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André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4 · dbnl

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volume 4

André van Hasselt

Editie Louis Joseph Alvin

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André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4 (ed. Louis Joseph Alvin).

Bruylant-Christophe, Brussel 1877

Zie voor verantwoording: http://www.dbnl.org/tekst/hass001lesq02_01/colofon.php

© 2015 dbnl

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Introduction.

La littérature belge, grâce à Van Hasselt, possède aujourd'hui son épopée: Les Quatre Incarnations du Christ. Ne nous étonnons point si elle a fait, à son apparition, moins de bruit que n'importe quelle opérette éclose dans la serre chaude parisienne. Les hautes conceptions du poëte ne s'adressent point à la foule, elles sont écrites pour les intelligences les plus cultivées; elles n'arrivent à la renommée qu'à l'aide du temps.

Il faut d'abord qu'elles aient été lues et méditées par des hommes en état de les comprendre et sans parti pris. En effet, la lecture n'en est pas toujours facile; elle n'est point faite pour ceux qui ne demandent à un livre que le moyen de tuer le temps.

La compréhension d'un sujet tel que celui qu'a choisi Van Hasselt impose au lecteur une eertaine contention d'esprit, une étude attentive qui n'est pas un plai-

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sir pour le vulgaire, mais dont on est bien dédommagé quand on s'y est assujetti.

C'est surtout de ces sortes de compositions qu'on peut dire avec Boileau:

C'est avoir profité que de savoir s'y plaire.

On avait longtemps adressé à notre poëte un reproche qui pouvait s'appliquer pour le moins aussi équitablement à ses confrères de Belgique, l'imitation des écrivains français. Il y a répondu en donnant à son pays une oeuvre originale qui, quant à la forme surtout, s'écarte des allures habituelles de nos voisins du midi, et qui, pour le fond, ne ressemble à aucun de leurs écrits.

Voyons ce qu'est ce poëme.

L'Office de publicité, dans son numéro de 9 février 1868, en a donné une analyse à laquelle rien ne manque pour faire connaître l'idée du poëte. La voici:

‘Indiquons sommairement l'intention générale de l'ouvrage telle que le poëte l'explique dans sa préface. “Cette oeuvre, qui n'est quele développement de quelques versets d'Isaïe (ch. XI, v. 6-9), est, dit-il, un simple exposé des phases successives de la genèse sociale, déterminées par la manifestation de l'esprit chrétien, dans les grands événements de l'histoire jusqu'à la complète réalisation de la parole du Sauveur sur la terre. Le premier chant appartient à la vie terrestre du Christ et à l'exposé de sa doctrine; le deuxième se rapporte à la chute de l'empire romain, c'est-

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à-dire à l'extinction du foyer du paganisme antique en Europe, et au mouvement des peuples barbares sur notre continent; le troisième nous conduit aux croisades, première manifestation d'une idée commune à tous les peuples de cette partie du monde, ou premier événement européen, comme dit M. Guizot; enfin, le quatrième nous introduit dans l'avenir, dans cette ère de plénitude sociale que rêvent tous les poëtes et qu'entrevoient tous les penseurs: tableaux divers dont chacun est le corollaire développé de celui qui le précède et dont le lien commun est le Juif-Errant, symbole de l'homme qui souffre et de l'humanité qui ne mourra qu'à la fin des temps.’

‘Le poëme constitue donc une suite de quatre grands tableaux historiques, mais ornés de toute la splendeur de la poésie, et tous variés de dessin, de couleur et de ton, selon le sujet de chacun d'eux, selon l'ordre des idées que le poëte exprime et selon la civilisation au milieu de laquelle il nous transporte. Le premier chant, où toutes les voix de la nature racontent la naissance, la vie et la mort du Christ, a presque l'air d'une vaste ballade allemande. Il se termine par une scène aussi neuve que grande et inattendue, c'est la rencontre de Judas et du Juif-Errant au pied du Calvaire pendant la nuit même qui suivit la mort du Sauveur, et l'entretien de ces deux hommes qui se communiquent leurs terreurs, l'un qui a trahi son maître et qui va mourir, l'autre qui a chassé le Christ du seuil de sa maison et qui est condamné à vivre et à marcher éternellement.

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‘Le deuxième chant s'ouvre sous les murs de Rome, parvenue à son déclin et usant ses derniers jours dans les orgies des festins et dans les spectacles sanglants du cirque.

Il débute par une majestueuse description de la tempête sur le lac de Génésareth, comparée à celle où va se briser le vaisseau romain. Le Juif-Errant est là. Pendant cinq siècles il a parcouru tous les pays, visité toutes les ruines des empires anciens, vu les écroulements de toutes les puissances. Il est en présence du poëte et tient à la main trois cailloux, derniers débris de l'Assyrie, de la Babylonie et de l'Egypte, trois des quatre grandes royautés prédites par Daniel. Plus tard, on le voit descendre dans le cirque, où les derniers martyrs chrétiens viennent d'expirer, car il est devenu chrétien lui-même. Mais les lions et les tigres reculent d'effroi devant l'homme qui ne peut mourir. Ce spectacle est d'une grandeur tout à fait épique et il contraste singulièrement avec le tumulte sauvage des barbares dont les armées convergent de toutes parts vers cette Rome qu'elles doivent détruire. L'apparition successive d'Alaric, d'Attila et de Genséric à la porte de Rome forme trois scènes d'une originalité frappante, quoique pour le fond elles soient parfaitement conformes à l'histoire.

‘Dans le chant consacré aux croisades, le poëte décrit avec unevivante et pittoresque énergie l'agitation que produisit parmi les chrétiens et parmi les musulmans ce débordement de l'Europe sur l'Asie. Le Juif-Errant est encore là, il précède les armées chrétiennes en Orient, et assiste à la prise

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de Jérusalem, après avoir eu, dans le Liban, une entrevue avec le fameux Hassan, si connu dans l'histoire sous le nom de Vieux de la Montagne ou de chef des Assassins.

Dans le mystérieux dialogue que le poëte établit entre ces deux personnages, il expose d'une manière saisissante sa théorie sociale et montre le but civilisateur des grandes guerres, théorie qui peut trouver des contradicteurs, mais où l'on ne peut nier qu'il n'y ait un côté fort acceptable par l'histoire et par la philosophie.

‘Enfin, dans le dernier chant, intitulé la Paix universelle, nous voyons l'humanité arrivée à la plénitude de son développement. La Science a fait toutes les conquêtes possibles. L'homme a traversé toutes les épreuves. La guerre est inconnue. L'unité s'est établie dans les coeurs et dans les esprits. Les croyances si diverses qui divisaient les peuples se sont résumées en une seule: Dieu dans le ciel, la charité et la fraternité sur la terre. Adam et toutes les générations qui lui ont succédé rentrent enfin dans le paradis terrestre. Le Juif-Errant assiste à ce splendide et consolant spectacle, et casse son bâton; il est pardonné et sa marche est finie.

‘Tel est l'ensemble de cette oeuvre où la splendeur et la variété des images, comme l'éclat toujours soutenu du style, le disputent à l'ampleur de l'imagination et à la profondeur des pensées. Il y a là incontestablement un souffle de Dante, et un langage que peut-être deux ou trois hommes savent encore parler en France aujourd'hui. Il nous paraît difficile de mieux forger et ciseler le vers.

‘En cette partie de l'art on sait de quoi notre

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poëte est capable, et ici il nous semble s'ètre surpassé encore. Nous ne croyons pas exagérer en disant que le poëme des Quatre Incarnations du Christ est la production la plus importante et la plus brillante que la littérature belge ait fournie jusqu'à ce jour, et nous comprenons ce jugement émis, il y a deux semaines, par M. Emile Deschamps: ‘C'est la haute philosophie religieuse, revêtue des charmes de la prosodie savante et ciselée. C'est une oeuvre qui suffirait pour faire à l'auteur une réputation brillante et durable de poëte.’

