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Le parement et le triumphe des dames L’interaction entre Olivier de La Marche et ses lectrices. Les pratiques de lecture et le perfectionnement de soi

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Le parement et le triumphe des dames

L’interaction entre Olivier de La Marche et ses lectrices.

Les pratiques de lecture

et

le perfectionnement de soi

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2 Illustration :

Lezende vrouw (1634), Rembrandt Harmensz. van Rijn, Teylers Museum Haarlem

Inscription :

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3

Table des matières

Introduction –

Olivier de La Marche et la cour de Bourgogne aux XVe et XVIe siècles 4

1. Le rôle de la littérature dans les régions bourguignonnes 9

2. Le parement et triumphe des dames 13

2.1. Les traités didactico-moralistes destinés aux femmes 13

2.2. Structure de l’œuvre 14

2.3. Les dédicacées et les manuscrits conservés 19

2.3.1. Ecrit pour qui ? 19

2.3.2. Les manuscrits conservés et leurs propriétaires 21

3. Les lectrices et les effets des différents pronoms appellatifs 25

3.1. Les ‘mes dames’, les lectrices principales 25

3.2. Les deux fonctions de la dame 29

4. Les intentions mnémoniques textuelles 34

4.1. Les effets des stratégies narratives 34

4.2. L’importance de la mémoire selon l’auteur 38

5. Le parement et triumphe des dames en images 45

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Introduction

Olivier de La Marche à la cour de Bourgogne aux XVe et XVIe siècles.

Olivier de La Marche est né au château de La Marche à Villegaudin en 1425 dans une famille noble qui entretenait des rapports avec les ducs de Bourgogne. En 1437, après la mort de son père, il est entré au service de Philippe le Bon, comme page. En 1447, ce dernier l’a nommé écuyer-panetier, une fonction noble dont La Marche était fier.

En 1459, il est installé à la cour de Charles le Téméraire où il était chambellan et puis capitaine des gardes. Le 17 juillet 1465, il a reçu l’accolade. Dans les années qui suivaient La Marche accomplissait beaucoup de missions et voyages diplomatiques, entre autres en Angleterre et en France où il a rendu visite au roi Louis XI. De plus, il était chargé des négociations concernant le mariage de Charles le Téméraire avec Marguerite de York.

En 1477, Charles le Téméraire périt à la bataille de Nancy et Olivier de La Marche est fait prisonnier. Sa rançon payée, par une personne restée toujours inconnue, il est retourné à la cour bourguignonne pour rejoindre l’héritière, Marie de Bourgogne. Celle-ci l’a promu au poste de grand et premier maistre d’hostel. Peu après, la duchesse s’est mariée avec Maximilien d’Autriche.

Après la mort inopinée de Marie de Bourgogne en 1482, son époux Maximilien d’Autriche a pris Olivier de La Marche à son service. Résidant dorénavant à Bruxelles, La Marche s’est de plus en plus voué à l’écriture. Dans cette période finale de sa vie, auprès de Philippe le Beau dont il était le « gouverneur », La Marche s’est rapproché de la cour de Malines et de Marguerite d’York1. De sa vie à la cour, il nous a laissé de nombreux témoignages. En 1474, Olivier de La Marche écrivait l’ordonnance État de la maison du duc

Charles de Bourgogne à la demande du roi anglais, Eduard IV. Ce dernier voulait aménager

une même cour que celle de Bourgogne2. A la fin de sa vie, La Marche a recueilli tous les événements qu’il a vécus de 1435 à 1488 sous la forme des Mémoires. Il y a consigné en détail sa passion profonde pour l’organisation des festivités du mariage de Charles le Téméraire et Marguerite de York pendant lesquelles avait lieu le fameux banquet du faisan.C’est avec

1 Fontaine, M.M., « Des Auteurs pour Marguerite d’Autriche et les dames de la cour de Malines », dans : Livres et lectures de femmes en Europe entre Moyen Age et Renaissance, Brepols, Turnhout, 2007, p. 266.

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5 passion qu’il décrit le cérémonial de la vie de cour, le faste des objets précieux, l’ordonnance des processions ou des combats réglés et les respectueux des rituels et des préséances3.

Olivier de La Marche représentait de façon détaillée la cour de Bourgogne dans toute sa splendeur. Il s’avère que La Marche était expert dans la représentation de l’apparence, ou bien la pareure, un mot clé qui couvre une partie substantielle de l’oeuvre de La Marche. En effet, la flatterie littéraire était pour lui plus importante que les faits historiques. Selon lui, la beauté des ducs et des duchesses de Bourgogne était le reflet de leur caractère et c’est pour cela que leurs corps parfaits témoignaient de leurs cœurs nobles. En même temps, l’apparence était la marque bourguignonne. C’est-à-dire que les tournois, les banquets, les funérailles, les fêtes et les mariages étaient les occasions par excellence dont La Marche pouvait montrer la pareure de Bourgogne au peuple et aux autres royautés4.

Depuis 1482, La Marche s’est consacré à la poésie. Une des œuvres les plus connues est Le chevalier délibéré (1483) dans laquelle il s’agit d’une allégorie ; on y trouve une description du voyage de vie de l’être humain qui passe par un paysage allégorique et qui finit dans un cimetière où il faut lutter contre la Mort. L’époque, ainsi que la littérature du XVe siècle étaient pénétrés de l’appel de memento mori. La conscience de la précarité de la gloire terrestre comprenait trois éléments : d’abord les auteurs se demandaient où étaient ceux et celles qui, autrefois, remplissaient le monde avec leur gloire ; ensuite, ils présentaient la vision terrible de la putréfaction de la beauté humaine, et enfin, ils pleuraient les morts dans une danse macabre5. La Marche contraste la beauté éphémère à la corruption de la mort. Il regrette de toutes les manières la perte des grands et des grandes qui donnaient de la pareure à la cour de Bourgogne, entre autres dans les longues danses macabres. Ces éléments sont aussi présents dans les dernières œuvres de La Marche, telle que le Complainte sur la mort de

Madame Marie de Bourgogne, où il glorifie la vie et pleure la mort de la duchesse6. Olivier de La Marche a écrit plus souvent pour les grandes femmes : Marie de Bourgogne, Marguerite d’York et Marguerite d’Autriche7. Par conséquent, il a influencé la littérature destinée aux dames de la cour de Bourgogne et de France. Grâce à l’imprimé, son œuvre connaissait aussi un public féminin élargi au XVIe siècle. A ses yeux, les dames étaient au sommet de l’édifice

3 Fontaine, M.M, Des auteurs pour Marguerite d’Autriche et les dames de la cour de Malines, pp. 265-266. 4 Raue S., Een nauwsluitend keurs, p. 23.

5 Huizinga, J., Herfsttij der Middeleeuwen, Wolters-Noordhoff, Groningen, 1986, p. 134. 6 Raue, S., Een nauwsluitend keurs, p. 160.

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6 idéalement hiérarchisé de cette société qu’elles couronnaient par leurs vertus et leur grandeur8. Son amour pour les grandes dames bourguignonnes ressort des œuvres qu’il leur a dédiées. Vers 1493, à la suite de la mort de Marie de Bourgogne et de sa propre femme, deux femmes qu’il aimait tant, Olivier de La Marche a écrit l’œuvre Le parement et triumphe

des dames, que nous nous proposons d’étudier dans cette étude. Ce traité didactique

s’adresse aux femmes nobles. Le fil rouge du traité concerne la pareure d’une noble dame bourguignonne. Le long des vingt-trois chapitres, la dame reçoit de son amant des vêtements et accessoires dont chacun représente une vertu qu’elle est censée tenir à cœur pour qu’elle triomphe « devant Dieu et le monde » (12)9. Chaque chapitre finit par un exemplum d’une femme vertueuse. Ces femmes historiques et de la Bible, auxquelles les lectrices pouvaient s’identifier, sont présentées comme leurs égales. L’œuvre se termine par quatorze grandes dames qui ont vécu à la cour de Bourgogne qui font une danse macabre10. A l’aide de son allégorie, La Marche voulait enseigner à ses lectrices que c’était la réputation qui comptait car seulement les femmes vertueuses méritaient le ciel11.

