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1. PAS OUBLIER

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XIe anniversaire de l’assassinat de Mgr. Christophe Munzihirwa à Bukavu (RDC) le 29 octobre 1996. Beaucoup de questions sur l’assassinat encore en suspense. Les visages des assassins sont encore inconnus. Comment pérenniser la mémoire de Munzihirwa.pour ne pas oublier. Pourquoi l’Eglise de Bukavu ne concrétise pas les souhaits d’un procès canonique de béatification de Mgr. Munzihirwa.

1. PAS OUBLIER

Bonjour mes amis, bonjour à vous tous. Nous voila pour notre rendez-vous dominical. Nous sommes à la fin du mois d’octobre 2007, et dans notre pays la RDC nous célébrons deux anniversaires : le premier est l’anniversaire des élections libres et transparentes (une année est déjà passée !) et le deuxième est l’assassinat de l’Archevêque de Bukavu, Monseigneur Christophe Munzihirwa. Je voudrais faire une réflexion sur ce 2e anniversaire, pour ne pas oublier tout en racontant ce qu’était arrivé ce 29 octobre 1996 à place Nyawera de Bukavu. J’ai bien connu Monseigneur Munzihirwa, d’abord à Bukavu comme Supérieur des Jésuites, par après à Kasongo, comme Evêque et enfin à Bukavu comme Archevêque : un grand ami, mais aussi un grand père.

Evangile de Saint Jean, 12,23-27 :

Jésus répondit à André et Philippe: L'heure est venue où le Fils de l'homme doit être glorifié.

En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul; mais, s'il meurt, il porte beaucoup de fruit.

Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu'un me sert, qu'il me suive; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me sert, le Père l'honorera.

Maintenant mon âme est troublée. Et que dirais-je?... Père, délivre-moi de cette heure?... Mais c'est pour cela que je suis venu jusqu'à cette heure.

Il y a onze ans, l'Église de Bukavu, du Congo, de l'Afrique, perdait un de ses plus illustres bergers, l’Archevêque de Bukavu Mgr Christophe Munzihirwa. Il était le 29 octobre 1996. Quel fut le conteste à l'intérieur où se produisit ce drame ? Au Congo, en 1994, avec l’afflux de réfugiés ruandais, les innombrables carences de la seconde république et le grand mécontentement des populations, nousavions joint le comble. Les écoles, les églises, les places étaient pleines de réfugiés, en fuite de la guerre fratricide du Ruanda. Le tissu socio-politique et économique de la province du Sud-Kivu était bien détruit. La guerre avait commencé au Sud, dans la vallée de la Ruzizi. La ville de Bukavu et ses alentours étaient déjà ciblés par des infiltrés - rebelles en provenance des pays voisins et frontaliers. L’armée régulière n’existait que sur les papiers et n’était pas active.

Vaincus donc avant de commencer à combattre, et probablement avec la complicité de quelques chefs militaires congolais, laissèrent le champ libre pour que l'ennemi entrent ensemble à ceux qui se disaient les libérateurs. La population ne savait plus quoi faire et à qui avoir confiance. Tous nous nous rappelons des répétés appels de l’Archevêque de Bukavu Mgr.

Munzihirwa qu'invitait les habitants à ne pas fuir la ville, en la laissant ainsi dans les mains d'étrangers affamés de nos ressources, dans une logique de "balkanisation" du pays. À dire vrai, avec ses courageuses prises de position il ne faisait que dénoncer les intentions cachées des infiltrés. Le pouvoir exécutif de la province s'était délité ; ainsi Mgr. Christophe

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Munzihirwa avait pris l'initiative de convoquer une réunion de crise à l'archevêché de Bukavu avec une quarantaine de personnes, pour réfléchir sur les défis de l'instant et pour attraire l'attention du gouvernement de Kinshasa et de la communauté internationale sur la tragédie des refugiés ruandesi dans l'Est du pays.

Il était le matin du 29 octobre. Une journée grise, avec une météo instable, prometteuse de pluie. La saison des pluies battait son fort. Dés le premier matin on sentait des coups d’armes lourdes en provenance de Nyangezi. Tous étaient bien alertés. En ville la tension ne faisait que monter. Les expatriés cherchaient de trouver un chemin de sortie, pour gagner un aéroport et s’envoler vers la capitale où en Europe. La réunion termine vers 11.h ; elle aurait bien prendre fin à 14.30. Mais à 14 heures des coups se tirent dans chaque point de la ville. Vers 16.30, il y a un bref instant de calme et Mgr. Munzihirwa décide de gagner le Collège Alfajiri des Jésuites pour chercher à aider un petit groupe de sœurs à laisser Bukavu, dont la sûreté n'était pas garantie. Il partit avec sa voiture, accompagné par son chauffeur et par un agent de police pour sa protection. Arrivé à Nyawera, la voiture fut forcée à s'arrêter par des coups de feu de quelques militaires. Mons. Munzihirwa descendit le premier, en tenant dans ses mains la croix pectorale, et il se dirigea vers les militaires. Après un échange de phrases que personne réussit à entendre, les militaires l’obligèrent à aller, peu distant, vers un poteau électrique. Le policier qui l'accompagnait fut abattu subitement pendant qu'il cherchait à sortir de l'auto. Le chauffeur fut également assassiné prés de la voiture. Ceux qui se trouvaient dans la deuxième voiture, arrêtée derrière à celle de l'archevêque, avaient suivi chaque mouvement. En ne pouvant pas croire que le pire même pouvait arriver, ils se dirigèrent vers Mgr. Munzihirwa, pour lui demander probablement ce qui se passait. Jean- Pierre Biringanine, le premier du groupe, fut immédiatement abattu avec un coup de pistolet. Les autres alors cherchèrent de fuir et de trouver une cachette, mais les coups frappèrent l'assistant commissaire urbain, Shabani, qui était avec eux. De leur cachette ils purent continuer à observer ce qui arrivait et en sont les témoins oculaires. A 18.30 Mgr. Christophe Munzihirwa était encore vivant. Les témoins le voyaient appuyé au poteau. La nuit était en train d’arriver et déjà commençait à faire sombre. Suivant le témoignage des survivants, il fut après des longues discussions au téléphone cellulaire que les militaires décidèrent d’abattre l’archevêque. Des coups à la nuque et le corps s’affaissa sur le sol en le baignant de son sang. Donc il fut assassiné dans la soirée du 29 octobre1996.

Le corps sera récupéré le lendemain vers 13 heures par les Pères Xavériens de la communauté de Vamaro, qui se trouve peu distante du lieu de l'assassinat et après qu’un passantinconnu avait informé le Père Supérieur : "J’ai crois que j’ai vu le corps de Mgr Munzihirwa, parmi beaucoup d’autres, sur la place Nyawera".

Les routes étaient désertes, Ies gens enfermés dans les maisons et les cadavres de ceux qui avaient cherché de fuir à pied ou en autos étaient abandonnées le long des routes. A l’enterrement de Monseigneur Munzihirwa, célébré les 31 octobre assistèrent seulement 71 personnes. Un simple cercueil, fabriqué avec le bois des bancs de l'école des Péres xavériens, de vieux draps et une fosse creusée en toute vitesse dans la cour de la cathédrale. Sous la pression des militaires, en quelque petite minute tout était fini.

Munzihirwa est mort comme il a vécu, en totale pauvreté. Un Evêque qui a aimé aussi la simplicité, et la pauvreté. Homme de paix et de charité. Il avait écrit un jour : « Nous les chrétiens, sachons que notre grande arme c'est la charité envers tout homme, et la prière au Christ en passant par Notre Dame ». Homme de prière et d’espoir jusqu’ à la toute dernière minute à la recherche insatiable des moyens pour sauver la masse de refugiés rwandais. Le Pape Jean Paul II, qi avec grande émotion avait appris la tragique mort de Munzihrwa, en exprimant sa profonde douleur l’avait défini comme le « Un évêque courageux qui a donne sa vie pour la population qui lui était confiée" Il a lutté contre toute hypocrisie en se faisant « voix des sans voix » et dénonçant ouvertement et sans peur, les compromis politiques des différents gouvernements, impliqués dans le conflit sans épargner l’Onu et l’Occident. Monseigneur Munzihirwa, en plus d'avoir sensibilisé les populations du Kivu à l'accueil des réfugiés a eu un grand rôle de dénonciateur. Il a rédigé beaucoup de lettres pastorales pour signifier clairement son engagement politique pour plus de justice et contre l’alimentation de la haine ethnique. Il a plusieurs fois alerté la communauté internationale pour dénoncer la situation. Il a écrit aux USA, à Nelson Mandela, aux Nations Unies mais on a compris plus tard que le plan de déstabilisation du Congo était déjà en marche. Pour rappel, par ses prises de position courageuses, Mgr MUNZIHIRWA ne cessait d’attirer l’attention de tout le peuple sur le danger que constituait la présence massive des réfugiés dans l’Est de la RDCongo. Sa lutte effrénée pour la paix, la cohabitation pacifique et le développement demeureront des souvenirs indélébiles dans les têtes des citoyens congolais

Parmi les phrases que Munzihirwa avait souvent sur sa bouche, nous en voulons voulu noter deux. La première phrase c’est à lui : « Il y a des choses qu’on ne peut voir bien si non avec les yeux qui ont pleuré ». L’autre phrase est de Monseigneur Romero, l’archevêque de Saint Salvador, assassiné au cour de la célébration de la Messe en 1980 : « Ils peuvent me tuer, mais ne pourront jamais tuer la vérité »

A partir de 1996 nous avons assisté presque inermes au soit disantes "guerre de libération", à une série de négociation et de conférences qui avaient engendré un gouvernement de transition, qui avait la charge de pacifier le pays et de mener le peuple aux élections. Ce système n’a fait que prolonger indéfiniment l’agonie. Le Congo a été pris en otage avec la complicité de quelques uns de ses fils, assistés de beaucoup d'organisations à niveau national et international. Le budget est lourd : quatre millions de morts ; un état au bout, abandonné à l'arbitre de différentes factions de rebelles. Partout règne la loi de la force, au lieu de la force de la loi.

