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Une étude de l’accueil des femmes impressionnistes par des critiques d’art du dix-neuvième siècle

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Une étude de l’accueil des femmes impressionnistes

par des critiques d’art du dix-neuvième siècle

Berthe Morisot, Mary Cassatt, Eva Gonzalès, Marie Bracquemond

Masterscriptie Naam : M.S. Polman

(2)

1

Table des matières

1. Introduction

p. 2

2. Le cadre sociohistorique

p. 6

2.1 Du sublime au ridicule il n’y a qu’un pas : l’image de l’artiste à la fin du

dix-neuvième siècle p. 6

2.2 L’image de la femme à la fin du dix-neuvième siècle p. 11 2.3 La position de l’artiste féminin à la fin du dix-neuvième siècle p. 12 2.4 Les biographies des femmes-peintres impressionnistes : Berthe Morisot,

Mary Cassatt, Eva Gonzalès, Marie Bracquemond p. 15 2.4.1 Les femmes-peintres impressionnistes : Berthe Morisot (1841-1895) p. 15 2.4.2 Les femmes-peintres impressionnistes : Mary Cassatt (1844-1926) p. 18 2.4.3 Les femmes-peintres impressionnistes : Eva Gonzalès (1849-1883) p. 20 2.4.4 Les femmes-peintres impressionnistes : Marie Bracquemond

(1840-1916) p. 21

2.5 L’art et gender : l’image actuelle de l’accueil contemporain des

femmes-impressionnistes comme illustrée par Higonnet, Garb et Pfeiffer p. 23

3. Analyse

p. 29

3.1 Les sujets principaux discutés dans les critiques

la lumière, la palette, le dessin p. 29

3.2 Les techniques picturales

l‟achèvement, l‟exécution et l‟expression, la perception p. 34 3.3 Les éléments linguistiques

les phrases longues et les adjectifs, les comparaisons et les oppositions, le vocabulaire référant à la théorie des tempéraments et le vocabulaire

„féminin‟ p. 42

3.3.1 Le changement du style : les phrases longues et les adjectifs p. 43 3.3.2 Les comparaisons et les oppositions p. 44 3.3.3 Le vocabulaire référant à la théorie des tempéraments p. 45

3.3.4 Le vocabulaire „féminin‟ p. 51

3.4 Marie Bracquemond p. 56

3.5 Eva Gonzalès p. 57

4.

Conclusion

p. 60

(3)

2

1. Introduction

Les impressionnistes féminins sont relativement inconnus chez le grand public si on les compare aux grands maîtres de l’impressionnisme comme Monet, Renoir ou Degas. L’objectif principal de cette recherche est d’examiner si ce décalage est le résultat d’une question de gender : est-ce que les œuvres d’art de ces femmes-peintres ont été accueillies d’une autre manière que celles des artistes masculins à cause du fait qu’elles étaient des femmes ? Au moyen de la technique du close reading, cette étude comparative cherche à esquisser une image de l’accueil des impressionnistes masculins et féminins par les critiques contemporains. En reliant cette image au cadre sociohistorique contemporain, qui sera présenté dans le chapitre suivant de ce mémoire, l’analyse propose d’expliquer cette image dans le cadre des idées caractéristiques de la fin du dix-neuvième siècle à propos de la femme, de l’artiste, et de l’artiste féminin, et de répondre à la question s’il faut chercher l’explication de l’ignorance relative des impressionnistes féminins dans le domaine du gender.

À cause des limitations matérielles, cette recherche se borne aux critiques à propos de l’impressionnisme réunies dans Les écrivains devant l‟impressionnisme de Denys Riout (1989). S’il existe différentes publications qui traitent du sujet en citant des extraits des critiques1, il est pourtant difficile de trouver des articles de presse in extenso de la fin du dix-neuvième siècle au sujet des expositions impressionnistes. Le recueil de Riout, contenant presque cinquante critiques entières, forme alors un point de départ extrêmement utile dans le cadre de cette étude, même s’il faut réaliser qu’il s’agit d’une sélection. Dans l’introduction de son œuvre, Riout dit à ce sujet : « Bien entendu, ces critères n‟ont qu‟une rigueur toute relative et traduisent une part d‟arbitraire. (..) Mais il s‟agissait moins de présenter un dossier exhaustif que d‟organiser un ensemble significatif »2

. Riout est donc conscient du fait que les textes réunis n’offrent pas un panorama complet dont on peut tirer des conclusions incontestables à propos de l’accueil contemporain de l’art impressionniste. Il s’agit d’une sélection de critiques qui, en plus, ont étés écrites par des écrivains qui souvent étaient liés d’amitié avec les artistes – il en résulte que les critiques négatives sont sous-représentées. Il en est de même pour notre recherche. Nous insistons sur le fait qu’il s’agit d’une analyse qui ne peut pas être considérée comme objective. Le nombre des critiques contemporaines disponibles est donc limité, et il n’existe pas (encore) de méthodes scientifiques pour les analyser. Nous nous rendons compte du fait que notre méthode de recherche est subjective et qu’il est impossible de tirer des conclusions indubitables des résultats présentés. Mais

1

Par exemple: LETHÈVE, Jacques, Impressionnistes et symbolistes devant la presse, Paris: Armand Colin, 1959.

2

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3 comme Riout l’a dit aussi, « il s‟agi[t] moins de présenter un dossier exhaustif que d‟organiser un ensemble significatif ».

Par cet ensemble significatif, ce mémoire répond à la question principale de façon la plus objective possible. Dans cette étude, nous prêterons aussi attention aux publications (relativement) récentes de Anne Higonnet (1994), Tamar Garb (1990) et Ingrid Pfeiffer (2008) sur l’accueil contemporain des femmes-peintres. Malgré le fait que l’article « Why Have There Been No Great Women Artists ? » date de 1973, Linda Nochlin y fait une observation avertisseuse qui, à notre sens, est encore très actuelle :

La portée et la sophistication des suppositions par rapport à la question ‘Pourquoi il n’y avait pas de grands artistes féminins ?’ divergent. Ils varient des démonstrations ‘scientifiquement’ prouvées montrant l’incompétence des êtres humains ayant un utérus au lieu d’un pénis de créer quoi que ce soit de significatif, à de l’étonnement relativement ‘open-minded’ en ce qui concerne la raison pour laquelle la femme, malgré tant d’années de presque égalité, n’a pas encore réussie à réaliser quelque chose de valeur au niveau des beaux-arts. La première réaction des féministes est de mordre à l’hameçon et de chercher à répondre à la question (..) en donnant des exemples des artistes féminins insuffisamment appréciés à travers l’histoire (..). Malheureusement, si de telles tentatives (..), en contribuant à notre connaissance des performances des femmes et de l’histoire de l’art en général (..), valent le coup, elles ne s’attaquent pas vraiment à la question ‘Pourquoi il n’y avait pas de grands artistes féminins ?’ ; au contraire, en cherchant à y répondre, et en y répondant de façon inadéquate, elles ne renforcent que ses implications négatives3.

Tout étant conscient de cette observation de Nochlin, l’importance de ce mémoire est à rechercher dans la tentative de faire une étude comparative de façon la plus objective possible de l’accueil des impressionnistes masculins et féminins par les critiques contemporains. Nous prêterons attention aux analogies et aux différences entre les résultats de notre analyse et les résultats présentés dans les articles de Higonnet, Garb et Pfeiffer, pour examiner si elles se sont échappées au danger de la recherche ‘féministe’ comme présenté par Nochlin en mettant l’accent sur l’accueil des femmes-peintres.

Dans Les écrivains devant l‟impressionnisme, Morisot est discutée par quinze critiques, neuf parlent de Cassatt, Bracquemond est citée trois fois et deux critiques mentionnent

3

NOCHLIN, Linda, Why Have There Been No Great Women Artists ? », dans : HESS, Thomas B., BAKER, Elizabeth C., Art and Sexual Politics: women‟s liberation, women artists, and art history, New York: Collier Books /

Londres: Collier Macmillan, 1973, pp. 2-3: « The assumptions lying behind the question “Why Have There Been

No Great Women Artists?” are varied in range and sophistication. They run from “scientifically” proven

demonstrations of the inability of human beings with wombs rather than penises to create anything significant, to relatively open-minded wonderment that women, despite so many years of near equality, have still not achieved anything of major significance in the visual arts.

