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Louie Media prend la parole - À propos de la spécificité de Louie Media en tant que nouvel acteur dans le champ médiatique français

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Louie Media prend la parole

À propos de la spécificité de Louie Media

en tant que nouvel acteur

dans le champ médiatique français

Eva de Waal S4812735 Août 2020

Mémoire de maîtrise Literair Bedrijf Faculté des Arts, Université Radboud de Nimègue M E D I A

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Introduction ... 7

Choix du sujet ... 7

Status quaestionis ... 8

Question de recherche et hypothèse ... 11

Délimitation, méthode et structure de la thèse ... 12

Cadre théorique ... 13

Théorie des médias ... 13

Théorie du Champ culturel ... 16

Conclusion ... 19

Chapitre La position des podcasts dans le champ médiatique français ... 21

La naissance du podcast aux États-Unis ... 21

Les différents producteurs ... 22

Les radios publiques font aussi des podcasts ... 23

Modèle des revenus ... 25

Les start-ups : les nouveaux arrivants ... 26

Modèle des revenus ... 27

Conclusion ... 28

Chapitre Les coulisses de Louie Media ... 30

Journalisme narratif et slow journalism ... 30

Les femmes prennent la parole ... 32

Modèle économique de Louie Media ... 34

Méthode de travail de Louie Media ... 38

Création d’une communauté ... 39

Conclusion ... 40

Chapitre Analyse des podcasts de Louie Media ... 42

Séries de podcasts de Louie Media ... 42

Épisodes analysés ... 49

Méthode de Genette ... 49

Analyse des épisodes ... 52

L’instance narrative ... 52

Le mode narratif ... 56

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Série ou épisodes autonomes ... 59

Durée du podcast et nombre de voix ... 60

Genre des intervenants ... 61

Présentation des intervenants ... 65

Conclusion ... 67

Conclusion ... 69

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Choix du sujet

« Pendant la période de crise que nous vivons, notre podcast a changé de forme. Nous nous demandions comment vous viviez vos émotions pendant cette période de déconfinement et nous interrogeons des experts et des expertes pour nous aider à décortiquer tout ça. Je suis Cyrielle Bedu et vous écoutez

Émotions, un podcast de Louie Media. [Musique] Il n’est pas facile pour tout le monde de reprendre leurs

vies après un confinement. Alors que certain.e.s se sont empressé.e.s de revoir leurs ami.e.s et leurs proches dès le confinement levé, d’autres ont préféré rester chez eux et éviter les sorties, par peur d’attraper le coronavirus ou parfois par simple confort, parce que nous n’avons en effet pas tous étés gêné.e.s par la réduction des relations sociales concernant le confinement. C’est le cas de la journaliste Géraldine Dormoy. Elle est journaliste et autrice du livre Un cancer pas si grave qu’elle a écrit après avoir vaincu un cancer du sein. Dans une de ses récentes newsletters qu’elle a intitulée « Rester en soi », elle écrivait être la première étonnée que les relations virtuelles lui suffisent. « Le confinement me rappelle que je peux aussi être casanière. Je l’avais déjà perçu lors de mon congé maladie, puis m’étais de nouveau laissée distraire une fois guérie », confiait-elle. »1

Voici un extrait du dernier épisode « Émotions déconfinées : le syndrome de la cabane » d’Émotions, une série de podcasts de la société française intitulée Louie Media. Personnellement, je ne sais pas non plus ce que je suis autorisée à faire maintenant que la vie sociale est à nouveau possible. Les journalistes Cyrielle Bedu et surtout Géraldine Dormoy – qui est interviewée sur les mêmes sentiments que je ressens – me comprennent sur ce point. De plus, comme j'entends les voix des deux journalistes Bedu et Dormoy dans le podcast, je fais partie d'un groupe pendant un court instant. Leurs voix créent un lien plus fort avec moi en tant qu’auditrice en comparaison avec une production journalistique écrite. Bien que ce podcast n’ait pas été enregistré spécialement pour moi, je me reconnais dans les histoires. Dans ce podcast, les journalistes valorisent l'aspect personnel. C'est pourquoi il me plaît énormément. En outre, je choisis ce podcast très délibérément parce qu’un sentiment de proximité est très important pour moi, surtout dans les moments bizarres du confinement. J'aime aussi la courte durée de leurs podcasts. Je choisis moi-même le moment où je veux les écouter. Donc, en choisissant ce podcast, j’écoute « à la demande ».

1 Louie Media, « Émotions déconfinées : le syndrome de la cabane », Louie Media, 25-05-2020, consulté sur :

https://louiemedia.com/emotions.

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Fondé en 2008 par Mélissa Bounoua et Charlotte Pudlowski, Louie Media se décrit comme le studio leader dans la production de podcasts narratifs haut de gamme. La société valorise le féminisme et l’individu.2 À côté de la série Émotions, l’équipe féminine de Louie Media produit six autres séries de podcasts : Entre, Injustices, Le Book Club, Manger, Travail et Une Autre Histoire. En janvier 2020, Louie Media revendiquait plus de 500 000 écoutes par mois et employait 15 salariées.

Le succès de Louie Media a éveillé ma curiosité en tant que journaliste. Je veux en savoir plus sur cette entreprise française et c’est pourquoi je me pose plusieurs questions : Qu'est-ce qui rend les podcasts de Louie Media si populaires ? Quelle est la formation des salariées ? Comment peuvent-elles faire du journalisme qui prend du temps alors que les podcasts sont disponibles sur différentes plateformes gratuitement ? Quel modèle de revenus l'entreprise utilise-t-elle ? L'objectif de cette thèse est de savoir quelles techniques dans le domaine du journalisme narratif Louie Media utilise dans la production des podcasts.

Status quaestionis

Le podcast est un média relativement nouveau et en pleine expansion. Étant apparu dans le paysage médiatique au début de l'année 2000, peu de recherches scientifiques ont été menées à son sujet. Les recherches menées et les articles écrits sur les podcasts sont principalement de nature journalistique. À partir de 2006, les podcasts ont reçu une reconnaissance académique, à commencer par l’article scientifique « Will the iPod Kill the Radio Star ? » de Richard Berry.3 Mark Deuze, chercheur en médias à l'université d'Amsterdam, est un autre grand nom dans ce domaine. Les deux chercheurs se concentrent sur les podcasts et les médias, alors que d'autres recherches portent principalement sur la valeur ajoutée des podcasts pour l'éducation. Notre objectif n’est pas d’étudier l’emploi des podcasts dans un contexte académique. Cette thèse vise à déterminer la relation entre les podcasts et le journalisme narratif dans le champ médiatique en France en analysant les podcasts de Louie Media.

2 Louie Media, « Qui sommes-nous ? », Louie Media, consulté sur : https://louiemedia.com/qui-sommes-nous.

3 BERRY, Richard, « Will the iPod Kill the Radio Star ? Profiling Podcasting as Radio », Convergence : The International Journal of Research

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Selon les sources que nous avons consultées, la popularité de l’écoute de podcasts s’explique par trois facteurs. Premièrement, Louie Media indique le succès des podcasts par le fait que nous vivons dans une société aussi bien sonore que visuelle.4 Dans son livre Une histoire

de la modernité sonore, Jonathan

Sterne dit que l’intérêt pour l'audio se manifestait déjà dans les années soixante où la radio a connu une grande popularité.5 À cette époque, la

télévision entrait également dans les foyers, ce qui signifiait que les gens vivaient non seulement dans une société d'écoute mais aussi dans une société visuelle. Peter Lunt rappelle que la télévision des années 1950 et 1960 avait pour fonction d’« informer, éduquer et distraire » dans le but de fournir un contenu universel qui puisse être consulté par tout le monde.6 Par la suite, la radio s’est développée encore davantage du point de vue du dispositif technique. Par exemple, la diffusion hertzienne et les diffusions par câble et satellite ont permis un fort accroissement de l’offre. La figure 1 montre que la popularité de la radio et de la télévision est encore importante aujourd'hui en France. Bien que la télévision soit moins consommée par les Français au fil des ans, elle reste le média le plus populaire. La figure 1 montre en fait que l’utilisation de la radio diminue légèrement. Néanmoins, elle reste l’un des trois principaux médias.7 En moyenne, la radio représente 65 % du volume d’écoute consacré aux contenus audio.8 Récemment, une forme audio importante a été ajoutée au paysage médiatique français : le podcast. En conclusion, nous pouvons dire que nous vivons dans une société sonore parce que la radio est encore très écoutée, qui est considérée comme fiable.