Et après 11 ans nous sommes encore à ce point, et toujours dans l’est de la RDC avec le spectre de Nkunda et de ses alliés qui se cachent derrière lui. En ces 11 ans personne a su donner un visage aux assassins de l’Archevêque Munzihirwa. L’Eglise Catholique semble avoir archivées le cas. Lors du Synode diocésain du Diocèse de Bukavu il y avait eu de voix qui s’étaient alignées pour un éventuel procès canonique de béatification de Munzihirwa. A Bukavu le groupe des Dauphins Munzihirwa et Kataliko essayent de « ne pas faire perdre leur mémoire » auprès de la société civile bukavutienne et congolaise à travers des actions concrètes et ponctuelles, d'éveil de conscience de la jeunesse œuvrant pour la paix et le développement par des cultures démocratiques et recherche à sauvegarder les valeurs et l'étique culturelle Congolaise . Les Dauphins ont été crée pour pérenniser l'idéologie de lutte pour la paix et le développement dans la ligne de ces deux évêques.

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Comme conclusion voila un passage du 27 septembre 1996: « Restons accueillants pour tous, afin de nous enrichir des valeurs multiples qu'apportent les différences des ethnies et des races. Les nations les plus fortes sont celles qui ont réussi à concilier les différences. C'est une folie que de s'attaquer a' des personnes paisibles, tout simplement parce qu'elles sont de telle ou de telle ethnie. Personne d'entre nous n'a choisi ses parents et donc son ethnie. Nous les acceptons et nous les défendons. »

La meilleure façon de rendre hommage à ce courageux pasteur est de continuer la bataille pour la justice, la paix et la réconciliation. « Si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul; mais, s'il meurt, il porte beaucoup de fruit » a dit Jésus. Voila donc des affirmations qui nous aident à comprendre davantage : « Le sang des martyrs est fondament de notre vie chrétienne », « Le sang des martyrs est une espérance de paix pour le monde », « C'EST SUR LE SANG DES MARTYRS ET PAR LA PRIÈRE DES JUSTES QUE SE CONSTRUIT L'ÉGLISE" ».

Kakaluigi à l’émission « Prions et agissons ensemble » http://www.congonetradio.com/ ce dimanche 28 octobre 2007 à 16h.00

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LES EVENEMENTS DE L’ANNEE 1996 AU ZAIRE

22 avril 1996 : Visite «privée» du maréchal Mobutu à Paris. La France annonce la reprise «partielle» de sa coopération bilatérale.

29 avril 1996 : L’UDPS éclate en plusieurs factions.

Mai-juin 1996 : Dans l’Est, les rebelles rwandais se signalent par toutes sortes d’exactions contre les populations congolaises, en particulier contre les Tutsi du Kivu.

22 août 1996 : Mobutu est opéré à Lausanne (Suisse) pour un cancer de la prostate.

18 octobre 1996 : A l’initiative de Kigali, une Alliance des forces démocratiques pour la libération (AFDL) est créée au cours d’une réunion qui rassemble dans le Sud-Kivu le Parti révolutionnaire du peuple (PRP) de Laurent-Désiré Kabila (un Luba du Katanga) toujours plus ou moins actif sur les rives du Tanganyika depuis les années soixante, l’Alliance démocratique des peuples (ADP), de Déogratias Bugera, un Tutsi congolais du Masisi, le Mouvement révolutionnaire pour la libération du Zaïre (MRLZ) d’Anselme Masasu Nindaga, un Kivutien, et le Conseil national de résistance pour la démocratie (CNRD) d’André Kisasse Ngandu, un Luba du Kasaï.

Après des affrontements entre l'armée et des Banyamulenges (Tutsis d'origine rwandaise) au Kivu (est), une Alliance des forces démocratiques (AFDL), dirigée par Laurent-Désiré Kabila, entre en guerre contre le régime de Mobutu. Soutenue par le Rwanda et l'Ouganda, l'AFDL progresse rapidement. Des accusations de massacres de réfugiés hutus sont portées. Bukavu devient la ville cible.

20 octobre 1996 : Les premières actions de l’Armée patriotique rwandaise (APR) et de l’AFDL dans la région d’Uvira au Sud-Kivu provoquent la fuite à l’intérieur du Zaïre des centaines de milliers de réfugiés rwandais installés près de Bukavu depuis 1994. Nombre d’entre eux sont tués.

24 octobre : Uvira tombe dans les mains de l’AFDL

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25 octobre 1996 : L’AFDL revendique les actions en cours et se réclame de Laurent-Désiré Kabila comme «coordinateur».

28 octobre : L’AFDL est à Kamanyola, et s’achemine vers Nyangezi pour atteindre la ville de Bukavu.

29 octobre : La ville de Bukavu tombe presque sans combat ainsi Goma et d'autres villes et provinces de la RDC. Assassinat de Monseigneur Christophe Munzihirwa, Archevêque de Bukavu

31 octobre 1996 : Epaulées par l’armée rwandaise, les troupes de l’AFDL frappent aux environs de Goma où sont réfugiés quelque 800 000 Rwandais, parmi lesquels des miliciens et des soldats de l’ancien régime Habyarimana. Des dizaines de milliers de réfugiés rescapés s’enfuient sous le couvert de la brousse.

4 novembre 1996 : Kinshasa annonce avoir perdu le contrôle de Goma et de Bukavu, sur le lac Kivu.

15 novembre 1996 : Au moins 500 000 Rwandais réfugiés au Zaïre rentrent au Rwanda avant l’arrivée de la force internationale de l’Onu demandée par la France pour les protéger au Kivu.

21 novembre 1996 : De retour de Roquebrune-Cap Martin, où il a rencontré Mobutu dans la villégiature française où il se repose après son traitement en Suisse, Etienne Tshisekedi annonce qu’il s’est entendu avec lui pour former un gouvernement de réconciliation nationale.

30 novembre 1996 : L’armée ougandaise fait incursion au nord-est, officiellement pour traquer les rebelles ougandais du Front démocratique allié (ADF).

8 décembre 1996 : Mobutu nomme le général Mahele Lioko chef d'état-major de l'armée zaïroise et commandant de la Division spéciale présidentielle (DSP).

Malade et affaibli, Mobutu fait appel à des mercenaires 17 décembre 1996 : Mobutu rentre à Kinshasa.

Décembre 1996 : De sources humanitaires, plus de 120 000 réfugiés rwandais exténués et affamés sont regroupés à Tingi- Tingi, une localité située à 150 kilomètres de Kisangani, dans la province orientale. Quelque 40 000 autres se sont arrêtés à une cinquantaine de kilomètres de Tingi-Tingi, à Amisi.

2. Du Journal du P. Luigi :

« 20 octobre 1996: Avec l’Abbé Econome de Kasongo, l’Abbé Kapolo Dieudonné, nous rentrons à Bukavuen provenance de la capitale Kinshasa, sans beaucoup de tracasseries et d’ennuis. Monsieur Salumu nous à aidé beaucoup à l’aéroport de Ndjili, où le chaos de toujours y persiste et personne a le courage d’y intervenir. Le visage de Ndjili est tout autre que jadis. L’aéroport a perdu beaucoup. Aujourd’hui c’est un champ de bataille, qui ne promet rien de bon aux touristes qui voudraient bien atterrir sur le sol zaïrois.

Nous atterrissons à Kavumu/Bukavu à 13h,25 sous une pluie persistante et le froid qui pénètre nos os. A Bukavu la situation est très tendue. A Kinshasa nous avions entendu des persistantes rumeurs d’une guerre qui aller éclater bientôt dans l’est de la république. Nous avions encore dans les yeux les terribles images de 1994 avec les milliers et milliers de refugiés rwandais fuyants la guerre au Rwanda. Nous mêmes, nous les avions accueillis à Bukavu par l’entrée de Cyangugu, malades, affamés, très fatigués, et dans leurs yeux les images des machettes et de tueries. Le spectre de la guerre nous faisait peur. On parle de guerre de

libération. Mais qu’est c’est l’AFDL ? Qui est ce Kabila ? Que veulent-ils ? On sait que Mobutu est très malade,

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et que le cancer à la prostate est en état avancé. On sait que Kabila a vécu longtemps dans le maquis de Fizi et ses alentours en faisant la navette entre l’Ubwari et Kigoma

Le HCR appelle les réfugiés a rentrer dans leur pays

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Le Haut commissaire aux réfugiés des NATIONS UNIES pour les réfugiés, Mme SADAKO OGATA, a promis une assistance aux réfugiés rwandais du Kivu qui choisiraient de rentrer au Rwanda où ils seront « accompagnés jusqu'à leur commune d'origine et aidés à retrouver leurs habitations »...Seuls 400 réfugiés rwandais et 350 burundais sont retournés cette semaine dans leur pays.

