Jaron Boers
Studentnummer: S2220601 Educatieve master Frans Rijksuniversiteit Groningen
Les routines, les répétitions et les modifications dans l’enseignement du français comme langue étrangère (FLE)
UN INSTRUMENT PRATIQUE POUR LA FACILITATION DE L’ENSEIGNEMENT BASE SUR LE PRINCIPE DE « LANGUE CIBLE LANGUE VEHICULAIRE »
Eerste begeleider: Dr. R. de Jonge Tweede begeleider: C. Vidon
Derde begeleider: Drs. S. Dönszelmann Datum: 14-7-2017
1 Résumé
Dans ce mémoire de master, une recherche sur les routines, les répétitions et les modifications dans l’enseignement du français comme langue étrangère (FLE) a été effectuée. Cette recherche a été réalisée afin de faciliter l’enseignement basé sur le principe de « langue cible langue véhiculaire ». Nous avons conclu que les routines et les répétitions aident les élèves à apprendre une langue étrangère. Nous nous sommes principalement concentrés sur le modèle IRF qui permet aux professeurs et aux élèves de faire un drill de langue (en chœur ou individuellement).
La répétition est donc recommandable, mais les professeurs doivent mettre l’accent sur l’énoncé en soi, et non pas sur l’énoncé comme moyen d’enseigner la grammaire. Les routines et les répétitions aident le professeur à se concentrer sur l’aspect communicatif. Les substitutions et les modifications proposées ont le même effet.
Nous pouvons également conclure que les routines et modifications ont un effet légèrement positif sur les apprenants et les professeures. Les résultats de l’enquête montrent une amélioration prudente, mais insignifiante. En tenant compte des professeures et élèves interviewés, nous pouvons conclure plus clairement que les stratégies employées par les professeures ont un effet positif. Cela veut dire que les stratégies ont été jugées utiles pour les élèves. Il en vaut de même pour les professeures elles-mêmes.
2 Abstract
This master thesis contains a research concerning routines, repetitions and modifications in secondary education of French as a Foreign Language (FFL). This research is carried out in order to facilitate the education based on the principle of “target language is working language”.
We concluded that routines and repetitions help students to learn a foreign language. We focused mainly on the IRF model, which allows the students to initiate a drill session (in unison or individually). This means that repetition is advisable, but teachers have to emphasize the utterance itself rather than a way to teach grammar. Routines and repetitions help the teacher to focus on the communicative aspect. The proposed substitutions and modification have the same effect.
We can also conclude that the routines and modifications have a slight positive effect on students and teachers. The results of the questionnaire demonstrate a slight, but insignificant improvement. Taking into account the interviewed teachers and students, we can conclude more clearly that the strategies used by the teachers have a positive effect. This means that the strategies have been considered useful for the students. The same goes for the teachers themselves.
3 Table des matières
0. Introduction ... 4
1. Le principe de « langue cible langue véhiculaire » ... 7
1.1. Introduction ... 7
1.2. Le monolinguisme exclusif : arguments et effets ... 7
1.3. Le monolinguisme partiel : arguments et effets ... 8
2. Méthodologie ... 11
2.1. Stratégie de recherche et mots recherchés ... 11
2.2. Critères d’exclusion et inclusion ... 11
2.3. Intervention en classe ... 12
3. Cadre théorique et résultats sur les routines et les modifications ... 15
3.1. Introduction ... 15
3.2. Les routines et les répétitions dans l’enseignement d’une L2 ... 16
3.3. Les modifications et les reformulations dans l’enseignement d’une L2 ... 28
4. Les recommandations ... 36
4.1. Introduction ... 36
4.2. Les routines et les répétitions ... 36
4.3. Les modifications et substitutions ... 37
4.4. Concrétisation d’une recommandation – le modèle IRF ... 39
5. Résultats ... 40
5.1. Les résultats du questionnaire ... 40
5.2. Les résultats des interviews ... 46
5.3. Comparaison et synthèse entre les deux classes ... 55
6. Conclusion ... 59
7. Discussion ... 61
8. Bibliographie ... 64
9. Annexes ... 80
9.1. Questionnaire pour les élèves ... 80
9.2. Questionnaire pour les professeures ... 82
9.3. Interview de la professeure de la classe AA2A ... 84
9.4. Interview des élèves de la classe AA2A ... 88
9.5. Interview de la professeure de la classe AA2B ... 93
9.6. Interview des élèves de la classe AA2B ... 99
9.7. Liste de vérification pour l’observation en classe ... 102
4 0. Introduction
L’idée qu’une langue seconde (L2) s’apprend seulement en enseignant cette langue étrangère domine dans la littérature depuis la fin du XIXe siècle (Tammenga-Helmantel, van Eisden, Heinemann, & Kliemt, 2016). Par conséquent, l’acquisition d’une L2 se déroule universellement dans un ordre déterminé, c’est-à-dire indépendamment de la première langue (L1). La L1 est souvent perçue comme un obstacle et doit donc être bannie de l’enseignement des langues étrangères. La méthode Berlitz est un bon exemple pour cet unique monolinguisme dogmatique (Hall & Cook, 2012). L’article de Hall et Cook (2012, p. 272) poursuit en disant que ce monolinguisme dogmatique est « largely taken for granted in the language teaching literature ». Par contre, à la fin du XXe siècle l’appel à une vue moins dogmatique fait son apparition. Ce point de vue se concentre sur les connaissances préalables de l’apprenant. La L1 est prise comme point de départ qui permet aux apprenants l’apprentissage d’une L2 (cf.
Cummins, 2007 ; Widdowsen, 1978). La L1 n’est pas seulement tolérée, mais elle doit être employée de manière ciblée. Cette perspective est désignée comme un monolinguisme partiel.
Ce qui est important, c’est l’ampleur de l’utilisation de la L1.
Beaucoup d’articles sont apparus sur le principe « langue cible langue véhiculaire » dans de diverses contributions didactiques (cf. Haamberg, Hofman, Maaswinkel, & Rödiger, 2008a, 2008b ; Kwakernaak, 2004, 2007 ; Plante, 2009). Toutes ces contributions plaident pour le monolinguisme dans l’enseignement d’une L2. Par contre, aux Pays-Bas la langue d’enseignement est principalement la L1 (c’est-à-dire le néerlandais), ce qui a pour conséquence que la langue cible n’est pas parlée soit par l’enseignant, soit par l’apprenant.
La Inspectie van het Onderwijs (l’inspection de l'enseignement primaire et secondaire aux Pays-Bas) (2000) a constaté que les procédés didactiques des enseignants dans une école moyenne ont été suffisants dans seulement 55% des cas. Pendant les heures de classe, les enseignants n’appliquaient pas ou pas suffisamment les bonnes méthodes de travail axées sur de bonnes didactiques disciplinaires. Ainsi, les Pays-Bas se distinguent dans un sens négatif d’autres pays européens et communautés linguistiques concernant la fréquence de susciter la langue cible auprès des enseignants et apprenants.
Les études de Bonnet (2002), Gille et Kordes (2013) et Kordes et Gille (2012) confirment cette affirmation. Ces études européennes se sont concentrées sur la comparaison des compétences linguistiques en anglais et allemand. De plus, ces études ont démontré que la fréquence est significativement positive en rapport avec les résultats pour diverses compétences linguistiques dans les pays où la langue cible est parlée plus souvent pendant les cours.
Statistiquement significative est la corrélation positive entre l’utilisation de la langue cible et
5 les compétences écrites et orales ; dans cette dernière compétence seulement dans une moindre mesure.
Kwakernaak (2004) constate que le principe « langue cible langue véhiculaire » est vu comme une caractéristique de qualité professionnelle parmi de nombreux professeurs néerlandais qui enseignent des langues étrangères. Cependant, il semble que l’utilisation de la langue cible des enseignants de langues étrangères n'a pas augmenté. Il semble plutôt qu’elle est tombée plus loin dans l’oubli. Une enquête récente parmi des enseignants de français aux Pays-Bas l’a confirmé (cf. Oosterhof, Jansma, & Tammenga-Helmantel, 2014). Apparemment, les enseignants ne sont pas entièrement au courant des arguments en faveur de l'utilisation des langues étrangères et les preuves empiriques. De plus, il règne une certaine atmosphère de négligence. Cela est dû à une ignorance des actions didactiques et à une crainte de problèmes de communication (cf. Haamberg et al., 2008a, 2008b ; Haijma, 2013 ; Oosterhof et al., 2014).
