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La Pacification de Gand à la lumière d'un siècle de continuité constitutionnelle dans les Pays-Bas

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LA PACIFICATION DE GAND A LA LUMIÈRE D'UN SIÈCLE DE CONTINUITÉ CONSTITUTIONNELLE DANS LES PAYS-BAS *

1477-1576 Par

W.P.BLOCKMANS et P. VAN PETEGHEM

La Pacification de Gand du 8 novembre 1576 a souvent été considéréc comme un des actcs constitutionnels les plus importants, Ie premier d'une série, suivi par l'Union d'Utrccht de 1579, par l'Acte d'Abjuration de 1581 et par la Paix de Munster de 1648, qui devaient former dans leur ensemble "la" constitution de la République des Provinces-Unies'. En quelques années, une trentaine d'éditions de la Pacification de Gand ont été dispersées ä travers l'Europe, en néerlandais, en francais, en allemand et en anglais. Elles étaient imprimées ä Bruxelles, ä Anvers, ä Paris, ä Cologne, a Francfort, ä Londres et dans pas mal d'autres localités2. Les premières éditions ont vu Ie jour en ce même mois de novembre ou la Pacification fut promulguée3. Le 21 novembre, Francois, duc d'Anjou, frère du roi de France, félicita les Etats généraux de la paix dont il avait recu les nouvellcs a Blois4. Philippe II recut Ie texte au cours du mois de décembre5 et Ie cardinal Granvelle qui pendant ce temps séjournait a Rome, Ie commente en janvier 15776. L'ambassadeur d'Angleterre ä Bru-xelles, Ie docteur Thomas Wilson, en envoya un exemplaire ä Londres en novembre 15767.

* Abbréviations: AKG, CF: Archives de l'Etat ä Gand, Conseil de Flandrc; AGR, PF.A, Archivcs génerales du Royaume ä Bruxelles, Papiers d'Etat et de PAudiencc; ARA, Algemeen Rijksarchief j La Haye; BUG, Bibliothcque de TUniversité de Gand.

1 A l'occ.ision du qujtrièmc centcnaire de la Pacification de Gand, deux pubhcations sont

dédices ä ce sujet: un numero spécial du Tijdschrift voor Geschiedenis (89, 3. 1976) et un ouvrage collectif: Opstand en Pacificatie in de I.agc Landen. Gand 1976. Nous renvoyons a ces deux publications pour routes les questions plus approfondies.

2 P. VAN PETICHFM, De Pacificatie van Gent: triomf der herwonnen eenheid, met een

over-zicht van de gedrukte uitgaven van de Pacificatictekst door J. MAcrun s, dans: Opstand en Pacifi-catie m de Lage Landen. Gand 1976 p. 122. 3 Ibid. p. 102-103.

4 KERVYN DE LcrrtNUovr, Les Hugucnots et les Gueux 4. Bruges 1884 pp. 578-579. s L. P. GACHARD, Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas 5. Bruxelles 1879p. 126. <• Ibid. p. 162.

1 KERVYN Dt LnrtNHOvr, Relations politiques des Pays-Bas et de l'Angleterre sous Ie regne de Philippe II 9. Bruxelles 1890 pp. 1-2 et 39.

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La pacification deGand 221 Outre l'intérêt que suscita eet acte chez les princes d'Europe, il y avaient les milhers d'émigrcs des Pays-Bas qui suivaient avec attention Revolution de la Situation dans leur pays. Dans une lettre, écritc ä Bälc, Ie 28 décembre 1576, Ie brugeois Bonaventura Vulcanius annonce la conclusion de la paix, dont il avait déja en main une copie frangaise8. Le livre consacré principalement ä l'histoire de Cologne "Das Buch Weinsberg" mentionne également la Paci-fication de Gand. Or on sait qu'un grand nombre d'émigrés s'étaient réfugiés dans cette ville9. En plus il est interessant de noter que pas mal d'historiens du XVIe et même du XVIIe siècle se sont penchés sur Ie problème de la révo-lution des Pays-Bas. D'après la diversité des régions d'oü provient eet intérêt, il f a u t une fois de plus constater Ie caractère international d'une guerre qu'on appellc Ie plus souvent nationale. Outre les auteurs des Pays-Bas on y voit figurer les Italiens C.Campana, J.Conestagio, F.Lanario, l'Autrichien M.Ait-zinger, R.Dinothus, et les Espagnols A.Carnero, M. A. Del Rio, B. de Men-doza, P. Cornejo, et plusieurs autres. Chaeun d'eux commentent et citent la Pacification de Gand1 0.

D'après ce qui précède il est évident que l'Europc portait un grand intérêt ä la Situation dans les Pays-Bas. Peu d'auteurs pourtant ont prêté attention aux implications internationales de la Revolution et au röle des différentes nations. L'historiographie anglaise fait pourtant exception ä cette régie11. Charles Wilson a bien caractérisé cette Situation comme suit: "it need only be said now that it (the Revolt of the Netherlands) was essentially a European and not a local affair. It drew in and envcloped not only the old Burgundian territories in the Netherlands and Spain, but France and England as well, to say nothing of a variety of German princes large and small."12

Plus récemment encore, H.G.Koenigsberger a démontré que les luttes entre la monarchie et les organes représentatifs aux Pays-Bas au XVIC siècle devaient leur apreté précisément ä Pintervention de l'élément religieux qui, par excellence, favorise l'internationalisation de conflits constitutionnels13.

H La lertre fut adresscc ä l'histoncn Rodolphc Gualter. "Capita foedens inter Ordines

Belgicos et pnncipem Auraicum initi jam acxepimus, quorum exemplar si tibi mim cupis, faciam ut habeas": H.DF VRIFS or HFCKH.INGFN, Correspondancc de Bonaventura Vulcamus pendant son séjour ä Cologne, Genèvc et Bäle. La Hayc 1923 p.224. En 1578, Vulcanius (al. de Smet) devmt professeur de Grec a l'Université de Leyde. Sur ce personnage: A.DrwiTTt, Nationaal Biografisch Woordenboek 7. Bruxcllcs 1976.

9 K. Hom BAUM, Das Buch Weinsberg 2 (1552-1577). Leipzig 1887 pp. 336-337. 10 H.PiRtNNt, Bibliographie de l'histoire clc Belgique. Bruxelles, 31931 pp.319-320. Voir

aussi H. Dfc BUCK et E. SMI r, Bibliografie der Geschiedenis van Nederland. Leyde 1968 pp. 181 -l 84.

