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2011 – N° 7 - Sommaire Afrique L’Afrique : Terre des Présidents inamovibles ? … page 1 Libye

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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le lundi 14 mars 2011

2011 – N° 7 - Sommaire

Afrique

L’Afrique : Terre des Présidents inamovibles ? … page 1 Libye

Révolte populaire, guerre civile ou agression militaire ? … page 6 WikiLeaks

WikiLeaks et la Guerre Mondiale de l’Information page 16

Bon Conseil de EjbmphvfEjbmphvfEjbmphvfEjbmphvf … page 37

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Afrique

L’Afrique : Terre des Présidents inamovibles ?

Par Guy De Boeck

Lorsque l’Afrique fait la Une des journaux et qu’il ne s’agit pas de catastrophes naturelles ou de football, c’est à peu près toujours à propos d’une histoire politique, dont le schéma peut s’esquisser ainsi :

« Monsieur X , Président de la République, ne veut pas quitter la Présidence de la République ».

Cela se décline en de multiples variantes, avec plus ou moins de sang, de bruit et de fureur, cela peut passer par une véritable guerre civile ou ne concerner qu’une Révolution de Palais. Dans au moins la moitié des cas, cela passe par des élections douteuses au résultat contesté. Il y a aussi la variante « dynastique », où c’est le fils du Président qui ne veut pas laisser aux autres le fauteuil de papa. Mais tout cela, c’est un peu comme le poulet, qui se sert avec de multiples sauces différentes. A la base, on retrouve toujours « Monsieur X , Président de la République, ne veut pas quitter la Présidence de la République ».

On pourrait objecter que le même phénomène se rencontre ailleurs, qu’il y a des présidents « à vie » ou « à réélection automatique » en Europe, en Asie, en Amérique mais ici, il s’agit d’un phénomène continental. Et, pour une fois, d’un phénomène visible au Nord comme au Sud du Sahara. Il est bien clair que quand une chose se produit à la fois au Caire et à Abidjan, à Tripoli et à Nairobi, elle est africaine, et non « maghrébine » ou « subsaharienne ». Et l’explication ne peut en être purement « arabo-islamique », pas plus qu’elle ne peut être uniquement « noire ». Elle doit être à la taille du continent.

Or, les pays d’Afrique n’ont en commun que le fait d’avoir été au cours du XIX°

siècle, de colonies et d’avoir été ensuite, durant la seconde moitié du XX°, décolonisées.

C’est, dans l’histoire, le seul phénomène qui ait été, comme celui dont nous parlons ici, à l’échelle africaine, et non d’une partie seulement du continent. Cela suggère qu’il pourrait être, à tout le moins, utile d’examiner s’il n’y a pas, entre l’un et l’autre phénomène, des relations autres que celle d’antériorité/postériorité, notamment de cause à effet. Une indication dans ce sens pourrait déjà être trouvée dans le fait que l’une des critiques très largement faite aux régimes africains contestés est, précisément, d’être « néocoloniaux ». Une autre, dans le fait que la rupture des liens coloniaux entre les pays d’Afrique et leurs métropoles coloniales, contrairement à ce qui s’est passé pour des territoires américains ou asiatiques, a rarement été qualifiée, par les historiens1, de « révolution ». Le même terme est utilisé pour désigner les

1 Les manuels d'histoire ont tendance à désigner le processus qui a conduit les colonies africaines à l'indépendance par le terme « décolonisation ». Lorsque l'on tente de pénétrer plus profondément le sens de ce mot on se retrouve confronté à l'ambiguïté des termes du débat, et de la relation entre décolonisation et indépendance.

L'historiographie de langue anglaise utilise souvent l'expression transfer of power, qui a le mérite d'insister sur le caractère processuel de la décolonisation (Cf. P. Gifford et W. R. Louis (dir.), The transfer of power in Africa:

Decolonization 1940-1960, New Haven, Yale University Press, 1982). Face à ce processus, l'indépendance tient dès lors lieu d'un état de fait. Cette acceptation ne rend toutefois pas compte de toutes les espérances et utopies qui chargent ce terme, dès lors profondément axiologique. Au-delà de sa déclaration et de sa reconnaissance, l'indépendance politico-économique reste un devenir, au même titre que le nationalisme se maintient comme un critère déterminant dans la mise en ordre du champ politique des sociétés postcoloniales. Les critères pour juger le processus de la décolonisation, comme ceux qui délimitent l'horizon de l'indépendance, sont en réalité très plastiques. L'antagonisme des sentiments

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déclarations d'indépendance qui se sont produites chez les peuples d'Asie. En revanche, les événements qui ont entrainé la rupture entre l'Espagne et ses colonies d'Amérique, entre les treize colonies Nord-américaines et l'Angleterre dont elles dépendaient sont plus connus sous le nom de « Révolution ». Nombreux sont les historiens qui établissent l'ordre chronologique des révolutions qui ont marqué le XVIIIe siècle comme suit : Révolution Nord-américaine (1776), Révolution française (1789) et Révolution hispano-américaine (1810).

On a dépensé beaucoup d’encre et de talent dialectique autour du vocabulaire utilisé pour en parler, et des nuances qui séparent « révolution », « décolonisation », « indépendance »,

« transfer of power », etc…, allant parfois jusqu’à des hauteurs métaphysiques évoquant le débat byzantin sur le sexe des anges. Nous essayerons ici de ne pas aller jusque là !

Il est probable qu’une des raisons de ce choix de mot a tenu à ce que, jusqu’à récemment, le terme « révolution », dont le sens premier est celui du mouvement qui tourne sur lui-même2 a été perçu comme comportant, en plus du sens « bouleversement fondamental », l’idée de soulèvement violent et armé, voire de guerre civile. Appliquer ce même mot à des changements fondamentaux, mais non accompagnés de violences, est une conception qui ne remonte pas plus loin que la fin du XX° siècle.

Mais il est tout de même étrange que l’on en soit arrivé à donner le nom de « révolution » aux événements américains qui - à l’exception de Haïti - concernent la conquête de l’indépendance politique par des colonies où le pouvoir reste aux mains des colons et à le refuser aux indépendances africaines où le pouvoir politique a été transféré aux ex-colonisés, ce qui représente tout de même un « bouleversement fondamental » plus important. Il y a là une incohérence, une rupture logique, en quelque sorte un « trou ». Et il semble bien le néocolonialisme se soit glissé par ce trou.

La colonisation consistait en la dépendance politique d’un territoire par rapport à une métropole lointaine et avait pour cause principale l’intérêt que cette métropole trouvait à exploiter les ressources de ce territoire. La décolonisation a consisté à convertir les possessions coloniales en états politiquement indépendants sans trop toucher aux liens économiques existants, si ce n’est par des mesures cosmétiques du type « africanisation des cadres ». Discrètement, cela s’accompagna de l’idée que la métropole dans un premier temps puis, à mesure que progressait la mondialisation, l’Occident ou la « communauté internationale », conservait un certain « droit de regard » sur les affaires de ses ex-colonies, du fait précisément de ses « intérêts économiques ».

L’indépendance politique ne pouvait bien sûr aller sans l’installation de structures politiques pour les nouveaux états africains indépendants. Ce furent diverses copies plus ou moins adroitement africanisées du régime qui régnait dans les métropoles coloniales : des démocraties bourgeoises, électives et parlementaires.

Et à ce propos, nous avons assisté, sur une durée d’un demi-siècle, à une évolution du discours justificateur, qui a accompli un cercle complet. En 1960, on nous expliquait qu’il

« fallait » ces démocraties bourgeoises, électives et parlementaires parce qu’elles étaient le

« meilleur rempart contre la subversion totalitaire », laquelle, bien entendu, ne pouvait être que « rouge ». En 1970, on nous expliquait qu’on s’était fourré le doigt dans l’œil : ce qui était « conforme à l’esprit africain », c’était l’autorité forte, variant d’après les endroits entre

et l'irréductibilité des chronologies hypothèquent la possibilité d'un accord sur le sens de l'échec. Les projets décolonisateurs et indépendantistes divergent sensiblement dans leurs ambitions, mais ils partagent plusieurs idées fondamentales.

