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Comment pose-t-on la question en français populaire?

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Comment pose-t-on la question en français populaire?

--Une comparaison avec le français standard--

Esther Jager s1388398

Dirigé par dr. B.A.A. Kampers-Manhe

Département des langues et cultures romanes

Université de Groningue

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Le respect du Seigneur est le commencement de la sagesse

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Tables des matières:

Introduction ………... ... 5

Chapitre 1: Qu’est-ce que le français populaire? ... ... 8

1.0. Introduction... 8

1.1. La variation linguistique ………... 8

1.2. Le français standard ………... 9

1.3. La variété populaire ………... 11

1.4. Les facteurs internes et externes de la variation linguistique ………... 12

1.5. Le développement du français populaire et son prestige ………... 13

1.6. Comment considérer le français populaire? ... 14

1.7. Conclusion ……….. 16

Chapitre 2: L'interrogation directe: une comparaison entre le français standard et le français populaire ... ... 18

2.0. Introduction ... ... 18

2.1. Le système d’interrogation du français standard... 19

2.1.1. L'interrogation directe totale... 20

2.1.2. L’interrogation directe partielle... ... 22

2.1.3. La distinction entre la langue écrite et orale dans l'interrogation... 26

2.1.4. L’interrogation indirecte en français standard ………. 27

2.2. Le système interrogatif du français populaire... 29

2.2.1. La répugnance pour l’inversion... 29

2.2.2. Moyens d'éviter l'inversion dans l'interrogation directe totale... ... 30

2.2.2.1. Le suffixe ti ……… 30

2.2.2.2. L’omission de l’inversion à l’aide de la particule est-ce que... ... 31

2.2.2.3. L'intonation pour sauver l'ordre canonique des constituants... 32

2.2.3. Moyens d'éviter l'inversion dans l'interrogation partielle... 32

2.2.3.1. Le suffixe ti combiné avec un élément interrogatif... 32

2.2.3.2. Est-ce que versus c'est que ... 33

2.2.3.3. L’antéposition et la postposition des adverbes interrogatifs... 34

2.2.3.4. L’emploi d’un connecteur générique que ... 35

2.3. La conjonction de formes interrogatives: une particularité du français populaire... 36

2.4. L’interrogation indirecte du français populaire ……….. 39

2.5. Conclusion... 40

Chapitre 3 : L’inversion en français standard ……… 42

(4)

3.1. L’inversion complexe ……… 42

3.1.1. Propriétés distributionnelles de l’inversion complexe ………. 42

3.1.2. Analyses concernant l'inversion complexe en français standard ……… …. 43

3.1.2.1. le déplacement vers la droite ………. 44

3.1.2.2. Le déplacement du sujet et le mouvement du verbe………... 44

3.1.2.3. La position et la fonction du clitique dans l’inversion complexe…………... 49

3.2. L’inversion pronominale………... 52

3.2.1. Analyses concernant l’inversion pronominale ………. 53

3.3. L’inversion stylistique………... 56

3.3.1. Les propriétés distributionnelles de l’inversion stylistique………... 56

3.3.2. Analyses de l’inversion stylistique……… 57

3.3.2.1. Kayne (1972)………. ……… 58

3.3.2.2. Le sujet in situ ………... 59

3.3.2.3. Le critère wh de Rizzi (1996)………. 61

3.3.2.4. Kayne & Pollock (2001)………. 61

3.4. Conclusion ………63

Chapitre 4 : l’analyse formelle de l’interrogation du français populaire ……… 64

4.0. Introduction ……… . 64

4.1. L’absence d’inversion………... 65

4.1.1. L’absence du mouvement de I vers C………... 65

4.1.2. Les complémenteurs que et est-ce que……….. 67

4.1.3. Le critère wh de Rizzi (1996)……… 69

4.2. Les mots wh in situ et les mots wh déplacés……… 72

4.2.1. Les éléments wh préposés……….. 72

4.2.2. Les mots wh in situ………. 74

4.3. Le suffixe –ti………. 75

4.3.1. Les propriétés syntaxiques de ti……… 76

4.3.2. Les propriétés sémantiques du suffixe ti……….. 79

4.3.2.1. Le morphème o (Garzonio (2004)) et le morphème ti………... 79

4.4. Le trait [+wh] dans les questions indirectes ………. 82

4.5. Les interrogations clivées……….. 83

4.5.1. La construction clivée……… 84

4.5.2. La sémantique et la syntaxe des clivées……… 85

4.6. Conclusion ……… 89

Conclusion ……… 90

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Introduction

Quand on parle des variantes du français qui sont parlées par certains groupes ou par des classes sociales particulières, on utilise le terme sociolecte. Le sociolecte que nous allons analyser dans ce mémoire est le français populaire, ou bien, en d'autres termes, un emploi non standard du français.

Dans le passé, le français populaire était souvent condamné à être un français “mal parlé” dont feraient usage les couches sociales défavorisées de la population. Aussi, le français populaire était-il souvent désigné par les notions «populaire», «parler racaille» ou «caillera» (cf. Gadet 2002). Cependant, cette opinion s’est avérée ne pas être juste, parce qu’il ne s’agit pas d’un français mal appliqué, mais justement d’une autre variante linguistique du français qui constitue un “ensemble homogène” (cf. Gadet: 1992: 3). Il est alors possible de dresser un inventaire des formes grammaticales, lexicales, phonologiques, etc. qui ont évolué de façon indépendante de la norme et qui sont caractéristiques du français populaire. Cet ensemble homogène peut alors être qualifié de populaire.

Plusieurs linguistes ont déjà tenté de décrire de façon adéquate les traits syntaxiques et sémantiques du français populaire tel qu’il a évolué jusqu’à présent. Vu le fait que le français populaire ne se trouve pas dans les grammaires traditionnelles, il leur a fallu avoir recours à des corpus dans lesquels on fait usage de la langue populaire. Comme le français populaire était souvent considéré comme un langage parlé et non pas comme un langage écrit, il n'était pas courant de l’utiliser dans la littérature. Pourtant, le langage populaire est introduit dans l'oeuvre de l'auteur Céline comme étant non seulement un langage oral mais comme un langage écrit aussi. C'est pour ces raisons que le roman Voyage au bout de la nuit (1932), dans lequel le narrateur utilise la langue populaire, a été très utile aux linguistes.

A part du lexique populaire on y trouve beaucoup de phénomènes qui sont caractéristiques du français populaire, comme l’absence du ne de la négation ou par exemple le dédoublement du sujet1. Ainsi, la façon dont on pose la question en langue populaire est un des traits qui distingue nettement le français populaire du français standard. La phrase (1) est un exemple de l’interrogation populaire:

(1) Quand c’est-ce que c’est qu’il a dit ça? Gadet (1992: 19)

C’est justement ce phénomène de l’interrogation en français populaire qui nous intéressera dans ce mémoire, une interrogation, qui, comme nous le verrons, diffère beaucoup par rapport à celle du français standard. Le but du mémoire sera de trouver une réponse à la question suivante: Comment l’interrogation du français populaire se construit-elle et quelles sont les différences avec le français standard? Ainsi, nous pouvons

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formuler notre question principale de la façon suivante: Comment pose-t-on la question en français

populaire?

Pour répondre de manière adéquate à la question principale, qui semble être très générale, nous nous proposons d'abord d’analyser le français populaire comme variante linguistique du français «codifié». Dans le premier chapitre, nous nous poserons les questions suivantes: qu'est-ce que le français populaire et comment le caractériser exactement? Comment se distingue-t-il du français standard et des formes linguistiques comme l’argot, le langage familier, la langue parlée, etc.?