En fait, les traités fonctionnaient comme emblème de ce qu’était la femme ou de ce qu’elle devait être ou voulait être. Ils pouvaient aussi lier la femme à la sagesse, à certaines formes du savoir. En ce qui concerne les lectrices, pour elles, les traités étaient en premier lieu des instruments de dévotion, de méditation et d’apprentissage. En effet, elles lisaient des œuvres didactiques pour tirer des leçons. Il y avait donc une interaction entre les auteurs et leurs lectrices. C’est également le cas dans l’œuvre de La Marche. Les lectrices, elles, lisaient l’œuvre pour apprendre des leçons et pour imiter des modèles afin de perfectionner leur caractère. L’auteur, à son tour, en profitait pour les instruire en dictant des vertus et des

exempla à qui les lectrices pouvaient s’identifier. Quant à celles-ci, comme le remarque

Pamela Sheingorn, il leur fallait un accomplissement « performatif » 12 pour changer le

8 Fontaine, M.M., Des Auteurs pour Marguerite d’Autriche et les dames de la cour, p.266.

9 Notons que, pour la partie textuelle de l’analyse, nous nous sommes basés sur la réécriture de le Parement et triumphe des dames par Julia Kalbfleisch-Benas, Le triumphe des dames von Olivier de La Marche, Ausgabe nach den Handschriften, Rostock, 1901. Les numéros de strophes et pages donnés dans notre recherche renvoient à

cet ouvrage.

10 Raue, S., Een nauwsluitend keurs, p.24. 11 Ibidem, p.7.

12 Schechner, R., Performance Studies : An Introduction, New York & London, 2006, p.16: Dans le domaine de la

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7 caractère. Elle avance que la lecture d’un texte n’est pas seulement une expérience mentale, mais que c’est aussi un processus corporel. C’est-à-dire que les lecteurs adoptaient des identités par la participation de leur conscience, ainsi que de leurs corps aux pratiques de lecture13. Or, dans cette étude nous nous proposons d’analyser cette « performance » des lectrices. La question qui est à la base de cette étude est : comment une femme devrait-elle lire et pratiquer Le parement et triumphe des dames d’Olivier de La Marche ? Pour répondre à cette question, nous nous basons sur le texte qu’il nous a laissé et sur les manuscrits qui ont été conservés. Nous examinerons les procédés que La Marche a mis en œuvre pour instruire ses lectrices. Nous en analyserons les effets afin de démontrer la façon dont les lectrices pratiquent les leçons de l’auteur afin de les assimiler.

Nous commencerons notre étude par un cadre littéraire et historique. Dans le premier chapitre nous nous concentrerons sur le rôle prépondérant que la littérature jouait dans les régions de Bourgogne. D’abord, nous nous proposons d’aborder la relation entre la femme bourguignonne et la littérature. Grâce à l’influence « féminine » des deux grandes duchesses Marguerite d’York et sa filleule Marguerite d’Autriche, une culture de lecture s’est développée à la cour. Ensuite, nous insisterons sur l’orientation de lecture de Marguerite d’Autriche. Nous présenterons les œuvres principales retrouvées dans sa bibliothèque qui nous permettent d’avoir une idée profonde de la littérature qui était lue par les femmes et acceptée à la cour de Bourgogne. Grâce aux inventaires, nous savons que la duchesse possédait un exemplaire du Parement et triumphe des dames14.

Dans le deuxième chapitre, nous présenterons brièvement le genre des traités didactico-moralistes et leurs caractéristiques. Le parement et triumphe des dames fait partie de la littérature didactique et de ce fait, nous exposerons la structure de l’œuvre dans le détail. Ensuite, nous présenterons les dédicacées pour lesquelles Olivier de La Marche aurait pu

l’interprétation du lecteur. Au Moyen Age, une période dans laquelle la littérature était plutôt didactique, dévotionnelle et moraliste, les auteurs voulaient enseigner une certaine leçon à leurs lecteurs, par conséquent ils avaient une « performance » idéologique en tête. Cela valait aussi pour Olivier de La Marche. Il a écrit son œuvre à l’aide de certaines figures de rhétorique pour diriger l’interprétation de sa lectrice afin de créer la « performance » idéale.

13 Sheingorn, P., “Performing the illustrated manuscript: great reckonings in little books”, dans: Visualizing Medieval Performance, Ashgate, Aldershot, 2008, p. 60.

14 Debae, Marguerite, La bibliothèque de Marguerite d’Autriche, Peeters, Leuven, 1995, p. 221 : Probablement,

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8 écrire son traité, et ensuite les lectrices qui, selon toute probabilité, l’ont lu. Nous nous basons sur les huit manuscrits qui ont été conservés, dont trois ont connu un propriétaire.

Les derniers chapitres concernent l’analyse de l’œuvre de La Marche. Nous nous baserons sur le texte et sur les trois manuscrits consultables en ligne15. Dans le troisième chapitre, nous insisterons sur les effets des différents pronoms appellatifs. En effet, La Marche s’adresse à ses lectrices et à sa dame pour qu'elles soient attentives et se sentent concernées. Dans le quatrième chapitre, divisé en deux paragraphes, nous aborderons les procédés mnémotechniques que l’auteur a appliqués pour stimuler la mémorisation des leçons. D’abord, nous analyserons les effets de la structure, de l’allégorie et des figures de style. Ensuite, nous étudierons les vers dans lesquels La Marche plaide en faveur de la mémoire. Dans le cinquième chapitre, nous examinerons les effets des miniatures. Nous nous servons du manuscrit A et 1848 enluminés de plusieurs miniatures. Nous terminerons notre recherche par la conclusion, où nous élaborons les résultats de notre étude.

15 Les trois manuscrits sont conservés à la Bibliothèque Nationale à Paris et consultable sur gallica.fr : Ms. 1848

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1. La rôle de la littérature dans les régions bourguignonnes

Ce chapitre traite le rôle de la littérature dans le territoire bourguignon. L’influence littéraire des duchesses, comme Marguerite d’York, Marie de Bourgogne et Marguerite d’Autriche est considérable. Effectivement, dans l’absence des princes, ces grandes dames bien éduquées et mondaines étaient en charge du ménage courtois ou, dans certains cas, étaient nommées régentes des Anciens Pays-Bas pour une certaine période. C’était une cour féminine où les femmes consolidaient leur pouvoir dans le domaine de la politique, de l’éducation et de l’art.

Marguerite d’York et sa filleule Marguerite d’Autriche étaient deux bibliophiles averties. Grâce à leur passion, leurs collections de manuscrits et d’imprimés et l’envergure de leur mécénat artistique en faveur des auteurs et enlumineurs de leur temps, le statut de la littérature a pu s’épanouir à la cour et dans les régions bourguignonnes16.

En Europe, au Moyen Age, ainsi que pendant les époques précédentes, l’éducation des femmes n’était pas évidente. C’était plutôt un privilège pour les hommes qui avaient le droit à l’enseignement. Ils n’étaient pas toujours d’accord sur le fait si une femme devrait apprendre à lire. Les uns étaient contre et les autres étaient pour, mais à des conditions imposées. Notons que l’éducation des femmes provoquait une certaine peur chez un nombre d’hommes, comme chez les humanistes Erasme de Rotterdam et l’Espagnol Juan Louis Vives. Selon Erasme, la connaissance du latin des femmes mettait en danger leur chasteté. La lecture était aussi une cause de désobéissance et de comportement rebelle contre l’autorité. Erasme craignait avant tout un monde à l’inverse dans lequel les femmes exécuteraient les tâches des hommes17. Les idées de son contemporain, Vives, renforçait ses opinions. De plus, Vives remarquait le danger qui découlait d’une connaissance profonde chez les femmes ; elles pourraient apprendre des choses immorales. C’est pour cela qu’il réclamait la retraite de la femme de la vie publique. Selon l’humaniste, la femme idéale et vertueuse était chaste, humble, silencieuse, obéissante et inconditionnellement subalterne à l’homme18. C’est pourquoi les filles et les femmes ne devraient avoir accès qu’aux ‘bonnes lectures’,

16 Legaré, A.M., « Les bibliothèques de deux princesses : Marguerite d’York et Marguerite d’Autriche », dans : Livres et lectures de femmes en Europe entre Moyen Age et Renaissance, Brepols, Turnhout, 2007, p.253. 17 Eichberger, D., « 'Una libraria er donne assai ornate et riccha'. Frauenbibliotheken des 16. Jahrhunderts

zwischen Ideal und Wirklichkeit“, dans : Die lesende Frau, Harrassowitz in Kommission, Wiesbaden, 2009, p. 241-242.