2 Le mot figure dans les dictionnaires du XVII° siècle, mais uniquement pour parler du mouvement des planètes.

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la dictature pure et simple et la « démocratie musclée », qui, comme on sait, a en général tellement de muscles que la démocratie ne s’y remarque plus trop. En 1990, on nous expliquait que (Ah là là… Faites excuses…) on se l’était de nouveau fourré dans l’œil, et bien profond ! Evidemment, ce qu’il fallait aux africains, c’étaient…. Les démocraties bourgeoises, électives et parlementaires, mises au panier durant l’épisode précédent.

Le « mea culpa » s’accompagnait d’un mot d’explication. La cause de l’erreur, c’était la guerre froide ! (Comme ça tombait bien ! C’était donc la faute des Russes et des Américains, non celle des colonisateurs européens. CQFD !). On avait préféré les dictateurs solidement

« amarrés » à l’Est ou à l’Ouest plutôt que des régimes remis en question (donc, pouvant basculer dans « l’autre camp ») tous les quatre ou cinq ans. C’était bien dommage. Mais cette fois, on était dans la bonne voie, et tout allait marcher comme sur des roulettes.

Comme on sait, les roulettes étaient plutôt carrées et l’exportation de la « démocratie occidentale en kit » a donné, dans l’ensemble, des résultats qui vont du médiocre au catastrophique. C’est le cas de dire, comme l’oncle bricoleur dans la chanson de Boris Vian :

« Y a quèq’chose qui cloche là d’dans / J’y retourne immédiatement ! ».

Retournons y donc. Pourquoi a-t-on, en 1960, installé partout en Afrique des démocraties bourgeoises, électives et parlementaires ? La réponse est simple : parce que l’on voulait que les relations entre économie et politique y soient les mêmes que là où régnait ce système, c'est-à-dire en Belgique, en Grande-Bretagne et en France, les trois principales métropoles coloniales impliquées dans le processus.

La principale caractéristique de ce système est d’être à double face. La démocratie de façade (mais en réalité réduite à la désignation, tous les quatre ou cinq ans des mandataires par le suffrage populaire) y dissimule parfaitement le pouvoir réel des puissances d’argent.

Ce suffrage universel que les conservateurs avaient jadis tant redouté, ils avaient constaté avec surprise, avec bonheur, vers la fin du XIX° siècle, l’excellent usage que l’on pouvait en faire quand on savait s’y prendre.

Qu’est-ce que la République ? Le régime qui repose sur la volonté du peuple et où l’autorité tire son pouvoir contraignant du fait qu’elle émane de cette « volonté nationale », la représente, et commande en son nom. Dans la réalité des choses, ce que l’on baptise volonté du peuple, c’est ce que préfère la majorité des citoyens. Cette majorité peut être propice aux possédants et leur permettre d’obtenir beaucoup de ceux qui ne possèdent pas! Ils les ont plébiscités ils les ont délégués par centaines au pouvoir ; et ils ont été dotés par eux de cette toute-puissance que confère le système républicain à ceux qu’a désignés la « volonté nationale

» pour gérer les affaires de l’Etat. Sous la République, c’est la liberté elle-même qui règne, et toute rébellion est un attentat à la démocratie.

Faisons donc la République, messieurs les possédants, une République, cela va de soi, socialement et économiquement conservatrice (« La République sera conservatrice ou ne sera pas »; Thiers, 1872), cette qualification n’étant pas autre chose que sa raison d’être; une République nominale, qui sera, en effet, la République puisque le pouvoir y prendra sa source dans le suffrage universel, mais une

République sans contenu où la démocratie apparente et proclamée couvrira, au vrai, la perpétuation de l’ordre si bien défini par Voltaire, cet ordre naturel où « le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne ». On veillera du reste à ce que le jour reste loin où le suffrage universel deviendrait indocile - les moyens d’action peuvent varier - à la mise en condition, permanente, des électeurs.

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Cette idée avait un défaut, et de taille ! On pouvait sans grande peine bâtir la façade, c'est-à- dire la République africaine avec toutes ses institutions (Président, Parlement, magistrats) et ses attributs (drapeau, hymne national) et l’installer à la place du Gouverneur colonial. Mais il était beaucoup plus difficile de laisser en place le système économique colonial, complètement extraverti et dont, non seulement les bénéfices étaient exportés dans une grande proportion en métropole, mais dont les décisions étaient prises à Londres, Bruxelles ou Paris.

On se heurta, en fait, à un grand vide : le pouvoir réel (celui de l’argent) ne pouvait pas fonctionner, comme en Europe, avec discrétion derrière la majestueuse façade de la République souveraine, parce qu’il n’y avait pas de bourgeoisie africaine.

D’accord, lorsqu’on lit des textes datant de la fin de la colonisation, il y est parfois question de “riches”. Des ressortissants des colonies ont pu réussir dans les affaires, et acquérir une certaine fortune et une certaine notoriété. Ils ont même pu faire figure de Crésus aux yeux de leurs congénères pour la plupart extrêmement pauvres. Certains même, aisés depuis plus d’une génération, ont pu avoir ces attributs qui rendent le riche “distingué”: éducation, culture, “belles manières”… (Voir la célèbre citation du Blanc qui disait: “Moïse (Tshombe), c’est le seul nègre à qui on dit ‘Monsieur’ !”). Mais il y a un abîme entre un commerçant qui a réussi et un patron de multinationale!

Comme, au moins dans un premier temps on ne perçut pas le problème, et qu’on semble avoir cru que le remplacement d’un gérant blanc, au pouvoir limité, par un gérant noir ou arabe, au pouvoir tout aussi limité, cependant que les décisions essentielles continueraient à se prendre ailleurs, constituerait une “africanisation” suffisante, le hiatus persista. Et, comme le vide appelle le remplissement, il fut rempli par les politiques.

Il faut souligner ici que le “passage” entre politique et affaires, qui en Europe se fait dans les deux sens mais avec une prépondérance des milieux d’affaires sur ceux de la politique, se fit en Afrique dans un seul sens: de la politique vers les affaires.

Or, si l’on veut bien y réfléchir, les deux secteurs ont des exigences différentes et même, sous plus d’un aspect, opposées. Les grandes entreprises exigent, par leurs dimensions, leurs aspects techniques et leur complexité, une continuité dans la gestion que les mandats politiques, dans les démocraties bourgeoises, électives et parlementaires, n’ont pas.

Et pour ce qui est de “grandes entreprises”, rappelons-nous la situation, par exemple, du Congo belge en 1960: Juste avant l'indépendance, 70 grandes entreprises qui formaient 3 % du nombre total des entreprises, employaient 51% de tous les salariés. Dix entreprises regroupaient 20% des travailleurs congolais. Trois quarts du total des capitaux investis étaient concentrés dans 4% des entreprises. Quatre groupes financiers belges ont contrôlé la plus grande partie de l'activité économique dans la colonie: la Société Générale de Belgique (de loin le plus important : La Société Générale seule contrôlait 5,4 milliards de francs d'investissements sur un total de 8,3 milliards, c'est à dire 65 %.), Brufina (un groupe lié à la Banque de Bruxelles) et les groupes Empain et Lambert. Une telle concentration de puissance permet des projets économiques ayant une ampleur et un impact énorme.

Lorsque l’on travaille à une échelle pareille, la construction d’une usine, sa mise en route et le temps d’attendre les premiers bénéfices durent plus longtemps qu’un mandat présidentiel de cinq ans. Et l’on a le temps de voir défiler plusieurs présidents ou d’assister à plusieurs renouvellements des Assemblées avant qu’elle ne tourne à plein rendement.

C’est le pouvoir politique qui a permis l’accumulation de ce que les journaux appellent de temps à autre, à l’occasion d’un esclandre « les fortunes scandaleuses et colossales des dictateurs africains ». A la base, il y a un principe politique très simple, effectivement

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excellent, et que l’on peut utiliser dans n’importe quel meeting en étant sûr d’être chaleureusement applaudi : « Les richesses du pays doivent bénéficier aux ressortissants du pays ». Il suffit, une fois opérées les confiscations que cela permet, de les répartir ensuite suivant la clé : « Les richesses du pays doivent bénéficier aux ressortissants du pays qui font partie de ma parentèle, de mon ethnie, de ma clientèle et de mon entourage».

A partir de là, plusieurs raisons incitent à conserver la position politique qui a rendu la chose possible. D’abord, la simple nécessité de la continuité d’une bonne gestion de l’entreprise.

