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De affaire De Lalande-Lestevenon: feit en fictie over een spraakmakend schandaal in het zeventiende-eeuwse Amsterdam

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spraakmakend schandaal in het zeventiende-eeuwse Amsterdam

Hekman, B.

Citation

Hekman, B. (2010, September 28). De affaire De Lalande-Lestevenon: feit en fictie over een spraakmakend schandaal in het zeventiende-eeuwse Amsterdam. LUP Dissertations.

Leiden University Press (LUP), Leiden. Retrieved from https://hdl.handle.net/1887/15993

Version: Not Applicable (or Unknown)

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L’amour lui fut fatal.

C’est en mai 1661 qu’Elisabeth Lestevenon sous la pression de sa mère Elisabeth van Thije et son frère Mattheus Lestevenon, rompit brusque- ment la liaison qu’elle entretenait depuis trois ans, avec Gabriel de Lalande, un riche marchand français. Dans le même temps, Hendrick Cloeck, jeune avocat à Amsterdam, demanda sa main et elle fit semblant d’en être amoureuse pour les besoins de la cause. Gabriel ne comprit pas son rejet. Par ressentiment et dépit, il révéla des détails intimes sur leur liaison, insultant ainsi l’honneur des Lestevenon. Elisabeth van Thije et son fils Mattheus réussirent à convaincre les échevins d’appréhender Gabriel et de l’emprisonner. Les pamphlétaires se saisirent de leur plume pour épingler les ex-amants, la famille Lestevenon et Hendrick Cloeck et – en passant – l’administration d’Amsterdam et quelques-uns de ses notables. Les magistrats tinrent Gabriel reclus plus de soixante-dix jours, ce qui causa dans la ville une grande commotion qui dura jusqu’au jour de la libération de Gabriel. Les procès en justice qui se succèdèrent pour réhabiliter son honneur traînèrent plusieurs années. Mais avec le temps, le scandale tomba dans l’oubli.

C’est de ce scandale que traite cette thèse qui porte le titre: L’affaire De Lalande-Lestevenon. Faits et fiction à propos d’un scandale à sensation dans l’Amsterdam du dix-septième siècle. L’histoire narre la triste fin de la liaison amoureuse entre Gabriel et Elisabeth et le rôle fâcheux joué par la classe règnante d’Amsterdam dans cette affaire mêlant abus de pouvoir et arrogance. C’est ainsi qu’une piquante anecdocte privée, qui n’aurait fait que nous divertir, donna lieu probablement au scandale le plus bruyant dans l’Amsterdam du dix-septième siècle.

L’affaire n’a pas suscité l’intérêt des historiens durant plus de trois siècles, en dépit de l’abondante documentation primaire et secondaire. Cette étude fournit des hypothèses et des preuves concernant la participation à l’affaire du poète Jan Neuye, de l’imprimeur et libraire Johannes van den Bergh, de l’imprimeur Cornelis de Bruyn, du graveur Crispijn de Passe le Jeune et du régent Jan Vos, administrateur du théâtre d’Amsterdam.

De nombreuses personnes et instances ont été impliquées dans l’affaire:

des producteurs de livres et pamphlets, des familles de notables, des no- taires, des régents de théâtre, l’administration d’Amsterdam, la Cour de Hollande, la Cour de Cassation de Hollande, le représentant de la France à La Haye, Jacques-Auguste de Thou baron de Meslai (1609-1677) et même

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le roi de France, Louis XIV (1638-1715).

Les protagonistes de cette affaire ne s’en tirèrent pas sans séquelle.

Gabriel de Lalande fut éliminé socialement. Il fit faillite fin septembre et fut placé sous curatelle le 7 octobre 1661. Sa longue et coûteuse liaison avec Elisabeth, les frais élevés de procedure et la détérioration de ses affaires, le ruinèrent. Il perdit à Amsterdam sa fiancée, son argent et son prestige social et ainsi son honneur.

Les Lestevenon furent attaqués dans leur honneur, mais leur fortune ne s’en ressentit point. Malgré la honte qui les avait touchés, l’élite d’Am- sterdam continua à les accueillir et à les protéger. Elisabeth Lestevenon se maria en 1661 avec son cousin Isaac van Thije, gentilhomme d’Opmeer.