Deuxièmement, un autre facteur de popularité de l'écoute est l'essor des smartphones, qui ont rendu l'écoute plus facile. L’utilisation des smartphones connaît une forte augmentation

4 Louie Media, « Qui sommes-nous ? », Louie Media, consulté sur : https://louiemedia.com/qui-sommes-nous. 5 STERNE, Jonathan, Une histoire de la modernité sonore, Paris : La Découverte, 2015, 451 p.

6 BEUSCART, Jean-Samuel, BEAUVISAGE, Thomas, MAILLARD, Sisley, « La fin de la télévision ? Recomposition et synchronisation des

audiences de la télévision de rattrapage », Réseaux, nr. 175, 2012, p. 47.

7 LARDEAU, Matthieu, « Media landscapes : France », Media Landscapes, 2017, consulté sur : https://medialandscapes.org/country/france. 8 MÉDIAMÉTRIE, « Global Audio », Médiamétrie, 26-03-2019, p. 1, consulté sur :

https://www.mediametrie.fr/sites/default/files/2019-03/2019%2003%2026%20CP%20Global%20Audio_1.pdf.

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dans le monde entier, aussi en France. En 2019, eMarketer a réalisé une étude montrant une augmentation de 36 % de l'utilisation des smartphones par les Français au cours de l’année.9 Selon l’étude de Reuters, il existe un rapport logique entre la popularité des smartphones et celle des podcasts.10 Les recherches menées par Statista sur l'industrie du podcast en France soutiennent l'affirmation en concluant que les podcasts sont surtout écoutés sur le téléphone en France, suivis par les ordinateurs portables et les tablettes. Selon Charlie Beckett et Mark Deuze, les smartphones deviennent rapidement la principale plateforme pour écouter des podcasts, et non plus seulement une option.11 Si les smartphones sont les appareils les plus utilisés pour écouter des podcasts, nous pouvons dire que les podcasts sont partout. Ils peuvent être écoutés à tout moment, n'importe où.

Troisièmement, nous observons un changement dans l’utilisation des médias, du push au pull. C’est-à-dire que les consommateurs choisissent de plus en plus eux-mêmes parmi une large gamme de médias disponibles (pull), au lieu d'accepter ce qui leur est proposé à un moment donné (push). Un exemple bien connu de ce comportement médiatique est Netflix. Sa popularité en France montre que les Français ont besoin de choisir leur propre utilisation des médias. En janvier 2020, un Français sur 10 avait un abonnement payant à Netflix.12 En d'autres mots, la vidéo en streaming qui permet un comportement de visionnage plus individuel est en plein essor. Nous pouvons affirmer que ce comportement médiatique n'est pas seulement populaire parmi les téléspectateurs, mais aussi parmi les auditeurs. Les podcasts offrent aussi la possibilité de les consommer de manière délinéarisée, à la demande, nomade et sélective. Rémi Bouton le résume dans la formule « any time, anywhere, any device ».13 C’est dans cet esprit que les podcasts offrent à l'auditeur une grande liberté : les auditeurs peuvent décider eux-mêmes quand, où et comment ils les écoutent.14 Cela signifie la fin de la consommation collective des médias. Donc, cette transformation peut être décrite comme le passage d’un média de l’offre à un média à la demande. L’arrangement linéaire du média, assuré par le programmateur, est de plus en plus remplacé par une consommation désynchronisée.15

9 VON ABRAMS, Karin, « France Time Spent with Media 2019 », eMarketer, mai 2019, consulté sur :

https://www.emarketer.com/content/france-time-spent-with-media-2019.

10 NEWMAN, Nic et al., « Reuters Institute Digital News Report 2019 », Reuters Institute, 2019, p. 60-61, consulté sur :

https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/2019-06/DNR_2019_FINAL_0.pdf.

11 BECKET, Charlie, DEUZE, Mark, « On the Role of Emotion in the Future of Journalism », Social Media + Society, 2016, p. 1.

12 TURCAN, Marie, « Un Français sur dix paie un abonnement à Netflix », Numerama, 16-01-2020, consulté sur :

https://www.numerama.com/business/599695-un-francais-sur-dix-paie-un-abonnement-a-netflix.html.

13 BOUTON, Rémi, « Podcast : le grand retour du son », Nectart, 2020, nr 10, p. 98.

14 BRACHET, Camille, « L‘appropriation d‘Internet par les médias non-informatisés : le cas des podcasts », Communication et langages, nr.

161, 2009, p. 25.

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Question de recherche et hypothèse

Notre étude se penche sur la méthode de travail des podcasts narratifs de Louie Media. La question centrale de cette thèse est : Quelles sont les techniques journalistiques employées dans

les podcasts narratifs de Louie Media afin de défendre les valeurs féministes et personnelles ?

Les trois sous-questions que nous avons formulées pour répondre à la question principale sont :

1) Quelle place occupent les podcasts dans le champ médiatique français ?

2) Quels sont les principaux acteurs dans le domaine des podcasts narratifs en France ? 3) Quelles sont les techniques narratives utilisées par l’équipe de Louie Media ?

Notre hypothèse par rapport à la première sous-question est que les podcasts occupent une place de plus en plus importante dans le champ médiatique français. Les études existantes montrent qu’il existe aujourd’hui de nombreux podcasts en France.16 Nous attendons de l'offre qu'elle crée une demande. C’est-à-dire que lorsque l'offre s'élargit avec un contenu intéressant, l'audience augmente également. Avec l'arrivée de sociétés indépendantes, les stations de radio publiques tentent également de trouver leur voie dans ce nouveau paysage médiatique. Ils réagissent à cette tendance en proposant également des podcasts que les auditeurs peuvent écouter à la demande. Contrairement aux sociétés indépendantes, les stations de radio publiques reçoivent des fonds publics qui leur donnent plus de sécurité financière.

En ce qui concerne la deuxième sous-question, l’hypothèse est qu'il y a de nombreux « acteurs » sur le terrain des podcasts français. Ces acteurs viennent d'horizons différents : les stations de radio publiques, la presse écrite et les studios indépendants. Louie Media est un exemple de cette dernière catégorie. En ce qui concerne les podcasts, il s'agit d'un champ médiatique où interviennent des acteurs de différentes origines, visant tous à obtenir une position dominante. Ils ont des modèles de rémunération différents, tels que les subventions, la publicité, les abonnements, le crowdfunding et le sponsoring et la vente de produits dérivés. Nous nous attendons à ce que des start-ups, comme Louie Media, soient financièrement vulnérables que les stations de radio publiques.

La troisième sous-question porte sur la méthode de travail des journalistes de Louie Media : comment fabriquent-elles leurs podcasts narratifs ? Pour pouvoir y répondre, nous faisons appel aux concepts narratologiques du critique littéraire Gérard Genette (1930-2018). La question centrale en narratologie est de savoir qui dit quoi et comment. Si nous regardons

16 CERVENNANSKY, Marc, « Podcast : pourquoi la communication publique doit s’y intéresser », Cap’Com, 14-06-2019, consulté sur :

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le slogan de Louie Media intitulé « Écoutez pour voir », nous nous attendons à ce que les créatrices essaient d’évoquer un sentiment de proximité afin que l'auditeur puisse s'identifier à chaque histoire. Afin d'atteindre l'élément personnel, Louie Media emploie également des sons ambiants dans les podcasts. En outre, la société attache une grande importance aux illustrations qui accompagnent les podcasts sur le site web. Nous attendons des journalistes de Louie Media qu'elles attachent de l'importance aux illustrations afin d’évoquer des émotions chez les auditeurs.