11 CH. Wil SON, Queen Elisabeth and the Revolt of the Netherlands. Londres 1970 et

G.PAR-KFR, The Army of Handersand the Spanish Road 1567-1659. Cambridge 1972.

12 CH. WILSON, op.cit. p.3.

13 H.G.KoENlGSisrRGFR, Domimum regale or domimum politicum et regale. Monarchies

and l'arliaments in Early Modern Europe (Inaugural lecture at King's College). Londres 1975 pp. 16-21 et 25.

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222 W. P. Bi <X K M A N S / P . VAN Pi

Les Etats généraux étaicnt conscicnts des répercussions et des influences internationales. Une des premières résolutions qu'ils prirent Ie 25 septembre 1576 visait ä informer diffcrents princcs parmi lesquels Ie roi Philippe II, Ie pape Grégoire XIII, l'empercur Maximilicn, les évêques de Liege et de Co-logne et tant d'autres '4. Les rois de France et d'Angleterre ne figurent pas dans cette liste parce que ceux-ci disposaient d'ambassadeurs résidents ä Bruxelles depuis longtemps. De plus, les Etats décidèrent d'envoyer des légats spéciaux a Paris et ä Londres.

Nous nous proposons d'examiner si Ie contenu de la Pacification justitie une teile réputation, quelle en fut réellement la destinée constitutionnelle, et en quelle mesure des notions anciennes y furent mêlces ä de nouvelles.

On se rappellera les circonstanccs de la crise des Pays-Bas. Depuis Ie départ du roi Philippe II en Espagne en 1559, un conflit s'est développé graduelle-ment entre lui et la noblesse nationale qui entcndait continuer ä jouer un röle dccisif dans les affaires du pays. En plus, des tensions s'étaient révélécs tant sur Ie plan de la Réforme protestante que sur celui des difficultés éco-nomiqucs et sodales. La répression sanglante par Ie duc d'Albc posa en toute son acuité Ie dilcmme d'un pouvoir absolu ou partagé. Pour des raisons principalement d'ordre stratégique, la révolte put se consolider dans les pro-vinces de Hollandc et de Zélande, oii Ie princc Guillaume d'Orange prit un pouvoir fictivcment legitime en tant que gouverneur pour Ie roi. En fait, sa position se confondait de plus en plus avec celle des Etats de ces provinces. Si l'attitude de don Louis de Requesens qui avait succédé au duc d'Albe, était plus conciliatricc, la banqueroute du gouvernement espagnol provoqua la mutinerie des troupes espagnoles et italiennes peu de temps avant sa mort, survenue en mars 1576 ls.

Entretemps, des pourparlcrs entre Ie gouvernement central et les rebelles de Hollande et de Zélande avaient été entamés ä Breda en février 1575. Ceux-ci exigeaient Ie départ des troupes étrangères et la convocation des Etats géncraux pour délibcrer de la question religieuse. Le gouvernement avait in-sisté sur Ie respect du service du roi et de la foi catholique romaine16.

Les chercheurs ont prèté trop peu d'attention ä la comparaison des ncgocia-tions de Breda qui se terminèrent en juillet 1575 sans avoir abouti ä aucun

14 ARA, Collectie Musschenbroeik: Acta Statuum Belgn l, i" 49r°-52r°. "Etsi in

Europa vix ullus sir terrarum angulus quo non rerum nostrarum dcploratissimus stanis micrio-nsque Germaniae mdigna calamitas pervcnent, sic ut etiam longissitne dissiti populi, imo hostes ipsi nostns malis mgenmcant ..." N. [APlKsr, Kesolutien der Staren-Generaal van 1576 tot 1609 I. La Haye 1915 p.6.

" La meilleure introduction en langue internationale ebt celle de H.H. R O V V I N , The Low Countnes in early modern Times. New York 1972 pp. 58-6?. Voye/ aussi H.G. K o K N K . S B r R G t R et G. L. MOSSE, Europe m the sixteenth Century. Londres 1973 pp. 256—263.

1(1 L.P.GACHARD, Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas 3. Bruxelles

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La pauficntion de Gind 223 résultat contret, avec Ie texte de la Paufication de Gand. Les points communs sont neanmoins nombrcux: les mcsures d'amnistic, la suspension des placards contre les hérétiques, Ia confirmation de la position du pnnce d'Orange en Hollande et en Zelande, Ie i établissement des relations commerciales, la con-voeation des Etats géncraux dans leur composition la plus large, comme lors de l'abdication de Charles-Quint en 1555, la libération de pnsonmers, Ie retour d'Espagne du fils de Guillaume d'Orange, la révocation des confis-cations des bicns de rebclles et leur remise dans les mams des propriétaires legitimes17.

De juillet 1575 ä septcmbrc 1576 les mêmes points continuèrcnt ä dommer les débats: Ie départ des etrangcrs, Ie respect des privileges, Ie rölc des Etats gcnéraux, les compétenccs des conseillers nationaux, l'abolition du Conseil des Troubles. A l'absolutisme du roi on opposait la participation des Etats, a la politique mondiale du rol Ie gouvernement des XVII Provmces, au mono-pole de FEghse cathohque la libeite de rehgion 1K.

I a mort du gouverneur Requesens fut suivie d'unc vacance de pouvoir pendant laquelle Ie mécontentement provoquc par la presence espagnole se generalisa. A la suite de la mutmene des troupcs, dite furie espagnole, ä Alost, les Etats de Brabant commencèrcnt ä lever des troupes. Le 4 septembre, Ia plupart des Membres du Conseil d'Etat furent arrêtés par des patnotes m-spirés par Ie pnncc d'Orange. Cet organe qui était charge de ('interim du gouvernement, succombait sous son manque d'audace ä envisager les pro-blcmes, tandis que Ie roi l'avait toujouis tenu ä l'ecart. A partir de ce moment, les Etats de Brabant et de Hamaut se sont apphqués presque simultanément ä rcunir une assemblee des Etats gcnéraux '9. Il est plus que probable que Ie prmce d'Orange ait encourage ces initiatives.