Son frère Mattheus se maria quelques mois plus tard avec Elisabeth Backer, fille d’un riche aristocrate, ancien maire et conseiller de la ville d’Amsterdam, le chevalier Willem Backer. Le scandale appartenait désor- mais au passé.

Hendrick Cloeck fut la figure tragique de cette affaire. Elisabeth Leste- venon le rejeta et il dut subir de nombreuses moqueries. Peu de temps après la libération de Gabriel le 8 août 1661, il se détourna des Lesteve- non. Il avait perdu de sa crédibilité et de son honneur supprimer ceci, à l’instar des autres protagonistes. Deux ans plus tard, en août 1663, il épousa Anna Pers âgée de dix-sept ans. En 1667, après d’intensives tractations, il devint conseiller à la Cour de Hollande, à la Haye, où il mourut en octobre 1670.

La lutte entre honneur et honte constitue le fil conducteur de cette histoire.

Elisabeth Lestevenon a rompu la promesse de mariage qu’elle avait fait à Gabriel attentant ainsi à leur honneur mutuel. L’indiscrétion de Gabriel suscita un flot de pamphlets injurieux dénonçant les deux amants, les Lestevenon, Hendrick Cloeck et l’administration d’Amsterdam. Le bailli appréhenda Gabriel en plein jour. Arrêté comme un vulgaire brigand, il fut emprisonné pendant une longue période; sa réputation et celle de sa famille en furent gravement lésées. L’administration d’Amsterdam fut dis- créditée du fait de son népotisme, de son non-respect de la loi et de son arrogance vis-à-vis des jurisdictions suprêmes, du roi de France et de son ambassadeur à La Haye.

Au dix-septième siècle Amsterdam était devenue la plus grande ville commerciale du monde et Bayonne un des principaux ports français. La République et particulièrement la ville d’Amsterdam utilisaient intensive- ment la position internationale de Bayonne, comme maillon entre le nord et le sud. Le commerce entre les deux villes reçut un coup de fouet vers

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1635 quand Louis XIII établit à Bayonne un consul de Hollande. Il y eut alors un flot de migration dans les deux sens. Des membres de la famille De Lalande, de Bellegarde et d’autres s’établirent à Amsterdam et des familles hollandaises, telles que les Van Oostrom et Düffel élurent domicile à Bayonne. Les contrats notariés d’affrètement ainsi que les actes concernant des lettres de change conservés dans les Archives muni- cipales d’Amsterdam offrent de nombreuses informations sur les relations commerciales entre les deux villes, les marchands concernés, les mar- chandises, les capitaines, les navires, les ports de chargement et de déchar- gement et les voies maritimes.

Gabriel de Lalande était originaire d’une famille bayonnaise portant le nom de Delalande Dapitois. C’était, semble-t-il une famille fortunée. Son père Pierre exerçait la profession de receveur de l’impôt du vin. Il décéda le 5 mars 1655 et sa femme Laurence David hérita de ses biens. Son fils aîné Pierre de Lalande reprit les affaires de son père. Cette famille comptait quinze enfants dont Gabriel, baptisé le 6 octobre 1629 à Bayon- ne. Vers 1656/1657, probablement, Gabriel et son frère Pierre (né en 1639) s’établirent à Amsterdam comme marchands. Gabriel devint bourgeois d’Amsterdam le 19 avril 1657 et avec son frère cadet Pierre il commença l’entreprise Gabriel et Pierre de Lalande et compagnie. Leur commerce européen fut florissant. A Bayonne ils étaient fréquemment en relation d’affaires avec Pierre de Lalande Hondaro, un cousin de leur père et avec Pierre le Jeune (né en 1611), un de leurs oncles paternels. Deux autres des frères de leur père, Charles (né en 1616) et François (né en 1618), s’étaient déjà établis à Amsterdam dans les années quarante. Ils étaient aussi marchands européens. Leur entreprise se nommait Charles et François de Lalande et compagnie. La famille De Lalande jouissait d’une très bonne réputation à Amsterdam.

