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Theatre et societe en afrique (translation)

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MINEKE SCHIPPER

EIGENDOM VAN VfiUE UNIVERSITEIT

FACULTEIT Obi LETTEREN'

/*£

THEATRE ET SOCIETE

(2)

5i vous désirez être tenu au courant de nos publications,

il vous suffit de nous adresser votre carte de visite à : Nouvelles Editions Africaines

B.P. 260 - 10, rue E.H A. Assane Ndoye - Dakar (Sénégal) Nouvelles Editions Africaines

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B.P. 4862 — 239, boulevard Circulaire • Lomé (Togo) Vous recevrez régulièrement, et sans aucun engagement de votre part, notre catalogue où se trouvent présentées toutes

les nouveautés que vous trouverez chez votre libraire.

Les Nouvelles Editions Africaines - 1984 Dakar - Abidjan - Lomé

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VAN VRIJE UNIVERSITEIT

ir Dtrf LETTEREN

THEATRE ET SOCIETE

EN AFRIQUE

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DU MEME AUTEUR

Le Blanc vu d'Afrique, Yaoundé, Editions Clé, 1973. Text and Context in Africa, Leiden, Centre d'Etudes

Afri-caines, 1977.

Réalisme. L'illusion de réalité dans la littérature. Assen/ Amsterdam, Eds. Van Gorcum, 1979.

De tovertam en andere oude verhalen uit Zaire, Maasbree, CZ, 1979.

Het zwarte paradijs. Afrikaanse scheppingsmythen, Maas-bree, CZ, 1980.

Afrikaanse letterkunde, Utrecht, Het Spectrum, 1983. Les mots sont comme des œufs. Essais et entretiens sur les

lettres africaines, Yaoundé, Editions Clé (sous presse).

Cet ouvrage a bénéficié pour sa publication d'une subvention du Ministère de la Culture

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Celui qui dit que la parole n'est rien se trompe, car

rien n'arrive à l'homme sans la parole, ni en bien ni en mal,

rien n'arrive à l'homme sans la parole, ni mariage ni enfant.

Celui qui dit que la parole n'est rien, c'est que lui-même n'est rien.

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TABLE DES MATIERES

I. INTRODUCTION 1 1

II. LITTERATURE ORALE ET THEATRE TOTAL 19 Le narrateur traditionnel 21 Mythes et contes étiologiques 24 Les ancêtres 28 L'épopée 32 Chant et récit 38 Le monde des animaux, miroir du monde humain 44 Marionnettes et mascarades 47 Comédies et farces 49 Un exemple de théâtre total : le Kotèba 53

III. LA TRADITION ORALE, SOURCE D'INSPIRATION 59 L'école William Ponty 59 L'Opéra populaire au Nigeria 61 Mythes et ancêtres : . . . . 64 Histoire et épopée 70 Contes et fables 78

IV. CONFRONTATION AVEC LE COLONIALISME 87 Première rencontre 8«

Le système colonial 93

Assimilation 98 Résistance 101

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V. TRADITIONS ET CHANGEMENTS 105

Tabous violés 1O6

Comportement ambigu 109

Tribalisme 111

Mariage et dot 114 Emancipation 119

VI. LA VILLE ET SES PROBLEMES 123

Grands et petits profiteurs 124 « High life » et misère 128

VU. THEATRE ET SOCIETE : LA VOIX DE WOLE

SOVINKA 133

Racines et influences 134 Eléments traditionnels 135 Héritage africain et négritude 139 Question« sceptiques 140 Tradition ou progrès ? 143

VHI. LE THEATRE POPULAIRE AUJOURD'HUI 147 « Urban pop culture » 148 Théâtre et politique 152

IX. CONCLUSION 157 OUVRAGES ET ARTICLES CONSULTES 161

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I.

INTRODUCTION

Le dicton que le inonde est un «théâtre» et que le théâtre est un «miroir du monde» existe dans bien des langues et sans doute est-il aussi vieux que le théâtre lui-même. Celui-ci se définit tout d'abord, d'après le diction-naire Larousse, comme le lieu où l'on donne des spectacles, mais avec le temps ce sens s'est élargi dans plusieurs direc-tions.

En grec, theatron indique le lieu où se donne la repré-sentation, où l'on « regarde avec étonnement » ; le mot signifie aussi « public » et « spectacle ». En français, le terme de théâtre se rapporte aussi à la littérature dramatique (on parle des règles du théâtre), à l'ensemble des pièces d'un pays, d'un continent ou d'un auteur (le théâtre sénégalais, africain ou américain, le théâtre de Soyinka) et à la profes-sion de l'acteur (quelqu'un peut se destiner au théâtre). Dans ce livre, le terme a un sens très large. Le problème des origines du théâtre est difficile à résoudre. Les faits manquent qui nous permettraient de retracer avec exacti-tude les débuts et le développement du théâtre au sein des sociétés humaines. On peut supposer que des formes dra-matiques se sont souvent développées à partir de rites reli-gieux, puisqu'il existe des exemples qui semblent résulter d'une telle évolution.

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dans le sens d' « action dramatique » en 560 avant JjC. par un Grec du nom de Thepsis, lorsqu'il ajouta aux chants et aux danses de ses chœurs religieux un personnage costumé et masqué qui représentait une part de l'action en paroles et gestes significatifs. Depuis ce temps-là, le terme drama indique le travail artistique qui exprime d'une façon imagée un événement à l'aide d'un ou plusieurs artistes devant un public, événement dont l'action est centrée sur l'Homme L'expression dramatique peut servir à ordonner et maî-triser le monde, afin d'assurer la continuité de l'espèce. Toutefois, l'homme, en imitant, ne cherche pas seulement à stabiliser, mais aussi à modifier, à influencer son monde dans la danse, il mime par exemple les mouvements d'un animal qu'il croit ainsi soumettre. Il y a aussi la danse des semailles, de la récolte, de la pluie, de la guerre, de la fécondité et de la mort. La danse n'est pas seulement un rite, mais elle représente aussi un travail ; elle est un acte nlein c\<* sens oui doit conduire au résultat souhaité (cf Benedict 1935: 66)*

Hunningher (1955 : 16) laisse entendre qu'à l'origine, le mouvement aurait joué un rôle plus important que la parole dans la «'création d'un monde ordonné». En cela, il se base sur le caractère émotif et collectif des rites : la parole serait insuffisante et imparfaite quand il s'agit d'ex-primer les choses de la vie et de la mort. Et pourtant dans les rites, les poids des gestes et des mots — qu'ils soient dansés, chantes ou parlés — évoluent différemment d'une région à l'autre.

Les rites doivent être exécutés impeccablement. Une faute ou une omission annihilent l'effet escompté et exigent qu'on les recommence. On ne peut pas s'imaginer les rites magiques sans une action dramatique ; toutefois, le théâtre au sens propre du terme ne commence que lorsque deux groupes se séparent, là où « te mouvement rencontre un contre-mouvement (...), où un coryphée se détache du chœur et non seulement sort de l'ensemble, mais aussi se met en face de celui-ci» (Van der Leeuw 1955 : 86).

* Les références entre parenthèses renvoient à la bibliographie

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-A l'origine donc, personne ne reste en dehors de l'évé-vemeiit, chacu.i y joue son rôle, bien que celui-ci puisse être plus considérable pour l'un que pour l'autre. Ce n'est qu'avec le temps que d autres formes naissent où des rôles dramatiques sont seulement attribués à quelques personnes, alors que les autres participants deviennent des « specta-teurs ». On a parfois supposé que, le groupe devenant trop grand, un petit nombre a fini par représenter la commu-nauté entière dans l'événement rituel (Beiss 1954 :9). Cepen-dant, tout cela relève plutôt du domaine de l'hypothèse que de celui des faits vérifiables.

Néanmoins, il existe toujours des restes de jeux très anciens qui devaient détourner la mort ou le malheur ; c'est en quelque sorte le simulacre du sacrifice qu'on faisait autrefois pour sauver la communauté. Dans le théâtre moderne, on retrouve ce thème de l'individu qui se sacrifie pour le groupe. En Afrique, le dramaturge Wole Soyinka s'en est servi dans sa pièce The strong breed (1963).

Dans la société dite archaïque, le mythe constitue la charte de la vie commune et de la culture. D'après Eliade (1957 : 21s), le mythe raconte l'histoire sacrée, la vérité absolue, sur laquelle doit se régler tout acte humain :

Etant réel et sacré, le mythe devient exemplaire et par conséquent répétable, car il sert de modèle, et conjoin-tement de justification, à tous les actes humains. En d'autres termes, un mythe est une histoire vraie qui s'est passée au commencement du Temps et qui sert de modèle aux comportements des humains.