Ensuite, dans le deuxième chapitre nous présenterons les faits concernant l’interrogation du français populaire et nous expliquerons les différences avec la norme. Comme il est décrit dans les grammaires traditionnelles, pour formuler une question il y a deux types d’interrogation: d’une part l’interrogation totale à laquelle on peut répondre par «oui» ou «non» et d’autre part l'interrogation partielle. Dans ce dernier cas, la réponse porte sur un élément spécifique de la phrase. Nous nous intéresserons aux deux types dans notre mémoire pour faire un travail complet.

Une deuxième distinction est celle entre l’interrogation directe, suivie d’un point d’interrogation, et l’interrogation indirecte, sans point d’interrogation en fin de la phrase. Alors que la première se trouve en fonction de proposition principale, la deuxième fonctionne toujours comme proposition subordonnée. Nous tiendrons compte des deux types d'interrogation, de nouveau pour donner un tableau complet pour ce qui est du marquage de la question.

Comme nous l’avons déjà dit, le chapitre 2 sera consacré aux tournures interrogatives en français standard ainsi qu’en français populaire en faisant une comparaison entre les deux variantes. Ainsi, avant de savoir en quoi les tournures du français populaire diffèrent de celles du français standard, nous nous servirons de la littérature consacrée à l’interrogation du français standard pour montrer ensuite comment la syntaxe de la langue populaire diffère par rapport au premier. Dans ce chapitre nous discuterons donc des différentes formules qu’on utilise aussi bien en français standard qu’en français populaire pour marquer la question et nous verrons en quoi les tournures interrogatives diffèrent.

Nous verrons entre autres que le français populaire évite l’inversion dans ses tournures interrogatives en utilisant d’autres moyens syntaxiques et morphologiques, parce que, comme Guiraud (1967) le montre, l’inversion est sentie comme trop compliquée et comme une construction qui « détruit » l’ordre canonique de la phrase.

Après avoir formulé les différences principales entre le système du français populaire et la norme, il conviendra de poser la question de savoir pourquoi exactement l’interrogation populaire diffère tellement de celle du français standard. Aussi, allons-nous focaliser dans le chapitre 3 sur les complicités et les problèmes liés à l’inversion notamment. Ce chapitre sera consacré à l'analyse formelle de l’inversion du français standard.

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Chapitre 1: Qu’est-ce que le français populaire?

1.0. Introduction

Dans l'introduction nous avons mentionné qu’à côté du langage standard il existe des variations linguistiques dont le français populaire est un exemple. Gadet a observé «qu’il y a variation dès qu'il y a communauté linguistique» (Gadet: 1992: 5), les locuteurs d’une langue ne se servant pas toujours des mêmes usages. Dans ses ouvrages sur le français ordinaire (1989) et le français populaire (1992), Gadet a tenté de décrire la langue française non comme étant homogène comme le font souvent les théories linguistiques, mais justement comme une langue hétérogène. D’une part hétérogène dans le sens que la langue parlée se distingue de la langue écrite, d’autre part dans le sens qu’il existe une forme standard du français et d’autres formes qu’on caractérise comme «non standard».

Dans un travail consacré à l'interrogation du français populaire, il nous semble pertinent de bien situer la langue populaire à côté du français standard. Ce chapitre sera donc une introduction générale concernant le langage populaire français.

Dans ce qui suit, nous tenterons de décrire de façon détaillée le statut et le développement du français populaire. A cet égard, nous donnerons plusieurs définitions concernant la variation linguistique en 1.1 afin de pouvoir indiquer sur quel axe se trouve le français populaire par rapport à la norme. D’abord, nous creuserons la définition de la norme en 1.2. comme introduction au paragraphe 1.3., dans lequel nous allons étudier la variété populaire. Ensuite, dans 1.4. nous analyserons la variation linguistique et les facteurs externes qui influencent une langue. Nous décrirons également brièvement l’histoire du français populaire en 1.5. pour comprendre les jugements différents auxquels il est soumis. Le paragraphe 1.6 nous aidera à identifier plus précisément le français populaire vis-à-vis d’autres variantes du français comme l’argot, le français parlé et le français familier, car ces niveaux de langue distincts sont souvent groupés sous un dénominateur commun.

Dans ce qui suit, il s’avérera que la frontière linguistique entre les différents emplois non standard est en effet très floue, parce qu’ils se recouvrent partiellement. De ce point de vue, on comprendra que le français populaire se laisse difficilement définir. Pourtant, nous tâcherons de décrire le français populaire comme une forme non-standard caractéristiquement différente dans son comportement linguistique vis-à-vis de la norme.

1.1. La variation linguistique

Plusieurs études2 sur le sujet de la variation linguistique nous montrent qu’il est impossible qu’une société vivante ne possède qu’une seule forme de langage. De plus, elles nous assurent qu’il n'y a pas de locuteur qui parle uniquement et parfaitement selon les règles de la norme. Bien que le français standard existe et qu’il

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soit enseigné dans les écoles, il est naturel qu’on constate des variations dans une langue. Ce qui est encore plus significatif c'est que toute langue vivante connaît des variations.

Le premier à avoir introduit le terme de la « variation linguistique» a été le linguiste William Labov (1972). Labov, considéré comme le fondateur de la sociolinguistique (moderne)3, a consacré la plupart de ses études à la sociolinguistique, et plus particulièrement à la dialectologie sociale. En étudiant différents groupes sociaux et ses énoncés correspondants, il a découvert que la relation entre le langage et la classe sociale est en effet très nette. La sociolinguistique étudie la langue comme étant dépendante de son contexte social. Ainsi, elle rend compte de l’influence des aspects socioculturels qui affectent une langue et tente de décrire une langue sous cet angle. La définition de Labov du terme « variation » est née de ses propres observations dans le champ linguistique; ainsi a-t-il remarqué que chaque langue possède différentes manières de diffuser le même message. En d’autres termes, la variation est la possibilité d'une langue donnée d’exprimer la même chose sous différentes formes. Pour décrire une langue, il est alors nécessaire de rendre compte de tous ses usages, donc de toute variation. En effet, afin de pouvoir répondre à la question de savoir ce qu’est une langue, il est alors inévitable de rendre compte de ses variations.

Guiraud rend compte de la variation linguistique en définissant la langue comme «un complexe de composantes nombreuses, imbriquées et fondues en une étroite synthèse dont l’analyse comporte toujours une part de convention et d’arbitraire» (Guiraud: 1965:6). Nous considérons le français populaire donc comme une variété de la langue française, un usage non standard qui se différencie de la norme. Dans ce qui suit, nous insisterons plus en détail sur les facteurs qui influencent une langue. Mais attachons-nous d’abord à la définition de la norme.

1.2. Le français standard

Dans le paragraphe précédent nous avons mis en avant qu’une langue connaît toujours une variété dominante, appelée la norme. Chaque langue a pour base une norme standardisée, composée de dictionnaires conventionnels et des règles des grammaires traditionnelles. A côté de cette norme il existe des « inégalités » linguistiques non officielles, qui pénètrent dans la langue standard4. Tout ce qui échappe à la norme, est stigmatisé.

Désormais nous savons qu’il existe plusieurs formes non-standard; il nous reste maintenant à poser la question suivante: qu'est-ce que le français standard exactement?

Le français standard est la langue qui est imposée au travers du système scolaire. C'est au XVIe siècle que les grammairiens ont commencé à normaliser la grammaire et l’idiome français pour en faire un français

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Auparavant on parlait plutôt de la sociologie de la langue. C’est en effet Labov qui a introduit le terme de sociolinguistique dans les années soixante.

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standard correct et vérifiable. Le français (parlé) à cette époque-là n’a bien sûr pas cessé d’évoluer de sorte que le français standard actuellement co-existe avec d’autres usages non-standard.