Gabriel a dû être une figure marquante, aussi bien dans le monde des affaires qu’en société. En moins de cinq ans, il réussit à gagner l’estime aussi bien du citoyen ordinaire que celle d’une grande partie de l’élite d’Amsterdam. Aussi quand Les Magistrats de la Cour d’Amsterdam – le collège des échevins, du bailli et de quatre maires – l’appréhendèrent et l’emprisonnèrent de manière illégale, une tempête de protestation s’éleva, qui ne cessa qu’après la libération de Gabriel le 8 août 1661. Tous les jours, des centaines de personnes défilaient le long de son cachot pour lui témoigner leur soutien. La prison était située sur le côté nord de l’hôtel de ville, en face de l’Église Neuve (Nieuwe Kerk). Beaucoup de marchands et de dames de la grande bourgeoisie, parmi lesquelles quelques épouses

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de maires, lui rendirent visite.

Elisabeth Lestevenon (1642-1710) était la fille du marchand de soie, Abraham Lestevenon (1592-1652) et Elisabeth van Thije (1608-v. 1665).

Les Lestevenon étaient établis à Amsterdam à la fin du seizième siècle. Ils étaient originaires de la Flandre gallicante, au sud-ouest de la Châtellenie de Lille. Ils firent bien vite partie de l’élite d’Amsterdam. A la mort d’Abraham Lestevenon, Elisabeth était encore mineure. Elle fut placée sous la tutelle de sa mère et de son frère. Au printemps de 1658 elle commença une liaison sérieuse, intime et passionnée avec Gabriel qui la couvrit de cadeaux et l’entoura de nombreux égards. Elle était sous le charme du Français, un homme plein de vivacité et au style de vie flam- boyant, qui, pour lui plaire, mais aussi pour impressioner son entourage, acheta un carosse avec deux cheveaux magnifiques. Pendant leurs promenades en carosse aussi bien en ville ou à la campagne, Gabriel et Elisabeth manifestaient sans aucune gêne leur amour réciproque.

Peu à peu, le frère d’Elisabeth, Mattheus Lestevenon commença à res- sentir une grande aversion pour Gabriel. Il trouvait la conduite de Gabriel en public trop indiscrète, son comportement au domicile des Lestevenon trop impertinent et son attitude envers le petit peuple trop familière. Le fait de perdre de plus en plus de son emprise sur Elisabeth l’irritait. En outre il était jaloux du succès en affaires de Gabriel, de sa grande fortune, de son image virile et de son style de vie, ainsi que de sa grande popularité et de son important réseau social au sein de l’élite d’amstellodamoise.

Mattheus haïssait le Français et il voulait à tout prix empêcher qu’il n’épouse Elisabeth. Selon l’auteur de la tragédie De rampsalige min.

Treurspel voor Kupido [= L’amour funeste. Tragédie pour Cupidon] et de la Klucht van koddige Koert [= Farce de Koert le bouffon] il aurait même voulu l’assassiner. On dénonça à l’unisson Mattheus Lestevenon comme le mauvais génie de l’affaire, à l’exception du poète de la Klucht van koddige Koert qui approuva son comportement, car il avait ainsi montré à l’élite qu’une personne impertinente et trop familière, n’avait pas sa place en son sein.

Mattheus insista auprès de sa soeur pour qu’elle rompe sa relation avec Gabriel et pour qu’elle épouse Hendrick Cloeck. Elle refusa car elle s’était promise en mariage à Gabriel. Rompre sa promesse aurait nui à son hon- neur et en outre elle aimait Gabriel. Mattheus avait interdit sa porte à ce dernier mais Elisabeth continua à rencontrer son fiancé en secret chez ses amies et dans une chambre de location. Quand Mattheus le découvrit, il lui interdit de le revoir et exigea qu’elle rompe définitivement la relation.

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Lorsque, en compagnie de son frère et Hendrick Cloeck, elle rencontra de manière inattendue Gabriel, elle ne put faire autrement que le rejeter brusquement. Elle devait feindre bien sûr, mais Gabriel ne comprit pas.

Sous le coup de l’émotion, il affirma d’un ton tranchant à Mattheus et Cloeck avoir eu des relations sexuelles avec Elisabeth. A l’auberge, sous l’emprise de l’alcool, il fit ces révélations de nouveau à un groupe d’amis, mais l’un d’entre eux, un prénommé Cau, le dénonça à Mattheus. Les Lestevenon se sentirent sérieusement insultés. Elisabeth van Thije, la mère d’Elisabeth et de Mattheus, convainquit les échevins d’arrêter et d’emprisonner Gabriel. C’était la première action illégale des Magistrats de la Cour d’Amsterdam contre Gabriel.