En ce qui concerne l'hypothèse centrale, il est important de savoir que Louie Media est un acteur relativement nouveau dans le champ médiatique français. C’est pourquoi Louie Media doit encore trouver sa voie parmi les acteurs consacrés. Nous précisons qu’il convient d'établir une distinction claire entre ces acteurs dans le champ. D'une part, les stations de radio publiques offrent initialement des médias push mais, en raison de la popularité des médias pull, ils offrent également leurs émissions sous forme de podcasts. De cette manière, leurs programmes peuvent être écoutés en ligne au moment qui convient à l'auditeur. D'autre part, des start-ups comme Louie Media font également des podcasts. Aujourd’hui, ces start-ups doivent encore trouver leur modèle de rémunération. Les podcasts peuvent être écoutés gratuitement mais comment remportent-ils de l’argent ? Nous pensons que des sociétés comme Louie Media réussissent dans ce champ médiatique français en créant un sentiment de proximité avec leur jeune groupe cible. Les journalistes s’expriment sous la forme du « je » et c’est pourquoi l’auditeur peut s’identifier à elles. Ce n'est pas tout à fait unique, mais c'est une stratégie que nous nous attendons à voir déployée chez Louie Media. De plus, nous souhaitons que chaque épisode mette en scène des histoires auxquelles les auditeurs peuvent s'identifier. L'inventivité se traduit également par la manière de gagner de l'argent. Louie Media vend des sacs, des écouteurs et des cartes postales portant le logo Louie Media.

Délimitation, méthode et structure de la thèse

Cette étude porte sur la production des podcasts narratifs par la société française Louie Media. Cela signifie que nous examinons la méthode de travail des journalistes de Louie Media. Chaque série de podcasts de Louie Media a été analysée. Pour voir si les podcasts diffèrent les uns des autres en termes de techniques journalistiques narratives utilisées, nous avons étudié l’épisode le plus récent de chaque série. Les autres épisodes des podcasts produits par Louie Media ne sont pas inclus dans cette étude. Le choix a été fait d'analyser sept épisodes au total

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afin que l’analyse soit faisable et bien focalisée. Après tout, l'analyse d'un podcast est un travail qui prend beaucoup de temps. Une méthodologie plus détaillée sera présentée plus loin.

Dans le status quaestionis, nous avons constaté trois tendances dans l'utilisation des médias qui favorisent l'écoute des podcasts aujourd’hui. Le cadre théorique présentera Mark Deuze et Pierre Bourdieu comme des chercheurs importants qui permettront de comprendre la position des podcasts dans le champ médiatique français. Le premier chapitre est consacré à la France et répond à la question : comment les podcasts sont-ils positionnés dans le champ médiatique français ? Nous essayons ici d'identifier les acteurs de podcast les plus importants dans le champ médiatique français. Le deuxième chapitre se concentre sur la société Louie Media et sa méthode de travail. Dans le troisième chapitre, il y aura une analyse des podcasts basée sur le modèle narratologique du critique littéraire Gérard Genette. Cinq aspects seront abordés dans l’analyse, tous propres à l’acte narratif : l’ordre, la durée, la fréquence, le mode et la voix. Une explication plus détaillée du modèle d'analyse de Genette est donnée au début du chapitre 4.

Cadre théorique

Le cadre théorique de notre étude est basé sur des travaux de Mark Deuze et Pierre Bourdieu.

Théorie des médias

La première théorie que nous voulons aborder est celle de Mark Deuze, chercheur en médias à l'université d'Amsterdam. Dans les études sur les médias, la théorie de « la médiatisation » – aussi appelée médiation dans le monde scientifique – soutient que les médias façonnent et encadrent la société. Un pionnier dans ce domaine est Marshall McLuhan. Avec son livre

Understanding Media : The Extensions of Man (1964), il est devenu célèbre avec la formule

suivante : « The medium is the message ».17 McLuhan a voulu dire que les moyens de communication laissent une marque décisive sur la signification du message. Un résultat frappant est que McLuhan qualifie la télévision et la radio de « chauds », ce qui signifie que ces moyens de communication ont une grande influence sur le monde. Donc, selon Deuze et McLuhan, les médias influencent la société par leurs informations.

Selon la théorie des médias, nous sommes passés d’une culture imprimée du XIXe siècle à une culture numérique du XXIe siècle. D’après Deuze, l'essor de la culture numérique peut s'expliquer par la popularité des ordinateurs en réseau, des logiciels multi-utilisateurs et

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de l'Internet.18 Nous devons réaliser que cette évolution profonde du paysage médiatique a un impact majeur sur la société. En fait, tout le monde utilise de plus en plus de médias. Dans son article « Living as a Zombie in Media is the Only Way to Survive », Deuze décrit ce phénomène comme une vraie révolution.19 L'anthropologue Keith Hart élargit la notion de Deuze et préfère la décrire comme une révolution mondiale, en raison de l'utilisation massive des médias dans le monde entier.

We are living through the first stages of a world evolution … It is a machine revolution, of course: the convergence of telephones, television and computers in a digital system whose most visible symbol is the internet. It is a social revolution, the formation of a world society with means of communication adequate at last to expressing universal ideas … It is an existential revolution, transforming what it means to be human and how each of us relates to the rest of humanity. (Keith Hart)20

Donc, les technologies et les usages évoluent très vite, devenant de plus en plus mobiles. Les consommateurs d'informations ont plus facilement accès au journalisme que jamais auparavant et cela signifie que l'information est partout. C’est pourquoi, selon Deuze, nous utilisons les médias tout le temps.21 Dans cet esprit, il veut dire que l'utilisation massive d'Internet dans le monde entier garantit que nous pouvons toujours nous connecter les uns aux autres. Par conséquent, nous pouvons constater qu’il existe une révolution de l’interactivité. Elle est portée par les usages des jeunes dont les caractéristiques sont d’agir et d’interagir. Nous pouvons en tirer une conclusion importante. Le public refuse d’être passif et s'engage dans son utilisation des médias. Cela signifie la fin de l’ère médiatique dans lesquels les médias produisent et le public consomme.

Nous voyons ici la demande d'un comportement de pull de la part du consommateur de médias, ce que nous avons déjà mentionné. C'est dans ce contexte que l'utilisateur de médias peut connaître deux états : un isolement total ou une connectivité accrue. Nous pouvons dire que ce phénomène s’applique également aux podcasts. Le podcast ne peut exister que grâce à et sur Internet. D'une part, les podcasts sont souvent écoutés sur un appareil mobile. En utilisant des écouteurs, l'auditeur peut se couper complètement du monde extérieur. D'autre part, les podcasts offrent une connectivité énorme, en partie grâce aux médias sociaux des sociétés de podcast. Donc, du côté des utilisateurs des médias, la tendance à la personnalisation et à l’interaction est devenue incontournable.

18 DEUZE, Mark, « Participation, Remediation, Bricolage : Considering Principal Components of a Digital Culture », The Information Society,

2006, vol. 22, p. 63.

19 DEUZE, Mark, « Living As a Zombie in Media is the Only Way to Survive », Journal of the Fantastic in Arts, 2014, vol. 25, nr. 2-3, p. 307. 20 HART, Keith, « An Anthropologist in the World Revolution », Anthropology Today, 2009, 26.6, p. 24-25.

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Un concept intéressant que Deuze mentionne brièvement dans son article « Participation, Remediation, Bricolage : Considering Principal Components of a Digital Culture » est « la remédiation ». Le livre Remediation : Understanding New Media de Jay Bolter et Richard Grusin donne un aperçu clair de ce concept. Dans ce titre, nous voyons une référence indirecte au livre Understanding Media : The Extensions of Man de McLuhan. Donc, Bolter et Grusin ont tenté d'actualiser les conclusions de McLuhan pour l'ère numérique. Selon Bolter et Grusin, la remédiation signifie que les anciens médias électroniques et imprimés tentent de réaffirmer leur statut au sein de notre culture en posant un défi aux médias numériques. Cela peut être lié à la théorie de Pierre Bourdieu, que nous examinerons en détail plus loin dans ce chapitre. Bourdieu soutient qu'il existe un champ de forces, dans lequel de nouveaux acteurs rivalisent avec les acteurs consacrés.