De cette analyse, de cette appréciation bienveillante, mais juste, je rapprocherai celle qui se lit dans le rapport du jury de la cinquième période quinquennale des concours de littérature française, et je prendrai ensuite la liberté d'opposer à ce jugement des opinions tout aussi consciencieuses et non moins éclairées. Le rapporteur, M. Stecher, professeur à l'université de Liége, s'exprime ainsi qu'il suit dans son rapport du 13 mai 1868:

‘Si le poëte, réalisant un rêve de la jeunesse de Goethe, avait fait de ce Juif-Errant une incarnation plus vivante d'une expiation universelle, son oeuvre, dès lors moins fantastique, eût pu prendre plus nettement les allures qu'exige l'époppée. Au lieu de monologues où trop souvent tout l'art des vers, toute la séduction du style n'amènent qu'une émotion passagère, peut-être que des récits, des tableaux et des scènes réellement dramatiques auraient, par un pathétique plus profond, mieux incrusté la grande pensée du poëme. C'était, au surplus, trop embrasser pour bien étreindre:

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malgré le beau récit de la malédiction d'Ahasvérus, l'imposant épisode de la tempête et les éclairs de haute poésie qui illuminent l'écroulement de Rome, nous croyons que M. Van Hasselt eût gagné à réduire son sujet, à resserrer son cadre. Avec le coloris dont il dispose et l'harmonie dont il a le secret, il pouvait, en concentrant ses efforts, en doubler la féconde énergie. C'est ce qu'on remarque à la lecture du quatrième chant, celui de la Paix universelle; il y a là des inspirations les plus concrètes, les plus humaines et partant les plus heureuses. Le lyrisme, inévitable en cette conception, est devenu moins impalpable, moins abstrait, moins chimérique;

l'impression du bizarre fait moins de tort à l'impression du beau, et, s'il y a encore, par intervalle, d'étranges éblouissements, il s'y rencontre aussi une poésie qui déborde du coeur et de l'âme plutôt que de l'imagination.’

Que l'on veuille bien se mettre un moment à la place du poëte entendant apprécier de la sorte et condamner l'oeuvre de sa vie presque entière; aurat-on le courage de le blâmer d'avoir regimbé, épluché à son tour les écrits de son juge pour en faire ressortir les négligences? Van Hasselt fut outré de cette façon de rabaisser son poëme au niveau de conceptions vulgaires. Il chercha à s'en venger, s'imaginant qu'il était nécessaire de démontrer au public que son juge-rapporteur était moins bon

grammairien que lui.

Convenons que ce rapport prêtait à la critique: regretter que Van Hasselt, au lieu de rendre sa

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pensée, ne se soit point chargé de réaliser le rêve de la jeunesse de Goethe! Reprocher au poëte du

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siècle de n'avoir pas donné à son poëme les allures de l'épopée! - De quelle épopée? De celle d'Homère? de celle de Dante? de celle du Tasse? de celle de Milton? - Est-ce là de la critique sérieuse? Charles-André avait suffisamment prouvé qu'il connaissait les règles gratuitement imposées à ce genre de composition, et s'il ne s'y est point soumis, c'est qu'il avait pour cela ses raisons: le jury aurait pu prendre la peine de les chercher.

La critique belge se montra moins tranchante et plus équitable dans la plupart des organes de la presse.

Le Précurseur d'Anvers inséra, dans son numéro du 30 octobre 1873, un feuilleton qui fut remarqué, même à l'étranger. Le critique s'est donné la peine d'étudier l'oeuvre dont il rend compte et de pénétrer la pensée du poëte. Je citerai quelques fragments de ce jugement:

‘C'est bien la plume que nous connaissions déjà, aguerrie par l'âge; c'est la même pénétration, mais plus réfléchie et plus profonde, où l'enthousiasme ne plane jamais dans le vide, où le vers n'est pas une phrase mais une idée, la lyre du poëte vibrant sous les doigts du penseur.’

On se rappellera que l'on avait coutume de reprocher à Van Hasselt de faire de beaux vers sans idées. L'écrivain du Précurseur poursuit:

‘Nous n'étions pas sans concevoir quelque appréhension sur la manière dont le poëte tiendrait la promesse renfermée dans ce titre formidable:

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Les Quatre Incarnations du Christ. Que de barques téméraires se sont venues briser sur cet écueil... Jusqu'aujourd'hui, Klopstock seul, dans sa Messiade, a pu graver dignement au fronton de son édifice le nom de l'homme sublime, comme disait M.

de Voltaire. Quant au fond, la conception de l'oeuvre est toute chrétienne, dans le sens le plus large qu'on peut donner à ce mot. L'ouvrage est écrit avec la conviction d'un croyant, la foi véritable enrichie de l'imagination enthousiaste d'un poëte éminent.

Le poëme a cette saveur biblique, qui faisait l'admiration de Chateaubriand, unie à un ton moderne dans la versification, fondant ainsi habilement les beautés classiques avec les productions de la nouvelle école. La pensée philosophique est bien

développée, la poésie qu'on respire dans les quatre chants est toujours à la hauteur du sujet; le vers est grave et sonore, ou nerveux et souple suivant les situations, et le style, passant avec aisance du genre noble au genre gracieux, formant parfois, par de brusques changements, des antithèses de forme accompagnant admirablement celles de la pensée, est encore une des qualités sérieuses du poëme.’

Voilà pour l'ensemble de la composition; passant aux détails, le critique ajoute:

‘Le sentiment dramatique est parfaitement compris. Rien n'est plus beau que ces dialogues mystérieux que le poëte est censé avoir dans l'étendue de la création:

entrecoupés de récits et de chants, ils produisent un effet indescriptible sur l'âme.’

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Il s'est rencontré des aristarques qui ont condamné ce que l'auteur du feuilleton du Précurseur trouve si beau, les dialogues mystérieux que le poëte est censé ouïr dans l'étendue de la création. Faut-il les blâmer ou les plaindre?

Écoutons encore la conclusion du critique:

‘Le poëme est original, autant par l'idée que par la forme; c'est une épopée, mais c'est aussi un drame, on y rencontre des ballades comme des élégies, Si nous avions à déterminer sa place dans les créations des poëtes, il serait la transition du Tasse à Milton. C'est assez dire combien est grand le mérite de ce poëme, que la langue française verra briller désormais au rang de ses chefs-d'oeuvre.’

A peine ce feuilleton avait-il paru depuis quelques jours, que le rédacteur en chef du Précurseur recevait, du Havre, une lettre dans laquelle on lui demandait de vouloir bien donner les indications nécessaires à une personne qui désirait acquérir un exemplaire des Quatre Incarnations du Christ. La personne qui faisait cette demande était M. Robert Le Minihy, rédacteur en chef du Courrier du Havre. Il fut satisfait à son désir par l'envoi d'un exemplaire du poëme que Van Hasselt s'empressa d'offrir à ce curieux voisin. Celui-ci, en accusant la réception du livre, s'exprime en ces termes dans une première lettre du 17 novembre.

‘Après avoir lu en entier votre beau poëme des Quatre Incarnations du Christ, mon admiration du premier moment est demeurée et s'est encore accrue. Comme vous êtes puissant à côté de ces rimeurs éssouffles et époumonés? Quels ta-

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bleaux vous évoquez! et comme vous les peignez dignement! Vous avez, monsieur, fait une oeuvre qui demeurera et qui est impérissable.’

Et huit jours plus tard, il y revient.

‘Je m'occupe à vous lire et à vous relire constamment pour parler de vous comme il convient, à la prochaine séance de la Société Havraise des études diverses. L'étude que j'essaye sur votre oeuvre fera une brochure assez importante.’

Le 2 janvier suivant, Yan Hasselt reçut une nouvelle lettre du Havre; j'en extrais ce qui suit:

‘Comme je le désirais, et comme je m'y étais engagé, pour ma propre satisfaction et pour celle de l'excellente cause, qui m'est chère, de la vulgarisation d'une oeuvre sincère et bonne, je me suis appliqué à répandre, au Havre, la connaissance de votre beau poëme social. Durant trois séances consécutives, j'ai entretenu la Société Havraise des études diverses de votre oeuvre. Je l'ai analysée et j'en ai cité des fragments étendus. J'ai eu enfin le plaisir de voir mes collègues partager mon admiration à l'égard tant du fond que de la forme, et cette lettre a pour but de vous témoigner l'intérêt que chacun des membres de cette société a trouvé dans la lecture que je lui faisais des grands épisodes de votre livre.’