Ensuite, la peur d’être soi-même dépossédé par le Président suivant, lui aussi désireux d’aller

« à la soupe ». Enfin, le désir de jouir de l’impunité reconnue aux mandataires politiques.

A cela s’ajoute que la politique, en Afrique, est une acrobatie qui se pratique sans parachute.

Lorsqu’un député, quelque part en Europe, n’est pas réélu à la fin de son mandat, il peut compter sur différents « coussinets » pour amortir le choc.

D’abord, les sociétés dont il a servi les intérêts peuvent lui manifester leur reconnaissance (mandats d’administrateur aux prestations symboliques mais aux jetons de présence confortables, contrats de « consultant », etc…). Rien de tel, bien sûr, en Afrique, puisqu’il n’y a as de distinction entre la sphère des affaires et celle de la politique.

Ensuite, le député dégommé peut très bien conserver néanmoins des activités aux niveaux municipal, provincial ou régional, où la majorité n’est pas la même qu’au national. Mais ce niveaux, bigarrés en Europe, sont en Afrique unicolore et monolithiques.

Enfin, l’Européen « dégommé » peut avoir une fonction rémunérée dans le parti dont il est membre, et dans toute une série d’organisations qui gravitent dans son orbite. On ne peut rien attendre de tel des partis africains, dont la plupart ne sont que des machines électorales, sans grand-chose de permanent entre les campagnes.

C’est donc la politique qui ouvre la porte du pouvoir économique, mais celui-ci exige à son tour que le politique soit permanent, tout à la fois pour des raisons de stabilité du management et de sécurité personnelle. Très platement : le Président aspire à la présidence à vie parce qu’un boutiquier veut passer sa vie dans sa boutique.

Deux voies sont possibles pour sortir de là.

On peut attendre le jour où la « démocratie en kit » fera sortir des urnes une génération de politiciens désintéressés, et où ils auront en face d’eux des responsables économiques eux aussi si épris de pureté qu’ils ne tenteront pas de les acheter.

On peut aussi chercher à construire une démocratie réelle, avec un réel pouvoir populaire s’étendant même à l’économie et y imposant une autre logique que celle du profit.

Bien sûr, une de ces solutions est purement utopique.

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Libye

Révolte populaire, guerre civile ou agression militaire ?

Par Grégoire Lalieu, Michel Collon Investig’Action)

Depuis trois semaines, des affrontements opposent les troupes fidèles au colonel Kadhafi à des forces d’opposition issues de l’est du pays. Après Ben Ali et Moubarak, Kadhafi sera-t-il le prochain dictateur à tomber ? Ce qui se passe en Libye est-il semblable aux révoltes populaires en Tunisie et en Egypte ? Comment comprendre les frasques et les retournements de veste du colonel ? Pourquoi l’Otan se prépare-t-elle à la guerre ? Comment expliquer la différence entre un bon Arabe et un mauvais Arabe ? Mohamed Hassan répond aux questions d’Investig’Action...

Après la Tunisie et l’Egypte, la révolution arabe aurait-elle gagné la Libye ?

Ce qui se passe actuellement en Libye est différent. En Tunisie et en Egypte, le manque de libertés était flagrant. Mais ce sont les conditions sociales déplorables qui ont véritablement poussé les jeunes à la révolte. Tunisiens et Egyptiens n’avaient aucune possibilité d’entrevoir un avenir.

En Libye, le régime de Mouammar Kadhafi est corrompu, monopolise une grande partie des richesses et a toujours réprimé sévèrement toute contestation. Mais les conditions sociales des Libyens sont meilleures que dans les pays voisins. L’espérance de vie en Libye est plus importante que dans le reste de l’Afrique. Les systèmes de santé et d’éducation sont convenables. La Libye est d’ailleurs l’un des premiers pays africains à avoir éradiqué la malaria. Même s’il y a de fortes inégalités dans la répartition des richesses, le PIB par habitant est d’environ 11.000 dollars. Un des plus élevés du monde arabe. Vous ne retrouvez donc pas en Libye les mêmes conditions objectives qui ont conduit aux révoltes populaires en Tunisie et en Egypte.

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Comment expliquez-vous alors ce qui se passe en Libye ?

Pour bien comprendre les événements actuels, nous devons les replacer dans leur contexte historique. La Libye était autrefois une province ottomane. En 1830, la France s’empara de l’Algérie. Par ailleurs, le gouverneur égyptien Mohamed Ali, sous tutelle de l’Empire

ottoman, menait une politique de plus en plus indépendante. Avec, d’une part, les Français en Algérie et, d’autre part, Mohamed Ali en Egypte, les Ottomans craignaient de perdre le contrôle de la région : ils envoyèrent leurs troupes en Libye.

A cette époque, la confrérie des Senoussis exerçait une influence très forte dans le pays. Elle avait été fondée par Sayid Mohammed Ibn Ali as Senoussi, un Algérien qui, après avoir étudié dans son pays et au Maroc, alla prêcher sa vision de l’islam en Tunisie et en Libye. Au début du 19ème siècle, Senoussi commençait à faire de nombreux adeptes, mais n’était pas bien perçu par certaines autorités religieuses ottomanes qu’il critiquait dans ses prêches.

Après un passage en Egypte et à la Mecque, Senoussi décida de s’exiler définitivement en Cyrénaïque, dans l’est de la Libye.

Sa confrérie s’y développa et organisa la vie dans la région, y percevant des taxes, résolvant les conflits entre les tribus, etc. Elle possédait même sa propre armée et proposait ses services pour escorter les caravanes de commerçants passant par là. Finalement, cette confrérie des Senoussis devint le gouvernement de fait de la Cyrénaïque, étendant même son influence jusque dans le nord du Tchad. Mais ensuite, les puissances coloniales européennes

s’implantèrent en Afrique, divisant la partie sub-saharienne du continent. Cela eut un impact négatif pour les Senoussis. L’invasion de la Libye par l’Italie entama aussi sérieusement l’hégémonie de la confrérie dans la région.

En 2008, l’Italie a versé des compensations à la Libye pour les crimes coloniaux. La colonisation avait été à ce point terrible ? Ou bien Berlusconi voulait se faire bien voir pour conclure des accords commerciaux avec Kadhafi ?

La colonisation de la Libye fut atroce. Au début du 20ème siècle, un groupe fasciste commença à diffuser une propagande prétendant que l’Italie, vaincue par l’armée éthiopienne à la bataille d’Adoua en 1896, devait rétablir la primauté de l’homme blanc sur le continent noir. Il fallait laver la grande nation civilisée de l’affront infligé par les barbares. Cette propagande affirmait que la Libye était un pays sauvage, habité par quelques nomades arriérés et qu’il conviendrait aux Italiens de s’installer dans cette région agréable, avec son paysage de carte postale.

L’invasion de la Libye déboucha sur la guerre italo-turque de 1911, un conflit

particulièrement sanglant qui se solda par la victoire de l’Italie un an plus tard. Cependant, la puissance européenne ne contrôlait que la région de la Tripolitaine et devait faire face à une résistance tenace dans le reste du pays, particulièrement dans la Cyrénaïque. Le clan des Senoussis y appuyait Omar Al-Mokhtar qui dirigea une lutte de guérilla remarquable dans les montagnes. Il infligea de sérieux dégâts à l’armée italienne pourtant mieux équipée et

supérieure en nombre.

Finalement, au début des années trente, l’Italie de Mussolini prit des mesures radicales pour éliminer la résistance. La répression devint extrêmement féroce et l’un de ses principaux bouchers, le général Rodolfo Graziani écrivit : « Les soldats italiens étaient convaincus qu’ils étaient investis d’une mission noble et civilisatrice. (…) Ils se devaient de remplir ce devoir humain quel qu’en fût le prix. (…) Si les Libyens ne se convainquent pas du bien-fondé de ce qui leur est proposé, alors les Italiens devront mener une lutte continuelle contre eux et pourront détruire tout le peuple libyen pour parvenir à la paix, la paix des cimetières… ».

En 2008, Silvio Berlusconi a payé des compensations à la Libye pour ces crimes coloniaux.

C’était bien sûr une démarche intéressée : Berlusconi voulait se faire bien voir de Kadhafi

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pour conclure des partenariats économiques. Néanmoins, on peut dire que le peuple libyen a terriblement souffert du colonialisme. Et parler de génocide ne serait pas exagéré.

Omar Al-Mokhtar

Comment la Libye gagna-t-elle son indépendance ?

