yorkais Harlem (p. ex. le rappeur français Harlem), Hollywood et des séries télévisées américaines (Hassa 2010 : 56). L’alternance codique en anglais témoigne de la reconnaissance de la culture hip hop autour du monde et en même temps met l’accent sur l’identité suburbaine (Hassa 2010 : 57). D’après Devilla cet emploi ne s’explique pas seulement par le lien fort avec la culture de hip hop américain, où le rap trouve ses origines, mais l’utilisation fréquente de l’anglais représente également une «allégeance à la culture du «village global»» (Devilla 2011: 81). L’emploi de l’anglais n’est pas aléatoire et tend à être limité à des concepts spécifiques comme le pouvoir, la violence et l’avilissement des femmes, par exemple les mots «bitch», «fuck» et «gang» (Hassa 2010 : 57). Hassa revendique que l’emploi des mots anglais permet aux artistes d’éviter les tabous en cachant des paroles injurieuses derrière le voile d’une langue étrangère. Wiechman (2012 : 58) suggère que l’emploi du vocabulaire anglais américain de certains rappeurs français représente un sentiment d’irrévérence envers la langue française. Autrement dit, en utilisant des mots anglais américains, ces rappeurs rejettent dans un sens le français et optent pour le prestige social et l’authenticité que l’insertion de quelques mots anglais américains dans leurs paroles peut leur fournir.

De même, Devilla (2011) constate l’influence et l’insertion d’autres langues étrangères, notamment des langues d’origine des rappeurs. Dans le contexte du rap français, ces langues sont souvent appelées les langues du «bled». Le mot «bled» est dérivé du mot arabe «balad», qui a la signification de village ou pays. L’arabe est certainement une langue qu’il

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faut mentionner dans le contexte des langues du bled. Les emprunts à l’arabe sont fréquents. Souvent, ils font partie du domaine religieux (l’islam). Mais les exclamations et interjections dans les textes de rap fonctionnent aussi comme marqueur d’identité. Devilla indique par exemple l’emploi de «woulah» (je te le jure) dans la chanson «Les cités d’or» des rappeurs marseillais «Psy 4 de la rime» (Devilla 2011 : 81). La plupart du temps, l’arabe utilisé dans le rap français vient des variétés dialectales du Maroc, de la Tunisie ou de l’Algérie (Hassa 2010 : 49). En analysant des paroles de rap français, Hassa (2010 : 50) a observé que tous les rappeurs de son corpus utilisaient au moins un peu d’arabe dans leurs chansons. Quant à elle, cet emploi de l’arabe reflète une identification avec l’Afrique du Nord. Il est surtout utilisé en parlant de l’Islam et de pratiques culturelles musulmanes, par exemple «hallal», «sheitane» (diable) et ibliss (le Mal) (Hassa 2010 : 52). Par contre, Hassa souligne que l’emploi de l’arabe ne se limite pas à ces contextes et qu’il varie selon les rappeurs.

Un autre code fréquemment utilisé dans le rap français est l’argot. Selon Paine (2012), l’argot peut poser des problèmes de compréhension pour l’auditeur occasionnel du rap français. Tout comme leurs homologues américains, les rappeurs français s’appuient fortement sur l’emploi de cette forme de slang, ce qui obscurcit le message de la chanson pour les non-initiés. Souvent, les paroles argotiques ont une signification différente que dans la langue standard (Paine 2012 : 59). Si on parle de l’emploi d’argot dans le rap français, il faut absolument traiter le lien entre ce style musical et le verlan. Westphal (2012) a étudié l’emploi de verlan dans le rap parisien. Il voulait éviter le point de vue réductionniste qui regarde ce phénomène linguistique comme un signe d’insécurité sociale. Cette image est selon lui renforcé par les reportages médiatiques sur les émeutes et les bandes aux banlieues. Ayant ce but, Westphal a interviewé de nombreux individus, variant de rappeurs et de jeunes de la classe moyenne à des professeurs universitaires et des employés. Après avoir analysé ces interviews, il a construit trois utilisations essentielles du verlan au rap français et aux banlieues parisiennes : 1) une manière d’autoreprésentation, 2) un moyen de discuter des sujets tabous, 3) un moyen d’introduire une évolution sémantique et formelle dans la langue française (Westphal 2012 : 168). Débov (2008) a écrit un dictionnaire du verlan dans le rap français intitulé Code verlanique du rap français (sur la créativité déviante dans le sociolecte des jeunes des cités). La littérature parle souvent du verlan comme s’il était