L’article de Dönszelmann, Kaal, Beishuizen, et De Graaff, (2016) l’affirme également.
Selon eux, il paraît très logique de se servir de la langue cible dans l’enseignement des langues étrangères, par contre, il y a de nombreuses confusions sur comment la langue étrangère devrait être utilisée en classe et quels en sont les effets. Il n’y a que des recherches effectuées à petite échelle (e.a. Haamberg, 2008a), le plus souvent dans un contexte d’apprentissage intensif (Keck, 2006 ; Long, 1996). Ces recherches rapportent en termes abstraits sur l’utilisation de la langue cible et les possibles effets positifs (Dönszelmann et al., 2016).
Dönszelmann et al. (2016) ont fait un compte rendu de la recherche qu’ils effectuent concernant l’utilisation de la langue cible dans les classes de langues étrangères dans l’enseignement secondaire. Ses recherches en vue d’une thèse donnent la primauté à deux questions dont une question est pertinente pour ce mémoire : Y a-t-il un lien entre l’utilisation justifiée d’une L2 et la motivation/les performances des élèves ?
L’utilisation justifiée d’une L2 est différente de l’utilisation d’une L2 pendant les cours de langues étrangères (Dönszelmann et al., 2016). Si un professeur ne parle que la L2 pendant ses cours, il est peu probable que ses élèves apprendront quelque chose (Schmidt, 1990 ; Swain &
Lapkin, 1995). Néanmoins, l’utilisation de la L2 est définie comme le nombre de minutes que la L2 est utilisée par rapport au nombre de minutes que la L1 est parlée, parfois ajoutée avec quelques recommandations pratiques, mais non-concrètes (Keck, 2006 ; Long, 1996). En premier lieu, l’application de la L2 n’a pas de but communicatif, mais un but instructif.
L’utilisation de la L2 est donc l’application d’un moyen d’apprentissage, et ses moyens d’apprentissage devront s’assortir d’une didactique. Par contre, cette didactique bien fondée et
6 élaborée manque dans les manuels pour l’enseignement des langues étrangères (Dönszelmann et al., 2016).
Il y a quelques conditions didactiques auxquelles l’enseignement d’une L2 doit répondre que Dönszelmann et al. (2016) ont formulées à l’aide d’autres recherches. En résumé, les professeurs devront appliquer la L2 à un niveau adapté où les élèves sont stimulés, et où ils prendront conscience de structures linguistiques. De plus, il est important que les élèves se concentrent sur le sens, plutôt que sur la forme (focus on meaning vs focus on form) (Long, 1996 ; Gass et al., 1998 ; Swain, 2000 ; Ellis, 2005 ; Westhoff, 2008 ; Schmidt, 1990 ; Dalton- Puffer et al., 2013).
Ces implications pour l’application de la L2 sont toujours générales, tandis que ce mémoire (et dans le prolongement, la recherche de Dönszelmann (2016)) cherche des recommandations concrètes. Sa recherche a découvert jusqu’à présent que l’apprentissage d’une L2 se fait en faisant user des structures linguistiques (Dönszelmann et al., 2016). Des patrons fixes dans l’enseignement d’une L2 où les mêmes structures linguistiques reviennent, accompagnées de modifications contrôlées, soutiennent également l’apprentissage (e.a. Boers
& Lindstromberg, 2009; Lightbown et al., 2013; Rampton, 2002; Schuitemaker-King, 2012 &
2013). Dans la littérature, il manque un large cadre théorique sur ce sujet. De plus, les affirmations doivent être mieux théorisées et élaborées. Tout cela nous mène à la question de recherche suivante :
Quelles caractéristiques des actions didactiques sensées (les instruments de la routine, répétition et modification) basées sur des notions théoriques peut-on définir dans l’enseignement du FLE et comment sont-elles perçues par les professeures et les apprenants ?
Pour répondre à cette question de recherche, les sous-questions suivantes ont été formulées : - Quelles routines et modifications concrètes pouvons-nous définir dans l’enseignement
du FLE ?
- Comment les routines et modifications sont-elles perçues par les professeures et les apprenants ?
La question de recherche nous permet, après une recherche documentaire, d’établir l’hypothèse suivante : la mise en œuvre des instruments d’intervention a pour effet un changement positif dans les performances et la motivation des apprenants du français.
7 1. Le principe de « langue cible langue véhiculaire »
1.1. Introduction
Cet article donnera un aperçu des arguments et des effets sur l’utilisation d’une L2 dans l’enseignement des langues étrangères. Ce chapitre forme une introduction au cadre théorique sur les routines et les modifications.
1.2. Le monolinguisme exclusif : arguments et effets
Bien que populaire depuis le XIXe siècle, le monolinguisme dogmatique trouve son fondement théorique dans le XXe siècle. Selon la théorie d’immersion, les apprenants acquièrent une langue étrangère à travers une immersion complète, ce qui est appelé un « bain linguistique » de la L2 (Johnson & Swain, 1997 ; Swain, 2000, 2005 ; Wode, 1995). Selon l’hypothèse d’entrée (the input hypothesis) (cf. Krashen, 1981, 1991), l’apprenant a besoin de l’input (de l’entrée) compréhensible à partir de laquelle – selon l’idée de l’acquisition naturelle du langage – il découvre et acquiert le système de la langue étrangère. La output hypothesis comprend l’acquisition fructueuse par l’apprenant quand ce dernier produit activement de l’output (Swain, 1995, 2000). Les partisans d'une utilisation dogmatique de la langue cible dans les classes de langues étrangères sont par exemple Chaudron (1988), Ellis (1984, 1994), Gass (1997), Gass et Varonis (1994), Larsen-Freeman (1985) et Wong-Fillmore (1985).
Dans la littérature sur la théorie de l’apprentissage des langues peut être conclu que les résultats de la mise en œuvre du principe de « langue cible langue véhiculaire » sera relativement faible au début (cf. Chaudron, 1988 ; Dickson, 1996 ; Ellis, 1994 ; Gass, Mackey,
& Pica, 1998 ; Krashen, 1981 ; Macaro, 1997). Selon Krashen (1981), cela se réside dans le fait que la partie compréhensible pour l'apprenant de ce qui est communiqué sur la langue étrangère, au début est très limitée. La partie compréhensible s’augmentera au fil du temps, surtout dans le domaine de la compréhension écrite et orale. En d'autres termes: les premiers résultats dans l'apprentissage d’une L2 peuvent être attendus dans le domaine réceptif.
Les études empiriques sur l'usage monolingue dogmatique du principe « langue cible langue véhiculaire » dans l'enseignement des langues étrangères consistent principalement en des observations en classe et des entretiens avec des enseignants et des élèves. Leur nombre est limité, mais les articles suivants (plus anciens) sont les plus remarquables : Burstall (1974), Carroll (1975), Wolff (1977) et les articles plus actuels sont ceux de Crichton (2009), Lyster (2007) et Turnbull (1999a, 1999b). Ces études confirment l'hypothèse ci-dessus que le monolinguisme dogmatique dans l'enseignement réagit différemment aux compétences différentes. C’est ce que démontre également les observations en classe que Crichton (2009) a
8 effectuées dans le cadre de sa recherche dans plusieurs écoles secondaires en Écosse. À l’aide de bandes magnétiques et d’enregistrements vidéo, Crichton (2009) a examiné l’interaction entre les enseignants et les apprenants pendant l’enseignement monolingue des langues étrangères. Les progrès dans le domaine de la prononciation et l’intonation étaient les plus évidents. Les compétences réceptives se développent également, en particulier la compréhension et le traitement (du message) de la langue étrangère. Pour la compréhension écrite et orale, aucune différence significative n'a été notée.