Or, la situation alimentaire est dramatique. En raison des combats, il est impossible d'acheminer de la nourriture et de l'eau aux camps de réfugiés du Sud et du Nord Km Dès ce samedi, le Programme alimentaire mondial (PAM) devrait commencer à acheminer des vivres par avion depuis l'Ouganda jusqu'à Bukavu.

Au soir nous apprenons que dans la plaine de la Ruzizi les gens et les soldats de l’armée régulière sont en débandade. Les troupes de l’Afdl avancent inexorablement, sans faire apparemment beaucoup de dégâts.

Non confrères de Luvungi se sont refugiés à Kamanyola. Le P. Méo arrive dans la soirée à la maison régionale, très éprouvé, après un voyage rocambolesque.

21 octobre 1996 : Arrivée à la maison régionale de Muhumba des confrères de la Paroisse de Luvungi, sains et saufs. Ils nous racontent ce que les gens sont en train de vivre dans la plaine de la Ruzizi, surtout les milliers de refugiés ruandais. Beaucoup de personnes en fuite, les camps de refugiés en train de se vider. Encore beaucoup de peur. Mais qui sont ces soldats qui font peur ? Ils prennent plusieurs semblances et visages.

A Bukavu se reflètent les nouvelles qui proviennent d’Uvira e de la plaine et la tension réchauffe de plus en plus un climat devenu pénible. Les camps de refugiés de Bukavu se vident tout de suite eton dira par après

« que sont tous dits portés disparus ». ils se dirigent vers la foret de Kisangani.

Pas de nouvelles de la caravane envoyée à Kamituga pour récupérer les corps des confrères morts dans le crash d’avion du 05.10.1996.

22 octobre 1996 : Les rebelles entrent dans la localité de Kamanyola, à une centaine de Km. de la ville de Bukavu. Mais qui sont ces rebelles ? Il s’agit des soldats de l’AFDL. Ils sont bien organisés et disciplinés. Et les premiers refugiés arrivent très épuisés à Nyangezi. Entre temps la population de Nyangezi, prise par la panique, quitte la région et se renverse vers Bukavu. La tension fait paniquer la ville.

- A 7h.00 nous arrive la nouvelle de Kamituga de la découverte des corps de ceux qui étaient morts dans le crash d’avion (05.10.96) qui les transportait de Kampene à Bukavu. Trois corps sont déjà à Kamituga on attend le 4e. On se prépare pour les accueillir dans les après midi à Kavumu.

- A midi la cour de la Paroisse de Chai est bien remplie de centaines et centaines de personnes : enfants, femmes, vieux et malades, tous très fatigués. La Caritas paroissiale intervient subitement, même si elle n’était pas préparée à répondre à une urgence de telle envergure.

- Vers 16h.00 les premiers soldats arrivent dans la cour de notre maison régionale. Ils demandent avec arrogance, impoliment, et réquisitionne sans aucune discussion une camionnette Toyota. Quelque petite minute après leur départ voila une 2e patouille fait irruption dans la cour tout en réclamant un 2e voiture.

Avec leurs fusils en joue, prêts à tirer, sans admettre discussion, menaçant s’emparent d’une autre voiture.

Nous apprenons que les soldats de Bukavu sont à la débandade et ils cherchent de s’enfuir et voler tout ce qu’on peut.

- Les religieux de Bukavu se rencontrent pour prendre ensemble des mesures et discuter sur la situation. La réunion se déroule dans notre maison régionale. Il faut être vigilants et rester en contact

- Le soir notre Père Régionale, le P. Vavassori, se rencontre avec la communauté de la maison régionale et les pères de passage et il nous conseille trois choses : rester en très peu de personnes à la maison régionale ; partir avec quelque voiture vers l’Urega, Bunyakiri ou Kasongo ; ou pour ceux qui le préfèrent rentrer pour quelque temps en Italie.

En 1996 une rébellion armée dite "AFDL" ou Alliance des Forces Démocratique pour la Libération du Congo - Kinshasa fondée et animée principalement par Laurent Désiré KABILA, Kisasu NGANDU, Masassu Nidaga et Douglas BOUGERA appuyée militairement par de nombreux pays voisins notamment le RWANDA, l'Uganda et le Burundi et dans une moindre mesure l'Angola... et financée essentiellement par les USA, est déclenché à l'Est du pays.

Elle est dans l'ensemble bien accueillie par la population Zaïroise (Congolaise) qui en a marre du régime corrompu, sanguinaire et dictatorial de Mobutu.

23 octobre 1996 : La nuit a été calme, mais personne a pu dormir et fermer les yeux. Ce matin l’enterrement de P. Tumino e de l’Abbé Coordinateur des Ecoles Catholique de Bukavu, à Mwanda de Katana. Nous partons avec 4 Land Rover. Au long du parcours pas de dérangements. Seulement j’aperçois les gens, au long des routes, qui sont émerveillées pour toute cette série de voitures remplies de blancs qui roule en toute vitesse.

On me dira que beaucoup d’entre eux pensaient que les expatriés étaient en train de quitter la ville de Bukavu.

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J’ai pris place dans une des voitures. J’ai amené ma valise car le voyage de ma rentrée à Kasongo est prévu pour le lendemain et alors je compte passer la nuit chez les P. Blancs à Murhesa. Christiane aussi, une amie du P. Tumino, est avec moi avec ses bagages, elle essayera de partir demain matin pour Kinshasa.

La Messe de l’enterrement s’est bien passé. Beaucoup de monde. Les chants étaient bien chantés par les Fille de la Miséricorde.

J’ai pleuré beaucoup. Avec Tumino on s’entendait très bien. J’avais parlé avec lui deux jours avant le crash d’avion. C’était le 3 octobre ; et nous avions pris un contact par phonie, car moi j’étais à Kinshasa et lui à Kampene. On avait brossé un petit programme pour le BDOM (Bureau Diocésain Œuvres Médicales) dont était le responsable. Le rendez-vous à Bukavu pour concrétiser le tout et renouveler le bureau.

Son départ de Kampene avait été très triste, et avec une certaine tension. On savait qu’il était allé à Kampene pour les adieux et pour prendre ses choses. Le P. Tumino était un homme très étroit, il n’admettait ni les mensonges, ni les fourberies. Il était le responsable de l’Hôpital de Kampene, et sa manière très étroite de gestion n’avait pas été digéré par quelqu’un de ses collaborateurs, qui par jalousie avaient su créer un climat insupportable et avaient accusé le Père de mauvaises gestion.

A la phonie nous avions parlé de ses projets pour l’avenir. A partir de Bukavu il allait s’occuper du bureau médical diocésain. Un compromis proposé par l’Evêque et qui avait trouvé tous d’accord, même nos Supérieurs.

Mais deux jours après, encore par phonie, j’apprends du crash de l’avion et que tous, y compris le pilote, étaient morts. C’est très dur dire « Fiat voluntas tua »…

Couvre feu à Bukavu : de 20h jusqu’à 6h.

24 octobre 1996 : La nuit s’est bien passée dans le calme. Pas d’avion pour Kasongo. Christiane viens de partir à 6h.00. Christiane rentre dans les après midi. Elle a passé toute la journée à Kavumu, avec une forte pluie. Si tout va bien elle va essayer demain matin. Il semble que à Kavumu sont arrivés les soldats avec leurs familles et attendent des avions pour Kinshasa. Beaucoup de confusion à l’aéroport.

Dans la soirée nous arrivent des nouvelles très mauvaises par des confrères qui partiront demain pour Kinshasa et gagner par après l’Italie : les rebelles de l’AFDL gagne terrain, sont presque arrivés à Nyangezi, Bukavu est dans le chaos. Les expatriés s’apprêtent a quitter la ville.

25 octobre 1996 : Nuit calme. Un peu de mouvement sur la route vers l’aéroport. Pas de nouvelles pour l’avion qui doit m’amener à Kasongo. Christiane s’en va finalement et trouve une place pour Kinshasa. Elle commençait à être très fatiguée et avoir peur des échos de la situation.

