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Année 2012, n° 12 – Sommaire Syrie, Printemps arabes

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Année 2012, n° 12 – Sommaire

Syrie, Printemps arabes

L’avis d’un ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE … page 1

Francophonie

Du mauvais usage des grands événements internationaux… page 8 Le Paradoxe Francophone et le Discours Postcolonial… page 15

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NOS MINISTRES, JUPPE HIER, FABIUS AUJOURD’HUI SONT-ILS MAL RENSEIGNES, MAL CONSEILLES, OU NAÏFS ?

Invité de l'Association Régionale Nice Côte d'Azur de l'IHEDN (AR29), le 27 juin 2012, Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, reconnu bien au-delà de l'Hexagone pour son expertise du monde arabo-musulman, a livré aux auditeurs son sentiment au cours d'une conférence qui a connu un vif succès.

...

...

L'expression "printemps arabe" est censée faire référence au « Printemps des peuples » de 1848. Depuis la révolte de Sidi Bouzid, le 17 décembre 2010, la contagion s'est étendue de la Tunisie successivement à l'Égypte, à la Libye, à Bahrein, au Yémen et enfin en Syrie.

Contrairement à ce qui a pu être dit, ces contestations populaires, d'une ampleur et d'une intensité très variables, n'ont pas été le fait des "réseaux sociaux", dans des pays où l'accès à Internet est réduit à une minorité de personnes "branchées" et où les moyens de blocage du Net sont très développés. Même si les aspirations de ces divers peuples visaient à chasser des dirigeants corrompus pour favoriser l'instauration d'une démocratie, les manifestants en reprenant le slogan « Dégage ! » (« Erhal » en arabe) entendaient réclamer un meilleur partage des richesses pour améliorer leurs conditions de vie, obtenir des emplois et retrouver une certaine dignité (« karama » en arabe). En fait, ces révoltes, révolutions ou encore « réveil arabe » ont en commun d'avoir été financées par le Qatar et d'autres monarchies du Golfe et d'avoir été encadrées par les Frères musulmans. Le résultat ne s'est pas fait attendre : on en voit déjà les effets en Tunisie, en Libye et bientôt en Égypte. La question que l'on est en droit de se poser est : par quel miracle, les Européens ont-ils pu soutenir à ce point des mouvements qui vont à la fois à l'encontre des intérêts mêmes de ces populations et aussi des nôtres. Si la démocratisation de ces pays ne nous laisse pas indifférent, les voir retomber dans une nouvelle forme de soumission plus insidieuse n'augure rien de bon pour l'avenir.

Depuis plus d'un an, ce printemps arabe n'en finit pas. La Syrie est le dernier pays à avoir été pris dans une tourmente qui a mis le pays à feu et à sang.

Les pires conjectures formulées au premier semestre 2011 concernant les mouvements de révolte arabes deviennent aujourd’hui réalité. Je les avais largement exposées dans divers ouvrages et revues [1] à contre courant d’une opinion occidentale généralement enthousiaste et surtout naïve. Car il fallait tout de même être naïf pour croire que, dans des pays soumis depuis un demi-siècle à des dictatures qui avaient éliminé toute forme d’opposition libérale et pluraliste, la démocratie et la liberté allaient jaillir comme le génie de la lampe par la seule vertu d’un Internet auquel n’a accès qu’une infime minorité de privilégiés de ces sociétés.

Une fois passé le bouillonnement libertaire et l'agitation des adeptes de Facebook, il a bien fallu se rendre à l'évidence. Le pouvoir est tombé dans les mains des seules forces politiques structurées qui avaient survécu aux dictatures nationalistes parce que soutenues

financièrement par les pétromonarchies théocratiques dont elles partagent les valeurs et politiquement par les Occidentaux parce qu'elles constituaient un bouclier contre l'influence du bloc de l'Est : les forces religieuses fondamentalistes. Et le « printemps arabe » n'a mis que six mois à se transformer en « hiver islamiste ».

En Tunisie et en Égypte, les partis islamistes, Frères musulmans et extrémistes salafistes se partagent de confortables majorités dans les Parlements issus des révoltes populaires. Ils cogèrent la situation avec les commandements militaires dont ils sont bien contraints de respecter le rôle d'acteurs économiques dominants mais s'éloignent insidieusement des revendications populaires qui les ont amenés au pouvoir. Constants dans leur pratique du

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double langage, ils font exactement le contraire de ce qu’ils proclament. En, Égypte, après avoir affirmé sur la Place Tahrir au printemps 2011 qu'ils n'aspiraient nullement au pouvoir, ils revendiquent aujourd'hui la présidence de la République, la majorité parlementaire et l'intégralité du pouvoir politique.

En Tunisie, et après avoir officiellement renoncé à inclure la charia dans la constitution, ils organisent dans les provinces et les villes de moyenne importance, loin de l'attention des médias occidentaux, des comités de vigilance religieux pour faire appliquer des règlements inspirés de la charia. Ce mouvement gagne progressivement les villes de plus grande

importance et même les capitales où se multiplient les mesures d'interdiction en tous genres, la censure des spectacles et de la presse, la mise sous le boisseau des libertés fondamentales et, bien sûr, des droits des femmes et des minorités non sunnites.

Et ces forces politiques réactionnaires n'ont rien à craindre des prochaines échéances électorales. Largement financées par l'Arabie et le Qatar pour lesquels elles constituent un gage de soumission dans le monde arabe, elles ont tous les moyens d’acheter les consciences et de se constituer la clientèle qui perpétuera leur domination face à un paysage politique démocratique morcelé, sans moyens, dont il sera facile de dénoncer l'inspiration étrangère et donc impie.

La Libye et le Yémen ont sombré dans la confusion. Après que les forces de l'OTAN, outrepassant largement le mandat qui leur avait été confié par l'ONU, ont détruit le régime du peu recommandable Colonel Kadhafi, le pays se retrouve livré aux appétits de bandes et tribus rivales bien décidées à défendre par les armes leur pré carré local et leur accès à la rente. L'éphémère « Conseil National de transition » porté aux nues par l'ineffable Bernard Henri Lévy est en train de se dissoudre sous les coups de boutoir de chefs de gangs

islamistes, dont plusieurs anciens adeptes d'Al-Qaïda, soutenus et financés par le Qatar qui entend bien avoir son mot à dire dans tout règlement de la question et prendre sa part dans l’exploitation des ressources du pays en hydrocarbures.

Au Yémen, le départ sans gloire du Président Ali Abdallah Saleh rouvre la porte aux forces centrifuges qui n'ont pas cessé d'agiter ce pays dont l'unité proclamée en 1990 entre le nord et le sud n'a jamais été bien digérée, surtout par l'Arabie Séoudite qui s'inquiétait des foucades de ce turbulent voisin et n'a eu de cesse d'y alimenter la subversion

fondamentaliste. Aujourd'hui, les chefs de tribus sunnites du sud et de l'est du pays, dont certains se réclament d'Al-Qaïda et tous du salafisme, entretiennent un désordre sans fin aux portes de la capitale, Sanaa, fief d'une classe politique traditionnelle zaydite – branche dissidente du chiisme – insupportable pour la légitimité de la famille séoudienne.

Seul le régime syrien résiste à ce mouvement généralisé d'islamisation au prix d'une incompréhension généralisée et de l'opprobre internationale.

Avant de développer ce sujet, je crois devoir faire une mise au point puisque d'aucuns croient déceler dans mes propos et prises de positions des relents d'extrême droite et de complaisance pour les dictatures.

Je me rends régulièrement en Syrie depuis 45 ans et y ai résidé pendant plusieurs années. Je ne prétends pas connaître intimement ce pays mais je pense quand même mieux le connaître que certains de ces journalistes qui en reviennent pleins de certitudes après un voyage de trois ou quatre jours.