Regardons d’abord de plus près ce qu’est la norme exactement. Selon Gadet, la norme est une expansion de la langue liée non pas à l’oral mais justement au langage écrit. Au XIXe siècle, avec l'apparition de la nouvelle loi obligeant tous les enfants à avoir une scolarisation et imposant une alphabétisation obligatoire à tous les Français, la nécessité d'avoir un français uniforme et homogène en était la cause logique. Jusqu’à ce point-là, la norme concerne alors l’histoire de l’écriture et néglige le langage parlé. C'est ainsi que le français standard se voit décrit par certains grammairiens de l'Académie française, qui ont voulu faire du français un langage « noble » ayant des règles fixes.

Bien que le français standard soit imposé dans l'enseignement français et qu’il soit considéré comme le français « correct », cela n'empêche pas l'existence des variations. Comme nous l’avons déjà vu, la langue française standard a été fixée quand le français (parlé) était en pleine évolution. Le peuple étant analphabète, il ne se servait guère du français « correct », de sorte que d’autres usages (populaires) à côté du français standard étaient courants et ont continué à survivre. L’emploi du français standard étant restreint aux personnes ayant bénéficié d’une scolarisation, il restait donc inaccessible au peuple.

De ce qui précède nous pouvons tirer une première conclusion: le fait qu’on parle de variations du français est dû à la normalisation de la langue française. Comme Le Petit Robert le montre, le terme de norme signifie deux choses: d’abord, selon la première définition, elle indique la qualité de la langue (« Type

concret ou formule abstraite de ce qui doit être»), en d’autres mots la façon correcte d’utiliser le français,

jugé « bon » ou « mauvais. Ensuite, selon sa deuxième signification, elle indique «l’État habituel, conforme

à la majorité des cas». Dans ce deuxième cas, la norme a un sens différent : c’est ce qu’on entend parler dans

la société, ce qui est courant. La première signification concerne la standardisation de la langue française dans les grammaires et le français standard comme référence, comme base d’autres variantes. C’est à cette définition de la norme que réfère le français standard.

Ainsi, comme l’illustre Gadet, la norme est porteuse d’une signification ambiguë : alors que (3) est condamné par la norme, (2) est jugé correct:

(2) Je vais chez le docteur

(3) Je vais au docteur Gadet (1989:15)

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Tuaillon (dans Gadet (1989:15)) a même signalé que dans le dialecte de Grenoble on emploie (2) quand il s’agit d’une visite à un ami, tandis que la préposition à indiquerait une relation liée à la profession du sujet. Le dernier exemple obéit donc à la deuxième définition de la norme, de ce qui est courant et rend compte des critères sociaux d’une langue. Dans notre mémoire sur le français populaire, nous adoptons le point de vue de Gadet; la norme est linguistiquement arbitraire (cf. Gadet (1989: 16)).

1.3. La variété populaire

La variété d'une langue est une forme de langage qui a des rapports et des ressemblances avec la langue standard, mais qui possède néanmoins des propriétés spécifiques en ce qui concerne la morphologie, de la phonétique, de la syntaxe et du lexique. Prenons tout de suite l’exemple du français populaire. Aussi bien au niveau de la morphologie (4), que de la syntaxe (5) ou bien du lexique (6) le locuteur du français populaire s’exprime souvent d'une autre façon qu’il le ferait en français standard. Ainsi, les verbes du troisième groupe sont conjugués d’une autre façon, comme le montrent les conjugaisons en (4):

(4) Vous buvez (FS) versus Vous boivez (FP)

Il mourra (FS) versus Il mourira (FP) Qu’il puisse (FS) versus Qu’il peuve (FP)

Gadet (1992: 52) De la même façon, le redoublement du sujet est un phénomène récurrent et extrêmement fréquent en français populaire:

(5) Les mécanos ils en ont ras le bol les mécanos5

Tu sais, le chien de la voisine, mort ils l’ont trouvé

Ton père il faut qu’il comprenne à s’en servir de son appareil

Gadet (1992: 75,76) Quant au lexique du français populaire, il contient des mots souvent tronqués ou abrégés:

(6) Donne-moi > don’moi> do’moi

Alors > aor,

Pauvre > pauv’,

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Ces emplois sont tous caractéristiques du français populaire. Bien que ces emplois soient souvent caractérisés et considérés comme des fautes de grammaire ou de conjugaison, l’usage du français populaire ne peut pas être caractérisé comme un faux français ou comme une énumération de fautes. Ce qui fait en sorte que le langage populaire n’est pas un français mal employé, c’est qu’il y a des preuves que les constructions syntaxiques, le lexique populaire et les emplois morphologiques sont généralement admis par ses locuteurs. Ainsi, il est donc possible de dresser un inventaire de tous les emplois populaires, comme nous le prouvent les ouvrages des linguistes Gadet (1992), Guiraud (1965) et celui de Bauche (1951).

1.4. Les facteurs internes et externes de la variation linguistique

L’approche des sociolinguistes étudiant le changement linguistique concerne les facteurs internes ou bien les facteurs externes de la variation. Ainsi, l’approche interne étudie les variations au niveau phonologique, lexicale, morphologique et syntaxique dans une langue.

Labov, observant la variation linguistique sous un autre angle d’incidence, se base surtout sur les facteurs externes qui influencent une langue. En effet, une des découvertes de Labov consistait à adopter le point de vue que ce sont plutôt des aspects extérieurs de la langue qui déterminent la variation. Ainsi, les variations se manifestent sur plusieurs niveaux, à savoir temporel, géographique (régional), social et situationnel6. Ces quatre facteurs externes sont illustrés dans le tableau suivant:

Tableau 1: les variations linguistiques selon les axes différents :

Temps (Diachronie) Espace (Diatopie) Classe sociale (Diastratie) Situation (Diaphasie)

Chronolecte Régiolecte Sociolecte Idiolecte

La variation se situant sur l’axe temporel égale le changement selon les sociolinguistes modernes et affecte alors inévitablement toute langue vivante. Il est vrai pourtant, comme Gadet le note, que le changement linguistique au sein d’une langue s’effectue à l’aide de changements sociaux de sorte qu’on doit relier le changement à la variation sociale.

6

Gadet (1989) discute aussi des variations caractérisées comme « sexuelle » ou la variation « inhérente ». La

première concerne les différences dans l’emploi linguistique chez les hommes et les femmes. Ce type de variation ne concernant souvent que le lexique, elle n’est pas généralement admise comme étant une classe particulière de la variation. Gadet argumente pourtant qu’en ethnolinguistique il s’est avéré que les hommes diffèrent par rapport aux femmes par leurs emplois phonologiques et grammaticaux.

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Quant à notre objet d’analyse, le français populaire, il se situe sur l'axe social en non pas sur l'axe régional. Il doit alors être considéré comme un sociolecte. Tandis que le régiolecte indique le langage d'une région géographique, le français populaire ne se voit pas restreint aux frontières géographiques.

Notons qu'il est vrai que le français populaire est souvent nommé le « français populaire de Paris » et que ceci est correct pour ce qui est de son origine. Le français populaire a pour base le langage populaire tel qu’il était parlé en Ile de France et plus particulièrement à Paris. Toutefois, son usage s'est répandu au cours des années de sorte qu’il ne se limite plus aux environs de la capitale française. En effet, il dépasse les frontières régionales. Un sociolecte est alors une variante linguistique qui appartient à une certaine catégorie sociale de la société. Cette catégorie peut être divisée en hommes/femmes, en personnes de différents âges (jeunes/adultes) ou bien elle peut indiquer une certaine classe sociale de la société (p.ex. la classe basse versus la classe cultivée/aisée).