- Dans la matinée je me promène dans la cour de la maison des Pères Blancs, et voila que trois hommes en uniformes font irruption et parlent avec le P. Pierre. Ils demandent une voiture, de l’argent, ils menacent le père…C’est 11h.45. Je suis à la phonie pour suivre les nouvelles en provenance de Shabunda, Kasongo e Kampene. La situation là bas est très calme. Pas de mouvement de populations, ni de soldats… mais on craint beaucoup. Je sors de la chambre. Les hommes en uniformes m’ont vu, ils me regardent, m’appellent, me menacent et demandent mon passeport. Ils disent que mon visage c’est un visage de mercenaire… Et ils mettent leurs mains sur leurs fusils. Le passeport, autrement c’est la fin… On sent que ces soldats sont en débandade et cherchent d’intimider les gens avec leurs armes afin de pouvoir avoir quelque petit bénéfice. Moi et le P. Pierre essayons de leur expliquer, mais en vain… A la fin nous leur donnons 50 dollars et les trois hommes disparaissent au-delà du portail de la cour. J’avais eu une grande peur même si depuis un certain temps j’étais prêt à tout événement. Monseigneur Munzihirwa, souvent, au long de nos voyages sur les pistes de Kasongo m’avait répété : « Soyons toujours prêt pour la rencontre avec le Seigneur… »

- RFI transmet deux appels de la Commissaire Européenne Bonino et la responsable de l’UNCR Sadako Ogata.

Belles paroles, mais la situation semble s’empirer de plus en plus. Elles veulent que le refugiés hutu entrent chez eux au Rwanda. Mais avec quelles perspectives et garanties ? Rien est prêt pour les accueillir, si non des machettes, des fusils et pistolets. Les rebelles de l’AFDL sont à la porte de Bukavu. On parle que la ville va tomber dans leurs mains d’un moment à l’autre. Nous nous posons la question où peuvent se trouver ces journalistes étrangers qui transmettent des communiqués pareils, et qui parfois très démagogiques, de partis pris, et mensongers. On parle de Nairobi, de Kampala, de Kigali…

- La communauté des P. Blancs de Murhesa, habite une maison proche au Séminaire du Philosophât, et l’Eglise Paroissiale. Une petite communauté de trois prêtres et un frère, dont un prêtre chargé du petit avion

missionnaire. Un service d’extrême utilité pour les missionnaires de Kasongo qui s’effectue depuis plusieurs années. Un grand merci aux P. Blancs.

26 octobre 1996 : Ok pour le départ pour Kasongo. Nous partons très tôt le matin. Nous rencontrons 2 barrages sur la route. Le combi est bien rempli. Il y a aussi des confrères qui quittent Bukavu et qui ont un vol sur Kinshasa. Au 2e barrage les militaires nous arrêtent et entament une discussion serrée avec le P. Denis.

« La voiture c’est à nous, c’est à nous… » ne font que continuer à crier, tout en nous menaçant. Nous vivons des moments de vive tension. A la fin 5 militaires entrent dans la voiture et continuons le voyage vers Kavumu sans autre dérangement. A l’aéroport règne le chaos. Pas de barrages, pas de formalités.

Moi, le P. Gianni Pedrotti e le P. Dorio Mascia, finalement dans le petit avion du P. Denis, pouvons donner un long souffle de soulagement. Le vol prévoit des atterrissage à Shabunda où laissons le P. Dorio , Kampene pour le P. Gianni, et enfin vers 11h.15 c’est mon tour à Kasongo.

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Et sans perdre du temps le P. Denis à pris le vol pour le retour. Juste le temps pour atterrir à Kavumu, déposer son petit avion dans l’hangar et rentrer chez lui à Murhesa.

- Le soir les nouvelles en provenance de Bukavu ne sont pas bonnes. On parle d’évacuation des

religieuses. Dans la ville il y a aussi des européens qui veulent quitter. Mais avec quels moyens, et par quelle sortie? Mgr. L’Archevêque est en train de vivre des jours très fébriles. Il fait la navette entre Murhesa et la ville et dans la ville aussi avec les autorités. Il craint que la bataille sera très dure et par conséquent voudrait épargner la ville d’un bain de sang.

- A partir de ce soir pas de liaison officielle par phonie. Il semble que nous sommes suivis par les

« nouveaux » qui sont en train de prendre possession de Bukavu. L’AFDL a peur que les nouvelles sortent du pays. On parle d’appareils spéciaux de captage des ondes de phonies et de téléphone satellitaires. Chose un peu étrange ! Je n’ai jamais cru à des choses pareilles.

- Nous nous donnons des consignes : On doit faire beaucoup d’attention et être discrets dans la communication.

28.octobre 1996 : pas de nouvelles, si non un grand mouvement de troupes bien armées au de là du pont de la Ruzizi à Cyangugu. Selon les observateurs les soldats semblent prêts pour envahir le territoire congolais. La même chose à partir de l’observatoire de Chai et de Goma.

29 octobre 1996 : Invasion de Bukavu par des troupes Rwandaises. L’Archevêque de Bukavu avec ses proches collaborateurs et les autorités du lieu cherche de faire arrêter l’entrés des soldats. Tout est vain. Dans la soirée assassinat de l’archevêque de Bukavu Monseigneur Christophe Munzihirwa. La nouvelle n’est pas encore sur les ondes, ou mieux personne sait quelque chose, car le cadavre de l’Archevêque passera la nuit avec d’autres qui gisaient sur le sol de Nyawera . Bukavu a toute la semblance d’une ville morte : on entend des coups… tout le monde est bien renfermé dans les maisons, les rues sont désertes.

« Un peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre ! » Mgr Munzihirwa

«Nous ne connaissons pas la valeur (le prix) d’une seule goutte de sang, d’une seule larme», François Mauriac

Mgr. Munzihirwa : photo du P. Lo Stocco prise à la Maison Gènéralice des Jésuites à Rome

Une réflexion du P. Toussaint KAFARHIRE MURHULA, S.J.

« Et nous n’avions même pas eu le temps de pleurer ou d’enterrer dignement ces 4 millions d’êtres chers qui sont morts par la barbarie des guerres égoïstes. Ils étaient pourtant nos parents, nos frères, nos sœurs, nos amis, nos connaissances. Tous, victimes du coltani [v] et du dollar! Et paradoxalement, les Congolais réduit aujourd’hui à la stricte pauvreté, d’autres devenus des réfugiés errant dans le dénuement, ou tout simplement, tous ces enfants incapables d’étudier, ces femmes violées et humiliées alors que le Congo reste une terre généreusement riche soumise à la prédation des puissances qui protègent licencieusement l’impunité des dirigeants qui ont initié ce grand deuil de la nation.

Ce mot jailli de nos silences, parfois coupables, cherche à désinscrire le Congo de toute rhétorique médiatique qui en a fait la risée de l’histoire. Que des littératures depuis ces descriptions pittoresques de Joseph Conrad dans The heart of darkness en passant par The Poisonwood Bible de Barbara Kingsolver jusqu’aux images vendues par la CNN pour justifier l’injustifiable ou jeter le discrédit sur un continent et un peuple enfermés dans les stéréotypes du sous-développement chronique.

Malheureusement, beaucoup en Occident raffolent de ces histoires qui tiennent plus de la fiction romancière en quête du sensationnel pour répondre à la boulimie de la culture consommatrice du moment. Cette même instrumentalisation de la souffrance a fini par faire de la Passion du Christii [vi] dans ce siècle où le dollar est roi, une denrée pour le marché tout comme elle a rendu les milieux politiques occidentaux apathiques aux crimes et violences commis en Afrique tant que leur sécurité nationale n’est pas inquiétée. Et l’on forme une «sainte alliance» pour aller en guerre contre le terrorisme, alors que la terreur règne partout, habillée de couleurs différentes selon la liturgie célébrée sur l’autel du marché capitaliste.

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Ladite barbarie au cœur de l’Afrique n’est pas une guerre ethnique ou civile comme on veut le faire croire. Sans vouloir faire une apologie des victimes, ni jouer à l’avocat ou au défenseur d’une histoire mutilée, et moins encore faire le panégyrique d’un Congo humilié et dont les enjeux dépassent la compréhension d’un amateur que je suis, je voudrais que ce mot aide plutôt à dégager la signification de cette crise qui profite à beaucoup; et en même temps, qu’il dise la folie des grandeurs, comme Hitler jadis ou Milosevic (et bien d’autres encore !), ont entraîné une culpabilité universelle sur l’humanité — si nous nous taisons — puisque désormais ce qui touche à l’humain est une affaire de tous. Ainsi, ce mot s’inspire d’une expérience de sang et de silence et cherche à dénoncer les culpabilités, à nommer les responsabilités, à restaurer dans la dignité ceux qui ont été lésés, déçus et abandonnés. »

30 octobre 1996 : La guerre s’étend. Coups de feu dans la ville de Goma. On parle de victimes parmi les civils, mais on ne connaît pas le nombre. La nouvelle de l’assassinat de Mgr Munzihirwa n’est pas encore officielle, mais on a parle timidement. Nous à Kasongo nous venons de l’apprendre par phonie. Grande émotion partout.