I a plupart des provmces réagirent avec reserve, smon avec réprobation au coup de force dans Ie Conseil d'Etat2 0. Il n'y avait qu'en Hollande et en Zelande qu'on y voyait une mdication de la volontc des autres provmces ä se joindre a la revolte21. Les Etats de Brabant etaient l'clemcnt motcur des cvenements. Dans leur sein, l'attitude des prelats était defavorable au roi ä cause de l'assignation aux nouveaux evêques des propnétés de certames

17 H A ENSO VAN GHDH<, De Vrede \ a n Gent (8 november 1576), dans Historische

Op-stellen langebodenaan J Huizinga Haarlem 1948 pp 84-117

'" G A C I I A R D , op cit pp 709, 697, 698, 722, 333, 659, 741, 587, 645, 299, 587 et 645

19 IAIMKSL, Resolutien der Staten Generaal l p LII

20 l i Luximbourg, Namur, et l'Artois cvigerent h libération dt respectivement Pierre

l rnest dt Mansftld, Charks de Berlaymont et Ghi istophc d'Assonleville J C Dl JONGE, Besluiten van de Staten gcncr.nl der Nederlanden La H a > t 1828 pp 61-62 La Handrc msista egaliment sur I I liberalion des membres du Conseil d Ftat arretts AhG, CP, n° 734, f l l l v °

et 1 1 7 ic

:' A Goud i, les autorités niunicipales firent |ouer les ehaluniean\ a causc des bonnes

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2 2 4 W . P . B l O C K M A N S / P . V A N P U K . H H «

abbaycs lors de l'ércction de nouveaux diocèses en 1559. Sans doute espé-raient-ils tirer profit d'une Situation nouvelle. La bourgeoisie des villes, et sur-tout de Bruxelles, se faisait Ie champion du rétablissement de l'ordre public. Le 22 septembre 1576, unc délégation des Etats de Flandre arriva ä Bruxelles. Lorsque celle du Hainaut se joignit ä eile Ie 24 septembre, l'assem-blée des Etats généraux pouvait être considérée comme ouverte. Les premières résolutions furent prises Ie 25 septembre22. Ce ne fut qu'au cours du mois d'oc-tobre que Passemblée s'élargit d'autres délégations disposant de mandats. La Hollande et la Zélande n'avaient pas envoyé de délégations ä Bruxelles. Le Luxembourg, Ie Limbourg, les Pays d'Outre Meuse et Lingen ne participèrent ä aucun stade. Les députés de plusieurs provmces comme la Gueldre, la Frise, Overyssel et Groningue, arnvèrent en retard ou bien étaient munis de mandats trop restremts23. Sur cette base, il fut décidé d'envoyer une députation ä Gand dans Ie but de trouver une solution pacifique pour la Subordination des provinces révoltées. Les négociations de Breda serviraient de base ä des pourparlers nouveaux.

Malgré son caractère restreint, l'assemblée des Etats généraux procéda Ie 12 octobre ä Ia rédaction de lettres de commission pour neuf députés, choisis parmi les provinces représentées dés Ie premier instant, Ie Brabant, la Flandre et Ie Hainaut. lis entameraient les négociations ä Gand avec neuf délégués du prmce d'Orange, de la Hollande et de la Zélande24. Le choix de la ville de Gand fut imposé par Ie prince d'Orange, dont une garnison logeait dans cette ville2 5.

Les instructions données par les Etats généraux proposaient de reprendre les pourparlers interrompus de Breda. On voulait rétablir l'ancienne tran-quillité et prospérité des Pays-Bas, "en l'honneur de Dieu, de sa Majesté et pour Ie bien commun de tous les pays". Les instructions des révoltes com-prenaient les mêmes points, mais exigeaient plus ouvertement Pexpulsion des Espagnols, et faisaient aussi une allusion aux libertés et a la justice. En plus, il y était question de tous les habitants de leurs provinces, avec leurs associés présents et futurs. Cette idee préfigurait dcja l'important article de la Paci-fication oü était admis l'autorité du prince d'Orange dans tout Ie territoire et sur tous les habitants de Hollande et de Zélande.

Selon ces lettres d'instruction, l'objectif majeur des deux parties était de faire cesser la violence. Aucune mention n'est faitc d'une volonté de

réorga-22 ARA, Coll. Musschenbrocck, n° 3: ACM Sratuum Belgn, vol. I, f° 22r°. JAPIKSJ,

op. cit. p. 5.

21 jAlMKSt, op. cit. p. LX; DE JONGI , op. cit. pp. 61 -62. 24 DL JONGE, op. cit. p. 238; JAPIKSE, op. cit. p. 19.

25 On retrouve ces lettres dans les placards ongmaux comme par ex. dans la BUG, coll.

Meuleman: Ace. Meul. 1576 (2), maïs aussi dans A.ANSILMUS, Placcaten ordonnantién landt-chartcrs ... van Brabandt 1. Anvers 1648 pp. 591-595; DL JONGE, op. cit. p. 25.

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La pacificarion deG.ind 225 niser les structures politiques selon des principes nouvcaux. Au contraire, la scule notion constitutionnelle concernait le maintien des privileges anciens. De part et d'autre, des pnses de position plus nettes avaient été formulées auparavant. Au début de septembre, les Etats de Hollande avaient décidé qu'on ne pourrait pas portcr atteinte au Protestantisme26. Le 2 octobre, les Etats généraux voulaient encore "ramener a l'obeissance de Sa

Ma-ieste les pays d'Hollande et Zélande en l'observation de nostrc saincte

Foy et Religion Cathohcque romaine, et sans aulcune innovation d'icelle, et ä ces fins faire toUt"27. S'ils voulaient restaurer Pautorité royale et la religion cathohque en Hollandc et Zelandc, ils n'exigeaient pas moins Ie départ pré-alable des troupes cspagnolcs. Derriére la phraséologie des instructions, les deux délégations entamcrent donc les négociations avec des vues nettement divergentes.

Le texte de la Pacification de Gand en fut le résultat après une dizaine de jours ä pcine (du 19 au 28 octobre). Les principes les plus importants, ä savoir l'expulsion des troupes étrangères et le renvoi du contentieux des religions ä une assemblee spéciale des Etats généraux, avaient été rcquis par la délégation hollandaise lors des pourparlers de Breda un an et demi plus tot28. Nous venons de voir que le premier point ne posait plus de problèmes en octobre 1576. Sur le second, il faudra expliquer le triomphe du point de vue du prince d'Orange. Mais passons en revue d'abord le contenu de cc fameux acte.