Pendant que les colons italiens réprimaient la résistance en Cyrénaïque, le chef des Senoussis, Idriss, s’exila en Egypte pour négocier avec les Britanniques. Après la Seconde Guerre

mondiale, l’empire colonial européen fut progressivement démantelé et la Libye devint indépendante en 1951. Appuyé par la Grande-Bretagne, Idriss prit le pouvoir. Pourtant, une partie de la bourgeoisie libyenne, influencée par le nationalisme arabe qui se développait au Caire, souhaitait que la Libye soit rattachée à l’Egypte. Mais les puissances impérialistes ne voulaient pas voir se développer une grande nation arabe. Elles appuyèrent donc

l’indépendance de la Libye en y plaçant leur marionnette, Idriss.

Le roi Idriss répondit-il aux attentes ?

Tout à fait. A l’indépendance, les trois régions qui constituent la Libye - la Tripolitaine, le Fezzan et la Cyrénaïque - se sont retrouvées unifiées dans un système fédéral. Mais il faut savoir que le territoire libyen est trois fois plus grand que la France. A cause du manque d’infrastructures, les limites de ce territoire n’ont pu être clairement définies qu’après l’invention de l’avion. Et en 1951, le pays ne comptait qu’un million d’habitants. De plus, les trois régions nouvellement unifiées avaient une culture et une histoire très différentes. Enfin, le pays manquait de routes permettant aux régions de communiquer. En fait, la Libye était à un stade très arriéré, ce n’était pas une véritable nation.

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Pouvez-vous préciser ce concept ?

L’Etat-nation est un concept lié à l’apparition de la bourgeoisie et du capitalisme. En Europe, durant le moyen-âge, la bourgeoisie capitaliste souhaitait développer son commerce sur une échelle aussi large que possible, mais était freinée par toutes les contraintes du système féodal. Les territoires étaient morcelés en de nombreuses petites entités, ce qui imposait aux commerçants de payer un grand nombre de taxes pour livrer une marchandise d’un endroit à un autre. Sans compter les divers privilèges dont il fallait s’acquitter auprès des seigneurs féodaux. Toutes ces entraves ont été supprimées par les révolutions bourgeoises capitalistes qui ont permis la création d’Etats-nations avec de grands marchés nationaux sans entraves.

Mais la nation libyenne a été créée alors qu’elle était encore à un stade précapitaliste. Elle manquait d’infrastructures, une grande partie de la population était nomade et impossible à contrôler, les divisions étaient très fortes au sein de la société, l’esclavage était encore pratiqué… De plus, le roi Idriss n’avait aucun projet pour développer le pays. Il était totalement dépendant des aides US et britanniques.

Pourquoi la Grande-Bretagne et les Etats-Unis le soutenaient-ils ? Le pétrole ?

En 1951, le pétrole libyen n’avait pas encore été découvert. Mais les Anglo-Saxons avaient des bases militaires dans ce pays qui occupe une position stratégique pour le contrôle de la mer Rouge et de la Méditerranée.

Ce n’est qu’en 1954 qu’un riche Texan, Nelson Bunker Hunt, découvrit le pétrole libyen. A l’époque, le pétrole arabe se vendait aux alentours de 90 cents le baril. Mais le pétrole libyen était acheté à 30 cents le baril tellement ce pays était arriéré. C’était peut-être le plus

misérable d’Afrique.

De l’argent rentrait pourtant grâce au pétrole. A quoi servait-il ?

Le roi Idriss et son clan, les Senoussis, s’enrichissaient personnellement. Ils redistribuaient également une partie des revenus pétroliers aux chefs des autres tribus pour apaiser les tensions. Une petite élite s’est développée grâce au commerce du pétrole et quelques

infrastructures ont été construites, principalement sur la côte méditerranéenne, la partie la plus intéressante pour commercer avec l’extérieur. Mais les zones rurales dans le cœur du pays restaient extrêmement pauvres et des tas de miséreux s’amassaient dans des bidonvilles autour des cités. Cela a continué jusqu’en 1969, quand trois officiers ont renversé le roi. Parmi eux, Kadhafi.

Comment se fait-il que la révolution soit venue d’officiers de l’armée ?

Dans un pays profondément marqué par les divisions tribales, l’armée était en fait la seule institution nationale. La Libye n’existait pas en tant que telle sauf à travers cette armée. A côté de ça, les Senoussis du roi Idriss possédaient leur propre milice. Mais dans l’armée nationale, les jeunes Libyens issus des différentes régions et tribus pouvaient se retrouver.

Kadhafi a d’abord évolué au sein d’un groupe nassériste, mais lorsqu’il a compris que cette formation ne serait pas capable de renverser la monarchie, il s’est engagé dans l’armée. Les trois officiers qui ont destitué le roi Idriss étaient très influencés par Nasser. Gamal Abdel Nasser était lui-même un officier de l’armée égyptienne qui renversa le roi Farouk. Inspiré par le socialisme, Nasser s’opposait à l’ingérence des puissances néocoloniales et prônait l’unité du monde arabe. Il nationalisa d’ailleurs le canal de Suez, jusque là géré par la France et la Grande-Bretagne, s’attirant les foudres et les bombardements de l’Occident en 1956.

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Le panarabisme révolutionnaire de Nasser avait eu un effet important en Libye, notamment dans l’armée et sur Kadhafi. Les officiers libyens auteurs du coup d’Etat de 1969 suivirent le même agenda que Nasser.

Quels furent les effets de la révolution en Libye ?

Kadhafi avait deux options. Soit laisser le pétrole libyen aux mains des compagnies occidentales comme l’avait fait le roi Idriss. La Libye serait alors devenue comme ces monarchies pétrolières du Golfe où l’esclavage est encore pratiqué, où les femmes n’ont aucun droit et où des architectes européens peuvent s’éclater à construire des tours farfelues avec des budgets astronomiques qui proviennent en fait des richesses des peuples arabes. Soit suivre une voie indépendante des puissances néocoloniales. Kadhafi a choisi cette deuxième option, il a nationalisé le pétrole libyen, provoquant la colère des impérialistes.

Dans les années 50, une blague circulait à la Maison Blanche, au sein de l’administration Eisenhower qui se développa ensuite en véritable théorie politique sous Reagan. Comment distinguer les bons des mauvais Arabes ? Un bon Arabe fait ce que les Etats-Unis lui disent.

En échange, il reçoit des avions, est autorisé à déposer son argent en Suisse, est invité à Washington, etc. Eisenhower et Reagan nommaient ces bons Arabes : les rois d’Arabie Saoudite et de Jordanie, les cheikhs et émirs du Koweït et du Golfe, le Shah d’Iran, le roi du Maroc et bien-sûr, le roi Idriss de Libye. Les mauvais Arabes ? Ceux qui n’obéissaient pas à Washington : Nasser, Kadhafi, Saddam plus tard…

Tout de même, Kadhafi n’est pas très…

Kadhafi n’est pas un mauvais Arabe parce qu’il fait tirer sur la foule. On fait la même chose en Arabie Saoudite ou au Bahreïn et les dirigeants de ces pays reçoivent tous les honneurs de l’Occident. Kadhafi est un mauvais Arabe parce qu’il a nationalisé le pétrole libyen que les compagnies occidentales considéraient - jusqu’à la révolution de 69 - comme leur

appartenant. Ce faisant, Kadhafi a apporté des changements positifs en Libye, au niveau des infrastructures, de l’éducation, de la santé, de la condition des femmes, etc.

Bon, Kadhafi renverse la monarchie, nationalise le pétrole, s’oppose aux puissances impériales et apporte des changements positifs en Libye.

Pourtant, quarante ans plus tard, c’est un dictateur corrompu, qui réprime l’opposition et qui ouvre à nouveau les portes du pays aux compagnies

occidentales. Comment expliquer ce changement ?

Dès le départ, Kadhafi s’est opposé aux grandes puissances coloniales et a généreusement soutenu divers mouvements de libération dans le monde. Je trouve qu’il a été très bien pour ça. Mais pour être complet, il faut aussi préciser que le colonel était anticommuniste. En 1971 par exemple, il fit dérouter vers le Soudan un avion transportant des dissidents communistes soudanais qui furent aussitôt exécutés par le président Nimeyri.