Munzihirwa avait été Evêque de Kasongo. Moi je l’avais rencontré quelque jour avant à Bukavu. Nous avions parlé ensemble de la situation et des rumeurs insistants d’une nouvelle guerre. Je rentrais de Kinshasa et dans la capitale, un peu partout, les gens ne faisaient que parler de cette guerre, mais avec un grand détachement, comme de quelque chose qui ne les intéressait pas. L’eternel problème de Kinshasa, replié sur soi soi-même, et très éloignée du Kivu. Munzihirwa a été assassiné sur la route à Nyawera, à l’hauteur des bureaux Cinelac, appuyé à un poteau électrique, à quelque petit mètre de notre maison de Vamaro. Un assassinat ignoble. La nouvelle nous laisse comme un grand vide profond et déroutant. Monseigneur Munzihirwa s’était trop exposé, avait trop risqué avec ses prises de positions. En toute honnêteté il avait parlé et écrit clairement vis-à-vis de la situation de la Région des Grands Lacs, sans descendre en compromis, et dénonçant, avec leurs noms et

prénoms, les responsables et les différentes politiques, soit nationales, soit aussi internationales. Il avait stigmatisé à maintes reprises l’hypocrisie qui régnait dans le monde politique.

Qui est qui a tué Munzihirwa ? De qui est arrivé l’ordre de tuer l’Archevêque de Bukavu, presque au coucher du soleil, après une journée frénétique de va et viens pour essayer d’arrêter la furie et le sang de la guerre avec l’invasion de Bukavu. Kagame et son gouvernement en sont les premiers accusés, et je pense qu’ils avaient bien choisi l’endroit et le moment, loin des regards indiscrets de témoins. Tous ceux qui voyageaient avec

Munzihirwa ont subi le même sort.

Nous apprenons aussi que le corps de Munzihirwa a été récupéré par P. Agostini Piergiorgio et ses étudiants de la Maison Vamaro. C’est à la maison Vamaro qu’on prépare un cercueil de fortune avec des planches des bancs de la salle de classe, et on habille le corps avec les ornements sacerdotaux.

Munzihirwa avait choisi la pauvreté. Toujours avec la même chemise, et le même veston. Pas d’habillements recherchés ou couteux.

En ce moment les souvenirs d’un passé très proche s’amassent dans ma tête et sa figure prend toute autre dimension.

Mgr Munzihirwa dans une Messe dans la cour de la Paroisse de Ngene/Kasongo (photo Lo Stocco)

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31 octobre 1996 : La nouvelle de l’assassinat de Munzihirwa fait le tour du monde et toutes le Radios

internationales en parlent en long et en large, avec des interventions de leurs envoyés spéciaux qui se trouvent à Kampala, Nairobi, Kigali… ou à Kinshasa. Sur place à Bukavu il n’y pas un journaliste européen ou américain : tous on fait leurs bagages et ont pris la fuite au moment qu’ils avaient senti les rumeurs et les odeurs de la guerre. Messe d’enterrement de Monseigneur Munzihirwa. Pas beaucoup de monde. On a compté 71 personnes, tous ceux qui habitent les entourages de la Cathédrale, avec quelque membre du clergé et à des religieux et religieuses. On peut dire qu’à ses funérailles il y a eu seulement ses fidèles. A la fin de la messe le cortège funèbre s’est arrêté dans la cour de la Cathédrale Notre Dame de la Paix pour l’enterrement. Les soldats étaient là pour suivre et pour pousser le gens à faire vite. A la cruauté de l’assassinat voila la simplicité du triste adieu à un homme de Dieu, un prophète de notre temps contemporain, à un évêque modèle et témoin … Le tout se déroule comme lui-même l’avait souhaité dans la simplicité et dans la pauvreté.

J’avais suivi le tout avec mon cœur et mes souvenirs, enfermé dans ma chambre de la mission de Ngene. C’est Munzihirwa qui m’avait appelé à Kasongo, pour m’occuper de la masse de jeunes de la cité. Je me rappelle ce qu’il m’avait dit : « Le milieu de Ngene est musulman. Les jeunes sont des musulmans. Parlez leur de Jésus Christ, témoignez leur l’amour de Jésus Christ. Laissez au Christ le travail des conversions… » J’avais commencé à bien gouter la beauté du travail pastoral auprès des jeunes, quand, après une année, lui-même m’avait nommé Directeur du Bureau Diocésain pour le Développement, pour m’occuper de toute autre chose, mais qui servait surement pour aider les populations du Maniema à se mettre debout. Un travail pas assez facile, mais

« avec l’aide De Dieu vous allez réussir » m’avait répété plusieurs fois Munzihirwa. Mes souvenirs alors prennent semblances et images comme d’un scenario cinématographique et devant mes yeux je revois les images de nos voyages, de nos entretiens, des moments de prière, etc. J’ai l’impression de ressentir sa puissante voix de ses sermons. Il connaissait bien comment toucher le cœur des hommes. A Kasongo, au cœur du Maniema, Munzihirwa parlait un swahili classique, bien soigné. Quand il venait à Ngene pour célébrer la première Messe du dimanche, il avait toujours les musulmans de la cité, qui assis à la porte de leur maisons, attendaient impatiemment la parole de Munzihirwa, amplifiée par les lances-voix de la Paroisse. Un jour un de ces musulmans me disait : « Munzihirwa a toujours quelque chose de nouveau à nous donner chaque fois qu’il parlait et qu’il intervenait pour la célébration de la messe du dimanche matin. « Sa parole touche nos cœurs » m’avait dit un musulman de Ngene/Kasongo.

31 octobre 1996 : La nouvelle de l’assassinat de l’Archevêque est encore a la une. Tous en parlent. Les agences de presse sont bombardées par des commentaires de tout genre. Qui est qui a tué Munzihirwa ? D’où sont arrivés les ordres pour tuer Munzihirwa ? Qui sont les mandataires d’un tel assassinat ? On connaît dejà les visages des assassins. On parle de soldats Tutsi. On parle que les ordres sont arrivés de Kigali. Radio trottoir parle de complicité des USA. Toutes nos phonies sont sous monitorage des nouveaux arrivés. Il nous faut être prudents et donner les nouvelles avec un langage très simple. On nous impose de parler en français.

- A Goma les coups sont plus proches de notre maison situé au centre ville, prés de la Cathédrale.

- A Bukavu : A la Maison Régionale les pères ont eu la première visite des nouveaux arrivés, ils ont été très gentils, mais surement pour pouvoir donner un coup d’œil sur la position de la maison et pour intimider.

(Du journal du P. Luigi Lo Stocco – www.kakaluigi.unblog.fr ou www.pamojanakakaluigi.org )

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1. ANNEXE

Le premier conflit du Zaïre 1996-1997 : une conséquence du génocide rwandais

> La question de la nationalité des Banyamulenge du Sud-Kivu, au Zaïre

> L'appui du Rwanda et de l'Ouganda aux rebelles zaïrois

> La guerre-éclair : L-D Kabila renverse le président Mobutu

> Le "nettoyage" controversé des camps de réfugiés hutu au Zaïre

Le conflit débute au Kivu en 1996 par une rébellion des Banyamulenge (Zaïrois tutsi d'origine rwandaise installés au Kivu, dans l'est du Zaïre) dont la nationalité, remise en question par le gouvernement zaïrois, représente une des causes importantes du conflit.

La question de la nationalité des Banyamulenge du Sud-Kivu, Zaïre

Leur statut dépend de la période et des modalités de leur installation au Kivu.

«La question de l'identité est primordiale, surtout depuis qu'elle est devenue inséparable de celle du territoire. (.) Une représentation simplificatrice oppose les autochtones qui se prévalent des droits

coutumiers que confère l'antériorité, notamment les droits fonciers, aux étrangers [Tutsi et Hutu] issus de vagues successives d'immigration (.). La législation zaïroise, au lieu de la simplifier, a compliqué comme à souhait [cette]question de la nationalité en excluant de la loi commune les originaires du Ruanda- Urundi établis au Kivu».

1972 et 1981 ont marqué des étapes dans l'évolution de ce statut.

En 1994, à la suite du génocide rwandais et du renversement du régime hutu au Rwanda, la pression démographique dûe au déferlement de 1 200 000 réfugiés rwandais, hutu pour la plupart, vers le Kivu complique la cohabitation entre autochtones zaïrois et Banyarwanda (Zaïrois hutu et tutsi originaires du Rwanda) implantés de longue date au Kivu. Le génocide durcit également les relations des Banyarwanda hutu et tutsi entre eux.

Une hostilité anti-tutsi s'installe au Zaïre incitant même le régime mobutiste à remettre en cause les acquis de leur nationalité zaïroise, y compris pour les Banyamulenge, les plus anciennement installés.

En effet, «le 28 avril 1995, le parlement zaïrois adopte une série de résolutions destinées à assimiler tous les Zaïrois d'origine rwandaise, y compris les Banyamulenge, à des réfugiés et, par

conséquent, à leur réserver le même traitement. Car les résolutions laissent entendre que les

Banyamulenge (Zaïrois tutsi d'origine rwandaise) ont acquis la nationalité zaïroise de manière frauduleuse et appellent à leur expulsion, à l'annulation des contrats de propriété et à l'interdiction de leurs

associations».

Les Banyamulenge se savent menacés par la mise en œuvre de ces mesures, prétexte à prendre les armes et déclencher une rébellion contre le gouvernement zaïrois le 13 octobre 1996 au Kivu, qui se retouve au cour des combats.

D'après Pourtier Roland, La Guerre des Grands Lacs, Cahiers français, n°290, mars-avril 1999, La Documentation française.