Pour Bolter et Grusin, l'histoire des médias n'est pas une série de déplacements où les nouveaux médias (par exemple, les podcasts) rendent les anciens (par exemple, la radio) obsolètes. Au contraire, les nouveaux médias transforment les anciens en conservant certaines de leurs caractéristiques tout en écartant d'autres. Dans leurs propres mots, la remédiation est « The way in which one medium is perceived by our culture as reforming or improving another. ».22 En d’autres mots, c'est la logique formelle par laquelle les nouveaux médias remodèlent les formes médiatiques antérieures.23 Lax souligne dans son livre Media and Communications

Technologies : A Critical Introduction que plutôt que de remplacer les médias existants, les

nouveaux médias s’emploient tout autant à stimuler les médias existants.24 Par exemple, la façon dont les podcasts reprennent les fonctions de la radio (uniquement en audio, lien intime avec l'auditeur, dans les oreilles de l'auditeur) et les transforment en autre chose (plus d'écoute à la demande, narration à la première personne du singulier).

Dans la transition vers la culture numérique, l’Internet joue un rôle important.25 Aujourd’hui, le WiFi permet à n'importe qui d'accéder à l'Internet. Selon Berry, l’Internet est l’avenir de la radio. Donc, en ce qui concerne la remédiation de la radio, Berry souligne que la relation entre la radio et l’Internet est la plus importante. Lorsque la radio est apparue pour la première fois sur le web, les auditeurs, les praticiens et les universitaires ont reconnu que l'Internet offrait de nouvelles possibilités aux radiodiffuseurs.26 C’est-à-dire que l'Internet permet à chacun, y compris l'amateur, de devenir un producteur potentiel de contenu. Deuze

22 DAVID BOLTER, Jay, GRUSIN, Richard, Remediation : Understanding New Media, Cambridge : The MIT Press, 1999, p. 59. 23 Ibid, p. 273.

24 LAX, Stephen, Media and Communications Technologies : A Critical Introduction, Hampshire : Palgrave, 2009, p. 112. 25 DAVID BOLTER, Jay, GRUSIN, Richard, Remediation : Understanding New Media, Cambridge : The MIT Press, 1999, p. 43. 26 BERRY, Richard, « The Future of Radio is the Internet, not on the Internet », Radio : The Resilent Medium, 2019, p. 3.

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souligne que la pratique du journalisme par tous se fait à la fois au niveau individuel et collectif.27 Le podcast est également un genre accessible parce que tout le monde peut en faire. Nous nous heurtons ici immédiatement à un problème : comment la qualité est-elle désormais reconnue ? Et comment tous les acteurs gagnent-ils de l'argent avec cela ? Berry rappelle que le podcasting offre une liberté d'écoute et de création, loin des modèles traditionnels médiatiques où des gatekeepers interviennent dans le mode de production.28

Pour conclure, la remédiation est une caractéristique déterminante de la culture numérique. La remédiation est un nouveau cadre pour examiner comment tous les médias empruntent constamment à d'autres médias et les remodèlent au sein de la culture numérique. Cela signifie que les nouveaux médias ne sont pas complètement séparés des anciens. Au contraire, Bolter et Grusin remettent cela en question en affirmant que les nouveaux médias visuels se modèlent sur les médias antérieurs. Nous pouvons conclure que les médias ont besoin les uns des autres pour pouvoir fonctionner. Pour cette thèse, nous considérons les podcasts comme de nouveaux médias, issus de l'ère numérique. Vus à travers le prisme de la théorie de la remédiation, les stations de radio publiques sont les anciens médias. Comme l'affirme Deuze, les stations de radio publiques et les podcasts ne sont pas séparés les uns des autres. Nous voyons que les deux travaillent avec le son et que les stations de radio publiques produisent également des podcasts.

Théorie du Champ culturel

Afin de comprendre le fonctionnement de Louie Media dans le domaine du podcast français, nous avons besoin d'en savoir plus sur le fonctionnement du champ. C'est pourquoi il est pertinent d'étudier les idées du sociologue français Pierre Bourdieu.

Dans son livre Quelques propriétés des champs, Bourdieu distingue plusieurs champs dans la société tels que le champ politique, le champ éducatif, le champ littéraire, le champ politique et le champ culturel. Nous devons souligner que les champs n'ont pas de frontières claires. Par exemple, Leïla Slimani prouve qu'un acteur peut opérer dans plus d'un champ. En tant qu'écrivaine française et lauréate du prix Goncourt (2016, Chanson douce), elle opère dans le champ littéraire. Mais parce qu'elle a été nommée représentante personnelle du président Emmanuel Macron pour la francophonie le 6 novembre 2017, Slimani est aussi active dans le champ politique.

27 DEUZE, Mark, « Participation, Remediation, Bricolage : Considering Principal Components of a Digital Culture », The Information Society,

2006, vol. 22, p. 65.

28 BERRY, Richard, « Will the iPod Kill the Radio Star ? Profiling Podcasting as Radio », Convergence : The International Journal of Research

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Selon Bourdieu, les champs sont « des espaces structurés de positions dont les propriétés dépendent de leur position dans ces espaces et qui peuvent être analysées indépendamment des caractéristiques de leurs occupants».29 Dans cette perspective, nous tenons à souligner que les mots ‘position’ et ‘occupant’ sont importants pour comprendre les champs décrits par Bourdieu. C’est-à-dire que les acteurs acquièrent une certaine position dans le domaine et mènent une « lutte de pouvoir ».30 Le champ, explique Bourdieu dans La

Noblesse d’État, est « un champ de forces défini dans sa structure par l’état du rapport de forces

entre des formes de pouvoir, ou des espèces de capital différentes. »31 Dans chaque champ deux groupes rivalisent pour promouvoir leurs propres intérêts. Le premier groupe veut garder le champ tel qu'il est : ce sont les conservateurs et les noms établis déjà reconnus par le champ. Dans notre cas, il s'agit des stations de radio publiques qui avaient auparavant le droit exclusif de diffuser de l’audio. Le deuxième groupe veut changer et renouveler le champ tel qu'il est : les avant-gardistes. Ce sont les nouveaux acteurs dans le champ – également souvent appelés

start-ups – telles que Louie Media. Deuze note dans ce contexte que l’essor des start-ups dans

le monde des médias est caractéristique du XXIe siècle : des entreprises jeunes qui entrent dans le champ comme des travailleurs indépendants. Cela se reflète également dans les podcasts : des start-ups français telles que Nouvelles Écoutes (2016), Binge Audio (2016) et Louie Media (2018) sont toutes nées au cours du XXIe siècle. Ces nouveaux venus doivent donc se frayer un chemin dans le domaine des podcasts. En fait, nous pouvons comparer le champ de Bourdieu à un marché avec des producteurs et des consommateurs de biens. D’un côté, les producteurs sont des individus dotés de capitaux spécifiques qui s’affrontent. Ce sont à la fois les acteurs traditionnels (les stations de radio publiques) et les nouveaux acteurs (des start-ups). De l’autre, il existe sur le marché des consommateurs qui écoutent les podcasts. Les combats dans le champ peuvent conduire à la domination d'un acteur.

Pour acquérir une position dominante dans ce champ, il est important de disposer d'un capital suffisant. Bourdieu distingue quatre formes de capital : le capital économique (l’argent), social (relations, réseaux), culturel (connaissances, compétences, éducation) et symbolique (la reconnaissance sociale).32 Toutes ces formes de capital sont nécessaires pour acquérir un statut dans le champ. Lorsque les nouveaux acteurs entrent sur le terrain, ils commencent souvent du côté du spectre où le capital symbolique est grand et le capital économique est petit. Une

start-29 BOURDIEU, Pierre, Le Sens pratique, Paris : Les Éditions de Minuit, 1980, p. 113.

30 GIELEN, Pascal, « Reflectiviteit, strijd en het kunstwerk in Pierre Bourdieus kunstsociologie: enkele kanttekeningen vanuit empirische

observaties », Sociologie, 2005, nr. 4, p. 424.

31 BOURDIEU, Pierre, La Noblesse d’État, Paris : Les Éditions de Minuit, 1989, p. 312. 32 BOURDIEU, Pierre, La Distinction, Paris : Les Éditions de Minuit, 1979, p 422.

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up comme Louie Media est entrée dans le champ médiatique en 2018, à une époque où les

podcasts étaient très appréciés, mais devaient encore se constituer un capital économique. En revanche, les stations de radio publiques, qui sont subventionnées par l'argent public, sont des exemples d'acteurs à grand capital économique. La position des agents dans le champ dépend du volume et la structure de leur capital. La théorie du champ de Bourdieu décrit donc la lutte de pouvoir entre les acteurs dans le champ.