Ces suffrages consolaient un peu notre poëte de l'insuccès qu'il avait eu devant le jury de sa patrie. Ce n'étaient point d'ailleurs les seuls qui lui vinssent de l'autre côté de la frontière. Francis Wey, dès le mois d'avril 1863, lui avait écrit:

‘Le poëme des Quatre Incarnations, large-

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ment esquissé, est aussi vivant qu'ingénieux;’ et il avait ajouté: ‘C'est au nom de mes confrères aussi bien que pour moi que je vous félicite. Continuez avec confiance, monsieur, cette carrière de poëte où, servi par de solides études, vous pouvez, sans crainte ni timidité, demander à la nature ainsi qu'à votre propre fonds ce que la vocation et l'observation de la nature peuvent seules donner.’

Emile Deschamps lui avait aussi adressé ses félicitations en ces termes:

16 janvier 1868.

‘Cher excellent poëte,

‘Je viens de dévorer avidement votre beau volume et j'en savourerai bien souvent, à loisir, bien des pages qui sont le régal des esprits ouverts aux grandes émotions poétiques. - Vos Quatre Incarnations du Christ suffiraient pour une renommée brillante et durable de poëte. C'est la haute philosophie religieuse revêtue des charmes de la prosodie savante et ciselée. - C'est une oeuvre capitale et qui va grandir encore votre nom.’

Un journal qui, sous une forme badine, cache souvent un grand fond de bon sens et popularise des idées très-sérieuses, la Chronique, a consacré un article au poëme des Quatre Incarnations.

‘...Je ferme à l'instant un livre qui, éclos sur une terre moins marâtre que la nôtre, eût été un événement littéraire; un livre qui raconte en termes magnifiques les grandes étapes de l'humanité

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à travers les âges; un poëme inspiré, où l'on trouve à chaque page des vers comme ceux-ci:

Ils sont passés, les jours de haine et de colere!

Devant l'humanité s'ouvre une nouvelle ere.

Napoléon, Cyrus, Alexandre, César,

Le monde, qui tremblait quand passait votre char, Ne connaît plus vos noms ni votre gloire éteinte.

Votre pourpre, - ce sang des peuples, - est déteinte.

Le temps a balayé la trace de vos pas, Et dispersé l'écho du bruit de vos combats.

L'histoire, qui vous garde en ses mornes royaumes, Seule encor dans sa nuit voit errer vos fantômes.

Ses mains ont pour toujours, fléaux des nations, Rompu l'échelle d'or de vos ambitions.

Conquérants dont la mort déboucla les cuirasses, Le souffle du sépulcre a passé sur vos races.

De vos trônes, maudits des hommes et de Dieu, Le dernier mendiant a fait son dernier feu.

‘Ce sont là de très-beaux vers. Eh bien, si l'on excepte un petit groupe d'esprits cultivés, que l'indifférence ambiante n'a pas encore envahis, qui donc, en Belgique, connaît le poëme social publié sous ce titre: Les Quatre Incarnations du Christ, par M. André Van Hasselt?

‘Cependant, s'il est un écrivain dont le Parnasse belge peut s'enorgueillir, s'il est chez nous un poëte qui ait enfourché Pégase avec une élégance, une habileté, une sûreté auxquelles lapresse étrangère a maintes fois rendu hommage, c'est bien André Van Hasselt.

‘Tout le monde, sans doute, connait le nom de

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l'auteur du Livre des paraboles, mais combien lisent ses vers? combien se sont donné la peine de feuilleter les Nouveaux poëmes, les Études rhythmiques et tant d'autres Recueils dun vrai mérite?

‘Je parierais volontiers l'annuaire de notre observatoire contre l'Almanach de Mathieu Lansberg, que si le nom de Van Hasselt jouit en Belgique de quelque popularité, cette popularité, il la doit surtout aux épigrammes, aux quolibets dont on larde chez nous ceux qui vouent à l'élève de l'alexandrin des heures que tant d'autres consacrent à la culture du domino ou du billard.’

J'ai reservé pour le bouquet l'étude d'un poëte éminent qui, par son origine, par sa langue maternelle se rapproche le plus de Van Hasselt. M. Nolet de Brauwere Van Steeland, qui manie avec presque autant de facilité la langue française et la

néerlandaise, se trouve, par ses études, par les habitudes et le génie du peuple auquel il appartient, dans les meilleures conditions pour apprécier l'oeuvre du poëte

limbourgois. J'emprunterai donc quelques passages à l'article qu'il a donné à la Revue générale:

‘M. André Van Hasselt est véritablement poëte, poëte spiritualiste chrétien dans la plus large acception du mot. Quand on possède à un aussi haut degré le sentiment du vrai et du beau; quand on a, comme lui, surpris aux anciens le secret si difficile de forger et de ciseler le vers, de construire la strophe et de la varier à l'infini par l'originalité de la forme, touten ne s'écartant jamais des règles de

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l'art; quand on s'est, comme lui, toujours formé le goût à l'école des grands maîtres de l'antiquité on a le droit d'être rangé sous leur bannière, d'être jugé classique, fût-ce malgré soi... Nous le déclarons donc classique de la tête aux pieds. Aussi les puristes, qui tiennent autant aux beautés du fond qu'aux charmes de la forme, les hommes de goût qui patronnent une littérature de bon aloi, ceux-là, en un mot, et ils sont nombreux encore, qui unissent à la foi de leurs pères le culte du vrai et du beau, salueront l'apparition des Quatre Incarnations du Christ à l'égal d'une bonne fortune littéraire.’

Ayant donné, au commencement de ce chapitre, l'analyse du poëme, je ne produirai point ici celle de M. Nolet de Brauwere; le savant critique, après avoir exposé le plan de l'oeuvre, se livre à des considérations très-judicieuses et qu'il prend la peine de justifier:

‘Nous voici arrivé au terme de ce magnifique travail. Pour faire valoir à la fois la profondeur des pensées, l'ampleur de l'imagination, la variété des images et des formes, aussi bien que l'éclat du style qui ont présidé d'une manière constamment soutenue, sans la moindre défaillance, à la facture de cette oeuvre capitale, il eût fallu transcrire le poëme dans son entier. Nous n'avons pu donner qu'un faible aperçu de ces magnificences littéraires: assez toutefois pour que le public soit tenté d'égrener une à une les perles de ce riche écrin. Mais, après avoir sommairement indiqué la marche de cet immense itinéraire, de ces quatre grandes étapes de

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l'humanité chrétienne, il nous est resté un regret, un seul. Il sera partagé par tous ceux qui liront cette oeuvre magistrale: c'est que l'auteur n'ait point complété son travail en l'accompagnant ou plutôt en le faisant suivre d'une série de notes, élucidant un texte parfois obscur. Il est vrai que c'eût été doubler le volume de l'ouvrage; c'eût été refaire en partie l'histoire de l'humanité: car pour expliquer les sources si nombreuses que le poëte a consultées, les textes innombrables dont il s'est servi pour la partie historique ou hagiographique de son poëme, il y a telle page dont chaque ligne exige des éclaircissements longs et explicites. Ainsi, pour me borner à quelques exemples, pris au hasard, le texte des vers qui ouvrent la page 44,

Vous dormez par le coeur, vous dormez par l'esprit!

Pourtant qui d'entre vous s'appelle Jésus Christ?

se trouve dans le sermon prononcé par Pierre Chrysologue, dans lequel ce grand orateur chrétien fait allusion à l'invasion des barbares dans l'empire romain, invasion dont il fut contemporain. Il en est de même lorsque, à la page 137, la Paix s'adresse au poëte:

O disciple rêveur des hêtres et des chênes.

‘Ce vers, loin d'être une cheville, est tout simplement une allusion au discours prononcé par saint Bernard, lors du concile de Troyes, devant les chevaliers du Temple. Le saint abbé y dit qu'il n'a pas

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été suffisamment disciple des chênes et des hêtres, ou le disciple de la solitude. C'est ainsi encore que les deux premiers vers de la page 129:

Il faut que ce Tobie, atteint de cécité, Grâce a l'ίχθύς chrétien, retrouve la clarté,

sont lettres closes pour ceux qui n'y retrouvent pas le rapprochement symbolique entre le poisson qui a servi à guérir le vieux Tobie de la cécité dont il était atteint et le symbole du Christ, le poisson, ίχθύς, mot formédes lettres initiales des mots Ιησον ς Χριστ ς Θεον Υί ς Σωτ ρ. (Saint Augustin, de Civitate Dei, XVIII.)