En ce qui concerne la variation situationnelle, elle concerne le type de discours et l’attitude du locuteur dans son choix de langage. Généralement, un locuteur français fait le choix entre différents usages de la langue selon la situation dans laquelle il se trouve. A cet égard, on distingue plusieurs registres de la langue française. Selon Guiraud (1965) il s’agit de différents usages de la langue plutôt que de parler de différents niveaux d’une langue, car le dernier à tendance à impliquer une certaine hiérarchie entre les différents registres. Ceci n’est pas le cas, comme il le souligne, car on a seulement affaire à des usages qui sont dépendants de la situation dans laquelle se trouve la communication, l’interlocuteur auquel il s’adresse, le sujet de la conversation, etc. alors que la première notion n’a qu’une valeur descriptive.

1.5. Le développement du français populaire et son prestige

Le français populaire a été souvent condamné par la grammaire normative, qui l'a accusé d'être « la langue de la crapule ou de la canaille, un mauvais langage ou bien un bas langage » (Gadet 2002: 41).

Le premier linguiste qui s'intéressa particulièrement à la structure de la phrase populaire fut Henri Bauche7. Gadet note qu'il n'emploie toutefois guère le terme de « français populaire » dans son ouvrage mais qu'il parle surtout d'un langage du peuple.

Probablement, la notion de « français populaire » a vu le jour plus tard. On ne sait pas quand cette notion ait été fixée exactement mais il y a beaucoup de raisons pour assumer que c'était au XIXe siècle. Aux XVIIe et au XVIIIe siècles, le langage populaire urbain commençait à se différencier des dialectes parisiens. Cette période se caractérisait par différents styles dans la société française. La société entière de la France était divisée en différentes classes, les unes étant supérieures, les autres inférieures. Chaque classe avait son style propre auquel il pouvait être associé. Dans un style se réunissaient par exemple les vêtements, mais particulièrement aussi la façon de parler. A côté du style cultivé on connaissait également le « style bas »,

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non cultivé, auquel était associé le langage populaire. C'est pour ses formulations violentes et agrammaticales (du moins selon la norme) exprimées par les hommes ayant des métiers durs et (« donc » d’un niveau inférieur) que le langage populaire était considéré comme un langage bas. La profession ainsi que le niveau d'études du locuteur du français populaire étaient donc les raisons les plus importantes pour lesquelles le français populaire était considéré comme un langage non cultivé.

C’est avec la Révolution, menant à la formation d’un prolétariat et faisant de Paris la ville économique la plus importante en France, que le nombre de locuteurs du français populaire de Paris commence à s’augmenter. Depuis ce moment-là, le langage populaire se nourrit des vocabulaires professionnels et techniques et laisse pénétrer le lexique des patois dans son langage.

La raison pour laquelle le français populaire a fini par être condamné à un langage bas est que le langage de l’élite, de la bourgeoisie française, est devenu dominant dans les périodes de calme social. Elle n’a pas cessé de refuser d’accepter le langage populaire, qui est devenu de plus en plus un langage du scrupule quand Paris est divisée en quartiers (fin du XIXe siècle).

1.6. Comment considérer le français populaire?

Lodge (1999), traité dans Gadet (2002), essaie de donner au français populaire une autre dénomination que de le traiter de langage bas. Il prétend que la simplification du français populaire n'est pas le résultat des conditions de vie, du travail ou d'un manque de scolarité de ses locuteurs (donc de l'inintelligence), mais qu’il est justement le résultat de la fonction du langage dans l'exécution de leur métier. Il utilise la notion de

fonctionnalité pour montrer que les situations particulières dans lesquelles est utilisé un langage a beaucoup

d'influence sur son usage. Le point le plus important est alors que les locuteurs se comprennent et qu'ils ont logiquement soumis le langage à un fonctionnalisme dans leur communication. Lodge remarque alors qu'il ne faut pas comparer le français populaire au français standard, puisque, à son avis, ce serait exactement cette comparaison-ci qui aurait un effet péjoratif sur le langage populaire.

Gadet y ajoute que le français populaire doit être considéré comme un mode de communication « à valeur identitaire et cohésive » (cf. Gadet 2002: 47) qui, comme le français standard, est soumis aux changements linguistiques. Les influences peuvent être issues des dialectes régionaux, de la langue familière, du langage des banlieues, de la langue des immigrés, etc.

Nous avons vu que le français populaire se classifie parmi le groupe de sociolectes. Il ne faut cependant pas le confondre avec d’autres variétés linguistiques comme l’argot, le français parlé, le français familier, le français régional ou bien le français fautif. Dans ce paragraphe, nous nous proposons d’expliquer la différence entre ces termes.

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d'utiliser le terme «vernaculaire», mot qui désigne « une langue pratiquée entre pairs de même origine sociale dans des situations ordinaires » (Gadet (2002: 40). Comme l’avance Gadet, la distinction entre le français parlé et le français populaire n’est pas toujours claire et on a souvent tendance à confondre les deux. Ainsi, comme elle l’illustre, même les grammairiens sont en désaccord en ce qui concerne ces désignations: alors que le terme cocu est jugé « populaire » par le Dictionnaire du français contemporain, il n’en est pas de même pour ce qui est du dictionnaire Le Robert: selon le dernier, on a affaire à un terme « vulgaire » tandis que Le Petit Larousse à son tour le considère comme étant « familier ». L’argument que Gadet avance contre l’usage de ces désignations (vulgaire, populaire, familier) est qu’elles ne recouvrent pas les registres d’un langage. En effet, à l’intérieur du français populaire on trouve également des usages soutenus et plus légers, ce qui prouve que le français populaire lui-même peut être divisé en registres.

D'abord, le terme «familier» s’oppose aux notions comme « soigné », « courant », « recherché », « standard », « relâché », « soutenu », « correct », etc. (cf. Gadet (1992: 22)). D'une part on peut faire une classification selon la relation des variantes par rapport à la norme, d'autre part, il y a des variantes qui sont plus ou moins marquées. Dans ces derniers cas on parle de différents registres dont le français familier est un exemple. Evidemment, comme nous l’avons vu, une langue connaît plusieurs registres: soutenu, stylistique, recherché, relâché, etc.

Le fait que le français populaire n'appartient pas au même groupe que le français familier, est logique si l'on considère que le français populaire lui-même connaît des registres. En admettant qu'il n'y a pas de différence entre le français populaire et le français familier, on crée donc une sorte de soupçon envers le premier, celui de considérer le français populaire comme un registre (inférieur). De plus, il n'est pas non plus correct de grouper le français populaire et le français parlé sous un dénominateur commun. En effet, ce qui vaut pour le français populaire ne vaut pas pour le français parlé : il peut être utilisé à l’écrit aussi. Bien sûr, le français populaire à l’origine était employé pour des raisons pratiques dans des métiers spécifiques. En effet, comme nous l'avons vu, son emploi était né d'un certain fonctionnalisme à l'oral. Néanmoins, au cours des années il s'est développé en une variante du français qui possède également différents registres. C'est pourquoi le français populaire ne s'oppose pas aux notions «relâché », « soutenu », « correct, », etc. mais ce sont ces termes qui font partie du français populaire lui-même8.

8

Al (1976: 52), analyse le français populaire comme le langage qui est propre à une certaine classe de la société. Dans sa structure hiérarchique, cette classe serait inférieure à la deuxième classe, qui représenterait les locuteurs du français familier (registre inférieur) et du français soutenu (registre supérieur). Sa notion de français parlé recouvre donc également le français populaire, ce qui est représenté par le schéma suivant:

Français parlé

Classe I Classe II

Français populaire Français familier Français soutenu

(16)

Quant à l’argot, à une certaine époque, ce terme désignait la langue des « misérables » de la société: les bandes, les gueux et les mendiants. Il se distingue par un jargon spécifique à ces groupes de la société. L’argot lui-même est un sociolecte parce qu’il a servi de mode de communication (par exemple entre les criminels) pour qu'un non-initié ne comprenne pas ce que disent ses locuteurs. Ce qui fait que le français populaire et l’argot sont souvent groupés sous un dénominateur commun est dû au fait quela syntaxe et la prononciation du français populaire ont pénétré dans l’argot.