Cette description précédente fournit le premier argument en faveur de l’utilisation dogmatique d’une langue étrangère : la fréquence de l'utilisation de la langue cible dans la salle de classe a un effet positif sur les performances et les connaissances des élèves, principalement sur les compétences de la compréhension écrite et orale.
Le deuxième argument se concentre sur la progression de l’apprentissage : plus les apprenants sont confrontés à la langue étrangère, plus tôt les résultats positifs se manifestent (cf. Krashen, 1981).
Le troisième argument pour le monolinguisme exclusif est son impact positif sur la motivation des apprenants. Dans l’étude décrite ci-dessus par Crichton (2009) les élèves et les enseignants ont été interrogés sur leurs impressions personnelles et il a également constaté une augmentation de la motivation.
Un quatrième argument est la constatation de Crichton (2009) que l’utilisation de la langue cible a un effet positif sur le climat en salle de classe. Ainsi, les élèves seraient calmes et mutuellement incités à coopérer lorsque l'enseignement se fait en langue étrangère, vu que dans ce cas-là, le fil rouge peut se perdre facilement.
1.3. Le monolinguisme partiel : arguments et effets
Au cours des dernières années, un certain nombre de contributions a été publié où l'utilisation exclusive de la langue cible dans l'enseignement des langues étrangères est rejeté. Toutes ces contributions plaident pour une utilisation conjointe bien planifiée de la langue maternelle (cf.
Atkinson, 1987 ; Butzkamm, 1973, 1993, 2003a, 2003b, 2004, 2011 ; Butzkamm & Caldwell, 2009 ; Cook, 2001 ; Hall & Cook, 2012 ; Harbord, 1992 ; Harting, 2011 ; Ihara, 1993 ; Littlewood & Yu, 2011). Ainsi, l'utilisation de la langue maternelle ne doit pas seulement avoir lieu dans des phases d’enseignement précises, mais aussi dans le domaine d’enseignement organisationnel, didactique et social. Leurs arguments sont fondés sur les idées théoriques de l’apprentissage des langue étrangères. Les indications que le monolinguisme partiel favorise l’acquisition d’une langue, ont seulement été trouvées dans les études sur l'acquisition du
9 vocabulaire (cf. Hummel, 2010 ; Snellings, van Gelderen, de Glopper, 2002) et dans les études sur l’acquisition de la grammaire (cf. Kupferberg & Olshtain, 1996 ; Källkvist, 2008 ; Scott &
de la Fuente, 2008), mais pas dans les études sur l’acquisition des compétences réceptives et productives.
Le premier argument qui est avancé en faveur de la prise en compte de la langue maternelle est que la L1 peut optimiser le déroulement d’un cours. La communication entre les enseignants et les élèves s'améliore (cf. Harbord, 1992), les mesures organisationnelles et disciplinaires pourraient être mises en œuvre plus rapidement (cf. Atkinson, 1987 ; Cook, 2001).
Le deuxième argument implique que la L1 peut aider à vérifier si les apprenants peuvent suivre les explications de l’enseignant et à veiller qu’ils comprennent le concept derrière une structure. Par exemple, si un professeur d'espagnol en Angleterre demande à ses élèves : « Comment dites-vous, ‘Je l'ai attendu pendant dix minutes’ en espagnol ? », les élèves seraient encouragés à développer la capacité de pouvoir établir une distinction entre l’équivalence structurelle, sémantique et pragmatique (cf. Atkinson, 1987). Cela vaut en particulier pour l’enseignement de la grammaire qui devrait avoir lieu à tout moment dans la langue maternelle (cf. Cook, 2001). Cook (2001) fait référence à une étude dans laquelle il a été constaté que, même un apprenant compétent et expérimenté est confronté à des difficultés quand celui-ci reçoit les explications de grammaire dans la langue cible. L'argument le plus important pour l'utilisation de la langue maternelle pendant les leçons de grammaire est que les élèves comprennent ce que le professeur veut dire et que les apprenants peuvent mettre la théorie en pratique. Ici, il s’agit en principe de l’acquisition de la grammaire et non pas d’élargissement des compétences verbales (Bateman, 2008 ; Cole, 1998 ; Cook, 2001). Au mieux, les enseignants partent des termes connus afin d’épargner aux apprenants des explications compliquées (Cole, 1998).
Le plus souvent, dans la littérature, un appel à la nature de la L1 est fait comme troisième argument. Les élèves eux-mêmes utiliseraient spontanément leur L1 pour résoudre des problèmes (linguistiques). Les enseignants devraient apprécier la valeur de cette tendance naturelle et donner de l’espace aux élèves de penser et de travailler dans la L1. L’interdiction d’utiliser la L1 mènera à un manque de compréhension (cf. Harbord, 1992). Cette justification de l'utilisation de la langue maternelle dans l'enseignement des langues étrangères est considérée comme une « approche humaniste » (Wharton, 2007); cela permet aux élèves de dire ce qu’ils veulent et comment ils le veulent. De plus il est important, vu qu’un refus de l’utilisation de la L1 a des conséquences considérables pour l'atmosphère d'apprentissage en
10 salle de classe. L'exclusion dogmatique conduit au mécontentement et à la frustration (cf.
Klapper, 1997) et est particulièrement contre-productif, parce que cela réduit la motivation des élèves et augmente la perception négative de la langue à apprendre (cf. Dickson, 1996).
Un quatrième argument en faveur de l'utilisation de la langue maternelle est la conviction que non seulement la matière, mais aussi le contact personnel entre les enseignants et les élèves en bénéficient. Les discussions deviennent plus personnelles et naturelles, où les élèves sont traités comme leur vrai soi et se sentent plus à l’aise (cf. Butzkamm, 2003a ; Cook, 2001 ; Littlewood & Yu, 2011). L'utilisation de la L1 contribue dans ce sens à « minimiser le filtre affectif » (Harting, 2011, p. 107). On entend par là que les remarques personnelles ou les conversations éliminent certains obstacles et peuvent encourager l'apprentissage, en particulier chez les apprenants qui n’arrivent pas à suivre la matière sans difficultés (cf. Butzkamm, 2003a). D’après Harting (2011), il est extrêmement important pour la construction d'une relation entre les enseignants et les élèves que la communication se déroule avec souplesse, même si cela signifie qu’il faut toujours recourir à la L1 de l’apprenant.
Comme cinquième argument sont mentionnées les meilleures possibilités de communication entre les élèves. L'utilisation de la L1 dans la salle de classe offre aux élèves la possibilité d’expliquer l’un à l’autre les tâches pour aider les uns les autres, ou pour contrôler.
Finalement, les élèves font comprendre des erreurs et des processus d’enseignement (cf. Cole, 1998 ; Cook, 2001). En outre, le recours à la L1 offre une aide cognitive aux élèves ce qui leur permet d’analyser leurs tâches et leur langue à un niveau supérieur.
En résumé, on peut constater qu’un nombre important d’études a été publié qui plaident pour un monolinguisme – probablement en réaction au monolinguisme dogmatique dominant antérieur. Cependant, il vaut pour les deux approches que le nombre d'études empiriques qui montrent que l'utilisation des langues étrangères a accéléré l'apprentissage des langues, est très faible. Ces études prouvent que l'utilisation des langues étrangères a un effet positif sur les compétences réceptives en particulier, à supposer qu’il y en ait. Le fait que l’output s’améliore – donc par exemple les propres contributions spontanées des élèves, que ce soit oralement ou par écrit - est ici rien de plus qu'une conséquence logique (cf. Bateman, 2008; Boulima, 1999 ; Shekan, 1989). Les données empiriques de cette hypothèse, comme il a déjà été affirmé, n’ont pas été trouvées.
11 2. Méthodologie
La recherche dans ce mémoire fait partie d’une plus grande recherche effectuée par Dönszelmann (2016). Sa thèse vise à concevoir une didactique pour une application justifiée du principe « langue cible langue véhiculaire ». Cette recherche essaie de définir des actions didactiques (les instruments de la routine, répétition et modification) basées sur des notions théoriques dans l’enseignement du FLE. Afin de pouvoir répondre à la question principale, deux sous-questions ont été formulées :
- Quelles routines et modifications concrètes pouvons-nous définir dans l’enseignement du FLE ?