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un phénomène national en France. Pourtant, Hassa revendique que le verlan soit surtout un code parisien, et n’est presque pas utilisé par les rappeurs marseillais (Hassa 2010 : 59). Un travail récent sur le langage du rap français vient de la main de Verbeke (2016). Sa thèse examine l’emploi du langage non-standard, plus spécifiquement le vocabulaire non-standard (e. a. argot, verlan, expressions familières, vulgarités, emprunts et abréviations), dans un corpus de chansons de rap sélectionné afin de quantifier son emploi et d’examiner ce qui détermine sa variation. Il conclut que le déterminant principal pour ce qui est de l’emploi élevé de vocabulaire non-standard est la performance d’égotrip contemporain par certains rappeurs dans un climat de forte concurrence. D’après Verbeke, le rappeur égotrip veut être, ou bien apparaître, le meilleur et la critique d’adversaires et la conviction des auditeurs mène à un emploi de langage non-standard plus élevé, parce qu’ils se servent de thèmes comme la violence, la misogynie, la hyper-masculinité, le matérialisme et la banlieue pour atteindre leurs buts. Bref, l’emploi fréquent de langage non-standard par les rappeurs égo trip français vient de leur désir de se démarquer de la concurrence et de plaire aux auditeurs (Verbeke 2016 : 233).

Au niveau quantitatif, l’opinion courante est que les rappeurs utilisent beaucoup de vulgarités, de slang et de français incorrect (Pecqueux 2009 : 41). Cependant, ce point de vue pourrait être un peu simpliste et il n’est pas soutenue par la littérature. En analysant le changement de code dans le rap français des années ’90, Paine (2012 : 53) conclut que 4% du corpus est non-standard (argot français, slang américain, langue du bled). Verbeke (2016 : 232) fait remarquer que les rappeurs français de son corpus emploient une haute quantité de français standard (environ 93%), notamment complétée avec des mots colloquiaux (2,73%), des emprunts étrangers (2,06%) et des mots anglais (environ 81% des emprunts).

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3.2.2 Alternance codique dans le rap d’autres pays francophones

Jusqu’à ce point, on a mis l’accent sur le rap français métropolitain, mais la France n’est pas le seul pays où on rappe en français. Pas mal de recherches se sont concentrées sur le rap francophone au Canada. L’alternance codique y est fréquemment utilisée. Une chercheuse qui s’est particulièrement occupée du rap francophone au Canada est Mela Sarkar. Verbeke (2016) admet que l’influence de Sarkar sur la linguistique du rap francophone est incontestable. Dans son étude, Sarkar (2008 : 145) observe que les rappeurs francophones à Québec parfois alternent de code, allant jusqu’à neuf langues. Sarkar et al. (2005) ont fait une recherche sur les propriétés linguistiques du rap à Montréal. En analysant les textes de rap des groupes Sans Pression et Muzion, ils ont trouvé beaucoup d’exemples d’alternance codique lexicale et phrastique. D’après les auteurs, ce rap essaye de combattre le «bon» usage du français en créant une propre langue pleine d’alternance codique (Sarkar et al. 2005 : 2072).

Low, Sarkar & Winer (2009) affirment que l’alternance codique fréquente dans la communauté hip hop de Montréal sert à contester et changer le français, qui est en même temps aussi accepté comme la base des paroles musicales. Les auteurs avancent que le mélange de multiples langues est un produit de la politique québécoise, qui a essayé de créer un usage acceptable du français et a insisté sur l’importance de l’enseignement uniquement francophone pour les immigrés. Le langage hybride est vu par Low, Sarkar & Winer comme un résultat involontaire de ces conditions politiques et historiques.