Or, la seule notion qui se prête à être opposée au français populaire est, comme nous l'avons suggéré plus tôt, le terme de « standard »; on a affaire à un emploi non standard.

Comme nous l’avons vu auparavant, les jugements de beaucoup de linguistes concernant le français populaire n'étaient pas très positifs. Le fait de mal considérer ce qu’est le français populaire véritablement a contribué aux soupçons comme par exemple le fait que ses locuteurs parlaient mal le français à cause d'un manque d'intelligence. Malgré le fait que le français populaire est un système en soi, on le considère en général comme une langue n'étant pas soumise à des règles grammaticales. Ce qui a été négligé longtemps c'est que le français populaire obéit bien à des règles, mais il s'agit justement d'autres règles que celles qui disciplinent le français standard.

1.7. Conclusion

De ce qui précède, il s’avère qu’il est compliqué de donner une définition du français populaire. Selon le Petit Robert il s’agit d’un «langage qui est crée, employé par le peuple et n’est guère en usage dans la bourgeoisie et parmi les gens cultivés». En effet, nous avons vu que les locuteurs du français populaire sont souvent caractérisés comme des personnes appartenant aux classes moins élevées de la société. Pour cette raison, nous avons observé que le français populaire est classé parmi les sociolectes.

Nous avons également identifié le français populaire comme une variante non standard qui a pénétré dans différents registres du français: en français familier, en français relâché, dans l’argot, etc. La frontière entre les différents registres du français standard et la variante populaire est devenue très floue ce qui nous mène à la conclusion que la place de la marge linguistique n’est pas claire.

Cependant, nous avons fait le constat que le français populaire se comporte comme une variante a part et qu'il se distingue d'une part du français familier par ses propres registres, d'autre part du français parlé par le fait qu'il peut s'écrire également. Finalement, il s'oppose au français standard, la norme, à cause de son propre système linguistique, appelé non standard. C’est ce système linguistique propre qui nous permet de comparer le système standard au système non standard dans le chapitre suivant.

En effet, en admettant que le français populaire possède des règles systématiques au lieu d'être aléatoires, ou bien encore plus loin, des constructions qui sont utilisées par hasard, nous pouvons le décrire comme tel.

(17)
(18)

Chapitre 2: L'interrogation directe et indirecte: une comparaison entre le

français standard et le français populaire

2.0. Introduction

Dans ce chapitre, nous analyserons l’interrogation directe du français standard et celle du français populaire. Le but du chapitre sera de montrer où se trouvent les différences dans le système interrogatif de la langue populaire par rapport à la norme.

Une interrogation est une action par laquelle le locuteur demande une certaine information à un interlocuteur. Son importance est grande, puisque la plupart des renseignements sont acquis à l’aide de la question. Ainsi, elle joue un grand rôle dans la recherche d’information. Dans ce qui suit, il s’avérera que la demande d’information à l’aide de l’interrogation se déroule d’une manière différente en français standard et en français populaire respectivement.

Le but du chapitre est d'étudier le marquage de la question en français standard ainsi qu'en français populaire en dressant une comparaison entre les deux. Dans 2.1. nous décrirons le système d’interrogation du français standard, codifié dans les grammaires traditionnelles. Le système interrogatif du français standard se caractérise par des moyens morphologiques et syntaxiques particuliers, parmi lesquels l’emploi de la particule est-ce que, l’intonation et l’inversion. Nous distinguerons les interrogations directes totales, qui seront décrites dans 2.1.1. des interrogations directes partielles (2.1.2.). Après avoir présenté toutes les tournures interrogatives, nous en étudierons les contextes dans lesquelles elles sont utilisées dans 2.1.3. Finalement, le marquage de la question indirecte sera décrit dans 2.1.4.

Nous présenterons d’une façon parallèle le système interrogatif du français populaire dans la section 2.2., dans laquelle nous verrons que la langue populaire ne se sert pas de l’inversion et que son absence est une particularité propre au français populaire. Aussi, dans 2.2.1. nous introduirons la répugnance pour l’inversion comme un point central dans l’interrogation du français populaire. Nous élaborerons ensuite cette différence entre la variante standard et la variante populaire dans 2.2.2. en montrant que le français populaire possède son propre système interrogatif qui est centré autour du désir d'échapper à l’inversion. Ainsi, nous présenterons tous les moyens qu'emploient les locuteurs du français populaire pour éviter l’inversion dans les tournures interrogatives directes. De nouveau, nous distinguerons l’interrogation totale (2.2.2.) de l’interrogation partielle (2.2.3.) Dans le paragraphe 2.3. nous donnerons quelques exemples qui montrent que les tournures interrogatives ne se laissent pas décrire dans une liste exhaustive et que la liste des tournures interrogatives du français populaire semble être non exhaustive. La conjonction de plusieurs formes interrogatives sera également présentée comme un trait caractéristique du français populaire.

(19)

2.1. Le système interrogatif du français standard

Le français standard possède une caractéristique spécifique: son système d’interrogation riche. Dans cette section nous monterons la diversité des formes interrogatives. Dans l’introduction de ce chapitre, nous avons distingué la question directe versus la question indirecte. Une interrogation est directe quand elle se trouve dans une proposition indépendante, c’est-à-dire quand on a affaire à une proposition principale. Par contre, la question indirecte se trouve toujours dans des propositions subordonnées.

Comme nous l’avons vu, l’interrogation directe se base sur deux types d’interrogation principaux, le premier nommé l'interrogation totale, ou bien dans quelques grammaires également décrit comme «globale» ou «générale»9 , le deuxième appelé l’interrogation partielle (ou bien «particulière»). Dans le cas d’une question directe totale, la réplique10 porte sur la phrase entière, de sorte que la question directe totale attend une réponse sous la forme de «oui/non»:

(7) Viendras-tu au mariage?

- Oui/non, (je (ne) viendrai (pas))

Contrairement à l'interrogation totale, l’interrogation partielle entraîne une réplique référant à un introducteur interrogatif. Dans ce dernier cas, la réplique porte généralement sur un constituant spécifique de la phrase qui est encore inconnu pour le locuteur qui pose la question. Ce constituant est introduit par l’élément interrogatif:

(8) Quand part le train?

Demain/dans cinq minutes Riegel et al (1994: 391)

Alors que le fait questionné dans (7) peut être affirmé ou nié dans la réponse, il n'en est pas de même pour l’exemple (8), où le locuteur présuppose que l'interlocuteur sait que le train va partir, mais où le moment du départ est encore une information inconnue. En d’autres termes, la réponse concerne seulement l'élément

9

Certaines grammaires distinguent également l’interrogation dite «alternative». Elle consiste en deux éléments liés par ou alternatif:

(i) Est-ce une vipère ou (est-ce) une couleuvre?

(ii) Est-ce une vipère ou n’est-ce pas une vipère/ ou non/ ou pas?

Riegel et al (1994: 399) Ce type d’interrogation ne faisant pas partie de l’interrogation totale ni de l’interrogation partielle, elle est

considérée comme une sorte d’intermédiaire entre les deux. Voir aussi Riegel et al (1994: 399). Dans ce mémoire nous ne parlerons pas de cette forme d’interrogation.

10

(20)

interrogatif dans (8), le reste de la phrase véhiculant des informations connues. La différence principale entre les deux types de questions consiste donc dans la réplique: la question partielle en (8) demande une réponse sur une partie non identifiée de la phrase interrogative, introduite par un mot qu, qui constitue toujours la variable non identifiée de la phrase. C’est pourquoi la réponse en (8) ne peut contenir qu'une information sous la forme d'un complément circonstanciel de temps, du moins si l’interlocuteur possède l’information demandée.