- Comment les routines et modifications sont-elles perçues par les professeures et les apprenants ?
2.1. Stratégie de recherche et mots recherchés
Afin de pouvoir répondre à la première sous-question, nous avons sélectionné des articles scientifiques qui formeront ensemble le cadre théorique sur les routines et les modifications concrètes que nous pouvons définir dans l’enseignement des langues étrangères (voir chapitre 3).
Nous avons trouvé les articles scientifiques à l’aide de commandes de recherche sur google.scholar. Les termes suivants ont été introduits : ritual repetition second language acquisition, classroom routines, classroom routines second language acquisition. Ces mots recherchés nous ont fournis un certain nombre d’articles. Ces articles nous ont donné également de nouveaux articles en consultant la bibliographie de chaque étude.
2.2. Critères d’exclusion et inclusion
A cause du grand nombre d’articles qui ont été trouvés, cette revue de littérature a seulement pris en compte les articles qui sont parus après 1994, afin d’assurer l’actualité et la pertinence des stratégies proposées. Cela ne veut pas dire que les articles qui ont été cités dans les articles trouvés, sont également parus après 1994.
De plus, nous nous intéressons surtout aux caractéristiques d’un certain comportement rituel à échelle réduite (des routines et des rituels). Nous pensons à des formes de travail ou des manières standardisées qui permettent l’enseignant à travailler avec ses élèves, nous pensons également à des modèles fixes pour commencer et terminer ses leçons, nous pouvons aussi penser à des manières répétitives afin de mettre les élèves au travail après un moment d’instruction. Cela veut dire qu’une didactique qui se concentre sur un long cycle
12 d’enseignement, c’est-à-dire un cycle qui s’étend à plusieurs leçons ne sera pas pris en compte dans cette recherche.
Ensuite, nous avons résumé chaque source que nous avons trouvée. Nous avons attentivement regardé aux termes : répétitions, modifications, substitutions, rituels, routines.
Nous en avons fait un cadre théorique en combinant les articles et nous avons omis des informations qui nous ont paru trop générales ou impertinentes (voir chapitre 3). Finalement, nous avons formulé des implications et des recommandations concrètes pour l’enseignement du FLE. Ces propositions et la concrétisation de ces propositions sont basées sur la théorie et se trouvent dans le chapitre 4.
2.3. Intervention en classe
Nous avons effectué une petite intervention en classe (voir chapitre 5), afin de pouvoir répondre à la deuxième sous-question. Nous ferons usage de la triangulation méthodique : les conclusions théoriques seront confirmées à l’aide de la triangulation. Cela veut dire que ce que nous retrouvons dans la théorie, complété par nos propositions (sur les activités des professeurs dans le domaine de routines, répétitions et modifications), c’est-à-dire les conclusions théoriques, seront vérifiées au moyen d’autres sources (des interviews et observations dans des classes avec intervention).
L’intervention se base sur les recommandations dans le chapitre 4. Nous avons décidé de soumettre une recommandation concrète aux professeures, c’est-à-dire le modèle IRF (voir paragraphe 3.2.1). Nous avons également parlé des routines au début des leçons et les modifications (c’est-à-dire la reformulation des questions). Cependant, nous avons seulement mis l’accent sur les répétitions à l’aide du modèle IRF afin de ne pas en demander trop aux professeures. Cette recommandation sera élaborée plus tard (voir le paragraphe 3.2.1) et celle- ci a été discutée avec les professeures. Afin d’assurer la compréhension de la recherche, nous avons donné une petite présentation où les professeures avaient la possibilité de poser des questions. Nous avons décidé qu’il était important d’incorporer ces recommandations dans leurs leçons, c’est-à-dire que les professeures ont gardé leur programme tel qu’il était en incorporant ces nouveaux éléments. Cela veut dire que nous n’avons pas conçu un plan de cours entier, vu que c’était très complexe d’estimer le programme des professeures.
L’intervention a été répartie sur 3 leçons consécutives. Le choix pour 3 leçons a été fait consciemment : tout d’abord, parce qu’il s’agit d’une étude de cas à petite échelle, donc un grand nombre de leçons n’ont pas été pris en considération. De plus, une seule leçon serait trop peu pour les professeures pour s’habituer à la nouvelle manière d’enseigner. Or, il en va de
13 même pour les élèves pour s’habituer aux nouvelles stratégies. Nous nous rendons compte que ce n’est toujours pas une recherche étendue, mais l’accent sera mis sur la recherche littéraire dans le chapitre 3.
2.3.1. Participants
La recherche a été effectuée dans deux classes vwo (enseignement du second degré, deuxième année) dans une école secondaire à Emmen. 26 élèves de la classe AA2A ont répondu correctement au premier questionnaire dont 2 garçons et 24 filles. 28 élèves de la classe AA2B ont répondu correctement au même questionnaire dont 12 garçons et 16 filles. Il en va de même pour le nombre d’élèves après l’intervention. Les professeures se servent de la méthode Grandes Lignes dans ces deux classes.
Le choix pour des élèves de la deuxième année a été fait consciemment. D’après nous, les élèves dans la première année sont motivés, fiers et enthousiastes d’être passés de l’école primaire à l’enseignement secondaire (Van der Steen, 2015). Ils ont en grande partie une image positive de l’enseignement et des professeurs. Dans leur deuxième année, il se produit un recul quant à la motivation à cause de l’absence de nouveauté. Ils connaissent l’école, ils sont au courant des qualités des professeurs, vu de leur perspectif et ils connaissent leurs camarades de classe. De plus, les élèves sont obligés de suivre toutes les matières. C’est pour cette raison que nous pouvons prévoir une baisse dans la motivation des élèves (Van der Steen, 2015), et cela vaut également pour la matière de français. Il serait donc intéressant de rechercher une deuxième classe, vu que nous pouvons nous attendre à des résultats plus fiables.
Pour l’interview (voir le paragraphe 2.3.2, instruments de mesure), nous n’avons interviewé que trois élèves de chaque classe. Ce choix a été basé sur leur note moyenne ; nous avons impliqué deux élèves forts, deux élèves moyens et deux élèves faibles, une de chaque classe pour donner une image plus fiable. Le choix a été fait sur l’attente que la motivation des élèves diffère en fonction de leurs notes. Dans la classe AA2B, les élèves ont été interviewés en groupe, vu qu’il y avait une semaine entre la deuxième leçon et la troisième leçon. En les interviewant en groupe, nous espérons qu’ils se rappellent plus facilement ce qui s’est passé durant l’intervention.
Les élèves sont divisés entre deux classes. Ces deux classes ont chacune une professeure, l’une âgée de 44 ans et l’autre de 43 ans. Professeure 1 a sept ans d’expérience et professeure 2 a huit ans d’expérience. Le plus haut niveau de scolarité de professeure 1 est le HBO (l’école d'enseignement professionnel supérieur) et celui de professeure 2 est l’université.
14 2.3.2. Instruments de mesure
Les élèves ont jugé leur professeure à l’aide d’un questionnaire conçu par Van der Steen (2015).
Trois domaines ont été pris en considération : authenticité (authenticiteit), engagement (betrokkenheid) et constructivité (constructiviteit). Après, les élèves se sont jugés eux-mêmes dans le domaine de la motivation (motivatie). Les éléments sur lesquels les professeures ont été jugées se trouvent dans l’annexe 9.1.
Van der Steen (2015) a conçu lui-même un instrument de mesure à l’aide de la littérature. Une huitaine d’éléments a été reprise de la « Vragenlijst Interpersoonlijk Leraarsgedrag (VIL ; Wubbels, Créton & Hooymayers, 1985). Les éléments dans le domaine de la motivation ont été basés sur Ryan et Deci (2000). Van der Steen (2015) a opté pour une échelle allant de 1 (pas du tout d’accord) à 5 (tout à fait d’accord), à cause de la possibilité de pouvoir voter neutralement (3). De plus, une échelle de 5 points permet de représenter une meilleure répartition. Le questionnaire a été présenté deux fois aux élèves, une fois avant l’intervention et une fois après l’intervention, permettant ainsi d’esquisser une évolution.