‘Au bas de la page 44:

Et les siècles qu'à Rome assignaient les augures, Pour les douze vautours comptés par Romulus.

‘En effet, l'existence de douze siècles, assignée à Rome par les augures, fut

historiquement réalisée. Rome, fondée l'an 753 avant Jésus-Christ, cessa au iv

e

siècle de notre ère, sous Constantin le Grand, d'être la capitale de l'empire.

‘Page 56:

Au bruit de vos tambours aux sonnettes d'airain, ...

Comme au temps de Crassus, dont je garde la main.

‘Ces deux passages trouvent leur application

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dans Plutarque. (Vie de Crassus, chap. XXX et XLI.)

‘Page 54:

Et j'ai pourtant, - l'histoire a de pareils hasards, - Prêté trois empereurs au trône des Césars.

‘Allusion aux empereurs Trajan, Adrien et Théodose le Grand, nés tous trois dans la péninsule Ibérique.

‘Page 51:

Moi, le Nord qu'une brume éternelle enveloppe, Ventre d'où sont sortis les peuples de l'Europe.

‘Ces vers se rapportent à un passage de J

ORNANDÈS

, de Getorum, sive Gothorum, origine et rebus gestis, cap. IV: Ex hac igitur Scanzio insula quasi officina gentium, aut certè velut

VAGINA NATIONUM

, Gothi quondam memorantur egressi.

‘Page 53:

Pressez, mes tisserands, vos navettes actives.

‘Voyez T

REBELLIUS

P

OLLIO

. Callieni duo, cap. VI: Non sine

ATREBATICIS SAGIS

tuta respublica est? Puis encore, F

LAVIUS

V

OPISCUS

, Carinus, cap. XX: Donati sunt ab Atrebaticis birri petiti, etc.

‘On pourrait ainsi multiplier ces exemples à l'infini; il suffit d'en indiquer quelques vers pour

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justifier du désir de voir une deuxième édition complétée par une série de notes, qui feraient valoir plus encore, s'il se peut, les beautés dun poëme dont chaque vers a son intention et son but dans l'ensemble. Elles mettraient en niême temps au grand jour la profonde science du savant, les mérites de l'historien consciencieux, les connaissances variées et multiples de l'archéologue érudit, mais surtout, et avant tout, la foi ardente du chrétien qui domine dans toutes les parties de ce livre grandiose et inspira à la conviction profonde du poëte ces pages sublimes. En les parcourant, il n'est personne qui ne se dise: ‘Un souffle du génie a passé par là.’

Un écrivain qui signait ses articles de la lettre Y dans la Meuse, de Liége, appréciant le poëme des Quatre Incarnations au moment où il fut publié en entier, - février 1868, - reproche au poëte, - sa critique est d'ailleurs très-bienveillante, - de n'avoir pas proclamé que les progrès, la liberté, l'égalité, la fusion des peuples avaient été préparés par l'émancipation de la science plus encore que par l'influence des idées chrétiennes. Il regrettait que le poëte n'eût point donné une part plus large dans ce développement progressif aux grandes découvertes qui ont éclairé l'humanité depuis l'invention de l'imprimerie jusqu'à celle du télégraphe électrique. Ce reproche a un grand air de parenté avec celui que Baron, en 1859, adressait au poëme sur

l'établissement des chemins de fer; il se retrouve encore dans le rapport du jury des concours pour les prix quinquennaux. Le poëme de Van

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Hasselt se bornait à proclamer que le germe de cette liberté, de cette fraternité se trouve dans la doctrine du Christ; se croyant en droit d'attribuer le progrès social à l'Evangile, il incarne le Christ dans chacune des grandes étapes de la marche de l'humanité. C'est là précisément ce qui, avec le poëte, toujours en scène, constitue l'unité de l'oeuvre, de même que Virgile, Dante, Stace et Béatrix forment l'unité de la Divine comédie. Ce que demandaient à Van Hasselt les penseurs profonds, juges de son oeuvre, qui se croyaient de beaucoup en avance sur le poëte, c'était de faire le contre-pied de sa conception. Quelle est, en effet, la bonne nouvelle que le poëte prétend annoncer au monde? L'avénement de l'unité sociale par la paix résultant de la généralisation du principe chrétien; il reste en cela fidèle aux traditions et au génie de son pays; il réalise une pensée qu'un esprit dont on ne contestera pas l'indépendance et les lumières, que l'auteur d'Ahasvérus, Edgard Quinet, développe en quelques mots dans la préface de son Prométhée:

‘Après avoir été successivement théocratique, aristocratique, monarchique, si l'art se faisait aujourd'hui le précurseur de l'unité sociale; si l'artiste, fidèle toutefois aux traditions et au génie de son pays, étendait ces traditions et ce génie de telle sorte qu'ils devinssent l'expression non d'un homme, mais d'un peuple; non d'un peuple, mais de tous les contemporains; non d'un moment de l'histoire, mais de tous les âges de l'humanité, croit-on que cette carrière, ouverte, au reste, à nos

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descendants, fût stérile ou indigne d'occuper les loisirs d'un homme de nos jours

1

?’

Van Hasselt n'a pas cru que cela fût indigne de l'occuper et il a écrit ce beau poëme qui, en dépit des jaloux, demeurera une des gloires de la littérature nationale.

Un jeune écrivain belge, plein d'enthousiasme pour celui qu'il appelait son maître, écrivait, peu de jours après la mort du poëte, ces paroles que je me plais à rappeler paree qu'elles émanent d'un coeur reconnaissant et qu'elles ne sont pas moins vraies pour cela: ‘Il y avait deux hommes dans Van Hasselt, le poëte et le savant. Le savant et le poëte travaillaient ensemble aux Quatre Incarnations du Christ, un long poëme plein de souffle et qui soutient, sans fatiguer, le développement d'une grande idée philosophique poétiquement exprimée. ‘C'est, comme il le dit lui-même, l'exposé des phases successives de la genèse sociale, déterminées par la manifestation de l'esprit chrétien’ dans les grands événements de l'histoire jusqu'à la complète réalisation de la parole du Sauveur sur la terre. ‘Tout Van Hasselt est dans cette oeuvre si belle. C'est là qu'il faut le chercher tout entier et trouver lamesure de sa science énorme et de sa féconde imagination

2

.’

Le jeune écrivain qui a trace ces lignes savait que ‘pour réussir en Belgique il faut deux choses: avoir peu de talent et beaucoup d'audace et se

1 Edgar Quinet, préface de Prométhée, p.XLIX.

2 Ernest Van Elewyck, l'Art universel, 18 décembre 1874.

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mêler à des coteries. ‘Il comprenait donc mieux que personne pourquoi Van Hasselt ne jouissait point, dans son pays, d'une grande popularité.

Je reproduirai encore quelques appréciations venant de France et d'Allemagne.

Après avoir rendu compte, dans le numéro du Siècle, du 22 juin 1868, d'un recueil de vers de M. Amédée Marteau, intitulé: Espoirs et Souvenirs, M. Emile de la Bédollière s'exprime en ces termes:

‘Le livre d'Espoirs et Souvenirs est remarquable en ce que la manière de l'auteur tient le milieu entre l'école classique et l'école contemporaine. Celle-ci tend à rivaliser avec l'art du peintre, en peignant par les mots, selon le précepte d'Horace, et à se rapprocher de la musique par des combinaisons harmoniques. Nous citerons comme exemple un poëte belge, M. Van Hasselt, qui a composé, avec un soin rhythmique inconnu des vieux maîtres, non-seulement des stances, des odelettes, mais un long poëme, Les Quatre Incarnations du Christ, sorte d'apocalypse écrite d'un bout à l'autre dans le style dont voici un échantillon:

Dans le ciel, dont le dôme a les mcmts pour pilastres, O pâtres chaldéens, que vous disent les astres?