Les révélations indiscrètes de Gabriel permirent aux Lestevenon d’intenter une action en justice auprès des commissaires des affaires matrimoniales et injures. Mais ce tribunal aurait dû condamner Gabriel à des excuses et une amende, la sentence habituelle en cas d’injures. Cependant, cela n’était pas suffisant pour les Lestevenon qui voulaient que Gabriel reste en prison, afin d’empêcher toute fréquentation avec Elisabeth et ils désir- aient aussi son élimination sociale; en effet, un long séjour en prison l’empêcherait de faire des affaires et en fin de compte le pousserait à la faillite.

Le mardi 31 mai 1661 les échevins jugèrent que Gabriel devait rester en prison. Il n’y eut aucune amende. Gabriel fit prévaloir en vain son droit d’être mis en liberté sous caution, en sa qualité de bourgeois d’Amster- dam. Selon les échevins il s’agissait d’atroces injures, que les magistrats – dans un esprit opportuniste – qualifièrent de délit. Gabriel devait expier sa faute, les échevins et Elisabeth van Thije en avaient convenu ainsi. Les échevins jouaient un jeu juridique très épineux. En considérant la sentence comme interlocutoire, ils pouvaient maintenir Gabriel aux arrêts et en même temps l’empêcher de faire appel auprès de La Cour de Hollande ou La Cour de Cassation. Mais ils furent déçus car Gabriel brava ‘l’interdic- tion’ et fit appel sans délai.

Les compatriotes de Gabriel à Amsterdam se sont efforcés de le faire remettre en liberté sous caution. Peine perdue. Ils en appelèrent alors à l’ambassadeur De Thou, qui écrivit plusieurs lettres aux maires et aux échevins. L’ambassadeur rendit également visite en personne à Elisabeth et à sa mère Elisabeth van Thije, et il les pria d’arranger l’affaire et d’ac- cepter le mariage. Cependant tous ses efforts furent vains aussi.

Le mercredi 15 juin 1661 les maires répondirent à la lettre de De Thou. Ils avaient bien reçu le samedi 11 juin sa lettre en date du lundi 6 juin. Ils

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avaient immédiatement discuté de la question avec les échevins; qui avaient déjà répondu à sa lettre, et ils lui faisaient savoir qu’ils se souci- aient de l’affaire et qu’ils essaieraient de la régler en dehors des procé- dures habituelles.

Le lundi 20 juin 1661 De Thou réagit et fit savoir aux maires que les éche- vins lui avaient répondu et qu’ils voulaient lui faire croire qu’il n’y avait aucun problème avec Gabriel de Lalande, que la Cour de Hollande avait une autre opinion sur la question et qu’elle avait l’intention de le remettre en liberté sous caution. De nouveau il pria les maires d’user de leur auto- rité pour sommer les échevins de libérer Gabriel sur-le-champ. De Thou était convaincu que les échevins faisaient traîner la libération de ce dernier. Il se trouvait lui-même dans une situation délicate. Son roi était au courant de l’affaire et désirait en connaître chaque détail; et il trouverait étrange que Gabriel soit toujours en prison. De Thou reprochait aux maires de tolérer cette violation du droit de bourgeoisie et qui plus est, de quelqu’un dont la famille demeurait à Amsterdam depuis déjà si long- temps et y jouissait d’une si bonne réputation. Il fit remarquer que cette affaire relevait aussi de l’administration municipale et que les maires étaient juges souverains. De Thou les pria de nouveau, au nom de son roi et en son nom de libérer Gabriel sur-le-champ en attendant la décision de la Cour de Hollande, de sorte que celui-ci ne devienne pas la victime des retards, qui selon lui vont de pair avec les formalités judiciaires. Il pria les maires de lui répondre, afin de pouvoir rendre des comptes à son roi.

Le mercredi 22 juin 1661 la réaction des maires suivit. Ils répondirent à De Thou que l’appel de Gabriel relevait de la compétence des cours et des tribunaux de justice. Que les maires et les échevins avaient fait tout leur possible pour convaincre les parties intéressées de se réunir afin d’essayer de résoudre la question, en dehors des procedures normales. Ils firent la remarque suivante: “Ainsi que Votre Excellence pourra juger qu’il ne sera point necessaire d’importuner le Roy sur cette matiere: puis qu’aussi bien le s[eigneur] de la Lande, apres s’estre acquis la bourgeoisie de cette ville […]”.