Les professeures ont également répondu au questionnaire légèrement adapté (voir l’annexe 9.2 pour le questionnaire). Nous avons choisi de seulement faire remplir ce questionnaire avant l’intervention en classe, vu que le changement de motivation des élèves joue un rôle primordial dans cette recherche. Néanmoins, nous avons décidé d’impliquer la motivation des professeures dans l’interview avant et après l’intervention.
A part ces questionnaires, nous avons introduit également des interviews pour les professeures avant et après l’intervention afin de clarifier certains jugements dans le questionnaire. Il en vaut de même pour les élèves. Les questions et les réponses de ces interviews se trouvent dans les annexes 9.3-9.6.
En dernier lieu, nous avons assisté à un cours de chaque professeure pour avoir une idée plus claire de leur pratique en classe. De plus, cette observation nous permet de bien appliquer la triangulation. Ce que les professeures affirment, le retrouvons-nous dans leur leçon donnée ? La liste de vérification pour les critères d’observation se trouve dans l’annexe 9.7.
15 3. Cadre théorique et résultats sur les routines et les modifications
3.1. Introduction
Beaucoup d’articles ont été écrits sur le rôle des routines et des répétitions dans l’enseignement en général. Ce chapitre propose une théorisation des concepts-clés dans l’enseignement d’une langue étrangère, en particulier pour le français. Ce chapitre fait le pont entre la question de recherche principale et le chapitre 4, qui proposera une concrétisation des recommandations des routines et des répétitions dans l’enseignement du FLE (le Français comme Langue Etrangère).
Afin de savoir quelles sont ces routines et répétitions, il est important de mentionner et d’expliquer d’abord les concept clés.
Les routines de classe, dans lesquelles un énoncé donné par un participant (typiquement le professeur) provoque une réponse fixe par les coparticipants dans l'échange (Peters & Boggs, 1986, p.81) sont de puissants organisateurs de l'interaction entre l'élève et l'enseignant pendant les cours (Sinclair & Coulthard, 1975 ; Mehan, 1985). Les routines en classe peuvent également profiter de l'acquisition de la langue « [by] provid[ing] the opportunity for a child to hear linguistic input and respond to it verbally or in other ways that are immediately reinforced » (Peters and Boggs, 1986, p. 82). La structure prévisible des routines fournit un cadre dans lequel les apprenants peuvent pratiquer et obtenir un renforcement en écoutant et en participant au dialogue en classe (Peters and Boggs, 1986 ; Van Lier, 1996) Par exemple, on a observé que les enfants commençant un programme FLES japonais (angl. : Foreign Language in Elementary School) d'une quinzaine de minutes faisaient écho aux énoncés dans la L2 de l'enseignant, puis ont commencé à formuler des réponses simples, puis des réponses plus élaborées et finalement des réponses collaboratives en L2 (Takahashi & Morimoto, 1996).
La majorité des mots de la L1 sont appris incidemment. Bien qu'il y ait un certain débat sur l'étendue de l'apprentissage de vocabulaire accessoire de la L2 (voir Cobb, 2007 ; Laufer, 2001, 2003), les chercheurs affirment que l'apprentissage du vocabulaire accidentel devrait faire partie de tout programme d'apprentissage du vocabulaire L2 (Hunt & Beglar, 2005 ; Laufer, 2001, 2003 ; Nation, 2001, 2008 ; Nation & Webb, 2011 ; Schmitt, 2000, 2008 ; Webb & Chang, 2012). La recherche sur l'apprentissage du vocabulaire accidentel a montré que les mots sont progressivement appris par des rencontres répétées dans un contexte ; de plus souvent les mots inconnus sont rencontrés, plus ils sont susceptibles d'être appris (Chen et Truscott, 2010 ; Horst, Cobb & Meara, 1998 ; Jenkins, Stein & Wysocki, 1984 ; Rott, 1999 ; Saragi, Nation & Meister, 1978 ; Waring & Takaki, 2003 ; Webb, 2007). Cet axe de recherche s'est concentré exclusivement sur des éléments d'un seul mot. Cependant, des recherches indiquent qu'une grande proportion de la langue est composée d'unités de mots multiples. Par exemple, Hill
16 (2001) a signalé que jusqu'à 70% de la langue est composé d'expressions fixes, le nombre de collocations dépassant de loin le nombre d'éléments à un seul mot. De même, Erman et Warren (2000) ont constaté que 58,6% des discours prononcés et 52,3% des discours écrits consistaient en des combinaisons de mots multiples, et Foster (2001) a trouvé que 32,3% des discours prononcés étaient composés de langage de formule (angl. : formulaic language).
Pallotti (2001) a mené une étude approfondie au rôle de la répétition dans l’acquisition d’une L2. Il a découvert que les répétitions sont très utiles/efficaces pour avoir accès aux conversations avec plusieurs parties (angl. : multi-party conversations). Nation (2001) affirme également que l’acquisition des mots dans la L2 est un processus cumulatif qui nécessite qu’un nouveau lexème soit rencontré dans de contextes différents afin d’être appris. Beaucoup de facteurs jouent un rôle dans l’apprentissage fructueux d’un lexème (la matrice d’un discours, les facteurs affectifs, les différences entre apprenants (l’alphabétisation, la mémoire de travail, les capacités et connaissances de base)). La littérature sur ce sujet suggère six à dix rencontres.
Quand une nouvelle trace mnésique n’est par renforcée ou ajoutée relativement rapidement aux autres rencontres avec le lexème, il est probable que celle-ci disparaisse. Une fois que la trace mnésique est devenue stable, les intervalles entre les rencontres peuvent s’allonger graduellement, mais même dans ce cas-là Nation (2001) recommande au moins six répétitions au cours d’une période de cinq heures.
Même à l’heure actuelle, peu de recherches expérimentales sur l’automatisation et l’automaticité dans le langage ont été effectuées (Boers & Lindstromberg, 2009), bien que quelques études soient mentionnées ci-dessous. Il y a des difficultés méthodologiques impliquées dans l'automaticité linguistique (Anderson, 1982). Logan (1988) a fait une expérience impliquant une tâche de décision lexicale (voir Boers & Lindstromberg, 2009, pp.
134-135). Il n'existe encore aucune autre étude qui ait porté sur les rôles de la pratique (ou de l'exposition répétée) dans l'automatisation de la production (ou interprétation) de chunks.
3.2. Les routines et les répétitions dans l’enseignement d’une L2
Avant d’exposer les différentes routines, il est important de savoir ce que c’est que les routines.
Ce paragraphe donnera d’abord une définition de ces concepts. Ensuite, les routines et les répétitions les plus importantes seront mentionnées. Les principes de ces routines et répétitions seront repris dans la chapitre 4 pour en donner des recommandations concrètes.
Les routines sont de petits scripts coopératifs de comportement, utilisés pour soutenir plusieurs structures d'activités, par exemple, la réponse chorale, ou la diffusion du papier (Leinhardt, Weidman, & Hammond, 1987). Ces structures et leurs routines de support
17 permettent à l'instruction de se dérouler de manière ciblée, prévisible et fluide. Les structures d'activité contribuent à structurer et rendre prévisible le flux normal d'une leçon.
Willet (1995) a également recherché la fonction des routines. Dans cette étude de Willet (1995), il y avait un certain nombre de routines d'interaction qui sont définies comme une séquence prévisible d'échanges avec un ensemble limité d'énoncés, de réponses et de stratégies appropriées (Boggs, 1985 ; Peters & Boggs, 1986 ; Schieffelin & Ochs, 1986). Le contenu, les processus et les formes linguistiques des routines peuvent être fixes ou variables, mais les routines sont structurées de façon prévisible, même lorsqu'elles ne sont pas formelles (formulaic). Peters et Boggs (1986) proposent le test suivant pour identifier les routines : l'investigateur ou le membre de la culture peut-il prédire le type de réponse qui devrait venir ensuite ? Plus la prédiction est exacte, plus la routine est élaborée.