D’après Vrbová (2013), l’alternance entre l’anglais et le français dans le rap au Québec est une sorte de jeu et en même temps est une manière pour les rappeurs québécois de montrer qu’ils sont capables de combiner ces deux langues dans le contexte d’une chanson. De plus, Vrbová souligne que le rap québécois représente aussi l’identité des rappeurs, puisque les paroles reflètent la réalité bilingue du Québec. Une réalité que beaucoup de rappeurs et d’auditeurs connaissent de la vie quotidienne.

En Afrique du Nord, le rap est créé dans un climat plurilingue. Davies & Bentahila (2006) affirment qu’un motif caractéristique du rap maghrébin est l’alternance entre le français et l’arabe. Ils disent qu’un long passage en français ou arabe est suivi par un passage dans l’autre langue. Parfois il y a plusieurs de ces blocs alternants dans une seule chanson. Davies

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& Bentahila se réfèrent à la chanson «Les disparus» d’Intik, qui contient quatre passages, commence par un passage en arabe et se termine en français (Davies & Bentahila 2006 : 379). En analysant un corpus algérien, BenMakhlouf (2015 : 48) observe que c’est notamment le lexique français qui figure dans les chansons de rap, sous diverses formes. Il apparaît sous la forme d’emprunt, mais aussi sous la forme d’alternance codique.

3.3 Identité et le rap

En traitant le sujet du rap français, on ne peut pas négliger sa fonction identitaire. Vu l’importance de l’identité par rapport à la musique de rap, c’est peu surprenant que pas mal d’articles aient été écrits sur ce sujet. D’après Aidi (2000), le rap, parallèlement à son rôle dans les États-Unis, où il est le véhicule de la communauté afro-américaine, est une manière de s’exprimer pour les minorités noires et arabes dans les banlieues françaises. En outre, cette musique leur permet de protester contre le racisme et la discrimination. Le rap est un genre musical qui depuis longtemps a été associé aux groupes minoritaires en France. Ce n’est pas pour rien que beaucoup de rappeurs célèbres sont issus d’une famille étrangère. MC Solaar est d’origine sénégalaise et la formation IAM représente un mélange d’identités (algérien, malien, espagnol et italien) (Aidi 2000, dans Bentahila & Davies 2006 : 373).

Marc Martinez (2011) souligne que le rap français, en gardant le lien avec le rap américain, a créé sa propre identité. Le discours du hip hop hardcore a assimilé le message ethnique et révolutionnaire, mais l’a adapté au contexte français. Les références à la culture afro-américaine sont toujours là, mais le rap français se caractérise également souvent par le rejet de la société française dominante en fondant une nouvelle identité. Contrairement aux rappeurs américains, qui sont majoritairement d’origine afro-américaine, les rappeurs français appartiennent à des communautés migratoires diverses. Ils se rendent compte de ce fait et leur identité est basée sur le fait qu’ils ne se trouvent pas acceptés par la société française dominante, même s’ils y sont nés. Les banlieues défavorisées, et les cités, symbolisent leur place aux abords de cette société française. Le hip hop est une manière pour ces jeunes Beurs (Arabes) et Blacks (Noirs) de défier la République (Marc Martinez 2011 : 4).

De toute façon, la connexion entre le rap et les banlieues multiethniques est fortement présente dans le contexte français. Zelenková (2013) accentue que, depuis les années ’80, les

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banlieues françaises sont associées à l’exclusion et la marginalité. Aujourd’hui, ses habitants sont surtout des gens avec des racines étrangères, notamment venant du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne mais aussi de l’Espagne, du Portugal et des pays slaves. Cela veut dire que les banlieues sont des pots de fusion («melting pots») où différentes cultures et langues se rencontrent. Les immigrés sont venus en France pour améliorer leurs conditions de vie, mais la situation réelle est plus difficile. En outre, ils doivent abandonner une partie de leur identité (Zelenková 2013 : 22). Les jeunes de seconde génération sont souvent confrontés à d’autres problèmes, parce qu’ils se trouvent entre «deux cultures», comme le dit Vaillant (1996 : 54). En tant qu’adolescent, ils sont souvent au chômage et la stigmatisation et l’exclusion sociale dont ils souffrent font qu’ils commencent à douter de leur identité. Cette génération a donc besoin de se rebeller contre la culture dominante afin de se distinguer et d’affirmer sa propre identité (Zelenková 2013 : 22/23). Comme le dit Cannon (1997), dans l’introduction de son livre sur les cultures postcoloniales en France , le hip hop français est largement caractérisé par son rôle de résistance par les jeunes d’origine ethnique minoritaire face au racisme, à l’oppression et à la marginalisation qu’ils connaissent dans les banlieues et les cités.