Une littérature plus récente insiste moins sur le noyau historique du mythe. Claude Lévy-Strauss (1958 ; 1964-1971) par exemple interprète davantage le mythe comme l'expres-sion d'une cosmologie. La symbolique du mythe recèle un message dont le but est de transcender une opposition, comme celles entre la divinité et l'homme, entre l'homme et la femme, entre l'homme et l'animal. Bon nombre de mythes donnent un sens à k relation entre la nature et la culture. Les mythes assurent non seulement la continuité, mais ils confirment aussi les relations internes de k société. v/<->ilà

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OU d'un héros mythologique ou que Ton raconte leurs aven-tures. L'imitation et la narration font partie du jeu rituel qui assure le cycle de la vie. C'est de ce jeu que peut se développer le théâtre, au moment où un ou plusieurs dan-seurs, chanteurs ou acteurs se détachent du groupe et jouent leur propre rôle, celui de la vie ou de la mort, celui d'un animal sacré, d'un dieu, d'un esprit ou d'un héros. Ainsi naissent mouvement et contre-mouvement, action et réaction, acteurs et spectateurs. L'acteur est le coryphée, « l'interprète de ce qui remue toute la communauté au sens propre du mot » (Van der Leeuw 1955 : 85).

Les danseurs qui sont des acteurs portent souvent des masques entre autres dans les danses pantomimiques. Les masques ont une longue histoire, en Afrique comme ailleurs. Ils sont utilisés lors de cérémonies qui doivent assurer la consistance du groupe. Dans les mascarades, la danse et la musique alternent avec le chant et la récitation de poésie mythique. De telle? cérémonies peuvent durer plusieurs jours. Le plus souvent, ce :.ont les hommes qui portent les masques que les femmes ne sont même pas autorisées à voir, mais il y a aussi des cérémonies auxquelles les femmes seules ont accès (Laude 1972: 200; Eliade 1957: 262ss). Celui qui porte le masque symbolise par exemple l'histoire des temps anciens et démontre le lien étroit avec la communauté actuelle. En portant le masque, l'acteur devient la chaîne qui lie le commun des mortels au monde mythique des dieux, esprits et héros. Le masque affermit la réalité du mythe dans la vie quotidienne et souligne la continuité des valeurs tradi-tionnelles dans la société.

Les masques sont utilisés dans des cérémonies de diver-ses sortes. Lors de l'initiation, le féticheur peut en porter un. quand il représente l'esprit qui enseigne aux hommes l'art de vivre. L'initiation se termine souvent par des danses mas-quées qui expriment le sens de l'initiation : l'adolescent « meurt à l'enfance » (Senghor 1964a : 201) et renaît comme adulte. Les masques servent encore à protéger la société contre te crime et la sorcellerie, mais ils peuvent aussi être utilisés de manière négative. Les sociétés secrètes possèdent souvent des masques qui sont portés lors de réunions rituelles, comme le font les hommes léopards au Zaïre. Les masques

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protègent les danseurs pendant la cérémonie rituelle, lorsqu'ils s'emparent de la force vitale libérée par la mort d'un homme ou d'un animal. Ces forces ne peuvent pas nuire aux hommes lorsqu'elles sont utilisées de façon positive, au bénéfice de la société. Dans l'acte sacré que le jeu dramatique constitue à l'origine, le masque est un instrument magique qui fait triompher la vie face aux forces qui lui sont opposées (Laude 1972 : 197ss; Hunningher 1955 : 23ss) et qui assure la communication avec le monde mythique.

La plus ancienne littérature est transmise oralement d'une génération à l'autre. Les mythes et les légendes, l'his-toire des ancêtres, les pérégrinations du peuple et les exploits des grands chefs sont conservés pendant des siècles dans les mémoires des hommes sans avoir été écrits dans les livres. Dans la littérature orale, la représentation domine tout, contrairement à la littérature écrite où le texte est le plus important Celui-ci a été fixé une fois pour toutes, encore que différents lecteurs lui donnent une interprétation diffé-rente. Lors de la narration des anciennes histoires, la réci-tation peut être parlée ou chantée. La musique, la danse, le chant, le mime, les masques et les costumes en font un ensemble unique. Le narrateur improvise sur des thèmes connus, alors que la représentation dans son ensemble se déroule dans un cadre traditionnel d'actes rituels, de for-mules et de refrains. Le but de la narration est encore de ressusciter te mythe.

Van der Leeuw (1955 : 91,92) souligne la présence d'éléments comiques dans la représentation rituelle qu'il appelle « sacrale ». L'action théâtrale, au départ, est une unité où le sérieux et le rire ne sont pas séparés : la liturgie et la farce se rejoignent dans le même contexte. La fécon-dité de l'homme, de l'animal, de la plante est toujours le thème central : le rite et la fécondité entretiennent les liaisons les plus étroites.

A côté de la représentation rituelle, d'autres formes se développent. Alors, l'unité initiale n'existe déjà plus. Hunningher (1955 : 29ss) expose comment, à son avis, l'évolution des rites les plus anciens jusqu'à la tragédie et la comédie s'est déroulée dans la Grèce antique. Une telle évolution se produit également dans d'autres sociétés.

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La poésie et le théâtre prospèrent partout selon les talents des narrateurs et des acteurs. Les « hommes du métier » y gagent leur vie. Dans l'Europe du moyen âge, ils s'appellent bardes, ménestrels ou troubadours qui font le tour des cours et des châteaux avec leur one man show. Dans la rue, les mimes et les jongleurs jouent des farces, des bouffonneries et des fables; la liturgie, toujours en Europe médiévale, est représentée par les mystères et les jeux de la Passion.

La commedia dell'arte a considérablement influencé le théâtre populaire en Europe et surtout en France. Il y avait des personnages traditionnels que le public reconnaissait facilement grâce à leurs masques, costumes et gestes stylisés. Le jeu était improvisé et basé sur des effets de théâtre sim-ples. Le texte n'était qu'un élément parmi beaucoup d'autres comme le chant, la danse, la pantomime, l'acrobatie, les décors et les accessoires (Voltz 1964 : 40ss). Ce théâtre populaire a conservé toute sa vitalité, même quand la comé-die et le drame moderne se développèrent et que le public fut de plus en plus réduit au rôle d'auditeur passif et silen-cieux. Il ne reste plus alors grand-chose de l'événement rituel auquel participe la communauté toute entière.

L'essence de notre comportement humain est de plus en plus reléguée en marge de la vie moderne où se trouve aussi le théâtre. Cependant, il semble que peu à peu nous prenons conscience de ce que l'histoire de l'humanité n'est point une évolution irréversible de l'homme « primitif » jusqu'à « l'homme moderne occidental », mais que le mythe est un des éléments les plus profonds de notre être (Eliade 1957 : 38-39). Cette prise de conscience explique peut-être les nombreuses expériences qu'on tente aujourd'hui en Euro-pe comms en Amérique en redécouvrant des formes drama-tiques qui remontent aux rites anciens.

Les grandes lignes que nous avons tracées ci-dessus impliquent que le développement et le changement d'une société conduisent à d'autres formes d'expression dramati-que. Dans une société globale (non-différenciée), tout le croupe participe au jeu rituel. La différenciation se remar-que dans le théâtre comme dans beaucoup d'autres domaines dès que le religieux est séparé du temporel et le tragique

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-du comique. A toutes les époques, le théâtre reste le miroir de l'existence humaine. Si le théâtre africain d'aujourd'hui « reflète » plusieurs époques en même temps, c'est que plusieurs formes communautaires s'y retrouvent à la fois. Nous y reviendrons dans les chapitres suivants avec la des-cription de la tradition orale et dramatique qui existait en Afrique avant que celle-ci ne fût en contact avec l'Occident. Ensuite, nous exposerons de quelle façon la tradition orale constitue, par ses formes comme par ses thèmes, une source d'inspiration pour le dramaturge africain dit mo-derne, même s'il a subi d'une certaine manière l'influence du théâtre occidental. Enfin, trois chapitres traiteront suc-cessivement de trois grands thèmes, repris par beaucoup de dramaturges : le colonialisme, le changement de la société traditionnelle et l'urbanisation, thèmes qui sont en rapport direct avec la société africaine actuelle.

Un livre sur le théâtre et la société en Afrique serait incomplet si Wole Soyinka n'y figurait pas. Pour l'étendue et les qualités particulières de son œuvre, mais aussi à cause de sa vision critique de la société, cet auteur fera l'objet d'une analyse séparée. Ses pièces sont parfois diffi-ciles à comprendre, mais après ce qui aura été préalablement dit sur tes formes traditionnelles et les trois thèmes men-tionnés, de multiples éléments de son œuvre seront plus accessibles au lecteur.

Le théâtre ne « reflète » pas la société d'une façon objective une réalité objective n'existe d'ailleurs nulle part — mais il est un instrument au moyen duquel danseurs, chanteurs, narrateurs et acteurs représentent leurs propres réalités et celles de leurs contemporains.

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II.

LITTERATURE ORALE ET THEATRE TOTAL

II est hasardeux de tracer des frontières entre la litté-rature orale et le théâtre : la littélitté-rature orale est en même temps une forme de théâtre, parce que la façon dont le « contenu » est représenté constitue un aspect essentiel de cette littérature.

Le théâtre et la littérature orale traditionnelle recréent chaque fois l'œuvre originale (cf. Burns 1973 : 23). Les sen-timents, la mimique, les gestes, l'intonation, l'alternance des rythmes et du repos et la variation des émotions expri-mées, les réactions immédiates des acteurs à celles des spectateurs et vice versa, tout cela participe du caractère oral de la littérature non-écrite en Afrique et est inhérent au théâtre.