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4 Gonzalès. Les neuf critiques qui citent Cassatt, traitent Morisot aussi dans le même article. De ces neuf critiques, un seul porte un jugement négatif sur l’exposition impressionniste, quatre la jugent positivement. Les jugements des quatre autres sont un compromis entre, d’une part, de l’appréciation et, d’autre part, des remarques parfois très critiques – nous parlerons dans ce cas de jugements ‘nuancés’.4

Pour avoir un nombre égal de textes négatifs, des articles positifs et des critiques nuancées citant ces deux femmes, nous avons à chaque fois sélectionné deux critiques par jugement, en ajoutant un article négatif au corpus. Cette critique négative, écrite par Albert Wolff, a été publiée sur la première page du journal Le Figaro du 10 avril 1881. Le choix des textes positifs et nuancés est fondé sur ceux dans lesquels Morisot et Cassatt sont discutées de façon la plus ample. Quant à Bracquemond et Gonzalès, l’ouvrage de Riout ne nous offre que cinq critiques au total. Pour garder assez de textes pour en pouvoir tirer des conclusions significatives en ayant un partage égal entre des critiques traitant l’une ou l’autre, nous avons sélectionné deux articles citant Bracquemond et aussi deux mentionnant Gonzalès, quel que soit le jugement général de l’auteur à propos de l’exposition. Le choix des textes traitant Bracquemond est fondé sur des raisons pratiques : nous avons fait abstraction d’une très longue critique référant seulement en passant à l’artiste, présentant un jugement comparable à celui des autres deux critiques. Cette sélection aboutit au corpus suivant :

- Critiques négatives à propos des expositions impressionnistes, citant Mary Cassatt et Berthe Morisot :

o Jules Claretie (1840-1913), Le Temps, 5 avril 1881, p. 3 o Albert Wolff (1835-1891), Le Figaro, 10 avril 1881, p. 1

- Critiques positives à propos des expositions impressionnistes, citant Mary Cassatt et Berthe Morisot :

o Charles Ephrussi (1849-1905), Chronique des arts et de la curiosité. Supplément à la Gazette des Beaux-Arts les 16 et 23 avril 1881, respectivement pp. 126-127 et 134-135

o Joris-Karl Huysmans (1848-1907), L‟art moderne, Paris, Charpentier, 1883, pp. 225-257

- Critiques nuancées à propos des expositions impressionnistes, citant Mary Cassatt et Berthe Morisot :

o Paul Adam (1862-1920), La Revue contemporaine, avril 1886, pp. 541-551 o Félix Fénéon (1861-1944), La Vogue, 13-20 juin 1886, pp. 261-275

- Critiques à propos des expositions impressionnistes, citant Marie Bracquemond : o Paul Adam (1862-1920), La Revue contemporaine, avril 1886, pp. 541-551 o Félix Fénéon (1861-1944), La Vogue, 13-20 juin 1886, pp. 261-275

4 Nous avons donc fait une sélection fondée sur le jugement général des critiques à propos de l’impressionnisme,

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5 - Critiques à propos des expositions impressionnistes, citant Eva Gonzalès :

o Ernest Chesneau (1833-1890), Paris-Journal, 7 mai 1874, p. 2

o Stéphane Mallarmé (1843-1898), The Art Monthly Review, Londres, 30 septembre 1876

En étudiant ce corpus, nous avons catégorisé les éléments principaux présents dans les critiques, en sorte qu’il est possible de les analyser. Ces catégories permettent de présenter point par point tant les éléments les plus importants sur lesquels les artistes sont jugés par les critiques, que les caractéristiques les plus intéressantes des textes. Il s’agit de trois catégories, présentées dans l’analyse en trois sections, traitant successivement les sujets principaux discutés dans les articles (la lumière, la palette, le dessin), les remarques des critiques à propos de la technique de l’art impressionniste (l’achèvement, l’exécution et l’expression, la perception de l’artiste) et les caractéristiques linguistiques des textes (la longueur des phrases, la quantité des adjectifs, les comparaisons et les oppositions, le vocabulaire). En référant aussi bien implicitement qu’explicitement à la littérature secondaire présentée dans le cadre sociohistorique, nous tenterons d’expliquer les (caractéristiques linguistiques des) jugements des critiques pour pouvoir répondre à la question principale de ce mémoire.

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6

2. Le cadre sociohistorique

2.1 Du sublime au ridicule il n’y a qu’un pas : l’image de l’artiste à la fin du dix-neuvième siècle

(..) tous les artistes et les grands penseurs sont des neurasthéniques, et c’est vieux comme le monde que le génie, le sens artistique est et restera toujours un état du système nerveux du mécanisme du corps humain, que la terminologie pathologique appelle ‘anormal’, c’est-à-dire : déviant de la norme, et ressemblant aux états qu’on trouve chez les ‘fous’ et les ‘criminels’.5

Au dix-neuvième siècle, les sciences se développent à vive allure, et on cherche à donner des preuves scientifiques de différentes théories anciennes. Cela vaut aussi pour une théorie d’origine classique qui a une influence importante sur l’image de l’artiste à la fin du dix-neuvième siècle : la théorie des humeurs ou des tempéraments (Kemperink, 2009 : 8).

Dans Literatuur en temperament, Maarten van Buuren (1989) traite la genèse de cette théorie. Dès le cinquième siècle av. J.-C., Hippocrate posait que le corps humain était composé de quatre humeurs : le sang, la bile jaune, le flegme et la bile noire. Le médecin romain Claude Galien associait ces humeurs avec les qualités froid, chaud, sec et humide. Il liait chaque humeur à une combinaison de deux qualités, voir figure 1 :

Fig. 1

D’après Galien, il était possible de déduire le tempérament de l’homme de l’humeur ou des qualités qui dominaient sa constitution. L’homme pouvait avoir un tempérament sanguin (le sang, chaud et humide), un tempérament bilieux (la bile jaune, chaud et sec), un

5

DEYSSEL, L. van, « Literatuur-fyziologie », dans : L. van Deyssel : verzamelde opstellen, Amsterdam, 1894, p. 244, cité d’après : KEMPERINK, Mary G., Van profeet tot patient : visies op kunstenaarschap in de negentiende

eeuw, inaugurele rede uitgesproken op 12 mei 2009 bij de aanvaarding van het ambt van hoogleraar in het

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7 tempérament flegmatique (le flegme, froid et humide), ou un tempérament mélancolique (la bile noire, froid et sec).

Galien estimait que la composition d’un tempérament pouvait changer sous l’influence de par exemple le milieu, l’âge et la saison. Au Moyen Age, par contre, l’idée est née que le tempérament serait invariable : sur la base de l’humeur dominant, chaque homme pourrait être classé dans une certaine catégorie de tempérament fixe. Plus tard, vers 1800, on a mis en doute la supposition qu’un tempérament invariable pourrait être fondé sur des humeurs variables ; d’après van Buuren, c’étaient surtout les médecins français, comme Xavier Bichat (1801, 1805, Van Buuren, 1989 : 7-8), qui ont posé qu’il devait être un rapport entre le tempérament (invariable) et les organes, les parties fixes du corps humain. À propos du corps, Bichat a fait une différence entre la forme basse (la vie organique) et la forme haute (la vie animale). La première comprend tous les éléments qui sont essentiels au fonctionnement des organes : la respiration, la digestion, la circulation sanguine. La forme haute ou la vie animale fait partie du système nerveux et est responsable du contact avec le monde extérieur. Par les fonctions sensorielles (les sensations passives), les fonctions cérébrales (la perception, la compréhension et la volonté), et les fonctions moteurs (l’action active), l’homme est capable de réagir à ce qui se passe autour de lui : il perçoit, il comprend, et par la volonté et la locomotion, il peut agir, réagir. Ensuite c’était Pierre Jean-Georges Cabanis (1802, Van Buuren, 1989 : 8-9) qui, par ces formes de vie, a mis en rapport les organes avec six tempéraments : il a fait relever le tempérament sanguin, bilieux, mélancolique et flegmatique de la forme de vie organique, et à la forme animale, il a accordé le tempérament nerveux et le tempérament musculaire. Selon Cabanis, il ne s’agissait alors pas d’humeurs, mais d’un organe qui dominait la constitution de l’homme. De cet organe, il était possible de déduire non seulement d’autres caractéristiques physiques mais aussi des caractéristiques psychologiques.

