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Traduire le français contemporain des cités: un truc de ouf ?

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Traduire le français

contemporain des cités:

un truc de ouf ?

Une analyse des traductions néerlandaises des romans

Kiffe kiffe demain

et Du rêve pour les oufs

de Faïza Guène

Liesbeth Hunse, S1686062

Mémoire de fin d’études

Sous la direction du dr. S.I. Linn

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2

Table des matières

Introduction ... 4

1. Cadre sociolinguistique ... 7

1.1. Introduction à la sociolinguistique ... 7

1.2. Variations diastratiques, diaphasiques et diatopiques ... 8

1.3. Le français contemporain des cités ... 10

1.3.1. Le FCC et sa fonction identitaire ... 11

1.3.2. Le FCC et ses caractéristiques linguistiques ... 12

1.4. La straattaal ... 15

1.5. Analyse contrastive ... 16

2. Cadre traductologique ... 18

2.1. Traduction des sociolectes [Lane-Mercier 1997] ... 18

3. Méthodologie ... 21

3.1. Enjeux méthodologiques [Williams 2001] ... 21

3.2. Recherches qui évaluent la traduction du FCC ... 23

3.3. Notre méthode et composition du corpus ... 25

3.3.1. Analyse quantitative ... 26

3.3.2. Analyse qualitative ... 32

4. Analyse ... 33

4.1. Présentation des romans Kiffe kiffe demain et Du rêve pour les oufs ... 33

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3

Annexe I : Résultats d’une première mise en pratique de la méthode... 76

Annexe I.1 : De aanslag ... 76

Annexe I.2 : De torrie van Mattie ... 77

Annexe II : Caractéristiques du FCC et de la straattaal ... 79

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4

Introduction

« Je ne peux pas placer un seul mot de verlan ou un truc un peu familier pour lui faire comprendre au mieux ce que je ressens… » (Kiffe kiffe demain : 175)

Cette citation, prise dans le roman Kiffe kiffe demain de Faïza Guène, souligne l’importance du verlan et du langage familier pour la protagoniste. Au lieu d’utiliser le français standard, elle préfère se servir du langage familier et du verlan, procédé lexical qui consiste à inverser les syllabes des mots pour ainsi former de nouveaux mots dont le sens n’est pas connu par tout le monde, parce que son usage facilite l’expression de ses sentiments. Comme nous le montrerons dans cette recherche, ce langage a des fonctions identitaires importantes pour ses locuteurs, leur permettant de lutter contre les forces dominantes auxquelles ils sont subis jour après jour. Ce phénomène linguistique illustre donc l’interpénétration de la langue et de la société, qui est également confirmée par l’assertion de la protagoniste.

Kiffe kiffe demain raconte la vie de la protagoniste qui vit en banlieue parisienne dans

des conditions de vie peu favorables. L’auteur du roman grandit elle-même également dans un quartier défavorisé près de Paris. Si elle est née en France, ses parents sont d’origine algérienne. Son roman se distingue entre autres par la présence d’un langage1qui est utilisé par les jeunes dans les banlieues françaises et notamment parisiennes. Nous référons à ce langage par le terme français contemporain des cités, suivant Goudailler (2002). Ce premier livre de Guène, qui n’a que 19 ans lors de sa publication en 2004, connaît un grand succès inattendu. Comme Sourdot (2009: 495) l’indique, 15.000 exemplaires de ce roman sont vendus pendant les deux premiers mois de sa vente. Dans les quatre années qui suivent, ce nombre augmente jusqu’à 400.000. Encouragée par cette popularité, Guène publie deux autres romans : Du rêve

pour les oufs en 2006 et Les gens du Balto en 2008.

Le succès de Kiffe kiffe demain dans l’Hexagone fait naître le désir de le traduire. Actuellement, le roman est disponible en 22 langues (Öberg 2011 :2), le néerlandais inclus. Cette traduction s’intitule Morgen kifkif et a été réalisée par Frans van Woerden. Son deuxième roman, Du rêve pour les oufs, se vend également dans cette langue, grâce à sa traductrice Truus Boot. Il porte le titre Dromen tussen het beton. Les gens du Balto n’existe pas encore en néerlandais.

Traduire les livres dans lesquels figure le français contemporain des cités n’est pas évident, puisqu’il se racine fortement dans le lieu où il est né et utilisé. La citation ci-dessus

1 Bien que Goudailler (2002, 2007 et 2009) désigne le FCC par le terme langue, nous optons pour celui de

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5 montre son importance et souligne par conséquent la nécessité de rendre ses caractéristiques dans la traduction. C’est pourquoi nous nous proposons dans cette recherche d’examiner comment le français contemporain des cités qui est présent dans les deux premiers livres de Faïza Guène, Kiffe kiffe demain2et Du rêve pour les oufs3, a été traduit en néerlandais4 et de déterminer quelles stratégies de traduction ont été appliquées afin de rendre la valeur stylistique qui est engendrée par son utilisation. D’une part, nous critiquerons les traductions, d’autre part, nous proposerons, s’il s’avère nécessaire, d’autres options.

Pour parvenir à ce but, nous commencerons dans le premier chapitre par présenter un cadre sociolinguistique. Nous insisterons sur les liens qui existent entre la langue et la société et sur la question de savoir comment ces liens reflètent des variétés langagières. Puis, nous aborderons la classification des variations qui est proposée par Gadet (2003). Nous continuerons par la pratique, en présentant deux variétés linguistiques : le français contemporain des cités et une variété des jeunes néerlandaise, la straattaal. Pour finir le premier chapitre, nous déterminerons les points de convergence et de divergence des langages français et néerlandais à l’aide d’une analyse contrastive. Chapitre 2 propose un cadre traductologique. Nous aborderons quelques notions théoriques concernant les difficultés qu’engendre la traduction des variétés linguistiques en nous basant principalement sur Lane-Mercier (1997). Dans le troisième chapitre, nous éluciderons notre méthodologie de manière élaborée, parce qu’elle n’est pas évidente. Comme les chercheurs ne s’entendent pas sur la façon dont on peut évaluer les traductions, nous analyserons tout d’abord un fragment typique de la straattaal afin de déterminer si notre démarche est adéquate. Dans le quatrième chapitre, nous passerons enfin à l’analyse. Dans cette analyse, nous examinerons la traduction néerlandaise des caractéristiques phonologiques, morphosyntaxiques et lexicales du FCC quantitativement et qualitativement. Nous déterminerons quelles stratégies de traduction ont été utilisées par les traducteurs afin de rendre ses spécificités langagières. Comme nous l’avons déjà signalé, nous ne nous limiterons pas à critiquer la traduction, proposant également d’autres possibilités. Nous nous appuierons sur un nombre de dictionnaires et

2 Publication utilisée : Guène, F. (2004), Kiffe kiffe demain, Paris : Hachette Littératures. 3

Publication utilisée: Guène, F. (2006), Du rêve pour les oufs, Paris : Hachette Littératures.

4 Publications utilisées : Guène, F. (2005), Morgen kifkif, traduction de Kiffe kiffe demain par Woerden, F., van,

Amsterdam : Sijthoff.

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6 d’autres ressources5, même si nous sommes consciente du fait qu’ils ne sont pas toujours idéaux pour l’analyse de ces variétés, car celles-ci s’évoluent particulièrement vite. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre qui termine notre recherche, le chapitre 6, qui comprend une évaluation de notre méthode. Nous y montrerons les points forts ainsi que les points faibles de la méthodologie utilisée.

5

Nous consulterons les ouvrages suivants:

Bastiaansen, C. e.a. (2008), Van Dale Groot woordenboek Frans-Nederlands, Utrecht: Van Dale. Bastiaansen, C. e.a (2008), Van Dale groot woordenboek hedendaags Nederlands, Utrecht: Van Dale. Colin, J-P., & J-P Mével. (2006), Grand dictionnaire argot & français populaire, Paris : Larousse. Endt, E. & L. Frerichs (2003) Bargoens woordenboek, Amsterdam: Uitgeverij Bert Bakker.