Ruth Finnegan (1972 : 2) souligne que l'étude de la littérature orale a méconnu jusqu'à présent la caractéris-tique la plus essentielle de cette littérature : à savoir la signification de l'interprétation elle-même et la présence indispensable de l'interprète ou des interprètes sans qui cette littérature « ne peut pas être réalisée » et ne peut même pas exister en tant que « produit littéraire ».

Se demander si, dans l'Afrique précoloniale, un « théâ-tre véritable» a existé question à laquelle certains Européens ont répondu par la négative - - c'est avant tout faire preuve d'un raisonnement ethnocentrique. H me semble faux d'ériger en critère le théâtre occidental de ces derniers siècles pour décider si tel ou tel peuple ou continent

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naît cm ignore le théâtre. En Europe, l'élément verbal a fini par dominer tous les autres. Ailleurs, il n'en est pas ainsi : la parole peut être soumise à d'autres éléments et former avec eux un ensemble harmonieux. On ne saurait donc con-clure que les peuples non-occidentaux ignorent le théâtre. Différentes sociétés peuvent parfaitement développer une expression dramatique différente. La très ample définition de Van der Leeuw donnée ci-dessus permet de prévenir ce genre de discussions stériles. D'ailleurs, dans les années trente de notre siècle. Antonin Artaud s'est déjà attaqué au caractère purement verbal et psychologique du théâtre occidental. Dans Le théâtre et son double (1964), il accuse l'Occident d'avoir prostitué le théâtre :

Comment se fait-il qu'au théâtre, au théâtre du moins tel que nous le connaissons en Europe, ou mieux en Occident, tout ce qui est spécifiquement théâtral, c'est-à-dire tout ce qui n'obéit pas à l'expression par la parole, par les mots, ou si l'on veut tout ce qui n'est pas contenu dans le dialogue (...) soit laissé à l'arrière-plan ? (o.e. : 44s).

Aussi Artaud se passionne-t-il pour le théâtre oriental qui prend -possession des formes non seulement sur le plan verbal, mais sur tous les plans à la fois et cette multiplicité lui fait conserver son caractère concret et spatial, total.

La littérature orale en Afrique n'existe pas sans expres-sion dramatique. L'interprétation, la représentation cons-tituent un événement total auquel participent tous les assis-tants, soit en racontant ou en jouant de la musique, soit en accomoagnant les rythmes des mains, en dansant ou en chantant tous ensemble en approuvant ou en réprouvant : les spectateurs sont étroitement mêlés au spectacle dont ils sont en même temps les critiques immédiats.

C'est ainsi que prend forme un théâtre total qui l'est de deux façons. D'abord, parce que le narrateur est le plus souvent aussi poète, chanteur, musicien et acteur. Tl est poète, parce qu'il recrée, en improvisant, les textes tradi-tionnels avec ses connaissances, son métier et sa maîtrise de la littérature traditionnelle (cf. Lord I960: Finnegan 1970) Tl est chanteur, parce qu'il chante des parties ou l'ensemble de son texte Tl est musicien, lorsqu'il s'accompagne de son

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-instrument. Parfois, il est soutenu par tout un orchestre d'instruments de percussion, tam-tams, xylophones, etc. Il est enfin acteur, parce qu'il interprète des rôles différents avec la voix et le geste. Mais ce théâtre est aussi total par le rôle actif qu'y tient le public. La danse, la musique et le chant y existent en fonction de leur valeur sociale et servent de dialogue entre deux groupes ou entre individu et groupe. Aujourd'hui encore, la danse et la musique complètent souvent les représentations théâtrales en Afrique, même dans l'œuvre des auteurs qui ont subi l'influence de l'Occi-dent.

LE NARRATEUR TRADITIONNEL

Si nous employons ici le terme narrateur, c'est faute de mieux. Nous avons déjà dit qu'en Afrique, le narrateur oral doit être un artiste aux talents divers. Tl est vrai qu'il existe le terme griot, dérivé d'après Eno-Belinga (1965 : 112) du mot gewel en langue wolof et du mot dyèli en langue bam-bara. Eno-Belinga pense d'ailleurs, lui aussi, que les mythes, les poésies épiques et autres de l'Afrique ne peuvent pas être étudids sérieusement en faisant abstraction de l'artiste qui les interprète et transmet. Il y a les narrateurs profes-sionnels et les amateurs. Les profesprofes-sionnels se divisent en itinérants et sédentaires. Ces derniers sont attachés à un prince ou un chef. Par ailleurs, il est difficile de dégager des caractéristiques générales au sujet des narrateurs, car leur position est partout différente. Chez les Bambara par exempte, ils constituent une caste à part : ailleurs on les considère comme des mendiants professionnels, comme les gawlo au Sénégal (Eno-Belinga 1965 : 115), Certains d'entre eux se sont spécialisés à raconter l'histoire et la généalogie de la tribu. Ils doivent respecter les faits. D'autres traitent leur matériel avec la plus grande liberté afin d'en donner une interprétation très personnelle (voir par exemple Menga 1974).

Sur le narrateur on peut dire les choses les plus contra-dictoires : il est puissant, parce qu'il sait utiliser la parole et en même temps, il dépend de ses concitoyens. Il est riche et mendiant en même temps. On le craint, car dans ses pres-tations, il peut brocarder quelqu'un en plein public. F est

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le maître de la parole : par elle, il communique avec la force vitale et en racontant les mythes, il touche à la vérité la plus profonde. Il constitue la liaison entre dieux et hom-mes ; c'est grâce à ses incantations dans les cérémonies que L'harmonie de la communauté est conservée. Le poète-chanteur joue un grand rôle dans tous les rites : il fait office de coryphée et de maître des cérémonies, tandis que lui ou quelqu'un d'autre accomplit le sacrifice ou l'acte magique. Le plus souvent, l'acquisition des « textes » se fait soit par héritage, soit à la suite d'une opération d'achat. Il y a aussi des chantres féminins dans les rites pour femmes (Alexandre et Binet 1958, cité par Eno-Belinga 1965 : 121). Chez le groupe ethnique des Beti, Fang et Bulu, le narra-teur s'appelle mbôm-mvet ce qui veut dire littéralement « frappeur de cithare » (voir aussi Bebey 1969 : 42ss ; Towo-Atangana 1966 : 8ss). Parmi son peuple, il jouit d'une grande considération et de nombreux privilèges :

Pendant qu'il récite ou chante en jouant de la cithare, Je mbôm-mvet est accompagné d'un orchestre et d'un chœur. L'orchestre est essentiellement composé d'ins-truments de percussion : sonnailles (...), peau d'antilope (...) roulée et frappée avec deux baguettes en bois, tiges de fer ou de bois frappées les unes contre les autres. Un tronc de musacée, nko'ékon, peut remplacer la peau d'antilope. Toute l'assistance forme le chœur. Celui-ci est dirigé par la femme du mbôm-mvet ou par quel-qu'un d'autre de l'entourage immédiat de celui-ci, pour-vu qu'il connaisse les refrains et les couplets inclus dans le répertoire habituel de l'artiste récitant. Quand l'épi-sode qu'il développe est un drame, le mbôm-mvet don-ne sa cithare à sa femme et, pendant que l'orchestre continue à jouer et le chœur à chanter il mime le drame, esquisse quelques pas de danse puis enfin, l'émo-tion grandissant, il se met à danser. Ainsi la danse, moyen d'expression plus puissant, traduit ce qui ne peut plus être dit, tout ce que la musique voudrait clamer plus passionnément (Eno-Belinga 1965 : 124).

Les professionnels sont beaucoup moins nombreux que

\cs amateurs. Roland Colin (1965 : 145) fait remarquer à

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professionnels, dont certaines sociétés ignorent jusqu'à l'exis-tence. Il n'y a pas que des narrateurs mais aussi des narra-trices. Le célèbre auteur Birago Diop (1962, 1963, 1965) tient beaucoup d'histoires qu'il a notées de sa grand-mère qui les lui racontait le soir jujsqu'à ce qu'il s'endorme. La plupart des narrateurs appartiennent à la vieille génération. C'est généralement le soir ou la nuit qu'ils se mettent à l'œuvre, oe qu'on explique en prétendant que «cela a été la coutume depuis toujours et que nos parents et grands-•parents faisaient ainsi ». Parfois il semble qu'un tabou frappe certains sujets pendant la journée. La nuit tropicale forme le vrai décor de la narration dramatisée, qui peut être com-mencée spontanément dans le cercle familial après le repas en commun, ou à certaines occasions lorsque tout le village est réuni autour du feu.

D'ordinaire, le narrateur s'accompagne soi-même à la cithare, au luth ou à la «harpe-guitare», mais il peut aussi se faire accompagner par un ou plusieurs musiciens. H apprend son métier chez un maître qu'il appelle «père», mais qui très souvent n'est pas son père naturel. Tl n'est pas rare que le « père » se "fasse payer pour ses services, parfois de façon symbolique. En prenant la parole, le narrateur cite d'abord ses « sources ». par exemple de la manière suivante :

Mon père (souligné par Eno-Belinga) m'a conté et son père le lui avait dit, qui le tenait d'un tel, qui l'avait acheté d'un tel autre, à qui un tel tiers l'avait vendu... (Eno-Belinga 1965 : 116).