Au cours du dix-neuvième siècle, l’idée persistait qu’il y avait un rapport avec les organes, mais on retournait aux quatre tempéraments. C’étaient les tempéraments sanguin, bilieux et flegmatique et le tempérament atrabilaire ou nerveux.6 Dans l’article « Medische theorieën in de Nederlandse naturalistische roman », Mary Kemperink (1993, 124-126) présente les caractéristiques attribuées aux tempéraments comme décrites dans les études scientifiques du dix-neuvième siècle de par exemple Ribot (1873), Fouillée (1895) ou Letourneau (1878): l’homme du tempérament sanguin a un cœur sain et un réseau de vaisseaux sanguins valide. Il est généralement en bonne santé. Il a un teint rouge à cause de son sang riche d’oxygène et de globules rouges. En plus il a les yeux bleus, les cheveux

6

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8 clairs et la peau blanche. L’homme de ce tempérament est replet et musclé et se caractérise par une nuque courte et grosse et par un grand nez. À un âge avancé, il est sensible aux maladies de cœur et à l’hémorragie cérébrale, et comme il a un joli coup de fourchette, à l’obésité aussi. C’est un type insouciant qui vit au jour le jour. Il se concentre sur le présent, sur le plaisir physique et matériel. C’est quelqu’un qui se caractérise par des changements d’humeur, pourtant il ne connaît pas d’émotions vraiment profondes ; il a une psychologie un peu superficielle.

Une taille forte et ramassée, une peau foncée et un teint pâle sont des caractéristiques du tempérament bilieux. Les yeux, comme les cheveux, sont foncés, mais vifs. Il a un foie faible. C’est un type chatouilleux et coléreux, qui est direct, allant droit au but. Il fait preuve de beaucoup de volonté, il est énergique, persévérant mais silencieux. Il est passionné aussi. Ce sont souvent des despotes ou des fanatiques.

Le tempérament flegmatique est de constitution robuste et il a une physionomie forte, comme un gros nez et une nuque courte. La peau est pâle et glabre. En général il a les yeux et les cheveux clairs. Il est sujet à la sécrétion de mucus et parfois à la lymphadénite (l’adénopathie). Ce tempérament a une structure de tissu épaisse et atone et il a une mauvaise digestion. Il ne supporte pas le froid et la fatigue, il a besoin de dormir beaucoup et de manger de la nourriture saine. Sa lenteur d’esprit et physique risque d’aboutir à l’indolence.

Les nerfs (ou la bile noire) dominent le tempérament nerveux ou atrabilaire. À cause de l’hypertrophie des nerfs et l’anémie il est, physiquement et psychiquement, d’une nature maladive et a un teint blanc. Il se caractérise par une silhouette gracile, un visage en forme de cœur, une physionomie expressive. Il a un nez fin, un long cou, les yeux et les cheveux clairs. Ce tempérament a les nerfs à vif, un pouls irrégulier, il a peu d’énergie et il souffre d’insomnies. Il a tendance à s’épuiser, il est émotif et d’un naturel soucieux et il risque de tomber dans la mélancolie et la misanthropie. Il est sensible aux maladies nerveuses, variables de mal de tête à la folie.7 Il s’agit souvent de quelqu’un d’intellectuel. Le tempérament nerveux manifeste des aptitudes pour la génialité et pour avoir du talent artistique.

En se basant sur la description du tempérament nerveux, les médecins du dix-neuvième siècle établissent un rapport entre la folie et la génialité. Dans Van profeet tot patiënt : visies op kunstenaarschap in de negentiende eeuw, Kemperink (2009) discute comment les médecins lient ces notions en expliquant le type de l’artiste. Elle (2009 : 4-5) fait remarquer que l’idée qu’il existe une relation entre la folie et la génialité prend son origine

7 Van Buuren (1989: 13), se basant sur l’Encyclopédie Méthodologique Médicale (1830), Durand (1841) et

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9 dans l’Antiquité. Platon insistait déjà sur la relation entre le génie poétique et la folie. Selon lui, les dieux faisaient entrer le poète dans un état hors de lui. Là, dans cet état de folie, il trouvait l’inspiration. Le poète n’avait donc pas de puissance créatrice lui-même. Ce n’est qu’au dix-huitième, début du dix-neuvième siècle, surtout sur l’influence du philosophe Emmanuel Kant (1790, Kemperink, 2009 : 5), que la génialité serait considérée comme une caractéristique naturelle. Au cours du dix-neuvième siècle, la science se développe ensuite par bonds successifs (Kemperink (2009 : 7). Les scientifiques médicaux catégorisent différents types d’hommes, ils définissent ce qui serait normal ou pas, et ils font des recherches scientifiques sur des types ‘anormaux’ comme le criminel, la prostituée et le génie. Il semble logique de rattacher la génialité à la folie : les deux caractéristiques proviennent du tempérament nerveux. Le génie, ou, plus spécifiquement, l’artiste, est anormal parce que, à cause de son tempérament nerveux, il est sensible aux maladies psychiques comme la folie.

Dans le cadre des recherches du dix-neuvième siècle concernant différentes anormalités psychiques, il y a aussi une nouvelle maladie nerveuse qui fait son apparition : la neurasthénie, introduite par le médecin américain George Miller Beard (1869, Kemperink, 2009 : 10). L’homme diagnostiqué neurasthénique souffrait par exemple de l’épuisement, de mal de tête, de la nervosité, de la dépression ou de la névralgie (littéralement : mal aux nerfs). Beard l’attribuait à l’affaiblissement des nerfs, ce qui serait le résultat de la civilisation. La société moderne serait trop agitée, trop exigeante, le monde des affaires trop compétitif. C’étaient alors surtout les habitants des villes et la haute société qui souffraient de cette maladie. Le développement du syndrome de la neurasthénie était lié à l’angoisse grandissante de la civilisation occidentale du dix-neuvième siècle devant la dégénérescence. Selon les médecins comme Bénédict A. Morel (1857, Kemperink, 2009 : 10-11), la neurasthénie en serait le premier degré. Au lieu des caractéristiques positives, l’homme hériterait de plus en plus des caractéristiques négatives, aussi bien physiques que psychiques, des générations dernières. En fait, on remontait dans l’évolution. D’après Kemperink (1993 : 134), on désignait différentes causes possibles de la dégénérescence, comme l’idée que chaque société, chaque civilisation passerait les trois stades du développement, de la floraison et de la ruine. Dans cette période, la civilisation semblait être à son zénith, alors elle ne pouvait que dépérir. Probablement cette angoisse de la société de ce que l’avenir la réserverait n’a qu’augmentée vers le tournant du siècle.

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10 Lombroso, la génialité était anormale, elle était contre nature. C’était alors une forme de dégénérescence, de l’atavisme. Les caractéristiques physiques et psychologiques attribuées à ce type de dégénéré laissaient beaucoup à désirer. Il se caractériserait par des anormalités physiques, surtout en ce qui concerne la tête, qui seraient directement liées aux troubles psychiques (Kemperink, 1993 : 134). Le génie avait par exemple un visage et un crâne asymétrique, des dents mal plantées et il perdait ses cheveux en bas âge. Il était vaniteux, égocentrique et impulsif. Le génie avait des dispositions esthétiques, mais il n’avait pas de sens moral. Les sentiments et les nerfs contrôlaient sa vie et il était sensible à la folie (Kemperink, 2009 : 12). De plus, Lombroso a fait un schéma de génies qui ont fini mal à cause des maladies nerveuses, dans lequel on trouve par exemple Baudelaire, Rousseau, Chateaubriand, Newton et Kant.

Kemperink (2009 : 12) remarque que les génies dans le schéma ne sont que des hommes. La femme ne pouvait simplement pas être géniale ; elle était moins évoluée que l’homme. Comme l’homme génial serait fréquemment un type féminin, Lombroso posait que les quelques rares exemples des femmes géniales comme George Sand ou George Eliot étaient des viragos : c’était un des résultats du processus de la dégénérescence (Lombroso, 1894, Kemperink, 2009 : 13).

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11 2.2 L’image de la femme à la fin du dix-neuvième siècle

Dans les publications des médecins du dix-neuvième siècle comme Lombroso, Letourneau, Fouillée et Ribot sur les différents types de l’homme, se manifestent aussi des idées spécifiques à propos des différences entre les sexes. D’après Kemperink (1993 : 129-133), en comparant la femme à l’homme, on attribue à la femme des caractéristiques qui dévient de celles de l’homme. En ce cas aussi les caractéristiques physiques sont liées aux caractéristiques psychologiques.