On peut analyscr le texte de la Pacification selon les points de vue des trois parties concernées le plus directement: le prince d'Orange avec les Etats de Hollande et de Zélande, les Etats généraux assemblés ä Bruxelles et le roi Philippe II. De la part des Etats, la haine contrc l'Espagne est le trait le plus saillant. Elle a comme objct autant la soldatesque que la politique centralisa-trice des dix dernières années. Par la Pacification, les Etats constituent une ligue dont le but primordial serait Ie départ des troupes espagnoles. Ce point était considéré comme une "conditio sine qua non" pour toutes négociations ultérieures. Le second thème, celui du respect des privileges des villes et des principautés, faisait l'objet de plusieurs articles. Plus particulièrement, l'am-nistie générale, la libération du commcrce et la liberté des Protestants allaient

a rencontre de mesures prises unilatéralement par le gouvernement29.

2<l Register van de Besluiten bij de Staten van Hollandt, genomen den 9. 1.1576. Dordrecht

tot 29. 12. 1576. S. I., s.d. p. 156.

" Df JONGI-.Op.CIt. p. 16.

2* G A C I I A R D , op.cit. 3 p.277.

-9 Le texte de Ia Pacification de Gand est édité en ses verslons francaise et néerlandaise par

G.GRIFFITHS, Repräsentative government in Western Europe in the sixteenth Century. Oxford 1968 pp.433-447; une traduction en anglais est donnée par RowtN, The Low Countnes pp. 58-63. Les deux auteurs se sont bases sur l'édition de DUMONP, Corps Universel, qui a joint les articles XVI et XVII. Cfr. A.S.Dp B I É C O U R T er N.JAPIKSE, Klein Plakkaatboek van Nederland. Gromngue 1919 pp. 113-117.

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2 2 6 W P B l O C K M A N S / P \ A N P H I G H 1 M

La position du pnncc d'Orange fut considérablement renforcéc par la confirmation de son Statut de gouverneur de Hollande et de Zélande, par la perspcctive que les régions y adhérant cncore au parti du roi se joindraient au sien, et surtout par la reconnaissance de la Situation religieuse particuliere des deux provinces révoltécs30.

Un autre groupe d'articles concerne la convocation d'une nouvelle as-semblee des Etats géneraux, dans leur composition la plus étcndue. En fait, tous les problèmes esscntiels devraient y être traites a nouveau et de maniere plus décisive. Ainsi, l'ordre du jour compnt Ie problème religieux et l'apphca-tion des placards, la posil'apphca-tion du pnnce d'Orange en Hollande et en Zélande, les difficultés concernant les bicns confisques pendant les dernières années, les problèmes monétaires et Ie reglement des frais de deux campagnes que Ie pnnce avait financées31.

Le rol n'avait pas été impliqué dans la Pacification. Quelquefois Sa Majesté est mentionné, plutót par tradition que par sympathie pour scs points de vue3 2. En gcncral, il est clair que les vues du parti hollandais ont pesé plus lourde-ment sur les résolutions que celles des délégues des Etats géneraux. Le texte nc comporte d'ailleurs que tres peu d'engagements, pas d'impératifs et aucune sanction. Aucune des deux parties nc pouvait assurer l'cxccution des points convcnus. En sommc, il n'y avait "pacification" que si elles prenaient leurs désirs et leurs interprétations pour la réalitc.

En reportant ä une session plémaire des Etats géneraux les débats fonda-mentaux, les parties admirent imphcitement que les articles de la Pacification n'étaicnt que des arrangements provisoires. La paix, dont il fut question dans Ie texte, n'impliqua ni la fin de Pétat de gucrre, m Ia solution definitive des matières du conflit. Même Ie point crucial du départ des troupes étran-gères, sur lequel les parties ctaient d'accord dés avant les négociations, ne put être réahsé.

Le roi n'a néanmoms pas caché sa réprobation. Il considérait comme grave-ment lésées en les quatre points suivants la rehgion cathohque et son autontc. 1. La formation d'une hgue contrecarrait son opinion que tous les habitants des Pays-Bas devaient se comporter comme ses "vassaux". 2. La convocation d'une assemblee des Etats géneraux ä l'imtiative des sujets était chose mouie selon lui. 3. La suspension de Papphcation des placards serait tres nuisible ä

w Art 4 - Pour l'cdicion ofduclle de M van Hamont a Bruxelles en 1576, vo>ez par ex BUCi, Ace Meul 157e (\2) H I AULMACIILK, Die Stellung des Prm/en von Oramen als Statt-halter in den Niederlanden von 1572 bis 1 584 Ein Beitrag /ur Verfassungsgeschichte der Nieder-lande Bonn 1958 pp 71-113

" Art 3, 5, 6, 17, 18, 20, 22, 24 (sclon Ic numerotagc de Dumont Oriffiths-Rowen) F HARAI us, Annales ducum scu prmupum Brabantiae totuisque Belgn 3. Anve-rs 1623 p 243

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La paufication de Gancl 227 la reiigion cathohque. 4. La position du pnnce d'Orange — qu'il considerait comme "la levadura de todo el danno" - ne pouvait être mamrenue3 3.

Au cours des négociations de Gand, un revirement radical s'opera donc dans Pattitudc des délégués des Etats gencraux. II faudra exphquer pourquoi ils se montrèrent soudainement si complaisants vis-ä-vis des revoltes, notam-mcnt en ce qui concerne Ie statu quo religieux, la confirmation du pnnce cn ses fonctions de gouverneur, Ie silence sur la reconnaissance de I'autorite du roi et du nouveau gouverneur général, et Ie grand nombre de suspensions de confiscations. On se souviendra que tous ces pomts sont en contradiction avec leurs pnses de position antcneures.

L'aide militaire que Ie pnnce fournit aux provinces meridionales peut être invoquc comme un premier facteur exphcatif. Dans ce cadrc, un de-tachement de huit compagnies ctait parti pour Gand Ie 23 septembre314. Elles allaicnt assurer la défense de la villc, autant contre les mutins espagnols d'Alost que vis-ä-vis du chateau des Espagnols juste en dehors de l'aggloméra-tion. Cette Situation rehaussa considérablement Ie prestige du prmce.