D’après Devilla (2011), les rappeurs français se manifestent vraiment comme les représentants des banlieues et des cités, ces espaces clairement localisés, et de ses jeunes habitants défavorisés souvent d’origine étrangère. Il insiste sur le fait que le choix de langues dans les paroles de rap est lié à l’identité des rappeurs. Les emprunts aux langues d’origine soulignent leurs appartenances diverses et donc aussi leurs identités plurielles (Devilla 2011 : 82). Martin (2010a) affirme que les origines géographiques, plus spécifiquement le département ou la ville dont ils viennent, des artistes font partie de l’identité que manifestent les rappeurs. Beaucoup de rappeurs y réfèrent dans leurs chansons et forment même des groupes avec d’autres artistes basés sur ces origines partagées. On peut trouver un nombre élevé de ces alliances dans le département Ile-de-France. L’ensemble «Maffia K’1 Fry» se compose par exemple uniquement de rappeurs venant de Val-de-Marne (94). Évidemment, la légitimation se fait aussi en comparant sa propre ville ou son propre département avec d’autres. Un exemple bien connu était la rivalité entre les groupes NTM et IAM, venant respectivement de la région parisienne et de Marseille (Martin 2010a : 33).

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Les rappeurs français marquent leur identité en rebellant contre les valeurs de la société et en embrassant des idéaux marginaux, comme ceux de l’immigration (Sberna 2002 : 57). Selon Sberna, les causes du développement des idéaux marginaux sont diverses. Ils dépendent d’une variété de facteurs sociaux, qui une fois combinés, peuvent engendrer une conduite dangereuse, antisociale et même criminelle. Deux exemples que Sberna donne sont la pauvreté et un manque de mobilité sociale. Cette situation peut résulter en échec scolaire, souvent provoqué par un sentiment de désillusion et un désir de rébellion. Effectivement, le rejet par la société, qui se manifeste par un manque d’opportunités au niveau professionnel et scolaire est un thème retournant dans les paroles des rappeurs français (Sberna 2002 : 68, 69).

Dumont (2008 : 469) souligne qu’en combattant les inégalités, la corruption et l’injustice sociale, les rappeurs français font de la musique dans l’esprit d’autres artistes de la chanson française comme Brassens, Bruant et Fréhel. De cette manière, les rappeurs s’insèrent dans une tradition de musique de protestation. Boucher (1998 : 179) explique que les inégalités en France ont pour résultat que les jeunes défavorisés créent des identités collectives et subversives. Selon Marc Martinez (2011)), l’emploi de nouveaux discours historiques et de récits, différant de ceux qui sont courants, est une stratégie pour combattre les valeurs du courant dominant et légitimer la performance d’une identité de rebelle. D’après Marc Martinez beaucoup de rappeurs trouvent que le courant dominant des récits historiques ne tient pas suffisamment compte des communautés socio-économiques basses. Par conséquent les rappeurs basent leur propre identité sur une nouvelle histoire qu’ils récréent. Cela leur permet de prendre le contrôle et d’en faire quelque chose de positif (Marc Martinez 2011 : 5).

Martin (2010b) se concentre aussi sur l’identité du mouvement de rap et le met en relation avec le système de valeurs français. L’auteur affirme qu’il faut voir le rap comme un «révélateur social», plutôt qu’une «expression de rébellion» (Martin 2010b : 57). Il souligne que ce style musical stimule le débat public et lui apporte de nouvelles valeurs et représentations. Martin met l’accent sur ces valeurs qui trouvent leurs origines dans les genèses du mouvement hip hop. Un exemple qu’il mentionne est l’accent sur le respect (Martin 210 : 260). Les rappeurs peuvent faire preuve de respect aux gens qu’il croient

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représenter, comme les gens des banlieues défavorisés ayant des difficultés avec l’école et peu de possibilités d’emploi, mais également leur famille et les gens de leur quartier.