Des formules consacrées annoncent le début et la fin d'une histoire comme l'expression «il était une fois». Roland Colin (1957 : 84) décrit la fête nocturne que les Samo en Afrique occidentale célèbrent après la récolte du maïs. On grille des épis de maïs. Le narrateur a pris place parmi son auditoire qui est assis autour du feu. Tout à coup quelqu'un demande à un autre : « As-tu vu mon anneau ?» La réponse est alors : « Je l'ai donné à X ». Et X enchaîne : « Je l'ai donné à Z ». Ainsi on fait le tour du cercle, jusqu'à ce que quelqu'un réponde : «Je l'ai donné à un tel», en mention-nant le nom du narrateur. Celui-ci prononce alors le pré-ambule traditionnel : «Ici commence mon histoire... il était une fois». H est possible qu'une telle formule ait eu une

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-lourde signification magique à l'origine et qu'elle fût desti-née à créer l'ambiance adéquate pour faire ressusciter le mythe (voir aussi Finnegan 1970 : 380, 381).

MYTHES ET CONTES ETIOLOGIQUES

Les termes mythe, légende, conte de fée et fable sont confondus plus d'une fois ou employés de façon imprécise. Nous n'insisterons pas ici sur ce point (voir par exemple Luthi 1970 et 1974, Shipley 1970). Délimiter le domaine du mythe en Afrique est une tâche très délicate. Bascom (1965 : 481) fait remarquer qu'en Afrique, distinguer le mythe d'avec la légende est si difficile parce qu'il manque la distinction entre le sacré et le profane.

Si le mythe doit relater les événements du passé et être lié à la religion et aux rites, s'il doit contenir des vérités et des dogmes qui ne souffrent d'aucun doute dans la société de leur origine, alors Finnegan (1970 : 362) a raison en constatant que les mythes ne sont pas si généraux en Afrique que le suggère l'emploi fréquent du terme :

H est vrai que beaucoup de prétendus mythes con-tiennent des éléments étiologiques et traitent d'êtres surnaturels ou d'événements qu'on situe très loin dans le temps. Mais d'autres caractéristiques des «"mythes» leur font souvent défaut : leur autorité et leur entière acceptation en tant que compte rendu sérieux et véridiques.

Finnegan aboutit à cette conclusion en se basant sur ses propres lectures et expériences, d'autre part, on ne peut pas exclure qu'à l'origine, la croyance en la vérité des mythes fut entière et qu'elle n'a été corrompue et «^manipulée» qu'ultérieurement sur un certain nombre de points. Mais cala n'enlève rien à la difficulté de définir le mythe par rapport aux autres genres de narration - - notamment les contes étiologiques.

C'est sous cette réserve que nous nous servirons désor-mais du terme de mythe dans ce livre. Il est sans doute superflu de dire que nous n'attacherons jamais à ce terme l'acception qu'il comporte parfois en Occident, cehii d'un conte invraisemblable et fantaisiste. Une des fonctions du mythe est de concrétiser des idées abstraites sur l'existence

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-humaine : il peut être conçu comme une ontologie, mise en forme de récit pour plus de clarté. Le mythe explique par exemple les origines de l'existence. A celui qui ne connaît pas les mythes d'un peuple, ses rites les plus courants sont incompréhensibles aussi (Dieterlen 1951 : XIX). L'homme peuple son monde de dieux et d'autres êtres surnaturels et en assure l'existence par un système de rites. Les ancêtres morts sont les intermédiaires entre les hommes et les dieux. (Holas 1968).

Partout en Afrique, des mythes racontent la création du monde et les origines des premiers hommes. Les contes qui expliquent pourquoi les choses sont ce qu'elles sont, sont appelées des contes étiologiques. Les hommes n'ont jamais cessé de poser des questions à eux-mêmes et aux autres, voulant trouver une explication aux contradictions insolubles de la vie. Personne ne finira jamais de réfléchir sur les origines de la vie et de la mort et il va de soi qu'en Afrique aussi on a cherché la réponse à des questions telles que : Comment tout cela a-t-il commencé ? D'où vient la mort ? A-t-elle toujours existé ? etc. Les Fulani du Mali se racontent un récit profond sur la création et la mort, qui reflète bien la hiérarchie des forces qui dominent la pensée de ce peuple :

Au début était une énorme goutte de lait. Vint alors Doondari, qui créa la pierre. La pierre créa le fer

Et le fer créa le feu Et le feu créa l'eau Et l'eau créa l'air.

Alors Doondari descendit une deuxième fois Tl prit les cinq éléments

Et en créa l'homme.

Mais l'homme était orgueilleux. Alors Doondari créa la cécité Et la cécité défit l'homme.

Mais la cécité devenant trop orgueilleuse, Doondari créa le sommeil,

Et le sommeil défit la cécité;

Mais la céci'é devenant trop orgueilleuse. Doondari créa les soucis et les soucis défirent

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Mais les soucis devenant trop orgueilleux,

Doondari créa la mort et la mort défit les soucis. Mais lorsque la mort devint trop orgueilleuse, Doondari descendit pour la troisième fois.

H vint sous la forme de Gueno, l'éternel. Et Gueno défit la mort. (Beier 1974 : 1-2).

Comme la mort, la naissance des enfants de l'homme et des petits des animaux a toujours été un grand mystère. Le conte suivant des Nupe du Nigeria explique comment les enfants et la mort sont venus au monde.

Dieu avait créé la tortue, l'homme et les pierres. Tous trois il les avait créés mâles et femelles. D inspira la vie à la tortue et à l'homme, mais pas aux pierres. Aucune des trois espèces ne pouvait avoir d'enfant. Quand une tortue ou un homme ou une pierre était devenu vieux, il ne mourait pas, mais renaissait à la jeunesse. Mais un jour, l'envie prit à la tortue d'avoir des enfants. Elle vint à Dieu et en fit la demande. Dieu répondit : « Je t'ai donné la vie, que cela te suffise. Tu n'auras pas d'enfants ».

Mais fa tortue revint souvent à la charge. Finalement, Dieu lui dit :

« Sais-tu bien ce que tu demandes ? Une fois nue tu aurais eu des enfants, il le faudrait mourir. C'est là le

sort de tous les êtres vivants qui ont des enfants ». Mais la tortue dit :

«Laisse-moi voir mes enfants et mourir». Alors, Dieu accorda sa demande à la tortue.

Mais l'homme, voyant les enfants de la tortue, voulut aussi en avoir. Dieu l'avertit comme il avait averti la tortue, disant qu'ainsi il demandait sa mort. Mais comme la tortue, l'homme ne fut point ébranlé et dit : « Laisse-moi voir mes enfants et mourir ».

C'est ainsi que les enfants et la mort vinrent au monde. Seules les pierres n'ont pas demandé à avoir des enfants et c'est pourquoi elles ne meurent jamais. (Beier 1974 : 58-<9).

On cherche une explication à la création, à la vie et à la mort. L'origine ou l'invisibilité des dieux, les phénomènes

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physiques l'aspect de l'homme et des animaux et nombre d'autres choses suscitent des questions. Pourquoi Dieu a-t-il quitté tes hommes ? {Mende, Sierra Leone ; Dinka, Soudan pourquoi la lune et le soleil sont-ils au ciel ? {Fanti, Ghana) pourquoi les hommes sont-ils divisés en beaux et laids ? (Yoruba, Nigeria); d'où vient le feu? (La, Zambie;Pyg-mées. Zaïre ; Dogon, Mali) ; pourquoi le ciel est-il si loin ? (Bini, Nigeria) etc. Qu'il y ait deux sexes différents et des hommes noirs et blancs, que la chauve-souris ne vole pas pendant la journée, que la guêpe ait la taille si fine et que la tortue porte une carapace sur le dos, tout cela est expliqué en autant de contes étiologiques (voir Basset 1883 ; Beier 1974 : Garey 1970 ; Knappert 1971 ; Parrinder 1973 e.a). Traoré (1958 : 33-34) décrit une représentation à la-quelle il a assisté lui-même chez les Fulani (Peul), un peuple berger au Sénégal. Femmes et enfants se sont rassem-blés autour du feu dans l'enclos du chef. Tout en racontant, le narrateur pince sa guitare, n'interrompant la musique que pour exécuter quelques gestes ou pas de danse qui renforcent ses paroles. Il conte l'histoire de la belle Penda qui est changée en lamantin, histoire très populaire parmi ces habi-tants, de la savane .

Une femme prénommée Penda était la plus belle fille du pays de Galam, province du Sénégal. Elle avait pour mari Samba, le plus grand chasseur que le pays ait jamais connu. La beauté de l'une, la renommée de l'autre sont immortalisées par la gui-tare et la voix mordante du conteur et tout cela donne à l'assistance l'occasion de servir de chœur. Le jour du mariage de Penda, sa mère lui avait fait cette recommandation sur un ton sentencieux : « Garde-toi de paraître nue devant ton mari ! » Et Penda s'était promise d'y veiller.

Bien sûr, ü arrive que Penda se baigne et que son mari survient au moment où elle sort de l'eau, toute nue. Effrayée, elle saisit le premier objet qu'elle puisse trouver, le van avec lequel elle travaillait avant de se baigner et, le tenant devant son ventre, elle replonge dans l'eau, en suppliant le génie de Veau de la changer en poisson, afin qu'elle n'ait plus à porter le déshonneur parmi les hommes.