Selon Bourdieu, les nouveaux arrivants essaient toujours d’être reconnus par les acteurs consacrés dans le champ. Nous pouvons dire que les podcasts sont en forte hausse en termes d'audience, mais qu'en est-il du statut culturel de ce genre ? Bourdieu décrit le capital symbolique comme « le volume de reconnaissance ».33 Nous constatons que l’appréciation des podcasts sous forme de prix se fait plus aux États-Unis qu'en France. Un exemple révolutionnaire est la création d'une nouvelle catégorie du Prix Pulitzer cette année, spécialement pour les podcasts.34 En mai 2020, le prix a été décerné à This American Life avec leur production audio « The Out Crowd ». Loué pour : « le journalisme intime qui met en évidence l'impact personnel de la politique « Restez au Mexique » de l'administration Trump ».35 Cela a une grande valeur symbolique, car le Prix Pulitzer est la consécration la plus prestigieuse dans le domaine du journalisme. Ceci prouve le statut grandissant des podcasts. C'est une évolution importante dans l’histoire des podcasts parce que les prix culturels constituent une forme importante d'appréciation. Selon James English, il n'existe aucune forme de capital culturel aussi omniprésent, aussi influent, aussi largement discuté et pourtant aussi peu exploré par les chercheurs que le prix culturel.36 Nous pouvons donc dire que les Américains sont à l'avant-garde de la valorisation du genre, en ouvrant le prix le plus important du journalisme aux podcasts. Cette tendance se retrouve-t-elle également dans le paysage médiatique français ? Existe-t-il par exemple un prix Goncourt pour les productions audio ? La réponse est non. Le prix Goncourt, créé pour récompenser chaque année « le meilleur ouvrage d'imagination en prose, paru dans l'année en France », est attribué presque exclusivement à des romans. La première reconnaissance culturelle des podcasts français sous forme de prix est « le Palmarès des podcasts d’Or de la langue française » en 2005, organisé par le site de podcasts GuiM.37 En outre, nous voyons l’attribution de prix aux podcasts français lors du festival

33 Ibid, p. 425.

34 MULLIGAN, Megan, « Pulitzer Prize Board Announces New Audio Reporting Category », Pulitzer Prize, 05-12-2019, consulté sur :

https://www.pulitzer.org/news/pulitzer-prize-board-announces-new-audio-reporting-category.

35 The Pulitzer Prize, « 2020 Pulitzer Prizes Journalism », 2020, consulté sur : https://www.pulitzer.org/prize-winners-by-year/2020. 36 ENGLISH, James, « Winning the Culture Game : Prizes, Awards, and the Rules of Art », New Literary History, 2002, 33:1, p. 109. 37 VOLCLER, Juliette, « Il était une fois le podcasts, 3 : Des cabanes aux immeubles », Syntone ; actualité et critique de l’art radiophonique,

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annuel Paris Podcast Festival à la Gaîté Lyrique, organisé par Pierre Sérisier et Thibaut de Saint-Maurice. Donc, en France, des prix sont attribués aux podcasts, mais il s'agit principalement de prix qui fonctionnent dans la niche des podcasts et non dans le domaine plus prestigieux du journalisme ou de la littérature. Les podcasts peuvent gagner des prix au sein des sous-champs de podcasts mais cette reconnaissance symbolique est bien moindre que lorsque l'ordre journalistique établi, comme aux États-Unis, l'attribue. Nous pouvons en conclure que le capital symbolique des podcasts est plus grand aux États-Unis qu'en France.

Pour finir, nous voudrions souligner que le champ culturel, tel qu’il est conçu par Bourdieu, n'est pas statique. Au contraire, en raison de la montée et de la disparition des acteurs et de la lutte de pouvoir entre eux, le terrain est toujours en mouvement. Avec chaque nouveau acteur qui entre dans le champ, les positions existantes dans le champ changent. Les positions qui étaient dominantes au début peuvent plus tard être considérées comme dépassées ou classiques par l'entrée de nouveaux acteurs dans le domaine. Par exemple, l'arrivée de la société Louie Media en 2018 apportera un dynamisme dans le champ médiatique français. Tous les acteurs sur le terrain occupent une certaine position, et cette position est définie par leur relation avec tous les autres acteurs sur le terrain. C'est ce que Bourdieu appelle « la prise de position ». En tant que nouveau venu dans le domaine, Louie Media n'a pas encore acquis beaucoup de capital économique. Les acteurs existants ont une position dominante dans le champ. Parce qu'il y a un afflux continu de nouveaux acteurs dans le champ et parce que toutes les positions sont liées les unes aux autres, le champ évolue constamment. Cela signifie qu'une position dominante dans le champ est de nature temporaire.

Conclusion

Les théories de Deuze et de Bourdieu sont importantes pour cette recherche. Elles montrent qu'il y a une lutte de pouvoir entre les acteurs dans le champ médiatique français. Bourdieu se penche sur les différents acteurs et Deuze sur les différents médias. Nous voyons ici que nous pouvons également considérer les médias comme des acteurs en relation avec d'autres acteurs dans le champ. Dans le premier chapitre, nous mettons en lumière deux acteurs majeurs qui opèrent dans le domaine du podcast en France : la radio publique et les start-ups. Suivant la théorie de Bourdieu, nous pouvons identifier les stations de radio publiques aux acteurs traditionnels sur le terrain. D'autre part, les start-ups sont les acteurs d'avant-garde qui veulent renouveler le champ existant. Dans ce chapitre, nous voyons comment la remédiation – décrite par Deuze – se fait dans le champ médiatique français. Le podcast ne sort pas de nulle part

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comme un nouveau média. Il est basé sur les caractéristiques de la radio telles que les techniques narratives auditives. Dans le deuxième chapitre, nous étudions la société Louie Media à l’aide de la théorie de Bourdieu. En examinant le capital économique, social et culturel de Louie Media, nous obtenons un aperçu du capital accumulé par cette société de création de podcasts.

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En raison de la popularité des podcasts, le nombre de créateurs des podcasts a fortement augmenté au fil des ans en France. Ce chapitre commence par un aperçu historique expliquant les origines des podcasts aux États-Unis et leur entrée dans le champ médiatique français. Le manque de recherches scientifiques dans ce domaine fait qu'il n'existe pas de liste des acteurs de podcasts dans le champ médiatique français. Cependant, à l'occasion du Podcast Festival Paris, une « cartographie des principaux acteurs français en 2020 » a été élaborée, qui sert de base au présent chapitre.38 Nous

faisons la distinction entre les stations de radio publiques en tant que producteurs de podcasts, d'une part, et les entreprises indépendantes, d'autre part.

La naissance du podcast aux États-Unis

Aux États-Unis, Dave Winer, Christopher Lydon et Adam Curry ont fondé les premiers podcasts en 2001.39 Ces « podfathers » ont été techniquement responsables de l’émergence et du développement des podcasts en Amérique. 2004 et 2005 ont été des années importantes pour le développement du podcast. En février 2004, le mot podcast apparaît pour la première

38 STEFANI, Matthieu, « La cartographie ultime du podcast en France », Medium, 23-10-2019, consulté sur :

https://medium.com/cosavostra-stories/la-cartographie-ultime-du-podcast-en-france-88c488809595.

39 COHEN, Évelyne, « La baladodiffusion : de la réécoute à la création sonore de podcasts », Sociétés et Représentations, 2019, nr. 48, p. 160.