Goudailler, J-P. (2001), Comment tu tchatches: dictionnaire du français contemporain des cités, Paris : Maisonneuve et Larose.

Linn, S. & A. Molendijk, (2010), Vertalen uit het Frans, tekst en uitleg, Bussum: Coutinho.

Robert, P. et.al. (2008), Le nouveau Petit Robert de la langue française 2008, Paris : dictionnaires Le Robert. Roskam, H. (2002), Boeven-jargon, Amsterdam: Uitgeverij L.J. Veen.

Sanders, E (2009), Van Dale Modern Bargoens woordenboek. Van achenebbisj tot zwijntje en 698 andere

informele woorden, Utrecht: Van Dale.

Straatwoordenboek, consulté en ligne: www.straatwoordenboek.nl.

(7)

7

1.

Cadre sociolinguistique

Dans ce chapitre, nous nous proposons d’élucider quelques notions théoriques qui sont d’importance pour ce qui est de cette recherche. Adoptant un point de vue sociolinguistique, nous commencerons par une description de ses principes principaux. Ensuite, nous aborderons la catégorisation des variations proposée par Gadet (2003). Après avoir élucidé ces notions théoriques, nous passerons à la pratique. Dans le paragraphe suivant, 1.3, nous présenterons la fonction sociale et les caractéristiques linguistiques de la variété qui constitue le sujet de notre recherche : le français contemporain des cités. Dans 1.4, nous aborderons une variété néerlandaise qui possède quelques particularités comparables, la straattaal, pour finir par une analyse contrastive du FCC et de la straattaal dans 1.5.

1.1. Introduction à la sociolinguistique

Sans avoir aucune illusion d’être complète dans ce bref aperçu, nous esquisserons ici les idées principales de la sociolinguistique.

Considéré comme fondateur de la sociolinguistique, le linguiste américain Labov est l’un des premiers à impliquer les circonstances sociales des locuteurs dans une recherche linguistique. En 1965, il publie sa thèse de doctorat, The Social Stratification of English in

New York City, dans laquelle il cherche à déterminer ce qui cause la variation dans la

prononciation du /r/. Il finit par l’expliquer à l’aide des différentes classes sociales des locuteurs. C’est l’une des premières fois que la langue est liée clairement au social. Bourdieu, sociologue, part également d’une telle relation, entre autres dans les livres cités ici, Ce que

parler veut dire (1982) et Langage et pouvoir symbolique (2001).

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8 nous reviendrons de manière plus élaborée dans le chapitre 3.2 : « Certaines [façons de parler, ME] sont stigmatisées, d’autres sont au contraire socialement valorisées » (Zotti 2010 : 23). Bourdieu discute ces différentes positions sociales en employant les termes de langue légitime,

langue illégitime et pouvoir symbolique, que nous élaborerons dans ce qui suit.

Il désigne la langue officielle, le produit de la codification et de la normalisation, par

langue légitime. Elle domine la langue illégitime. Selon Bourdieu, celle-ci est la victime

d’une « dévaluation systématique » (Bourdieu 1982 : 83). Il l’illustre par le contenu des dictionnaires. Certains mots sont accompagnés d’une notion comme pop. ou arg. qu’il appelle « un signe d’exclusion » (Bourdieu 1982 : 75). Les dictionnaires, ainsi que les grammaires, contribuent ainsi fortement à la dévalorisation de la langue illégitime. Pour désigner le moteur de ce rapport de domination de la langue illégitime par la légitime, il emploie le terme de « pouvoir symbolique » (Bourdieu 1982 : 201). Il décrit ce pouvoir comme étant invisible et reconnu par les dominateurs ainsi que par les dominés. Ces derniers ne luttent pas contre ce pouvoir, mais ils l’acceptent, ce qui permet la domination et sa continuation.

Les notions qui précèdent soulignent encore une fois que les liens entre la société et la langue ne sont pas niables. Sans aborder ultérieurement ses idées, nous tenons à accentuer que cette prémisse est primordiale dans notre recherche. L’emploi du FCC est en effet ancré dans la vie sociale de ses locuteurs. Nous reviendrons à cette relation dans le paragraphe 1.3.

Dans le suivant, nous traiterons tout d’abord les différentes variations langagières plus à fond, en présentant la catégorisation proposée par Gadet (2003).

1.2. Variations diastratiques, diaphasiques et diatopiques

Comme nous l’avons déjà signalé dans ce qui précède, la langue est hétérogène. Aucun individu ne s’exprime exactement de la même manière qu’un autre et en outre, la façon de parler de chaque locuteur varie selon la situation dans laquelle il se trouve. Françoise Gadet l’exprime ainsi dans son article « La variation : le français dans l’espace social, régional et international »: « L’hétérogénéité des formes linguistiques est constitutive de la notion même de langue » (Gadet 2003: 94).

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9 Gadet catégorise les variations à l’aide des caractéristiques extralinguistiques. Elle commence par distinguer celles selon les usagers de celles selon l’usage. Nous traiterons ces groupes dans ce qui suit.

La variation selon les usagers se compose de trois sous-catégories. Le premier constituant de ce groupe est formé par la variation diachronique. Vu que la langue est en permanente évolution, le temps fait naître des variétés langagières. Dans notre recherche, nous en faisons abstraction parce qu’il ne s’agit pas d’une étude longitudinale. La deuxième composante de cette catégorie, la variation diatopique, concerne celle qui dépend du lieu où se trouve le locuteur. Le meilleur exemple de cette sous-catégorie se trouve dans la fameuse division entre rural et urbain. Une dernière variation complète ce groupe qui consiste en les différences selon l’usage : la variation diastratique. Elle comprend les variétés qui naissent à cause des caractéristiques personnelles des locuteurs, par exemple les différences d’âge, de sexe ou de niveau d’études. Elle est subdivisée en deux sous-catégories: celle des sociolectes et celle des technolectes. Le premier est défini comme « la variation liée à la position sociale » (Gadet 2003:104), tandis que le deuxième comprend « la variation liée à la profession ou à une spécialisation » (Gadet 2003 :104).

La deuxième catégorie regroupe les variations selon l’usage, dont la diaphasique est l’unique constituant. Le nom de cette catégorie indique déjà ce dont elle se compose. En effet, il s’agit des différentes façons dont le locuteur individuel s’exprime, ce qui dépend des circonstances. Il est donc question d’une variation situationnelle, qui rend compte des niveaux de langue ou des registres. Gadet nomme le registre soutenu, le standard, le familier et le vulgaire.

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10 différentes composantes de la catégorisation de Gadet nous empêche d’exclure la diatopique de notre recherche.

Bien qu’il soit clair que cette catégorisation pose certaines difficultés, nous souhaitons quand même l’utiliser, parce qu’elle engendre des avantages méthodologiques importants. En outre, les problèmes présentés sont inhérents aux études linguistiques, puisqu’il s’agit d’un objet dynamique qui de toute manière n’est pas bien classifiable. Nous résumons la catégorisation de Gadet dans (1).

(1) Les variations possibles selon Gadet (2003)

Dans le paragraphe suivant, nous aborderons les caractéristiques de la variété langagière qui constitue le sujet de notre recherche : le français contemporain des cités.

1.3. Le français contemporain des cités

Dans cette partie, qui porte sur les caractéristiques du français contemporain des cités (désormais abrégé comme FCC), nous nous baserons sur les recherches de Goudailler (2002, 2007 et 2009). Responsable du Centre de Recherches Argotologiques (CARGO) de l’Université René-Descartes- Paris 5, ce sociolinguiste s’oriente surtout sur le FCC tel qu’il se parle dans les banlieues parisiennes.

Or, le FCC constitue le sujet de bien d’autres recherches, par exemple de celle de Melliani (2000). Sa thèse de doctorat qui s’intitule La langue du quartier, appropriation de l’espace et identités urbaines chez des jeunes issus de l’immigration maghrébine en banlieue

rouennaise, fournit de riches renseignements sur de nombreux aspects intéressants. Cependant,

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11 (18). Cette variation s’explique par son caractère oral et par l’absence de toute standardisation. Comme c’est la variété francilienne qui figure dans les livres analysés, nous avons choisi de nous baser uniquement sur les observations de Goudailler et de ne pas prendre en considération celles de Melliani, qui proviennent de la banlieue rouennaise.