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-Et le génie de l'eau changea la belle Pentla en un poisson qu'on appelle le lamantin, portant de véritables seins qui rappellent ceux de Penda; en outre ce poisson possède au bas de son corps une plaque qui n'est autre que le van que Penda avait appliqué contre son sexe.

L'histoire de Penda montre nettement des caractéris-tiques écologiques. Le lamantin est un animal sacré ehe/ les Fulani et la narration se termine par un chant à sa gloire, entamé par le narrateur et le public ensemble. La métamor-phose d'une femme en un serpent, un poisson ou autre ani-mal aquatique est fréquente dans les mythes africains.

Les dieux et les génies de l'eau peuplent la mer et de nombreux fleuves, rivières et lacs (Parrinder 1973 : 83ss). Soyinka utilise ce thème dans The Swampdwelters (1969; cf aussi Qgunyemi 1973). L'eau peut aussi jouer un rôle dans la force vitale et dans la fécondité. Certains peuples ont coutume de sacrifier, au bord d'un fleuve aux animaux qui l'habitent afin d'implorer par leur intermédiaire la faveur des dieux ou des ancêtres. A ce sujet, Holas (1965 : 194) relève qu'il ne faut jamais confondre le poisson, te serpent, le crocodile, la tortue, etc, avec les « essences authentique-ment divines » dont les animaux ne sont que « l'image vivante ».

LES ANCETRES

De façon générale, les premiers hommes dont parlent les mythes sont considérés aussi comme les fondateurs d'un peuple. Les premiers ancêtres ainsi que leur descendance morte depuis sont censés exercer une grande influence sur les vivants. On vénère les ancêtres comme des demi-dieux et ceux qui de leur vivant avaient rang de chef de tribu conservent une grande puissance après leur mort : ils sont consultés avant les décisions importantes, par exemple avant le jugement ou lors de cérémonies traditionnelles. Il faut bien les respecter, car, au besoin, ils pourraient punir les vivants, en frappant de maladie ou de malheur les hommes et leurs troupeaux, en arrêtant les pluies et en desséchant les champs ou en rendant stériles les femmes. (Holas 1968 : 122ss).

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Afin de bénéficier des faveurs des ancêires d'apaiser leur colère et de s'assurer de leur aide et bienveillance, on fait des sacrifices aux morts. Dans Horn of my love (1974 : 93-95). Okot p'Bitek donne l'exemple d'un texte rituel qui est prononcé à une telle occasion. Il l'a noté chez les Acholi en Ouganda. Un des anciens s'adresse à la communauté. Il a reçu un message des ancêtres et convoqué le peuple : il faut sacrifier afin d'infléchir les morts à la bienveillance. Le texte montre nettement que la communauté entière par-ticipe à cet événement.

Un des anciens

de la tribu : Aujourd'hui, les ancêtres ont parlé : Apporte-moi un bouc brun

Des poulets et de la bière.

Mon père, vous avez demandé de la nour-riture.

Aujourd'hui, il y a ici de la nourriture [pour vous ; Venez ;

Convoquez tous vos frères. Voici votre nourriture.

Vous, hommes et femmes de mon clan, Je vous ai appelés

Parce que j'ai préparé de la nourriture [pour nos pères. Venez, offrons-leur de la nourriture. Aujourd'hui, j'ai un bouc à offrir. Offrons-le à mon père.

Vous, nos pères.

Accepte/ la nourriture que nous vous [offrons aujourd'hui ; Voici votre nourriture.

Pourquoi aurions-nous peur de vous Vous êtes nos pères.

Voici votre bouc.

Buvez son sang aujourd'hui.

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-Tous Ancien Tous Ancien Tous Ancien Ancien Tous Ancien Tous Ancien

Voici votre nourriture.

Faites que nous, vos enfants, soyons en [bonne santé; Et que nos femmes mettent au monde des enfants sains ;

De façon que votre nom ne soit jamais

F effacé Voici des poulets pour vous

Aujourd'hui, nous vous offrons du sang. Donnez-nous une bonne santé ;

Qu'il n'y ait pas de mort dans la [maisonnée Si nous n'étions pas là.

Vous n'auriez pas de nourriture Voici de la bière pour vous : Donnez-nous une bonne santé. Que le silence soit, oh.

Que le silence soit.

Aujourd'hui, nous avons préparé un festin [pour mon père ; Aujourd'hui, je lui ai donné de la

("nourriture : Mais que le silence soit.

Donnez-nous une bonne santé : Donnez une bonne santé au peuple : Faites que les lions soient tués : Faites qu'ils soient tués, tués, tués : Faites que nos javelots soient droits et

r pointus. : Faites qu'ils soient droits et pointus. : Faites que nos femmes mettent au monde

[des enfants sains. Faites qu'elles mettent au monde des [enfants sains : Que la récolte -pousse bien, qu'elle mûrisse

f bien : Que la récolte pousse et mûnsse bien : Qu'on entende les cris des enfants : Qu'on les entende, entende, entende Qu'on entende les cris des enfants

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Tous Ancien Tous Ancien Tous Ancien Tous

Qu'on les entende, entende, entende. Que le soleil couchant emporte de notre

[ enclos les maux vers l'ouest. Oui, qu'il les emporte,

Qu'il les emporte. Qu'il les emporte.

Que le soleil couchant les emporte. Il les a emportés maintenant.

Les liens entre morts et vivants sont indissociables. Les plus anciens ou les patriarches servent de médiateurs entre les deux groupes. On ne saurait dégager des traits communs à tous les ancêtres : tantôt, on leur confère surtout des qua-lités humaines, tantôt des quaqua-lités divines. Et comme tou-jours, la frontière entre l'humain et le divin est difficile à tracer.

En général, un ancêtre sera prêt à aider sa descendance dans les problèmes de la vie, mais il faut craindre aussi sa punition. Quoi qu'il en soit, les morts continuent de vivre parmi les vivants. Birago Diop, le célèbre narrateur et poète sénégalais, raconte dans son récit -poétique Sarzan H 965 : 180-183) les différentes manifestations des ancê'res :

Ecoute plus souvent Les choses que les Etres La voix du Feu s'entend. Entends la Voix de fEau. Ecoute dans le Vent Le Buisson en sanglots : Cest le Souffle des ancêtres.

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis : Us sont dans l'Ombre qui s'éclaire

Et dans l'Ombre qui s'épaissit.

Les Morts ne sont pas sous la Terre : Ils sont dans l'Arbre qui frémit, Us sont dans te Bois qui gémit. Us sont dans l'Eau qui coule. Ils sont dans l'Eau qui dort,

Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule Les Morts ne sont pas morts.

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Ecoute plus souvent Les Choses que les Etres La Voix du Feu s'entend. Entends la Voix de l'Eau. Ecoute dans le Vent Le Buisson en sanglots :

C'est le Souffle des Ancêtres morts, Oui ne sont pas partis

Qui ne sont pas sous la Terre Oui ne sont pas morts...

Dans le fragment d'Okot p'Bitek comme dans celui de Sarzan, des mots, des lignes ou des strophes entières sont répétés fréquemment. La répétition de formules, phra-ses, vers, chants et refrains relève du caractère oral de cette littérature. Les répétitions ne gênent personne, au contraire, toute l'audience récite ou chante ensemble avec enthousiasme les paroles connues du narrateur. Plus loin, nous reviendrons encore sur le rôle du chant dans l'ensemble de la narration.

L'EPOPEE

L'épopée est un genre littéraire bien connu. On le trouve partout dans le monde. L'épopée a toujours été étroitement liée à l'histoire des peuples qui pratiquent ce genre littéraire. L'Afrique connaît aussi la chronique histo-rique, conservée et transmise par un historien. A côté de celle-ci, l'épopée existe parfois comme un genre bien défini. Mais il arrive aussi qu'on omette de faire la distinction ou qu'on passe imperceptiblement d'une forme à l'autre.

Les historiens des sociétés traditionnelles ont pour tâche de conserver le souvenir de la généalogie du prince et des hauts faits de son peuple, les migrations, les guerres, les conquêtes, les défaites et les victoires, et de les réciter devant leurs contemporains. L'historien cherche avant tout la vérité dans les faits : la narration exacte des événements lui importe plus que la forme artistique. L'épopée au contraire ne se contente ras du seul reflet des événements passés. Le con-teur de l'épopée veut captiver son auditoire ; cher, lui, l'ima-gination et d'autres qualités artistiques priment Fexactitude

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-historique. Pourtant, l'auteur ne lâche jamais entièrement la bride à sa fantaisie et l'épopée conserve toujours un fond historique. Elle relate toujours les exploits d'un seul ou de plusieurs personnages ayant réellement vécu et dont les jeunes générations gardent le souvenir. Une des caractéris-tiques de l'épopée est donc que le personnage principal a réellement vécu. D'autres éléments comme les batailles, les conquêtes, etc. sont authentiques aussi. Seulement, l'épopée rend le héros plus héroïque et ses exploits plus merveilleux qu'ils ne l'aient jamais été. Elle inclut aussi des prodiges et de la magie ; dieux et esprits y jouent parfois un grand rôle. Le héros devient plus qu'un homme, plus qu'un ancê-tres et on le vénère souvent comme un dieu.