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En fait, Kadhafi n’a jamais été un grand visionnaire. Sa révolution était une révolution de nationaliste bourgeois et il a instauré en Libye un capitalisme d’Etat. Pour comprendre

comment son régime est parti à la dérive, nous devons analyser le contexte qui n’a pas joué en sa faveur, mais aussi les erreurs personnelles du colonel.

Tout d’abord, nous avons vu que Kadhafi était parti de rien en Libye. Le pays était très arriéré. Il n’y avait donc pas de gens éduqués ou une forte classe ouvrière pour appuyer la révolution. La plupart des personnes ayant reçu une éducation faisaient partie de l’élite qui bradait les richesses libyennes aux puissances néocoloniales. Evidemment, ces gens n’allaient pas soutenir la révolution et la plupart d’entre eux quittèrent le pays pour organiser

l’opposition à l’étranger.

De plus, les officiers libyens qui ont renversé le roi Idriss étaient très influencés par Nasser.

L’Egypte et la Libye prévoyait d’ailleurs de nouer un partenariat stratégique. Mais la mort de Nasser en 1970 fit tomber le projet à l’eau et l’Egypte devint un pays contre-révolutionnaire, aligné sur l’Ouest. Le nouveau président égyptien, Anouar al-Sadate, se rapprocha des Etats- Unis, libéralisa progressivement l’économie et s’allia avec Israël. Un bref conflit éclata même avec la Libye en 1977. Imaginez la situation dans laquelle se trouvait Kadhafi : le pays qui l’avait inspiré et avec lequel il devait conclure une alliance capitale devenait soudainement son ennemi !

Un autre élément contextuel a joué en défaveur de la révolution libyenne : la baisse

importante du cours du pétrole dans les années 80. En 1973, dans le cadre de la guerre israélo- arabe, les pays producteurs de pétrole décidèrent d’un embargo, faisant grimper en flèche le prix du baril. Cet embargo provoqua le premier grand transfert de richesses du Nord vers le Sud. Mais dans les années 80, eut lieu ce qu’on pourrait appeler une contre-révolution pétrolière orchestrée par Reagan et les Saoudiens. L’Arabie Saoudite augmenta

considérablement sa production de pétrole et inonda le marché, provoquant une chute radicale des prix. Le baril passa de 35 dollars le baril à 8 dollars.

L’Arabie Saoudite ne se tirait-elle pas une balle dans le pied ?

Cela eut en effet un impact négatif sur l’économie saoudienne. Mais le pétrole n’est pas le plus important pour l’Arabie Saoudite. Sa relation avec les Etats-Unis prime avant tout, car c’est le soutien de Washington qui permet à la dynastie saoudienne de se maintenir au pouvoir.

Ce raz-de-marée pétrolier eut des conséquences catastrophiques pour de nombreux pays producteurs de pétrole qui s’endettèrent. Et tout cela se produisit dix années seulement après la montée au pouvoir de Kadhafi. Le dirigeant libyen, parti de rien, voyait en plus les seuls moyens dont il disposait pour construire quelque chose, fondre comme neige au soleil avec la chute des cours du pétrole.

Notez également que cette contre-révolution pétrolière accéléra la chute de l’URSS, alors empêtrée en Afghanistan. Avec la disparition du bloc soviétique, la Libye perdait son principal soutien politique et se retrouva très isolée sur la scène internationale. Isolement d’autant plus grand que l’administration Reagan avait placé la Libye sur la liste des Etats- terroristes et imposé toute une série de sanctions.

Qu’en est-il des erreurs commises par Kadhafi ?

Comme je l’ai dit, ce n’était pas un grand visionnaire. La théorie développée autour de son livre vert est un mélange d’anti-impérialisme, d’islamisme, de nationalisme, de capitalisme d’Etat et d’autres choses encore. Outre son manque de vision politique, Kadhafi a d’abord commis une grave erreur en attaquant le Tchad dans les années 70. Le Tchad est le cinquième

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plus grand pays d’Afrique et le colonel, considérant sans doute que la Libye était trop petite pour ses ambitions mégalomaniaques, a annexé la bande d’Aozou. Il est vrai

qu’historiquement, la confrérie des Senoussis exerçait son influence jusque dans cette région.

Et en 1935, le ministre français des Affaires étrangères, Pierre Laval, voulut acheter Mussolini en lui proposant la bande d’Aozou. Mais finalement, Mussolini se rapprocha d’Hitler et l’accord resta lettre morte.

Kadhafi a néanmoins voulu annexer ce territoire et s’est livré à une lutte d’influence avec Paris dans cette ancienne colonie française. Finalement, les Etats-Unis, la France, l’Egypte, le Soudan et d’autres forces réactionnaires de la région, ont soutenu l’armée tchadienne qui mit en déroute les troupes libyennes. Des milliers de soldats et d’importantes quantités d’armes furent capturés. Le président du Tchad, Hissène Habré, vendit ces soldats à l’administration Reagan. Et la CIA les utilisa comme mercenaires au Kenya et en Amérique latine.

Mais la plus grande erreur de la révolution libyenne est d’avoir tout misé sur les ressources pétrolières. En effet, les ressources humaines sont la plus grande richesse d’un pays. Vous ne pouvez pas réussir une révolution si vous ne développez pas l’harmonie nationale, la justice sociale et une juste répartition des richesses.

Or, le colonel n’a jamais supprimé les discriminations ancestrales en Libye. Comment mobiliser la population si vous ne montrez pas aux Libyens que, quelque soit leur

appartenance ethnique ou tribale, tous sont égaux et peuvent œuvrer ensemble pour le bien de la nation ? La majorité de la population libyenne est arabe, parle la même langue et partage la même religion. La diversité ethnique n’est pas très importante. Il était possible d’abolir les discriminations pour mobiliser la population.

Kadhafi a également été incapable d’éduquer le peuple libyen sur les enjeux de la révolution.

Il n’a pas élevé le niveau de conscience politique de ses citoyens et n’a pas développé de parti pour appuyer la révolution.

Pourtant, dans la foulée de son livre vert de 1975, il instaure des comités populaires, sorte de démocratie directe.

Cette tentative de démocratie directe était influencée par des concepts marxistes-léninistes.

Mais ces comités populaires en Libye ne s’appuyaient sur aucune analyse politique, aucune idéologie claire. Ce fut un échec. Kadhafi n’a pas non plus développé de parti politique pour appuyer sa révolution. Finalement, il s’est coupé du peuple. La révolution libyenne est

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devenue le projet d’une seule personne. Tout tournait autour de ce leader charismatique déconnecté de la réalité. Et lorsque le fossé se creuse entre un dirigeant et son peuple, la sécurité et la répression viennent combler le vide. Les excès se sont multipliés, la corruption s’est développée de manière importante et les divisions tribales se sont cristallisées.

Aujourd’hui, ces divisions resurgissent dans la crise libyenne. Il y a bien sûr une partie de la jeunesse en Libye qui est fatiguée de la dictature et qui est influencée par les événements en Tunisie et en Egypte. Mais ces sentiments populaires sont instrumentalisés par l’opposition dans l’est du pays qui réclame sa part du gâteau, la répartition des richesses étant très inégale sous le régime de Kadhafi. Bientôt, les véritables contradictions vont apparaître au grand jour.

On ne sait d’ailleurs pas grand-chose sur ce mouvement d’opposition. Qui sont-ils ? Quel est leur programme ? S’ils voulaient vraiment mener une révolution démocratique, pourquoi ont- ils ressorti les drapeaux du roi Idriss, symboles d’un temps où la Cyrénaïque était la province dominante du pays ? Ont-ils demandé leur avis aux autres Libyens ? Peut-on parler de

mouvement démocratique lorsque ces opposants massacrent les Noirs de la région ? Si vous faites partie de l’opposition d’un pays, que vous êtes patriotique et que vous souhaitez renverser votre gouvernement, vous tentez cela correctement. Vous ne créez pas une guerre civile dans votre propre pays et vous ne lui faites pas courir le risque d’une balkanisation.

Selon vous, il s’agirait donc plus d’une guerre civile résultant des contradictions entre clans libyens ?

C’est pire, je pense. Il y a déjà eu des contradictions entre les tribus, mais elles n’ont jamais pris une telle ampleur. Ici, les Etats-Unis alimentent ces tensions afin de pouvoir intervenir militairement en Libye. Dès les premiers jours de l’insurrection, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton a proposé d’apporter des armes aux opposants. Dans un premier temps, l’opposition organisée sous le Conseil National a refusé toute ingérence des puissances étrangères, car elle savait que cela jetterait le discrédit sur son mouvement. Mais aujourd’hui, certains opposants en appellent à une intervention armée.