Mes activités m'ont amené à devoir fréquenter à divers titres les responsables des services de sécurité civils et militaires syriens depuis la fin des années 70. J'ai pu constater qu'ils ne font ni dans la dentelle ni dans la poésie et se comportent avec une absolue sauvagerie. Ce n'est pas qu'ils ont une conception différente des droits de l'homme de la nôtre. C'est qu'ils n'ont aucune conception des droits de l'homme…

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Leur histoire explique en grande partie cette absence. D'abord, ils puisent leur manière d'être dans quatre siècles d'occupation par les Turcs ottomans, grands experts du pal, de

l'écorchage vif et du découpage raffiné. Ensuite, ils ont été créés sous la houlette des troupes coloniales françaises pendant le mandat de 1920 à 1943, et, dès l'indépendance du pays, conseillés techniquement par d'anciens nazis réfugiés, de 1945 jusqu'au milieu des années 50, et ensuite par des experts du KGB jusqu'en 1990. Tout ceci n'a guère contribué à développer chez eux le sens de la douceur, de la tolérance et du respect humain.

Quant au régime syrien lui-même, il ne fait aucun doute dans mon esprit que c'est un régime autoritaire, brutal et fermé. Mais le régime syrien n’est pas la dictature d'un homme seul, ni même d'une famille, comme l'étaient les régimes tunisien, égyptien, libyen ou irakien. Tout comme son père, Bashar el-Assad n'est que la partie visible d'un iceberg communautaire complexe et son éventuel départ ne changerait strictement rien à la réalité des rapports de pouvoir et de force dans le pays. Il y a derrière lui 2 millions d'Alaouites encore plus résolus que lui à se battre pour leur survie et plusieurs millions de minoritaires qui ont tout à perdre d'une mainmise islamiste sur le pouvoir, seule évolution politique que l'Occident semble encourager et promouvoir dans la région.

Quand je suis allé pour la première fois en Syrie en 1966, le pays était encore politiquement dominé par sa majorité musulmane sunnite qui en détenait tous les leviers économiques et sociaux. Et les bourgeois sunnites achetaient encore – parfois par contrat notarié – des jeunes gens et de jeunes filles de la communauté alaouite dont ils faisaient de véritables esclaves à vie, manouvriers agricoles ou du bâtiment pour les garçons, bonnes à tout faire pour les filles.

Les Alaouites sont une communauté sociale et religieuse persécutée depuis plus de mille ans. Je vous en donne ici une description rapide et schématique qui ferait sans doute hurler les experts mais le temps nous manque pour en faire un exposé exhaustif.

Issus au Xè siècle aux frontières de l'empire arabe et de l'empire byzantin d'une lointaine scission du chiisme, ils pratiquent une sorte de syncrétisme mystique compliqué entre des éléments du chiisme, des éléments de panthéisme hellénistique, de mazdéisme persan et de christianisme byzantin. Ils se désignent eux mêmes sous le nom d’Alaouites – c'est à dire de partisans d'Ali, le gendre du prophète - quand ils veulent qu’on les prenne pour des

Musulmans et sous le nom de Nosaïris – du nom de Ibn Nosaïr, le mystique chiite qui a fondé leur courant – quand ils veulent se distinguer des Musulmans. Et – de fait – ils sont aussi éloignés de l'Islam que peuvent l'être les chamanistes de Sibérie.

Et cela ne leur a pas porté bonheur…. Pour toutes les religions monothéistes révélées, il n’y a pas pire crime que l'apostasie. Les Alaouites sont considérés par l'Islam sunnite comme les pires des apostats. Cela leur a valu au XIVè siècle une fatwa du jurisconsulte salafiste Ibn Taymiyya, l'ancêtre du wahhabisme actuel, prescrivant leur persécution systématique et leur génocide. Bien que Ibn Taymiyyah soit considéré comme un exégète non autorisé, sa fatwa n'a jamais été remise en cause et est toujours d'actualité, notamment chez les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans. Pourchassés et persécutés, les Alaouites ont dû se réfugier dans les montagnes côtières arides entre le Liban et l'actuelle Turquie tout en

donnant à leurs croyances un côté hermétique et ésotérique, s'autorisant la dissimulation et le mensonge pour échapper à leurs tortionnaires.

Il leur a fallu attendre le milieu du XXè siècle pour prendre leur revanche. Soumis aux occupations militaires étrangères depuis des siècles, les bourgeois musulmans sunnites de Syrie ont commis l'erreur classique des parvenus lors de l'indépendance de leur pays en 1943. Considérant que le métier des armes était peu rémunérateur et que l'institution militaire n'était qu'un médiocre instrument de promotion sociale, ils n'ont pas voulu y envoyer leurs fils. Résultat : ils ont laissé l'encadrement de l'armée de leur tout jeune pays

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aux pauvres, c'est à dire les minorités : Chrétiens, Ismaéliens, Druzes, Chiites et surtout Alaouites. Et quand vous donnez le contrôle des armes aux pauvres et aux persécutés, vous prenez le risque à peu près certain qu'ils s'en servent pour voler les riches et se venger d'eux.

C'est bien ce qui s'est produit en Syrie à partir des années 60.

Dans les années 70, Hafez el-Assad, issu d'une des plus modestes familles de la communauté alaouite, devenu chef de l'armée de l'air puis ministre de la défense, s'est emparé du pouvoir par la force pour assurer la revanche et la protection de la minorité à laquelle sa famille appartient et des minorités alliées – Chrétiens et Druzes - qui l'ont assisté dans sa marche au pouvoir. Ils s'est ensuite employé méthodiquement à assurer à ces minorités – et en

particulier à la sienne - le contrôle de tous les leviers politiques, économiques et sociaux du pays selon des moyens et méthodes autoritaires dont vous pourrez trouver la description détaillée dans un article paru il y maintenant près de vingt ans.[2]

Face à la montée du fondamentalisme qui progresse à la faveur de tous les bouleversements actuels du monde arabe, son successeur se retrouve comme les Juifs en Israël, le dos à la mer avec le seul choix de vaincre ou mourir. Les Alaouites ont été rejoints dans leur résistance par les autres minorités religieuses de Syrie, Druzes, Chiites, Ismaéliens et surtout par les Chrétiens de toutes obédiences instruits du sort de leurs frères d'Irak et des Coptes d'Égypte.

Car, contrairement à la litanie que colportent les bien-pensants qui affirment que « si l'on n'intervient pas en Syrie, le pays sombrera dans la guerre civile »…. eh bien non, le pays ne sombrera pas dans la guerre civile. La guerre civile, le pays est dedans depuis 1980 quand un commando de Frères musulmans s'est introduit dans l'école des cadets de l'armée de terre d'Alep, a soigneusement fait le tri des élèves officiers sunnites et des alaouites et a massacré 80 cadets alaouites au couteau et au fusil d'assaut en application de la fatwa d'Ibn Taymiyya.

Les Frères l'ont payé cher en 1982 à Hama – fief de la confrérie - que l'oncle de l'actuel président a méthodiquement rasée en y faisant entre 10 et 20.000 morts. Mais les violences intercommunautaires n'ont jamais cessé depuis, même si le régime a tout fait pour les dissimuler.

Alors, proposer aux Alaouites et aux autres minorités non arabes ou non sunnites de Syrie d'accepter des réformes qui amèneraient les islamistes salafistes au pouvoir revient très exactement à proposer aux Afro-américains de revenir au statu quo antérieur à la guerre de sécession. Ils se battront, et avec sauvagerie, contre une telle perspective.

Peu habitué à la communication, le régime syrien en a laissé le monopole à l'opposition.

Mais pas à n'importe quelle opposition. Car il existe en Syrie d'authentiques démocrates libéraux ouverts sur le monde, qui s'accommodent mal de l'autoritarisme du régime et qui espéraient de Bashar el-Assad une ouverture politique. Ils n'ont obtenu de lui que des espaces de liberté économique en échange d'un renoncement à des revendications de réformes libérales parfaitement justifiées. Mais ceux-là, sont trop dispersés, sans moyens et sans soutiens. Ils n'ont pas la parole et sont considérés comme inaudibles par les médias occidentaux car, en majorité, ils ne sont pas de ceux qui réclament le lynchage médiatisé du

« dictateur » comme cela a été fait en Libye.