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10 dire des livres qui leur enseignaient les mœurs, le bien-être spirituel, la dévotion chrétienne et l’éducation des enfants.

Cependant, vers la fin de l’époque médiévale, dans les territoires bourguignons, les filles avaient accès à l’éducation. Comme le note Thérèse de Hemptinne, c’étaient les religieuses qui ont participé à l’expansion de la culture dynamique de la littérature vernaculaire19. En effet, les filles étaient instruites dans les béguinages, dans les couvents et dans des institutions privées dirigées par des dames20.

A l’aide des testaments laissés par les femmes religieuses et laïques, il s’avère qu’elles possédaient surtout des livres dévotionnels, comme des Livres d’Heures et des psautiers21. Ces livres étaient consultés lors des pratiques dévotionnelles, des prières et de la méditation. De plus, les religieuses utilisaient ces œuvres pour enseigner les filles. De cette manière, la littérature dévotionnelle et didactique a su se propager parmi les femmes à la cour, dans toutes les communautés religieuses et à la maison. Comme une grande partie des femmes devait rester à la maison pour s’occuper des enfants et du mari, elles ont contribué à un processus de domestication de la littérature et de la connaissance des lettres22.

A l’époque, les femmes consultaient la littérature particulièrement pour apprendre des leçons, pour faire le bien dans la vie et pour gagner le paradis. La lecture et l’écriture fonctionnaient comme des expériences qui aidaient les lectrices, et les lecteurs en général, à méditer et à prier, mais aussi à échanger et à propager leurs connaissances et pratiques. Grâce à de nombreux inventaires des bibliothèques de femmes nobles de Bourgogne, on peut se faire une idée d’une collection typiquement féminine. Dans sa thèse de doctorat, Hanno Wijsman note qu’une telle librairie, comme celles de Marguerite d’York et de Marguerite d’Autriche, contenait des livres d’Heures, des bréviaires, des œuvres liturgiques et didactico-moralisatrices, quelques ouvrages théologiques, hagiographiques et littéraires. En revanche,

19 Green, D.H., Women readers in the Middle Ages, Cambridge University Press, Cambridge, 2007, p. 145. 20 Hemptinne,de, T., Reading, Writing, and Devotional Practices: Lay and Religious Women and the Written Word

in the Low Countries (1350-1550), dans: The Voice of Silence, Brepols, Turnhout, 2004, p. 112 – 113.

21 Parmi les femmes nobles, ces livres pouvaient servir en tant que des symboles de privilège. C’est pour cela,

comme propose D.H. Green, qu’on peut se demander si ces œuvres étaient vraiment lues.Pour plus de détails sur cette question on peut consulter l’œuvre D.H. Green, Women Readers in the Middle Ages, p.115-129.

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11 il n’y avait presque pas d’œuvres historiographiques, pratiques, juridiques et scientifiques23, celles-ci étaient généralement dans les bibliothèques d’hommes24.

Il est nécessaire de prêter plus d’attention à la bibliothèque de Marguerite d’Autriche, parce que sa collection donne une image plus détaillée des œuvres qui étaient lues à l’époque. La duchesse était mise sous la garde de Marguerite d’York après la mort de sa mère Marie de Bourgogne en 1482. Marguerite d’York avait une grande connaissance de l’hagiographie, c’est pour cela qu’elle faisait lire à sa petite-fille des livres d’Heures, des bréviaires et des traités didactico-moralistes. C’est grâce à l’influence littéraire de sa grand-mère que Marguerite d’Autriche était une passionnée pour les livres. De ce fait, Marguerite d’Autriche transforma son hôtel de Savoie à Malines en un véritable sanctuaire des arts. Le 1er décembre 1530, elle mourut, en laissant 386 livres, dont 340 manuscrits et 46 imprimés25. Après la mort de son frère Philippe le Beau, Marguerite assurait la régence sur les Pays-Bas bourguignons. C’est pour cela qu’elle avait une littérature abondante ; mais ses propres goûts la portaient aussi à stimuler avec une particulière autorité le mouvement humaniste26. Effectivement, sa collection comportait les disciplines les plus diverses, de toutes les époques, et d’un choix très éclectique : il y avait plusieurs ouvrages religieux, tels que la Bible moralisée suivie d’Images

du Nouveau Testament, Les Très Riches Heures du duc de Berry, des Bibles historiales, une

Bible latine, des livres d’heures, un bréviaire en français, la Vie du Christ en latin et en français, des œuvres didactico-moralistes, et des ouvrages théologiques comme La Cité de Dieu. Contrairement à sa marraine, Marguerite d’Autriche s’intéressait à la littérature profane. Parmi les auteurs classiques figuraient Aristote et Boèce appréciés au Moyen Age, ainsi que Cicéron, César et Ovide. La littérature française est représentée par des chansons de geste, des poèmes du deuxième Cycle de la Croisade, des recueils de ballades, des albums poétiques, des ouvrages encyclopédiques, et des œuvres didactiques. Dans sa collection se trouvent également des ouvrages des chroniqueurs de la maison de Bourgogne, Georges Chastelain, Jean Molinet et Jean Lemaire de Belges, le plus grand écrivain de la cour de Marguerite27. Le

23 Wijsman, H, Gebonden weelde : productie van geïllustreerde handschriften en adellijk boekenbezit in de Bourgondische Nederlanden (1400-1550), Allprint, Utrecht, 2003, p. 115.

24 Wijsman, H, Femmes, livres et éducation dans la dynastie burgondo-habsbourgeoise. Trois Marguerites à la

loupe, dans : Publications du Centre Européen d'Études Bourguignonnes (XIVe-XVIe s.), 2004, p. 184.

25 Wijsman, H., Gebonden weelde : productie van geïllustreerde handschriften en adellijk boekenbezit in de Bourgondische Nederlanden (1400-1550), p. 159.

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12 thème de l’amour revient dans au moins cinquante romans, comme entre autres les éditions de Lancelot, Perceval, Tristan, Merlin, Mélusine et Euralyus et Lucrèce.

En ce qui concerne la littérature didactique traitant le thème du rôle de la femme dans la société, Marguerite d’Autriche possédait des œuvres des auteurs ‘progressistes’, tels que Le

livre des trois vertus et Le Livre de la Cité des Dames de Christine de Pizan, Le Champion des Dames de Martin le Franc, De Mulieribus Claris de Boccacce, Le Miroir des dames de Philippe

Bouton et Le Temple de Boccacce de George Chastelain.28 Le parement et triumphe des dames d’Olivier de La Marche a fait partie de la bibliothèque de Marguerite d’Autriche et peut être ajouté à la liste des textes didactiques. Cette littérature énumérait les accomplissements des femmes nobles, stipulait que les femmes eussent le droit d’une éducation similaire à celle de l’homme, définissait ou redéfinissait le rôle des femmes dans la famille, à la cour et en public et décrivait la vie et les expériences de femmes29. Quoique les auteurs devinssent plus modernes vis-à-vis de la condition des femmes, il est vrai, ils continuaient à partager le but d’instruire les lectrices.

Tout compte fait, la collection de Marguerite d’Autriche manifeste que, en tant que régente, elle avait également besoin, comme ses contemporaines, d’ouvrages d’instruction qui lui enseignaient. Il lui fallait des leçons pour savoir comment être une bonne épouse et mère, mais aussi pour être une femme ‘forte’ qui régnait sur les territoires bourguignons.30 En résumé, la bibliothèque de Marguerite d’Autriche donne une excellente image des œuvres qui ont été lues à l’époque par les femmes nobles de Bourgogne (et ailleurs).

28 Eichberger, Dagmar, « 'Una libraria er donne assai ornate et riccha'. Frauenbibliotheken des 16. Jahrhunderts

zwischen Ideal und Wirklichkeit”, p. 255.