Willet (1995) avait observé des enfants dans une classe ordinaire de CE1 (groupe 3 aux Pays-Bas). La langue de classe était assez prévisible. Les mêmes questions ont été posées maintes fois, et les réponses d'un seul mot étaient tout ce qui était attendu. Pendant la récitation de classe, les autres enfants répéteraient une réponse à plusieurs reprises, il était donc facile de choisir des mots parmi le bruit, et les enfants du ESL (angl. : English as Second Language, fr. : Anglais comme Langue Seconde) utiliseraient les mots qu'ils ont entendus dans leurs interactions avec le professeur et les assistants. Les enfants ont appris à prendre leurs cahiers au bon moment et à lever la main pour obtenir de l'aide d'un assistant.
Bien que leur langue soit presque entièrement composée de chunks préfabriqués, tels que ceux que l'on retrouve dans de nombreuses études de SLA (Hakuta, 1974 ; Hanania et Gradman, 1977 ; Hatch, 1978 ; Wagner-Gough & Hatch, 1975 ; Wong-Fillmore, 1976), les enfants utilisent ces chunks pour créer un événement socialement significatif afin de construire des identités en tant qu'élèves compétents (par exemple, ils peuvent lire, vérifier le progrès, rester concentrés sur le cahier d’exercices, suivre la logique de l'enseignant) et construire des relations de collaboration entre eux.
Selon Boers et Lindstromberg (2009), il y a une grande quantité de chunks qui pourraient être utilisée efficacement dans l’apprentissage d’une L2. Qu’est-ce que c’est que les chunks ? Selon la définition de Boers et Lindstromberg (2009, pp. 3-4) comme cité dans Wray (2002, p.
9) :
« a sequence, continuous or discontinuous, of words or other elements, which is, or appear to be, prefabricated: that is, stored and retrieved whole from memory at the time of use, rather than being subject to generation or analysis by the language grammar. »
18 Autrement dit, les chunks sont des phrases lexicales semi-fixées, comme par exemple prendre en charge (Boers & Lindstromberg, 2009, p. 2). Hatami (2015) affirme que les chunks ou les séquences de formule peuvent être très diverses, allant de simples remplissages (par exemple : type de) et de fonctions (par exemple : merci) à des collocations (par exemple : passer un examen) et des verbes à préposition (par exemple : se moquer de) à des expressions idiomatiques (par exemple : pleuvoir à seaux) et des proverbes (par exemple : C'est en forgeant qu'on devient forgeron.) et de longues phrases standardisées (par exemple : il y a un nombre croissant de preuves que...) (Boers, Eyckmans, Kappel, Stengers, & Demecheleer, 2006).
Certaines études ont abordé l'apprentissage des séquences de formules par la pratique en classe et ces études ont trouvé des effets positifs sur la connaissance des séquences de formules par les apprenants (Jones & Haywood, 2004), le nombre et la gamme des séquences de formules qu'ils peuvent produire au fil du temps (Taguchi, 2007 ; Wible, Liu, & Tsao, 2011), et le développement de la compétence orale des apprenants (Boers et al., 2006). L’apprentissage des chunks a également été l’objectif primordial de ce qui est connu sous le nom de la Méthode Audio-linguistique (ALM). De nos jours, cela s’appelle l’Approche Lexicale. Cette approche se concentre sur des phrases lexicales qui remplissent des fonctions pragmatiques dans des conversations (Boers & Lindstromberg, 2009).
Il est important que le professeur fasse usage des heures de cours afin d’augmenter la sensibilisation de la prévalence et de l’importance des phrases lexicales, c’est ce qu’on appelle le chunking pédagogique (Angl. : pedagogical chunking). Les élèves ne discernent pas de limites des mots, mais ils distinguent bien des éléments de longueurs variées qui se composent de plusieurs mots (Peters, 1983).
Snyder-Ohta (1999) a étudié le rôle de la routine IRF (Initiation-Response-Feedback) (Sinclair & Coulthard, 1975 ; Mehan, 1985), une routine d'interaction commune au discours de classe (cette routine sera expliquée en détail plus tard, voir le paragraphe 3.2.1).
Les routines d’interaction : qu’est-ce que c’est et comment ont-elles une incidence sur l’acquisition d’une L2 ? Peters et Boggs (1986, p. 81) définissent une routine interactionnelle comme « a sequence of exchanges in which one speaker's utterance, accompanied by appropriate nonverbal behaviour, calls forth one of a limited set of responses by one or more other participants ». Les routines interactives sont des modes d'expression culturellement significatifs, qui facilitent l'acquisition non seulement des structures linguistiques, mais aussi des concepts culturels intégrés. Alors que les routines interactionnelles ont une structure prévisible, Peters et Boggs (1986) expliquent qu'ils forment toutes un continuum de formulaicity. Les routines plus formulaïques ont un contenu particulier invariant. Les routines
19 moins formulaïques varient largement en termes de contenu, mais sont prévisibles parce que l'activité impliquée est cohérente de routine à routine. La salutation est un exemple de cette routine.
Dans l'acquisition d’une L1, on a trouvé que les routines d'interaction fonctionnent puissamment pour transmettre des connaissances linguistiques et culturelles aux enfants. Les enfants apprennent des routines d'interaction par étapes, d'abord en apprenant à participer à une routine et enfin en devenant experts dans toute la routine (Peters and Boggs, 1986 ; Schieffelin
& Ochs, 1986).
Snyder-Ohta (1999) propose que la séquence d'acquisition des routines d'interaction pour les adultes soit semblable à celle des enfants ; les adultes participent d'abord périphériquement, puis ils commencent à avoir un rôle plus important dans la routine ; les apprenants réussis deviennent éventuellement experts dans toutes les parties de la routine. Ce processus peut se résumer comme suit : pour acquérir une routine d'interaction, la participation est essentielle. Au début, une telle participation peut être périphérique. La participation périphérique limitée (Lave & Wenger, 1991), où le novice est un observateur ratifié mais non pas un participant principal, a été démontrée être un élément clé des processus de socialisation.
En apprenant une nouvelle routine, l'apprenant adulte, ou novice, est d'abord un observateur, ou participe au minimum à la routine. L'échafaudage (Wood et al., 1976) permet au novice de participer plus activement de manière progressive. La métaphore de l'échafaudage a été largement utilisée ces dernières années pour affirmer que, tout comme les constructeurs fournissent un soutien essentiel mais temporaire, les enseignants doivent fournir des structures de soutien temporaires pour aider les apprenants à développer de nouvelles compréhensions, de nouveaux concepts et de nouvelles aptitudes (Hammond & Gibbons, 2005). Au fur et à mesure que l'apprenant acquiert ces compétences, les enseignants doivent retirer ce soutien, uniquement pour apporter un soutien supplémentaire aux tâches étendues ou nouvelles, aux compréhensions et aux concepts. Grâce à ce processus, le novice développe une compréhension de base de la fonction de la routine, ainsi que les ressources nécessaires pour faire la routine. Grâce à la participation répétée, le novice devient capable d'anticiper comment la routine est susceptible de se dérouler, et commence à participer de plus en plus activement. La prochaine étape est l'élargissement de la participation à la routine à une plus grande variété de contextes, et avec cette participation plus large vient la compréhension de l'importance socioculturelle des rôles joués par les différents interlocuteurs, et les significations plus profondes associées à la routine.
En fin de compte, le novice est capable d'utiliser la routine de manière plus indépendante, il est capable de développer et de transformer la routine et de l'utiliser pour atteindre des objectifs
20 individuels. A travers ce processus d'interaction sociale qui intègre une participation de plus en plus active du novice, la routine, d’abord utilisée par d’autres, fera partie du répertoire des novices, de l'apprenant de la langue, de son propre répertoire linguistique et cognitif (Vygotsky, 1978 ; Wertsch, 1985).
3.2.1. Le rôle de la routine IRF dans la socialisation de la langue
La IRF, une routine de classe très répandue, est une source riche de données pour l'examen de la socialisation de la langue dans le contexte d'acquisition de la langue étrangère. La IRF est définie par sa structure, mais les tours de parole (angl. : turns) peuvent avoir des fonctions différentes, comme le montre le tableau suivant. La séquence IRF minimale contient un tour de parole d'initiation et de réponse, avec un tour de suivi facultatif.