Nous aborderons dans la section suivante la fonction sociolinguistique du FCC. La deuxième partie de ce paragraphe est consacrée à ses caractéristiques linguistiques.

1.3.1. Le FCC et sa fonction identitaire

En esquissant l’évolution des parlures argotiques en France, Goudailler (2002) remarque un changement important qui concerne leur fonction. Si autrefois leur but principal était de masquer la signification des mots, cette fonction « crypto-ludique » (14) disparaît actuellement de plus en plus en faveur d’une fonction dite « identitaire » (14). Dans ce qui suit, nous élaborerons en quoi celle-ci consiste.

Les locuteurs du FCC, qui sont souvent des immigrants et des jeunes, vivent dans des banlieues où la situation économique est défavorable. Comme ils ne parlent pas couramment le français, ils sont confrontés à des problèmes scolaires et l’accès au monde du travail est souvent hors d’atteinte. Ce manque de prospérité et de chances fait qu’ils se sentent exclus de la société. En outre, cette population souffre d’ « un double rejet » (Goudailler 2007 : 119). C’est que les Français les considèrent comme immigrants, tandis que, dans leur pays d’origine, ils sont considérés comme ceux qui sont partis, comme des Français. Ils se sentent par conséquent reniés par leur pays d’origine ainsi que par la France.

(12)

12 En outre, cette déformation de la langue française dominante ne constitue pas seulement une façon pour lutter contre les forces dominantes, c’est aussi une manière dont les immigrants peuvent s’approprier la langue française. En y introduisant des mots et des expressions de leur propre culture, ils ne considéreront la langue légitime plus comme étrangère, mais comme la leur.

Cette fonction clairement identitaire du FCC et le fait qu’il soit utilisé dans certains groupes sociaux indiquent qu’il s’agit d’une variation diastratique, comme l’indique Zotti (2002) également en affirmant que son statut est « en premier lieu diastratique » (25). Dans cette recherche, nous considérons le FCC comme sociolecte, parce qu’il est lié à la position sociale de ses locuteurs. Cependant, comme nous l’avons déjà indiqué dans le paragraphe 1.2, il est parfois difficile de classer certaines variétés, ce qui est également le cas pour celle-ci. C’est que l’emploi du FCC s’étend graduellement parmi des locuteurs pour qui il n’incorpore pas cette fonction identitaire, mais pour qui il offre des possibilités de s’exprimer de façon familière. Dans un emploi pareil, le FCC acquiert plutôt un statut diaphasique. Cependant, pour ce qui est de notre recherche, nous partirons du diastratique.

Ayant exposé comment les pratiques langagières de ce sociolecte participent à la construction identitaire de ses locuteurs, nous éluciderons dans la section suivante les procédés linguistiques qui constituent la base de cette variété.

1.3.2. Le FCC et ses caractéristiques linguistiques

Dans cette partie, nous présenterons les caractéristiques linguistiques les plus importantes du FCC. Nous traiterons premièrement le lexique, pour ensuite passer à la phonologie et la morphosyntaxe. Les exemples utilisés figurent dans les recherches de Goudailler.

Les origines du lexique du FCC sont multiples. Surtout connu pour le verlan, il dispose de nombreux autres procédés qui sont très producteurs. Ils sont généralement divisés en deux catégories : celle des procédés formels et celle des procédés sémantiques. Nous commencerons par traiter les formels pour ensuite passer à la deuxième catégorie.

Le premier procédé formel est celui de la troncation. Elle consiste en la suppression d’une ou plusieurs syllabes, ce qui est possible au début ou à la fin des mots. Si l’apocope consiste en la chute de la dernière ou des dernières syllabe(s) (séropositif > seropo), l’aphérèse concerne celle de la première ou des premières syllabes (problème > blème).

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13 pas ici, mais qui se trouvent dans Goudailler (2002). Des mots comme keum, qui est la forme verlan de mec et quartier, qui se verlanise en tiécar, montrent comment la verlanisation permet la création de nouveaux mots.

En ce qui concerne le côté sémantique, nous souhaitons également aborder deux manières dont le FCC se procure d’un nouveau vocabulaire. Premièrement, il s’enrichit des mots empruntés à d’autres langues. Les racines multiculturelles des locuteurs se reflètent dans ce langage. En effet, le FCC se nourrit des mots arabes (kif : ‘le mélange de cannabis et de tabac’), tsiganes (schmitt: ‘policier’), africains (gorette: ‘fille’) ou créoles antillais (timal: ‘gars’). Tout individu insère des marques de son origine dans ce langage. Les emprunts à l’ancien argot français sont présents aussi (taupe: ‘fille’).

Un autre procédé sémantique est celui des glissements de sens, qui concerne les mots déjà existants qui reçoivent une autre signification. Le verbe tailler par exemple, s’utilise aujourd’hui pour désigner ‘l’action de dénigrer, de médire’.

Le FCC se caractérise donc par une créativité lexicale, qui se manifeste également dans le fait qu’il crée des mots qui proviennent d’un mélange des procédés nommés. Un emprunt peut être verlanisé ou tronqué; un mot tronqué peut acquérir un autre sens avant d’être verlanisé. Ces modes de formation lexicale et leur combinaison permettent l’évolution permanente du FCC.

Ayant traité les caractéristiques lexicales, nous passons maintenant aux caractéristiques morphosyntaxiques et phonologiques. Si les linguistes s’entendent pour ce qui est des propriétés du vocabulaire du FCC, cet accord est absent dans le domaine de la phonologie et de la morphosyntaxe. Leurs points de vue varient surtout sur la question de savoir si le FCC dispose de particularités morphosyntaxiques et phonologiques qui lui sont propres. Comme Goudailler traite uniquement le lexique, nous nous baserons dans la partie suivante sur les réponses d’autres linguistes à cette question.

Liogier (2002) se penche sur ce qu’elle appelle « le problème de la délimitation des variétés » (48). Les frontières entre le français standard et ses variétés ne sont pas claires et par conséquent, il est difficile de distinguer les caractéristiques qui appartiennent uniquement au FCC de celles qui sont par contre propres à la langue parlée. Elle aborde cette problématique, se proposant de déterminer une approche qui permet de rendre compte au mieux des parlers des cités.

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14 concernant les caractéristiques du FCC, elle avance que les études phonologiques « ne permettent que de soulever des hypothèses » (46). Pour ce qui est du domaine morphosyntaxique, il faut être encore plus « circonspect » (47). En effet, les caractéristiques qui sont attribuées au FCC6 se rencontrent aussi en français populaire. D’après Liogier, aucun de ces phénomènes n’est propre au FCC. L’immaturité de ces recherches ne permet à première vue donc pas de les incorporer à notre analyse.

Si Liogier souligne l’impossibilité de la prise en compte des particularités phonologiques et morphosyntaxiques, Sourdot (2009) et Elefante (2004) argument en faveur de leur incorporation. Sourdot souligne que le vocabulaire du FCC ne peut pas être examiné séparé de l’ensemble duquel il fait partie, celui de la langue parlée. Il est d’accord avec Liogier, stipulant que les caractéristiques qu’il avance7 ne sont pas propres au FCC, mais cela ne l’empêche pas de les examiner quand même. Elefante affirme également que les particularités de cette variété proviennent du français populaire, mais que cela ne constitue pas d’obstacle pour les étudier.