Si vous vous vous informez sur la Syrie par les médias écrits et audiovisuels, en particulier en France, vous n'aurez pas manqué de constater que toutes les informations concernant la situation sont sourcées « Observatoire syrien des droits de l'homme » (OSDH) ou plus laconiquement « ONG », ce qui revient au même, l'ONG en question étant toujours l''Observatoire syrien des droits de l'homme.

L'observatoire syrien des droits de l'homme, c'est une dénomination qui sonne bien aux oreilles occidentales dont il est devenu la source d'information privilégiée voire unique. Il n'a pourtant rien à voir avec la respectable Ligue internationale des droits de l'homme. C'est en fait une émanation de l'Association des Frères musulmans et il est dirigé par des militants

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islamistes dont certains ont été autrefois condamnés pour activisme violent, en particulier son fondateur et premier Président, Monsieur Ryadh el-Maleh. L'Osdh s’est installé à la fin des années 80 à Londres sous la houlette bienveillante des services anglo-saxons et

fonctionne en quasi-totalité sur fonds séoudiens et maintenant qataris.

Je ne prétends nullement que les informations émanant de l'OSDH soient fausses, mais, compte tenu de la genèse et de l'orientation partisane de cet organisme, je suis tout de même surpris que les médias occidentaux et en particulier français l'utilisent comme source unique sans jamais chercher à recouper ce qui en émane.

Second favori des médias et des politiques occidentaux, le Conseil National Syrien, créé en 2011 à Istanbul sur le modèle du CNT libyen et à l'initiative non de l'État turc mais du parti islamiste AKP. Censé fédérer toutes les forces d'opposition au régime, le CNS a rapidement annoncé la couleur. Au sens propre du terme…. Le drapeau national syrien est composé de trois bandes horizontales. L'une de couleur noire qui était la couleur de la dynastie des Abbassides qui a régné sur le monde arabe du 9è au 13è siècle. L'autre de couleur blanche pour rappeler la dynastie des Omeyyades qui a régné au 7è et 8è siècle. Enfin, la troisième, de couleur rouge, censée représenter les aspirations socialisantes du régime. Dès sa création, le CNS a remplacé la bande rouge par la bande verte de l'islamisme comme vous pouvez le constater lors des manifestations anti-régime où l'on entend plutôt hurler « Allahou akbar ! » que des slogans démocratiques.

Cela dit, la place prédominante faite aux Frères musulmans au sein du CNS par l'AKP turc et le Département d'État américain a fini par exaspérer à peu près tout le monde. La Syrie n'est pas la Libye et les minorités qui représentent un bon quart de la population entendent avoir leur mot à dire, même au sein de l'opposition. Lors d'une visite d'une délégation d'opposants kurdes syriens à Washington en avril dernier, les choses se sont très mal

passées. Les Kurdes sont musulmans sunnites mais pas Arabes. Et en tant que non-arabes, ils sont voués à un statut d’infériorité par les Frères. Venus se plaindre auprès du Département d'État de leur marginalisation au sein du CNS, ils se sont entendus répondre qu'ils devaient se soumettre à l'autorité des Frères ou se débrouiller tout seuls. Rentrés à Istanbul très

fâchés, ils se sont joints à d'autres opposants minoritaires pour démettre le président du CNS, Bourhan Ghalioun, totalement inféodé aux Frères, et le remplacer par un Kurde,

Abdelbassett Saïda qui fera ce qu'il pourra – c'est à dire pas grand chose - pour ne perdre ni l'hospitalité des islamistes turcs, ni l'appui politique des néo-conservateurs Américains, ni, surtout, l'appui financier des Séoudiens et des Qataris.

Tout cela fait désordre, bien sûr, mais est surtout révélateur de l'orientation que les États islamistes appuyés par les néo-conservateurs américains entendent donner aux mouvements de contestation dans le monde arabe.

Ce ne sont évidemment pas ces constatations qui vont rassurer les minorités de Syrie et les inciter à la conciliation ou à la retenue. Les minorités de Syrie – en particulier, les Alaouites qui sont en possession des appareils de contrainte de l'État – sont des minorités inquiètes pour leur survie qu'elles défendront par la violence. Faire sortir le président syrien du jeu peut à la rigueur avoir une portée symbolique mais ne changera rien au problème. Ce n'est pas lui qui est visé, ce n'est pas lui qui est en cause, c'est l'ensemble de sa communauté qui se montrera encore plus violente et agressive si elle perd ses repères et ses chefs. Plus le temps passe, plus la communauté internationale entendra exercer des pressions sur les minorités menacées, plus les choses empireront sur le modèle de la guerre civile libanaise qui a ensanglanté ce pays de 1975 à 1990.

Il aurait peut être été possible à la communauté internationale de changer la donne il y a un an en exigeant du pouvoir syrien des réformes libérales en échange d'une protection

internationale assurée aux minorités menacées. Et puisque l’Arabie et la Qatar – deux

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monarchies théocratiques se réclamant du wahhabisme – sont théoriquement nos amies et nos alliées, nous aurions pu leur demander de déclarer la fatwa d'Ibn Taymiyyah obsolète, nulle et non avenue afin de calmer le jeu. Il n'en a rien été. À ces minorités syriennes menacées, l'Occident, France en tête, n'a opposé que la condamnation sans appel et l'anathème parfois hystérique tout en provoquant partout – politiquement et parfois militairement – l'accession des intégristes islamistes au pouvoir et la suprématie des États théocratiques soutenant le salafisme politique.

Débarrassés des ténors sans doute peu vertueux du nationalisme arabe, de Saddam Hussein, de Ben Ali, de Moubarak, de Kadhafi, à l'abri des critiques de l'Irak, de l'Algérie et de la Syrie englués dans leurs conflits internes, les théocraties pétrolières n'ont eu aucun mal à prendre avec leurs pétrodollars le contrôle de la Ligue Arabe et d'en faire un instrument de pression sur la communauté internationale et l'ONU en faveur des mouvements politiques fondamentalistes qui confortent leur légitimité et les mettent à l'abri de toute forme de contestation démocratique.

Que les monarchies réactionnaires défendent leurs intérêts et que les forces politiques

fondamentalistes cherchent à s'emparer d'un pouvoir qu'elles guignent depuis près d'un siècle n'a rien de particulièrement surprenant. Plus étrange apparaît en revanche l'empressement des Occidentaux à favoriser partout les entreprises intégristes encore moins démocratiques que les dictatures auxquelles elles se substituent et à vouer aux gémonies ceux qui leur résistent.

Prompt à condamner l'islamisme chez lui, l'Occident se retrouve à en encourager les

maneuvres dans le monde arabe et musulman. La France, qui n’a pas hésité à engager toute sa force militaire pour éliminer Kadhafi au profit des djihadistes et à appeler la communauté internationale à en faire autant avec Bashar el-Assad, assiste, l'arme au pied, au dépeçage du Mali par des hordes criminelles qui se disent islamistes parce que leurs rivaux politiques ne le sont pas.

De même les médias et les politiques occidentaux ont assisté sans broncher à la répression sanglante par les chars séoudiens et émiratis des contestataires du Bahraïn, pays à majorité chiite gouverné par un autocrate réactionnaire sunnite. De même les massacres répétés de Chrétiens nigérians par les milices du Boko Haram ne suscitent guère l'intérêt des médias et encore moins la condamnation par nos politiques. Quant à l'enlèvement et la séquestration durable de quatre membres de la Cour Pénale Internationale par des « révolutionnaires » libyens, elle est traitée en mode mineur et passe à peu près inaperçue dans nos médias dont on imagine l'indignation explosive si cet enlèvement avait été le fait des autorités syriennes, algériennes ou de tel autre pays non encore « rentré dans le rang » des « démocratures », ces dictatures islamistes sorties des urnes.