Ces caractéristiques s'appliquent aussi bien à la poésie épique des peuples européens et asiatiques qu'à l'épopée telle qu'elle est connue en Afrique .Les épopées appartien-nent partout à la tradition orale. Homère fut un poète aveugle qui recréa l'Hiade et l'Odyssée qui lui étaient trans-mises par la voie traditionnelle (Lord 1960). La chanson de Roland et le cycle de Guillaume d'Oranee sont des exemples de l'ancienne poésie épique française. Ils étaient racontés par des troubadours, des chanteurs et narrateurs itinérants, comme cela se faisait et se fait encore dans les milieux traditionnels africains. Les récits sont longs, sou-vent ordonnés en des cycles et peu propres à être compri-més en une courte narration. La récitation d'une épopée dure toute une nuit ou plusieurs nuits de suite. Frobenius (cité par Finnegan 1970) a recueilli du matériel sur la litté-rature épique chez les Fulani. Au Zaïre chez les Mongo, on raconte l'épopée de Lianja (Boelaert 1957, 1958 ; De Rop 1964) et chez les Nyanga, l'épopée de Mwindo (Bie-buyck 1965, 1978). L'épopée de Mwindo fut racontée en douze jours à Biebuyck et ses collaborateurs par un barde de Kisimba, un village isolé dans la province du Kivu. Cet homme, She-Karisi Candi Rureke (She-Karisi signifie « auteur d'un texte épique »), raconta, chanta et joua les nombreux épisodes de l'épopée de Mwindo d'un seul trait, mais il insista sur le fait que normalement les choses ne se passaient jamais de cette façon ; jamais on ne racon-tait l'épopée entière d'un trait, celle-ci éracon-tait transmise en plusieurs épisodes et à différentes occasions (Biebuyck

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-1971 : 274). Finnegan (1970 : 370-71) fait une remarque analogue au sujet de cycles comparables (cf. aussi Knap-pert (1958). qui a étudié l'épopée swahili de Heraklios en Afrique orientale). L'histoire du héros zoulou Chaka, qui nous a été transmise par la tradition orale, a été mise par écrit pour la première fois par Mofolo. dont le texte a servi de base à la traduction anglaise de Dutton 1931). Ces dernières années, les épopées africaines sont de plus en plus transcrites par les chercheurs et traduites dans les langues européennes,

Une des épopées les plus célèbres de la littérature afri-caine est celle de Soundjata, qui raconte l'histoire de l'an-cien empire mandingue ou Mali. Le texte a été transcrit en langue malinké et traduit en français par Djibril Tamsir Niane, qui l'avait recueilli d'un vieux narrateur du village Djeliba Koro dans la région de Siguiri (Guinée). Niane déclare dans son livre qu'il n'a fait qu'écouter et regarder les vieux narrateurs mandingues et que son récit est le leur : « Je ne suis qu'un traducteur, je dois tout aux Maî-tres », dit-il dans son avant-propos (Niane 1961 : 9). Soun-djata est le héros de l'épopée qui commence avec l'histoire des premiers rois mandingues et explique ensuite tes parents de Soundjata, sa maladie et sa guérison miraculeuse. La lutte contre Soumaoro Kante, le roi des Sosso, un peuple voisin, constitue un épisode central ; Soumaoro détruit l'empire mandingue et Soundjata, le roi légitime, devient un prince sans pays. Il cherche et obtient l'aide d'un peu-ple voisin et ensemble avec le roi Moussa Tounkara il part affronter l'ennemi pour reconquérir son royaume. La bataille décisive sera livrée à Krina. Soundjata a installé son camp dans la vallée du Djoliba.

Soundjata et Soumaoro, jusque-là, s'étaient battus sans déclaration de guerre ; on ne fait pas la guerre sans dire pourquoi on la fait. Ceux qui se battent doivent au préalable faire une déclaration des griefs ; de mê-me que le sorcier ne doit pas attaquer quelqu'un sans lui reprocher une mauvaise action, de même un roi ne doit pas se battre sans dire pourquoi il prend les armes.

Soumaoro s'avança jusqu'à Krina, près du village de

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Dayala sur le Djoliba, et décida d'affirmer ses droits avant d'engager le combat.

Soumaoro savait que Soundjata était aussi un sor-cier ; au lieu d'envoyer une ambassade, il confia ses paroles à un de ses hiboux. L'oiseau des nuits vint se poser sur le toit de la tente de Djata et parla : le fils de Sogolon à son tour envoya son hibou à Soumaoro. Voici le dialogue des rois-sorciers :

— Arrête, jeune homme. Je suis désormais roi du Manding ; si ru veux la paix, retourne d'où tu viens, dit Soumaoro.

— Je reviens, Soumaoro, pour reprendre mon royau-me. Si tu veux la paix tu dédommageras mes alliés et tu retourneras à Sosso, où tu es roi.

- Je suis roi du Manding par la force des armes ; mes droits ont été établis par la conquête.

— Alors je vais t'enlever le Manding par la force des armes, je vais te chasser de mon royaume.

- Apprends donc que je suis l'igname sauvage des rochers, rien ne me fera sortir du Manding.

- Sache aussi que j'ai dans mon camp sept maîtres forgerons qui feront éclater les rochers : alors, igna-me, je te mangerai.

- Je suis le champignon vénéneux qui fait vomir l'intrépide.

— Moi je suis un coq affamé, le poison ne me fait rien.

- Sois sage, petit garçon, tu te brûleras le pied, car je suis la cendre ardente.

- Moi, je suis la pluie qui éteint la cendre, je suis le torrent impétueux qui t'emportera.

- Je suis le fromager puissant qui regarde de bien haut, la cime des autres arbres.

— Moi, je suis la liane étouffante qui monte jus-qu'à la cime du géant des forêts.

— Trêve de discussion ; tu n'auras pas le Manding. — Sache qu'il n'y a pas place pour deux rois sur une même peau, Soumaoro, tu me laisseras la place. — Eh bien, puisque tu veux la guerre, je vais te faire la guerre.

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têtes ornent ma chambre, ma foi, tant pis, ta tète prendra place auprès de celle des téméraires tes sem-blables.

— Prépare-toi, Soumaoro, car le mal qui va s'abat-tre sur toi et les tiens ne finira pas de sitôt.

(Niane 1961 : 112-114) Après cette dispute, les armes doivent faire la déci-sion. Le soir avant la grande bataille, le chantre Balla Fasséké évoque pour les soldats l'histoire de l'empire man-dingue. C'est donc un récit qui s'enchâsse dans le récit principal : au cours de la narration, le narrateur donne la parole à un prédécesseur. L'ancienne histoire est rappelée à la veille du moment décisif. Soundjata offre à ses hom-mes un festin au cours duquel il les régale de buffles. Balla Fasséké s'adresse en particulier à Soundjata en lui expli-quant l'imminence du moment que les esprits avaient annoncé jadis :

Toi, Maghan, tu es le Manding ; comme toi il a eu une enfance longue et difficile : seize rois t'ont pré-cédé sur le trône de Niani, seize rois ont régné avec des fortunes diverses, mais de chefs de villages les Keïta sont devenus chefs de tribu, puis rois ; seize générations ont affermi le pouvoir ; tu tiens au Man-ding comme le fromager tient au sol, par des racines puissantes et profondes. Pour affronter la tempête il faut à l'arbre des racines longues, des branches noueu-ses, Maghan-Soundjata, l'arbre n'a-t-il pas grandi ! (...) Tu es le fils de Naré Maghan, mais tu es aussi le fils de ta mère Sogolon la femme-buffle, devant qui les sorciers impuissants reculent de frayeur. Tu as la force et la majesté du lion, tu as la puissance du buffle.

Je t'ai dit ce que les générations futures apprendront sur tes ancêtres, mais que pourrons-nous raconter à nos fils, afin que ta mémoire reste vivante, qu'aurons-nous à enseigner de toi à nos fils ? Quels exploits sans précédents, quelles actions inouïes, par quels coups d'éclat nos fils regretteront-ils de n'avoir pas vécu au temps de Soundjata ?

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Les griots sont les hommes de la parole, par la parole nous donnons vie aux gestes des rois ; mais la parole n'est que parole, la puissance réside dans l'action ; sois homme d'action. Ne me réponds plus par ta bou-che, demain montre-moi dans la plaine de Krina ce que tu veux que je raconte aux générations à venir. Demain, permets-moi de chanter l'air du vautour sur les corps des milliers de Sossos que ton sabre aura couchés avant le soir.