Selon nous, examiner le lexique du FCC de façon isolée est une approche réductionniste. Nous sommes parfaitement consciente du fait que les caractéristiques morphosyntaxiques et phonologiques ne sont pas propres au FCC. Cependant, le fait qu’elles soient également observées en français populaire n’exclut pas le rôle qu’elles jouent dans le cadre de cette variété. C’est pourquoi nous avons choisi de prendre en considération les critères suivants, en tenant compte de leur mesure d’exclusivité relative dans notre méthodologie : la chute du u de tu, la chute du e de je quand il n’est pas suivi d’une voyelle ou d’un h muet, la perte du premier élément de il y a, la suppression du premier terme de la négation, le remplacement de nous par on, l’emploi des phatèmes8, la dislocation, le « que-passe-partout », le transfert d’un adjectif à la classe des adverbes, ça en tant qu’équivalent de cela et le redoublement de la forme sujet. Dans l’annexe II, il se trouve un tableau avec un

6

Liogier nomme : la lexicalisation des unités, la dérivation impropre, niant les règles de la conjugaison et de la déclinaison, l’inversion, la dislocation, la prédilection pour la parataxe au détriment de la phrase complexe et l’utilisation de « que » relatif universel (Liogier 2002 :47).

7

Sourdot nomme: la suppression du premier terme de la négation, il y a perd son premier élément, le relatif qui devient que, l’emploi récurrent de nombreux pathèmes, la reprise pronominal d’un élément lexical et le transfert d’un adjectif à la classe des adverbes (ce qui est selon Sourdot une caractéristique particulière du FCC).

(Sourdot :497-499).

8

(15)

15 aperçu de toutes les particularités lexicales, morphosyntaxiques et phonologiques que nous traiterons dans cette recherche, accompagnées d’occurrences illustratives et de la source.

Dans le paragraphe suivant, nous continuerons par examiner les caractéristiques (socio)linguistiques d’une variété néerlandaise qui se ressemble à la française, la straattaal.

1.4. La straattaal

Aux Pays-Bas, les années 1990 se caractérisent par une augmentation de recherches concernant le langage des jeunes (Nortier (2003) : 143). Quoiqu’elles résultent dans la détermination de plusieurs parlures différentes, nous présenterons ici, faute d’espace, uniquement la variété qui offre selon nous le plus grand nombre d’analogies par rapport au FCC, la straattaal.

Appel (1999) est le premier à utiliser la notion de straattaal, adoptant la désignation utilisée par les locuteurs eux-mêmes. Ce nom est repris par d’autres linguistes, tels que Cornips et Nortier, qui sont connus pour leurs recherches dans ce domaine. Cette variété s’utilise dans des groupes de jeunes qui sont généralement originaires d’un autre pays que les Pays-Bas et qui ont, à côté du néerlandais, encore une autre langue comme langue maternelle. Cornips insiste d’ailleurs sur le fait que cela ne signifie pas que les locuteurs de la straattaal ne maîtrisent pas ou qu’ils maîtrisent mal le néerlandais (2004 : 175-176). De surcroît, les jeunes d’origine hollandaise qui se trouvent dans ce même groupe social se servent également de ce langage (Nortier 2003 : 143). Ce ne sont par conséquent pas forcément les racines ethniques qui déterminent son usage.

Examinant les fonctions de la straattaal, on remarque que ce langage s’utilise pour renforcer le sentiment d’unité. Il permet aux locuteurs d’exprimer la volonté d’appartenir ou l’appartenance à un certain groupe social. Selon Cornips (2002, 2003), l’usage de cette variété renforce l’opposition entre nous, les initiés qui parlent et comprennent la straattaal, et eux, les non-initiés, qui ni la parlent, ni la comprennent. L’effet de son emploi est par conséquent double, comme l’indique Cornips 2002 (27). D’une part, les locuteurs se qualifient comme membres d’une certaine communauté de jeunes, d’autre part ils expriment leurs attitudes négatives vis-à-vis d’autres individus ou d’autres groupes sociaux.

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16 une mesure moindre, le lexique s’enrichit aussi à l’aide d’autres procédés, tels que les glissements de sens et la troncation (balli : ‘jouer au foot’), (Cornips : 2004). Quant aux autres domaines linguistiques, nous sommes confrontée au même problème que celui qui concerne le FCC. En effet, il faut plus de recherches pour déterminer ses caractéristiques (Cornips 2004 : 175). En outre, certaines d’entre elles ne sont pas propres à la straattaal, mais se rencontrent également en néerlandais parlé. S’ajoute à cela que c’est surtout son vocabulaire qui est particulier (Nortier 2003 : 146). Cependant, nous suivons le même raisonnement que dans le domaine du FCC, incorporant certaines caractéristiques en tenant compte des différences par rapport à leur importance dans notre méthode. Ainsi, nous prendrons en considération la réduction de la voyelle en schwa, l’expression de la troisième personne singulier du verbe

hebben par heb (au lieu de heeft), la suppression de la conjonction dat après les verbes tels

denken, weten, zien et horen et, parallèlement, le changement de l’ordre des mots dans la

phrase subordonnée, conformément à celui des phrases principales, l’emploi des phatèmes, l’utilisation de hun, pronom personnel fonctionnant comme objet, en tant que sujet, la généralisation des genres masculin et féminin au détriment du genre neutre, l’utilisation du verbe gaan comme auxiliaire et l’utilisation du verbe beginnen comme auxiliaire. Dans l’annexe II se trouve un tableau qui réunit toutes les caractéristiques lexicales, morphosyntaxiques et phonologiques de la straattaal et qui fournit également une série d’exemples et leurs sources.

Pour finir ce paragraphe, nous traiterons le classement de cette variété dans la catégorisation de Gadet. Cornips & Reizevoort (2006 :89) considèrent la straattaal comme sociodialecte parce qu’il s’agit d’une variante qui est parlée dans une région spécifique par des jeunes, qui constituent une catégorie biologique et sociale délimitée. Dans cette recherche, nous faisons abstraction des caractéristiques concernant le lieu d’énonciation et nous considérons la straattaal par conséquent comme sociolecte. Elle relève donc du domaine des varations diastratiques, classement qui correspond à celui du FCC.

Dans le paragraphe suivant, nous dresserons le bilan concernant les convergences et les divergences concernant ces deux variétés de langues.

1.5. Analyse contrastive

(17)

17 leur sentiment d’appartenance à un certain groupe, excluant ceux qui ne les maîtrisent pas. C’est surtout le lexique qui caractérise ses variétés, qui se composent toutes les deux de bien des emprunts aux langues maternelles de ses locuteurs, ce qui constitue également un trait commun.

Cependant, la créativité lexicale française qui se voit dans le verlan n’existe pas dans la même mesure en néerlandais. D’autant plus, il a une fonction déconstructiviste. L’inversion des syllabes telle qu’elle est pratiquée dans la verlanisation des mots ne se limite pas à une inversion des phonèmes, mais elle implique toute une déstructuration symbolique de la société française dominante. En déconstruisant la langue légitime, ses locuteurs luttent contre la société exclusiviste. Cette fonction primordiale est absente chez la straattaal. Même si elle a également une fonction identitaire, celle-ci n’est pas destructive mais souligne uniquement l’appartenance à un certain groupe social.

Une autre divergence consiste dans le fait que certains mots du FCC sont plus répandus que ceux de la straattaal. Figurant dans le Petit Robert parfois déjà depuis plus d’une trentaine d’années, ils s’utilisent dans le langage informel. Le mot meuf par exemple, a été incorporé dans ce dictionnaire en 1981 et a 8.770.000 occurrences sur Google.fr (21-06-2012), nombre qui indique son usage multiple. Pour ce qui est du néerlandais, la straattaal est moins courante. Nortier (2003 :149) affirme que les éléments lexicaux qui sont entrés dans le néerlandais standard se comptent sur les doigts de la main. Elle cite un seul mot qui est à son avis connu par un public plus large : doekoe. Cependant, ce mot n’a que 115.000 occurrences sur Google.nl (21-06-2012). Il est clair que la différence entre le nombre de résultats est considérable, ce qui indique que l’emploi de certaines unités lexicales de la variété française est plus répandu que celui de la néerlandaise.