À défaut de logique, la morale et la raison nous invitent tout de même à nous interroger sur cette curieuse schizophrénie de nos politiques et nos médias. L'avenir dira si notre

fascination infantile pour le néo-populisme véhiculé par Internet et si les investissements massifs du Qatar et de l'Arabie dans nos économies en crise valaient notre complaisance face à la montée d'une barbarie dont nous aurions tort de croire que nous sommes à l'abri.

Nice le 27 juin 2012 Alain Chouet

« Our coverage of the Arab Spring was over-excited, admits BBC » : Head of news admits reporters may have failed to explore both sides of the story. Countries where regimes were not overthrown were ignored, says BBC Trust report by former UN director of communications. Two thirds of mobile footage and other user-generated content was broadcast without any caveats

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« La sortie de crise au Sahel passe par une refondation de la relation franco-algérienne » de Richard Labévière.

"Une analyse de la crise syrienne" de Frédéric Pichon in Cahiers EPEE, Xenophon n°24, publié le 29.6.2012.

« Les ambiguïtés du « Printemps arabe » : Texte publié sur les site internet de l’association des anciens des services spéciaux de la défense nationale ( ) (2011) « Où en est Al-Qaida » : Table ronde au Sénat sur le thème : le

29.01.2010.

« L'Association des Frères musulmans : Chronique d'une barbarie annoncée » (2006) -- « The Association of Muslim Brothers »

« Introduction à l'Atlas Mondial de l'Islam activiste » (2006)

« Violence islamique : quels acteurs ? quelles menaces ? quelles réponses ? »

« L'Islam confisqué : Stratégies dynamiques pour un ordre statique » (Texte publié en 1994 in « Moyen Orient : migrations, démocratisations, médiations » sous la direction de Riccardo Bocco et Mohammed Reza Djalili aux Presses Universitaires de France).

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Francophonie

Du mauvais usage des grands événements internationaux

Par Guy De Boeck

Il y a des modes en tout, pourquoi n’y en aurait-il pas dans les manières de montrer sa réprobation ?

Aussi n’est-il guère étonnant que le boycott de divers événements ait fini par figurer en bonne place dans l’arsenal des protestataires. Il n’y a pratiquement plus d’événement sportif, culturel, économique ou scientifique qui puisse se tenir sans être salué par une bordée sonore de « N’y allez pas ! ».

On peut à ce sujet faire différentes remarques et se poser diverses questions.

Première remarque : Alors que les invitations au boycott ont des motifs éminemment politiques (oscillant entre les Droits de l’Homme et l’Environnement), aucune invitation au boycott ne cherche à faire capoter des Sommets politiques. Cela peut avoir des motifs divers, mais la raison fondamentale en est toujours que, certes, il est désagréable d’être vu en mauvaise compagnie, mais que ces contacts sont indispensables pour éviter le pire.

Il est agréable de se rencontrer entre amis, mais c’est avec ses ennemis que le dialogue est le plus utile ! (Il est à noter que si cette justification est fondée, elle justifie aussi les rencontres sur des terrains autres que politique. Voir, en son temps, la « diplomatie du ping-pong ». L’admettre devrait donc mener à l’abandon de l’idée de boycott !!!)

Deuxième remarque : Le discours des « boycotteurs » revient à peu près à ceci : « En participant à cet événement, qui se tient Sprotch City, capitale de l’Ahuristan, nous semblerons cautionner la politique de cet Etat ». D’où sort-on que pour que les escrimeurs bulgares croisent le fer avec leurs homologues du Pérou, il faut nécessairement que Sofia soit intégralement d’accord avec tout ce qui se fait à Cuzco ? Tout simplement de nulle part, parce que c’est faux ! Pour se sourire ou se tirer la gueule, les états disposent de leur moyen de communication à eux : les relations diplomatiques.

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C’est précisément du fait que ce relations n’existaient pas entre la Chine et les USA que la « diplomatie du ping-pong », en son temps, a eu son utilité.

Troisième remarque : Les capitales qu’il est conseillé de boycotter si elles prétendent accueillir un championnat de football, les Jeux Olympiques, ou le Sommet de la Francophonie ne sont jamais des villes d’Europe occidentale ou d’Amérique du Nord1.

1 Et pourtant ! Voici à titre d’exemple la « fiche » des JO de Londres. Après les scandales liés aux tickets revendus au marché noir ou les révélations concernant l'impossibilité des sous-traitants d'assumer leurs missions en matière de sécurité, l'image des "JO" est une nouvelle fois écornée. Des associations dénoncent aussi avec humour les agissements d'entreprises partenaires des Jeux Olympiques de Londres. Ce 27 juillet, il est prévu que Lakshmi Mittal, patron d'Arcelor-Mittal, porte brièvement la flamme olympique dans les rues de Londres. Dans un courrier commun, les syndicats belges dénoncent cet épisode comme une

"véritable insulte". Le courrier est adressé directement à Jacques Rogge, le président (belge) du Comité International Olympique (CIO). Les représentants syndicaux estiment dans ce courrier que le milliardaire indien a liquidé "la sidérurgie liégeoise et plus largement semble-t-il, à terme, l’essentiel de la sidérurgie européenne" au nom "d’un calcul financier: Monsieur Mittal ne se débarrasse pas d’outils déficitaires, mais d’outils qui sont bénéficiaires, pas assez toutefois à ses yeux". Le courrier relève également que la

"responsabilité sociale" et "le respect des principes éthiques fondamentaux universels" figurent dans la Charte Olympique. Dès lors, les auteurs de la lettre disent ne pas "comprendre comment vous (Jacques Rogge) parvenez à combiner ces principes et l'Honneur de les défendre accordé (...) à … l'un des plus grands massacreurs d'emplois de l'histoire industrielle". La conclusion: les auteurs ne saisissent pas que

"l'Olympisme puisse récompenser ceux qui broient des vies".

BP, Rio Tinto et Dow Chemical sont trois grands groupes qui ont en commun d'être partenaires des JO de Londres. Ils partagent désormais aussi le fait d'avoir été élus, ex-aequo, "groupe louche qui mérite le plus la médaille d'or du blanchiment écologique" et "groupe le plus destructeur écologiquement, dévastateur humainement (tout en prétendant) être une bonne entreprise citoyenne en sponsorisant les Jeux". Cette peu enviable récompense leur a été décernée par trois associations: Bhopal Medical Appeal, UK Star Sands Network et London Mining Network. Bhopal Medical s'attèle à gérer les conséquences de la catastrophe de Bhopal en décembre 1984. Une usine de produits chimiques de Union Carbide explose, libérant un gaz toxique qui fera 25.000 morts dans les 2 semaines suivant la catastrophe selon des associations de victimes (bilan officiel 3500 !). Dow Chemical, qui a racheté Union Carbide, a toujours refusé d'assumer la moindre responsabilité par rapport à cette catastrophe. London Mining Network accuse Rio Tinto, le groupe minier qui fournit officiellement les médailles de ces Jeux, de polluer sciemment l'eau et l'air et de ne pas traiter correctement ses travailleurs. UK Tar Sands Network dénonce l'attitude du groupe BP responsable d’une marée noire destructrice dans le Golfe du Mexique en 2010 suite à un accident sur une plateforme offshore.

Mi-juin, le journal britannique Sunday Times piégeait 27 agents de 54 pays prêts à revendre leurs billets au marché noir, certains journalistes se faisant passer pour des clients potentiels. Un scandale qui représente

"une insulte aux fans et aux contribuables", selon l'éditorialiste du Guardian, Owen Gibson. La commission exécutive du CIO a autorisé la commission d'éthique à mener une enquête. Parmi les personnes que le Sunday Times a piégées, on compte des officiels de haut-niveau, dont le président du CO grec, Spyros Capralos. En mai dernier, le secrétaire général du CO ukrainien avait, lui aussi, été piégé par des reporters de la BBC alors qu'il voulait lui-même écouler ses tickets au marché noir.