D’abord, aux dix-neuvième siècle, on en est convaincu que la femme occupe un échelon plus bas à l’échelle évolutionnaire que l’homme (Kemperink, 1993 : 130). Par conséquent, la femme a certaines caractéristiques que l’homme n’a pas, et vice-versa. Ces caractéristiques peuvent être positives et négatives. La femme est par exemple plus belle que l’homme, mais cette beauté n’est qu’une compensation de sa manque de force. Les forces limitées de la femme sont en plus épuisées par la menstruation8 et par l’ensemble de la grossesse, l’accouchement et l’allaitement de l’enfant (Kemperink, 1993 : 130). Ce sont des éléments typiquement féminins, attribués à la femme par la nature ; physiquement et psychologiquement, la femme est créée pour la reproduction. Elle est l’objet, pas le sujet. Elle est alors à peine capable d’être responsable d’autres tâches, comme de jouer un rôle important dans la vie publique. Ses caractéristiques positives, comme son sens de beauté et son intuition, se limitent à sa propre personne et au cercle domestique. Au niveau de la vie publique, l’homme est donc supérieur. Pour cette raison, et parce que la femme n’a pas de créativité, les grands artistes ne sont que des hommes. S’il s’agit d’un artiste féminin, il est question d’une femme masculinisée, qui n’est pas fidèle à sa nature, et qui a perdu sa féminité (Kemperink, 1993 : 132-133).

Les conséquences de la base scientifique donnée aux idées séculaires en ce qui concerne la femme étaient énormes. Désormais, des idées traditionnelles à propos de leur position dans la société, leur rôle relativement à l’homme, à la famille, propagées par l’Église et défendues dans l’intérêt sociopolitique, pouvaient être appuyées sur des recherches scientifiques. Il en était de même pour d’autres types ‘anormaux’, comme l’artiste génial. Par corollaire, ces idées deviendraient plus ou moins incontestables.9 Quelle était alors à la fin

8 La menstruation est considérée comme la cause des changements d’humeur et de l’irritabilité de la femme. À

cause de la menstruation, la femme est malade ou semi-malade la plupart de sa vie. D’après Lombroso, dans cette période du mois, la femme risque le plus de tomber dans la criminalité (Kemperink, 2009: 130).

9

Kemperink (2009: 133): « Het is duidelijk, dat in de hier geschetste visie op het wezen van de vrouw

wetenschap en ideologie een nauw verbond met elkaar zijn aangaan. Tal van traditionele denkbeelden over de vrouw, zoals de verheerlijking van het moederschap, de ten troon geheven vrouwelijke kuisheid en de vrouwelijke ondergeschiktheid aan de man, die tezelfdertijd uit hoofde van de kerkelijke moraal en het

politiek-maatschappelijk belang werden verdedigd, kregen nu ook een wetenschappelijke basis. En daarmee verwierven ze ook een zekere mate van onaantastbaarheid. Wat wetenschappelijk was aangetoond, viel immers niet zo maar te ontkennen of te bestrijden, ook al had men de kerk de rug toegewend en lak aan de burgerlijke

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12 du dix-neuvième siècle la position de ces femmes dites ‘masculinisées’ qui voulaient quand même faire carrière comme artiste ?

2.3 La position de l’artiste féminin à la fin du dix-neuvième siècle

Dans l’article « Why Have There Been No Great Women Artists ? » Linda Nochlin (1973) pose que l’histoire ne connaît pas de grands artistes féminins. Cependant, selon elle, ce n’est pas à cause d’un manque de génialité. Ce n’est pas non plus la faute des hormones, de la menstruation, ou du prétendu fait que les femmes seraient des écervelées, mais, d’après elle, il faut accuser nos institutions et notre éducation.10 La génialité n’est pas une caractéristique innée ; pour avoir du talent artistique il faut le développer. Selon Nochlin, il ne faut pas considérer l’art avec un grand A comme une expression directe, personnelle, comme une adaptation des émotions, des expériences individuelles aux formes visuelles. On ne peut créer cet art avec un grand A que si on est plus ou moins supérieur aux techniques, aux théories, aux conventions qu’il faut avoir étudiées, avoir apprises (Nochlin, 1973 : 5). Pourtant, au dix-neuvième siècle, la femme n’avait pas la possibilité de s’instruire : elle n’était pas née pour jouer un rôle important dans la vie publique, son rôle était limité à la vie familiale. La femme n’était pas géniale, elle n’avait pas de talent pour faire carrière, pour créer l’art avec un grand A, alors la femme n’était pas acceptée aux écoles des Beaux-Arts.

Au cours du dix-neuvième siècle, dans différents pays européens, des mouvements de femmes naissent, qui s’opposent à leur exclusion du monde artistique professionnel. Dans « A Call to Arms : Women Artists’ Struggle for Professional Recognition in the Nineteenth-Century Art World », Anna Havemann (2008) décrit comment ces femmes aspiraient aux droits égaux par rapport à l’admission aux académies comme étudiants, professeurs et compétiteurs, à une éducation professionnelle pareille à celle offerte aux hommes, et à l’admission aux associations des artistes professionnels. Le mouvement le plus important en France était l’Union des Femmes Peintres et Sculpteurs, fondée en 1881.11 L’Union, sous la direction de Mme. Léon Bertaux (1825-1909), désirait des grandes réformes dans le monde artistique. Elle luttait pour l’admission des femmes à l’École des Beaux-Arts, pour l’élection des femmes au jury du Salon et pour la participation des femmes au concours du Prix de Rome (Havemann, 2008 : 280). Ce n’était qu’en réussissant dans un de ces domaines, que les femmes seraient reconnues comme des artistes professionnels.

10

Nochlin (1973: 5-6): « The fact is that there have been no great women artists. (..) The fault lies not in our stars,

our hormones, our menstrual cycles, or our empty internal spaces, but in our institutions and our education – education understood to include everything that happens to us from the moment we enter, head first, into this world of meaningful symbols, signs and signals. ».

11

Voir aussi: GARB, Tamar, Sisters of the Brush: Women‟s Artistic Culture in Late Nineteenth-Century Paris,

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13 Le plus grand désavantage de ne pas être admises aux écoles des Beaux-Arts était que les femmes ne pouvaient pas participer aux cours avec des modèles nus. La participation à ces cours était pourtant aussi la raison la plus importante de les refuser. Havemann (2008 : 282) nomme les arguments les plus importants. Premièrement, la participation des femmes exercerait une mauvaise influence sur les modèles et les artistes masculins : la présence des femmes créerait une atmosphère sexualisant et détournerait l’attention des hommes de leur travail. En plus, leur présence aurait une influence néfaste sur la santé de la femme elle-même, et sur sa délicatesse, sa pureté et sa pudeur naturelle. Troisièmement, la femme ne serait pas capable d’abstraire. En créant l’art, en se servant de ses capacités intellectuelles, l’artiste devait transcender la réalité : de cette façon, le corps humain du modèle perdrait sa portée sexuelle, et deviendrait le nu artistique. La femme n’avait pas ces qualités. Selon Nochlin (1973 : 24-25), il ne faut pas sous-estimer le désavantage de ne pas pouvoir suivre des cours avec des modèles nus. Dans cette période, sans avoir eu l’occasion d’étudier intensivement le modèle nu, il était impossible de devenir un grand artiste, ou d’exceller dans les genres les plus considérés, comme la peinture historique ou religieuse.12 Sans avoir eu cette possibilité, on était limité aux genres mineurs, tels que la peinture des paysages, des portraits, des natures mortes ou des tableaux de genre.

Au dix-neuvième siècle, l’école des Beaux-Arts probablement la plus progressive était le Pennsylvania Academy of the Fine Arts, fondé en 1805 en Philadelphie, aux États-Unis. À partir de 1844, cette académie – la plus vieille et une des plus prestigieuses aux États-Unis – acceptait des étudiantes, qui pouvaient étudier et copier les plâtres des statues anciennes. Dès 1859, les femmes avaient la possibilité de suivre des cours avec un modèle partiellement couvert, et à partir de 1868, il y avait des leçons avec un modèle nu féminin. Elles pouvaient suivre des cours d’anatomie et de dissection aussi. En plus, les artistes féminins pouvaient participer aux expositions, concourir pour des prix et des bourses et elles étaient acceptées comme professeurs (Havemann, 2008 : 283-284).