Puis, Ie 20 octobre, avaient eu heu Ie pillagc de Maastricht par les troupes gouvernemcntales et Ie ranconnement de la ville de Grammont par les mutins espagnols d'Alost. De plus, la ville de Gand eile meine était sous Ie feu du chateau espagnol dcpuis septembre1S. Exactement pendant la periode des négociations qui menèrent ä la Pacification, ces évenements vinrent mtensifier les sentiments anti-espagnols et Ie désir de paix, tres vifs parmi la population. On peut même envisager que ceci contraignit les délégués pour la pacification a aboutir ä un résultat, même au pnx de concessions importantes.

D'autre part, il n'est pas exclu que les délégués des Etats généraux aicnt voulu gagncr du temps en faisant des concessions provisoires et purement theonques, dans l'attente de l'arnvee du nouveau gouverneur général, don Juan. Fmalcmcnt, la propagande du pnnce d'Orange peut avoir influencé l'at-titudc des négociateurs. Au cours des pourparlers, il publia des lettres offi-cielles mterceptecs qui devaient dévoiler les mtentions des Espagnols de tenir assujétis les Pays-Bas éternellement3 6.

Amsi, Ie texte de la Pacification de Gand fut établi en un délai assez bref Ie 28 octobre 1576. Malgré toutcs ses ambiguités, il avait Ie merite d'avoir formule d'une maniere sans équivoque la volonté de paix et de raviver Pespoir

11 J HANSLN, Numiaturbenclite aus Deutschland, nebst ergänzenden Acktenstticken 3

Ahth 1572-85 2 Birlm 1894 pp 582-583

34 G GROtN \AN I ' R i s s r i R r R , Archives ou Lorrespondana. ineditc de la Maison d'Orange

Nassau l t Lejdt 1838 p 421

" CH PIOT, Corres-pondaiKe du Cardinal de Granvelle 1565-1581 6 Bruxelles 1887 pp 469-470 BUG, Ms l 59, II, P 264 \ ° et sui\

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228 W P B l O C K M A N S / P V A N P L f L G H L M

d'une trêve. Aussi exprimait-il un rapprochcment entre toutes les tendances aux Pays-Bas, d'une maniere qui n'allait plus se reproduire. Pour cette raison sans doute fut-il Ie point de départ d'autres pourparlers de paix internatio-naux tendant a conserver l'unité des XVII Provinces, notamment les journées de Pacification tenues ä Cologne en 1579 et la conférence de Bourbourg entre l'Angleterre et l'Espagne en 158837. Maïs les confusions dans Ie texte peuvent tres bien illustrer Ie manque de décision des délégués des Etats généraux eux-mêmes qui ne manquèrent pas d'msister ä plusieurs reprises sur la supre-matie de la foi catholique. Pendant longtemps, ils laissèrent subsistcr l'mcerti-tude quant a la ratification de l'accord.

A partir de ces considerations, on pourrait emettre une explication du re-vircmcnt que nous venons de constater ehe? les représentants des Etats géné-raux. lis pouvaient espérer réahser une action commune avec les forces révol-tées contre Ie danger, devenu exorbitant, émanant des troupes etrangères38. En faisant sans engagement réei une série de concessions tactiques, d'ailleurs nullement definitives, aux rebelles, ils auraient en premier heu envisagé leur propre sécunté. Cette attitude était inspirée par la Situation pressante au cours des négociations même. Auparavant, lors de l'élaboration des instructions, eile ne semble pas avoir été envisagée, et par après, dés que Ie danger fut quelque pcu écarté, on la délaissa immédiatement. Dans cette perspective, la Pacification de Gand nc scrait que Ie reflet d'une strategie ä court terme.

Cette Interpretation trouve quelque support dans un avis émis par les Etats de Brabant au début d'octobre, oü la fin des violences est présentée comme un besom de toute premiere urgence39. Un avis du Conseil de Flandre est encore plus explicite ä eet égard. Cet organe émmemment royahste s'opposait en principe a la venue ä Gand des troupes du pnnce d'Orange. Maïs, vu la Situa-tion dcsastreuse, il considérait legitime l'assistance prêtée par des troupes calvimstes ä une provmce catholique40. On peut estimer dés lors que les scrupules pour accueillir les compagnies du pnnce étaient encore momdrcs parmi la population.

En fait, les députes des Etats généraux ont tenté de résoudre les problèmes de Ia sécunté interne, beaucoup plus urgents que la question rehgieuse, et en une certame mesure indépendants d'ellc. A part cela, ils se sont efforcés de remettre a plus tard la discussion de tous les points essentiels, de maniere que leur loyaute vis-ä-vis du roi ne puisse être mise en cause. D'autre part, Ie pnnce obtmt quelques succes diplomatiques remarquables.

37 M B A F I D I et P VAN PFTTGHHU, De Pacificatie van Gent (H76), dans Opstand ui

Pacificatie m de Lage Landen, notes 373 a 377

311 Une lettre du President du Conseil de Flandre de stpttmbrc 1576 demontre que la Situation

a Gand etait tellement dangereusc que la Flandre avait besom de plus d'assistante que Ie Brabant e t l e H a i n a u t AGR, PEA, 1684/4

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La p jLification de Gand 229 L'aspect trompe-l'oeil de la Pacification est démontré encore plus claire-mcnt après la rédaction du texte. Le 30 octobre, les Etats généraux décidèrent de s'mformer aupres des différents seigneurs, gouverneurs etc. "affin de de-clarer ouvertement leurs intentions, s'ilz sont du cousté des Estatz assemblez a Bruxelles pour Sa Majeste et Pays ...". Quelques jours plus tard, il fut réso-lu "d'escnpre a tous consaulx provinciaux et colleges, dont on auroit doubte, s'ilz seront d'mtention des Estatz ou non ..."41 Les résponses retrouvées démontrcnt toutes que Ie but final était la soumission des rebelies hollandais et zélandais42. Pour les provinces méndionales, la paix ne s'entendait que comme cela.

Il faut donc conclure que les pourparlers de Gand etaient menés par deux groupes dont les arnère-bans etaient d'opmions tout ä fait contradictoires, notamment au sujet du sort des provinces révoltées. La ratification par les Etats généraux, et surtout par Ie Conseil d'Etat, au début de novembre, ne peut se comprendre que par la panique devant Ie chaos créé par les mutmenes des troupes étrangères non payées. Parmi les Etats provinciaux, seuls Ie Brabant, la Hollande et la Zélande procédèrent ä la ratification dans les délais prévus, respectivement Ie 11 et 29 novembre. Le Hainaut et PArtois ne suivirent qu'en avnl 1577, alors qu'une nouvelle Interpretation de la Pacifi-cation avait été donnée déja. Les autres provinces ne ratifièrent jamais43.