Le jeudi 21 juillet 1661 la Cour de Hollande cassa la sentence de la Cour de Justice d’Amsterdam en date du 31 mai 1661 et libéra Gabriel sous une caution de vingt mille florins. Les échevins ne tinrent pas compte de la sentence: Gabriel resta en prison. Elisabeth van Thije et Gabriel firent appel auprès de la Cour de Cassation.

Le samedi 30 juillet 1661 la Cour de Cassation cassa la sentence de la Cour de Hollande et celle de la Cour de Justice d’Amsterdam et libéra

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Gabriel sous une caution de vingt mille florins. Les échevins refusèrent de nouveau de libérer Gabriel, ils voulurent réfléchir d’abord en session plénière.

Le lundi 8 août 1661 les échevins se réunirent à l’hôtel de ville. Après mûre réflexion ils décidèrent qu’ils ne pouvaient mettre aucune sentence à exécution (ni celle de la Cour de Hollande ni celle de la Cour de Cassation). Cependant, quand Elisabeth van Thije les informa vers midi qu’elle se conformait à la sentence de la Cour de Cassation, ils se résol- urent à liberer Gabriel sous caution. Les pamphlétaires mirent la réputation d’Elisabeth en pièces. Ces humiliations et la pression sociale du cercle de leurs intimes portèrent le coup de grâce aux Lestevenon.

Pendant ce temps une grande foule s’était rassemblée sur le Dam (la grande place devant l’hôtel de ville). Après que les garants de Gabriel, parmi lesquels son oncle Charles de Lalande, eurent déposé la caution, Gabriel quitta en compagnie de cinq de ses garants l’hôtel de ville par l’entrée principale. La foule lui réserva un accueil triomphal. La joie de le voir libre fut si grande, qu’il put à peine traverser la foule. Le lendemain, à la Bourse beaucoup de visiteurs l’approchèrent pour lui parler ou juste le toucher.

Du 31 mai 1661 au 6 mars 1663, les deux parties s’intentèrent plusieurs procès, passant du rôle d’accusé à celui d’accusateur. Le 8 août 1661, il y eut des plaidoyers fréquents devant la Cour de Justice d’Amsterdam, la Cour de Hollande et la Cour de Cassation. Bien qu’il s’agît en l’occurence de l’emprisonnement et de la libération de Gabriel, il y eut également des tentatives des Lestevenon pour obtenir la condamnation de Gabriel en diffamation pour ses propos. Les Lestevenon voulaient la négation officielle des faits. Ils exigèrent que Gabriel déclarât avoir menti au sujet de ses rapports sexuels avec Elisabeth, de sorte que son nom puisse être lavé. Gabriel refusa. Après le 8 août 1661 les deux parties ne s’opposèrent plus que devant la Cour de Cassation, avec pour seul enjeu: la réparation d’honneur.

Il n’est pas clair de ce qu’il advint de Gabriel après sa libération. Il est presque certain que sa vie aisée a pris fin juste après sa libération; il fit faillite le 27 septembre 1661. A partir de ce moment il n’avait plus rien à offrir à l’élite d’Amsterdam. Toutefois il ressort de trois documents de la Chambre de succession en faillite [= Desolate boedelskamer] d’Amster- dam, que Gabriel se trouvait encore à Amsterdam le 7 octobre 1661, le 17 janvier 1663 et le 6 juillet 1663 ou qu’il y était retourné pour une raison quelconque. A ces dates il avait demandé “seureté de corps”. Peut-être a-t-

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il pu demeurer de manière discrète à Amsterdam pendant quelques années avec le concours financier de sa famille et de ses amis, pour retourner finalement en France. Il n’est probablement pas retourné à Bayonne, son nom ne figure ni dans les registres de baptême – Gabriel aurait pu devenir père entre-temps – ni dans les registres funéraires de Bayonne d’après 1661.

Les Magistrats de la Cour d’Amsterdam se sont permis plusieurs actes illégaux et manipulateurs au profit des Lestevenon dans leur lutte contre Gabriel. La protection des membres de leur cercle social l’emportait sur les valeurs morales et chrétiennes. Que le simple peuple et surtout un ou deux notables puissent désapprouver leur comportement, ne les inquiétait aucunement. Ils se sentaient tout-puissants et de fait, ils l’étaient. L’élite politique dominait dans la justice municipale et l’appareil policier. L’élite des régents d’Amsterdam était une communauté bien organisée et fermée avec son propre mode de vie et des codes très stricts. La masse était impuissante, elle manquait d’unité et de moyens financiers, matériels et intellectuels pour faire front contre les puissants. L’arrogance de l’élite politique alla si loin qu’elle ne prit pas en considération statuts ou loix, qui, à un moment donné, ne lui convenaient pas. C’est ce que l’on peut constater dans l’attitude des échevins et des maires vis-à-vis de Gabriel.