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13

2. Le parement et triumphe des dames

2.1. Les traités didactico-moralistes destinés aux femmes

Effectivement, à la fin du Moyen Age, les lectrices bourguignonnes possédaient plusieurs genres littéraires qui étaient consultés pour des raisons diverses. Les traités didactico-moralistes étaient lus pour des raisons précises : les textes devaient offrir des leçons éthiques, des modèles à imiter, des faits et de l’érudition31. En fait, bien qu’elles voulussent approfondir leurs connaissances, elles lisaient une œuvre principalement pour perfectionner leur caractère32. La littérature didactique destinée aux femmes répondait à ces attentes et c’est pour cela que les traités didactico-moralistes étaient en vogue à l’époque. L’œuvre de La Marche fait partie de ce genre de littérature didactique. Dans son œuvre, le poète vise à présenter le comportement idéal d’une femme (mariée) à ses lectrices. La femme, sa nature et son rôle dans la société, c’était le thème général dans la littérature didactique destinée aux femmes. De tels ouvrages exposaient le mariage, la famille, l’éducation et le comportement des femmes afin de créer une certaine idéologie féminine. Le statut de la femme s’est développé le long des siècles, d’abord elle était souvent présentée d’une façon négative – elle serait voluptueuse et hypocrite. Au XVe siècle, un changement était visible. En effet, les moralistes réévaluaient l’image de la condition de la femme. Cependant, ils restaient modérés et ne révisaient jamais les habituelles prescriptions masculines33. C’est-à-dire que les rôles limités sociaux et domestiques, qui représentaient le meilleur comportement féminin et l’idéologie féminine, ne cessaient pas d’apparaître34. Ces idées sont aussi présentes dans l’œuvre d’Olivier de La Marche, Le parement et triumphe des dames. Bien que La Marche rendît hommage des grandes dames bourguignonnes, il leur dictait également des leçons d’humilité, de chasteté et d’obéissance.

Or, lorsque les femmes consultaient des textes pour apprendre des leçons de la lecture qu’elles consultaient, les auteurs des traités didactico-moralistes, en revanche, exigeaient à leur tour une certaine performance « idéologique » des lectrices en les stimulant à s’identifier

31 McLeod, G., Virtue and Venom. Catalogs of Women from Antiquity to the Renaissance, Michigan, The University

of Michigan Press, 1991, p.3.

32 Carruthers, M., The book of memory, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p.235. 33 Juan Louis Vives, The Education of a Christian Woman, p. xx

34 Krueger, R.L., Women Readers and the Ideology of Gender in Old French Verse Romance, Cambridge, Cambridge

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14 avec le(s) personnage(s) et à (re)vivre le texte. Les moralistes utilisaient plusieurs moyens pour engager les lecteurs, pour attirer leur attention et pour faire mémoriser les leçons : des interventions autoritaires, des allégories, des images, des dialogues, de la rime, des répétitions et des exempla variés35. C’est pour cela que la forme, la structure et les stratégies narratives dans les traités étaient tellement diverses. Ils se manifestaient sous plusieurs formes, comme des poèmes allégoriques, des « miroirs » et des fables. Il y avait une variété de longueur, de mode et de registre ; l’alternance de poésie et de prose (le prosimètre), des moyens allégoriques et ordinaires. Le parement et triumphe des dames est avant tout une allégorie où l’auteur se sert d’un prosimètre, des exempla, d’un miroir et de différentes figures de style pour instruire ses lectrices.

2.2. La structure du Parement et triumphe des dames

Le parement et triumphe des dames commence par un prologue de strophes en vers, dans

lequel l’auteur décrit sa situation. Pendant une nuit en décembre, il est tombé amoureux d’une dame.

L’autr’ier passant une nuyt de decembre aprés dormir, que l’esperit medite, amours me vint assaillir et surprendre des grans vertus, qui ne sont a conprendre, d’une dame, mon chois et mon eslite. Mon cœur la m’a destinee et predite or fault sçavoir se je la doibz aimer

d’amour amere ou d’amours sans amer. (1)

L’auteur l’aime et il désire l’honorer, mais il ne sait pas encore de quelle façon, d’où les questions qu’il se pose à la fin de cette première strophe. De ce fait, le poète est durement mis à l’épreuve. Il souffre (11). « A cest’ amour vouee que pouray je pour guerdon dire ou faire

a la nonper, qui luy plaise et agree pour satiffaire a sa bonté louee » (12). C’est-à-dire que le

poète ne sait pas comment satisfaire sa dame pour qu’elle l’aime réciproquement de sorte qu’il commence à se méfier de son projet amoureux. C’est pour cela qu’il s’habille d’une armure allégorique pour se protéger ; « De loiaulté je feray mon escu » (8), il s’appuie sur le rempart de son propre discours ; « Ferme propos en ce me soustiendra » (ibid.), et en appelle

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15 à des témoins ; « Je demande se j’ay tort de l’aimer » (10)36. Enfin, il se décide, il lui offrira « ung habit (…) tout vertueux (…) pour la parer devant dieu et le monde » (12). Ainsi, sa dame

sera contente et l’aimera réciproquement.

Olivier de La Marche parera sa dame de vingt-trois vêtements et accessoires qui font d’abord l’objet d’une présentation versifiée, en huitains de décasyllabes rimant abaabbcc37.

La longueur des parties versifiées diffère ; elles peuvent se composer de quatre à neuf strophes. Peu à peu, l’offrande amoureuse se transforme en une leçon d’humilité, de sagesse, de loyauté, de fidélité. La Marche explique lui-même son projet : « Chacune pieche, je l’ay

appropriëe a la vertu ou elle peult servir » (48). En effet, Olivier de La Marche se sert d’une

allégorie, parce que les différents vêtements et accessoires représentent des vertus. Ce phénomène s’inspire de la Bible. Il s’agit de Armatura Dei, l’équipement de Dieu avec lequel le croyant s’arme contre les puissances des ténèbres. Selon des conceptions bibliques, les rituels de déshabillage, de lavage, et après d’habillage de vêtements neufs se rapportent fréquemment au baptême. La purification spirituelle de l’âme sert à créer de l’espace pour l’application des vertus38. Dans Le parement et triumphe des dames, un même processus s’avère avoir lieu : la dame sort de son lit pour être parée de nouveaux vêtements, offerts par le poète. C’est toute cette toilette qui la rend vertueuse.

Chaque chapitre commence par la présentation d’un vêtement, ou d’un accessoire, et les matières dont ils ont été faits. La Marche invite sept fois un artisan qui utilise les meilleurs matériaux pour créer la noble parure. Ce sont un « cordouannier » (19), un « chausseteur » (23), un « lingiere » (34), un « cousturier » (40), un « mersier » (65), un « orfevre » (106), et un

« gantier ».Il s’avère que l’auteur vise à la perfection en créant une « noble vesture » (14) pour

le « noble corps », parce que « rien que tout bien je ne luy quiers baillier » (34). L’auteur semble être fier de « vestir sy noble personnaige » (35).

Etant donné que La Marche ait écrit son texte pour des femmes nobles, il explique pourquoi une dame de haute naissance devrait être vertueuse. C’est que, selon La Marche, une dame sans vertu, ne sera jamais noble. « Que pouroit plus princesse souhaidier pour avoir

lez, pour soy faire prisier que ce savoir sans reproche de blasme », demande l’auteur après

avoir présenté la vertu de la « coste simple ». Il continue : « Qui peult sentir de ce grant bien

36 Gaucher, E., « Le Triomphe des Dames d'Olivier de la Marche: une parodie mythographique et allégorique? »,

dans : Romans d'Antiquité et littérature du Nord, Paris, Edition Champion, 2007, p. 320.

(16)

16

la flame, il repose de corps, d’ame et de cœur ou lit de joye et parement d’honneur » (44). Les

vertus dont La Marche pare la future mariée, doivent l’aider à devenir une bonne épouse, une dirigeante vigoureuse, et une servante dévote de Dieu39.