Figure 1 : contenu possible des routines IRF
L'initiation peut être une question (référentielle ou d'affichage), ou une invite à participer à un drill de langue. Le tour de suivi donne la plus grande variation. Son contenu dépend du contenu du tour de réponse. À la suite d’un drill, un tour de suivi est susceptible de contenir une évaluation (par exemple oui ou non). Lorsqu'une question référentielle est utilisée, le tour de suivi est plus susceptible d'inclure un commentaire de suivi répondant au contenu du tour de parole précédent, plutôt qu'une évaluation de cette réponse. Le contenu de l'IRF varie donc grandement, y compris l’usage des questions posées par l'enseignant aux élèves sur le matériel appris, le drilling de nouveau matériel, l'introduction de vocabulaire, ou des questions à la classe ou aux élèves individuels sur un sujet d'actualité. Le tour de suivi permet de multiples possibilités expressives. Comme ces séquences se produisent dans un contexte de classe, la production de l'enseignant d'une évaluation (par exemple bien) est toujours possible - en fait, cette utilisation du tour de suivi pour l'évaluation est une caractéristique du parler de l’enseignant (Mehan, 1985). Le tour de suivi, cependant, peut également être utilisé pour une indication de compréhension (par exemple, le minimum mm ou c’est vrai ?), ou une évaluation (très intéressant), des possibilités qui seraient appropriées dans des contextes non pédagogiques. La IRF est une routine faible en formulaicity en raison de sa contenu variable.
Sa structure prévisible et sa présence fréquente permettent aux apprenants débutants d'anticiper
21 comment le discours en classe est susceptible de se dérouler, contribuant au pouvoir de socialisation de la routine.
Figure 2 : la participation de l’apprenant et du professeur dans les contextes IRF dirigés par le professeur
Par contre, la séquence rigide de la IRF, dans laquelle l'enseignant prend les premier et dernier tours de parole, a été critiquée pour restreindre les occasions pour les élèves d'initier et de fournir des retours à leurs interlocuteurs (e.g. Wood, 1988, cité dans Van Lier, 1996).
L’étude de Kanagy (1999) étudie comment les routines servent de mécanisme de socialisation et d’acquisition d’une L2 chez les jeunes enfants qui viennent d'entrer dans une école d'immersion. Ces enfants en particulier ne bénéficient d’aucune orientation dans la L1 sur ce qu'ils vont éprouver au cours des neuf prochains mois. Ils n'ont pas le luxe d'une « période de silence » (Saville-Troike, 1988), un temps d'observation tranquille ; à partir du premier jour, on s'attend à ce qu'ils suivent les énoncés en L2 de leur enseignant, indépendamment de leur compréhension, et décident de répéter, de répondre ou d'écouter pendant chaque événement en classe (Igarashi, 1997). Pour comprendre comment les routines fonctionnent comme un mécanisme d'acquisition et de socialisation, l’auteur a analysé trois routines quotidiennes : les salutations, le contrôle des présences, et l’introduction personnelle. Ces routines particulières ont été choisies parce qu'elles représentent des degrés variables de formulaicity dans la forme, le contenu et la structure du participant. La figure 1 place les trois routines le long de ce qui est appelé un « Continuum of Fixedness » (basé sur Peters & Boggs, 1986), qui représente le degré relatif de rigidité dans la forme, le contenu et la formulaicity.
Figure 3 : continuum de la fixité des routines, basé sur Peters & Boggs, 1986
À l'extrémité gauche du continuum, le contrôle des présences est la plus fixe dans la forme et le contenu, avec des réponses de formule prescrites. La salutation est également formelle, mais elle est susceptible à générer des réponses variables. La routine d'introduction personnelle est
22 la plus variée dans la forme, le contenu, les types de réponse, et la longueur, nécessitant des informations personnalisées.
Cette recherche sur les routines de classe a montré que la prévisibilité des routines aide les apprenants en fournissant un contexte dans lequel ils peuvent pratiquer et recevoir un renforcement dans la participation au dialogue (Peters et Boggs, 1986 ; Ohta, 1995). Avec l'initiative individuelle, un élément crucial pour une participation réussie aux routines dans la L2 est la collaboration de groupe. Au début de l'année scolaire, les enfants n'ont pas une idée claire des attentes de leur enseignant parce qu'ils comprennent peu de ce qu’il dit. Néanmoins, même aux premiers stades, non seulement l'enseignant, mais chaque enfant est nécessaire pour construire conjointement les routines interactionnelles de la L2.
Kanagy (1999) a constaté que la répétition et l'échafaudage aident les enfants à développer la compétence interactionnelle. En suivant l'exemple de l'enseignant et en répétant ses énoncés, les élèves progressivement se déplacent vers la production indépendante de leurs parties écrites. De la même manière, les enfants apprennent un comportement non verbal approprié en imitant les démonstrations soigneusement mises en scène par leurs enseignants des normes sociétales et éducatives japonaises. Ces techniques et outils semblent être suffisants pour permettre aux enfants de réussir dans la structure des routines (même si nous ne savons pas combien de temps cela leur demanderait d'apprendre par d'autres pratiques pédagogiques).
Bien que certains enfants apprennent à appliquer les scripts L2 des routines familières dans la L2 à de nouvelles situations au cours de l'année scolaire, l'utilisation créative du langage (c’est- à-dire, être capable d'exprimer sa propre signification) est restée au niveau d'un seul mot tout au long de l'année.
L’article de Cekaite & Aronsson (2004) donnent un exemple d’une substitution intertextuelle. L’article présente un exemple où l'élément d'une phrase de comptage pratiquée de façon routinière (des nombres cardinaux) est remplacé par un nom propre. Les enfants travaillaient individuellement sur des exercices de mathématiques, tandis que l'enseignant se promenait en surveillant leur travail.
Willett (1995) a examiné de façon similaire l'interaction entre trois apprenants de la L2 de la première année, en montrant comment leur discours se base sur les caractéristiques routinières de l'interaction enseignant-élève. De toute évidence, en s'appuyant sur des routines institutionnellement établies pour accomplir des activités récurrentes, et donc reconnaissables, est une ressource importante dans l'apprentissage de la L2. Pallotti (1996, 2001) montre dans une étude sur la socialisation de la langue d'un jeune apprenant marocain de langue italienne, comment la jeune fille a continuellement acquis des façons de participer à des discussions en
23 classe en s'appuyant sur le discours des locuteurs précédents dans la structure des activités reconnaissables. En ajoutant progressivement de nouveaux éléments aux tours de parole repris, elle a su étendre son répertoire lexical, pragmatique et communicatif. De façon assez semblable, Kanagy (1999) montre comment les jeunes enfants d'âge préscolaire qui n'ont aucune connaissance initiale de la L2 s'appuient sur des routines pédagogiques rédigées pour leur développement de la compétence interactionnelle précoce. En mettant en évidence le rôle des routines verbales dans les activités sociales récurrentes, les études sur la socialisation des langues réussissent à ancrer le processus d'apprentissage de la L2 dans les ordres et les pratiques culturels dans les milieux éducatifs (Saville-Troike & Kleifgen 1986 ; Willett 1995).
3.2.2. Boers & Lindstromberg, 2009
Ce chapitre vient de mentionner la Méthode Audio-Linguistique (ALM). Un défaut majeur dans cette méthode est le mapping incohérent (Segalowitz, 2000). L'ALM s'est fortement appuyé sur la pratique des patrons/schémas/structures oraux/orales ou sur le drilling. C’est un terme anglais qui consiste en un exercice de répétition dans lequel une phrase est prononcée par l'instructeur (ou entendu sur une bande) et répétée par les apprenants, d’abord souvent en chœur, puis individuellement (Stevick, 1986). Un drill peut également mener à des substitutions. Il a souvent été noté que les séances de drilling de type ALM axées sur la grammaire sont sensibles à de graves problèmes si elles ne sont pas gérées avec expertise et si les apprenants ne sont pas très motivés. En 1986, ALM était tombée en désuétude.