En France, la situation était différente : ce n’était qu’en 1897 que l’École des Beaux-Arts a commencé à admettre des étudiantes. D’abord elles étaient seulement acceptées aux cours de l’histoire de l’art et aux cours d’anatomie séparés. À partir de 1900, elles pouvaient suivre des cours séparés avec un modèle. L’académie privée la plus réussie de Paris était l’Académie Julian, fondée en 1868.13 Cette académie permettait aux femmes de participer aux leçons de dessin et de peinture avec des modèles nus à partir de 1873, mais à cause des vives protestations, l’Académie décide d’offrir des cours séparés où les étudiantes

12 Pour pouvoir exceller dans la peinture historique ou religieuse, l’artiste devait être capable de peindre des

hommes d’une façon réaliste et de les représenter dans des compositions compliquées (Havemann, 2008: 283).

13

Voir aussi: WEISBERG, Gabriel P., BECKER, Jane (eds.), Overcoming all obstacles: the women of the

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14 pouvaient travailler avec des modèles nus féminins et des modèles masculins partiellement couverts.

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15 2.4 Les biographies des femmes-peintres impressionnistes : Berthe Morisot,

Mary Cassatt, Eva Gonzalès, Marie Bracquemond

2.4.1 Les femmes-peintres impressionnistes : Berthe Morisot (1841-1895)

Berthe Morisot, Eugène Manet et sa fille dans le jardin de Bougival, 1881, collection privée

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16 Dans la France de la fin du dix-neuvième siècle, l’Académie des Beaux-Arts, l’organisatrice des Salons, est encore très dominante dans le monde des arts plastiques. Elle établit les règles du bon goût à propos des thèmes et des techniques, fondés sur l’idéal de la beauté classique. Pourtant, malgré la position importante et influente de l’événement, l’organisation du Salon est aussi critiquée. Le jury n’est pas ouvert aux développements modernes dans le monde artistique, alors les jeunes artistes innovateurs ont peu de chance d’être sélectionnés, encore moins d’emporter des prix. En plus, le Salon expose un nombre énorme d’œuvres, qui sont accrochés l’un contre l’autre, jusqu’au plafond. Beaucoup de tableaux, surtout ceux d’un format plus petit, ne sont pas mis en valeur parmi les toiles traditionnelles et académiques aux dimensions énormes14. En outre, le jury ne consiste qu’en des membres masculins conservateurs, ce qui diminue la chance des femmes de passer la sélection. En 1864, deux œuvres de Morisot sont quand même acceptées au Salon. De 1865 à 1873, elle y participe régulièrement.

Berthe rencontre Edouard Manet en 1868. Les deux peindront souvent ensemble, il s’agirait d’une influence réciproque (Pfeiffer, 2008 : 290). Berthe pose régulièrement pour Manet, par exemple pour son tableau Le Balcon (1868/1869), exposé au Salon de 1869.15 En décembre 1784 elle épouse son frère, Eugène. Thomson (2000 : 84) parle d’un mariage pratique, rationnel et encouragé par les deux familles : en épousant Eugène, Berthe a un mari qui a les finances, les loisirs et le goût pour soutenir sa carrière.

En 1874, le peintre Edgar Degas écrit une lettre à la mère de Berthe, dans laquelle il invite sa fille à participer à une exposition indépendante du Salon. Cette année, Degas et Morisot, en liaison avec Claude Monet, Pierre-Auguste Renoir, Camille Pissarro et Alfred Sisley, fondent La Société Anonyme Coopérative des Artistes Peintres, Sculpteurs et Graveurs. La première exposition ouvre le 15 avril 1874 au 35 Boulevard des Capucines, Paris, dans l’ancien studio du photographe Nadar. Au contraire de ce qu’on affirme souvent, ce n’était pas d’abord pour des raisons idéologiques que ces artistes organisaient une exposition indépendante du Salon. D’après Thomson (2000 : 123), il s’agissait surtout des raisons économiques, pratiques et des motifs d’intérêt personnel. Ce n’était pas une exposition qui ne montrait que des peintures refusés au Salon, organisée par un groupe de révolutionnaires s’opposant à l’ordre établi. Ce n’était pas non plus une exposition qui devait d’abord présenter un ensemble stylistique.16 L’organisation d’une exposition isolée donnait à chaque artiste participant la possibilité d’accrocher leurs toiles de telle façon que chaque

14 En règle générale, les peintures ‘modernes’ comme celles des impressionnistes, étaient plus petites. Grâce à,

entre autres, l’invention des tubes de peinture, il était plus facile de travailler dehors, où les impressionnistes pouvaient par exemple expérimenter avec l’effet de lumière sur les couleurs. Pour des raisons pratiques, ils utilisaient alors souvent des toiles aux dimensions plus petites.

15 Actuellement exposé au Musée d’Orsay, Paris.

16 C’est le critique Louis Leroy qui, en se moquant d’eux, identifie les artistes comme un groupe stylistique en les

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17 œuvre était mise en valeur et que l’ensemble était bien visible au public. Sept expositions suivent, la deuxième en 1876, la troisième en 1877, la quatrième en 1879, la cinquième en 1880, la sixième en 1881, la septième en 1882 et le dernier en 1886. Morisot fait partie de l’organisation et participe à chaque exposition, sauf à celle de 1879, à cause de la naissance de sa fille, Julie, en 1878. Quelques exemples de ses peintures exposées sont Le Berceau et Cache-cache (présentées à l’exposition de 1874), Au bal (1876), La Psyché (1877), L‟Été (ou Jeune femme près d‟une fenêtre, 1880) et Nourrice et bébé (1881) (Delafond, Sainsaulieu, 1993 : 90-91, Pfeiffer, 2008 : 20).

En 1883-1884, Berthe et Eugène organisent une rétrospective en l’honneur de Edouard Manet, qui est décédé le 30 avril 1883. Dès 1885, chaque semaine, ils organisent des soirées chez eux, fréquentées par entre autres Monet, Renoir, Degas, Gustave Caillebotte, Stéphane Mallarmé et Théodore Duret (Pfeiffer, 2008 : 292).

À la dernière exposition impressionniste, en 1886, elle présente entre autres La Petite Servante. Quelques toiles de Morisot sont exposées à Galerie Durand-Ruel à New York. L’année d’après elle participe à l’exposition des XX à Bruxelles. Sa première exposition individuelle a lieu en 1892, à Galerie Boussod et Valadon à Paris (Pfeiffer, 2008 : 292). Cette année Morisot achète le château de Mesnil, à Juziers, pas loin de Paris. Eugène meurt le 13 avril ; Mallarmé est ensuite nommé tuteur de Julie. En 1894, Mallarmé s’engage pour que l’État achète Jeune femme en toilette de bal, une peinture réalisée par Berthe en 1879, actuellement exposé au Musée d’Orsay, Paris.

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18 2.4.2 Les femmes-peintres impressionnistes : Mary Cassatt (1844-1926)

Mary Cassatt, Visitor in Hat and Coat Holding a Maltese Dog, ca. 1879, collection privée

Mary Stevenson Cassatt est née le 22 mai 1844 à Pittsburgh, en Pennsylvanie. Elle est la fille d’une famille des industriels les plus riches des États-Unis. En 1851, la famille part en Europe et s’installe d’abord à Paris, pour séjourner plus tard en Allemagne, avant de rentrer aux États-Unis en 1856.

Mary est la seule des impressionnistes féminins qui a la possibilité de suivre des cours à une école des Beaux-Arts : elle fait le Pennsylvania Academy of the Fine Arts à Philadelphie de 1861 à 1864.17 Elle y suit entre autres des cours à propos de l’Antiquité, des cours d’anatomie et des cours avec un modèle habillé (Havemann, 2008 : 284).

En 1865, Cassatt retourne en Europe et s’installe à Paris. Elle voyage beaucoup. Elle prend des leçons d’art pour les femmes, donnés par Charles Chaplin, et elle copie des chefs-d’œuvre au musée du Louvre (Pfeiffer, 2008 : 294). En 1867 et en 1869, des toiles de Cassatt sont refusées par le Salon. Pourtant, en 1868, une de ses peintures est acceptée,

17

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19 après quoi elle y participe régulièrement jusqu’à 1876. Edgar Degas voit un ses tableaux au Salon de 1874. En 1877, il invite Cassatt à participer aux expositions impressionnistes (Thomson, 2000 : 72).