Alors que beaucoup de recherches se concentrent sur l’identité des rappeurs, Molinero (2009) a choisi un autre perspectif. Dans son livre Les publics du rap : une enquête sociologique, elle n’a pas mis l’accent sur l’identité des rappeurs mais sur celle des auditeurs du rap. Elle fait remarquer que les hommes constituent deux-tiers de l’audience du rap français (Molinero 2009 : 14). Elle observait également que plus de la moitié des auditeurs a moins de 24 ans, et un tiers a un âge entre 15 et 19 ans. Selon Molinero il serait trop facile de dire que le rap est un genre musical qui n’intéresse que les jeunes, puisqu’ainsi on oublie que presque la moitié a plus de 25 ans (Molinero 2009 : 15). Elle conclut que l’audience du rap français est plutôt masculin, jeune, comportant pour la plupart des étudiants et des personnes ayant peu d’enseignement (bac ou moins) qui appartiennent aux couches sociales basses.

Le système scolaire et la politique française sont deux cibles principales de la critique des rappeurs français. En analysant les paroles de rap français, Béthune (2003 : 188) soutient l’idée que beaucoup de rappeurs semblent avoir une relation difficile avec le système scolaire. D’un côté, certains rappeurs le critiquent constamment, mais de l’autre d’autres rappeurs soulignent que les (jeunes) auditeurs ne doivent pas quitter l’école ni imiter leurs artistes préférés, mais qu’il faut que l’audience poursuive un enseignement supérieur. Cet aspect du rap français métropolitain fait partie de la critique plus profonde et d’une désapprobation de la politique et des politiciens. Pendant les émeutes dans les banlieues de 2005, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, en tant que ministre de l’Intérieur, déclarait qu’il allait «nettoyer au Kärcher les cités». S’il a bénéficié de cette déclaration, ce n’est certainement pas dans ces communautés défavorisées. Selon Béthune (2003 : 197), ce sont notamment les partis de l’extrême-droit qui servent de cible dans les paroles du rap français. Plus spécifiquement, le Front National suscite beaucoup de réactions négatives de la part de la communauté hip hop, puisque beaucoup de rappeurs sont issus d’une famille d’immigrants.

D’un autre côté, le rap français reçoit lui-même aussi des réactions négatives. Une critique récurrente sur le rap français est son caractère anti-policier. Beaucoup de rappeurs ont été au

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des unions policières à cause de mots agressifs ou durs envers la police dans certaines paroles de rap. Souvent ces textes sont considérés comme prêchant la haine (Decouvelaere 2008 : 41).

En plus, le rap est souvent perçu comme un style musical violant les règles du bon français Cependant, Paine (2012) revendique que le rap français contienne plus de langue standard que les critiqueurs prétendent. Pour souligner son argument, il se réfère à l’emploi du subjonctif et la présence de ne dans les négations des chansons de rap. D’après Paine, cette tendance d’employer du français standard pourrait également être la preuve que ces rappeurs acceptent subconsciemment l’opinion dominante que le français est une langue qu’il faut chérir et protéger. Ce principe a entre autres abouti à une insistance nationale sur l’instruction grammaticale à tous les niveaux de l’enseignement national. Selon Paine, il se peut que l’emploi occasionnel d’un français plus élégant par les rappeurs soit le résultat de cette accentuation pédagogique. En outre, Paine fait remarquer que cette conviction forte du pouvoir de langue distingue les rappeurs français de leurs collègues américains, qui selon lui n’ont pas grandi dans une culture attachant beaucoup de valeur à la langue anglaise. L’auteur affirme, que peut-être il y a un brin de nationalisme français en ce qui concerne l’emploi de la langue standard qui se cache parmi la langue non-standard. De cela vient que le rap français n’a pas seulement conquis la deuxième place sur le podium de hip hop mondial, mais l’a fait également en rendant au moins un peu d’hommage à la langue française (Paine 2012 : 55). D’après Paine, l’extrême-droit et xénophobe a mis en relation le rap et l’américanisation de la société française. Au lieu d’apprécier le fait que le rap est une des rares formes musicales en français qui attire un public international, ces politiciens ont choisi de se concentrer sur la violation des règles du bon français. Paine réfère à un propos de l’ancien membre du Front National Bruno Mégret, qui condamnait la «sous-culture rock-rap-tag-Coca» (Chebel d’Appollonia 1996 : 366). Paine souligne que Mégret fait une alliance incorrecte d’influences américaines. Il donne quelques arguments pour cela. D’abord, il néglige l’universalité du genre musical en l’appelant une «sous-culture». En plus, il mélange deux genres musicaux qui n’ont rien à voir (le rock et le hip hop). Ensuite, il ajoute une forme d’expression visuelle souvent liée au vandalisme (le tag). Finalement, Il achève sa liste par Coca Cola, un clair symbole de l’impérialisme capitaliste Paine explique que de cette manière, le vocabulaire