Autre polémique à avoir secoué l'organisation des JO: le fameux dossier de la sous-traitance de la sécurité au secteur privé. Au-delà du débat sur l'opportunité de sous-traiter un service aussi sensible que celui de la sécurité au privé, c'est surtout l'incapacité du principal sous-traitant à honorer son contrat qui a endommagé l'image des JO. Alors que le groupe G4S avait signé un plantureux contrat avec les autorités britanniques, le groupe s'est révélé, au dernier moment, incapable de fournir les plus de 10 000 vigiles qu'elle avait promis d'engager pour l'évènement. Du coup, le gouvernement a dû mobiliser en catastrophe 3500 soldats et plusieurs centaines de policiers supplémentaires pour pallier la défaillance de G4S. L'entreprise active dans la sécurité risque d'y laisser 50 millions de livres et une bonne part de sa crédibilité sur les marchés. Son cours de bourse a plongé de façon vertigineuse dès cette annonce rendue publique. A travers cet épisode, c'est toute la question de la sous-traitance qui est posée en Grande-Bretagne. Le programme de coupes budgétaires lancé par le gouvernement de David Cameron a en effet accéléré un processus de sous-traitance

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L’ombre protectrice de l’Occident s’étend même sur certains de ses satellites. Il n’a, par exemple, jamais été question d’exclure le Grand Prix du Qatar du Championnat du monde des Conducteurs Automobiles. Il y aurait pourtant de quoi car, si l’émirat est riche en pétrodollars, il a une conception de la démocratie et des droits de l’homme qui paraîtraient réactionnaires à Saladin ! Il est vrai que, pour ce qui est du despotisme, Bernie Ecclestone n’est pas mal non plus !

On peut même se poser des questions sur la sincérité de certaines indignations politiques.

Certains belges semblent avoir découvert que Noursoultan Nazarbayev, le président kazakh, est un affreux tyran, le jour précis où Astana s’est trouvée en concurrence avec Liège pour l’organisation d’une compétition sportive.

Cela sous-entend une idée d’autant plus dangereuse qu’elle demeure implicite et n’est donc jamais exposée à la critique puisqu’elle n’est jamais exprimée : les pays de ce

« sanctuaire » seraient tous exempts de reproche, quant aux droits de l’homme, par exemple. Personne, par exemple, n’a remis en cause le choix de la Suisse pour le sommet de l’OIF en 2010, bien que ce pays serve de banque centrale au pillage du Tiers-monde. Il se peut, il n’y a pas de raison de ne pas le croire, qu’il ne fasse pas bon vivre dans les prisons de Noursoultan Nazarbayev, le président kazakh, mais dans les prisons belges, la vétusté des locaux et la surpopulation carcérale ont provoqué une telle taudisation que la détention est devenue de fait un traitement inhumain et dégradant. Si Liège est choisie pour le prochain championnat, verra-t-on des actions « Boycott de Liége. Non à l’enfer des prisons belges ! » ? Il est permis d’en douter.

Cela prête aussi à une politique de « deux poids, deux mesures ». Didier Reynders (MR) a déclaré à plusieurs reprises qu’il était "disponible si le Premier ministre était empêché de mener la délégation belge au sommet de la Francophonie ". Ce qui pourrait soulever une nouvelle polémique en Belgique, le ministre libéral ayant annoncé le 2 mai qu’il n’irait pas à l’Euro de foot en Ukraine à cause du manque de respect des droits de l’opposante Ioulia Tymochenko, alors qu’il compte apparemment agir différemment avec le Congo.

Quatrième remarque : Elle est un peu parallèle à la précédente. De même que les villes d’Europe occidentale ou d’Amérique du Nord sont les seules à pouvoir organiser un championnat de football, les Jeux Olympiques, ou le Sommet de la Francophonie, c’est à leurs dirigeants que l’on adresse comme à des « porteurs de lumière » qui ne devraient pas aller se souiller dans un tel cloaque. Une certaine tendance des Français au

« cocorico » au sujet des Immortels Principes de 1789 vaut à François Hollande un abondant courrier par lequel on lui rappelle que le Président du Pays des Droits de l’Homme ne devrait pas envisager de se commettre avec un Chef d’Etat aussi douteusement « élu » que Joseph Kabila.

Est-il utile de déployer des flots d’éloquence véhémente pour donner aux populations des pays défavorisés l’illusion que les politiciens des pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord sont de valables défenseurs des droits de l’homme, quand on considère que ces pays abritent les principales sociétés capitalistes responsables de la misère du Tiers-monde ?

au privé de missions de service public. Une polémique dont se seraient bien passés tant le CIO que le gouvernement britannique. Une de plus.

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Une cinquième remarque est d’ordre pratique. Non seulement les invitations au boycott visent souvent des événements sans rapport direct avec ce que l’on conteste, mais il s’écoule souvent un laps de temps considérable (plusieurs années) entre la décision quant au lieu où ils se tiendront et leur tenue effective. La plupart nécessitent, en effet, d’importants travaux d’infrastructure et la présence souhaitée de personnages de très haut niveau amène des exigences d’agenda qui requièrent une date fixée longtemps à l’avance.

Par exemple, écrire, comme on l’a fait2 que « La très mal nommée République Démocratique du Congo est actuellement entre les mains des dirigeants parmi les pires au monde en matière des droits de l’Homme. Ce qui n’a pas empêché l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) d’y programmer la tenue de son 14ème sommet malgré les protestations des ONG, de l’opposition congolaise et des victimes du régime brutal de Joseph Kabila » ne tient pas compte de ce que la décision de tenir à Kinshasa le XIV° Sommet de la Francophonie a été prise en 2010. Nul ne pouvait prévoir, à ce moment là, que la RDC serait alors en proie à des querelles postélectorales. La décision a été prise sur base des faits connus alors, et qui demeurent toujours valables : la principale considération qui a pesé dans a balance c’était de mettre en valeur la présence importante des pays d’Afrique noire au sein de la Francophonie, en se réunissant dans le plus grand d’entre eux.

Sixième remarque : Ces propositions de boycott reviennent toujours un peu à utiliser une cuiller comme chausse-pied. La compétition, la foire, la réunion que l’on propose de boycotter n’ont qu’un rapport lointain avec le motif de ce boycott. Quel rapport direct les JO de Pékin avaient-ils avec le Tibet ? Aucun ! Quel rapport direct entre la Francophonie et les élections congolaises ? Aucun !

Puisque les participants à l’événement n’ont aucune prise sur les faits incriminés, quelle serait l’utilité pratique d’une protestation ? Elle serait nulle. On aura simplement voté ne motion de plus, signé une pétition de plus, manifesté une fois de plus, bref… fait une

« bulle médiatique » de plus !

Enfin, septième et dernière remarque, il faut bien constater que les protestataires ne sont pas d’accord entre eux. Il est fréquent que des organisations visant des buts identiques, ou très proches aient, au sujet d’une de ces « grand-messes » internationales, des vues parfaitement opposées. A côté de ceux qui prônent le boycott, il y a ceux qui estiment au contraire qu’il faut y aller pour parler clairement de ce que qu’on désapprouve, ou pour manifester à ce moment-là, car il sera propice, la présence médiatique forte entraînée par l’événement devant amener la répression a être modérée ou, si d’aventure elle ne l’était pas, assurer un maximum de couverture télévisuelle et journalistique à cette effusion d’hémoglobine.

Apprécier ce que vaut une action revient à se demander quelle est la balance entre le bien qu’elle apporte et ses conséquences négatives. Prenons l’exemple concret de la RDC et du XIV° Sommet de l’OIF.