La nuit, livre étoilé de constellations.

A-t-elle un nouveau mot à dire aux nations?

Vous, familiers avec cette algebre éclatante, Pâtres, que lisez-vous, au seuil de votre tente, Sur ces pages d'azur, où chaque soir écrit Toutes ces lettres d'or dont vous savez l'esprit?

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‘Cette recherche de la mélodie dans la poésie a un inconvénient, c'est que les ciseleurs de strophes sont enclins à perdre de vue la pensée en courant après la sonorité. Ce n'est pas un reproche qu'on puisse adresser à M. Van Hasselt, qui se livre, dans ses Quatre Incarnations du Christ, aux plus hautes considérations, et dont les regards percent les profondeurs de l'avenir le plus lointain:

La grande paix est faite, et partout règne enfin La sainte égalité qui n'aura pas de fin.

Vieux temples des abus, vieilles lois lézardées, Vous tombez en ruine au souffle des idées.

Plus de princes, bergers qui mangent leurs moutons, De sceptre ni de crosse, avatars de bâtons,

De code à double sens, qui, toile d'araignée, Ne saisit que toi seule, ô mouche dédaignée, De rois, Nemrods, toujours armés de leur épieu, Qui se proclament fils de la grâce de Dieu, Hélas! comme si nous, vains néants qu'il tolère, O peuples, nous étions les fils de sa colère.

‘Comme M. Van Hasselt, M. Marteau s'attache au fond ainsi qu'à la forme.’

Après le suffrage d'un critique parisien, plaçons l'appréciation d'un esprit germanique. Le docteur Ludwig Wihl écrivait à Van Hasselt, le 2 avril 1872:

‘La lecture répétée de votre poëme épique n'a fait que grandir la première impression.

‘J'éprouve une joie réelle à pouvoir vous le dire par écrit. Votre poëme épique est une admirable

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création qui nous rappelle les gigantesques édifices du moyen âge ensevelis dans la poussière. Nous nous demandons devant vos oeuvres comment, dans notre siècle sceptique, il est possible de concevoir la résurrection d'un monde passé, et nous nous sentons pénétrés d'admiration et d'étonnement. Le sommet des tours de votre suMime construction s'élève bien au-dessus' de celles de notre époque. Combien les palais de taupe de notre temps doivent lui paraître petits et mesquins! Elle me paraît avoir été édifiée plutôt par des anges que par des hommes.’

On a vu plus haut l'impression profonde que produisit, sur l'élite de la population havraise, la lecture des Quatre Incarnations du Christ. Les intelligences méridionales ne furent, pas moins frappées de cette magnifique conception. Un écrivain belge, habitant Anvers, se trouva le confident de cette impression. Voici en quels termes il en rend compte à son ami Van Hasselt, sous la date du 23 octobre 1873:

‘Madame L...., de Bordeaux, en arrivant, il y a quelques jours à Anvers, est venue me dire que M. Edouard Delpit, poëte français dont quelques oeuvres dramatiques ont été jouées avec succés, a éprouvé un tel enthousiasme à la lecture de votre volume des Quatre Incarnations du Christ, que lui avait prêté M. L...., qu'il n'en a pas dormi, et que pendant plusieurs jours il est arrivé régulièrement chez madame L.... pour lui faire part de son

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impression, lui dire ses regrets de ne point connaître l'auteur. Il lui demande de lui procurer un exemplaire de l'ouvrage avec quelques lignes de votre main, afin qu'il ait l'occasion de vous écrire et de vous exprimer lui-même l'admiration qu'il éprouve pour ce grand poëme.’

Sensible à ce témoignage d'estime, Van Hasselt adressa à M. Edouard Delpit un exemplaire de son livre, l'accompagnant de quelques strophes qu'on retrouvera dans le volume des Mélanges. A mesure que les années s'accumulent sur sa tête, le poëte devient plus sensible au dédain dont son oeuvre est l'objet dans son pays. Il ne manque pas l'occasion d'exprimer son déplaisir, surtout lorsqu'il reçoit de l'étranger les témoignages les plus flatteurs. Les strophes à M. Edouard Delpit en sont un exemple, ainsi que son épître au chevalier von Mosenthal. Il n'y ménage point ses juges. Il doit avoir adressé quelque pièce du même genre à M. Robert Le Minihy, le rédacteur du Courrier du Havre, qui, dans une lettre du 8 novembre de la même année, s'efforce de consoler et d'encourager le poëte belge en ces termes:

‘La pièce que vous avez jointe, en épreuve, à votre lettre m'initie aux taquineries mesquines de quelques-uns: je vous suis également reconnaissant de cet envoi. Mais, si je puis vous dire quelques mots à ce sujet, ces critiques n'accueillentelles pas d'abord tout ouvrage vraiment bon? Et, suivant le mot d'un de nos contemporains, les

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grands arbres ne font-ils pas toujours de l'ombre? Cela est inévitable. Seulement, qu'importe? Les grammaires passent, la poésie reste, et si mavoix peut être entendue, comme je l'espère, dans le coin de France que j'habite, votre grand talent comptera plus d'amis qu'il n'a de détracteurs.’

Lorsque Van Hasselt donna la première édition complète de son épopée lyrique, il y avait près de vingt ans qu'il en avait fait paraltre le premier fragment dans le journal belge la Renaissance illustrée. On trouve, a la page 153 du tome XI de cette

publication, c'était en 1849, le début du chant des Croisades. Trois ans plus tard, le volume intitulé: Poésies d'André Van Hasselt, donnait deux fragments du même poëme, à savoir, le début du III

e

chant, les Croisades et celui du V

e

, la Paix universelle. Les Nouvelles Poésies, 1857, ont fait connaître le commencement du premier chant. Le recueil de poésies publié en 1862, sous le titre de: Poémes, paraboles, odes et études rhythmiques, ajoute quatre extraits à ceux déjà mis au jour, et le poëme entier n'a été publié qu'en 1867. Une deuxième édition en a été faite dans le format in-8

o

, en 1872 (la première était in-12), par le libraire Adolphe

Wesmael-Charlier, à Namur. L'auteur s'est borné, dans les préfaces de ses recueils et des deux éditions de son grand poëme, à peu de mots d'explication. Ils ont été reproduits au début de l'article cité plus haut de l'Office de publicité.

Dans la seconde édition, l'auteur s'est contenté

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de répéter ce qu'il avait dit dans la préface de la première, ajoutant seulement ces quelques mots:

‘A ces lignes l'auteur n'a rien à ajouter, si ce n est qu'il a revu son travail avec tout le soin dont la sympathie avec laquelle plusieurs esprits éminents ont bien voulu accueillir cet essai épique, lui faisait un devoir. Il en a retouché un grand nombre de vers et il y a restitué différents passages qui s'étaient, il ne sait comment, échappés du manuscrit primitif.’

La présente publication se fait sur le texte de la seconde édition.

L. A

LVIN

.

Bruxelles, le 20 novembre 1876.

N.B. Cette introduction est emprunté à l'ouvrage intitulé: André Van Hasselt, sa Vie et ses OEuvres, dont elle forme le VII

e

chapitre. L'introduction du volume des Études rhythmiques en est le VIII

e

.

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(29)

Les quatre incarnations du christ.

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Dédicace.

Au peintre N. De Keyser.

Quand le navire, prêt à quitter le rivage, A ses voiles au vent, ses matelots à bord, Et va s'aventurer sur l'Océan sauvage, Le nautonier regarde à l'horizon d'abord.

Il cherche si dans l'air rien n'annonce l'orage.

Puis il fait éclater mille cris de transport Et, se livrant au flot - ou peut-être au naufrage, - Salue, avec la voix de ses canons, le port.

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Aquilon maintenant peut souffler ou Zéphyre.

Il part en arborant, sur sa poupe qui vire, Son pavillon au bout de la hampe affermi.

Ainsi, prêt à céder à l'onde qui l'entraine, Ma frêle nef aussi déploie à sa misaine

Son drapeaa, rien qu'un nom, mais le tien, mon ami.

5 décembre 1867.

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Les quatre incarnations du christ.

Chant premier.

L'oeuvre du Sauveur.

Ecce agnus Dei, ecce qui tollit peccatum mundi.