Ayant fait la distinction entre l’interrogation totale et partielle, nous analyserons les différents types d’interrogation directe totale dans la section suivante.

2.1.1. L'interrogation directe totale: trois types

Généralement, il y a trois manières pour marquer la question directe totale. D'abord, on distingue les questions abordées par la particule est-ce que (9), ensuite les phrases interrogatives caractérisées par une inversion du sujet (10) et finalement les interrogatives qui ne se distinguent des phrases non interrogatives que par l'ajout d'un point d'interrogation à l'écrit et par une intonation montante à l'oral (11):

(9) Est-ce qu’il est venu? (10) Est-il venu?

(11) Il est venu?

La première possibilité pour marquer la question en français est d’ajouter à la phrase canonique la particule interrogative est-ce que, qui indique qu’il s’agit d’une question. Notons que dans cette particule le sujet et le verbe sont inversés également (il s’agit en effet d’une inversion de c’est que), raison pour laquelle Guiraud parle d’une «mise en relief de l’interrogation» (Guiraud 1965: 47), du moins étymologiquement. Néanmoins, il est vrai que la particule est-ce que est actuellement considérée comme un introducteur interrogatif en soi, non (plus) comme une trace de l’inversion du sujet. Quant à son emploi, Guiraud est d’avis que la particule

est-ce que menace d'autres tournures interrogatives, comme par exemple l’interrogation avec inversion du

sujet. Les grammairiens constatent également que la particule est-ce que remplace de plus en plus souvent l'interrogation avec inversion (10). En effet, Riegel et al (1994: 393) partagent cet avis, en argumentant que l’interrogation dans laquelle figure est-ce que possède deux avantages spécifiques par rapport à l’inversion: d’une part l’adjonction de la particule au début de la phrase est une marque visible de l’interrogation; dès le début de la phrase le locuteur fait savoir à l’interlocuteur que la phrase qui va suivre sera une question. D’autre part, elle est préférée parce qu'elle maintient l’ordre canonique des constituants de la phrase: le sujet, le verbe et l’objet occupent leurs places «normales». Selon ces données, les exemples (9) et (10) seraient alors des phrases concurrentes par excellence.

(21)

(Bauche (1951: 117). Gadet (1992) remarque que seules les questions totales ont la possibilité de ne porter aucune marque formelle de l’interrogation, car les questions partielles contiennent toujours un introducteur interrogatif (voir 2.1.2.). Bien que la phrase (11) puisse être une phrase déclarative également, il nous semble important de noter que c’est l’intonation uniquement qui marque la phrase comme étant une question11. Le ton est alors décisif parce que l’intonation montante n’est pas utilisée quand la phrase n’est pas interrogative. Le ton distingue alors clairement une phrase déclarative (non interrogative) d’une phrase interrogative. Nous pouvons constater qu'il y a donc deux formes interrogatives qui se distinguent syntaxiquement des phrases non interrogatives: celles qui commencent par est-ce que et les interrogatives avec inversion.

En effet, l'inversion du sujet dans les interrogatives est un moyen syntaxique pour le marquage de la question. On parle d’inversion quand l’ordre canonique de la phrase (sujet, verbe, objet) est affecté, en d’autres mots, quand la place des constituants change. On distingue trois types d’inversion en français, à savoir l’inversion pronominale, l’inversion simple (également appelé stylistique) et l’inversion complexe. Dans les questions directes totales, on ne rencontre pas l’inversion simple, contrairement aux questions directes partielles (voir 2.1.2.), c'est pourquoi nous décrirons ci-dessous seulement l'inversion pronominale et l'inversion complexe.

a. L’inversion pronominale

Dans les interrogatives directes totales avec inversion du pronom personnel, le sujet, obligatoirement représenté par un clitique, occupe une place non canonique. Le verbe suit normalement le sujet, mais il n’en est pas de même pour les phrases avec inversion, où le sujet est obligatoirement postposé. Plus précisément, il se place derrière la forme conjuguée du verbe dans une phrase:

(12) Le connais-tu? Leeuwin-van de Ven et al (1997: 219) (13) Viendrez-vous demain? Wagner et Pinchon (1962: 529) (14) Dit-il la vérité ? de Wind (1995 : 106) b. L’inversion complexe

Dans la phrase avec inversion complexe, le sujet est représenté par un syntagme nominal qui est repris plus loin dans la phrase par un pronom personnel. Tandis que le sujet nominal occupe la place canonique dans la phrase, la reprise par le pronom personnel se fait après le verbe conjugué. Le pronom personnel de reprise s’accorde avec le sujet en nombre et en genre:

(15) Le train part-il? Béchade (1994: 227)

(16) Marie est-elle venue? de Wind (1995: 24)

11

(22)

(17) Les enfants viendront-ils demain? Wagner et Pinchon (1962: 529) Dans cette section, nous avons montré qu'il y a trois façons de poser une question directe totale en français standard, à savoir:

- En plaçant la particule est-ce que en position initiale de la phrase - En utilisant une intonation montante

- En employant une tournure interrogative avec inversion: l'inversion complexe quand le sujet est nominal ou l'inversion pronominale quand le sujet est un clitique

Dans le paragraphe suivant, nous décrirons le système interrogatif pour ce qui est des questions directes partielles.

2.1.2. L’interrogation directe partielle

Nous avons vu auparavant que la question directe partielle contient nécessairement un mot interrogatif. Pour formuler une question directe partielle il y a trois possibilités, que nous allons analyser dans cette section. De façon générale on peut dire que les moyens syntaxiques, morphologiques et prosodiques qui sont utilisés dans les questions totales peuvent être employés pour le marquage d’une question partielle. En effet, on retrouve la particule est-ce que, l’intonation et l’inversion comme marqueurs de la question directe partielle également. Dans ce qui suit, nous décrirons plus en détail ces trois formes interrogatives.

Commençons par l’emploi de la particule interrogative est-ce que. Nous avons vu plus haut que cette particule, qui exhibe le caractère interrogatif de la phrase, se place en tête de phrase dans une question directe totale. Pourtant, est-ce que ne se place pas en position initiale dans une question partielle. En effet, c’est l’élément interrogatif qui prend cette position, suivi de la particule interrogative:

(18) Quand est-ce que son frère viendra? Leeuwin van de Ven et al (1997: 222) (19) Où est-ce que tu vas?

(20) A quoi est-ce que tu penses? (21) Lequel est-ce que tu préfères?

Cependant, la combinaison du pronom interrogatif qui (en fonction de sujet et référant à un être humain) avec est-ce que n’est pas possible:

(22) * Qui est-ce que parle?

(23)

(23) Qui est-ce qui parle?

Ce qu’on observe, c’est que la locution est-ce que change selon la fonction du mot interrogatif, tandis que le pronom interrogatif en tête de phrase indique s'il s'agit d'un être humain ou d'une chose. Il y a donc deux facteurs qui déterminent la forme interrogative: la fonction grammaticale du mot interrogatif et la nature du référent (animé ou inanimé). Ainsi, Qu’est-ce qui s'utilise pour la fonction de sujet quand le référent est non animé:

(24) Qu’est-ce qui lui pourrait plaisir ? Leeuwin-van de Ven et al (1997 : 93) Pour ce qui est de la fonction d’objet direct référant à un être humain, le pronom interrogatif prend la forme de qui et est combiné avec est-ce que :

(25) Qui est-ce que tu as vu? Leeuwin-van de Ven et al (1997 : 93) De façon parallèle, le pronom interrogatif change en que quand le référent est non animé :

(26) Qu’est-ce que tu as vu ? Leeuwin-van de Ven et al (1997 : 93) Finalement, pour la fonction de sujet logique et d’attribut, le pronom interrogatif qui est combiné avec est-ce

que pour les personnes, que avec est-ce que pour les choses :

(27) Qu’est-ce qui s’est passé ?