2 Boniface Musavuli : « N’allez pas au Congo, Monsieur le Président », AgoraVox, 17/07/2012

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Le problème est bien connu. Les élections du 28/11/11 ont donné des résultats qui, en réalité, sont encore inconnus. Les fraudes les plus importantes ayant eu lieu au niveau des centres de compilation, on ne pourrait se rapprocher de la « vérité des urnes » qu’en se référant aux PV des bureaux de vote, dernière opération publique et vérifiée par des témoins. Les chiffres de la CENI ne s’accompagnaient pas de ces PV, les chiffres publiés par l’UDPS, non plus. L’Eglise n’a jamais publié les résultats partiels constatés par ses observateurs. On n’a donc que des résultats dont la crédibilité est nulle. Les législatives ont été dignes de la présidentielle, sinon pires. Mais la CSJ a entériné les résultats de la présidentielle et des législatives. Le temps s’est écoulé, les résultats des élections demeureront à jamais inconnus. Toute autorité prétendue ne relève plus que de la force, de l’intimidation, d’un coup d’état de fait. Le principal ressort de ce coup d’état consiste à progresser, comme si de rien n’était, dans les tâches qui suivent normalement une élection et à mettre le pays et le monde devant le fait accompli.

La thèse des « boycotteurs » est que la présence des chefs d’états et de gouvernement étrangers constituerait, pour Joseph Kabila, une sorte de « reconnaissance » ou de

« légitimation ». Et François Hollande, particulièrement visé, se voit rappeler certaines phrases de campagne électorale telles que « si j’étais élu président de la République, je n’accepterais pas des élections qui auront été frauduleuses » ; « Une rupture est nécessaire par rapport à des usages qui n’ont rien d’acceptables ni de légaux » ; « Je veillerai que les relations entre la France et l’Afrique reposent sur un principe de solidarité, économique et du point de vue de la langue » ; « Sur les régimes eux-mêmes, les règles doivent être celles de la démocratie », etc...

Il est pour le moins étrange que les Africains (car cela ne se limite pas aux Congolais) ne se rendent pas compte de l’aliénation que cette façon de voir recèle. Ils sont pourtant conscients de ce qu’ils ont vécu à l’époque coloniale, et ne sont pas les derniers à dénoncer à tout propos le néocolonialisme.

Or, l’une des caractéristiques majeures de la colonisation, c’est que les dirigeants, même indigènes, n’y étaient jamais choisis par le peuple, mais imposés par la Métropole et que, lorsque celle-ci accordait aux indigènes une certaine liberté de choix, c’était malgré tout sous réserve de son approbation. Inviter la population à croire au mythe d’une sorte

« d’adoubement » du Chef de l’Etat par la « communauté internationale », n’est rien d’autre qu’une attitude « néocolonisée ».

Car, il faut bien le dire et c’est là l’information utile que l’on devrait donner au peuple et lui répéter sans cesse, la reconnaissance internationale d’un Président ou d’un gouvernement, cela n’existe tout simplement pas.

Pire ! C’est précisément la propagande gouvernementale qui a créé ce mythe et qui s’évertue à l’entretenir. A longueur d’année, tous les contacts diplomatiques, qui n’existent que pour maintenir le dialogue même entre des pays qui se regardent avec dégoût, sont présentés au peuple comme signifiant le « soutien sans réserve » ou

« l’approbation chaleureuse » de l’Etat dont un représentant figure sur la photo en train

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13 de serrer la main3 du dictateur local !

Comment veut-on que le peuple se doute que la reconnaissance internationale d’un Président n’existe pas ? Le pouvoir lui montre la photo avec comme légende que cela manifeste la reconnaissance de l’état X, et l’Opposition s’agite pour que le Chef de l’Etat Y ne fasse pas de même, conférant par là-même un sens à un geste qui n’en a aucun. Que peut en conclure l’homme de la rue, sinon que « Après l’Indépendance = Avant l’Indépendance » que ce sont toujours les Blancs qui nomment les dirigeants et que ceux- ci sont bien « bamindele ba biso4 » ?

Est-ce militer utilement pour la démocratie, est-ce contribuer à éduquer civiquement le peuple, est-ce aider les masses à comprendre qu’elles sont souveraines, est-ce convaincre et persuader le citoyen congolais Lambda que son vote a de l’importance, qu’il compte dans la détermination de la ligne politique du pays, que de lui présenter unanimement, Majorité et Opposition unies, l’opinion des chefs d’états étrangers comme prépondérante ? Il est évident que non !

La plupart des polémiques postélectorales africaines semblent reposer sur l’idée que le match n’est jamais fini, que l’on peut sans cesse obtenir des prolongations. Après la commission électorale, il y a telle et telle cour de justice, puis l’UA, puis la

« Communauté Internationale », puis l’ONU, puis… puis… puis…

La réalité est différente : Il n’y a pas de recours extérieurs ; c’est à l’intérieur du pays que se règlent les affaires intérieures.

A force d’attendre un miracle venu de l’extérieur, les Congolais ont la triste habitude d’oublier ce qu’ils ont, eux, à faire.

Lorsque, en juillet 2010, ils se sont aperçus que JKK lançait sa campagne électorale et interdisait au MLC (alors parti-phare de l’Opposition) de faire de même sur es médias qu’il contrôle, un signal clair et fort était donné. On savait que la majorité sortante entendait être reconduite. La suite (réforme de la Constitution, CENI politisée, nomination in tempore suspectissimo de magistrats à la CSJ, etc…) n’en fut que la confirmation. Ils ont donc eu un an et demi pour se préparer à toutes les éventualités.

« Toutes » inclut celle-ci, qu’ils ne pouvaient raisonnablement exclure : « Que faisons- nous dans l’hypothèse où la CENI proclame des résultats non crédibles et non vérifiables, où la CSJ les entérine et où la répression pour leur maintien est forte ? ».

(Je ne prétends nullement que c’était la seule hypothèse à envisager. Je me borne à dire que, compte tenu du passé, elle aurait dû être parmi celles que l’on prenait en compte !) Le lamentable fiasco qui a suivi me dispense de préciser qu’on n’en a rien fait ! Il montre mieux que de longs discours qu’au lendemain de la proclamation des résultats manipulés, aucune formation d’opposition n’avait en réserve un « plan B » mûrement réfléchi pour faire face cette situation pourtant prévisible depuis plus d’un an. Toutes les réactions furent marquées du sceau de la hâte et de l’improvisation. La plus notable consista dans

3 Il y a un cas, et un seul, où deux Chefs d’Etat qui se rencontrent ne se donnent pas la main : s’ils sont, de façon officielle et déclarée, en guerre l’un avec l’autre.

4 « Nos Blancs à nous ».

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l’autoproclamation de sa « victoire » par Tshisekedi, alors qu’elle n’est pas mieux prouvée5 que celle de JKK.

Suit une véritable pantalonnade, avec prestation de serment du « Président élu », déclarations, courbettes, etc… Et… on attend le miracle !

Cette façon de répondre à un coup d’étt blindé par un coup d’état carnavalesque porte la marque d’une foi aveugle dans la démocratie telle que les médias occidentaux la mettent en scène.

Il est en effet facile d’identifier le modèle auquel on se réfère : la compétition Ouettara / Gbagbo en Côte d’Ivoire, un an plus tôt.

Admettons sans barguigner qu’il y avait de ressemblances. En CI, comme en RDC, on a affaire à deux prétendus « résultats du vote », aussi peu crédibles l’un que l’autre6. La seule solution raisonnable, dans l’un et l’autre cas, aurait été d’annuler le scrutin et de revoter7. Au lieu de quoi le Président sortant se réinstalle, cependant que le « challenger » prête également serment etc… Au bout d’un certain temps, le bon « challenger » (ami de l’Occident) finit par l’emporter.

L’aspect douteux de la victoire électorale de Ouattara et les nombreuses facettes violentes de sa victoire finale ont été très peu soulignés par les médias dominants.