 Il n’y eut aucune raison légale à l’arrestation de Gabriel. Il n’y eut aucun acte d’accusation. Pour un délit civil d’injure, un bourgeois ne pouvait pas être appréhendé.

 Le bailli ne fut pas accompagné pendant l’arrestation par les deux échevins réglementaires et un secrétaire mais seulement par deux serviteurs de justice.

 Le bailli n’aurait pas dû exécuter l’ordre des échevins d’appréhender Gabriel, car les maires n’avaient pas encore donné leur accord.

 L’arrestation et l’emprisonnement de Gabriel eurent lieu en plein jour, ce qui etait considéré comme une insulte envers un bourgeois et un homme de la stature de Gabriel.

 La demande de Gabriel d’être libéré sous caution, fut rejetée, malgré son statut de bourgeois. Selon les échevins son privilège ne comptait pas, parce qu’il était question d’injures atroces.

 Les échevins manipulèrent le droit en qualifiant un délit civil de fait condamnable et en encourageant le bailli à s’y conformer.

 Les échevins prononcèrent un jugement interlocutoire pour pouvoir détenir Gabriel pendant une durée illimitée et l’empêcher de faire appel aux plus hautes institutions juridiques.

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 Les échevins ne mirent pas à exécution la sentence de la Cour de Hollande ni celle de la Cour de Cassation pour libérer Gabriel sous caution.

En outre l’arrogance et la lâcheté de l’élite administrative se manifestèrent de la manière suivante:

 Les échevins ne se sentirent pas dans l’obligation de donner réponse à la lettre de l’ambassadeur de France, lettre dans laquelle celui-ci demandait la libération de Gabriel.

 Les quatre maires manquèrent de courage et d’intégrité pour braver les échevins.

Les Magistrats de la Cour d’Amsterdam dictèrent, bien que de manière trompeuse, l’histoire, du début à la fin. Ils provoquèrent ainsi l’agitation publique de par leur comportement entaché de népotisme et d’illégalité.

Après l’arrestation illégale de Gabriel, cette affaire privée devint subite- ment une affaire publique, dans laquelle les Lestevenon et les Lalande s’opposèrent, les premiers soutenus par l’administration d’Amsterdam, les derniers par les habitants d’Amsterdam, les pamphlétaires et – au loin, à l’arrière-plan – par le roi de France.

L’affaire suscita une quantité d’écrits, aussi bien officiels que littéraires.

Les pièces d’archives comprennent des notes rédigées par Hans Bonte- mantel, chroniqueur officieux de la ville d’Amsterdam, la correspondance de l’administration d’Amsterdam, des actes judiciaires des trois tribunaux, des lettres de l’ambassadeur de France, Jacques-Auguste de Thou, de nombreux actes notariés, etc. Les textes littéraires comprennent: (1) soixante et un pamphlets, dont quatre ont un caractère administratif, (2) le recueil: De soete vryagie van monsr. Gabriel de Lalande; of d’afgevalle roos van juffr. Elisabeth l’Estevenon [= Les tendres amours de M. Gabriel de Lalande ou la rose flétrie de demoiselle Elisabeth L’Estevenon], (3) la tragédie en deux tomes: De rampsalige min. Treurspel voor Kupido [=

L’amour funeste. Tragédie pour Cupidon] et (4) Klucht van koddige Koert [= Farce de Koert le bouffon].

Les textes des 61 pamphlets nous ont été transmis; 57 d’entre eux ont été reproduits dans le recueil De soete vryagie van monsr. Gabriel de Lalande et quatre figurent dans des pamphlets séparés. Au total 39 pamphlets en format in-plano ont été transmis; les textes des 22 pamphlets non retrans- mis ont été conservés grâce au receuil De soete vryagie van monsr.

Gabriel de Lalande. Les titres de tous les pamphlets sont inventarisés et

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présentés systématiquement dans l’annexe 1.