Chapitre

La position des podcasts dans

le champ médiatique français

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fois dans le journal The Guardian.40 Dans l’article « The audible révolution », le journaliste Hammersley explique le succès des podcasts par le lancement de l’iPod, l'accès à l'Internet dans le monde entier et la disponibilité de logiciels de production audio peu coûteux.41 La même année, le premier podcast américain à succès était The Daily Source Code, réalisé par Curry. La raison pour laquelle Curry a lancé un podcast était une lacune dans le paysage radiophonique : « Utiliser le son comme un art, c'est quelque chose que nous avons oublié en faisant de la radio. »42 Le podcast de Curry était un succès avec 500 000 abonnés. Alors que le mot podcast ne donnait que 24 résultats sur Google au début de 2004, ce nombre a explosé à plus de 100 millions de résultats en septembre 2004.43 En 2005, Apple permettait l’écoute de podcasts via son logiciel iTunes 4.9 ce qui a beaucoup facilité leur écoute et contribué au développement du format. Ensuite, le mot « podcast » a été ajouté au dictionnaire d’Oxford avec la définition suivante : « A digital audio file made available on the Internet for downloading to a computer or mobile device, typically available as a series, new instalments of which can be received by subscribers automatically. »44 Dans cette définition, il est intéressant que le mot « radio » n’est pas présent ce qui montre qu'il s'agit d'un média qui est devenu indépendant, séparé de la radio. De plus, le mot podcast a été nommé « le mot de l’année 2005 » par le dictionnaire d’Oxford. Aux États-Unis en 2016, quelque 98 millions de personnes avaient déjà écouté un podcast, soit 36 % de la population. Il s’agit d’une augmentation de 25 % par rapport à 2005. Donc, les podcasts sont nés aux États-Unis et c’est aujourd’hui là où ils sont les plus populaires.

Les différents producteurs

Afin de mieux comprendre la cartographie au début du chapitre, nous avons divisé les producteurs en deux groupes. D'une part, les stations de radio publiques, qui avaient autrefois le droit exclusif de distribuer de l’audio. D'autre part, les start-ups, les nouveaux venus dans le champ médiatique français. Dans les deux cas, nous présentons les trois acteurs français les plus importants et ensuite leur modèle des revenus. En ce qui concerne la radio publique, il s'agit d'Arte Radio, Radio France et Europe 1. Dans le cas des start-ups, il s'agit de Nouvelles Écoutes, Binge Audio et Louie Media.

40 HAMMERSLEY, Ben, « Audible Revolution », The Guardian, 12-02-2004, consulté sur :

https://www.theguardian.com/media/2004/feb/12/broadcasting.digitalmedia.

41 Ibid.

42 TERDIMAN, Daniel, « Podcasts : New Twist on Net Audio », Wired, 10-08-2004, consulté sur :

https://www.wired.com/2004/10/podcasts-new-twist-on-net-audio/.

43 GILMOUR, Dan, We the Media : Grassroots Journalism by the People, For the People, Sebastopol California : O’Reilly Media, 2006, 334 p. 44 LEVINSON, Jay Conrad, Guerrilla Marketing : Easy and Inexpensive Strategies for Making Big Profits from Your Small Business, New York :

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Les radios publiques font aussi des podcasts

La popularité des podcasts aux États-Unis s’est étendue à la France et c’est pourquoi les stations de radio publiques cherchent à se manifester également dans ce domaine.45 Suivant la logique de la remédiation, les stations de radio publiques vont faire ce que font leurs nouveaux arrivants dans le champ culturel : réaliser des podcasts. L'essor des podcasts leur a fait concurrence dans ce qu'ils ont toujours fait : diffuser du son. Une différence essentielle avec les productions radio est la production de programmes en dehors de la grille. Donc, en faisant des podcasts, les stations de radio publiques s'adaptent à la révolution numérique dans laquelle nous sommes engagés selon Deuze. Les stations de radio publiques produisent des podcasts qui correspondent aux demandes des consommateurs médiatiques actuels. C’est-à-dire de manière délinéarisée, à la demande.

Au sein du paysage radiophonique, ARTE Radio est le pionnier de la réalisation de podcasts en France.46 ARTE Radio décide aussi de proposer des podcasts, directement sur le site ou en téléchargement libre, pour favoriser le confort de l’internaute. Il faut souligner qu'il s'agit de podcasts originaux d'ARTE Radio. Si nous faisons une distinction entre les podcasts originaux ou la diffusion de programmes radio via les plateformes d'écoute numériques, nous parlons de podcasts originaux. Alors que la théorie de la remédiation prétend que les anciens et les nouveaux médias ont des similitudes, Silvain Gire, responsable d'ARTE Radio, explique trois différences dans la réalisation d'une émission de radio ou d'un podcast. Premièrement, les podcasts ont une attitude d’écoute plus solitaire que la radio.47 Deuxièmement, Gire souligne que les podcasts nécessitent un style d'écriture différent de celui des reportages radio, incluant une plus grande attention au silence et aux sons ambiants. Troisièmement, la valeur ajoutée des podcasts est la mobilité et le zapping. Gire : « Le podcasting permet de dire : écoutez ce que vous voulez, quand vous voulez, où vous voulez, comme vous voulez. »48

Dans un paysage audiovisuel où la concurrence entre les acteurs règne, ce sont les podcasts de Radio France qui sont de loin les plus écoutés aujourd’hui. Chaque mois, les podcasts de Radio France sont téléchargés 55,2 millions de fois.49 Selon une étude de l’Union Européenne de Radio-Télévision (UER), ces productions représentent 66 % des

45 BOUTON, Rémi, « Podcast : le grand retour du son », Nectart, 2020, nr 10, p. 98. 46 Ibid, p. 161.

47 GAGO, Laurent, « ARTE Radio.com : La radio est un art, pas seulement un transistor », Média Morphoses, 2008, p. 137, consulté sur :

http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/28274/MediaMorphoses_2008_23_133.pdf?sequence=1.

48 BRACHET, Camille, « L’appropriation de podcasts par les médias traditionnels : quels enjeux pour la production de contenus

médiatiques ? », Colloque international, 2006, p. 27.

49 VEIL, Sibyle, « Radio France : le rapport d’activité 2018 », Radio France, p. 88, consulté sur :

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téléchargements de podcasts en France.50 Nous pouvons donc dire que Radio France occupe la position la plus dominante dans le champ des podcasts français. En février 2006, Radio France a lancé une grande campagne publicitaire : « Radio France, portez bien plus qu’une radio ». Une fois de plus, nous remarquons qu’une station de radio publique fait une distinction entre la production radio et les podcasts. En faisant des podcasts, Radio France espère élargir son audience. Il convient de préciser que Radio France a l'avantage de distribuer l’audio sur plusieurs stations tels que France Inter (chaîne nationale, d'intérêt général), franceinfo (chaîne d'information), France Bleu (chaîne locale) et France Culture (chaîne culturelle). Parce que Radio France a de multiples canaux de transmission, nous pouvons dire que Radio France a un important capital symbolique. Radio France peut attirer un large public grâce à cette offre diversifiée. Dans un climat concurrentiel, Radio France espère élargir son audience en proposant des podcasts dérivés des émissions régulières, notamment sur les chaînes France Inter et France Culture.

Dans un contexte d’offres médiatiques démultipliées et de personnalisation de la consommation, il devient de plus en plus complexe pour la radio publique de conserver un rôle fédérateur, notamment auprès des publics nés avec le numérique.51 C'est pourquoi Europe 1 tente de rajeunir son groupe cible en réalisant des podcasts.52 Comme nous le savons, cette génération est familiarisée avec le nouveau paysage médiatique dans lequel l'utilisation des médias numériques à la demande est courante. Selon Jean-Pierre Elkabbach, à l’époque à la tête d’Europe 1, le podcast est un média moderne qui s'adapte à l'utilisation contemporaine des médias.53 Aujourd’hui, Europe 1 propose la quasi-totalité de ses programmes en podcasts. Lorsque nous regardons leur site web, nous constatons immédiatement que la chaîne attache une grande importance aux podcasts. La première option de la barre de menu du site web d’Europe 1 est « Programmes et podcasts ». Nous voyons donc ici que le podcast a dépassé la radio chez Europe 1 parce que la radio n’est que la deuxième position dans la barre de menu du site. Donc, c’est tout le système de radiodiffusion qui s’est finalement reconfiguré autour d’une nouvelle pratique.54 Cela correspond à la théorie de Deuze sur la remédiation. Bourdieu indique que les acteurs dans le champ doivent se distinguer et acquérir une position dominante.

50 VEIL, Sibyle, « Project stratégique pour Radio France (2018-2023) », Radio France, p. 7, consulté sur :

https://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:Jw-A0cVuOM0J:https://www.csa.fr/content/download/248698/657111/version/2/file/candidature%2520S%2520Veil_projet%2520strat%25C 3%25A9gique.pdf+&cd=3&hl=fr&ct=clnk&gl=nl&client=safari.