Depuis que le conflit a éclaté, le président Obama a dit envisager toutes les options possibles et le sénat US appelle la communauté internationale à décréter une zone de non-vol au-dessus

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du territoire libyen, ce qui serait un véritable acte de guerre. De plus, le porte-avion nucléaire USS Enterprise, positionné dans le golfe d’Aden pour combattre la piraterie, est remonté jusqu’aux côtes libyennes. Deux navires amphibies, l’USS Kearsage et l’USS Ponce, avec à leur bord plusieurs milliers de marines et des flottes d’hélicoptère de combat, se sont

également positionnés dans la Méditerranée.

La semaine passée, Louis Michel, l’ancien commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire de l’Union Européenne, s’est demandé avec force sur un plateau de télévision quel gouvernement aurait le courage de défendre devant son parlement la nécessité d’intervenir militairement en Libye. Mais Louis Michel n’a jamais appelé à une telle

intervention en Egypte ou à Bahreïn. Pourquoi ? La répression n’est-elle pas plus violente en Libye ?

La répression était très violente en Egypte, mais l’Otan n’a jamais positionné des navires de guerre le long des côtes égyptiennes pour menacer Moubarak. On l’a tout juste appelé à trouver une issue démocratique !

Pour la Libye, il faut être très prudent avec les informations qui nous parviennent. Un jour, on parle de 2.000 morts et le lendemain, le bilan est revu à 300. On a aussi dit dès le début de la crise que Kadhafi avait bombardé son propre peuple, mais l’armée russe, qui surveille la situation par satellite, a officiellement démenti cette information. Si l’Otan se prépare à intervenir militairement en Libye, nous pouvons être sûrs que les médias dominants vont diffuser la propagande de guerre habituelle.

En fait, la même chose s’est passée en Roumanie avec Ceausescu. Le soir du réveillon de Noël 1989, le premier ministre belge Wilfried Martens a fait un discours à la télévision. Il a prétendu que les forces de sécurité de Ceausescu venaient de tuer 12.000 personnes. C’était faux. Les images du fameux charnier de Timisoara ont également fait le tour du monde. Elles étaient censées démontrer la violence aveugle du président roumain. Mais il s’est avéré plus tard que tout cela était une mise en scène : des cadavres avaient été sortis de la morgue et placé dans des fosses pour impressionner les journalistes. On a aussi dit que les communistes avaient empoisonné l’eau, que des mercenaires syriens et palestiniens étaient présents en Roumanie ou bien encore que Ceausescu avait formé des orphelins pour en faire des machines à tuer. C’était de la pure propagande pour déstabiliser le régime.

Finalement, Ceausescu et sa femme furent tués après un simulacre de procès qui dura 55 minutes. Bien sûr, tout comme Kadhafi, le président roumain n’était pas un enfant de chœur.

Mais que s’est-il passé depuis ? La Roumanie est devenue une semi-colonie de l’Europe. La main d’œuvre bon marché y est exploitée. De nombreux services ont été privatisés au profit des compagnies occidentales et sont hors de prix pour une grande partie de la population. Et maintenant, chaque année, des tas de Roumains vont pleurer sur la tombe de Ceausescu. La dictature était une chose terrible, mais depuis que le pays a été économiquement détruit, c’est pire !

Pourquoi les Etats-Unis voudraient-ils renverser Kadhafi ? Depuis une dizaine d’années, le colonel est devenu à nouveau fréquentable pour l’Occident et a privatisé une grande partie de l’économie libyenne au profit des compagnies occidentales.

Il faut analyser tous ces événements à la lumière des nouveaux rapports de force dans le monde. Les puissances impérialistes sont en déclin alors que d’autres forces sont en plein essor. Récemment, la Chine a proposé de racheter la dette portugaise ! En Grèce, la

population est de plus en plus hostile à cette Union Européenne qu’elle perçoit comme une couverture de l’impérialisme allemand. Les mêmes sentiments se développent dans les pays

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de l’Est. Par ailleurs, les Etats-Unis ont attaqué l’Irak pour s’emparer du pétrole mais au final, seule une compagnie US en profite, le reste étant exploité par des compagnies malaisiennes et chinoises. Bref, l’impérialisme est en crise.

Par ailleurs, la révolution tunisienne a fortement surpris l’Occident. Et la chute de Moubarak encore plus. Washington tente de récupérer ces mouvements populaires, mais le contrôle lui échappe. En Tunisie, le premier ministre Mohamed Ghannouchi, un pur produit de la

dictature Ben Ali, était censé assurer la transition et donner l’illusion d’un changement. Mais la détermination du peuple l’a contraint à démissionner. En Egypte, les Etats-Unis comptent sur l’armée pour maintenir en place un système acceptable. Mais des informations me sont parvenues confirmant que dans les innombrables casernes militaires disséminées à travers le pays, de jeunes officiers s’organisent en comités révolutionnaires par solidarité avec le peuple égyptien. Ils auraient même fait arrêter certains officiers associés au régime de Moubarak.

La région pourrait échapper au contrôle des Etats-Unis. Intervenir en Libye permettrait donc à Washington de briser ce mouvement révolutionnaire et d’éviter qu’il ne s’étende au reste du monde arabe et à l’Afrique. Depuis une semaine, des jeunes se révoltent au Burkina-Faso mais les médias n’en parlent pas. Pas plus que des manifestations en Irak.

L’autre danger pour les Etats-Unis est de voir émerger des gouvernements anti-impérialistes en Tunisie et en Egypte. Dans ce cas, Kadhafi ne serait plus isolé et pourrait revenir sur les accords conclus avec l’Occident. Libye, Egypte et Tunisie pourraient s’unir et former un bloc anti-impérialiste. Avec toutes les ressources dont ils disposent, notamment les importantes réserves de devises étrangères de Kadhafi, ces trois pays pourraient devenir une puissance importante de la région. Probablement plus importante que la Turquie.

Pourtant, Kadhafi avait soutenu Ben Ali lorsque le peuple tunisien s’est révolté.

Cela montre à quel point il est faible, isolé et déconnecté de la réalité. Mais les rapports de force changeants dans la région pourraient modifier la donne. Kadhafi pourrait changer son fusil d’épaule, ce ne serait pas la première fois.

Comment pourrait évoluer la situation en Libye ?

Les puissances occidentales et ce soi-disant mouvement d’opposition ont rejeté la proposition de médiation de Chavez. Ce qui laisse entendre qu’ils ne veulent pas d’issue pacifique au conflit. Mais les effets d’une intervention de l’Otan seront désastreux. On a vu ce que cela a donné au Kosovo ou en Afghanistan.

De plus, une agression militaire pourrait favoriser l’entrée en Libye de groupes islamistes qui pourraient s’emparer d’importants arsenaux sur place. Al-Qaïda pourrait s’infiltrer et faire de la Libye un deuxième Irak. Il y a d’ailleurs déjà des groupes armés au Niger que personne ne parvient à contrôler. Leur influence pourrait s’étendre à la Libye, au Tchad, au Mali, à l’Algérie… En fait, en préparant une intervention militaire, l’impérialisme est en train de s’ouvrir les portes de l’enfer !

En conclusion, le peuple libyen mérite mieux que ce mouvement d’opposition qui plonge le pays dans le chaos. Il lui faudrait un véritable mouvement démocratique pour remplacer le régime de Kadhafi et instaurer la justice sociale. En tout cas, les Libyens ne méritent pas une agression militaire. Les forces impérialistes en déroute semblent pourtant préparer une offensive contre-révolutionnaire dans le monde arabe. Attaquer la Libye est leur solution d’urgence. Mais cela leur retomberait sur les pieds.

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Mohamed Hassan* est un spécialiste de la géopolitique et du monde arabe. Né à Addis Abeba (Ethiopie), il a participé aux mouvements d’étudiants dans la cadre de la révolution socialiste de 1974 dans son pays. Il a étudié les sciences politiques en Egypte avant de se spécialiser dans l’administration publique à Bruxelles.