Evang. sec. J

OANNEM

I, 29.

LE POËTE.

Seigneur, voici la nuit. Quand direz-vous a l'aube:

- ‘Monte, et verse la vie et la lumière au globe?’

Seigneur, voici la nuit. Quand direz-vous au jour:

- ‘Monte, et viens éclairer l'oeuvre de mon amour?’

Car le monde, ô Seigneur, a quitté votre route.

Il chemine à travers les ténèbres du doute Et cherche, en tatonnant dans son obscurité, De quel côté du ciel luira la vérite.

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L'homme, hélas! déviant des traces de Moïse, Ne sait plus lé chemin de la terre promise, Et ses pieds sont rentrés au désert des aïeux.

L'éclair du Sinaï s'est éteint dans ses yeux.

Des tables de la loi les lettres effacées

Ne lui traduisent plus, ô Seigneur, vos pensées.

Votre code oublié, qui nous le refera?

UNE VOIX.

Mon Christ avec son sang un jour le récrira.

LE POËTE.

Dans le ciel, dont le dôme a les monts pour pilastres, O pàtres chaldéens, que vous disent les astres?

La nuit, livre étoilé de constellations, A-t-elle un nouveau mot à dire aux nations?

Vous, familiers avec cette algèbre éclatante, Pâtres, que lisez-vous, au seuil de votre tente.

Sur ces pages d'azur, où chaque soir écrit Toutes ces lettres d'or dont vous savez l'esprit?

Vous, dont les yeux, d'Isis pénétrant tous les voiles.

Comprennent ce que dit la langue des étoiles, Que savez-vous du jour que Dieu nous a promis?

LES PATRES.

Quand il s'allumera, nous serons endormis.

LE POËTE.

Fleuves sacrés, ô Nil aimé des pyramides.

Qui vois l'ibis divin hanter tes bords humides;

Araxe, dont l'Abouz laisse en paix de ses flancs, Comme un guerrier blessé, couler les flots sanglants;

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Oxus, que profana le coursier d'Alexandre;

Euphrate, où tant de rois déchus ont vu descendre Leurs trônes tour à tour de leur base arrachés;

Gange, qui dans tes eaux laves tous les péchés Et verses sans relâche aux amphores des brames Tes ondes que Wishnou sillonna de ses rames:

Depuis quatre mille ans, fleuves mélodieux, Vous étanchez la soif des sages et des dieux.

Quel secret entendu sur vos rives antiques Murmurent à la nuit vos roseaux propliétiques?

Quels mots mystérieux chuchotez-vous tout bas?

LES FLEUVES.

Poëte, nous rêvons, mais nous ne parlons pas.

LE POËTE.

Sommets religieux, montagnes, promontoires, Caps devenus autels, rochers expiatoires, Ararat, où Noé de l'arche descendit,

Sauvant ce qui restait du genre humain maudit;

Himalaya, qui vois les choses inconnues Que l'azur éternel nous cache dans les nues;

Sinaï, que gravit Moïse avec sa foi Pour en descendre avec les tables de la loi;

Horeb, que Raphidim avec effroi contemple;

Liban, où Salomon prit les cèdres du temple;

Etna, qui sers de phare aux voiles des marins Et dardes vers les cieux tes éclairs souterrains;

Pinde, où montent les pieds des grands visionnaires;

Alpes, qu'incessamment sillonnent les tonnerres;

Caucase, où Promóthée a senti, deux mille ans, Les ongles des vautours lui tenailler les flancs;

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De l'oeuvre du Seigneur, vous témoins solitaires, Dites, que savez-vous, ô montagnes austères, Du Sauveur que la voix des siéoles nous prédit?

LE CAUCASE.

Moi seul, avec les yeux de mon hôte maudit, Moi seul, un soir, parmi le morne crépuscule, J'ai vu le Rédempteur. - N'était-ce pas Hercule?

LE POËTE.

O villes, autrefois ruches pleines de bruit, Mais que le soc du temps déracine et détruit;

Babylone, Palmyre, Ecbatane, ô ruines, Où les siècles obscurs entassent leurs bruines:

Ninive, dont le Tigre a baisé les remparts;

Memphis, qui vois tes murs crouler de toutes parts;

Thèbes, dont les grands spliinx aux mornes attitudes, Hôtes silencieux des vastes solitudes,

Ont toujours quelque énigme à poser aux déserts;

Karnak, qui dors couché dans tes longs roseaux verts;

Tyn, qui, couvrant les mers des voiles de tes flottes, A tous les points du globe envoyais tes pilotes, Que savez-vous du jour nouveau qui doit venir?

LES VILLES ANTIQUES.

Nous sommes le passé. Dieu seul sait l'avenir.

LE POËTE.

Grèce qui ne vis plus, Rome qui vis encore, De son lustre éternel la gloire vous décore.

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

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Votre orgueil jusqu'aux cieux a maçonné sa tour.

Vous avez dominé le monde tour à tour.

L'une ayant son génie, et l'autre, son épée, Tous les peuples liront votre double épopée, Dont les siècles avec leur immortel burin Gravent les chants rivaux sur leur livre d'airain.

Grèce, mère des dieux et mère des poëtes, Tu sais tous les secrets de leurs levres muettes.

Or, puisque ton oreille a retenu, dit-on, Ce que pensait Socrate et que rêvait Platon, A-t-elle aussi gardé quelque note étouffée Des hymnes de Linus et des rhythmes d'Orphée, Rhapsodes inspirés, Pindares inconnus,

Dont les noms jusqu'à nous à peine sont venus, Et qu'Homère, architecte illustre de sa gloire, Des grands blocs de ses vers bâtissant ton histoire, Absorba dans son nom, jour qui s'épanouit, Comme fait le soleil des astres della nuit?

Le vieux Trophonius que dit-il dans son antre?

Et Delphes dans sa grotte où nul profane n'entre?

Prophète végétal qui parlait autrefois, Le chêne de Dodone a-t-il perdu la voix?

Didyme comprend-il les strophes incertaines Que chante au vent du soir le flot de ses fontaines?

Et Samos entend-il encore sur ses monts

Les tonnerres d'Héré gronder quand nous dormons?

LA GRÈCE.

Mes oracles éteints, d'où l'esprit se retire, Se sont tous endormis, ne sachant plus que dire.

Ils gardent le silence, et j'interroge en vain Les bouches qui parlaient sur le trépied divin.

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

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LE POËTE.

Rome, pour mesurer la carte de la terre, Ta main n'a qu'à lâcher ton aigle militaire.

Rien qu'à ton nom, les rois tremblent dans leurs palais.

Ainsi qu'un oiseleur, tu tiens dans tes filets Toutes les nations, vassales de ton glaive.

Plus de pouvoir humain qui de toi ne relève, Et le monde a compris que tu tiens sous le ciel Une des royautés prédites par Daniel.

L'univers pour toi seule enfante ses largesses.

Les siècles à tes pieds entassent leurs sagesses.

Et sur ton Capitole, Olympe radieux, Ton génie éternel accueille tous les dieux.

Quand ils parlent entre eux, que disent-ils, ô Rome, Des temps où l'on verra le Verbe se faire homme, Et parmi les vivants apparaître celui

Dont l'image aux yeux seuls des prophètes a lui?

ROME.

Mon Olympe est muet. Mais demande à Virgile Dans quel mythe il a vu s'annoncer l'Évangile, Et si dans le Sauveur quelque jour je verrai Le symbole futur de Saturne et de Rhé.

Puis interroge encor la sibylle de Cume,

Dont l'esprit lumineux sous l'erreur, sombre écume, Voit couler ce flot pur qu'on nomme vérité,

Et discerne, à travers toute nuit, la clarté.

LE POËTE.

N'importe. L'heure est proche, et l'aube du Messie, L'aube du jour marqué dans toute prophétie,

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

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Est près de dévoiler ses rayons éclatants Et de réaliser les promesses des temps.

Quand le silenee a clos la bouche des oracles, Le Seigneur va parler par la voix des miracles Et se montrer au monde, ainsi qu'il est écrit, Vivant et sous les traits de son fils Jésus-Christ.