En particulier, ils n’ont guère parlé du fait que Ouattara, quand l’Hôtel du Golf lui servait de palais présidentiel, disposait déjà d’une garde armée fournie par les milices de Guillaume Soro, maîtresses du Nord du pays. Ils ont fort peu parlé aussi du rôle joué par la France de Sarkozy, notamment dans la capture de Gbagbo. Ils ont plutôt donné l’impression que « la juste cause avait triomphé par sa justesse même ». Bref, on nous a raconté un conte de fées.

C’est une lecture saine et familiale, mais certainement pas une base sur laquelle asseoir une ligne politique.

5 L’UDPS lui attribue 56%, chiffre colossal pour une élection à un seul tour avec 11 candidats, en se basant, dit-elle, sur les renseignements fournis pas ses témoins. Or, on ne pourrait se rapprocher de la

« vérité des urnes » qu’en se référant aux PV des bureaux de vote, dernière opération publique et vérifiée par des témoins. Les chiffres de la CENI ne s’accompagnaient pas de ces PV, les chiffres publiés par l’UDPS, non plus. On n’a donc que des résultats dont la crédibilité est nulle. On ne peut prétendre repousser les chiffres de la CENI partisane pour ensuite en accepter d’autres, de source tout aussi partisane.

6 Ouattara avait, dans e Nord, des résultats impossibles dépassant parfois les 100%, mais Gbagb avait utilisé le couvre-feu et des barrages routiers sur certaines routes par ses partisans pour empêcher les partisans de Ouattara de voter. Quant au résultat « corrigé » par ao N’Dré, il était, c’est le ca de le dire

« taillé » sur mesure.

7 Suggestion qui n’a été faite que par le Président angolais Dos Santos.

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Le Paradoxe Francophone et le Discours Postcolonial

Par Jacques Coursil8

_ J'ai entendu une chanson francophone sur une radio française, déclara Pauline.

Je regarde souvent des émissions françaises sur des chaînes de télévision francophones, mais il m'arrive de regarder des émissions francophones sur des chaînes françaises.

_ Mais que dites-vous là ? s'écria Paul. Faut-il donc distinguer parmi les francophones ceux ou non qu'on appelle tels?

Pour éclairer l'apparente dérive de sens du mot francophone, les grammaires distinguent les deux fonctions d'attribut et d'épithète. L'attribut, fonction déclarative, énonce une propriété, vraie ou fausse, d'un objet. Dans un tout autre ordre de sens, l'épithète, fonction nominative, correspond à une manière de désigner. Ainsi, le fait qu'un écrivain soit francophone(attr) n'implique pas qu'il soit appelé tel (épith).

_Je concède,déclara Paul troublé par la grammaire, que pour participer à une émission francophone (épithète) sur une chaîne de télévision française, il ne suffit pas d'être francophone (attribut), c’est-à-dire de parler le français, il faut n’être pas français.

Autrement dit, en France, ex-métropole coloniale, les francophones, ce sont les Autres.

L'épithète francophone est narratif. Il condense sous un seul terme toute l'histoire de l'ancien empire colonial. Forgé par une histoire, il ne fait sens que dans cette histoire.

Certes, ce n'est qu'un lieu commun, une parole sans sujet, mais qui, à elle seule, rappelle tout le fait colonial. Ainsi, en deçà de l'intention des parlants, la langue, par cet épithète, raconte incessamment l'histoire et n'est jamais muette. En français aujourd'hui, le mot francophone, à la fois clair et chargé, fait figure de trait postcolonial par excellence.

_ Je vois votre paradoxe s'écria Paul: parmi les écrivains francophones, les écrivains français ne sont pas francophones.

_ Vous parlez des écrivains français-de-France-métropole, ironisa Pauline.

Parler français est une condition nécessaire et suffisante pour l'attribut francophone, mais pour l'épithète, ce n'est qu'une condition nécessaire; il y manque une négation défective : - non-français (de France) -. Le paradoxe qui en découle est connu : les études françaises ne sont pas francophones.

8Emeritus, Université Antilles-Guyane -Cornell University

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16 _ A ce titre, Voltaire est-il francophone ? _ Et Rousseau ? soupira Pauline.

Sous sa fonction d'épithète, le terme francophone ne s'emploie que pour désigner des objets associés au champ culturel, contrairement à la fonction attribut qui couvre tous les emplois. A cette restriction s'en ajoute une autre, l'épithète ne s'applique qu'à des objets qui n'ont pas l'Hexagone pour origine.

_ Chère Pauline, le commerce francophone (att), voilà ce qu'il faut fortifier.

_ Moi, répondit-elle, je ne m'intéresse qu'aux chansons francophones (épith) et ne vois pas même ce qu'une économie francophone (att) pourrait signifier. _ Laissez-là, reprit Paul, vos musiques francophones (épith), intéressez-vous à la politique francophone(att).

_A vous, répondit Pauline, le commerce, les réseaux et les espaces francophones (att), à moi, le théâtre, les chansons et les littératures francophones (épith).

La double fonction de francophone autorise tous les zeugmas. Ainsi, Charlotte, qui est tout à fait francophone (elle parle parfaitement le français), n'est pas francophone, mais anglophone. On peut aussi dire d'elle qu'elle est très francophone quoi que non- francophone. En fait, Charlotte a appris à parler dans la langue anglaise étant enfant, puis a appris d'autres langues dont la française par la suite. Son amie Amina, quant à elle, est francophone (elle est du Mali; elle parle aussi d'autres langues). Etant enfant, elle a reçu son éducation scolaire en français. Parlant d'elle, je ne dirais pas, comme je le dis de Charlotte, qu'elle parle parfaitement le français; l'adverbe est de trop. Elle parle français tout court. Telle est la portée de l'attribut. Si Amina parle bien ou mal, elle parlera bien ou mal comme seule une francophone peut le faire. Ainsi, si je dis de quelqu'un qu'il parle bien (ou mal) le français, il ne peut s'agir d'un francophone dont on dira simplement qu'il parle bien ou qu'il parle mal.

De manière plus générale, on ne parle pas les langues en appliquant des règles sciemment apprises. Parler une langue, ce n'est pas répéter, mais produire. Sans cette production toujours renouvelée, l'idiome est mort. Emile Benveniste a souvent traité cette question. Il écrit :

Or comment produit-on la langue ? On ne reproduit rien. On a apparemment un certain nombre de modèles. Or tout homme invente sa langue et l'invente toute sa vie. Et tous les hommes inventent leur propre langue sur l'instant et chacun d'une façon distinctive et chaque fois d'une façon nouvelle. Dire bonjour tous les jours de sa vie à quelqu'un, c'est chaque fois une réinvention. A plus forte raison quand il s'agit de phrases… Chaque locuteur fabrique sa langue. Comment la fabrique-t- il ? C'est une question essentielle, car elle domine le problème de l'acquisition du langage. (Emile Benvéniste, Problèmes de Linguistique générale T2 p 19 Gallimard 1974)

Ainsi, les sujets ne respectent les règles d'une langue (que d'ailleurs ils ne connaissent pas parce qu'elles sont inconscientes) qu'en les mettant constamment à l'épreuve.

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Autrement dit, le locuteur parle sa langue aux limites des règles (sauf quand il répète des formules).

Dans le discours colonialiste, on n'est jamais à l'abri du fantasme puriste de la désintégration morpho-syntaxique du français par la pluralité francophone. Pourtant, malgré une longue histoire, il n'existe pas de français colonial. Aucune variante nationale ou régionale ne supporterait une telle appellation. En d'autres termes, ni la colonisation et ni les indépendances n'ont été déterminantes dans la diachronie récente de la langue. Elle ne s'est pas diffractée en variantes dialectales systémiquement autonomes. Dans sa pertinence tranchante, le roman d'Hamadou Kourouma "Allah n'est pas Obligé" se moque de l'acharnement des linguistes à établir " l'Inventaire des Particularismes du Français d'Afrique Noire".