Les strophes sont entrecoupées d’histoires en prose dans lesquelles l’auteur présente différents exempla qui montrent chacun la vertu qui a été présentée dans les strophes qui précèdent. La Marche explique lui-même la raison pour laquelle il a ajouté des exempla :

Mes dames, pour fortiffier les deulx gans de charité, j’ay fait deulx contes en ung exemple, et vous souviengne de la contesse de Savoye, de ses roses et de ses vertus, car charité est le plus seur et le plus brief chemin pour venir a paradix. (XVII)

Selon l’auteur, les histoires soulignent la morale exprimée dans les strophes qui précèdent. Elizabeth Gaucher associe l’écriture allégorique à la structure d’un prosimètre qui à la fin du Moyen Age devenait la forme favorite d’une littérature d’actualité engagée, politico-morale, tournée vers la recherche du bien public, la guérison et la consolation. Le choix d’une écriture alterne, en vers en en prose, répond à une double finalité, dans le cadre d’une pédagogie de la varietas : placere et docere. Le prosimètre se propose de résoudre une crise, de rétablir la concorde, l’équilibre40. Olivier de La Marche fait usage de l’alternance des passages en prose et en poésie, pour équilibrer son discours. C’est-à-dire que les exempla donnent le bon exemple et de cette façon, elles renforcent les strophes dans lesquelles La Marche propose à sa dame les vêtements en tant que vertus. En fait, les femmes dans les histoires en prose montrent le chemin aux lectrices pour devenir vertueuses. Selon toute probabilité, La Marche a trouvé les exempla dans des catalogues de femmes ; ce sont des listes énumérant des héroïnes païennes et parfois chrétiennes qui ensemble incorporent un certain idéal féminin41. Les catalogues de femmes ont connu un grand succès à la fin du Moyen Age. En effet, ce genre, ainsi que la littérature didactique en général, répondait aux attentes des lecteurs qui étaient à la recherche d’un exemple moral à imiter, une leçon à apprendre. Par conséquent, les

exempla avaient une fonction éducative42. En fin de compte, La Marche fait l’éloge de sa dame (et de la femme en général) dans des strophes poétiques, et il renforce son idéal dans des histoires en prose.

39 Raue, S., Een nauwsluitend keurs, p.54.

40 Gaucher, E., « Le Triomphe des Dames d'Olivier de la Marche: une parodie mythographique et allégorique? »,

p.326

(17)

17 Après la présentation des vingt-trois vertus, le poète offre un miroir à sa dame dans lequel elle pourra enfin se contempler pleinement parée et vertueuse43.

Or est madame et paree et vestue de noble abit et de riches parures, et est raison qu’en ce caz m’esvertue qu’elle puist voir que tout soit en value, se tout est bien en atour et vestures. Ce dernier point nous fera les clostures des biaulx abitz dont l’ay voulut pourvoir pour ce lui donne a la fin un miroir. (157)

Le miroir est l’ultime accessoire car il invite encore plus nettement à une lecture réflexive. Olivier de La Marche compose ici un Miroir. C’est-à-dire qu’il exhorte les lectrices à se contempler, non dans le miroir de sa dame, mais dans celui de son livre. Son œuvre est un manuel de morale destiné à convertir son public, à lui montrer le chemin. De ce fait, la dame, en tant qu’exemple pour les lectrices, semble être destinée à compléter la liste des exempla44. Ainsi, il s’avère que le miroir dans Le parement et triumphe des dames est présenté en tant que miroir de l’âme. Puis, la mort arrive sous la forme d’une danse macabre dans laquelle se présentent à leur tour plusieurs grandes dames défuntes, sur le mode de l’Ubi sunt.

Qu’est devenue la roÿne de France, fille du duc de Savoye, Charlote

puissant de corps, de moult belle apparence (176) Qu’est devenue ceste grant heritiere

de Bourgoingne, qui fut archeducesse, bonne de fais, honneste de manière, de ses subgetz si agreant et chiere,

qu’oncques ne fut plus amee princesse (178)

La Marche invite ses lectrices à réfléchir sur la vanité des biens terrestres. En tant qu’exemple, la dame sera destinée à compléter cette liste des femmes décédées. Celles-ci servent à illustrer l’instabilité et la futilité du monde terrestre45. La Marche considère la mort comme un ennemi concret qui combat l’être humain et qui essaie de couper court aux jouissances terrestres.

43 Fontaine, M.M, « Des Auteurs pour Marguerite d’Autriche et pour les dames de la cour de Malines », p.267. 44 Gaucher, E., « Le Triomphe des Dames d'Olivier de la Marche: une parodie mythographique et allégorique? »,

pp. 322 – 324

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18

Toutes vives perdrez vostre beaulté, et quant la mort en fait le departir,

qui plus vous ayme, et plus vous veult fuyr. (162)

Il ressort de ces vers que La Marche contraste violemment la beauté éphémère, la décadence de la parure – tellement importante pour la Marche – et la dépravation qu’apporte la Mort46. Effectivement, le costume de la dame la transformera en un modèle de vertu, mais en revanche, elle est confrontée à la mort à la fin de l’œuvre au moment où l’auteur lui offre le miroir et quand il cite les grandes dames mortes. C’est pourquoi Saskia Raue conclut qu’Olivier de La Marche voulait enseigner à ses lectrices que même la parure serait défaite par la Mort, mais que celle-ci, à son tour, serait vaincue par la réputation :

Bonne esperance se prent en bonne vie, et qui bien vit, on le voit bien finir. Qui bien fine, dieu est de sa partye, Qui dieu acquiert, il a gloire infinie, esjouyt l’ame du paradis sans per. Soyons saiges a ce monde passer qui dure peu et sy est transitoire, si acquerons perpetuelle gloire. (151)

Cette leçon montre que pour celles – et ceux – qui mènent une vie vertueuse et qui espèrent une vie heureuse après la mort, l’existence sur terre sera supportable et ainsi, ils gagneront la gloire et le paradis47. Dans la dernière strophe du vingt-troisième chapitre, La Marche conclut : « faisons les œuvres dont l’ame soit saulvee. Se sont moyens d’avoir longhe duree » (156). En

résumé, en présentant les vingt-trois vertus que les lectrices devraient tenir à cœur, et en invitant les lectrices à garder en souvenir, à « remembrer » les modèles que leur offrent les récits exemplaires, La Marche a voulu leur enseigner que c’est toujours la réputation qui compte. Les femmes vertueuses qui mènent une bonne vie méritent le ciel48. Voilà la leçon la plus pertinente du traité.

Les parties du miroir et de la danse macabre ont le caractère d’un épilogue, puisqu’elles se composent seulement de strophes49. C’est dans la dernière strophe que La Marche signe son œuvre avec son nom et qu’il précise lui-même le titre de son traité.

46 Raue, S., Een nauwsluitend keurs, p. 159-160. 47 Ibidem, p. 93.

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19

Pour l’amour d’une que mon ceur a plus chier j’ay pris la paine de ce livre traictier,

dont toutes autres en pouront mieulx valoir et je, La Marche, meült de bon voulloir, querant vertus et reboutant les blasmes, l’ay baptisié le Triunphe des dames50. (180)

Ainsi, La Marche donne de l’identité à son œuvre. Il se centralise et se met littéralement en scène. Par conséquent, La Marche affirme un projet personnel. Ce sont ses leçons à lui qu’il présente à ses lectrices. Dans les paragraphes suivants, nous présenterons son public féminin.

2.3. Les dédicacées et les propriétaires du Parement et triumphe des dames

2.3.1. Les dédicacées d’après le texte d’Olivier de La Marche

Il s’avère que Le parement et triumphe des dames a été écrit pour un public de cour. Saskia Raue base sa conclusion sur le fait que les vêtements qui sont présentés dans l’œuvre, étaient à la mode à la cour de Bourgogne pendant la deuxième moitié du XVIe siècle51. En outre, quelques paroles de La Marche en témoignent :

Ce chapperon, pour embellir ses gestes, nous fault parer selon le temps qui court d’afecqués d’or, de chaines, de paillestes pour embellir et estre joliëstes

c’est la manière maintenant de la court. Après les grandes chacune va et court, soit en abit ou de chief ou de corps,

a qui mieulx mieulx par renfors sur renfors. (152)

La Marche habille sa dame selon la mode de la cour. De cette façon, elle donnera exemple aux autres courtisans qui l’imiteront. Les vêtements et les accessoires qui passent en revue, font partie d’une toilette de mariage. C’est une des raisons pour lesquelles Saskia Raue avance que La Marche a probablement écrit cette œuvre pour Marguerite d’Autriche. C’est que, pendant la période de l’écriture, la duchesse préparait son mariage avec Jean d’Aragon. Ces préparations se déroulaient à la cour de Bourgogne sous la direction de sa grand-mère

50 Kalbfleisch-Benas, J., Le Triomphe des dames von Olivier de La Marche, p.98 : Pourtant, ce titre change dans

les divers manuscrits qui restent aujourd’hui, à savoir dans quatre des six manuscrits c’est « Parement des dames ».