Il veut renouveler son pacte avec la terre Et complèter la loi que sur ta cime austère Il écrivit, autel où Moïse monta,

Sinaï, - marchepied du sombre Golgotha!

Bethléem, Bethléem, que de cités célèbres.

Où la nuit morne étend son manteau de ténèbres Et dont le souvenir, dans l'ombre enseveli, S'enfonce chaque jour plus avant dans l'oubli:

Capitales d'empire et tètes de royaumes,

Que couvrent aujourd'hui les sables on les chaumes Centres éblouissants, où de tous les humains, Ainsi qu'à leur vrai but, convergeaient les chemins;

Carrefours où venaient se rencontrer des races Dont l'histoire elle-même en vain cherche les traces;

Abreuvoirs dont les flots, depuis longtemps taris, D'âge en âge épandaient la sagesse aux esprits;

Vaste enchevêtrement de marbre et de porphyre;

Palais auxquels des monts entiers n'ont pu suffire;

Enceintes de granit aux immenses contours, Qui remplissaient les airs de dômes et de tours;

Citadelles d'airain où fourmillait naguère Un monde de soldats avec leurs chars de guerre Et qui, dans leurs remparts, comme en une prison, Enfermant le soleil de tout un horizon,

Entassaient dans les cieux leurs murs inabordables Et prolongeaient sans fin leurs lignes formidables;

Porteresses de gloire ou foyers de clarté, Si grands qu'on les croyait faits pour l'éternité!

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

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Pourtant que reste-t-il de leur splendeur passée?

L'une est un rève éteint, l'autre, une ombre effacée:

Ruines que la nuit remplit de ses sanglots, Le désert de son sable, et la mer de ses flots, Ou qui, débris obscurs d'édifices momies, Reposent, au lincel du néant endormies;

Ports détruits qui, le long de leurs môles déserts, Regardent l'algue en paix lisser ses cheveux verts;

Cadavres enfouis dans le limon des fleuves;

Villes mornes pleurant, le soir, comme des veuves;

Sépulcres écroulés, que parfois, en rêvant, On fouille, sans plus rien y trouver de vivant, Ou qui n'ont plus gardé de place sur la terre Et dont le nom lui-même est pour nous un mystère!

O Bethléem, mais tant qu'on verra dans les cieux Les chars des astres d'or rouler sur leurs essieux Et le soleil tracer, dans sa route première, Du soc de ses rayons ses sillons de lumière, Ton nom sera sacré, ton nom sera béni.

Les temps le rediront dans leur hymne infini.

Les bouches des petits et les lèvres des sages Se le répéteront à travers tous les âges;

Car, du monde chrétien vrai centre et vrai milieu, D'une étable tu vas faire un palais à Dieu!

Regavde, ô Bethléem! Que vois-tu dans la nue?

BETHLÉEM.

Je vois monter au ciel une étoile inconnue.

L'homme, depuis le jour de la création, N'a pas vu resplendir de constellation

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

(40)

Plus brillante parmi les lumières sans nombre Dont l'ange de la nuit jonche les champs de l'ombre.

Chemin de perles d'or, sables de diamant

Que le pied du Seigneur foule au bleu firmament.

LE POËTE.

Écoute, ô Bethléem! Qu'entends-tu dans la nue?

BETHLÉEM.

J'entends venir du ciel une voix inconnue.

Ni l'oiseau printanier qui, dans les bois ombreux, Égrene au vent des nuits ses rhythmes amoureux, Ni les psaumes, tissus de strophes merveilleuses, Qu'entonne au soir le choeur de mes brunes veilleuses, Ni les chants que mes luths soupirent quelquefois, O poëte, ne sont plus doux que cette voix.

CHOEUR DES ANGES.

O monde, préte-nous l'oreille; car nous sommes Toute la vérité.

Gloire à Dieu dans le ciel! Paix sur la terre aux hommes De bonne volonté!

Pour les peuples voici qu'à l'horizon se léve Le soleil inconnu.

La concorde et l'amour remplaceront le glaive;

Car le Christ est venu.

La promesse des temps enfin se réalise, Et Dieu reprend son tour.

Le Temple obscur s'écroule et fait place à l'Église, Comme la nuit au jour.

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(41)

Pour le monde, épuisé par trop de luttes vaines, Les portes vont s'ouvrir,

Les portes de la vie, où n'entrent point les haines, - Et la mort va mourir!

A Bethléem.

Ainsi chantait le choeur invisible des anges, Et, l'oreille attentive à ces strophes étranges,

Les pâtres, qui veillaient leurs troupeaux dans les champs, Se demandaient entre eux d'où venaient ces doux chants, Mais ne se doutaient pas, troupe de Dieu choisie, Qu'ils dussent les premiers saluer le Messie, Ni que le ciel fît luire aux humbles, ses élus, L'aube qu'on attendait, mais qu'on n'espérait plus.

C'est le roi du salut, bergers, qui vient de naître;

Et c'est vous qui deviez avant tous le connaître, Vous, premiers courtisans de cette royauté Qui vient reconquérir l'homme à l'éternité.

Il a pris pour palais une étable de chaume.

Or, les faibles étant les forts de son royaume, Entrez au sanctuaire obscur, mais fortuné, Où le promis des temps, le Sauveur nouveau-né, Vagit dans le berceau qu'il s'est fait d'une crèche, N'ayant pour oreiller qu'un peu de paille fraîche.

Car le vagissement de cet enfant vermeil Réveillera le monde entier de son sommeil.

Tous les morts l'entendront dans leur sépulcre sombre, Et les vivants plus morts que les hòtés de l'ombre.

Sur leurs trônes sanglants les rois l'écouteront, Et les autels usés des faux dieux trembleront.

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

(42)

Ce que les voix d'en haut vous ont dit, fils des chaumes, Les royaumes le vont redisant aux royaumes.

Les étoiles du ciel le savent. Les déserts

L'apprennent aux vautours qui traversent les airs.

La fleur des champs en parle aux fleurs des hautes cimes.

L'Océan réjoui l'entend dans ses abîmes,

Et les fleuves, roulant aux mers leurs grandes eaux, S'entretiennent du Christ avec leurs longs roseaux.

Dans l'idiome obscur dont se servent les bouehes Des antres conversant avec les monts farouches, Dans le bruit des forêts, dans le bruit des torrents Et des vents, ces chasseurs des nuages errants, Toute langue répéte ou chante ou balbutie Le nom de l'Oint de Dieu, c'est-à-dire Messie.

Car la nature entière a compris l'inconnu, Et senti que le jour du salut est venu:

Aube des temps nouveaux, promis à nos ancêtres Et que nîraient en vain les docteurs et les prêtres, Pharisiens qui n'ont, par les yeux de leurs clercs, Jamais sondé l'esprit des textes les plus clairs.

Les voix

LA NUIT.

Tracez votre aire au ciel, ô bâtons des augures, Et dites ce qu'on voit sous mes voùtes obscures.

LES DEVINS.

De l'Orient voici venir vers Israël

Un astre que jamais on n'a vu dans le ciel.

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

(43)

L'ÉTOILE DE BETHLÉEM. Mages, où vont vos pas?

LES MAGES.

Nous allons reconnaître,

Dans son berceau, l'enfant divin qui vient de naître.

L'Orient par nos mains lui porte ses présents.

GASPAR.

Moi, j'ai la myrrhe.

MELCHIOR. Et moi, j'ai l'or.

BALTHAZAR.

Et moi, l'encens.

LES ROIS.

Il est le Roi des rois.

LES BERGERS.

Et le pasteur des hommes.

Le pré de son troupeau, c'est la terre où nous sommes.

LES TEMPLES PAÏENS.

Pour lui faire un cortége immense et radieux, Nous voulons lui prêter le peuple de nos dieux.

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

(44)

L'ÉGLISE FUTURE.

Taillés par les sculpteurs, ooulés par les ortevres, La vue à leurs yeux manque et la voix à leurs lèvres.

Ce peuple aveugle et sourd, fait de marbre ou d'airain, Peut-il entendre ou voir le maître souverain?

UN ROCHER DE SYÈNE.

Pour bâtir son palais, j'ai des blocs de porphyre.

LA TERRE.

A son palais le monde entier ne peut suffire.