Diplomate pour son pays d’origine dans les années 90, il a travaillé à Washington, Pékin et Bruxelles. Co-auteur de L’Irak sous l’occupation (EPO, 2003), il a aussi participé à des ouvrages sur le nationalisme arabe et les mouvements islamiques, et sur le nationalisme flamand. C’est un des meilleurs connaisseurs contemporains du monde arabe et musulman.

WikiLeaks

WikiLeaks et la Guerre Mondiale de l’Information

Par Andrew Gavin Marshall (http://www.globalresearch.ca )

Faut-il se méfier de Wikileaks ? Comment les grands médias manipulent-ils les documents publiés ? Quelle attitude les médias alternatifs doivent-ils adopter face à ces documents ? A qui profitent-ils réellement ? Assistons-nous à une « prise de conscience politique globale » ? Autant de questions essentielles abordées dans ce (très) long article que nous vous invitons à lire.

Introduction

La publication récente des 250.000 documents de Wikileaks a soulevé un intérêt sans précédent, provoquant tout un éventail de réactions - des plus positives au plus négatives.

Mais une chose et sûre : Wikileaks est en train de changer la donne.

Il y a ceux qui prennent les contenus des documents publiés par Wikileaks pour argent comptant, principalement à cause de leur présentation erronée donnée par les grands médias commerciaux.

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Il y a ceux qui considèrent que ces documents sont authentiques et qu’il suffit de savoir les interpréter et de les analyser. Puis il y a ceux, dont beaucoup font partie des médias alternatifs, qui émettent des doutes. Il y a ceux qui considèrent ces fuites tout simplement comme une opération de manipulation qui vise certains pays précis, dans l’intérêt de la politique étrangère des Etats-Unis. Et enfin, il y a ceux qui déplorent les fuites et les qualifient de « trahison » ou d’atteinte à la « sécurité ». De toutes ces opinions, c’est sans doute cette dernière qui est la plus ridicule.

Cet essai examinera la nature des publications Wikileaks et comment il faut les aborder et les comprendre. Si Wikileaks est en train de changer la donne, il faut espérer que les gens feront en sorte que le changement soit positif.

Propagande médiatique contre l’Iran : prendre les câbles pour argent comptant.

Ce point de vue est probablement le plus répandu puisqu’il est largement diffusé par les grands médias commerciaux qui présentent ces câbles diplomatiques comme une

« confirmation » de la validité de leur traitement des enjeux internationaux, plus

particulièrement en ce qui concerne le programme nucléaire iranien. Comme d’habitude, c’est le New York Times qui mène l’assaut contre la vérité et se livre sans relâche à une

propagande au service de l’impérialisme US, avec des gros titres tels que « L’Iran préoccupe le monde entier » et qui explique qu’Israël et les dirigeants arabes sont d’accord sur la menace nucléaire que représente l’Iran. L’article est accompagné d’un commentaire qui dit « les câbles révèlent en filigrane l’opinion partagée par de nombreux dirigeants qu’à moins d’une chute du régime à Téhéran, l’Iran possédera tôt ou tard l’arme nucléaire. » (1) Fox News a diffusé un article affirmant que « Les documents montrent un consensus au Moyen-orient sur la menace iranienne », avec le commentaire « la fuite explosive de Wikileaks a montré un consensus profond au Moyen-orient que l’Iran est le principal fauteur de troubles dans la région. » (2)

Ceci, bien entendu, n’est que de la propagande. Il faut néanmoins analyser cette propagande pour pouvoir déterminer avec précision quelle est la part de propagande contenue dans ces articles. S’il faut garder un esprit critique envers les sources et les campagnes de

désinformation (qui sont monnaie courante comme le savent tous ceux qui suivent les médias de près), il faut aussi prendre en compte le point de vue personnel de la source et réussir à distinguer la part de la vérité de l’opinion exprimée. Je crois vraiment que ces documents sont authentiques. Je ne souscris donc pas à l’idée qu’ils font partie d’une opération de guerre psychologique ou d’une campagne de propagande, du moins pour ce qui concerne leur publication proprement dite. Il ne faut pas perdre de vue que les sources de ces documents sont les circuits diplomatiques US et que les déclarations qu’ils contiennent sont donc le reflet des points de vue et des opinions exprimés par le corps diplomatique US. Les documents sont donc une représentation fidèle de leurs déclarations et opinions mais ne constituent pas pour autant une représentation fidèle de la réalité.

C’est là que les médias entrent en jeu pour organiser la propagande autour de ces fuites. Les deux exemples mentionnés ci-dessus affirment que les fuites montrent qu’il existe un

« consensus » sur l’Iran et donc que les craintes exprimées par les Etats-Unis, et par d’Israël bien sûr, ces dernières années se trouvent ainsi « confirmées ». C’est ridicule. Les médias on pris pour argent comptant les dires des diplomates US et des dirigeants du Moyen-orient et que s’ils répètent tous que l’Iran représente une « menace » ou cherche à se doter de « l’arme nucléaire », c’est que ça doit être vrai. Rien n’est moins sûr. Si un général ordonne à des

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soldats de prendre d’assaut une maison qui est censée abriter un terroriste, cela ne signifie nullement que la maison abrite effectivement un terroriste. De même, ce n’est pas parce que les dirigeants du Moyen-orient présentent l’Iran comme une menace que l’Iran constitue effectivement une menace.

Encore une fois, examinons les sources. Pour quelle raison les dirigeants arabes seraient-ils une source d’information « fiable » ? Par exemple, une « révélation » qui a fait le tour du monde est l’insistance du Roi Abdullah d’Arabie Saoudite auprès des Etats-Unis pour que ces derniers « tranchent la tête du serpent » iranien, et son appel à l’Amérique pour lancer une frappe militaire contre l’Iran. (3) Les médias l’ont présenté comme une « preuve » du

« consensus » sur la « menace » que représente l’Iran pour le Moyen-orient et le monde entier. C’est cette ligne de propagande qui a été servie par le New York Times, Fox News et le gouvernement israélien, parmi tant d’autres. Il faut pourtant remettre en contexte cette information, chose que le New York Times a l’habitude de ne pas faire (volontairement, pourrais-je ajouter). Je ne mets pas en doute l’authenticité de ces déclarations ni le fait que les dirigeants arabes affirment que l’Iran représente une « menace ». D’un autre côté, l’Iran a déclaré que ces fuites sont « malveillantes » et qu’elles servent les intérêts des Etats-Unis.

L’Iran a aussi déclaré qu’il était « ami » avec ses voisins. (4) Ca aussi, c’est de la propagande.

Encore une fois, il faut remette les choses dans leur contexte.

L’Iran est une nation chiite, alors que les pays arabes, l’Arabie Saoudite en tête, sont à majorité Sunnite. Ceci représente une division entre les pays de la région, du moins en surface. Mais la vérité est que l’Arabie Saoudite et l’Iran sont loin d’être des « amis », et qu’ils ne sont plus en bons termes depuis le renversement du Chah en 1979. L’Iran est le principal concurrent de l’Arabie Saoudite en termes de pouvoir et d’influence dans la région et représente donc une menace politique pour l’Arabie Saoudite. De plus, les états arabes, dont les déclarations sur l’Iran sont largement diffusées, comme celles de l’Arabie Saoudite, Bahreïn, Oman, les Émirats Arabes Unis et l’Égypte, doivent être interprétées dans le

contexte des relations de ces pays avec les Etats-Unis. Les états arabes sont des marionnettes des Etats-Unis dans la région. Leurs armées sont subventionnées par le complexe militaro- industriel des Etats-Unis, leurs régimes (qui sont tous des dictatures ou des dynasties) sont soutenus et alimentés par les Etats-Unis. Il en est de même pour Israël, qui lui au moins affiche une façade démocratique, à la manière des Etats-Unis.

Les pays arabes et leurs dirigeants savent que l’unique raison pour laquelle ils gardent le pouvoir, c’est parce que les Etats-Unis le veulent bien et les soutiennent. Ils sont ainsi dépendants des Etats-Unis et de son soutien politique, financier et militaire. S’opposer aux ambitions des Etats-Unis dans la région est le chemin le plus court pour finir comme l’Irak et Saddam Hussein. L’histoire moderne du Moyen-orient est remplie d’exemples de dirigeants marionnettes et favoris de l’Empire qui ont été rapidement transformés en ennemis et

« menaces pour la paix ». Dans ce cas, il s’ensuit un changement de régime provoqué par les Etats-Unis et une nouvelle marionnette prend la place de l’ancienne. Si les dirigeants arabes disaient que l’Iran n’était pas une menace pour la paix, ils se retrouveraient rapidement dans la ligne de mire de l’impérialisme occidental. De plus, de nombreux dirigeants, tels le Roi Abdullah, sont virulents et haïssent l’Iran tout simplement parce qu’ils sont concurrents dans la région. Une chose est sûre pour tous les états et leurs dirigeants, c’est qu’ils sont

fondamentalement égoïstes et obsédés par leurs intérêts propres et le renforcement de leurs pouvoirs.