Tralalas de mitraille arrosèrent la moto et les gars qui étaient sur la moto, c'est-à- dire le conducteur de moto et le mec qui faisait le faro avec kalachnikov derrière la moto. (Le mot faro n'existe pas dans le Petit Robert, mais ça se trouve dans Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire. Ca veut dire faire le malin.) Le conducteur de moto et le mec qui faisait faro derrière la moto tous deux morts, complètement, totalement morts. Et malgré ça la mitraille continuait tralala…(Ahmadou Kourouma,Allah n'est pas Obligé, p 53, Seuil, 2000, Paris).

Le français est une langue qui inscrit dans son histoire le fait d'appartenir à une cinquantaine de nations ou pays dans le monde. Ce fait de grande étendue et de longue durée définit et situe le français contemporain parmi les grandes langues internationales.

Ainsi, un Mauricien, un Suisse, un Burkinabé et un Français peuvent entrer en dialogue sans exclure pour autant leurs variances dialectales : chacun parle sa langue en la créant.

Elle est partout différente, mais c'est pourtant la même.

Telles que l'histoire nous les lègue, les langues sont multisociétales, les sociétés multilingues et multiculturelles. Il est de fait que parmi les 150 millions de locuteurs francophones dans le monde, une écrasante majorité est multilingue. Ainsi, là où la communication francophone a cours, le français partage l'espace social avec d'autres langues; la langue qu'on parle à la maison est couramment plurielle et partout dans le monde, l'espace de la maison familiale est traversé par les langues. Ainsi, le multilinguisme se présente comme une catégorie première des sujets de langage, reléguant le monolinguisme comme catégorie dérivée et accidentelle. De ne pouvoir être un fondement de raison méthodique, le monolinguisme n'a jamais été qu'une illusion de métropole impériale monolingue.

Les langues coloniales, aujourd'hui internationales, portent encore la trace historique et psychique de leur installation par la violence. Le concept de possession des langues et de leur dé-possession est une machine à fantasmes redoutable, car le double discours colonial perdure. Ainsi dans leurs lieux communs, les ex-colonisateurs disent encore - Les francophones parlent notre langue- ce que les ex-colonisés confirment en

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disant : Nous parlons la langue de l'Autre - (J. Derrida, Le Monolinguisme de l'Autre).

Sans qu'il soit nécessaire d'entrer plus avant dans la non-normativité des langues, il semble que le couple ago-antagoniste formé par l'hégémonie linguistique coloniale et sa contrepartie identitaire est confronté au principe général de créativité constante des langues et se trouve par là même constamment déconstruit. La langue, même imposée, est nécessairement un partage et, donc à terme, une appropriation. On songe au vieux sophisme de l'élève ingrat qui ne veut pas payer son maître - Le savoir que tu prétends m'avoir donné, tu l'as encore ; alors, je ne te dois rien -.

Dans Une Tempête/The Tempest (Césaire/Shakespeare), le traumatisme du langage s'ancre bien en deçà de l'imposition forcée des langues. Pour Prospero, le maître monolingual, la question n'est pas d'inculquer sa langue à son esclave, mais de lui apprendre à parler. Pris dans son fantasme de l’oeuvre coloniale, il lui fait don de la faculté qui permet d'accéder à l'humanité à partir de son animalité originelle. Pour Prospero (chez Shakespeare), Caliban est de la terre(thou earth), mais aussi un animal (a freckled whelp, petit fauve à taches rousses), une sale race (thy vile race). Chez Césaire, Prospero voit en Caliban "Une brute tirée de l’animalité qui l’engangue encore de toute part", ou bien encore un "vilain singe". Le maître Prospero reproche à l'élève esclave son ingratitude (négratitude): "tu pourrais au moins me bénir de t’avoir appris à parler"(Césaire). Chez Shakespeare, Caliban répond : " Tu m’as enseigné le langage, et le profit qui m’en revient, c’est de savoir comme on maudit. Que t’emporte la peste rouge pour m’avoir appris ta manière de parler !". Le Caliban de Césaire récuse un déni :

"D’abord ce n’est pas vrai. Tu ne m’a rien appris du tout. Sauf, bien sûr à baragouiner ton langage pour comprendre tes ordres". Ainsi, si pour Caliban, pour le colonisé ou l'ex- colonisé, la question est linguale, pour le maître colonialiste Prospero, la question est glottale. Le traumatisme colonial du langage gît dans cette différence d'objets que sont la faculté de parler et la pratique d'une langue.

La Littérature du Commonwealth n'existe pas Salman Rushdie Pour Salman Rushdie, écrivain de langue anglaise, la "littérature du Commonwealth" est un concept fabriqué, confus et politiquement douteux et, plus encore, incompatible à l'idée même de littérature. Il écrit :

« Il apparaît que la littérature du Commonwealth est cet ensemble d'écritures créé, je crois, en langue anglaise, par des personnes qui ne sont pas elles-mêmes des anglais blancs, ni des irlandais, ni des citoyens des Etats-Unis d'Amérique. Je ne sais pas si les noirs américains sont citoyens ou non de ce bizarre Commonwealth. Sûrement pas.

L'Afrique du Sud et le Pakistan, par exemple, ne sont pas membre du Commonwealth, mais apparemment leurs écrivains appartiennent à sa littérature.

D'autre part, l'Angleterre qui, autant que je sache, n'a pas encore été chassée du Commonwealth a été exclue de sa manifestation littéraire » (Salman Rusdhie,

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19 Patries Imaginaires p78-79, 1983).

Pour Rushdie, les littératures de langue anglaise constituent la littérature anglaise.

« Maintenant la "littérature du Commonwealth" me devenait très désagréable. Ce n'était pas seulement un ghetto mais un véritable ghetto d'exclusion. Et la création d'un tel ghetto avait, a pour effet de changer le sens du terme bien large de

"littérature anglaise" – que j'ai toujours considéré comme signifiant simplement la littérature de langue anglaise – pour en faire quelque chose de ségrégationniste sur les plans topographique, nationaliste et peut-être même raciste.

La littérature anglaise a sa branche indienne. J'entends par là la littérature de langue anglaise. Cette littérature est aussi la littérature indienne. Il n'y a là aucune incompatibilité. »(Salman Rusdhie, Patries Imaginaires p78-79, 1983).

Le classement des littératures de langue anglaise sous l'expression littérature anglaise n'a pas de traduction pratique en français. L'histoire du domaine francophone est différente. Dans l'expression littérature française, le mot français ne s'applique qu'à l'Hexagone stricto sensu. Dans ce jeu complexe des usages, nul ne songe aujourd'hui à étendre le sens de cette expression en dehors des frontières qu'elle s'est donnée. La tendance inverse prévaut notamment sous des formes identitaires. Les littératures de langue française du Cameroun ou d'Haïti, voire de Martinique et de Guadeloupe qui sont des départements français, n'ont nul désir de se proclamer françaises. Ainsi, le mot francophone s'impose entraînant avec lui sa géographie coloniale et son paradoxe.

Ecrivains du Commonwealth, mais ne les appelez pas ainsi ! Salman Rusdhie, Je n’ai jamais pu accepter la sorte de vague ralliement qu’est la francophonie.

Edouard Glissant

Le paradigme postcolonial

« La Littérature du Commonwealth est une fiction, et une fiction d'un genre unique en ce sens qu'elle avait été créée par des critiques et des universitaires qui avaient fini par y croire sincèrement » (Salman Rusdhie, Patries Imaginaires p.80).

A l’opposé du paradigme littéraire francophone qui se donne l’ancien empire colonial français pour épure, le paradigme postcolonial étudie les formes de représentation coloniales dans toutes les littératures (sans exclusion de principe). Parmi les critiques les plus cités, Edward Said (initiateur du paradigme avec la parution de Orientalism 1978), Gayatri Spivak, Homi Bhabha et quelques autres, tous sont originaires du Sud, tous sont professeurs de littérature anglaise dans des départements d’anglais

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