BABYLONE.

Je forgerai son sceptre orné de diamants.

UN MARAIS.

Son sceptre croît parmi mes longs roseaux dormants.

DAMAS.

De son glaive royal, en ma forge bruyante, Mes mains aiguiseront la lame flamboyante.

LES PROPHÈTES.

Pour dominer le monde et pour vaincre l'enfer, Sa parole suffit et vaut mieux que le fer.

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

(45)

ECBATANE ET SUSE.

Pour daller sa demeure aux salles spacieuses, Nous avons des monceaux de pierres précieuses.

LA HARPE DE DAVID.

Mieux que dans un palais bâti d'or et d'azur, Il aime à séjourner dans un coeur droit et pur.

THÈBES.

J'ai cent griffons taillés en marbre vert et jaune;

Ils iront s'accroupir aux marches de son trône.

L'AVENIR.

Ton peuple de griffons, garde-le. Ce seront Les siècles devant lui qui se prosterneront,

PERSÉPOLIS.

Son trône sera fait d'onyx aux veines blanches.

UN ARBRE.

Moi, je le lui ferai d'une croix à deux branches.

MEMPHIS.

Allons, mes argentiers, combien faut-il encor De temps pour ciseler son diadéme d'or?

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

(46)

UN BUISSON.

Moi, je tresse déjà sa couronne d'épines.

TYR.

Pour teindre sa tunique aux royales crépines, Mes cuviers sont remplis de pourpre éblouissant.

LE GOLGOTHA.

Et moi, je lui ferai sa pourpre de son sang.

LES COTEAUX D'ENGADDI.

Nos vignes, pour remplir les coupes de sa table, Garderont le trésor de leur jus délectable, Et nos grappes seront plus douces que le miel.

L'ÉPONGE DU CALVAIRE.

Son breuvage sera fait d'absinthe et de fiel.

CHÉOPS.

Vers mon Nil paternel si, mort, il veut descendre, Ma grande pyramide accueillera sa cendre;

Memnon lui chantera son cantique de deuil, Et tous mes sphinx feront cortége à son cercueil.

LE SÉPULCRE DE JOSEPH D'ARIMATHIE. Pyramides que l'homme éleva dans l'espace, Écueils que bat le flot du simoun quand il passé,

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

(47)

Tombeaux qui rassemblez, depuis plus de mille ans, Des générations de princes dans vos flancs,

Cavernes de lions couronnés et d'hyènes, Antres des Sésostris et des races anciennes, Monuments qui dressez vos sommets au ciel bleu, Vous êtes trop étroits pour contenir un Dieu!

LE POËTE.

Donc le Messie est né qu'entrevit l'oeil des sages, Comme un astre attendu, dans la brume des âges, Aube des temps meilleurs que nous avions rêvés.

Car il fallait un Dieu pour vider l'ossuaire Où le Lazare humain dormait dans son suaire.

Et pour crier aux morts: ‘Levez-vous et vivez!’

Seigneur, ta créature en ses routes funèbres, Loin des sentiers du ciel, marchait dans les ténèbres Elle allait tâtonnant sans trouver son chemin;

Et, l'oreille fermée à toute prophétie,

Nul ne se demandait quand le jour du Messie S'allumerait aux cieux, dans mille ans ou demain.

Dans la foule des dieux dont l'Olympe s'encombre, L'homme ne voyait plus rayonner ta grande ombre Ni ton nom, ce soleil vivant qui resplendit.

Il ne respirait plus que le doute et les haines, A la glèbe du mal rivé par mille chaînes, Ainsi que Prométhée au Caucase maudit.

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

(48)

L'éternité pour lui n'était qu'un mot sonore.

Qu'un sommeil sans réveil, qu'une nuit sans aurore;

L'âme, rien qu'un esprit fait pour servir les sens.

Et dans les coeurs, pareils aux landes infertiles, Tous les vices grouillaient, ces sinistres reptiles, Toutes les passions, ces monstres rugissants.

La nef des nations allait à la dérive.

Comme un vaisseau perdu qui cherche en vain la rive Où le phare sauveur lui doit montrer le port.

Du Sinaï muet les échos centenaires

Avaient depuis longtemps oublié tes tonnerres.

Dans la mort tous les yeux ne voyaient que la mort.

Mais nous sommes au bout du désert où chemine L'humanité qu'enfin ton aurore illumine.

Au puits de vérité sa soif va s'étancher.

L'homme est près de sortir de ses sentiers arides, Ou de trouver, au moins, dans les sables torrides, Sous les palmiers d'Horeb, l'eau vive du rocher.

Car le Christ c'est l'amour, et le Christ c'est la vie.

Vers le but dont parfois notre marche dévie Il est le vrai sentier, il est le droit chemin.

Il est la vérité, le fanal, la lumière, Le foyer du palais, l'àtre de la chaumière, Le refuge vivant de tout le genre humain;

La demeure éternelle où le ciel réalise Le Temple, ce symbole incomplet de l'Église;

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

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Le toit du voyageur, le baume qui guérit, L'abri toujours ouvert, la bouche qui console.

L'ancre d'or du salut, l'étoile et la boussole De tous les naufragés du coeur et de l'esprit!

Dieu fait homme pour mieux te faire entendre aux hommes, Va maintenant, ô Christ, sur la terre où nous sommes Préparer le froment de toute vérité,

Et forge-nous la clé de ton éternité.

Au milieu des docteurs, dont l'âme te contemple, Confonds, enfant encor, la sagesse du Temple.

Puis, dans ton saint silence enferme-toi, rêvant Au langage sacré qui parle dans le vent, Et concertant, ô Maître, avec la solitude Le plan médiateur dont tu fais ton étude.

Dans l'âpre Sahara, domaine des typhons, Rassemble pas à pas tous ces versets profonds Que trace le désert sur ses pages de sable Et dont seul tu comprends le texte insaisissable.

Dans le livre éternel des vallons et des champs, Où la nature écrit ses emblèmes touchants, O moissonneur divin, récolte ces symboles Que tu ressèmeras plus tard en paraboles Dans le coeur fécondé des générations, - Comme le laboureur dans le lit des sillons Jette la graine, espoir de sa moisson future, - Et dont tout l'avenir fora sa nourriture.

Puis, sur les pas de Jean, ton précurseur humain, Dans la foule apparais, ta lumière à la main.

Esprit que tout l'esprit de ton Père accompagne, Gravissant le trépied du désert, la montagne,

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

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Instruis la multitude attentive à ta voix, Femmes, enfants, vieillards, accourus à la fois Pour entendre ta bouche, où le ciel se révèle, Annoncer le matin de la Bonne Nouvelle Et l'accomplissement de tout ce qu'a promis Le passé prophétique aux peuples endormis.

Fais entrer dans la nuit de toutes les prunelles Le jour des vérités, ces splendeurs éternelles.

Ressuscite l'amour au fond de tous les coeurs.

Éclaire leurs sentiers pleins de doutes moqueurs.

Explique-leur le sens de cette vie obscure, De la vie éternelle incomplète figure.

Des chaînes du péché brise tous les anneaux.

Au bord de tout abîme allume tes fanaux.

Ouvre, pour l'introduire en ton royaume immense, A tout le genre humain les bras de ta clémence.

Fais tomber, en passant, de leur vieux piédestal Le mensonge des dieux de marbre ou de métal, Et dans le noir chaos des âmes apparaître La lumière qu'enfin le siècle doit connaître.

Que s'il reste des coeurs par l'erreur endurcis, Qu des yeux par la nuit du vieux monde obscurcis, Aux peuples dont l'oreille est fermée aux oracles, Parle, ô Maître divin, la langue des miracles.

Guéris, en les touchant simplement de tes mains, Les infirmes couchés au bord de tes chemins.

Rends aux muets la voix et rends aux sourds l'ouïe.

Rouvre à l'aveugle obscur sa prunelle éblouie, Et fais sortir vivant Lazare, ton ami,

De la tombe où sa chair quatre jours a dormi, Symbole universel de la race des hommes

Que ta mam doit tirer du sépulcre où nous sommes, Pour la conduire un jour dans la sainte cité

Que le ciel a construite en son éternité.

André van Hasselt, Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4

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