51 Raue, S., “Kleren maken de vrouw: een onderzoek naar de mislukking van een Middelnederlandse

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20 Marguerite d’York52. D’abord, La Marche invite des artisans qui créent pour sa dame une « roialle porture » (40). Ensuite, il s’adresse à une duchesse53 : « Ceste vertu appartient a duchesse ; car qui la pert, c’est noblesse esperdue, et ne doit plus pour noble estre tenue »

(54) ; et enfin à une princesse qui sera reine, « Noble princesse eslute pour roijne » (117) ;

« vela princesse bonne, digne d’avoir et de porter couronne » (124). Marguerite d’Autriche

portait deux titres, celui de duchesse de Savoie et celui de princesse de Bourgogne. La Marche a probablement destiné son traité à la jeune femme pour la préparer à la vie d’une femme mariée, ainsi qu’à son rôle en tant que souveraine puissante54.

Pourtant, il s’avère que La Marche se proposait aussi d’autres lectrices possibles. Ce groupe peut être précisé de manière plus détaillée. En effet, ce sont les filles nobles qui reçoivent une éducation dans un couvent inspiré par les idéaux de la Sainte Waudru.

Haulte princesse, en faveur de qui j’ay ce present volume et ses habillemens demoiselles et autres femmes, et especiallement vous, nobles demoiselles d’encloistre, servans et vivans de la fondacion de ceste sainte dame, prenez la prudence de vivre de vostre fonderesse, ensuyez ses meurs et sa vie et vous gaignerez honneur et paradix. (XXI)

D’abord, La Marche nomme la grande dame à laquelle il consacre son œuvre et l’habit. Puis, il mentionne les « autres femmes ». Ce sont probablement les lectrices. Finalement, La Marche adresse directement la parole aux filles du couvent en disant qu’il a écrit son œuvre spécialement pour elles. Il en ressort qu’il les avait prévues comme dédicacées. La Marche présente ce public à la fin de l’exemplum qui illustre les tempelettes de prudence, où La Marche raconte l’histoire de la Sainte Waudru. Celle-ci était reine au VIIe siècle et, à l’époque, elle hébergeait dans un couvent dans l’ancienne région de Hainaut des filles de familles pauvres pour les initier à la vie monacale selon le modèle des vestales. Elles y apprenaient les vertus chrétiennes et d’autres usages qui honoraient une femme. Néanmoins, ces filles avaient le droit au mariage, parce qu’elles étaient considérées comme parti désirable grâce à leur chasteté55. 800 ans plus tard, la fondation de la Sainte Waudru accueillait toujours des filles de familles nobles. Celles-ci devaient être proposées par le duché bourguignon56.

52 Raue, S., Een nauwsluitend keurs, p.108

53 Marguerite d’Autriche portait plusieurs titres tels que ‘princesse de Bourgogne’ et ‘archiduchesse d’Autriche’. 54 Raue, S., Een nauwsluitend keurs, pp. 105 – 108.

55 Raue, S., “Kleren maken de vrouw : een onderzoek naar de mislukking van een Middelnederlandse

kledingallegorie”, p.56.

56 Raue, S., Een nauwsluitend keurs, p. 111-112, De plus, il y a une relation généalogique qui relie la Sainte Waudru

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21 Il s’est avéré que La Marche a écrit Le parement et triumphe des dames avec deux dédicacées spécifiques en tête : les filles du couvent et Marguerite d’Autriche. Toutefois, il ne l’a pas seulement écrit pour elles, mais aussi pour les dames de la cour, des régions bourguignonnes et d’ailleurs. Effectivement, La Marche s’adresse directement à un groupe de lectrices originaires de toutes les classes sociales : « Empereÿs, roÿnes et princesses, entendés

cy, dames et demoiselles ! femmes servans, bourgoises et maistresses » (13). Cependant, etant

donné que l’éducation fût principalement disponible pour les femmes des hautes classes sociales, Le parement et triumphe des dames a été lu notamment par les femmes nobles. De plus, les manuscrits conservés jusqu’aujourd’hui affirment qu’ils ont surtout circulé dans les cours royales, de Bourgogne et ailleurs. Trois des manuscrits ont eu un propriétaire concret, nous les présenterons dans le paragraphe suivant.

2.3.2. Les manuscrits conservés et leurs propriétaires

Kalbfleisch-Benas et Raue parlent chacune de sept différents manuscrits qui peuvent être distingués en deux groupes : quatre manuscrits (désignés par les lettres B, M, F, G) contiennent les strophes en vers et les histoires en prose, et trois manuscrits (désignés par les lettres A, H, P) ont uniquement les strophes en vers. Manuscrit A, conservé à la Bibliothèque Nationale à Paris : Ms. fr. 25431, est intéressant grâce aux miniatures à l’en-tête des chapitres. Ce manuscrit n’est pas consultable en ligne. Les autres manuscrits sont beaucoup plus sobres, moins luxueux et ne contiennent aucune miniature57.

Manuscrit B58 a été retrouvé dans la bibliothèque de Marguerite d’Autriche. Le manuscrit semble avoir appartenu à Olivier de La Marche, puis à Marguerite d’Autriche59. Selon Kalbfleisch-Benas, volume B est le meilleur manuscrit et c’est pour cela qu’elle y a basé sa réécriture. Malheureusement, ce manuscrit n’est pas consultable en ligne.

Il y a un autre manuscrit, désigné par la lettre H, qui a également eu une propriétaire spécifique, Suzanne de Bourbon60 : « Ce livre est a madame la duchesse Connestable de France et luy fut baillé par le libraire du roy ». Cet exemplaire a été recopié par le bibliothécaire du

57 Raue, S., Een nauwsluitend keurs, p. 53.

58 Bruxelles, Bibliothèque Royale Albert Ier, Ms. fr. 10961-10970.

59 Grenier-Winther J., Oton de Granson. Poésies, Classiques français du Moyen Age, Paris, Champion, 2010, p.162. 60 Kalbfleisch-Benas, J., Le triumphe des dames von Olivier de La Marche, p. XV : Paris, Bibliothèque nationale f.

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22 roi d’après un autre manuscrit qui ressemble au manuscrit 184861. Le manuscrit H a fait partie de la bibliothèque du château de Moulins. Il paraît sous la référence 257 : « Ung livre du parement des dames, en papier, à la main, couvert de parchemin »62. Ce château était la

résidence de Suzanne et de sa mère Anne de France. En 1527, la collection est déposée dans la bibliothèque du château de Fontainebleau. Suzanne était la duchesse de Bourbon et d’Auvergne et comtesse de la Marche. Elle était née en 1491, fille de Pierre II, duc de Bourbon et d'Auvergne. Sa mère était Anne de France. Quand Suzanne avait 12 ans, sa mère lui a écrit un traité auquel elle a donné le titre Enseignements à ma fille. C’est un traité didactico-moraliste dans lequel Anne de France parle des obligations d’une princesse. Le manuscrit a également fait partie du catalogue du château de Moulins. Suzanne de Bourbon l‘a signé elle-même : « Ce livre est à moy, Susanne de Bourbon, et l’ey eu de la meson de Bourbon »63. En

comparant cette inscription à celle du manuscrit H, il semble que ce dernier n’a pas été signé par la duchesse elle-même. Quelqu’un le lui a vraisemblablement offert. Ceci ressort aussi de la dédicace retrouvée à la page f. 5v :

A vous madame tres redoubtee (so) duchesse De Bourbon nee et joincte aux fleurs de liz Foys ce present par seruice et humblesse Pour vous esbatre apres jeux et deliz Voz nom et tiltre de louenge embeliz Requierent bien quon vous face seruice Ce present cy est matiere sans vice Et ny a riens que tout bon exemplaire Prenez le en gre de la main du libraire64

Cette dédicace manifeste que le manuscrit était destiné à la duchesse de Bourbon. De plus, les trois derniers vers montrent que les leçons de La Marche seraient appréciées par Suzanne. En outre, celui qui a écrit ces mots, avance le fait que la duchesse, née dans la famille de Bourbon, s’est engagée « aux fleurs de liz ». En effet, en 1505, Suzanne épousait son cousin

61 Catalogus 49-76 dans : Dames met klasse, Margareta van York. Margareta van Oostenrijk., Davidsfonds,

Mechelen, 2005, p. 184. Comme le manuscrit H n’est pas consultable en ligne, nous ne pouvons pas confirmer cette constatation qui ne pourrait être que partiellement plausible car le manuscrit H contient seulement les strophes en vers.