Pour en savoir plus

> Rusamira Etienne, La dynamique des conflits ethniques au Nord-Kivu : une réflexion prospective, Afrique contemporaine, n° spécial automne 2003, La Documentation française

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L'appui du Rwanda et de l'Ouganda aux rebelles zaïrois

En 1996, quatre catégories d'affrontements armés font rage au Kivu qui sert de base arrière aux guérillas des pays voisins.

Ils opposent :

- les forces armées rwandaises (à dominante tutsi) aux anciens génocidaires hutu;

- le forces armées burundaises (à dominante tutsi) à ses adversaires extrémistes hutu;

- le gouvernement ougandais à deux groupes rebelles différents;

- un certain nombre d'organisations rebelles au gouvernement zaïrois.

Les deux compagnons d'armes, le général et dirigeant du Front patriotique rwandais (FPR, parti tutsi au pouvoir depuis juillet 1994) Paul Kagamé et le président ougandais Yoweri Museveni saisissent

l'opportunité de cette rébellion et la soutiennent militairement pour faire pénétrer leurs troupes au Kivu.

En fait, ils préparent le conflit depuis plusieurs mois, avec la participation du Burundi, pour plusieurs raisons.

Ils font essentiellement valoir le caractère sécuritaire de leur engagement auprès de leurs frères tutsi

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Banyamulenge : "nettoyer"les camps de réfugiés hutu, établis à proximité de la zone frontalière depuis 1994 au Kivu, qui menacent leur tranquillité donc celle du nouvel ordre politique tutsi rwandais. En effet, les camps sont infiltrés par les responsables du génocide de 1994 :

- Hutus extrémistes des ex-Forces armées rwandaises (FAR),

- Interahamwe soutenus par les Forces armées zaïroises (FAZ) qui franchissent la frontière pour effectuer des incursions meurtrières sur le territoire rwandais.

Outre les préoccupations sécuritaires du Rwanda et de l'Ouganda, des ambitions politiques et économiques sous-tendent leur engagement auprès des Banyamulenge, qui s'inscrivent dans une stratégie globale : renverser le régime mobutiste, s'arroger un contrôle politique sur l'est du pays et tirer profit des richesses naturelles de la région.

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La guerre-éclair : Laurent-Désiré Kabila renverse le président Mobutu

Laurent-Désiré Kabila

© un.int

Pour les opérations militaires, le Rwanda et l'Ouganda font appel à L-D Kabila, activiste oeuvrant dans un maquis en Tanzanie, opposant de longue date au régime du président Mobutu.

- La rébellion des Banyamulenge éclate le 13 octobre 1996 au Sud-Kivu, où elle s'empare d'Uvira, base arrière des opposants hutu au régime tutsi en place au Burundi. Elle est soutenue essentiellement par des troupes venues du Rwanda, de l'Ouganda et du Burundi qui, au début, nient leur implication dans le conflit.

Des opposants de tous bords à Mobutu la rejoignent également. Forte de ces apports militaires, elle s'organise en Alliance des forces démocratiques pour la libération du Zaïre (AFDL). L-D Kabila en est nommé coordinateur par ses trois protecteurs et alliés.

- Entre octobre et décembre 1996, l'AFDL entame une opération d'envergure, stigmatisée par la suite par la communauté internationale : le ratissage et le démantèlement des camps de réfugiés hutu, installés près de la frontière depuis 1994.

- Fin octobre, l'armée zaïroise en déliquescence reconnaît ne plus contrôler les territoires situés entre Goma, au nord, et Uvira, au sud du Kivu, occupés par l'AFDL ainsi que par des troupes rwandaises et ougandaises, considérées comme des "envahisseurs" par le chef d'état-major des FAZ (Forces armées zaïroises).

- Début 1997, la guerre-éclair se poursuit sans résistance et fait tache d'huile sur les autres provinces. Les soldats zaïrois, peu ou pas payés, désorganisés, se dérobent non sans commettre des pillages et des viols sur les populations locales.

- En février 1997, le Conseil de sécurité de l'ONU demande la fin des hostilités et le retrait de "toutes les forces extérieures, mercenaires compris". Mais, les rebelles avancent rapidement. Ils occupent les deux- tiers du territoire et contrôlent les ressources minérales : or du Kivu et du Haut-Zaïre, diamant du Kasaï, cuivre, cobalt et manganèse du Shaba.

- Après plusieurs semaines de pourparlers, sous le médiation des Etats-Unis et de l'Afrique du Sud, un face-à-face a lieu entre Mobutu et Kabila pour tenter de négocier une transition pacifique du pouvoir.

Cette entrevue confirme les divergences totales entre les deux hommes. Kabila refuse un cessez-le-feu et déclare poursuivre sa marche sur la capitale Kinshasa.

- Les 17 et I8 mai 1997, le président Mobutu part en exil après 30 ans de pouvoir et Laurent- Désiré Kabila s'auto-proclame président de la République démocratique du Congo, nouvelle dénomination du Zaïre. Les rebelles de l'AFDL entrent dans Kinshasa, accusés de massacres de Hutu pendant leur avancée victorieuse.

La "première guerre du Congo" a fait des dizaines de milliers de morts.

Pour en savoir plus

> Pourtier Roland, Du Zaïre au Congo : un territoire en quête d'Etat, Afrique contemporaine, n° 183, juillet-septembre 1997, La Documentation française

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Le "nettoyage" controversé des camps de réfugiés hutu rwandais par l'AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Zaïre)

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En octobre 1996 , plus d'un million de réfugiés rwandais hutu est pris en tenaille dans des combats visant à démanteler leurs camps situés au Kivu. Quelque 600 000 d'entre eux tentent d' échapper aux combats en rentrant au Rwanda.

L'ONG Human Rights Watch témoigne de cette catastrophe humanitaire : "Dans certains camps, les ex- FAR et les milices ont opéré un retrait en hâte, parfois après avoir brièvement résisté à l'avancée de l'AFDL. En novembre [1996], la majorité de la population des camps, -peut-être 600 000 sur les 1,1 million que les camps auraient, selon les estimations, abrités en octobre 1996-, sont rentrés au Rwanda.

Beaucoup d'entre eux sont rentrés volontairement, mais d'autres, effrayés par la situation au Rwanda, ont été forcés au retour par l'AFDL.

Plusieurs milliers de personnes seraient mortes dans les premières semaines des attaques dans les camps, prises au milieu de tirs croisés entre l'AFDL et les ex-FAR, les milices et les FAZ; tuées par les anciennes autorités des camps afin d'empêcher leur retour au Rwanda, ou de les forcer à accompagner les ex-FAR et les miliciens dans leur retraite vers l'Ouest; ou encore tuées par les soldats de l'AFDL et de l'Armée patriotique rwandaise (APR)."

300 000 autres réfugiés s'enfoncent dans la forêt zaïroise

«Des centaines de milliers de Rwandais se sont enfuis vers l'ouest, certains en convois relativement organisés, d'autres en petits groupes dispersés. Des dizaines de milliers d'entre eux étaient armés, les autres étaient des civils non armés, dont beaucoup de femmes et d'enfants. Nombre de civils qui ont fui vers l'ouest ont été à nouveau attaqués, certains d'entre eux à plusieurs reprises, alors qu'ils

recherchaient la sécurité. Dans quelques cas, les ex-FAR et les milices ont utilisé les réfugiés comme boucliers humains, ou les ont parfois blessés, voire tués. Mais dans la grande majorité des cas, les massacres furent clairement le fait des soldats de l'AFDL et de leurs alliés étrangers.

En outre, des milliers d'oubliés sont morts de faim ou de maladie parce que les autorités zaïroises et de l'AFDL refusaient aux agences humanitaires le droit d'entrer dans les zones sinistrées pour fournir leur assistance, ou encore parce que les conditions de sécurité les empêchaient de faire leur travail. Certains humanitaires ont témoigné que les soldats de l'AFDL les accompagnaient, sous le prétexte de faciliter leur travail, mais qu'ils cherchaient en réalité à découvrir où les réfugiés se cachaient afin de revenir ultérieurement sur les lieux pour les éliminer. (.)

Une estimation controversée des pertes humaines

D'après les chiffres du Haut Commissariat pour les réfugiés, environ 213 000 Rwandais n'ont pu être recensés, soit parce qu'ils sont morts lors des violences, soit parce qu'ils se sont cachés dans les forêts ou en se mêlant aux populations congolaises. Des controverses ont toujours lieu à propos du nombre exact des réfugiés qui ont péri lors du conflit, à la suite des massacres, de la malnutrition, ou de la maladie. Le gouvernement de Kabila a effectivement refusé à l'équipe du Secrétaire général des Nations unies chargée de l'enquête et à d'autres missions diplomatiques ou organisations de défense des droits de l'homme, tout accès aux sites pour enquêter sur les massacres, de sorte qu'il a été impossible d'effectuer une estimation des pertes.»

D'après plusieurs rapports de Human Rights Watch :

> République démocratique du Congo : un cheminement incertain, décembre 1997, vol. 9, n°9 (A)

> Ce que Kabila dissimule : massacres de civils et impunité au Congo, octobre 1997, vol. 9, n°5 (A)

> Zaïre, Transition, guerre et droits de l'homme, avril 1997, vol.9, n°2 (A)

2

e

ANNEXE

Médias et diplomatie :

la guerre du Congo dans le journal

Emmanuël Murhula A. Nashi, "Médias et diplomatie : la guerre du Congo dans le journal", dans La Revue Nouvelle, n° 9, tome 117, sept. 2003, pp. 96-109.