En guise de conclusion de cette partie, nous soulignons que ces variétés présentent bien des analogies, mais également des différences importantes. Le verlan est un phénomène qui est très spécifiquement lié à la culture française. La straattaal n’a pas la même fonction déconstructiviste, qui est pourtant primordiale. La traduction risque de perdre cette connotation des mots qui renversent la société française. En outre, certains mots du FCC sont plus courants que ceux de la straattaal. La variété néerlandaise décrite ne constitue donc pas d’équivalent direct. La transposition de cette particularité linguistique, qui est fortement influencée par et enracinée dans la culture française, à une langue où les mêmes conditions sociales sont absentes, cause nécessairement des difficultés.

(18)

18

2. Cadre traductologique

Au cours des années, de nombreuses définitions de l’acte de traduire ont été proposées, qui sont souvent plus au moins spécifiquement liées à une certaine sous-catégorie, par exemple celle de la traduction littéraire ou de la traduction scientifique. Son approche et sa démarche dépendent de la fonction du texte original. Newmark (1991 :1-4) affirme que si le langage du texte source est marqué et qu’il véhicule par conséquent une certaine valeur stylistique, ses caractéristiques doivent être rendues à la même place, ou être compensées si l’élément en question ne se prête pas à une traduction adéquate au même endroit. Le traducteur doit donc tenir compte des effets stylistiques de ces textes expressifs. Cette consigne ne vaut pas pour les textes où les caractéristiques langagières sont moins importantes. Il est donc essentiel de déterminer à quel point le langage employé influence l’original.

Dans le premier chapitre, nous avons abordé les particularités linguistiques et sociales du FCC. Il est clair que son emploi est important pour ses locuteurs et que ses unités linguistiques marquées influencent fortement le style du texte. C’est pourquoi elles devraient être rendues dans la traduction. Pourtant, comme nous l’avons souligné dans ce qui précède, la straattaal, la variété qui correspond le mieux au FCC, est loin d’avoir les mêmes caractéristiques. Cette absence d’un équivalent néerlandais rend l’acte de traduire difficile.

C’est pourquoi nous passons maintenant à la discussion d’un article de Lane-Mercier (1997) qui s’intitule « Translating the untranslatable : the translator’s aesthetic, ideological and political responsibility ». Il traite de la traduction des sociolectes, fournissant des informations adéquates pour notre recherche.

2.1. Traduction des sociolectes [Lane-Mercier 1997]

Lane-Mercier souligne l’importance des sociolectes, les définissant comme la représentation textuelle des parlures non standards, qui reflètent les forces socioculturelles qui ont formé les compétences linguistiques du locuteur, ainsi que les groups socioculturels auxquels le locuteur appartient ou a appartenu (45). Elle considère leur emploi comme stratégie littéraire importante, qui permet de rendre une certaine vue sur le monde et sa population, qu’elle soit négative ou positive. Par conséquent, il est essentiel de les transmettre dans le texte traduit. La nécessité d’une traduction adéquate est donc encore une fois soulignée.

(19)

19 traduction entraîne selon Lane-Mercier nécessairement quelques risques, qu’elle aborde dans son article.

Elle avance en premier lieu le risque de création de sens. Une stratégie de traduction qui permet de rendre les effets créées par le sociolecte dans le texte cible, est l’utilisation d’un sociolecte de la langue cible. Le choix d’un certain sociolecte influence le sens linguistique, culturel, idéologique et politique de la traduction, tout comme le sociolecte dans le texte source l’a fait aussi. Cependant, celui de la langue cible peut provoquer des associations qui ne correspondent pas à celles qui sont présentes dans le texte source. Ainsi, le traducteur risque de créer un certain sens qui ne correspond pas à celui qui est présent dans l’original.

Lane-Mercier aborde ensuite le contraire de ce premier risque. C’est le risque de perte de sens, qui peut se présenter quand le traducteur choisit de traduire les sociolectes en utilisant la langue standard. Les connotations spécifiques et la valeur stylistique du sociolecte ne sont pas rendues, ce qui cause un nivellement stylistique.

Le troisième risque nommé est celui d’ethnocentrisme. Il peut se présenter lorsque le traducteur se propose de transposer les caractéristiques du sociolecte dans la langue cible. Dans ce cas, les caractéristiques de la langue source dominent. C’est en enrichissant la langue cible que le traducteur veut rendre le style marqué de l’original. Cependant, les sociolectes sont fortement liés aux caractéristiques du territoire où ils s’utilisent. Par conséquent, ils ne se prêtent pas à une transposition directe. Selon Lane-Mercier, celle-ci est uniquement possible dans le domaine des langues standards, qui sont moins marquées et moins liées au territoire.

En outre, il se peut que la traduction des sociolectes ne produise pas un effet authentique. Comme la tâche de transposer les caractéristiques de ces parlures n’est pas facile, le traducteur risque de créer un texte qui est hautement stylisé et recherché. Si les sociolectes sont justement très authentiques, cet aspect influence la qualité de la traduction de manière négative. Cependant, comme l’affirme Lane-Mercier, il est impossible d’éviter toute divergence entre l’original et sa traduction, qui sera toujours moins authentique.

(20)

20 Ces risques ne signifient selon Lane-Mercier pas qu’il faut s’abstenir de la traduction, mais qu’il faut relativiser les dichotomies sur lesquelles les approches de la traduction sont souvent fondées. Elle nomme celle de Venuti (1995), qui construit sa théorie à l’aide de l’opposition entre la visibilité et l’invisibilité du traducteur, et celle de Berman (1984, 1985) qui part des approches positives et négatives, qui, respectivement, essaient de rendre les caractéristiques spécifiques du texte ou ne le font pas. Selon elle, ces théories ne rendent pas suffisamment compte de l’interaction qui existe entre les deux constituants de ces dichotomies. Au lieu de s’exclure, ils se complètent. Toute stratégie de traduction s’utilise quand elle convient le mieux et c’est le traducteur qui le détermine. C’est pourquoi la position du traducteur par rapport au texte et sa culture joue un rôle primordial dans ces décisions. Ses choix produisent des sens sémantique, esthétique, idéologique et politique. Il s’ensuit que la position du traducteur est toujours visible dans le texte traduit.

(21)

21

3. Méthodologie

Après avoir élucidé quelques notions théoriques dans les deux chapitres qui précèdent, nous consacrerons le chapitre présent au côté méthodologique. Etant donné que la méthode pour évaluer les traductions n’est pas évidente, nous commencerons cette partie en donnant un cadre qui concerne ces difficultés, basé sur Williams (2001). Ensuite, dans le paragraphe 3.2, nous discuterons brièvement trois recherches récentes qui traitent d’un sujet comparable au nôtre, Bastian (2009), Elefante (2004) et Zotti (2010), tandis que le dernier paragraphe est consacré à la présentation et la justification de notre méthode.

3.1. Enjeux méthodologiques [Williams 2001]

D’après Lee Jahnke, le nombre de discussions et de méthodes qui portent sur l’évaluation des traductions augmente constamment. C’est que « chacun essaie de trouver une voie aussi objective que possible » (Lee-Jahnke 2001 : 259). Comme le domaine de la traduction n’appartient pas aux sciences exactes, où les sujets de recherche sont généralement facilement mesurables et par conséquent objectivables, cette aspiration d’objectivité s’avère difficile à réaliser. La nécessité d’une méthode objective est reconnue, mais les points de vue sur la façon concrète dont il faudra évaluer les traductions varient.

Williams (2001) aborde ce problème. Selon lui, les méthodes actuelles d’évaluer les traductions se résument en deux approches différentes : celles qui ont une base quantitative et celles qui ont une base qu’il appelle « pas quantitative » (333). Elles ont des avantages et des désavantages méthodologiques, que nous discuterons après une explication sommaire.

Les méthodes quantitatives consistent en une addition des fautes constatées dans la traduction. Une échelle graduelle réunit les fautes possibles, qui sont classifiées selon leur importance. Toute erreur qui figure dans une certaine partie de la traduction est relevée, classifiée dans un schéma et munie d’un nombre de points qui indique sa gravité. Le nombre total de points donne une indication de la qualité de la traduction. L’autre méthode possible connaît une approche dite pas quantitative, ou analytique. Selon ses adeptes, la simple addition des fautes ne suffit pas pour juger une traduction : il faudra analyser l’effet du texte source et examiner si celui du texte traduit est pareil.