En fin de compte, il faut considérer la Pacification de Gand comme une étape dans un long proces de négociations. Le texte renvoit les points essen-tiels a une assemblee des Etats généraux qui n'eut jamais lieu. Dés les premiers jours, les parties interprétèrent la Pacification de manières contradictoires. La majeure partie du texte consiste en des arrangements de caractère pure-ment occasionel, relevant souvent du droit privé. L'élépure-ment neuf, auquel il doit sans doute sa notonéte, a savoir la reconnaissance du statu quo sur Ie plan rehgieux, n'engageait personne. Sa portee se hmitait a une manoeuvre tactique dont l'effet restait ä détermmer. Les contemporams, les pohticiens et juristes du XVIIL siècle, et les histonens du XIXC siècle qui ont répandu la réputation de la Pacification comme étant une des bases constitutionnelles de la Répubhque des Provinces-Umes, ont donc extrapole ce texte de sa genese et de ses effets tilteneurs. lis ont même fait abstraction de la majeure partie de ses articles.

Le dementi de signification constitutionnelle ä la Pacification de Gand que nous proposons pose la question des traditions que les Etats généraux ont créécs pendant la centame d'années qu'ils fonctionnèrent comme organe

41 Ü E j o N G t , op ut pp 85 et 93

J2 Quelques reponscs, cmanant principalement des provinces méndionales, sont conserveer

aux AGR, I'tA, 1711/3 et 1684/4

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230 W . P . B I O I K M A N S / P . VAN P M I C . I I I M

fédéré dans les Pays-Bas44. A deux reprises, des documents constitutionncls

avaient été élaborés en leur sein, notamment en 1477 et en 1488. Il est pour-tant révélatcur que seule l'Union, faite ä ('occasion de la Transaction d'Augs-bourg en 1548 — oü Ie "Ccrclc d'Augs-bourguignon" fut érigé — ait joué un röle lors de Ia prcparation de la Pacification de Gand. Encore nc fut-ce qu'en tant que souvenir nostalgique de I ' u n a n i m i t é religieuse et politique ä cette époque45.

Au cours de la periode d'improvisations sur Ie plan du droit public des années 1570 et 1580, plusieurs partisans de rénovations se sont inspirés de ce qu'ils croyaient être des précédcnts. Un délégué du clcrgé flamand aux Etats généraux ä Bruxclles portait avec lui une copic du Grand Privilege de 147746.

L'entourage du princc d'Orange s'apphquait ä rechcrcher dans un passé natio-nal parfois tres éloigné des prccédents aptes ä présenter comme legitime la résistance des Etats envers Ie roi. Peu de temps après la conclusion de la Paci-fication, il fit circuler parmi les délégués aux Etats généraux ä Bruxelles un traite étendu cumpilant une casuïstiquc des conflits entre les ducs de Brabant et leurs sujets, dans Ie but de stimuler les Etats dans la voie cngagée47.

L'en-tourage du prince a donné une diffusion assez large ä ces idees, dans Ie but de rendre acceptable son attitude a l'intérieur des Pays-Bas mais aussi sur la scène internationale. Amsi en trouvc-t-on une version adresséc au gouverne-ment anglais ä la fin de 15774K. Elle concerne les relations entre les princes

et leurs sujets en Brabant, en Flandre, en Hainaut, en Hollande et en Zélande, remontant au onzième siècle, et poussant l'enqucte jusqu'ä la reconnaissance

44 R. Wr.i 11 NS, Les Etats généraux des Pays-Bas dos ongincs ä la fin du règne de Philippe

Ie Beau (1464—1506), dans: Anciens Pays et Assemblees d'Ftats-Standcn en Landen 64. Heule 1974.

4' Les Etats de H a i n a u t f u ren t les premiers pour référer ä 1548, maïs la l landre et Ie Brabant suivircnt tont de suite leur exemple: N . j A i ' i k s i , De Staten Generaal van 1576, dans: Bijdragen voor Vaderlandsche Geschiedenis en Oudheidkunde 5.3 1916 pp. 16-17; AEG, GF, 734, 1° 97. •"' Le chanome de la cathédrale de S.nnt-Bavon ä Gand, G u i l l a u m c del Vael (al. Valenus): ARA, Coll. Musschenbrceck, n° 3, P 1—5. En 1578 fut renouvelé Ie traite d'alhance entre la Handre et Ie Brabant de 1339: A.C. Dr S t l l K l v i i , Le traite d'alhance conclu en 1339 entre la l landre et Ie Brabant renouvelé en 1578, dans: Annales Société d'hmulation Bruges 65. 1915-22 pp.51-111.

47 L. P. G A U I A K U , Correspondance de Guillaunie Ie Taciturne i. Bruxelles 1851 pp. 140-154. 48 Public Record Office, Londres, State Papers, 70, 136, X/K3920. Gfr. A.J.CROSBY,

Ca-lendar of State Papers. Foreign Series on the reign of Elisabeth 1575-1577. I andres 1880 (ré-mipnmé en 1966) p.221, n ' 553. La datation 1575—1576 doit ä notre avis être corngee en "nov. 1576 —oct. 1577". Le grand nombre d'allusions faites au Statut de m.imbour sont probable-nient a rapprocher de la nornmation de Guillaumc d'Orange comme gouverneur et mambour de Brabant en octobre 1577. N'eanmoms rien n'exclut que eet avis soit date en octobre ou novembre 1576, surtout si Ton tient compte d'une lettre du 3 novembre 1576 du pre\6t Monllon au cardmal de Granvelle. "Aultres ont estc/ d'advis que l'on p r i n t Ie Prince d'Oranges pour R u a r t et eest advis at procédé d'aulcuns que j'ay tousjours tenu en meilleure opinion; et at tenu a pen qu'il ne soit estc appellé ä Brucelies, et tel/ m'asseurent qu'il y fust venu en qtiattre jours, si ceulx de I l a v n n a u l t ne l'cussem empesche": PIOT, Correspondance du cardmal de Gran-velle 6 p. 162.