51 Ibid, p. 1.

52 BRACHET, Camille, « L’appropriation de podcasts par les médias traditionnels : quels enjeux pour la production de contenus

médiatiques ? », Colloque international, 2006, p. 27.

53 BOUTON, Rémi, « Podcast : le grand retour du son », Nectart, 2020, nr 10, p. 101. 54 Ibid, p. 26-27.

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Europe 1 se distingue des autres acteurs en étant le premier à établir un studio de podcast en 2018, appelé Europe 1 Studio.55 L’équipe d’une dizaine de personnes produit plusieurs séries originales parmi lesquelles Les Attaquantes, Au cœur de l'histoire, 3h56 et Mon client et moi.56 De plus, Europe 1 Studio développe également des podcasts pour d’autres entreprises. Nous constatons que c'est un fait nouveau dans le paysage radiophonique français.

Modèle des revenus

L’audiovisuel public repose sur un financement mixte, alliant ressources publiques et privées. Selon l’Institut National de l’Audiovisuel (INA), nous pouvons identifier six manières de financer l’audiovisuel public : la redevance, la taxe, les dons privés, la vente de produits commerciaux et la publicité. Il est important de réaliser que les stations de radio publiques – contrairement aux sociétés indépendantes – reçoivent beaucoup de subventions publiques. En France, le financement des stations de radio publiques est conclu avec l'État dans le cadre du Contrat d’Objectifs et de Moyens (COM) pour une période de cinq ans. Dans ce cas, nous nous intéressons à la période 2017-2021 pour les trois radios publiques françaises précédemment évoquées, à savoir ARTE Radio, Radio France et Europe 1.

Premièrement, ARTE est financée à 95 % par la Contribution à l’Audiovisuel Public (CAP)57 perçue en France. Pour mieux comprendre cet aspect financier, la contribution à l’audiovisuel public (anciennement redevance audiovisuelle) est la ressource principale du service public de l’audiovisuel. Le COM 2017-2021, signé entre ARTE France et les ministères de la culture et de la communication, de l’économie et du budget, prévoit dès 2017 un budget de 274.3 millions d’euros.58 ARTE ne diffuse pas de publicité mais développe des recettes propres, notamment par la recherche de parrainages. Deuxièmement, Radio France est détenu à 100 % par l’État. Le financement de Radio France provient à 89 % de la CAP, soit 596.4 millions d’euros en 2018.59 Donc, la CAP constitue la principale source de revenus de Radio France. Les 10 % restants proviennent de la publicité et de ressources propres, issues des activités déployées hors antenne (par exemple, la billetterie et les concerts). Depuis 2016, Radio France peut diffuser de la publicité. L’État a autorisé une modification du régime de la publicité permettant à Radio France de disposer de davantage de recettes publicitaires. L’État

55 RACQUE, Elise, « En plein boom, les podcasts cherchent la bonne mesure », Télérama, 27-09-2018, consulté sur :

https://www.telerama.fr/radio/en-plein-boom%2C-les-podcasts-cherchent-la-bonne-mesure%2Cn5824781.php.

56 FRISON, Mickaël, « Europe 1 lance Europe 1 Studio, pour développer les nouvelles formes de radio », Europe 1, 07-09-2018, consulté sur :

https://www.europe1.fr/evenements/europe-1-lance-europe-1-studio-pour-developper-les-nouvelles-formes-de-radio-3750035.

57 CAP est une taxe créée en 1933 afin de financier les radios et télévisions publiques.

58 ARTE France, « Contrat d’objectifs et de moyens (COM) 2017-2021, Arte France », ARTE France 2016, p. 21, consulté sur :

http://www2.assemblee-nationale.fr/static/14/comaffcult/COM%202017-2021%20ARTE%20France%20FINAL.pdf.

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a diminué le versement de 24,6 millions d’euros en 2018 et de 14,6 millions d’euros en 2019.60 Contrairement à ARTE Radio et à France Radio, Europe 1 ne révèle pas sur son site web comment elle finance ses productions audio.

Les start-ups : les nouveaux arrivants

Le marché audiovisuel croît en raison du lancement des entreprises indépendantes. Depuis 2005, nous avons assisté à une forte augmentation du nombre de studios indépendants de création de podcasts en France comme Binge Audio, Nouvelles Écoutes et la dernière-née Louie Media.61 Avec l'arrivée de ces entreprises, le nombre d'acteurs dans le champ médiatique français augmente.

Selon Deuze, les start-ups sont typiques du paysage médiatique du XXIe siècle.62 Deuze étudie cette tendance d'un point de vue technologique, économique et social. Dans ce paragraphe, nous abordons l'aspect technologique et social. Comme pour les stations de radio publiques, la question économique des start-ups est traitée séparément.

D’un point de vue technologique, les trois nouvelles sociétés de podcast (Binge Audio, Nouvelles Écoutes et Louie Media) mettent l’accent sur l’innovation. Cela se manifeste non seulement dans le groupe cible, par exemple Binge Audio se présente comme : « Le réseau de podcasts nouvelle génération », mais aussi dans la méthode de travail. L'inventivité se retrouve principalement dans le domaine de la musique, de la narration et du design dans les entreprises mentionnées ci-dessus. Il suffit de dire que la musique est utilisée pour suggérer des émotions. Par exemple, nous constatons souvent que le son enregistré sur place a été édité dans le podcast. L'écoute de ces sons stimule l'imagination de l'auditeur. En ce qui concerne la narration, la première personne du singulier est souvent utilisée dans les podcasts. Ce mode est choisi afin d'accroître l'identification de l'auditeur avec l’histoire. Les sociétés indépendantes consacrent également leurs podcasts à des sujets innovants tels que le féminisme (La Poudre, Nouvelles Écoutes), la gastronomie (Manger, Louie Media) et la diversité culturelle (Kiffe ta race, Binge Audio). De plus, ces trois entreprises attachent une grande importance aux illustrations. Binge Audio se distingue en optant pour le jaune vif. Nouvelles Écoutes et Louie Media utilisent une large gamme de couleurs, avec une préférence pour les couleurs pastel. Dans le contexte technique, Deuze souligne que l'utilisation des médias sociaux est également caractéristique

60 Radio France, « Rapport public annuel. Radio France : des audiences en progrès, des blocages persistants, une situation financière toujours

fragile », Radio France, février 2019, p. 136, consulté sur : https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-02/05-Radio-France-Tome-2.pdf.

61 VOLCLER, Juliette, « Il était une fois le podcasts, 3 : Des cabanes aux immeubles », Syntone ; actualité et critique de l’art radiophonique,

10-07-2010, consulté sur : http://syntone.fr/il-etait-une-fois-le-podcast-3-des-cabanes-aux-immeubles/.

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des start-ups du XXIe siècle. Chez Nouvelles Écoutes et Binge Audio, les icônes de Twitter, Facebook et Instagram sont immédiatement visibles sur le site web. Nous constatons que Louie Media présente une offre plus étendue de médias sociaux en ajoutant aussi YouTube. En termes d'utilisation, Instagram est le plus couramment utilisé par les trois entreprises. Sur ce média social, Nouvelles Écoutes est la plus suivie avec 19,5 mille personnes. Les médias sociaux sont de puissants instruments pour acquérir du capital social. Selon Bourdieu, le capital social constitue les relations et les réseaux que les gens ont et qui leur permettent d'exercer un pouvoir et une influence dans le champ.63

D'un point de vue social, Deuze traite l'éducation et de l’engagement émotionnel.64 Nous constatons que tous les fondateurs des nouvelles start-ups de podcasts ont de l’expérience dans le champ journalistique. Cela signifie qu'ils disposent d’un capital culturel. Selon Bourdieu, le capital culturel est la totalité des connaissances, des compétences cognitives et de l'éducation d'une personne ou d’une société avec laquelle des privilèges sociaux peuvent être acquis ou maintenus.65 Par exemple, les fondateurs de Nouvelles Écoutes ont travaillé pour

Elle et Le Monde. En outre, les fondatrices de Louie Media ont fait des études de journalisme

à Sciences-Po et ont ensuite travaillé dans des stations de radio publiques. Joel Rönez, l’un des deux fondateurs de Binge Audio, est l’ancien directeur des nouveaux médias de Radio France. Selon Deuze, l'aspect social dans les start-ups est la plus grande motivation pour créer une entreprise.66 D’après lui, l’engagement émotionnel se reflète dans les opérations commerciales.67 Dans cette perspective, un exemple est la rencontre entre l'équipe de Louie Media avec les auditeurs. Ces activités sociales créent un sentiment de proximité avec les auditeurs.