____________________

Sans en ignorer toute la complexité, notamment la dimension géopolitique, les ambitions territoriales des agresseurs, et les enjeux économiques dépassant les populations locales, la presse écrite francophone belge, en particulier Le Soir et La Libre Belgique, n’a-t-elle pas privilégié l’optique ethnique dans la couverture des guerres du Congo de 1996 et 1998 ? Si tel est le cas, ce traitement ne corroborerait-il pas l’existence en Belgique d’un certain «

journalisme de révérence » ? Au reste, à travers les récits successifs qu’on en donne, cette

guerre montre peu à peu un autre visage, sans doute plus conforme aux

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réalités du terrain.

Comment la presse belge a-t-elle couvert la guerre qui déchire la République démocratique du Congo depuis 1996 ? Quel est le rôle des médias en tant que « contre-pouvoir » face à la politique étrangère du gouvernement de la Belgique ? On peut analyser les rapports entre presse et pouvoir politique en termes de connivence. Serge Halimi a décrit et dénoncé un certain « journalisme de révérence » en cours dans la presse écrite et audiovisuelle en France.

Adoptant et élargissant ce paradigme, on peut formuler l’hypothèse suivante : en Belgique, comme peut-être ailleurs, la diplomatie fait partie des domaines où les journalistes jouent le moins leur rôle de contre-poids, se rendant par le fait même « complices » d’une politique qui, à force d’unanimité, foule ailleurs aux pieds les principes qu’elle tient pour sacrés chez elle.

Cette hypothèse s’ancre sur deux particularités contextuelles.

Primo : les relations de la Belgique avec les protagonistes de la guerre du Congo sont tout à fait particulières (il s’agit, d’une part, de son ancienne colonie, la République démocratique du Congo ; d’autre part, de ses anciens protectorats, le Rwanda et le Burundi). Naturellement, la nature de ces relations conditionne fortement la couverture médiatique de ce conflit.

Comment ne pas référer ici à cet avertissement formulé par Marie-Madeleine Arnold ? « Dans un domaine aussi sensible que les relations entre anciens colonisés et anciens colonisateurs, sur le terrain mouvant du racisme et de l’antiracisme, dans le choc des cultures et le “placage”

irrationnel du contexte d’aujourd’hui sur celui du passé, toutes les dérives, toutes les interprétations, toutes les incompréhensions sont possibles »…

Secundo : la couverture d’une guerre est un exercice particulièrement intéressant en analyse médiatique. Chacun sait que la guerre est le terrain par excellence de la propagande, où la désinformation prend bien souvent le dessus sur l’information. Les analystes des médias peinent à expliquer ce qui fait qu’à l’issue d’une guerre les journalistes jurent de ne plus se laisser prendre au piège de la manipulation, mais y tombent si facilement dès le conflit suivant.

Pour les besoins méthodologiques, je me limiterai aux quotidiens « de qualité » de Bruxelles et de Wallonie qui me paraissent représentatifs de la presse francophone belge sur ce sujet : Le Soir et La Libre Belgique. Je conçois en effet les fonctionnements globaux de ces deux titres comme extensibles, mutatis mutandis, aux autres titres de cette presse. Dans ce cadre, ma présentation se base sur l’analyse de trente-neuf articles s’étendant de la première invasion du Congo (octobre 1996) au changement de régime à Kinshasa (janvier 2001), en passant par la deuxième invasion (août 1998) et les batailles de Kisangani (juin 2000).

Mon analyse et mon interprétation intègrent des éléments puisés à ma propre expérience.

Originaire du Congo, j’ai pu nouer, dans le cadre de mon association (Sima-Kivu), des contacts avec des acteurs du monde politico-médiatique belges, qui m’ont permis de temps à autre de leur fournir des informations en provenance de la société civile du Kivu. Si cela constitue la part de subjectivité inhérente à toute entreprise de ce genre, la contrepartie de cette position est, le cas échéant, ce qu’on pourrait appeler une « méta-perception ». Assumant un tel rôle, le journaliste congolais que je suis se trouve dans une position privilégiée pour analyser ici la façon dont les spécialistes de l’Afrique au sein des médias belges perçoivent une guerre se déroulant à des milliers de kilomètres d’eux et où leur gouvernement se trouve

«impliqué ».

QUELLE EST CETTE GUERRE ?

« Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde », disait Albert Camus.

Partant de cette réflexion de l’écrivain français, j’ai formulé ma question de départ comme suit : la guerre du Congo a-t-elle été bien ou mal nommée par la presse belge ?

Rappel : le 22 septembre 1996, le Rwanda, arguant d’un droit de poursuite d’éléments des

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anciennes forces armées rwandaises (F.A.R.), déclenche les hostilités en tirant au mortier et à la mitrailleuse sur la ville zaïroise de Bukavu. Deux semaines après, une coalition de soldats rwandais, ougandais, et burundais, auxquels viendront se joindre des Angolais, des

Zimbabwéens et des Erythréens envahit le Zaïre de Mobutu. Cette coalition hétéroclite a pour porte-parole Laurent-Désiré Kabila, chef d’une « rébellion » dénommée A.F.D.L. (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre). Le 16 mai 1997, la veille de l’entrée de ses troupes à Kinshasa, Kabila se proclame « chef de l’Etat de la République démocratique du Congo », non sans avoir réussi à déjouer les plans de ses parrains.

Le 2 août 1998, soit quinze mois plus tard, des troupes composées de militaires rwandais, burundais et ougandais envahissent à nouveau le Congo, et créent, dix jours après, une rébellion baptisée R.C.D. (Rassemblement des Congolais pour la démocratie), dont le chef s’appelle Arthur Z’ahidi Ngoma.

Ce conflit, qu’une responsable américaine, Susan Rice, qualifia de « première guerre

mondiale africaine » était-il donc une guerre civile ou une guerre d’invasion ? Avec un recul de sept ans, les observateurs sont désormais unanimes sur le fait que cette tragédie, qui a causé entre 3,5 et 4,7 millions de morts (d’après l’I.R.C., International Rescue Committee) constitue véritablement une « guerre par procuration ». C’est-à-dire, comme le résume Herman Cohen, ancien sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires africaines (cité par Colette Braeckman) : « Une guerre initiée de l’extérieur d’un pays, mais déguisée en guerre civile. L’élément clef en est la création d’une force rebelle à l’intérieur du pays cible, qui est totalement contrôlée, financée et armée depuis l’étranger. » Il est, en effet, connu de tous les spécialistes du Congo que les différentes rébellions congolaises — A.F.D.L., R.C.D., M.L.C.

(Mouvement de libération du Congo) — furent créées et sont régentées, financées et armées totalement par le Rwanda et l’Ouganda. La presse belge a-t-elle présenté les faits comme tels?

SIMPLIFIER EN ETHNICISANT…

Une première remarque, la plus déterminante, concerne la qualification du conflit. D’emblée, on est frappé par un procédé récurrent au sein des médias belges, tant en 1996 qu’en 1998, l’« ethnicisation » de la guerre. La Libre Belgique et Le Soir annoncent chaque fois qu’il s’agit d’un conflit interne. Des « rebelles tutsis zaïrois », alias « Banyamulenge », explique- ton,

ont pris les armes en vue de renverser le régime de Mobutu (en 1996) et de Kabila (en 1998). Ainsi : « Le conflit s’aggrave dans la région des Grands lacs. […] Les violents combats opposant les rebelles tutsis Banyamulenge à l’armée zaïroise ont atteint la ville de Bukavu, chef-lieu du Sud-Kivu… » (Le Soir, 28 octobre 1996).

Le Soir et La Libre présenteront Kabila comme le leader de cette première rébellion, sans toutefois se soucier d’indiquer, lorsqu’ils adoptent cette vision « etniciste », que Kabila n’est pas un Tutsi, mais un Mulubakat. En 1998, ils en feront de même avec Z’ahidi Ngoma, un Murega, présenté comme le « chef de la rébellion banyamulenge ».

D’entrée de jeu, l’équation présentée est simple, malgré l’emploi prudent du conditionnel, et simpliste : les Tutsis (et assimilés) du Zaïre, du Rwanda et du Burundi sont opposés aux Hutus (et assimilés) du Zaïre, du Rwanda et du Burundi. « Les deux camps qui s’affrontent au Kivu seraient : celui des assaillants, composé des rebelles tutsis zaïrois alliés à trois

mouvements armés zaïrois de type lumumbiste, ainsi qu’aux armées rwandaise et burundaise (dominées par les Tutsis) ; face à eux, ceux qui défendent le Kivu sont l’armée zaïroise, la guérilla hostile au pouvoir burundais et l’armée de l’ancien régime rwandais, hostile à Kigali (essentiellement hutues) » (La Libre Belgique, 26-27 octobre 1996).