62 Chazaud, A.M, Les enseignements d’Anne de France duchesse de Bourbonnais et d’Auvergne à sa fille Susanne de Bourbon, 1887, p. 251.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111125k.r=%28text%3AMs+AND+text%3A2376%29+AND+%28categories %3ADroitsSpec%2Fsne+OR+categories%3ADroitsSpec%2Fall%29.langFR

63 Chazaud, A.M, Les enseignements d’Anne de France duchesse de Bourbonnais et d’Auvergne à sa fille Susanne de Bourbon, p. III.

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23 Charles de Bourbon, connétable de France. Cette remarque illustre la possibilité que Suzanne de Bourbon ait également reçu le manuscrit pour se préparer à sa vie en tant que femme mariée.

Enfin, le manuscrit M, qui est conservé à Anvers au Musée Plantin, a également été signé personnellement. La signature date du XVIe siècle : f.1r « Ic behoere toe Gillis van

Wissen-Kercke toe »65. Van Wissen-Kercke était marié à Maria van Cats, l’arrière-petite-fille de Jacob

van Cats. En 1477, ce dernier était nommé fonctionnaire royal au château de Gouda par Marie de Bourgogne. Sa famille a donc entretenu des liaisons étroites avec la cour bourguignonne. De plus, Jacob van Cats était un mécénat littéraire qui possédait un exemplaire du Chevalier

délibéré. Selon toute probabilité, il disposait également d’un exemplaire du Parement et triumphe des dames. Par conséquent, les deux manuscrits ont été hérités par son

arrière-petite-fille66.

Aussi bien Kalbfleisch-Benas que Raue concluent que sept manuscrits du traité ont été conservés. Cependant, il y a un huitième, qui est conservé à la Bibliothèque Nationale à Paris : Ms. fr. 184867. Ce manuscrit date probablement du XVIe siècle et sa provenance est inconnue car il n’est pas signé, ni titré. Il y a une inscription sur la page f.1v : « 196 Exemples d’humilité

selon les escriptures ». Ce manuscrit contient deux miniatures (f.3r : la dame au lever. F.55r :

la dame parée) et est enluminé de lettres ornées68. Deux autres manuscrits sont consultables en ligne sur le site de gallica.fr : Ms. 1705 (F) et Ms. 1706 (G). Malheureusement, selon Kalbfleisch-Benas, F & G sont écrits avec peu de minutie. En effet, le scriptor du manuscrit G a changé régulièrement les mots illisibles de l’autre volume69. En totalité, il y a donc huit manuscrits qui ont été conservés. Ce nombre, ainsi que la provenance connue des trois manuscrits, permet de comprendre pourquoi on en reproduit plusieurs éditions imprimées dans les premières années du XVIe siècle, à Paris et à Lyon.

65 Kalbfleisch-Benas, J., Le triumphe des dames von Olivier de La Marche, p. XVI.

66 Pleij, H. & J. Reynaert, Geschreven en gedrukt. Boekproductie van geschreven naar gedrukt in de overgang van de Middeleeuwen naar Moderne Tijd, Academia Press, Gent, 2004, p.149.

67 Paris, BNF, Fr. 1848 :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9059551h.r=Le+Parement+des+dames+par+OLIVIER+DE+LA+MARCHE.lan gEN.

(24)

24 Les premiers imprimés datent de 1510 et ont été publiés à Paris par Jean Petit et Michel Lenoir. Une deuxième édition parut en 1520. En totalité, cinq exemplaires sont conservés70. Pourtant, ces éditions ont été réécrites par Pierre Desrey. Il a corrigé des fautes, perfectionné la rime et ajouté des strophes71 En 1520, deux autres éditions ont été imprimées à Paris par la veuve de Jean Trepperel, et Jean Jehannot72. Il y a encore deux imprimés qui viennent de Lyon, mais ne portent pas de date. Ils sont imprimés chez Olivier Arnoullet73. Le dernier imprimé date de 187074. Jusqu’à présent il n’y a pas encore une édition moderne.

70 Olivier de La Marche, Le parement et triumphe des dames, Paris, Jehan Petit et Michel Lenoir, 1510. Ex. :

Paris BN Res. Ye 1253 ; Aix-en-Provence, Bibliothèque Méjanes C 2843 ; Paris, Bibliothèque de l'Ecole Nationale Supérieur des Beaux-Arts Masson 623.

Olivier de La Marche, Le parement et triumphe des dames, Paris, Jehan Petit et Michel Lenoir, 1520. Ex : Leiden, Bibliothèque universitaire 1368 F 7 ; Versailles, Bibliothèque municipale G 8o [E 306 c].

71 Les imprimés ne font pas partie de notre étude. Pour plus de détails on peut consulter Raue, S., Een nauwsluitend keurs, pp. 13-17 ; Kalbfleisch-Benas, Le triumphe des dames von Olivier de La Marche, pp.

XVI-XVII.

72 Olivier de La Marche, Le parement et triumpe des dames, Paris, veuve Jean Trepperel et Jean Jehannot, 1520.

Ex. : Paris, Bibliothèque de l'Arsenal 8o BL 12249 Rés. ; Paris, Bibliothèque de l'Ecole Nationale Supérieur des Beaux-Arts Masson 623.

73 Olivier de La Marche, Le parement et triumphe des dames, Lyon, Olivier Arnoullet, s.d.. Ex :Paris,

Bibliothèque de l'Ecole Nationale Supérieur des Beaux-Arts Masson 698 ; Sevilla, Biblioteca Capitular Y Colombina 15 2 3.

74 Olivier de La Marche, Le parement et triumphe des dames, Paris, 1870, Ex. : Bibliothèque nationale de

(25)

25

3. Les lectrices et les effets des différents pronoms appellatifs

3.1. Les ‘mes dames’, les lectrices principales

A la fin du Moyen Age, les lectrices lisaient une œuvre dans l’espoir apprendre des leçons pour perfectionner leur caractère. L’auteur dans le texte compte qu’il y aura un dialogue entre lui et ses lectrices. En effet, Olivier de La Marche prévoyait que son œuvre serait lue pour des raisons d’apprentissage. Par conséquent, il adresse directement et indirectement la parole aux lectrices pour diriger leurs réactions au texte. Quant à l’apostrophe, il y a deux niveaux. D’abord, il y a un grand groupe de femmes, les ‘mes dames’, auquel La Marche s’adresse directement et indirectement par différents titres. Ce groupe, ce sont les lectrices de l’œuvre. Ensuite, il y a la ‘madame’. De temps en temps, il lui parle directement, comme il s’adresse à Marguerite d’Autriche. Mais, en premier lieu la dame est présentée en tant qu’exemple pour les lectrices.

Le groupe des ‘mes dames’ sont les lectrices que La Marche vise à l’œuvre entière. Elles sont interpelées de différentes manières : par des titres, à la deuxième personne du pluriel, ainsi qu’à la première personne du pluriel. Les lectrices peuvent être considérées comme le public principal. C’est la raison pour laquelle La Marche s’adresse à elle dès le début de l’œuvre.

La Marche concrétise les ‘mes dames’ par de différents titres. Il ressort de ces paroles que La Marche ne s’adresse pas seulement aux dames de hauts rangs, mais aussi à des servantes et des bourgeoises. Les lectrices sont invitées par l’auteur à continuer leur lecture car elles trouveront des ‘richesses’, c’est-à-dire les vêtements et les accessoires qu’il offrira à sa dame. Effectivement, cet habit est pour ‘toutes’, selon l’auteur. C’est-à-dire que chaque femme peut triompher en mettant de tels vêtements, ou bien en tenant à cœur les différentes vertus. Comme La Marche s’adresse à toutes, un grand groupe de lectrices se sentira personnellement visé. De ce fait, elles se sentiront respectées. En lisant de la beauté de l’habit, la curiosité des lectrices est excitée. De ce fait, elles poursuivront leur lecture.