(22)

22 que quelques fautes pourtant graves échappent à l’analyse. En outre, le contexte plus large, qui permet cependant de mieux saisir le sens du texte complet, est ainsi exclu de l’analyse. Ce risque vaut pour les deux approches. En outre, chacune d’entre elles s’accompagne de certains aspects positifs et négatifs spécifiques, que nous traiterons dans ce qui suit.

Un avantage des méthodes quantitatives est que la démarche est passablement objective : un nombre concret comme résultat est moins subjectif qu’une étiquette telle que bien, médiocre ou mal. Pourtant, une influence personnelle reste toujours inévitable. C’est qu’il faut déterminer ce qui constitue une faute et en outre ce qui est grave et moins grave comme faute. Il est clair que ces décisions sont toujours marquées par des influences personnelles. Un autre problème qui est nommé par Williams est que les modèles utilisés pour l’évaluation sont toujours réductionnistes. Ils sont uniquement basés sur les critères et les paramètres les plus importants. En plus, des cas limites seront toujours présents : il est impossible de réserver une étiquette unique à toute faute. Les catégories englobent plusieurs erreurs possibles. Donc, dans ce sens également, une grille est réductionniste. Nous aimerions ajouter un problème, qui est de nouveau lié à la compensation. Comme nous l’avons déjà vu dans ce qui précède, en prenant un fragment, il est impossible de prendre en considération les manières possibles de compensation. Les méthodes quantitatives effectuées à la manière telle que décrite ici ne font qu’aggraver ce problème. En comptant uniquement les fautes, les points positifs demeurent hors de l’analyse. Il se peut par conséquent qu’une certaine traduction soit jugée comme inadéquate, tandis que la perte est compensée dans les phrases ou pages qui suivent.

Les méthodes analytiques à leur tour permettent de prendre en considération les façons dont le traducteur a compensé les pertes inévitables. En effet, elles examinent si une traduction véhicule le sens du texte original, ce qui n’est pas nécessairement impossible quand les fautes sont présentes. L’avantage d’une telle démarche est qu’elle ne s’oriente pas uniquement à des mots ou des syntagmes isolés, mais qu’elle rend compte du texte complet. Cependant, en utilisant cette méthode, il est difficile de déterminer la qualité de la traduction de manière objective, parce qu’elle ne mène pas à une certaine « note », comme résultat mesurable. Un prédicat tel que bien ou pas mal reste toujours subjectif n’ayant pas la même signification pour chacun. En outre, une analyse analytique se base plutôt sur les intuitions linguistiques de celui qui examine au lieu de sur des critères formels.

(23)

23 pourquoi nous examinerons dans le paragraphe suivant trois recherches qui ont déjà été menées dans ce domaine.

3.2. Recherches qui évaluent la traduction du FCC

Le nombre de recherches qui portent sur la traduction des textes où le FCC joue un rôle prépondérant est peu élevé. Nous avons consulté les recherches de Bastian (2009), Elefante (2004) et de Zotti (2010), qui analysent les traductions des livres ou des films dans lesquels figure le FCC. Leurs méthodes de recherches sont différentes, même si leur approche est la même : aucune recherche n’est de nature quantitative. Voici un compte rendu de leurs aspects essentiels.

Bastian (2009) analyse la traduction allemande d’un livre9 et d’un film10. Elle se propose d’analyser le lexique qui provient du FCC et elle finit par se concentrer sur les mots arabes en les classant selon trois catégories différentes. La première rassemble les mots arabes qui ont été repris comme tels par le traducteur. Il s’agit dans ce cas des notions qui sont accompagnées d’une explication métalinguistique dans l’original. Cette élucidation est traduite et permet ainsi le maintien de l’arabe. Le deuxième groupe se compose des termes qui ont été maintenus sans explication ultérieure, tout comme dans l’original. La dernière consiste en les cas où le terme arabe est abandonné et où le traducteur a tenté de trouver un équivalent allemand. Dans sa recherche, Bastian examine uniquement les phrases dont ces mots font partie. Selon nous, c’est un contexte très étroit, qui empêche de considérer les cas de compensation ainsi que la portée du texte complet. Elle commente la traduction en donnant un jugement de valeur en se basant sur ses intuitions linguistiques. Il est clair qu’elle ne relève pas tous les mots arabes, ce qui exclut toute dimension quantitative. Il n’est pas étonnant que la subjectivité de cette analyse apparaisse clairement dans sa conclusion, qui indique que la traduction « semble réussie dans l’ensemble » (865).

Si Bastian s’oriente vers la traduction allemande, Zotti (2010) examine le transfert italien de ce même livre et du roman suivant11. Elle vise également au lexique, ne se concentrant pas sur les mots arabes, mais sur le verlan. En outre, elle procède d’une autre manière. Elle choisit quatre mots qui figurent plusieurs fois dans les deux livres : meuf, keuf, ouf et zinécou. Elle commente plusieurs occurrences en donnant, tout comme Bastien l’a fait, un jugement de valeur basé sur ses intuitions linguistiques. Toute dimension quantitative est de nouveau absente. Elle est moins positive que Bastian et conclut qu’il y a des « maladresses

9

Kiffe kiffe demain, Faïza Guène.

10 L’esquive, Abdellatif Kechiche. 11

(24)

24 dans la traduction » (Zotti 2010 : 40), qui sont dues au fait que les traducteurs littéraires sont « souvent incapables de reconnaître la « valeur stylistique » des mots en verlan » (ibid.). C’est pourquoi ils produisent fréquemment un nivellement expressif du texte cible par l’emploi des mots de l’italien standard.

Elefante (2004) aborde à son tour le domaine de la traduction audiovisuelle, en comparant la version doublée en italien de sept films français12 à leur original. Elle est la seule qui ne s’arrête pas au lexique, mais qui examine aussi les caractéristiques morphosyntaxiques et phonologiques, pour lesquelles le film est le domaine parfait. Cependant, dans la section qui est consacrée au FCC, elle se limite également au vocabulaire. Elle relève quelques parties remarquables pour ce qui est du français et regarde comment ces occurrences ont été traduites en italien. Tout comme chez les recherches précédentes, elle se base sur ses intuitions linguistiques. De surcroît, elle ne justifie pas ses choix des fragments, ce qui cause l’impression qu’elle sélectionne uniquement ce qui l’arrange. D’autre part, comme elle examine un si grand nombre de films, il est impossible de le faire de manière complète. En outre, il n’est pas clair pourquoi son corpus est si élaboré, puisque tout commentaire sur une évolution éventuelle du langage dans les films ou dans leurs traductions est absent. Elle conclut en disant que « les traductions analysées ne font que mettre en évidence la nécessité de progresser dans la recherche des possibilités de compensation pour des pertes inhérentes aux deux différents systèmes linguistiques du français et de l’italien » (Elefante 2004 : 205).

Ces trois recherches montrent qu’il est difficile de développer une façon satisfaisante pour évaluer les traductions. Elles se limitent toutes à une analyse qualitative des mots isolés, sans prendre en considération le contexte. En plus, elles sont uniquement basées sur les intuitions linguistiques des chercheurs. Les normes objectives concernant la qualité de la traduction sont absentes. Les conclusions sont très maigres et peu fondées. Selon nous, une partie quantitative dans laquelle la qualité d’une traduction est établie de manière objective est indispensable. En outre, il est remarquable que deux des trois recherches examinent uniquement le lexique. La recherche d’Elefante ne nie pas le domaine de la phonologie ni celui de la morphosyntaxe, mais pour ce qui est du FCC, elle se limite aussi aux caractéristiques du vocabulaire. Pourtant, une langue ne se compose pas uniquement de mots : la morphosyntaxe et la phonologie sont essentielles. Une évaluation qui traite seulement les mots est par conséquent réductionniste. C’est pourquoi nous incluons ces domaines dans notre

12

La haine (1995), Chacun cherche son chat (1996), Marius et Jeannette (1997), La fille sur le pont (1999),

(25)

25 recherche, même si nous nous sommes consciente du fait qu’il est plus difficile d’examiner ceux-ci que le lexique.