Les textes littéraires furent imprimés entre la fin mai et la mi-août 1661.

Le contenu de la plupart des pamphlets est moqueur et critique. Les moqueries visent plus spécialement Elisabeth, et les critiques Mattheus et l’administration d’Amsterdam. Dans le dernier pamphlet paru, Tribunal injuriae & Amoris, on trouve une gravure allégorique représentant Gabriel et Elisabeth devant la déesse Thémis et un pseudo-procès en vers intitulé:

Tribunal injuriae & Amoris [= Tribunal de diffamation et d’amour], (voir chapitre 17). Dans ce pamphlet, Gabriel faisait preuve de manque de caractère en essayant de se blanchir de son accusation en diffamation.

On reconnaît clairement les protagonistes de l’affaire dans les person- nages de la tragédie De rampsalige min et de la farce Klucht van koddige Koert. Dans les pamphlets on désigne souvent les personnes nommément.

La tragédie est de façon prononcée anti-Lestevenon et la farce anti- Gabriel. Dans la tragédie le poète dénonce la conduite répréhensible des notables, en particulier celle des Lestevenon et de l’avocat Hendrick Cloeck. Il présente Mattheus Lestevenon comme le responsable de cet amour funeste et le dépeint comme un jeune homme, rigide, élitiste et rancunier. La farce est, à première vue, une pièce de théâtre amusante, dans laquelle le serviteur Koert humilie et ridiculise son maître [=

Gabriel]. Mais le poète veut surtout mettre l’accent sur le déséquilibre hiérarchique dans la relation maître-serviteur dû au comportement trop familier du maître. Gabriel entretenait en effet des rapports amicaux avec le petit peuple et c’est surtout à ce comportement qu’il devait sa grande popularité, mais il lui valut également d’être vilipendé dans certains milieux. Pour les Lestevenon ce comportement était tout simplement inacceptable. Selon le poète de la farce, Mattheus avait réagi justement en rejetant Gabriel.

Les textes littéraires sont anonymes à plus de 90%, cette affaire étant très délicate sur le plan social. Il y a des arguments d’identifier quelques-uns de ces auteurs anonymes par exemple Jan Neuye qui semblerait être le poète anonyme de la tragédie De rampsalige min et du pseudo-procès Tribunal injuriae & Amoris. Un petit groupe d’auteurs autour de l’im- primeur-libraire Johannes van den Bergh, se composant de Jan Neuye, de l’imprimeur Cornelis de Bruyn et du graveur Crispijn de Passe le Jeune, serait probablement responsable de la production du recueil De soete vryagie van monsr. Gabriel de Lalande, de la tragédie: De rampsalige min et du pamphlet intitulé Tribunal injuriae & Amoris. L’identité des produc- teurs anonymes de la Klucht van koddige Koert reste dans le flou. Les

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trois premiers ouvrages mentionnés ci-dessus sont pro-Gabriel, la farce est à l’évidence anti-Gabriel.

L’énorme commotion suscitée par cette affaire trouve son origine dans l’action illégale des Magistrats de la Justice d’Amsterdam contre Gabriel de Lalande. Si les magistrats avaient respecté la légalité, il n’y aurait pas eu d’affaire De Lalande-Lestevenon. Si Gabriel avait été moins populaire, il n’y aurait pas eu tant de commotion, qui est indissolublement liée à l’arrestation et à la détention de Gabriel. Elle commença quand le bailli l’emmena en prison en plein jour et finit le jour où il fut libéré.

La reconstitution de l’affaire De Lalande-Lestevenon repose uniquement sur des documents d’archives. L’utilisation de textes littéraires (textes fictionnels) qui contiennent de nombreuses informations crédibles et fiables a permis de compléter cette reconstitution. On peut donc en tirer une conclusion importante, à savoir que pour la reconstitution d’une af- faire de ce genre, les sources officielles aussi bien que les sources fiction- nelles sont d’une importance décisive. Chaque source prise séparément offre sa propre version de l’événement, mais combinées, elles permettent de le retracer de façon crédible et fiable. Ces sources forment l’avers et le revers d’une même médaille et se complètent donc mutuellement.1

1 Met dank aan dr. Madeleine van Strien-Chardonneau (Universiteit Leiden) voor haar steun bij de vertaling en voor de eindcontrole van de Franse tekst.

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Referenties

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