La même année, Cassatt conseille son amie Lousine Elder Havemeyer dans son acquisition des œuvres impressionnistes. L’ensemble de ces achats constituera la base de la collection des Havemeyers, et plus tard, du Metropolitan Museum à New York (Pfeiffer, 2008 : 294). Son frère, Alexander Cassatt, deviendra un collecteur des toiles impressionnistes important aussi.

Une des peintures de Cassatt est montrée à l’Exposition Universelle de 1878. Cassatt participe aux expositions impressionnistes de 1879 (où elle présente par exemple Femme dans une loge et Femme lisant), 1880 (où elle expose entre autres Le thé), 1881 (où L‟Automne fait partie des œuvres montrées) et 1886 (Delafond, Sainsaulieu, 1993 : 28-29). À la suite des désaccords entre les artistes, Cassatt témoigne sa loyauté à Degas (qui n’était pas, comme souvent affirmé, son professeur) en ne participant pas à l’exposition impressionniste de 1882 (Pfeiffer, 2008 : 294-295). En 1886, la première exposition impressionniste aux États-Unis a lieu dans Galerie Durand-Ruel à New York, où des tableaux de Cassatt et de Morisot sont montrés. En 1893, Galerie Durand-Ruel à Paris organise la première grande rétrospective des toiles de Cassatt. L’année d’après, Cassatt achète le château de Beaufresne à Mesnil-Théribus. Une exposition individuelle de ses œuvres a lieu à Galerie Durand-Ruel en 1895 à New York. La Légion d’Honneur lui est accordée en 1904.

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20 2.4.3 Les femmes-peintres impressionnistes : Eva Gonzalès (1849-1883)

Eva Gonzalès, Promenade à dos d‟âne, 1880, City of Bristol Museum and Art Gallery

Eva Carola Jeanne Emmanuela Antoinette Gonzalès, la fille d’une famille bourgeoise d’origine espagnole, est née le 19 avril 1847 à Paris. Son père est l’auteur Emmanuel Gonzalès, élu président de la Société des Gens de Lettres en 1864.

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21 En règle générale, les toiles de Gonzalès sont accueillies favorablement, mais elle continue à douter d’elle-même. En 1880, elle écrit une lettre à Manet dans laquelle elle dit qu’elle envisage abandonner la peinture. Pour cette raison, l’année d’après, elle ne participe pas au Salon.

Le 19 avril 1883, Eva Gonzalès et Henri Guérard ont un enfant : Jean-Raymond. Elle meurt pourtant d’une embolie le 6 mai, six jours après la mort de Manet. En 1885, une rétrospective est organisée et l’État achète deux tableaux de Gonzalès, parmi lesquels La matinée rose. En 1889 et en 1900, quelques peintures de l’artiste sont exposées à l’Exposition Universelle, dont Une loge aux Italiens. Eva Gonzalès n’a jamais participé aux expositions impressionnistes.

2.4.4 Les femmes-peintres impressionnistes : Marie Bracquemond (1840-1916)

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22 Marie Bracquemond est probablement la moins connue des femmes impressionnistes, en grande partie à cause de son mari, le peintre et graveur Félix Bracquemond, qui a contrecarré sa carrière. Marie est née Marie Anne Caroline Quivoron, le 1er décembre 1840 à Argenton, un petit village de pêcheurs, en Bretagne. L’enfant d’une famille de condition modeste, son milieu est très différent de celui de Morisot, de Cassatt et de Gonzalès, filles des familles aisées et stables qui font partie d’un entourage culturel et prospère. Le père de Marie est un capitaine de navire qui abandonne Marie, sa femme et son fils en 1841. Leur mère se remarie, elle confie son fils à la garde d’une tante et avec Marie elle mène une vie nomade en suivant son nouveau mari.

En 1854, elles s’installent à Etampes, pas loin de Paris. Le peintre Auguste Vassort donne Marie des cours de dessin, plus tard Marie prend des leçons de peinture chez Dominique Ingres. Grâce à Ingres, elle peut faire quelques ouvrages de commande officiels. Elle devient alors le soutien de famille. En 1859, Marie fait ses débuts au Salon, elle y participera fréquemment. En copiant des chefs-d’œuvre au Louvre, elle rencontre le peintre et graveur Félix Bracquemond, qui l’épouse en 1869. Une année plus tard, ils ont un enfant : Pierre Bracquemond, qui deviendra un peintre aussi. Félix l’introduit auprès de plusieurs artistes. Une œuvre de Marie est exposée à l’Exposition Universelle de 1878. En 1879, Degas invite Marie à participer à la quatrième exposition impressionniste. Ses toiles sont aussi présentées aux expositions de 1880, ou elle expose par exemple La dame en blanc, et de 1886, quand elle participe avec entre autres Félix Bracquemond dans son atelier (Pfeiffer, 2008 : 302-303).

Sous l’influence des impressionnistes, son style change, ce qui suscite l’horreur de son mari. Avec ses critiques, il ruine les espoirs de Marie à une carrière artistique professionnelle, et désormais elle ne peint que pendant ses loisirs. À partir de 1890, découragée par son mari, elle abandonne la peinture. Marie Bracquemond meurt le 17 janvier 1916 à Sèvres. En 1919, une rétrospective est organisée à Galerie Bernheim-Jeune à Paris. Cette année, la Ville de Paris achète Le goûter.

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23 2.5 L’art et gender : l’image actuelle de l’accueil contemporain des

femmes-impressionnistes comme illustrée par Higonnet, Garb et Pfeiffer

À propos de l’accueil des quatre femmes-impressionnistes en général, Ingrid Pfeiffer (2008) constate un mouvement descendant au cours des années en ce qui concerne leur discussion dans des ouvrages relatifs à l’histoire de l’art. Les critiques contemporains, et surtout ceux qui étaient élogieux sur leur compte (c’étaient souvent des amis personnels des artistes), prêtaient relativement beaucoup d’attention aux femmes. Des critiques comme Théodore Duret (Les peintres impressionnistes, 1878) et Gustave Geoffroy (La Vie Artistique, troisième partie : 1894) les comptaient parmi les personnages-clés de l’impressionnisme et quelques femmes obtenaient un chapitre individuel dans leurs ouvrages. D’après Pfeiffer, les générations suivantes les ignoraient pourtant dans la majorité des cas. Vers la fin du vingtième siècle, elle observe une amélioration dans l’attention faite aux femmes-impressionnistes, mais, même aujourd’hui, on a encore un bon bout de chemin à faire avant qu’elles aient une célébrité comparable à celle des grands impressionnistes masculins (Pfeiffer : 2008, 13). En jugeant les œuvres des femmes, on a constamment refusé de les juger d’une façon ce que Pfeiffer appelle « gender-neutral »18.

D’après Pfeiffer, il y a plusieurs raisons pour lesquelles ces artistes n’ont pas été traités de la même façon que les hommes. Elle remarque d’abord l’idée que la femme du dix-neuvième siècle ne pouvait pas être géniale, un aspect que nous avons déjà traité ci-dessus. De plus, malgré le fait que la plupart des artistes féminins à la fin du dix-neuvième siècle menaient une vie bourgeoise, leur rôle comme épouse et mère les imposait des limitations, surtout à propos de leur vie publique. Leurs collègues masculins s’assemblaient par exemple régulièrement dans les cafés de Montmartre, mais une femme visitant le café, le théâtre ou le restaurant risquait de compromettre sa réputation. Elle pouvait se permettre seulement de se présenter en public si elle visitait le parc, l’opéra ou les musées comme le Louvre. En outre, en dépit du fait que l’image de la femme commençait à changer et que la femme avait plus de chances à faire carrière qu’avant, c’étaient surtout les femmes de la haute bourgeoisie qui devaient lutter encore longtemps avant qu’elles étaient acceptées comme des artistes professionnels : il était encore long à que leurs activités n’étaient que considérées comme une utilisation des loisirs désirables d’une femme des classes aisées (Pfeiffer, 2008 : 14-15). Nous discuterons ci-dessous de quelle façon l’accueil non-gender-neutral des femmes-peintres se manifeste d’après Higonnet, Garb et Pfeiffer dans les critiques contemporaines.