Le quotidien bruxellois explique et justifie l’intervention des pays étrangers dans le cadre de

ces clichés-là : « Ces alliances, répétons-le, sont logiques, puisque l’implication du Rwanda et

du Burundi dans la crise résulte de la présence au Kivu de groupes armés qui les harcèlent,

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alors que cette province zaïroise reproduit, avec des nuances, le conflit ethnique qui déchire les deux pays voisins » (La Libre Belgique, 26-27 octobre 1996).

Mais, qui sont réellement ces « Banyamulenge » que le gouvernement rwandais s’octroie le droit, présenté comme un devoir, de protéger au-delà de ses frontières ? Il s’agit effectivement de populations originaires du Rwanda, arrivées au Congo par vagues successives. Les

premiers « Ruanda », ainsi dénommés par le géographe belge Georges Weis, sont quelques centaines à débarquer en 1881 dans l’Itombwe, la partie occidentale des territoires de Fizi et Uvira au Sud-Kivu. D’autres arriveront quelques années après, à la faveur des transferts de populations rwandaises et burundaises effectués par le pouvoir colonial pour ses plantations de coton, ses chemins de fer, et son industrie agropastorale au Congo. À ce peuplement ancien, s’ajouteront les flux de réfugiés tutsis fuyant les pogroms de 1959-1960 et de 1973- 1974 au Rwanda. Ceux-ci s’installeront d’abord à Bwegera, puis se déplaceront vers le village de Mulenge (d’où le nom « Banyamulenge », littéralement : « ceux de Mulenge »), avant de se disperser sur les hauts plateaux de l’Itombwe.

Après les indépendances, profitant de la désorganisation de l’administration zaïroise, beaucoup d’immigrés du Rwanda viendront gonfler cette population et se fondront dans la masse qui prendra globalement le nom de « Banyamulenge ». Ces populations, qui ont conservé des liens étroits avec le Rwanda, qui parlent le kinyarwanda, et que, jusqu’à

l’époque des rébellions mulélistes de 1964, on appelait le plus souvent « banyarwanda » (ceux du Rwanda), sont véritablement ce qu’il convient de désigner, comme le fait Kabamba, « les Banyarwanda du Sud-Kivu ».

Ces informations sont connues des spécialistes de La Libre Belgique et du Soir en octobre 1996. Ceux-ci savent également que, à tort ou à raison, les populations autochtones du Kivu considèrent les Banyamulenge comme la cinquième colonne du Rwanda qui, selon elles, agresse le Zaïre. Il faut savoir aussi que, d’une part « les enfants des familles tutsies qui se sont réfugiés au Zaïre en 1959-1960, vont s’engager dans la guérilla du F.P.R. comme médecins, officiers ou “techniciens” » (Willame) ; et que d’autre part « en 1994, avec la victoire du F.P.R., beaucoup de jeunes Banyamulenge partis rejoindre les rangs du F.P.R.

reviennent au Zaïre avec armes et bagages, attaquent l’armée zaïroise et revendiquent leur nationalité zaïroise » (Kabamba).

C’est en tout cas en connaissance parfaite de ces informations que La Libre Belgique donne la définition ci-après des Banyamulenge : « Le terme désigne une population d’éleveurs parlant une langue proche de celles du Rwanda et du Burundi voisins et vivant sur les hauts plateaux au-dessus d’Uvira depuis plusieurs siècles… »

En écrivant cela, le quotidien belge occulte sciemment les origines rwandaises du groupe en lui attribuant une langue « proche » de celle du Rwanda ; et il falsifie l’histoire en situant son implantation au Congo à « plusieurs siècles ». C’est le point de départ d’un processus de propagande qui se mettra en branle à travers l’équation ci-après : Banyamulenge égal tutsis égal victimes de génocide, d’épuration ethnique.

Relayant les justifications des dirigeants rwandais à propos de l’invasion du Congo, Le Soir et La Libre s’efforcent de démontrer que l’intervention du Rwanda répond à des motivations de type « humanitaire » : empêcher un génocide à l’image de celui qui s’est produit deux ans plus tôt au Rwanda. Soit : « À l’heure actuelle, le Nord-Kivu et la région du Masisi sont presque totalement « purifiés » sur le plan ethnique : plus aucun Tutsi ne s’y trouve ! […]

Autrement dit, l’épuration ethnique en cours dans le Sud-Kivu se heurte à de vives résistances… » (Le Soir, 24 octobre 1996).

Quand en août 1998, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi envahiront le Congo pour la

seconde fois, les mêmes clichés referont surface dans la presse belge. « Les Banyamulenge ou

le spectre de l’extermination », peut titrer le quotidien catholique qui explique la guerre en ces

termes : « Les nouveaux troubles que connait le Kivu apparaissent comme une nouvelle

réplique du séisme génocidaire qu’a connu le Rwanda en 1994. La rébellion de Goma

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exprime, semble-t-il, une nouvelle fois la crainte d’extermination des communautés rwandophones de la région… » (La Libre Belgique, 4 août 1998).

En 1998 comme en 1996, La Libre et Le Soir présentent donc les Tutsis du Congo comme les victimes d’une extermination programmée. Auquel cas, les « Banyamulenge » se trouveraient en position de légitime défense, même lorsqu’il est prouvé que ce ne sont pas ceux-ci, mais des soldats rwandais, burundais et ougandais qui ont provoqué et mené la guerre, en

instrumentalisant les Banyamulenge1. Malgré tout, leur intervention est présentée comme une

« guerre préventive », ce qui la justifie d’une certaine manière. Cette position n’est pas sans relayer l’appel violent à « l’extermination des exterminateurs » présumés, lancé par le président rwandais aux Banyamulenge lors d’un discours prononcé à Cyangugu en octobre 1996. Monsieur Pasteur Bizimungu (Reyntjens) exhortait : « Celui qui dit qu’il veut vous tuer, celui qui dit qu’il veut vous exterminer sans raison vous fournit automatiquement le motif Un des leaders de cette communauté, Muller Ruhimbika (Kinyalolo K.) affirme : « Dès le déclenchement de la guerre à l’automne 1996, l’A.P.R. a adopté une politique de nier aux Banyamulenge leur identité comme communauté distincte du peuple rwandais. Sur le plan politique, l’A.P.R. a pu dissimuler ses visées d’occupation en propulsant des Banyamulenge sur la scène politico-militaire tout en projetant leur déportation vers la préfecture rwandaise de Kibuye ».

d’utiliser tous les moyens possibles et imaginables pour que ce soit vous qui l’exterminiez afin de l’empêcher de nuire. »

En présentant les événements sous l’optique ethnique, les journaux Le Soir et La Libre Belgique ignorent-ils la complexité du conflit, notamment sa dimension géopolitique, les ambitions territoriales l’accompagnant, et ses enjeux économiques qui dépasseraient les Tutsis eux-mêmes ? Sans aucun doute non, car dans leurs colonnes respectives, l’un et l’autre présentent aussi, parfois, le conflit avec une certaine complexité.

Ainsi, en octobre 1996, au boulevard Jacqmain, on titrait lucidement par cette question : « Le début d’une guerre des Grands Lacs ? », donnant les premiers éléments d’une conflagration généralisée. « La contagion peut gagner d’autres pays. Que fera l’Ouganda, allié du nouveau pouvoir rwandais ? Que fera la Tanzanie, dont les ambitions politiques de supplanter le Zaïre comme « grand-frère de la région » sont de plus en plus visibles ? » (La Libre Belgique, 24 octobre 1996)

Quant au Soir, plus affirmatif, il parle de guerre régionale, mais aussi de guerre d’expansion :

« Même si, dans les deux capitales, l’on affirme vouloir faire preuve de « retenue », il est certain que la faiblesse actuelle du Zaïre pourrait aviver les tentations de « vider l’abcès » une bonne fois, au risque de provoquer une guerre régionale. Au Rwanda, même s’ils ne

s’expriment pas au niveau du gouvernement, d’aucuns rêvent d’un pays agrandi […] et ne redoutent pas de mettre en cause les sacro-saintes frontières coloniales. »

On se retrouve loin des revendications de la nationalité, des conflits ethniques ; bref, loin d’une guerre civile. Pourtant, à longueur de pages, les simplifications vont refaire surface et s’imposer au détriment de la complexité du problème. On insistera : « L’obsession ethnique risque de miner un autre des atouts du Zaïre : la vigueur de sa société civile. Dans le Kivu, par exemple, il est désolant de constater que l’épuration ethnique dont les Tutsis ont été victimes dans le Masisi ou dans le Sud-Kivu n’a provoqué que peu de réactions » (Le Soir, 24 octobre 1996).

Cette information fut également reprise par La Libre Belgique. L’asbl Sima-Kivu prit contact à l’époque avec les rédactions du Soir et de La Libre, et leur remit des documents signés par le P. Rigobert Minani, responsable de la Société civile du Sud-Kivu. Ces textes attestaient de l’engagement de la société civile en faveur de certains membres de la communauté

«banyamulenge», ce qui lui valut d’ailleurs les foudres de Monsieur Anzuluni, ancien

président du Parlement zaïrois. Mais, en dépit des promesses, aucun article rectificatif de cette

« diabolisation » de la société civile ne fut publié.

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