Or, il est vrai qu’une objectification complète est impossible dans ce domaine. C’est pourquoi nous souhaitons mettre en question notre méthode et expliciter après l’analyse ses aspects positifs et négatifs afin de cerner quelques facettes qui pourraient contribuer à une amélioration méthodologique.

Dans le paragraphe suivant, nous élaborerons notre méthode de recherche telle que nous l’avons développée à l’aide des recherches et de l’analyse de Williams.

3.3. Notre méthode et composition du corpus

Nous analyserons les deux premiers romans de Faïza Guène, Kiffe kiffe demain (désormais abrégé comme KKD) et Du rêve pour les oufs (DRPO) et leurs traductions néerlandaises

Morgen kifkif (MKK) et Dromen tussen het beton (DTB). Nous les avons choisis parce qu’ils

constituent un exemple assez représentatif pour ce qui est de leur emploi du FCC (Zotti 2010 : 28). S’ajoute à cela que les versions néerlandaises n’ont pas été réalisées par le même traducteur, ce qui permet éventuellement la prise en compte d’un plus large éventail de stratégies et leur comparaison.

Nous évaluerons notre corpus en commençant par une analyse quantitative pour ensuite passer à une analyse qualitative. Elles se complètent : la partie quantitative aboutira à une qualification qui indique de manière plus au moins objective la qualité de la traduction, tandis que la partie qualitative servira à examiner les deux romans plus profondément.

Pour ce faire, nous prenons un fragment pris dans DRPO qui se compose d’environ six pages (130-136 dans DRPO, 119-124 dans DTB). Nous l’analyserons de manière détaillée, quantitativement et qualitativement. Cet extrait s’y prête bien, parce qu’il recouvre un évènement bien délimité : il s’agit d’une dispute entre la protagoniste et son frère. Dans ce cadre-ci, il est impossible d’évaluer les deux livres entièrement de cette façon. C’est pourquoi nous complèterons la partie qualitative par quelques passages de KKD et de DRPO dans le but d’enrichir notre analyse.

(26)

26

3.3.1. Analyse quantitative

Le but de cette analyse quantitative est de déterminer dans quelle mesure le FCC et la

straattaal sont présents dans notre corpus. A l’aide de quelques critères que nous présenterons

dans ce qui suit, nous nous proposerons de l’indiquer de manière objective. Koustas (1994) souligne qu’il est essentiel de ne pas confondre les niveaux de langue, en avançant que « la confusion des niveaux de langues et/ou des registres est un des critères d'évaluation de la médiocrité d'une traduction » (224). C’est pourquoi notre hypothèse, fondée sur cette affirmation, est que plus les deux sommes se rapprochent, plus la traduction est adéquate. Cette indication fonctionnera ainsi en tant que marque objective de la réussite de la traduction.

Notre analyse quantitative se distingue de celles décrites dans le paragraphe 3.1 en ce sens que nous ne comptons pas les fautes, mais les occurrences où certaines caractéristiques du langage des jeunes sont présentes. En effet, notre but est de comparer le registre de l’original à celui de sa traduction, parce que son registre marqué influence fortement le style de ce livre. C’est pourquoi nous comptons les particularités langagières au lieu des erreurs.

Nous analyserons la traduction et le texte original donc à l’aide de quelques critères objectifs, qui sont basés sur les caractéristiques du FCC. Comme nous l’avons déjà souligné dans paragraphe 1.3.2, le FCC ne constitue pas de phénomène bien délimité. Certaines caractéristiques font uniquement partie du FCC, tandis que d’autres s’appliquent à tout le domaine du français parlé. Généralement parlant, les lexicales appartiennent uniquement à notre variété, tandis que les morphosyntaxiques et phonologiques valent également pour la langue parlée. C’est pourquoi nous avons choisi d’accorder une valeur variable aux critères : plus la caractéristique est liée au FCC, plus haut devient le nombre de points.

Nous sommes consciente que cette démarche n’est pas tout à fait objective. Pour réduire cet aspect, nous présenterons ci-dessous les critères que nous utilisons, accompagnés d’une explication pourquoi nous avons accordé ce nombre de points. Tableau (2) rend tous les caractéristiques prises en compte pour l’analyse du texte original, accompagnées de la source et du nombre de points. Ce même schéma se trouve dans l’annexe II, complété par des exemples.

Caractéristique Source Points Caractéristiques

phonologiques

La chute du u de tu Elefante (2004: 197)

Sourdot (2009: 497) 1 La chute du e de je quand il n’est pas suivi

d’une voyelle ou d’un h muet

Elefante (2004: 197) Sourdot (2009: 497)

1

Caractéristiques morphosyntaxiques

(27)

27

négation Sourdot (2009: 497)

Le remplacement de nous par on Elefante (2004: 197) 1

L’emploi des phatèmes Sourdot (2009: 498) 1

La dislocation Elefante (2004:199)

Sourdot (2009: 498) Vlugter (2008 :398)

2

Le « que-passe-partout » Elefante (2004:199) 4

Le transfert d’un adjectif à la classe des adverbes

Sourdot (2009: 498-499)

4

Ça en tant qu’équivalent de cela Elefante (2004: 197) 1

Le redoublement de la forme sujet Elefante (2004: 197) Sourdot (2009 : 498) 2 Caractéristiques lexicales Le verlan Elefante (2004:205) Sourdot (2009: 499) 4 La troncation (apocope, aphérèse et parfois

resuffixation)

Elefante (2004:200) 4

Les emprunts directs Elefante (2004 :202)

Sourdot (2009: 500) Bastian (2009 : 861)

4

Mots accompagnés de la notion de fam. dans

Petit Robert (2008)

1 Mots accompagnés de la notion de mod. dans

Petit Robert (2008)

2 Mots accompagnés de la notion de arg. dans

Petit Robert (2008)

3 Mots accompagnés de la notion de pop. dans

Petit Robert (2008)

3 Mots accompagnés de la notion de vulg. dans

Petit Robert (2008)

3 (2) Les critères utilisés pour déterminer la mesure de la présence du FCC

Toutes les caractéristiques qui valent uniquement pour le FCC sont rémunérées de quatre points. C’est que nous voulons accentuer ces occurrences, parce qu’elles constituent le sujet de notre recherche, mais en même temps, nous ne voulons pas accorder un nombre de points trop élevé, ce qui rendrait la compensation à l’aide d’une variété diaphasique impossible. La preuve du fait qu’elles sont uniquement applicables au FCC se trouve dans les sources qui sont nommées dans le tableau.

(28)

28 nous » (GP : 177) et « dans la langue parlée, ne est souvent supprimé » (GP: 369). Comme cette caractéristique vaut de nouveau pour l’ensemble du français parlé et que son emploi est fréquent, ce qui montrent les deux citations qui précèdent, nous accordons encore une fois 1 point. Le critère suivant est celui de l’emploi des phatèmes. Sourdot (2009) indique qu’il s’agit d’un « emploi récurrent de nombreux phatèmes » (Sourdot : 497). Le raisonnement des critères précédents s’applique également à celui-ci. C’est pourquoi il est accompagné de 1 point dans le tableau. Les dislocations par contre, se voient attribuées de 2 points. C’est qu’elles interviennent, selon Elefante (2004), « pour donner lieu à un ordre marqué et du point de vue diastratique et du point de vue diaphasique » (199). Comme le côté diastratique est explicitement nommé, cette caractéristique vaut 2 points. Pour ce qui est des occurrences de ça au lieu de cela, rien ne nous indique qu’il s’agit d’un emploi qui est réservé au FCC. Elefante confirme cette impression, avançant que cette « fréquence de ça » est une « caractéristique morphologique du français populaire » (197). Comme cet emploi n’est pas vraiment marqué, ce qui est dû à sa fréquence et son appartenance à l’ensemble du français parlé, il mérite 1 point. Le dernier critère du domaine morphosyntaxique concerne le redoublement du sujet. Sourdot affirme que cet emploi est « fréquemment rencontré chez les adolescents » (498). Comme les adolescents sont mentionnés explicitement, nous appliquons le même raisonnement que celui qui concerne les dislocations : des aspects diastratiques et diaphasiques se présentent, ce qui fait que ce redoublement vaut également 2 points.