Bien que la plupart des enseignants disent mettre en pratique l’enseignement communicatif des langues, beaucoup parmi eux ne le font pas véritablement. Lorsqu'ils sont observés, on constate que ces enseignants passent plus de temps à donner des explications grammaticales et à encourager l'application des règles, plutôt que la réalisation de jeux de rôles, de jeux, de puzzles et de conversations (Gatbonton & Segalowitz, 2005). Cette réticence à utiliser la CLT (Angl. : Communicative Language Teaching), bien que la valeur soit reconnue, soulève des questions importantes sur ce qui, au moins, décourage les enseignants d'utiliser CLT et ce qui peut être fait pour y remédier.
La fluidité automatique est définie ici comme la production fluide et rapide des énoncés, sans hésitations et pauses indues, qui résulte de l'utilisation constante et de la pratique répétitive.
Traditionnellement, les techniques qui promeuvent l'automaticité ont inclus la pratique des modèles et le drilling, mais ces techniques sont désormais considérées comme étant incompatibles avec les approches axées sur la communication. L’article de Gatbonton &
Segalowitz (2005) suggère comment cette « incompatibilité » peut être résolue.
24 La résistance au CLT peut être due aux nombreux problèmes non résolus concernant le CLT.
Plus de 10 ans après son lancement, des questions fondamentales, telles que ce que le terme « communicatif » signifie, ont encore suscité un débat (Ellis, 1982 ; Harmer, 1982). Aujourd'hui, le terme « communicatif » continue de référer à des activités allant des jeux de rôle et des jeux, où la nature communicative est évidente, aux exercices, où le contenu communicatif est moins évident. Il est intéressant de constater que près de 20 ans après l'introduction de la CLT, un numéro spécial de la revue Applied Linguistics a été consacré à l'examen du concept de compétence communicative, soulignant les préoccupations permanentes concernant le CLT (parmi les contributeurs figurent Hymes, 1989, et Widdowson, 1989). Encore plus récemment, Thompson (1996) a affirmé que le strict respect des enseignants aux pratiques traditionnelles est la conséquence des « idées fausses au sujet du CLT ».
Beaucoup d’enseignants trouvent difficile de trouver la valeur didactique des activités de communication, ceci pourrait être une raison plus sérieuse pour l’échec du CLT. Les enseignants dans de nombreuses régions du monde sont habitués à des activités extrêmement structurées telles que l'enseignement de règles grammaticales, ce qui rend difficile pour eux d’accepter que des activités comme des jeux, des jeux de rôle et la résolution de problèmes peuvent effectivement passer pour de l’« enseignement réel ».
Plus récemment, le CLT s'est élargi pour inclure une certaine focalisation sur les structures linguistiques à travers du feedback correctif (Lightbown et Spada, 2006 ; Long, 1991 ; Lyster et Ranta, 1997 ; Nassaji, 1999 ; voir également Schuitemaker-King, 2012).
Cependant, même cette innovation n'a pas réussi à changer la perception de nombreux enseignants que le CLT offre peu de choses qui sont concrètes et tangibles pour les élèves. Cela se montre particulièrement dans l’approche de la fluidité en CLT. Bien qu'une composante de la fluidité soit une utilisation automatique, fluide et rapide du langage, il n'existe aucune disposition dans les méthodologies actuelles de CLT pour promouvoir l'usage de la langue à un niveau de maîtrise élevé par la pratique répétitive. En fait, la pratique ciblée continue d'être perçue comme contraire à la nature intrinsèquement ouverte et imprévisible des activités communicatives. Ainsi, lorsque les enseignants estiment que l'apprentissage a atteint le point où le renforcement des nouvelles formes par la pratique est nécessaire, ils tendent à revenir à des moyens non-communicatifs pour atteindre ce but (comme la pratique des modèles).
3.2.3. La méthodologie ACCESS (en grandes lignes)
Selon Gatbonton et Segalowitz (2005), la leçon à tirer de la disparition de l'ALM et des méthodes similaires n'est pas que la répétition précise et fluide n'est pas recommandable, mais
25 que les enseignants devraient se concentrer sur les énoncés en soi et non pas comme des moyens pour enseigner la grammaire. À cette fin, Gatbonton et Segalowitz (2005) ont proposé une approche basée sur les énoncés appelée ACCESS – abréviation de Automatization in Communicative Contexts of Essential Speech Segments (Fr. : Automatisation dans des Contextes Communicatifs de Segments de Parole Essentiels).
La figure 1 montre que les leçons ACCESS ont trois phases : une Phase d’Automatisation Créative (« Creative Automatization Phase), une Phase de Consolidation de Langue (« Language Consolidation Phase) et une Phase de Communication Libre (« Free Communication Phase »). La Phase d'Automatisation Créative conduit à la Phase de Consolidation de la Langue, qui mène à son tour à la Phase de Communication Libre. Le séquencement temporel entre la Phase d'Automatisation Créative et la Phase de Consolidation de la Langue permet d'alterner entre les deux phases.
Figure 4 : Schéma des grandes lignes de la méthodologie ACCESS, montrant les trois phases principales et leur séquencement (d’après : Gatbonton & Segalowitz, 2005)
26 Selon Gatbonton et Segalowitz (2005), ACCESS diffère de CLT en partie comme suit. Au début du CLT, les leçons commençaient par des exercices axés sur la forme et se déplaçaient vers des activités plus ou moins communicatives. Ainsi, les élèves sont drillés avant de s'engager dans la communication. Dans les versions ultérieures du CLT, connu sous le nom d'Instruction Axée sur les Tâches (Angl. : Task Based Instruction, TBI) une leçon est susceptible de progresser dans la direction opposée de sorte que la communication précède le focus on form. Dans les deux cas, la pratique répétitive – s'il y en a – est temporairement séparée de la communication.
Dans ACCESS, cependant, les leçons sont conçues de façon à ce que l'automatisation d'une « masse critique » d'énoncés cibles puisse se produire au sein d'une activité communicative, structurée de façon à ce que des tokens de chaque énoncé soient provoqués à plusieurs reprises. Ainsi, les apprenants profitent des avantages du CLT, (entre autres énumérées par Harmer (2001)) ainsi que des avantages d'une répétition abondante. Ce qui rend ACCESS spécial, c'est que cette méthode a été développée pour répondre à des preuves expérimentales massives – ce qui est rarement reconnues adéquatement dans toute forme moderne de CLT – que l'automatisation est favorisée par la répétition (Schneider et Chein, 2003). Il est important de noter que Gatbonton et Segalowitz (2005) s'opposent à l’affirmation que le focus on meaning empêche le focus on form et vice versa (Shekan, 1998 ; VanPatten, 1990). Selon eux, il est seulement question de cet obstacle quand les élèves ont trop peu d’occasions d’entendre et d’utiliser un certain énoncé.
Toutefois, il est raisonnable de considérer ACCESS comme une variante de TBI, étant donné qu’une unité entière de l’instruction ACCESS est construite autour une tâche communicative qui consiste en plusieurs étapes, en accord avec la output hypothesis de Swain (2005) que la production des énoncés (bien structurés) favorise le développement de l’interlangue des élèves (Boers & Lindstromberg, 2009).
Les auteurs Boers et Lindstromberg (2009) sont enclins à accepter que la méthode ACCESS est appropriée pour l’enseignement et l’apprentissage des segments de parole essentiels. De plus, ils pensent que la méthode ACCESS pourrait être adaptée de manière à couvrir une plus grande variété de chunks que ceux envisagés par Gatbonton et Segalowitz (2005). Par contre Boers et Lindstromberg (2009) se posent la question s’il est vraiment le cas que les chunks ne peuvent jamais être pratiqués d’une manière autre que la TBI. En outre, il y a un manque des recherches empiriques sur l’automatisation dans l’apprentissage des langues (notamment l’apprentissage des chunks). C’est pour cette raison que les auteurs Boers et Lindstromberg (2009) adoptent un point de vue éclectique concernant le choix des activités en classe conçues pour encourager la fluidité dans l’instruction de l’acquisition d’une L2 basée sur