(Niane 1961 : 116-118) C'est ainsi donc qu'à la veille de la bataille décisive le chantre rappelle la grande histoire du peuple afin que Soundjata et ses hommes se montrent de dignes descen-dants de leurs ancêtres. Ils finissent par remporter la vic-toire après de terribles pertes. Soundjata rentre vainqueur dans sa capitale Niani. Grâce à lui, l'empire mandingue connaît désormais la paix et la prospérité. On considère Niani comme le nombril de la terre et jusque dans les pays les plus éloignés on parle de cette ville particulière, du Mandingue et de Soundjata, de son vivant aussi bien qu'après sa mort et jusqu'à présent. Dans sa confusion, le narrateur rappelle une dernière fois l'immortelle renom-mée de Soundjata, rendant compte en même temps de ses sources qu'il cite toutes en les nommant. Il veut que ceux qui Fécoutent rentrent chez eux conscients de leur insi-gnifiance face aux hauts faits des glorieux ancêtres, com-me le montrent les phrases finales :

Hommes d'aujourd'hui, que vous êtes petits à côté de vos ancêtres, et petits par l'esprit, car vous avez peine à saisir le sens de mes paroles. Soundjata repo-se près de Niani-Niani, mais son esprit vit toujours et les Keïta, aujourd'hui encore, viennent s'incliner devant la pierre sous laquelle repose le père du Man-ding.

Pour acquérir ma science, j'ai fait le tour du Manding. A Keyla, village des grands maîtres, j'ai appris les ori-gines du Manding, là, j'ai appris l'art de la parole. Partout j'ai pu voir et comprendre ce que mes maîtres

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-m'enseignaient, entre leurs mains j'ai prêté serment d'en-seigner ce qui est à end'en-seigner et de taire ce qui est à taire. En grandes lignes, l'épopée de Soundiata ne diffère guère des vies héroïques évoquées dans les épopées indo-européennes. Les extraits cités ci-dessus ne font pas ressortir l'aspect musical qui pourtant doit avoir tenu un rôle impor-tant dans la représentation de l'épopée. Les récits suivants feront un peu mieux justice à la place et au rôle de la musique.

CHANT ET RECIT

Ce n'est pas ici le lieu de passer en revue toutes les sortes de musique et de chants dont l'Afrique peut s'enor-gueillir, les éloges, les berceuses, les chansons de travail, les chants d'initiation, les chansons d'amour, les lamentations et les chants religieux (voir par exemple Finnegan 1970; Beier 1971 ; Kesteloot 1971). Dans ce qui suit, nous étudie-rons surtout la fonction du chant dans la représentation qui n'entre pas dans le culte des dieux ou des héros, mais dans la vie de tous les jours. De nombreux récits africains n'ont rien à faire avec la religion. Il existe tout un répertoire qui n'a pas de caractère religieux, qui n'est associé à aucun rite ni à aucune époque déterminée et qui peut être joué à tout moment. Les personnages sont tantôt des hommes, tantôt des animaux ; le sujet est tantôt fourni par des événements et des êtres merveilleux, tantôt par des hommes ou des choses ordinaires ou encore par un mélange du merveilleux et du moral. Parfois, des géants ou des monstres sont les personnages principaux, parfois l'histoire raconte avec beau-coup de réalisme les relations de deux frères ou de deux amis, d'un homme et de son ou ses épouses ou bien des épouses entre elles, ou bien il s'agit de parents et enfants, de jalousie, de fidélité et d'infidélité, d'obéissance, de cou-rage, de ruse etc.

Dans le récit luba du géant Tshilume-Tshikulu, qu'un étudiant zaïrois m'a raconté, l'homme Tshilume est telle-ment maltraité par sa femme méchante et capricieuse qu'il finit par la quitter. Une fois abandonnée, elle est prise de remords et part à sa recherche. En route, elle rencontre

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le géant Tshilume-TshikuJu. Elle n'a pas peur, mais lui demande en chantant :

Tshihime-Tshikulu Grand géant N'avez-vous pas vu Passer par ici Mon cher mari

Qui porte un sifflet au cou ?

Le géant fait semblant de ne rien comprendre et lui demande de s'approcher. Par la suite, elle doit monter sur son pied, son genou, sa hanche, son épaule, sa barbe et finalement sa lèvre inférieure et chaque fois elle répète sa chanson que le public reprend en chœur. Quand elle arrive sur la lèvre, le géant l'avale et bien entendu, dans le ventre elle retrouve son mari et même tout un village plein de monde. Grâce à la ruse de la femme le géant est tué et tout le monde libéré.

Au Cameroun, Eno-Belinga a noté une histoire analo-gue chez les Beti (Kesteloot 1967 : 338-340). Cela montre qu'on retrouve à des endroits très différents du continent africain des récits qui se ressemblent fortement par leur construction et par leur thème. Eno-Belinga, musicologue de métier, indique dans son récit les passages narrés ou chantés en solo ou en chœur. Dans l'histoire suivante, deux jeunes filles vont se baigner et quand elles rentrent préci-pitamment, l'aînée oublie sa ceinture. Plus tard, elle retourne sur les lieux pour la chercher et elle rencontre le géant, PEmômôtô qui lui demande ce qu'elle vient faire. Jusque-là le conte a été narré, alors on entonne un chant :

Solo : Je viens reprendre ma ceinture oubliée au bord de la rivière

Choeur : Ayaya !

Solo : Je viens reprendre ma ceinture oubliée au bord de la rivière

Chœur : Ayaya !

Solo • C'est la vérité, je ne cherche pas à me disculper. Chœur : Je ne cherche pas à me disculper, c'est la vérité.

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Ici on raconte

L'Emômôtô se mit à rire ; il dit à la jeune fille : « Je n'entends pas très bien ; approche à mes pieds, approche ». La jeune fille approcha et lui conta son aventure.

Ici on chante

Solo : Je viens reprendre ma ceinture oubliée au bord de la rivière, etc.

Dans ce récit, nous retrouvons toutes les répétitions et tous les temps forts déjà décrits lors de l'histoire luba. En utilisant la même ruse que la femme de Tshilume elle se libère elle-même et les autres habitants du ventre : avec un petit couteau, elle fait une incision dans la paroi intérieure du ventre gigantesque où ensuite elle met du sel et du piment. Dans le conte beti, un autre chant est alors entonné :

Solo : Ce n'est qu'une estafilade et rien de plus. Chœur : Mais il faut y ajouter du sel et du piment.

Solo et Chœur répètent ces vers alternant avec tes passages du récit qui relatent en détail l'opération mortelle. Afin de décrire l'ensemble, musique, chant et narration. Eno-Belinga introduit le terme chantefable par quoi il faut entendre « un récit oral de conte ou de fable mêlé de stro-phes chantées. Le récit et la mélodie se recoupent mutuelle-ment avec harmonie ». Le chant n'est pas du tout un élé-ment accessoire du récit, mais un éléélé-ment constitutif et important de la narration. Parfois même la mélodie est-elle «le moteur du récit» et tout le texte repose alors sur la musique (Eno-Belinga 1965 : 55-56).

Le talent d'improvisation du soliste et du chœur apporte toujours de nouvelles variations et de nouveaux éléments au chant.

Prenons comme exemple Tawêloro, une histoire qui a été recueillie par Bernard Dadié (1965 : 55-56). A tra-vers toute la légende, la reine chante la chanson de

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loro, ce qui signifie « fille de la femme ». Le roi et la

reine ont dû attendre très longtemps la naissance d'un enfant et quand finalement Tawêloro est née, ils s'atta-chent tellement à elle qu'ils refusent de la donner en maria-ge. Le chagrin de la fille devient si grand qu'elle s'enfuit de la maison paternelle. Dès la naissance de Tawêloro, la reine chante la beauté de sa fille :

Mon enfant, il est beau comme la lune ! Tawêloro ! Tawêloro !

Mon enfant, il est beau comme le jour ! Tawêloro ! Tawêloro !

Tawêloro s'en va vers l'océan ; les ondes, les poissons, les crabes, les plantes, les mouettes, les étoiles de mer lui chantent. A chaque nouveau nom, le refrain se répète ; c'est ainsi que toute la nature participe à la célébration du départ de la princesse.

La reine fait chercher sa fille partout. Dès qu'elle découvre sa disparition, elle fait battre le tam-tam pour faire part de son malheur. Toutes les recherches sont vaines ; la mère part elle-même à la recherche de sa fille malgré son âge avancé. Tout au long de son chemin, elle s'informe ; elle rencontre le Soleil, le Jour, la Nuit, le Vent, le Tonnerre, la Fraîcheur, la Pluie, la Lune, qui demandent chacun à son tour qui est Tawêloro. En réponse la reine reprend alors sa chanson bien connue dont les images glorifient la beauté de son enfant et qui offre au chanteur toute liberté d'improviser sur le texte :

Mon enfant, il est beau comme le Jour ! Tawêloro ! Tawêloro !

Mon enfant, il est beau comme la Lune ! Tawêloro ! Tawêloro !

Mon enfant, il est beau comme le Soleil ! Tawêloro ! Tawêloro !

Ma fille, elle est la lueur de l'éclair. Tawêloro ! Tawêloro !

Elle est la finesse du parfum de la rosé. Tawêloro ! Tawêloro !

Elle est la candeur de la rosée Tawêloro ! Tawêloro !

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-Bile est la fluidité de l'onde. Tawêloro ! Tawêloro ! Elle est la blancheur de l'onde.

Tawêloro ! Tawêloro ! Elle est la tiédeur de la brise.

Tawêloro f Tawêloro ! Elle est la lueur de la flamme.

Tawêloro ! Tawêloro !

Elle est l'innocence du nouveau-né. Tawêloro ! Tawêloro !

Elle est le sourire de l'enfant ! Tawêloro ! Tawêloro ! Plie est l'hésitation de la lune.