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L’Arabie Saoudite, en particulier, mène activement une lutte d’influence contre l’Iran. Au Yémen, l’Arabie Saoudite est impliquée dans une autre guerre de conquête impériale des Etats-Unis, en participant à la répression des mouvements de libération scissionnistes au nord et au sud du Yémen.

Le Yémen, dirigé par Saleh, un dictateur soutenu par les Etats-Unis et au pouvoir depuis 1978, se livre à l’extermination de sa propre population pour se maintenir au pouvoir, avec l’aide des Etats-Unis. Le conflit est pourtant présenté en général dans sa version

propagandiste comme un conflit d’influence régionale entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Alors qu’il ne fait aucun doute que l’Arabie Saoudite est impliquée dans le conflit, ceci de son propre aveu, il n’existe par contre aucune preuve d’une implication de l’Iran, qui est pourtant constamment accusé d’ingérence par l’Arabie Saoudite et le Yémen. Il s’agit peut-être d’une tentative d’entraîner l’Iran dans le conflit ou tout simplement d’une nouvelle diabolisation du pays. Au milieu de cette nouvelle guerre yéménite, les Etats-Unis ont signé une vente d’armes avec l’Arabie Saoudite qui a battu tous les records de ventes d’armes des Etats-Unis, d’un montant de 60 milliards de dollars. Le contrat, et ce n’est pas un secret, est destiné à renforcer les capacités militaires de l’Arabie Saoudite afin de pouvoir intervenir plus efficacement au Yémen mais surtout pour défier et contrer l’influence croissante de l’Iran dans la région. Bref, les Etats-Unis sont en train d’armer leurs régimes marionnettes en vue d’une guerre contre l’Iran.

Israël n’a pas dénoncé cette vente d’armes tout simplement parce qu’à terme, cette vente servira ses intérêts dans la région où sa cible principale est l’Iran. De plus, Israël, un autre état marionnette, est soumis aux intérêts des Etats-Unis. Si une guerre régionale contre l’Iran est effectivement en cours de préparation, et il semblerait pour beaucoup que ce soit le cas, il est certainement dans l’intérêt d’Israël d’avoir des alliés contre l’Iran dans la région.

Wikileaks est-il une opération de propagande ?

Les dirigeants israéliens ont insisté lourdement pour dire que les documents de Wikileaks ne leur portaient aucun tort. Avant leur publication, le gouvernement US a informé les officiels israéliens sur le type de documents qui allaient être publiés concernant Israël. (5) Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré, « il n’y a aucune divergence entre nos positions publiques, entre nous et Washington, et notre perception de nos positions

respectives » (6) Le ministre de la Défense Ehud Barak a affirmé que ces documents « offrent une vision plus précise de la réalité. » (7) Un haut officiel turc a déclaré que de voir quels pays étaient satisfaits de ces fuites en disait suffisamment long et il a suggéré qu’Israël « est à l’origine de ces fuites » pour tenter de faire prévaloir ses intérêts et « faire pression sur la Turquie. » (8)

De plus, des spéculations circulent sur Internet et dans différents médias au sujet de Wikileaks comme quoi ce dernier serait lui-même une organe de propagande, peut-être même une façade de la CIA et un moyen pour « contrôler l’opposition » (qui, nous le savons, n’est pas immune aux activités de la CIA). Une telle spéculation est fondée sur l’utilisation qui est fait de l’information livrée par les câbles et semble totalement ignorer leur contexte.

Quel est ce contexte ? Commençons par Israël. Il ne fait aucun doute qu’Israël est bien un état criminel (comme tous les états, au fond), mais sa criminalité dépasse celle de la plupart des autres états dans le monde, à l’exception peut-être des Etats-Unis. Le nettoyage ethnique des Palestiniens est un des crimes les plus terribles et un des crimes contre l’humanité les plus

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persistants de ces 50 dernières années, et l’histoire jugera Israël comme l’état pervers, guerrier, inhumain et détestable qu’il est. Cela étant dit, Israël est tout sauf subtil. Lorsque le Premier Ministre israélien déclare que les documents de Wikileaks n’embarrassent pas son pays, il a très certainement raison. Et ce n’est pas parce qu’Israël n’a rien à cacher (rappelez- vous que les documents de Wikileaks ne sont pas des documents « top-secret », juste des câbles diplomatiques), mais tout simplement parce que les échanges diplomatiques d’Israël sont largement le reflet de ses déclarations publiques. Israël et ses dirigeants ont l’habitude de faire des déclarations absurdes, de menacer sans cesse l’Iran et ses voisins d’une guerre, ou de semer sa propagande selon laquelle l’Iran fabrique des armes nucléaires (chose qui reste à prouver). C’est pour cela que les fuites ne « touchent » pas Israël, parce que l’image d’Israël est déjà exécrable et parce que les diplomates et politiciens israéliens sont généralement aussi francs dans leurs déclarations publiques qu’ils le sont en privé. L’image d’Israël n’est donc pas modifiée par ces câbles. Bien sûr, les dirigeants israéliens – politiques et militaires – profitent de ces fuites pour déclarer qu’elles « confirment » leur opinions sur l’Iran, ce qui à l’évidence n’est qu’une opération de propagande, avec exactement la même technique que celle employée par les grands médias et qui consiste à prendre les câbles pour argent comptant.

L’Iran a affirmé que les fuites de Wikileaks n’étaient qu’une opération de propagande occidentale qui visait l’Iran. Cette déclaration elle-même doit être considérée comme de la propagande. Après tout, l’Iran a déclaré aussi qu’il était « ami » avec tous ses voisins, ce qui est faux et a toujours été faux. L’Iran, comme tous les états, a recours à la propagande pour servir ses propres intérêts. L’Iran n’est en aucun cas un pays merveilleux. Mais comparé aux pays chéris par les Etats-Unis dans la région (l’Arabie Saoudite par exemple), l’Iran constitue un bastion de liberté et de démocratie. Ceux qui tentent de contrer la désinformation et la propagande doivent demeurer vigilants devant les campagnes de désinformation menées contre l’Iran, et elles sont nombreuses. On sait que l’Iran fait partie des cibles des ambitions impérialistes des Etats-Unis. Mais il n’y a rien dans les documents de Wikileaks qui paraît faux en ce qui concerne l’Iran, particulièrement ceux rédigés par les diplomates occidentaux et les dirigeants arabes. Ces documents expriment effectivement leurs opinions et leurs opinions reflètent tout simplement les priorités politiques des Etats-Unis et de l’Occident et non l’expression d’une vérité. Il faut donc faire la distinction entre l’authenticité des

documents et la véracité de leur contenu.

Lorsque l’Iran déclare que les documents de Wikileaks ne sont que propagande, c’est faux. Il faut non seulement analyser l’authenticité des documents (et leurs sources) mais aussi, et c’est peut-être le plus important, analyser l’interprétation qui est faite de ces documents. Ce n’est donc pas l’authenticité de ces documents qui ne font qu’exprimer l’opinion de l’Occident et du Moyen-orient sur l’Iran (car ces opinions coïncident avec les réalités géopolitiques de la région) que je mets en doute, mais l’interprétation qui est faite de ces documents. C’est leur interprétation qui constitue à mes yeux la véritable opération de propagande de la part des gouvernements occidentaux et des médias. Cette propagande consiste à décrire ces documents comme des « analyses objectives » d’une réalité concrète, ce qui n’est pas le cas. Les

documents sont « objectifs » dans la mesure où ils reproduisent des points de vues exprimés par leurs auteurs, ce qui ne signifie nullement qu’ils sont le reflet de la réalité. Il y a là une différence qu’il faut absolument comprendre, à la fois pour pouvoir dénoncer la propagande et discerner la part de vérité.

La vérité sur la diplomatie

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