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La p.icification de Gand 231 cle Philippe 11 en 1549. Cette longue énumération de cas ou Ie "ius resistendi" avait été mis en pratiquc nc comprend qu'une seule constitudon, notamment la Charte de Kortenberg (Brabant) de 1312. Cela se comprend si l'on tient compte du fait qu'aussi bien la fameuse "Joyeuse Entree" brabanconne de 1356, que Ie Grand Privilege de 1477 et l'Acte d'Union de 1488 avaicnt pcrdu leur validitc juridique peu de temps aprcs leur conclusion49. Ce dernier document avait Ie plus de traits en commun avec la Pacification de Gand, étant conclu entre les Etats de Brabant, de Flandre, de Hainaut, de Zélandc et de Namur pour affronter unc crise de l'autorité royale et unc Situation militaire dcvcnue precaire. Le principe de la libre convocation des Etats gcnéraux, énoncé pour la première fois dans Ie Grand Privilege de 1477, y était élaboré sous la forme de réunions annuelles. Elles devraient s'occuper spécialemcnt du respect des privileges. Cette question, soulcvée ä l'occasion de la convocation cl'une assemblee par Ie Brabant et Ie Hainaut en septembrc 1576, avait donc théoriquement une base constitutionnelle. Mais ce principe n'avait jamais été mis en pratique, entre autres parcc que l'acte de 1488 avait perdu sa validité immédiatement ä cause de la renonciation de la part du prince. En effet, lors-qu'ils justifièrent leur initiative, les Etats de Hainaut n'invoquèrent pas Ie Grand Privilege, mais seulcment leur responsabilité de l'intérêt public50.

En dehors de cc point, les actes de 1477 et de 1488 ne manifcstaient aucuné-ment l'ambition d'élaborer un Systeme social pour l'avenir. Leur contenu était hautement déterminé par les circonstances. On peut donc affirmer que les Etats généraux avaicnt fonctionné pendant plus d'un siècle sans base constitutionnelle explicite ou incontestée. Leur attribut principal était la défence des anciens privileges et coutumes, sur lesquels ils fondaient aussi leurs propres prérogatives.

Cela ressort aussi du traite émanant du prince d'Orange, mentionné plus haut. Si l'Acte d'Union de 1488 n'y figure pas, référcnce est faite aux discus-sions préliminaires au sein des Etats généraux. Les Trois Membres de Flandre •" Lors ilc1 Ia levolte ganroise de 1537—40, Ie gouvernement dénia la validitc du Grand

privilege: L. P . G A f H A R D , Relations des troubles de Gand sous Charles-Quim. Bruxelles 1846 pp. 114, 123, 127, 131, 195, 347, 354 et 355. R.VAN U Y I V L N - W.Bioc KMANS, Constitutions and tlieir application in the Netherlands during the Middle Ages, dans: Revue beige de Philologie et d'Histoire 47. 1969 pp. 422-423; H . P m i N N r , I .e róle consntutionnel des Etats-Gené-raux des Pays-Bas en 1477 et en 1488, dans: Mélanges P. Fredencq. Bruxcllcs 1904 pp. 267-271; W. P. Bi oc KMANS, Autocratie ou poharcliie? La kitte pour Ie pouvoir politique en Handre de 1482 ä 1492, d'après des documenrs inédits, dans: Bulletin Comnmsion royale d'Histoire

140. 1974 pp.297-298.

'° Le magistrat de Douai savait qu'on ne pouvait envoyer nne délégation ä Bruxelles "sans offenser Sa Majeste". D'autre part il est manifeste que l'action militaire ctait hee a la convocation des Etats-Gcncraux. Dans la mêmc assemblee on note "que lesdicts de H a > n a u l t dient que la levéc de gendarmerie est pour ne tomber en crismc de lese Ma|csté par Ie poinct d'obmission." Arclnvcs de la Ville de Douai, BB 3, f" 44r".

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232 W I' B l O L K M A N S / P V A N P l I I G H L M

y avaient revendiqué Ie droit d'alliance pour la défencc du bien commun et des privileges, sans être contredits. Une idee remarquable clöture te document important. Dans les Pays-Bas, certames principautés comme Ie Brabant disposaient d'actes constitutionncls explicites, d'autres n'en avaient pas. Les auteurs du traite postulaient que les provmces qui par hasard nc disposaient pas de tels doeuments, pouvaient néanmoms faire valoir les meines droits a causc de l'unité du gouvernement et de la coutume. Ce dernier argument con-venait évidemment ä la Hollande.

Comme les actes constitutionnels des Etats genéraux datant d'un siècle plus tot, la Pacification était fortcment marquée par des soucis immédiats, ce qui fit qu'elle fut dépassé rapidement, eile aussi.

Déja en janvier 1577, les Etats genéraux procédèrent ä la conclusion d'un nouvel acte, 1'Union de Bruxelles. Probablement voulaient-ils consolider par la leur position en vue des pourparlcrs avec Ie nouveau gouverneur don Juan. Maïs les réserves que firent la Hollande et la Zélande au sujet de l'interpré-tation du nouvel acte annoncent les divergenccs qui devaient s'accentuer par après. Car, si l'Umon se réfere a la Pacification de Gand et si eile exprimc la ferme volonté de s'opposer contre "l'oppression tyranmquc des Espagnols", eile déclare aussi qu'elle mamtiendra Ia foi cathohquc. Cette tendance est plus manifeste encore dans l'Fdit perpétuel signé par don Juan Ie 12 fevner 1577. Bien que la Pacification y fut ä nouveau formellement confirmée, et quelques articles mis ä exécution, Ie mamtien total de la rehgion cathohque et de l'obéissance au roi etaient macceptables pour les delegués hollandais et zélandais51. Dans la suite, il y eut toujours deux interprétations opposées de

la Pacification, comme il y avait eu au départ deux pomts de vue radicalement opposés. Sa portee constitutionnelle fut donc chiménque dés Ie début.