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américain faisant partie des paroles de rap français est mis au même niveau que la bouteille de coca remplaçant la bouteille de vin sur les tables à manger françaises (Paine 2012 : 64). On a vu que les rap et les rappeurs souffrent souvent d’une certaine stigmatisation dans l’Hexagone. Verbeke (2016 : 26) insiste sur le fait que l’héritage postcolonial du rap français peut être vu d’une façon positive, puisque beaucoup de rappeurs ont grandi dans des contextes d’hybridité culturelle. Cela peut avoir un impact sur leur créativité et la façon dont ils appréhendent leur art. Cette hybridité culturelle défie de nombreuses manières la notion d’identité fixées, parce que les origines ethniques diverses fonctionnent comme marqueur d’identité pour beaucoup de rappeurs.

On a vu que le rap français parle à l’imagination de beaucoup de chercheurs. Les hypothèses présentées dans le prochain chapitre sont le résultat des différentes théories relativement à l’alternance codique et au rap qu’on a traitées dans le chapitre 2 et 3.

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4. Hypothèses

Maintenant qu’on a traité l’aspect théorique de l’alternance codique et du rap français, le temps est venu de former quelques hypothèses concernant le changement de code dans le rap français. Pour répondre à la première question de recherche (que voit-on de l’alternance codique dans le rap français ?) on propose deux hypothèses :

1. Suivant la recherche de Paine (2012 : 53). On s’attend à ce que le pourcentage des mots dans un autre code ne soit pas plus élevé que 4%.

2. En se basant sur les résultats de Verbeke (2016 : 232), on prévoit que les rappeurs utilisent beaucoup de codes, mais qu’ils alternent probablement le plus souvent de code en anglais.

La première hypothèse concerne l’emploi quantitatif de l’alternance codique, tandis que La seconde regarde son emploi qualitatif. La deuxième question de recherche est : de quelle manière est-ce que les rappeurs utilisent les différents types de code-switching dans leurs paroles de rap ?

3. On hypothèse que l’alternance codique dans le rap français et le français parlé suivent les mêmes règles.

D’une part cela veut dire que les cas d’alternance codique de notre corpus peuvent être groupés dans les trois sous-groupes de Poplack (1980) : intraphrastique, interphrastique et tag-switch. D’une autre part, on prévoit, tout comme Redouane (2005) conclut pour le changement de code arabo-français, que les deux contraintes de Poplack (1980) (la Contrainte de l’Équivalence et la Contrainte du Morphème Libre) ne sont pas valides pour le rap français.

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5. Méthode

5.1 Le corpus

Forcément, pour l’analyse du rap français il faut avoir un corpus de chansons. Les artistes du corpus employé dans ce mémoire font partie de The 2011 UF Hip Hop Corpus, utilisé dans la recherche de Wiechman (2012). Le corpus de Wiechman analyse les paroles de 19 artistes et contient un total de 232 000 mots. Évidemment, la langue de rap est en permanente évolution. C’est pourquoi je choisis d’analyser des paroles de rap plus actuelles et de me concentrer sur des rappeurs qui ont lancé un nouvel album dans l’année 2015. Le tableau A montre un relevé des 7 rappeurs et de leurs albums qui forment le corpus de la recherche actuelle. Le tableau ci-dessous montre les artistes qui font partie du corpus et les albums qu’ils ont lancés en 2014 et 2015.