(29)

29 est celle de moderne. Elle « insiste sur le fait qu’un sens, un emploi est d’usage actuel, quand le sens précédent ou les emplois voisins sont vieux, abandonnés » (XXXIV). Ce phénomène concerne l’évolution constante de la langue, ce qui est une caractéristique du FCC. Etant donné qu’il ne se limite pourtant pas au langage des jeunes, nous y accordons 2 points. Reste encore la notion de vulgaire, qui relève des mots, sens ou emplois dits « choquants » (XXXVI). Le sentiment de choc qui naît lors de son emploi nous indique qu’il s’agit d’un emploi marqué qui vaut 3 points.

Lors de notre analyse, il peut s’avérer que plusieurs critères s’appliquent à un même mot. Le terme keum par exemple, se trouve dans le Petit Robert accompagné de la notion de fam et il est également le verlan de mec. Dans ce cas, mettrons uniquement le plus haut nombre de points. Keum vaudra par conséquent 4 points, puisque le nombre de points attribué au verlan (4 points) est plus haut que celui des mots familiers (1 point).

Afin de pouvoir faire une comparaison, nous avons constitué également une liste qui réunit les critères qui concernent la straattaal. Ils sont accompagnés de valeurs différentes, selon leur pertinence et leur importance. Le tableau (3) rassemble ces caractéristiques, ainsi que leur nombre de points et leur source.

Caractéristique Source Points Caractéristiques

phonologiques

Réduction de la voyelle en schwa De Vries (2001: 17) 1

Caractéristiques morphosyntaxiques

L’expression de la troisième personne singulier du verbe hebben par heb (au lieu de

heeft)

Van Lier (2005:22) 3

La suppression de la conjonction dat après les verbes tels denken, weten, zien et horen et, parallèlement, le changement de l’ordre des mots dans la phrase subordonnée,

conformément à celui des phrases principales.

Van Lier (2005:22) 4

L’emploi des phatèmes Sourdot (2009: 498) 1

L’utilisation de hun, pronom personnel fonctionnant comme objet, en tant que sujet

Van Lier (2005 :22) 3 Généralisation des genres masculins et

féminins au détriment du genre neutre: les articles, les pronoms démonstratifs et les adjectifs Cornips (2004 :185) Cornips (2003: 133) Nortier (2001: 54-55) van Lier (2005: 20) 4

L’utilisation du verbe gaan comme auxiliaire. Cornips (2004:185) Van Lier (2005: 19)

4 L’utilisation du verbe beginnen comme

auxiliaire. Van Lier (2005:20) 4 Caractéristiques lexicales La straattaal 4 La troncation 4 Les emprunts 4

Mots accompagnés de la notion de inf. dans

Van Dale

1

(30)

30

(3) Les critères utilisés pour déterminer la mesure de la présence de la straattaal

Comme les critères qui valent uniquement pour le FCC sont munis de quatre points, ceux qui relèvent de la straattaal en obtiennent la même quantité. Cette appartenance unique à la variété est attestée par les recherches scientifiques consultées, dont les références se trouvent dans le tableau.

Pour ce qui est de la caractéristique phonologique, elle indique en fait la prononciation courante des mots. Comme elle vaut pour l’ensemble du néerlandais parlé, nous avons choisi d’y accorder 1 point. Les phatèmes reçoivent 1 point, ce qui correspond au nombre de points pour leur présence en français. Restent encore deux caractéristiques morphosyntaxiques : l’expression de la troisième personne singulier du verbe hebben par heb (au lieu de heeft) et l’utilisation de hun, pronom personnel fonctionnant comme objet, en tant que sujet. Van Lier (2005) affirme que la straattaal se caractérise morphosyntaxiquement par ces phénomènes. Elle ajoute pourtant qu’ils se rencontrent également dans le néerlandais qui est parlé dans le Randstad, une conurbation réunissant les villes les plus importantes des Pays-Bas, Amsterdam, La Haye, Rotterdam et Utrecht. Ce langage est qualifié par van Lier comme dialecte, n’appartenant ni au néerlandais standard (22), ni à la langue parlée standard. C’est pourquoi nous donnons 3 points à ces occurrences relativement marquées.

Voyons maintenant les caractéristiques lexicales. Nous relevons tous les mots qui sont accompagnés des notions informeel, grof, jongerent(aal). et jeugdt(aal) dans le Van Dale. Deux d’entre elles ont des équivalences en français : celle de informeel (familier) et celle de

grof (vulgaire). C’est pourquoi nous accordons le même nombre de points à ces occurrences

qu’à celles rencontrées en français. Restent encore deux autres qualifications : jongerent(aal) et jeugdt(aal). Comme il s’agit des caractéristiques qui relèvent d’une variante diastratique des jeunes, nous y donnons 4 points.

Nous sommes consciente du fait que nous n’échappons pas aux influences personnelles en ce qui concerne ces décisions. Cependant, nous espérons que la justification qui précède contribue au caractère objectif désiré de cette recherche. Afin de vérifier nos critères, nous les avons mis en oeuvre par l’analyse comparative de deux fragments courts. Le premier extrait sort du roman De Aanslag dont l’auteur est Harry Mulisch (1927-2010). Si

Van Dale

Mots accompagnés de la notion de jeugdt.dans

Van Dale

4 Mots accompagnés de la notion de

jongerent.dans Van Dale

(31)

31 nous l’avons choisi, c’est parce que nous n’avons trouvé aucun indice d’un usage éventuel de la straattaal. De surcroît, un tel emploi est fortement improbable, parce que sa naissance et jeunesse précèdent l’attestation et la naissance de cette variété actuelle. Nous nous attendons par conséquent à ce que le résultat de cette analyse s’élève à zéro. L’autre fragment provient de la traduction en straattaal de la bible : De torrie van Mattie. Si notre méthode fonctionne, le nombre de points concernant l’analyse de ce fragment devrait être considérablement plus haut que zéro. Les deux extraits comprennent les premières phrases des textes, afin d’éviter toute impression d’avoir choisi exprès le passage qui confirme notre méthode de la manière la plus convaincante. En outre, ils se composent d’un nombre total de mots égal : 191.

La mise en œuvre de notre méthode montre que le nombre de points concernant le roman de Mulisch s’élève effectivement à zéro, tandis que celui de De torrie van Mattie est de 54. Elle nous apprend donc qu’au premier abord, la méthode proposée se prête bien à discerner le langage qui possède des caractéristiques de la straattaal de celui qui n’en a pas.

Pour finir cette explication de l’analyse quantitative, nous tenons à souligner que nous ne nous attendons pas à ce que les nombres de points du français des trois domaines linguistiques soit exactement égaux à ceux du néerlandais. Comme le montrent les schémas (2) et (3), le FCC et la straattaal ne disposent pas de la même quantité de caractéristiques possibles. De surcroît, celles de la variété néerlandaise sont plus marquées que celles de la française, ce que montre le nombre de points attribué. Il se peut donc que le FCC se présente surtout dans un domaine linguistique où la straattaal ne se voit guère. Or, il est essentiel de déterminer une certaine norme linguistique de la straattaal. Pour ce faire, nous nous servons une fois de plus de l’analyse de De torrie van Mattie citée plus haut. En effet, elle permet de fixer en quels domaines la déviation néerlandaise est riche.

Bien que ce fragment soit court, il marque une tendance évidente : 53 des 54 points proviennent du domaine lexical, tandis que 1 point relève de celui de la morphosyntaxe. Ce résultat montre clairement que les caractéristiques qui concernent le vocabulaire sont de loin les plus importantes dans la variété néerlandaise. C’est un aspect dont le traducteur doit tenir compte, afin de produire un texte authentique. Le résultat de notre analyse permettra de déterminer s’il le fait effectivement.

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