(24)

Tableau 2: Les formes composées avec est-ce que:

Personne Chose

Sujet Qui est-ce qui Qu’est-ce qui

Objet direct Sujet logique Attribut

Qui est-ce que Qu’est-ce que

Préposition + pronom (à) qui est-ce que (à) quoi est-ce que

Ayant décrit la première forme interrogative, nous passons à la deuxième forme: l’interrogation marquée par l'intonation. Comme nous l’avons déjà vu plus haut, l'intonation peut être un moyen prosodique pour marquer la question. Ainsi, dans la question directe partielle il y a deux possibilités en ce qui concerne la position du pronom interrogatif: il se trouve soit dans sa position canonique (29-31), soit en tête de phrase (32-34):

(29) Vous aimez qui?

(30) Tu fais quoi exactement?12 (31) Tu pars quand?

(32) Qui tu aimes?

(33) Comment tu veux faire cela? (34) Quand tu pars?

Ce n’est pas seulement par le type de la question que l’interrogation partielle diffère de l’interrogation totale. En effet, comme Gadet (1989: 141) le montre, l’intonation est montante dans le cas des questions totales, mais descendante dans la plupart des questions partielles. La ligne mélodique est déterminée par la place qu’occupe l’élément interrogatif: s’il est placé en tête de phrase, l’intonation est descendante. Par contre, s’il se trouve position finale, elle est ascendante.

Finalement, la troisième possibilité de marquer une question directe partielle est d’utiliser la tournure interrogative dans laquelle le sujet et le verbe sont inversés. L’inversion pronominale et l’inversion

12

(25)

complexe, dont nous avons parlé dans 2.2.1., se rencontrent également dans les questions directes partielles. Cependant, on trouve un type d’inversion supplémentaire dans l’interrogation directe partielle : l’inversion stylistique (appelé souvent l’inversion « simple »). Ce type d’inversion stylistique étant exclu dans les interrogations totales, il est réservé aux questions partielles seulement. L’inversion stylistique se caractérise par le fait que le sujet, qui est toujours nominal, se place derrière le verbe:

(35) Quand viendra son frère? Wagner et Pinchon (1962: 529) (36) Que dit Jean? Wagner et Pinchon (1962: 529) (37) Qui est cet homme? Béchade (1994: 227)

(38) A quoi rêvent les jeunes filles? Béchade (1994: 227)

(39) Comment allez-vous? Wagner et Pinchon (1962: 529) L’interrogative commence par un élément interrogatif qui peut avoir plusieurs fonctions: objet direct (36), attribut (37), complément circonstanciel (35) et (39), ou d’objet indirect (38).

Par contre, quand le mot interrogatif lui-même représente le sujet (40) ou en fait partie (41), il ne peut pas être inversé:

(40) Qui est venu? vs. * Est venu qui?

(41) Quel homme a jamais dit cela? vs. * A jamais dit cela quel homme?

Wagner et Pinchon (1962: 529) La combinaison du sujet avec un complément (direct ou indirect) est restreinte. Ainsi, on constate que le sujet ne peut en général pas être suivi ou précédé de compléments d’objets directs ou indirects:

(42) * Quand épousa ton père ta mère?

(43) * A qui a parlé Jean de cela? Leeuwin van de Ven et al (1997: 219) La phrase (44) est cependant grammaticale13 :

(44) De quoi ses collègues ont-il parlé au chef ? Leeuwin van de Ven et al (1997: 223) Quant au deuxième type d’inversion, l’inversion pronominale, il est également introduit par un élément interrogatif. Son emploi est illustré par les exemples suivants:

13

(26)

(45) Quelle heure est-il?

(46) Pourquoi n’est-elle pas revenue?

(47) Que fais-tu ce soir? Leeuwin van de Ven et al (1997: 223) Finalement, comme dans les questions totales, on trouve l’inversion complexe dans les questions partielles. Comme nous l’avons vu, l’inversion complexe se caractérise par le fait que le sujet, qui est toujours nominal, est repris plus loin dans la phrase par un clitique. Le clitique réfère donc obligatoirement au sujet nominal et suit directement le verbe fini:

(48) Quand Marie est-elle venue? de Wind (1995: 21) (49) Quand son frère viendra-t-il? Leeuwin van de Ven et al (1997: 223) (50) Pourquoi les automobilistes roulent-ils si vite? Leeuwin van de Ven et al (1997: 223) Tandis que les exemples (48) et (49) peuvent être transformées en inversions stylistiques, ceci est impossible quand le mot interrogatif est pourquoi :

(48’) Quand est venue Marie ? (49’) Quand viendra son frère ?

(50’) * Pourquoi roulent si vite les automobilistes ?

Remarquons qu’on emploie en général l’ordre canonique au lieu de l’inversion quand l’élément interrogatif est (une partie du) sujet:

(51) Quel chauffeur conduira le car? Leeuwin-van de Ven et al (1997 : 222) (52) * Quel chauffeur conduira-t-il le car?

2.1.3. La distinction entre la langue écrite et orale dans l'interrogation

Maintenant que nous avons présenté les formes interrogatives directes totales aussi bien que les formes interrogatives directes partielles du français standard, nous passons aux contextes dans lesquels elles s’utilisent. Comme nous l’avons mentionné dans le premier chapitre, on a affaire à plusieurs registres dans une langue qui sont dépendants de la situation linguistique.

(27)

que l’inversion s’emploie à l’écrit uniquement; elle s’utilise parfois à l’oral (p.ex. Quelle heure est-il? Que

fais-tu ce soir?). Dans ce cas on a affaire à la langue parlée soignée.

Vu le fait que la question amenée par est-ce que est courante aussi bien dans la langue parlée que dans la langue écrite (il s’agit dans la langue écrite d’un registre considéré comme moins soutenu et moins stylistique), elle constitue logiquement une forme concurrente vis-à-vis de l’inversion à l’écrit et de l’intonation prosodique à l’oral.

Cependant, les différentes formes interrogatives ne sont pas restreintes à un registre spécifique. En effet, comme nous l'avons déjà dit, elles sont parfois des formes concurrentes. Ainsi, Gadet (1989) constate qu'il y a une certaine hiérarchie concernant les formes interrogatives. Ses résultats confirment ce que nous avons avancé plus tôt: les locuteurs français semblent préférer les formes interrogatives qui assurent l’ordre canonique des constituants de la phrase dans la langue parlée, c'est-à-dire que d’une part la particule interrogative est-ce que est favorisée par rapport à l'inversion et d’autre part que l'interrogation par intonation l’emporte sur est-ce que dans la langue parlée. Guiraud constate également que le français parlé en général (et le français populaire, comme nous le verrons dans 2.2.) partagent «une répugnance pour une construction régressive qui rejette le sujet après le verbe et place en fin de syntagme un pronom atone» (Guiraud 1965: 48). De plus, ce qui désavantage l’inversion encore une fois c’est que le locuteur français hésite à employer certains verbes dans l’inversion interrogative. Ainsi, les verbes rompre, mettre et courir utilisés à la première personne singulier de l’indicatif présent posent des problèmes dans la prononciation: Cours-je? Romps-je?

Mets-je? Aussi, la facilité d’utiliser la particule interrogative est-ce que fait en sorte qu’elle remplace de plus

en plus les interrogations avec inversion.

Dans la section suivante, nous décrirons l’interrogation indirecte du français standard.

2.1.4. L’interrogation indirecte du français standard

Dans cette section, nous nous proposons de décrire l’interrogation indirecte du français standard. Nous avons vu antérieurement que l’interrogation indirecte se distingue de l’interrogation directe par le fait qu’elle ne se termine pas par un point d’interrogation et qu’elle fonctionne toujours comme proposition subordonnée.