Tawêloro ! Tawêloro ! Lune, as-tu vu ma fille ?

Tawêloro ! Tawêloro !

Après des années d'errance à travers le monde, la vieille mère arrive chez la Lune et lui pose sa question bien connue. Elle constate que la Lune, qui est elle-même une mère, hésite et ne répond pas tout de suite. La mère insiste, chantant de plus en plus intensément sa chanson. La Lune la conduit alors à l'océan et sur la plage la mère s'adresse à l'eau, énumérant tous les personnages qu'elle a déjà implorés :

Soleil, as-tu vu mon enfant ? Tawêloro ! Tawêloro ! Jour, as-tu vu mon enfant ?

Tawêloro ! Tawêloro ! Nuit, etc (...)

L'océan se tait, retient son souffle et dans le silence qui règne. la reine perçoit la voix de sa fille qui lui dit qu'eue ne reviendra jamais parce qu'elle a été changée en sirène. Depuis, la mère reste sur la plage à attendre le retour de sa fille où l'on peut toujours la voir par temps de clair de lune : « Elle avance au fur et à mesure que vous avancez et s'arrête lorsque vous vous arrêtez et regar-de l'océan et tout le temps elle chante ». Alors la chanson de l'espoir est devenue une plainte :

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-Mon enfant, il est beau comme la Lune ! Tawêloro ! Tawêloro !

Mon enfant, il est beau comme le Jour ! Tawêloro ! Tawêloro !

Tawêloro ! ô, ô, ô,...

Le thème d'une femme qui est de sa vraie nature génie ou déesse de l'eau, mais qui vit temporairement parmi les hommes, est fréquent dans la littérature orale. Un peu partout en Afrique, une telle femme est appelée manu

wata. Chez certains peuples, la manu wata peut avoir un

aspect menaçant. Holas (1968 • 195) parle même du « célè-bre monstre marin, la manu wata ».

Dans la littérature orale, les chansons sont beaucoup plus nombreuses que pourrait imaginer celui qui ne connaît les contes africains que par les recueils publiés. La négli-gence de l'élément musical dans la transcription des contes s'explique probablement par deux raisons : d'un côté, les multiples répétitions des chansons et de l'autre, les pro-blèmes qui ne manquent pas de se poser quand il s'agit de tes noter et de les traduire. La simple lecture d'un conte ne nous donne donc jamais une impression exacte et complète de tout ce qui se passe lors d'une narration traditionnelle en public. Et cela ne vaut pas seulement pour la narration des mythes ou la récitation de la poésie traditionnelle, mais aussi pour la narration de l'épopée, de la faWe ou de la farce. Finnegan (1979 : 385, 386) fait remarquer à propos des chansons que celles-ci ne figurent pas dans tous les contes et que dans certaines régions, on fait la distinction entre narration en prose et narration accompagnée à chœurs. Parfois, les chants dominent à un tel degré que le rôle de la narration semble être réduit à encadrer ceux-ci. Selon le goût et la personnalité du narrateur, le chant et la musique prennent plus ou moins d'importance.

La chanson peut aussi servir de transition entre deux épisodes de la narration : une aventure du héros est ter-minée par une chanson que le narrateur entame et que tout te public reprend, accompagné par des tam-tams et d'autres instruments. Dans le chant, le narrateur fait figure de soliste et le public de chœur.

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-Les répétitions dans la narration ont une fonction très nette : elles font la joie du public qui les reconnaît et les reprend avec enthousiasme. En même temps, elles invi-tent l'audience à participer le plus activement possible. Plus les images et les variations du narrateur sont riches, plus fervent est l'enthousiasme avec lequel le chœur enton-ne les refrains.

Ces exemples montrent comment la chanson est inté-grée dans la narration. L'ensemble de la représentation, la narration et la chanson, les solos et les choeurs, le mou-vement et le contre-moumou-vement n'existent que grâce à un jeu subtil de tous les expressions et moyens artistiques. C'est par ce qu'on appelle le théâtre total que l'Occi-dent essaie de retrouver, ces dernières années, une pareille synthèse.

LE MONDE DES ANIMAUX, MIROIR DU MONDE HUMAIN Le cadre surnaturel dans lequel les contes se dérou-lent souvent, permet au narrateur qui critique des mem-bres de son auditoire d'éviter des allusions trop person-nelles ; il n'ose pas coller à la réalité qu'il passe au crible. C'est dans ce même but que les hommes sont souvent repré-sentés sous forme d'animaux : alors tout le monde sait qui est visé, mais on évite de mettre au carcan qui que ce soit. Certains confèrent une fonction particulière à un animal. Nous avons déjà l'exemple du lamantin ehe/ les Fulani. Les Bambara dit Diarra et les wolof dit Ndiaye réservent au lion une place spéciale. Colin (1965) : 91) fait remarquer que cela ne signifie point que les mem-bres de ces ethnies croient vraiment que le lion serait leur ancêtre mythique, us pensent plutôt

qu'il existe une correspandance entre la place qu'occu-pé son groupe dans la famille et la place du lion dans la famille animale. Et cette similitude de position se traduit par une sorte de parenté marquée par des pra-tiques et des rites (...) L'animal des contes est ainsi et toujours placé dans un système.

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Mais tout en prenant une fonction mythologique et symbolique, les animaux conservent leurs qualités «anima-les » dans le conte :

Le conteur qui met en scène le lion, la panthère ou la mouche-maçonne est un connaisseur et sait qu'il parle à des connaisseurs : le sujet doit être hurlant, criant, aboyant, jacassant, feulant, rugissant de vérité. Et c'est ainsi que les choses se passent. L'aptitude à traduire cette authenticité sera souvent la marque d'un conteur de talent {Colin 1965 : 92).

Derrière le masque et le caractère de l'animal se cache le personnage humain avec ses bonnes et mauvaises qua-lités.

Peu à peu, de nombreuses histoires d'animaux ont été recueillies et traduites en Afrique. Les personnages princi-paux varient avec les régions. Souvent des cycles entiers ont été construits autour de quelques animaux. Le lièvre est un personnage fort connu presque partout où les langues bantou sont parlées. L'araignée tient la vedette dans les contes des régions forestières de l'Afrique centrale et occi-dentale. La tortue se trouve dans ces mêmes régions, mais aussi en Zambie, où il est un héros de fable, par exemple chez les lia. La petite gazelle est le personnage principal d'un cycle de contes du nord-est du Zaïre et du Ruanda. Chez les Luba du Kasaï, Kabundi, probablement une sorte de belette, excelle dans les ruses. Chez les Zoulou et les Xhosa (Finnegan 1970 : 344), la belette joue un rôle simi-laire.

Les animaux jouent le rôle des hommes et générale-ment, les personnages principaux se tirent d'affaire par la ruse et non par la force; souvent c'est par de véritables coups de théâtre qu'ils se tirent d'une situation pénible et la retournent contre leur adversaire. Parfois le person-nage principal est du type goulu, matamore et stupide, qui devient en fin de compte la victime de ses propres défauts. Cela se passe presque toujours ainsi avec l'hyène, mais plus d'une fois aussi avec l'araignée Anansé. Les contes servent toujours à divertir et instruire en même temps.

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En guise d'illustration, voici un conte que j'ai noie au Zaïre. II fut raconté en langue tshibindi. Contrairement à beaucoup de ces contes, c'est l'éléphant qui représente ici l'intelligence et la sagesse et non un être petit et vulné-rable qui d'aucune façon ne pourrait faire appel à la force pour affronter ses ennemis. On retrouve le même problème et la même ruse dans le conte Le salaire que Birago IDiop a recueilli en Afrique occidentale. Dans ce conte-là, le rôle d' « arbitre » est donné au lièvre tandis que le crocodile tient celui du glouton (1965 : 99-105). Ce dernier rôle est tenu dans notre histoire par l'hyène qui, comme souvent, joue le -personnage antipathique.

Près du village de Katuala Bashi Kashiwo vivait une hyène qui rôdait dans la nuit, en quête d'un mauvais coup et tomba dans un puits profond. Elle essaya en vain d'en sortir et le matin, on la retrouva pleurant et appelant au secours.

Un bœuf entendit ses plaintes ; pris de pitié, il s'appro-cha du trou.

L'hyène lui dit : « C'est toi, bœuf ? »

« Oui, c'est moi », répondit celui-ci. L'hyène de sa voix la plus douce lui dit : «Oncle bœuf, sois charitable, laisse pendre ta queue par ici ; je m'y accrocherai et je pourrai ainsi sortir du puits».

« Tu es méchante », répondit le bœuf, « tout le monde le dit. N'est-ce pas toi qui viens mordre les génisses de deux mois ?»

«On le dit par mensonge», répondit l'hyène, «C'est la panthère, mais dans la nuit, on nous confond».. « Tu es une mauvaise bête », répéta le bœuf. « Si je t'aide à sortir du trou, tu essaieras sans doute de me manger ».

« Oncle bœuf », supplia l'hyène, « je te jure que, si tu me sors du trou, je n'aurai pas de meilleur ami que toi ». Celui-ci eut confiance ; il laissa pendre sa queue. L'hyène s'y cramponna et se hissa hors du trou. A peine sortie, elle se jeta sur le bœuf et se mit à le mordre.

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