Le même procédé a lieu dans la strophe qui précède le septième exemplum. La Marche s’adresse aux femmes en général, il écrit :

(26)

26 Il fait la différence entre des femmes de la campagne et celles des villes. C’est la première fois que La Marche s’exprime sur l’endroit d’où proviennent ses lectrices. Nous supposons que La Marche réfère ici à l’origine des femmes. C’est-à-dire que celles des ‘champs’ viennent des familles bourgeoises et celles des ‘villes’ des familles d’origine noble. Une autre comparaison se trouve un peu plus tard dans la strophe qui précède l’exemplum du couteau de la justice.

Autant princesse qu’une simple bourgoise, une roÿne comment une bergiere (…) (84) Noble princesse eslute pour roÿne,

et toutes femmes, soit grande soit petite (…) (117)

Il ressort des paroles que l’œuvre de La Marche est accessible à toutes les femmes qui sont intéressées. Selon La Marche, chaque femme devrait se parer des vertus qu’il présente. Comme La Marche traite ses lectrices d’égal à égal, elles se sentiront respectées et visées. En respectant ses lectrices et en espérant qu’elles mettent en œuvre les leçons, La Marche les loue en les appelant « nobles dames » :

Nobles dames, ayés le cœur de Virgine ; car chasteté entre philozophes est nommee la tres belle vertu. etc. (VI)

O nobles dames, prenez exemple a la sainteté et sobresse de ceste sainte vierge Marine, car moult de maulx peullent advenir par la goutonnye de la bouche et par la legiereté de la langhe (XIII)

Ainsi, il semble que l’auteur vise à créer une forte relation avec elles pour obtenir la « performance » idéale. Les lectrices à leur tour se sentent effectivement flattées par les paroles. De ce fait, elles apprécient leur professeur et se conformeront aux instructions.

A la fin de la première histoire en prose, La Marche s’adresse à ses ‘mes dames’ :

Ainsy, mes dames et les filles de mon escolle, fuyons orgueil et prenons humilité (I)

(27)

27 (36). L’auteur guide ses lectrices à travers les différentes leçons. De cette façon, l’habit prend forme plus clairement. De ce fait, les lectrices restent attentives, parce qu’elles arrivent à suivre l’auteur. Ce dernier emploie également l’impératif pour instruire ses lectrices :

Chaussons le piet d’humilité sans fainte Laissons orgeul qui trop de maulx procure ceste pantouffle nous sera digne et sainte. (18)

En utilisant l’impératif, l’auteur instruit ses lectrices à mettre, comme la dame, des pantoufles. L’auteur n’habille pas seulement sa dame, mais aussi les autres. De ce fait, les lectrices se sentiront traitées comme des équivalentes à la dame. De telle sorte elles peuvent se mesurer à la dame, elles sont encouragées à tenir les leçons à cœur.

Il faut que les lectrices fassent attention le long de l’œuvre. C’est pour cela que La Marche leur adresse directement la parole. A la fin de presque toutes les histoires en prose, La Marche parle à ses ‘mes dames’ :

Mes dames, j’ay donné cest exemple pour vous garder de mectre aultruy en pechié par actraite en vostre essiënt (…), conduisez vous en telle et si vertueuse manière (…) que vous soyés dames constantes en vertus et ennemyes de vices. (XIX)

Comme les ‘mes dames’ sont appelées dès le début de la phrase, elles restent attentives. Ensuite, le ‘je’ explique qu’il a donné l’exemple particulièrement pour elles. De ce fait, les lectrices comprennent la nécessité de l’histoire qu’elles viennent de lire. Puis, le ‘je’ résume la morale de l’histoire. De cette façon, les lectrices sont prises par la main. Ce n’est pas à elles de définir les leçons. Dans les vers suivants, le ‘je’ est absent.

Mes dames, cy a bel exemple tant en obeÿssance comme en beau maintien, si resamblés la royne Hester, et voz besoingnes en vauldront de mieulx. (XV)

(28)

28 connaissance encourage les femmes à s’identifier à l’exemple. De plus en plus, elles assimilent les leçons de l’auteur. Les instructions se répètent à la fin de toutes les histoires en prose.

Mes dames, tenons le chemin de la Magdalaine oublions noz pechiés de fait et de voulenté, et perseverons ou service de nostre seigneur ; sy en aurons le guerdon (III)

Par le biais de l’énumération, l’auteur met l’accent sur les actions qu’il propose à ses lectrices. De cette façon, il consacre ses efforts à la réalisation d’un climax. Ainsi, il étaye son argument. Les lectrices ressentent l’intensité des vers. Pour être récompensées, elles doivent se comporter comme la Magdeleine.

Il s’est avéré que la façon dont la Marche s’adresse aux lectrices suscite une certaine réaction chez les lectrices. Elles se sentent personnellement visées. C’est pour cela qu’elles réfléchissent sur leur propre comportement en se mesurant à la dame et aux exempla. Ainsi, elles se familiarisent avec le texte qu’elles lisent. Quelquefois l’auteur stimule cette conscience.

Or, mes dames, qui mon livre lisiez, sur toute chose ayez en memoire la noble coiffe de honte de meffaire, (…) (XX)

mes dames qui lisiez mon espiltre, suyez le train de sainte Cecille et demeurés fermes en bonne esperance, car nostre sauveur Jhesucrist est raceteur de nous par verité et non pas abuseur ne deceveur en ses parolles et promesses. (XXII)

Ces paroles manifestent que La Marche avait prévu son œuvre comme une lecture privée. En écrivant ses leçons, il a imaginé ses lectrices ; lisant, seules, motivées. Celles-ci, à leur tour, ont choisi de lire son œuvre pour se développer personnellement. En résumé, puisqu’elles sont interpelées directement, respectées et prises par la main, elles l’écoutent, restent attentives et se concentrèrent sur les leçons de l’auteur. Ainsi, ce dernier peut influencer leur interprétation afin de les diriger vers la meilleure « performance ». Des instructions de l’auteur ressort qu’il les guide vers une identification avec les dames qu’il présente. En fait, l’interaction directe entre l’auteur et ses lectrices qui est mise en œuvre pour forcer les liens, se trouve à la base de ce processus d’identification.

3.2. Les deux fonctions de la dame

(29)

29 Le manuscrit B a appartenu à Olivier de La Marche, puis à Marguerite d’Autriche. Nous supposons que le premier l’ait offert à la princesse. Si c’était le cas, elle avait dû comprendre que La Marche avait écrit son œuvre particulièrement pour elle. Bien que La Marche ne l’appelle nulle part par son nom, Marguerite d’Autriche pouvait se sentir concernée grâce aux différents titres, tels que ‘princesse’ et ‘duchesse’ (supra. 2.3.1.). Comme Marguerite d’Autriche était en train de préparer son mariage, elle a certainement tenu à cœur la leçon suivante :

Gardons ce pigne de remort dentelet, nectoyons bien chief et entendement, confessons nous du temps qui est passé, car l’avenir doit estre conpassé

de seur propoz et vray amendement. Soyés, madame, en ce vouloir souvent, affin qu’on die : vela princesse bonne, digne d’avoir et de porter couronne. (124)

La leçon est appliquée à la situation de Marguerite d’Autriche et compte particulièrement pour elle en tant que princesse qui sera reine. C’est pour cela qu’elle s’est sentie personnellement concernée par « madame ». Comme cette leçon est dictée à la fin du chapitre, il est possible qu’elle relise les vers, les note. Ainsi, elle se familiarise avec les paroles de l’auteur afin de réfléchir sur sa propre vertu. C’est la « performance » idéale que La Marche se propose. Il attend de Marguerite d’Autriche qu’elle tienne à cœur les leçons. Enfin, cette « performance » peut constituer un changement de comportement : Marguerite d’Autriche mettra en œuvre les différentes vertus afin de se conduire comme la dame vertueuse (et comme les personnages des exempla).

Comme nous supposons que Marguerite d’Autriche savait que l’œuvre était écrite pour elle et que La Marche lui adressait la parole, elle aura pris au sérieux le discours du poète. De plus, l’auteur l’invite au début de l’œuvre à contempler sa dame et les vêtements qu’il lui offre. En effet, La Marche s’adresse aussi aux dames de haute naissance : « Empereÿs, roÿnes

et princesses » (13). L’habit sera intéressant pour toutes les dames, parce que chacune qui le

met, sera vertueuse. De ce fait, Marguerite sera curieuse, c’est pour cela qu’elle poursuivra sa lecture.

Referenties

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