Si l'analyse des quelques textes constitutionnels amène ä mmimiser leur sig-mfication histonque, il y a pourtant d'autres rcahtés qui révèlent une large mesure de contmuité dans l'orgamsation politique depuis l'époque des Pays-Bas bourguignons jusqu'ä la République des Provmces-Umes. Amsi l'mstitu-tion des Etats genéraux, au sein de laquelle se developpèrent les grandes op-tions que nous venons de considérer, avait conservé en 1576 son Organisation et ses fonctions fundamentales comme ellcs etaient un siècle plus tot. Les seules évolutions se situent sur Ie plan de l'extcnsion du terntoire de quelques principautés excentriques et pen imphquées, sur celui du glissement du centre de gravité de la Flandre vers Ie Brabant, et sur celui de l'appantion d'évcques néerlandais depuis 1559. On pourrait encore invoquer l'emergcnce de factions autour des problemes de Ia religion et de la répartition du pouvoir politique.

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Ln pacification de Gand 233 A part cela, les Etats généraux fonctionnaient sous Ie poids considérable de la tradition, la coutume étant Ie code non écrit de leurs prérogatives. Ce fut précisément au cours des longues sessions quasi ininterrompues de 1576—1579 qu'une évolution décisive se dessina dans ('Organisation des Etats généraux. C'est alors qu'ils développèrent, sous Ia pression des faits et sans aucun texte législatif, un greffe autonome, une présidence, des sections spécialisées et un reglement d'ordre interne. Déja en septembre 1576, ils créèrent parmi leurs membres nobles un Conseil de Guerre entièrement neuf5 2. Cet organe mit sur pied en un bref délai toute Porganisation militaire

des Etats et parvint ä mobiliser 40000 hommes avant la fin de l'année53. Tous

ces changements de fait ont permis aux Etats généraux de jouer un röle exécutif qui leur avait toujours fait défaut et par la invalide leur position. Cette évolution était essentielle pour l'élaboration du Systeme politique des Provinces-Unies. D'autres aspects typiques en dataient du XVe siècle,

notam-ment la répartition de pouvoirs entre les Etats provinciaux et les Etats généraux. Même Ie róle eminent du Grand Pensionnaire se dessinait déja par l'usage établi, mais non encore formalisé et susceptible de discussions, que Ie pensionnaire de la première ville de la principauté la plus importante était Ie porte-parole des Etats, qu'il recueillait les voix, et qu'il rédigeait et signait les documents54. Le rölc de défenseur des anciens privileges et coutumes

qu'assumèrent les Etats en 1576, rejoint directement les orgines de la représen-tation, comme on peut Ie démontrer pour un nombre croissant de pays55.

Cettc attitude quelque peu rétrograde est typique de l'activité des assem-blees d'Etats. Elles n'avaient eu aucune expérience du pouvoir exécutif et leurs membres avaient pour objectif principal de conserver les situations existantes. Des observateurs étrangers rapportaient ä leur gouvernement surtout l'inertie et les hcsitations devant les décisions56. On ne pouvait pas attendre que d'un

tel organe des conceptions originales sur les structures politiques surgissent.

5- jAlMKSt, De Staten Generaal van 1576 pp.32-33 et JAPIKSE, Resolutien p.4. La tradition

des mstitutions reprcsentatives voulait que Ie nouveau greffe fut recruté dans la province, c. q. dans Ia ville oü avait heu l'assemblée, et qu'on emprunta Ie sceau de cellc-ci. En 1576 ce fut donc Ie sceau brabancon.

" CROSBY, op.cit. p.462, 1120-1121.

54 R . W m i N S , I.e droit de préséance dans les assemblees des Etats généraux des

Pays-Bas au XVC siècle, dans: Standen en Landen 47. 1968 pp. 116-123 et WELI.ENS, Les Etats

généraux des Pays-Bas pp. 147, 149, 188.

55 J.DHONDT, Les assemblees d'Etats en Belgique avant 1795, dans: Gouvernés et

gouver-nants 3 (Recueils Société Jean Bodm 24). Bruxelles 1966 pp. 325-400; K. GÓRSKI, Les débuts de Ia représemation de la commumtas nobilium dans les assemblees d'Etats de l'Est européen, dans: Anciens Pays et Assemblees d'Etats - Standen en Landen 47. 1968 pp. 48-49; J. BARDACH, La genese de la Diète nobiliairc en Pologne au XV siècle, dans: Anciens Pays et Assemblees d'Etats- Standen en Landen 70. 1977; W. P. BI.OCKMANS, Typology of represcntative institutions m late medieval Europe, dans: Journal of medieval history 3. 1977.

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2 3 4 W P B l O ( K M A N S / P V A N P l T I C . l I I M

Aussi l'Union d'Utrecht qui vit Ie jour aprcs plus de deux années de fermen-tation des idees politiques au sein des assemblees d'Etats, se decompose-t-elle cncorc en une série de mesures communes a ce genre d'actes, et une serie de transactions pratiques de caractère occasionnel.

L'analyse d'actes constitutionnels nous a amenes ä nous poscr des questions au sujet de leurs auteurs, membres des assemblees d'Etats. Il est apparu que ces organcs ont joué un röle conservatcur au dela des constitutions, surtout dans les provmces restées officiellement catholiques. lis se sont boinés ä contmuer leur ligne de conduite traditionnelle pour la défense des droits établis. Malgré les transformations que subit l'orgamsation des Etats gêne-raux au cours de ces circonstanccs exccptionnellcs, ils n'ont pas reussi ä s'élever ä un niveau tel qu'unc politique coherente puisse y être élaborée sur la base de Papaisement des interets opposés. Cet echec se taxa par la division en deux groupes de provmces, par la Polarisation des Etats laiques dans les matières rehgieuses et par une influence accrue de l'administration centrale sur tous les aspects de la société. L'abscnce d'expénence dans Ie domame cxé-eutif au niveau étatique en était une des raisons. Les organes représentatifs restaicnt enferrnés dans les structures de leurs pnncipautés. L'honzon poh-tique des députés n'en dépassait pas encore les limites, malgré l'existence, dcpuis pres d'un siècle et demi, d'un etat centrahsateur. Un autre facteur expli-catif réside dans la composition sociale de ces organes, réglée par l'héreditc et la cooptation. Ces deux mécanismes de mutation mcnaient par excellence ä la stabilité et au conservatisme57.

57 PLU d'ttudes ont etc consatrces au retrutement et ,ui sMtus snci.il dans les assemblees

dTtats dans lts Pays-Bas Fondamtnult d(- tt point de vut rtstt H G KotNiGsatKC-tH, Pro pert) and the pnte rc\olution {Hainault, 1474-157?), dans Fst.ms and Revolutions Ithata 1971 pp 144-166

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