La différence principale entre une question directe et une question indirecte se trouve dans l’expression de la modalité interrogative: dans la question directe elle est exprimée par la forme interrogative (l’inversion interrogative, l’ajout de la particule est-ce que, l’intonation montante), mais par un autre facteur dans l’interrogation indirecte. C’est en effet le verbe et non pas une forme interrogative particulière qui introduit et qui véhicule l’interrogation (p.ex. se demander) ou qui implique une interrogation (ignorer,

savoir, etc.).

(28)

(53) J’aimerais savoir si tu viens (54) Je ne sais pas s’il travaille (55) Dis-moi s’il est là

L’interrogation indirecte partielle est introduite par un élément interrogatif qui se place en position initiale de la subordonnée :

(56) J’ignore quand elle sera là Riegel et al (1994 : 499) (57) Je ne sais plus comment ouvrir cette porte Riegel et al (1994 : 499) (58) Ils ne savent pas où tu vas Béchade (1994 : 264) (59) Je me demande avec qui tu as déjeuné aujourd’hui Béchade (1994 : 264) La seule différence par rapport à l’interrogation directe est que la locution Qu’est-ce que et le pronom interrogatif que se transforment en ce que dans les questions indirectes. Ainsi, les questions directes

Qu’est-ce que tu fais ?/ Que fais-tu ? changent en (60) :

(60) Je me demande ce que tu fais

(61) * Je me demande qu’est-ce que tu fais/ * Je me demande que fais-tu De la même façon, Qu’est-ce qui/ qui se transforment en ce qui :

(62) Je me demande ce qui se passe

(63) * Je me demande qu’est-ce qui se passe/ * Je me demande que se passe-t-il

On constate donc que l’inversion du sujet pronominal n’a pas lieu dans l’interrogation indirecte totale. Cependant, on rencontre l’inversion stylistique dans une interrogative indirecte partielle, sauf après

pourquoi :

(64) Il se demande quand viendra son frère aîné

(65) Je me demande où travaille ce monsieur que j’ai rencontré (66) *Je me demande pourquoi ne viendra pas ton frère

(29)

2.2. Le système interrogatif du français populaire

Dans les paragraphes suivants, nous allons étudier le système interrogatif du français populaire. Comme en français standard, il repose sur l'emploi de deux types de questions: l'interrogation totale et l'interrogation

partielle. Nous avons mentionné auparavant que le système interrogatif du français standard est multiple et

complexe. Or, nous verrons que c'est cette complexité qui mène les locuteurs du français populaire à utiliser d'autres tournures interrogatives que les locuteurs du français standard. Si le français populaire connaît certaines tournures interrogatives qui sont utilisées en français standard également, il y a quand même beaucoup de différences. Dans ce qui suit, nous décrirons ces différences de façon détaillée. Comme nous l'avons fait dans la section 2.1., nous distinguerons l'interrogation directe totale (2.2.2) de l'interrogation directe partielle (2.2.3.). Nous étudierons également l’interrogation indirecte dans 2.4.

Avant de décrire les formes interrogatives du français populaire, il est important de noter que les différences avec le système d’interrogation du français standard s'expliquent par la répugnance pour l'inversion que partagent les locuteurs du français populaire. C'est pour cette raison que les sections 2.2.2. et 2.2.3. seront présentées dans cette optique. Attachons-nous d'abord à comprendre ce désir de contourner les formes interrogatives inversées.

2.2.1. La répugnance pour l’inversion

Tous les grammairiens et linguistes qui décrivent l'interrogation du français populaire constatent que le phénomène de l'inversion y est remarquablement absent. Ainsi, Guiraud (1965: 47) parle d'un «désir d’éviter l’inversion» et d’une « répugnance […] pour une construction régressive qui rejette le sujet après le verbe […] » qui seraient les raisons pour lesquelles le français populaire a généralisé son propre système d'interrogation.

Riegel et al (1994) observent également que les jugements des locuteurs du français populaire vis-à-vis de l’inversion ne sont pas en faveur de cette forme interrogative: le locuteur de la langue populaire, comme les locuteurs de la langue familière, met tout en œuvre pour l’éviter car elle détruirait l’ordre canonique de la phrase. Ces données nous prouvent que l’interrogation du français populaire est centrée autour du désir de contourner les inversions. L’explication est donnée par le fait que l’inversion est sentie comme trop complexe et difficile (cf. p.ex. Guiraud (1965)), comme une construction que les locuteurs du français populaire pourraient exprimer d’une manière différente, voire plus simple. Pourtant, on trouve parfois des inversions en français populaire, mais il s’agit le plus souvent d’un mélange des trois types interrogatifs, voire d’hypercorrections:

(67) Est-ce que vient-il?

(30)

Gadet (1989) suit la définition établie par Labov concernant l’hypercorrection: c’est « une réalisation grammaticale fautive due à l’application d’une règle imparfaitement maîtrisée » (Gadet: (1989: 25)). Les hypercorrections de la langue populaire qui seraient alors des fausses applications des règles grammaticales, nous montrent que l’inversion constitue une difficulté pour les locuteurs du français populaire.

Lefebvre (1980) va encore plus loin en disant que l'inversion entraîne toujours une phrase agrammaticale en français populaire. Selon elle, il est impossible d'inverser le sujet en français populaire, ce qui découle d'une grammaire typiquement populaire. Dans cette optique, il ne s’agirait alors pas d’une complexité de l’usage de l’inversion, mais d’une agrammaticalité qui découle d’autres règles grammaticales. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet dans le chapitre 4.

2.2.2. Moyens d'éviter l'inversion dans l'interrogation totale

Cette section exposera trois processus qui montrent comment le système interrogatif populaire «échappe» à l'ordre non canonique des constituants de la phrase. Le caractère interrogatif dans les questions totales est exhibé par trois moyens qui sont tous des façons dont on contourne l'inversion, à savoir l’insertion du suffixe

ti (2.2.2.1.), l’emploi de la particule est-ce que (2.2.2.2.) et l’intonation (2.2.2.3.).

2.2.2.1. Le suffixe ti

Le français populaire connaît une particule interrogative qui lui est caractéristique: le suffixe -ti. Dans toutes les descriptions de l’interrogation française, ti est décrit comme un morphème interrogatif appartenant à des variantes non standard du français. Ainsi, il est utilisé en français du Québec14,15 comme en français populaire. Vecchiato (2000 : 141) remarque qu’il est attesté également en patois du Paris et de la Normandie ainsi qu’en franco-provençal.

Ce suffixe paraît être la trace de la prononciation de t-il, qu’on rencontre dans les inversions en français standard16. Cependant, on ne saurait pas conclure qu’ils s’emploient dans les mêmes contextes. En effet, le suffixe ti ne change pas l’ordre canonique de la phrase, contrairement à la reprise du sujet par le clitique il. De plus, contrairement au français standard, où le clitique s’accorde toujours avec le verbe en nombre et en genre, ti est applicable à toutes les personnes grammaticales:

(69) Tu veux ti ? (70) Il vient ti?

14

Ce suffixe prend plusieurs formes dans les variantes non standard du français. Tandis qu’on emploie la forme ti en France, on préfère tu au Québec (cf. Vecchiato (2000 : 141)).

15

Ti ressemble beaucoup au suffixe québécois tu, raison pour laquelle les deux sont comparés par plusieurs linguistes. En effet, Bourciez (1967), cité dans Picard (1992: 69), considère les deux morphèmes comme étant équivalents. Ainsi, dans (i) tu semble jouer le même rôle que ti en langue populaire:

(i) Il vient-tu? Picard (1992: 65)

Il se place, comme la particule ti, en position postverbale.

Tandis que l'usage de ti a pratiquement disparu, tu est toujours utilisé au Québec. 16

Referenties

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