Modèle des revenus

Le défi majeur pour les start-ups est de trouver des modèles de revenus qui ne dépendent pas exclusivement de la publicité. Au fil des ans, nous avons observé plusieurs modèles économiques chez Nouvelles Écoutes, Binge Audio et Louie Media. Il s’agit de la publicité, du crowdfunding, du branded content, et de la vente de produits en ligne. En ce qui concerne la publicité, Nouvelles Écoutes génère de l'argent en ajoutant des publicités tant au début

(pré-roll) qu'à la fin des émissions (post-(pré-roll). Si nous reprenons l'exemple du podcast La Poudre,

63 BOURDIEU, Pierre, Le Sens pratique, Paris : Les Éditions de Minuit, 1980, p. 122.

64 DEUZE, Mark, « Considering a Possible Future for Digital Journalism », Mediterranean Journal of Communication, 8(1), 2017, p. 11. 65 BOURDIEU, Pierre, Le Sens pratique, Paris : Les Éditions de Minuit, 1980, p. 125.

66 BECKET, Charlie, DEUZE, Mark, « On the Role of Emotion in the Future of Journalism », Social Media + Society, 2016, p. 6. 67 Ibid.

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01:45 minutes du temps de diffusion du podcast est constitué en moyenne de publicités. L’animatrice du podcast lit le message publicitaire pendant environ une minute. Il s’agit de grandes marques telles que Netflix, Google et Red Bull.68 Le crowdfunding tente d'atteindre un certain objectif en approchant un grand groupe de personnes (« la foule ») avec une demande de contribution financière volontaire, souvent modeste. Nous soulignons qu’Internet et les médias sociaux jouent un rôle important à cet égard. Binge Audio a lancé un projet de

crowdfunding en 2017. Via le site Ululu, Binge Audio espérait récolter 20 000 euros. Cet

objectif a été atteint avec un montant de 21 696 euros (108 %).69 Les trois entreprises ne créent pas seulement du contenu pour elles-mêmes, mais aussi pour des clients externes. Selon Deuze, c'est un exemple d'innovation par les start-ups d'un point de vue économique. Nouvelles Écoutes crée aussi du contenu audio pour des grandes sociétés telles que Chanel, Hugo Boss et Tinder.70 Binge Audio a créé le label Binge Audio Creative afin de réaliser des podcasts pour les marques. Binge Audio Creative représente 80 % de ses revenus en 2018.71 Louie Media crée des contenus audio pour Slate, Canal + et Madame Figaro sous le nom de Louie Creative72. Il est intéressant de voir que Nouvelle Écoutes se distingue en vendant des produits en ligne dans la boutique. Un T-shirt blanc avec le logo de Nouvelles Écoutes coûte 30 euros.

Conclusion

Ce chapitre montre qu'il existe une distinction claire entre deux types de producteurs de podcasts : les stations de radio publiques et les studios indépendants. Ce sont les stations de radio publiques qui ont rejoint le paysage médiatique renouvelé en réalisant également des podcasts. La théorie de la remédiation est pertinente ici : les stations de radio publiques s'adaptent à l'arrivée de nouveaux acteurs et font la même production audio en réalisant des podcasts en plus de la radio. Alors que la théorie de la remédiation prétend que les nouveaux médias reprennent les caractéristiques des anciens médias et vice versa, ce chapitre montre que les journalistes des stations de radio publiques voient des différences substantielles entre la réalisation des émissions radio et celle de podcasts. Une motivation importante pour eux de faire des podcasts est d'attirer une audience plus jeune et donc d’élargir leur public existant. Cependant, nous constatons une différence en matière de modèle économique. Alors que les stations de radio comme ARTE Radio, Radio France et Europe 1 reçoivent de véritables aides

68 Nouvelles Écoutes, « Sponsoring », Nouvelles Écoutes, consulté sur : http://www.nouvellesecoutes.fr/sponsoring/.

69 Ululu, « Binge Audio : le réseau de podcasts nouvelle génération », Ululu, 2017, consulté sur : https://fr.ulule.com/binge-audio/. 70 Nouvelles Écoutes, « Sponsoring », Nouvelles Écoutes, consulté sur : http://www.nouvellesecoutes.fr/sponsoring/.

71 MADELAINE, Nicolas, « Binge Audio porté par la publicité sur les podcasts », Les Echos, 05-09-2018, consulté sur :

https://www.lesechos.fr/2018/09/binge-audio-porte-par-la-publicite-sur-les-podcasts-977319.

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d'État dans le cadre de la CAP, les start-ups doivent constituer leur propre capital économique. Pour eux, il n'y a pas d’aides d’État. Contrairement aux stations de radio publiques, les

start-ups n'ont aucune sécurité économique. Cela signifie qu’ils doivent trouver des moyens créatifs

pour gagner de l'argent. Avec l'arrivée des start-ups, nous pouvons dire que le podcast a gagné du terrain dans le champ médiatique français. Donc, le média est en plein développement.

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Louie Media est un studio de podcasts narratifs, créé par Mélissa Bounoua et Charlotte Pudlowski en 2018. L'objectif de ce chapitre est de découvrir comment la gestion opérationnelle de cette société de podcast indépendante fonctionne. Tout d'abord, nous expliquons deux types de journalisme que les journalistes pratiquent pour réaliser leurs podcasts. Il s’agit du journalisme narratif et du slow journalism. Puis, nous décrivons l'équipe de Louie Media. Ensuite, leur modèle de revenus sera discuté. Enfin, la méthode de travail est discutée. En bref, c’est un regard dans la cuisine de Louie Media.

Journalisme narratif et slow journalism

Louie Media se présente comme un studio de podcasts narratifs et met en avant son slogan « Écoutez pour voir ». Avant de créer l’entreprise Louie Media en 2008, les fondatrices Mélissa Bounoua et Charlotte Pudlowski ont étudié le journalisme narratif d'origine américaine.73 Afin d'analyser les podcasts narratifs, il est important de comprendre comment cette forme de journalisme fonctionne.

Dans les années 1960, le journalisme narratif est né aux États-Unis. À partir des années 1960, l'objectivité du journalisme a été fortement remise en question par les mouvements émergents du journalisme littéraire et du nouveau journalisme, illustrés par des auteurs tels que Truman Capote, Joan Didion, Tom Wolfe et Norman Mailer.74 Ils sont également appelés New

Journalists.75 C'est Tom Wolfe qui a été le premier à utiliser le terme « nouveau journalisme ». Wolfe définit ce journalisme comme « l'investigation artistique » et identifie quatre caractéristiques.76 Premièrement, la mise en scène doit être décrite aussi clairement que possible par le journaliste. Deuxièmement, la production journalistique doit contenir beaucoup de dialogues. Troisièmement, le journaliste doit adopter la première personne « je ». Pour finir, le journaliste doit utiliser les détails quotidiens pour mieux décrire la vie du personnage.

Nous voyons que l'aspect littéraire est très important dans le journalisme narratif car de nombreuses techniques littéraires y sont utilisées. C’est pourquoi Marie Vanoost préfère définir le journalisme narratif comme le journalisme littéraire. En fait, elle définit le journalisme

73 LOISY, Julien, « Louie Media », Le Pod, 26-08-2019, consulté sur : https://www.lepod.fr/Louie-Media_a121.html.

74 MCHUGH, Siobhan, « Oral history and the radio documentary », Radio Journal : International Studies in Broadcast & Audio Media, 2012,

vol. 10, nr. 1, p. 36.

75 WOLFE, Tom, The New Journalism. New York : Harper & Row, 1975, p. 244. 76 Ibid, p. 121.

Chapitre

Referenties

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