Tableau A : Corpus de rap 2014 et 2015

Artiste Album Pays d’origine

Abd Al Malik Scarifications (2015) Congo

Booba Nero Nemesis (2015) France

Rohf Le Rohff Game (2015) France

Oxmo Puccino La Voix Lactée (2015) Mali

La Rumeur Les inédits, vol. 3 (2015) France

Disiz Rap machine (2015) France

Soprano Cosmopolitanie (2014) Archipel des Comores

Le corpus montre bien la diversité des rappeurs français. En fait, tous les rappeurs du corpus ont des origines en dehors de la France, même ceux qui y sont nés. Booba a un père

sénégalais, ainsi que Disiz, la formation La Rumeur se compose entre autres de membres d’origine togolaise et algérienne, et Rohff est issu d’une famille comorienne. Évidemment, pour faire une analyse de l’alternance codique des rappeurs français du corpus, il faut

disposer de paroles. Il va de soi qu’il est nécessaire d’avoir une transcription fiable des textes. Normalement, les rappeurs ne les distribuent pas eux-mêmes. Vu la rapidité avec laquelle les rappeurs français prononcent leurs mots et le mélange probable de codes, la transcription de toutes ces paroles serait un travail énormément difficile. Heureusement, de nombreux sites internet rendent les fans du rap en état de consulter les paroles de rap. Attendu que les paroles officielles ne sont pas disponibles, je dépends totalement du site web Rap Genius. Ce

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site a une bonne réputation et donne également des éclaircissements par rapport au

contenu des paroles. Un désavantage de Rap Genius est qu’il est le résultat de contributions de visiteurs. Par contre, la consultation des textes apprend que le site web a une capacité d’autocorrection fonctionnante. C’est pourquoi il paraît parfaitement justifié et même la manière la plus fiable d’utiliser les textes de Rap Genius. Essentiellement parce que de cette manière, il est possible d’extraire les autres codes du corpus. Pour l’accessibilité des paroles, on les copie dans un document Word.

5.2 Procédure

Après avoir créé le corpus, on commence à extraire les données en examinant le corpus mot par mot et phrase par phrase. Ensuite, on cherche pour le nombre d’occurrences des codes alternantes. En cas de doute, la consultation du Petit Robert 2016 fonctionne comme la base. Ce dictionnaire a une réputation progressive, ce qui a la préférence dans ce bain linguistique qui est le rap français. Mais comment décider s’il s’agit d’un changement de code ? Premièrement, si un ou plusieurs mots ne font pas partie du dictionnaire, il est naturellement question d’alternance codique. Deuxièmement, on ne compte pas les mots encadrés en français. C’est-à-dire les mots faisant entièrement partie de la langue. En cas de l’anglais par exemple, on n’inclut pas les mots anglais représentant une nouvelle réalité. Néanmoins les anglicismes, emprunts considérés abusifs ou inutiles par le Petit Robert, passent pour une alternance codique. Troisièmement, si les éditeurs ont proposé une recommandation officielle en français standard ou s’il y a une équivalente française qui a exactement le même sens, il est question d’alternance codique dans cette recherche. Quatrièmement, afin d’éviter la répétition des refrains on fait la choix de ne les compter qu’une fois par chanson. Finalement, on ne considère pas les noms propres (films, artistes etc.) comme une alternance codique. Bien entendu, si plusieurs mots d’un autre code se succèdent, il est évident qu’il s’agit de changement de code. Quand même, il faut être conscient du fait qu’au niveau lexical il est souvent difficile de décider s’il s’agit d’alternance codique ou juste d’un emprunt. Malgré le fait que quelques chercheurs, comme Paine (2012), considèrent la totalité de l’argot français comme un changement de code, on choisit de se limiter au verlan. Cela veut dire que même des formes verlaniques plus ou moins acceptées comme meuf sont englobées. Pour le lexique d’autres codes, notamment pour les langues non-européennes, on utilise les sites Wiktionnaire et Dico 2 Rue.

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