18

PFEIFFER, Ingrid, « Impressionism is Feminine: On the Reception of Morisot, Cassatt, Gonzalès, and Bracquemond », dans: PFEIFFER, Ingrid, HOLLEIN, Max (eds.), Women impressionists, Ostfildern-Ruit: Hatje Cantz, 2008, p. 14: « (..) they were consistently denied the right to have their works judged on their merits alone

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24 Quant aux critiques françaises à propos de l’art en général, Anne Higonnet (1994) remarque que les critiques de la fin du dix-neuvième siècle caractérisaient l’image comme masculin ou féminin.19 Cela se produisait sur deux niveaux : celui de l’iconographie, et celui du style. Une image masculine se caractériserait par une iconographie intellectuelle, basée sur l’étude de par exemple l’antiquité, la mythologie, l’histoire ou des cultures étrangers ; c’était un art de l’esprit. Par contre, l’image féminine serait marquée par l’expérience personnelle du sujet ; c’était un art instinctif, n’exigeant pas beaucoup de raisonnement (Higonnet, 1994 : 148). Le sujet le plus féminin était la femme elle-même : « le sujet le moins intellectuel, le plus inconséquent, était alors la femme contemporaine représentée dans sa vie quotidienne »20. Quant au style, le dessin était considéré comme masculin et la couleur comme féminine. Contrairement à la couleur, le dessin était associé avec la linéarité, et avec les règles strictes de la perspective et de l’anatomie ; par le dessin l’artiste fournissait sa peinture d’une base rationnelle (Higonnet, 1994 : 148).

La féminité était considérée comme subjective, la virilité comme objective. Cela se manifestait dans le contenu des critiques, par exemple dans la façon dont le critique parlait de l’artiste : était-il un individu ‘séparé’ de ses peintures, ou est-ce qu’il s’agissait d’une personnalité n’existant qu’en rapport avec son art, se perdant dans son sujet (Higonnet, 1994 : 149-150) ? Pourtant, d’après Higonnet, il ne faut pas non plus sous-estimer le niveau linguistique : l’art féminin, subjectif, était décrit avec des juxtapositions, des allusions, et avec des enchaînements des phrases pleines d’adjectifs. Les descriptions parlaient des hallucinations, des évocations, des rêves. L’image féminine était associée à la nature, à quelque chose de primal, à l’intuition, l’irrationalité, aux sensations, aux sentiments et à une certaine immédiateté, la fugacité et une sorte d’insaisissabilité.

Différents artistes, masculins ou féminins, pouvaient alors été considérés comme créant de l’art masculin ou féminin. Mais cela valait aussi pour différents courants artistiques. Sur le plan des critiques à propos des impressionnistes, Tamar Garb (1990) a noté le phénomène intéressant de la ‘féminisation’ de l’impressionnisme. Dans l’article « Berthe Morisot and the Feminizing of Impressionism », Garb décrit comment les caractéristiques attribuées par les critiques à ce courant artistique étaient des particularités (négatives) normalement prêtées à la femme. L’impressionnisme serait une forme artistique féminine, non seulement au niveau du sujet (comme la femme en pleine nature, au ballet, au théâtre, dans le boudoir ou chez elle, le modèle nu féminin ou la prostituée), mais aussi en ce qui concerne le style, comme l’accent mis sur l’expérience sensorielle, sur l’effet de lumière sur les couleurs vives, le coup de pinceau visible, et surtout le style esquissé, la ‘porosité’ de

19En principe, cette distinction était faite sans considérer le sexe de l’artiste (Higonnet, 1994: 147).

20

HIGONNET, Anne, « Imaging gender », dans: ORWICZ, Michael, Art Criticism in Nineteenth-Century France, Manchester : Manchester University Press, 1994, p. 148 : «The least intellectual subject, the most

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25 l’exécution et la représentation de ‘l’impression’ du moment (Pfeiffer, 2008 : 15). L’association de l’impressionnisme avec la vie culturelle riche de la haute bourgeoisie (le théâtre, l’opéra, la mode) y contribuait aussi. Par conséquent, l’impressionnisme, comme la femme, était dépeint comme étant superficiel, naïf, imitatif, faible, nerveux, irrésolu, capricieux, inachevé, éphémère et sans aucune valeur durable (Pfeiffer, 2008 : 15). Selon certains critiques, un impressionniste masculin risquerait de compromettre ses capacités au niveau de la raison, la rationalité, et son sens d’abstraction. Il ferait alors de l’art faible, efféminé (Garb, 1990 : 63).

Pour ces raisons, l’impressionnisme était considéré par différents critiques comme une forme artistique appropriée à la femme. Un exemple est Georges Lecomte, d’après qui la « sincérité » et « l‟immédiateté » de l’impressionnisme était la forme d’expression la plus appropriée au « tempérament féminin délicat resté inaltéré par des influences externes »21. Claude-Roger Marx fait une remarque comparable, en posant que l’impressionnisme comprend « une forme d‟observation et de notation adéquate à l‟hypersensibilité et la nervosité des femmes »22. Par moyen de créer de l’art impressionniste, les femmes pouvaient exprimer leur ‘nature intrinsèque’ (Garb, 1990 : 58) : la femme, une créature subjective, charmante, délicate, gracieuse, un être incapable d’abstraire, sensible aux stimuli sensoriels, habile à travailler avec les mains, se caractérisant par un tempérament nerveux et par une compréhension superficielle du monde, devait être faite pour l’art impressionniste, un genre d’art se limitant à représenter des impressions sommaires et superficielles (Garb, 1990 : 58-59).

En créant de l’art, la femme devait donc rester fidèle à sa nature. Les artistes féminins s’assemblant dans les différents mouvements féminins à la fin du dix-neuvième siècle étaient alors regardés avec méfiance. Ces femmes, luttant pour l’ouverture des écoles des Beaux-Arts aux artistes féminins, étaient accusées de ne vouloir que copier les hommes, à quoi elles étaient ridiculisées comme étant des viragos. Les seules femmes qui pouvaient créer de l’art fidèle à leur nature étaient celles qui étaient toujours privées d’une éducation professionnelle. En plus, la science avait montré que la femme n’était pas capable de faire de l’art avec un grand A ; alors l’idée que les femmes devaient avoir une formation académique était simplement ridicule (Garb, 1990 : 60, 63).

À propos de la ‘féminisation’ de l’impressionnisme, Garb signale un autre phénomène remarquable. Dans ce contexte de l’apparition des mouvements de femmes, différents

21 LECOMTE, Georges, Les Peintres impressionnistes, Paris: 1892, p. 105, cité d’après: GARB, Tamar, « Berthe

Morisot and the Feminizing of Impressionism », dans: Teri J. Edelstein (ed.), Perspectives on Morisot, New York: Hudson Hills Press, 1990, p. 58 : « Georges Lecomte had claimed that Impressionism, with its “sincerity” and “immediacy,” was more suited than any other mode of expression to allow “this delicate female temperament which no external influence alters or corrupts, to develop.” »

22 ROGER-MARX, Claude, « Berthe Morisot », dans: Revue encyclopédique, Paris, 1896, p. 250, cité d’après:

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26 critiques louaient Berthe Morisot de ne pas renier sa ‘nature féminine’ : elle était proposée comme l’exemple à suivre, comme le modèle idéal de l’artiste féminin qui restait fidèle à ses caractéristiques féminines. En décrivant ses peintures, les critiques vantaient sa féminité sur tous les domaines et l’opposaient ainsi aux ‘hommesses’ menaçant la féminitude française (Garb, 1990 : 60). Garb cite par exemple le critique George Moore, qui expliquait le succès de Morisot en posant qu’elle mettait « toute sa féminité dans son art », avec quoi elle développait un style qui n’était pas « une parodie bête du nôtre » (de l’homme). Son art serait « toute féminitude – une féminitude douce et gracieuse, tendre et mélancolique »23. D’après Raoul Sertat, un critique du Journal des artistes, Morisot était louable grâce à l’appropriation de son ambition, qui l’animait, au contraire d’autres prétendues artistes féminins, à créer de l’art « tissé de toute vertu féminine essentielle », un art consacré à l’idée d’une « peinture féminine »24. Non seulement ses sujets étaient ‘féminins’, mais aussi sa façon de les observer et de les fixer : Morisot se caractériserait par une perception féminine, intuitive du monde. L’art de Morisot, qui n’avait pas fait une école des Beaux-Arts, devait exprimer une sorte d’immédiateté naturelle, non-contaminée par des théories et des règles apprises. D’après Garb, dans beaucoup de critiques se manifeste alors implicitement l’idée qu’elle réalisait ses peintures sans grands efforts (1990 : 59, 61). En plus de son art féminin, différent de celui des hommes, on louait aussi sa personnalité : sa dignité, son élégance et son éducation (Garb 1990 : 63). Cela s’explique plausiblement par la ‘subjectivité’ attribuée à son art : comme Higonnet l’a signalé dans son étude, Morisot était probablement considérée comme une personnalité n’existant qu’en rapport avec son art. Selon Roger-Marx, l’art de Morisot était « en accord avec la logique du sexe, du tempérament et de la classe sociale »25.

Néanmoins il y avait aussi toujours des critiques qui l’ont désapprouvé à cause de son art ‘féminin’. Pfeiffer (2008 : 16) cite par exemple Paul de Charry, qui se pose la question « Pourquoi, malgré son talent incontestable, elle ne se donne pas la peine de finir ses peintures ? », pour ensuite répondre à la question lui-même : « Morisot est une femme et pour cette raison elle est capricieuse. Malheureusement, elle est comme Eve, qui mord dans la pomme pour ensuite l‟abandonner trop vite. Dommage, parce qu‟elle mord si bien. »26.

23 MOORE, George, « Sex in Art », dans : Modern Painting, Londres, 1898, p. 235, cité d’après: ibid., p. 59 :

« Morisot‟s success, the critic George Moore wrote, lay in her investing “her art with all her femininity,” thereby creating a “style” that is “no dull parody of ours” (men‟s); her art is “all womanhood - sweet and gracious, tender and wistful womanhood.” ».

24 SERTAT, Raoul, « Berthe Morisot », dans : Journal des artistes, 23, 13 juin 1892, p. 173, cité d’après : ibid. :

« As the Journal des artistes critic put it in 1892, she was praiseworthy for the appropriateness of her ambition, which, unlike that of other would-be women painters, propelled her toward an art “entirely imbued with the essential virtues of her sex,” an art that was devoted to the idea of a “peinture féminine”. ».

25 ROGER-MARX, Claude, Les Femmes peintres, p. 499, cité d’après: ibid., p. 63: « In the words of Roger-Marx,

Morisot‟s pratice proceeded “according to the logic of sex, of temperament and of social class.” ».

26 CHARRY, Paul de, Le Pays, le 10 avril, 1880, cité d’après: MOFFETT, Charles S., The New Painting.

Impressionism 1874-1886, exh. cat. National Gallery of Art, Washington, The Fine Arts Museums of San

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27 Quant à cette ‘féminisation’ de l’impressionnisme, la question de savoir se pose si les peintures des femmes-impressionnistes étaient effectivement différentes de celles des hommes. En ce qui concerne les buts artistiques, Pfeiffer (2008 : 22) souligne qu’ils étaient pareils : les impressionnistes féminins, comme leurs collègues masculins, cherchaient à représenter la ‘vérité’, à élaborer de nouvelles perspectives sur et façons de percevoir le monde, et à développer de nouvelles techniques picturales. Mais pour ce qui est des sujets, y avait-il une différence ? Selon Pfeiffer, ce n’était pas le cas :

Pas seulement sur le plan du style, mais aussi au niveau du contenu et de la composition de beaucoup d’œuvres d’art de Morisot, Cassatt, Gonzalès et Bracquemond, il n’est pas difficile de trouver des œuvres d’art comparables réalisés par les impressionnistes masculins. (..) En fait, le style ‘féminin’ dont les critiques se sont tellement vantés n’est qu’une projection et un préjugé qui, dans la plupart des cas, peut facilement être affaibli par des exemples prouvant exactement le contraire.27.

Néanmoins, plus loin dans son article, Pfeiffer (2008 : 22) nuance cette opinion quelque peu en posant que les sujets des femmes étaient quand même pas toujours égaux à ceux des hommes. L’impressionnisme était le courant artistique de la haute bourgeoisie par excellence, représentant le monde capitaliste, la société de consommation naissant, entraînant le nouveau phénomène des loisirs. Les peintures impressionnistes étaient surtout connues par des scènes modernes mais ‘banales’ comme la représentation des villes industrialisées, des ports maritimes, des gares, des scènes de rue, des cafés, des amis, ou des musiciens, des danseurs, ou des prostituées. Pourtant, à cause de par exemple leur rôle dans la famille et leur vie publique limitée, les impressionnistes féminins semblent avoir représenté plus souvent la vie privée de l’artiste. Il faut se rendre compte que l’un n’exclut pas l’autre, mais, d’après Pfeiffer (2008 : 22), les femmes peignaient surtout des scènes familiales, souvent montrant des enfants. Cependant, le fait que leurs sujets spécifiques n’étaient pas toujours tout à fait comparables à ceux des hommes n’empêche pas que les hommes comme les femmes se concentraient sur leur entourage et leurs environs directes. Les femmes n’avaient simplement pas toujours la possibilité de se trouver dans le même entourage ou les mêmes environs que les hommes, ce qui avait une influence sur leurs options à propos du sujet. Mais en fait, généralement parlant, leurs sujets n’étaient pas du tout si différents (Pfeiffer, 2000 : 22). En outre, tant les femmes que les hommes ont peint des ports maritimes ou des portraits des hommes influents, et les hommes, aussi bien que

she not take the trouble to finish her pictures ? (..) Morisot is a woman and therefore capricious. Unfortunately, she is like Eve, who bites the apple and then gives up on it soon. Too bad, since she bites so well. ».

27

PFEIFFER, ibid., p. 17: « Considering not just the style, but also the content and composition of many of the

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28 les femmes, ont peint leurs époux/épouses et leurs enfants. Les critiques ont pourtant toujours mis l’accent sur les sujets ‘féminins’ des femmes-impressionnistes (Pfeiffer, 2000 : 23).

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3. Analyse

3.1 Les sujets principaux discutés dans les critiques la lumière, la palette, le dessin

Quant aux sujets, rien d’étonnant à ce que tous les critiques représentés dans notre corpus discutent la palette et la lumière des œuvres impressionnistes : ce sont en effet les domaines principaux sur lesquels l’impressionnisme offrait des innovations artistiques. En peignant en plein air, les impressionnistes étaient capables d’étudier l’effet de la lumière sur leurs sujets et la grande diversité des couleurs qui en était le résultat. Les opinions des critiques sur les trois aspects varient : Chesneau constate que, « dans cette exposition, je trouve une douzaine de toiles qui positivement ouvrent des perspectives imprévues sur la richesse d‟effets de réalité qu‟il est possible d‟obtenir avec des couleurs » (64)28. Par contre, Wolff critique sévèrement la palette impressionniste en parlant des « agités dont le cerveau est hanté par des singulières hallucinations ; ils voient la nature à leur façon avec des terrains rouges, des arbres violets, des ciels de féerie ; ils sont arrivés graduellement à cet état d‟exaltation contre lequel il n‟y a plus de remède »29. Claretie est également très clair quand il dit : « Il faut bien faire trou dans la muraille, dans la pénombre de nos appartements modernes, et quand on ne peut crever le mur avec la lumière de son tableau, on le perce avec le blanc de son cadre. » (77). Les jugements des autres critiques dépendent de l’artiste discuté. Ils se prononcent surtout sur la lumière et les couleurs en discutant la perception des peintres, sur laquelle nous reviendrons dans la section suivante.

Il est remarquable que les critiques prêtent particulièrement beaucoup d’attention à la palette en traitant les œuvres d’art de Cassatt et de Morisot. Par rapport aux peintures de Morisot, Adam remarque par exemple que « Les bleus, les roses, les mauves, les verts pâles s‟enchevêtrent avec des harmonies exquises, des symphonies de tons virginaux » (388) ; en décrivant Jeune femme au jardin de Cassatt, Ephrussi se sert constamment d’expressions comme « coiffée d‟un chapeau de tulle rose », « la robe de chambre bleue », « des feuilles rouge-marron au pied de massifs verts », « la femme en rose » (243), etc. En règle générale, les critiques louent les femmes pour les couleurs choisies. Même Claretie, éreintant la palette et la lumière des impressionnistes en général, parle en termes élogieux de la palette de Cassatt et de Morisot : elles ont « des tons roses de pastel et des blancs légers qui caressent la vue » (77). Toutefois, les critiques apprécient surtout la palette de Morisot. Contrairement à Cassatt (d’après Adam par exemple, son « coloris rudimentaire ne satisfait pas » (387)), il n’y a aucun critique (la discutant individuellement) qui juge Morisot négativement à propos de ce sujet. Un exemple est Ephrussi, qui fait remarquer que, chez

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Pour éviter un grand nombre de notes, nous référons aux pages citées en indiquant les numéros des pages directement après les citations.

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