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Etat des lieux des violences sexuelles dont sont victimes les filles des rues de Kinshasa

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Etat des lieux des violences sexuelles dont sont victimes les filles des rues de

Kinshasa

Rapport réalisé par Patricia-Laure Pasche, psychologue clinique

"Ce qui n'est pas exprimé reste dans le cœur et peut le faire éclater".

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GLOSSAIRE 2

RÉSUMÉ ET AVANT PROPOS 3

CONTEXTE D’INTERVENTION 4

LA VILLE DE KINSHASA 4

LE PHÉNOMÈNE DES ENFANTS DES RUES À KINSHASA 4

LES FILLES ET JEUNES FEMMES DES RUES 6

LES CHIFFRES DE LA VIOLENCE SEXUELLE 7

LES STRUCTURES EXISTANTES 7

LES CENTRES APPUYÉS PAR MÉDECINS DU MONDE 8

MÉTHODOLOGIE 9

RÉSULTATS 11

DOCUMENTATION ET OBSERVATION 11

ENTRETIENS INDIVIDUELS ET TÉMOIGNAGES 11

LES MOMENTS INFORMELS AVEC LES FILLES 21

LES RENCONTRES AVEC LES FILLES LEADERS DE LA RUE 21

LES ENTREVUES AVEC LES INTERVENANTS EXTERNES 23

LA LIZADEEL 23

BISONABISO 24

LE CENTRE DE SANTÉ MENTALE DE TELEMA 24

L’HÔPITAL SAINT JOSEPH 25

LA SYNERGIE PROVINCIALE 25

LA COMMISSION TECHNIQUE : VIOLENCES FAITES AUX FEMMES 26

ANALYSE 27

LES VIOLENCES SEXUELLES 28

LE BAPTÊME 28

LA PROSTITUTION FORCÉE 28

LA PROSTITUTION 29

LES VIOLS ET LES VIOLS COLLECTIFS 29

LES AGRESSEURS 29

LA FRÉQUENCE 30

QUAND LES FILLES SONT-ELLES AGRESSÉES 30

POUR ALLER PLUS LOIN 30

RECOMMANDATIONS 32

SENSIBILISATION ET PLAIDOYER 33

SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE 34

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Glossaire

 Baptême ou accueil : rituel à l’arrivée dans la rue. Les filles nouvelles sont amenées par les sœurs yayas, puis elles sont tabassées, leurs affaires dérobées et elles sont violées collectivement par les pombas du site. Ce rituel peut durer plusieurs jours.

 Chercher l’argent, se promener la nuit : sous entendus se prostituer

 Écurie : bande de jeunes

 Kamuke : littéralement cela signifie « quelque chose de petit » en lingala. Dans notre contexte cela s’applique aux filles mineures.

 Leader : pomba ou yankee ou yaya responsable d’un site et qui a une influence avérée sur les enfants

 Love : c’est le petit ami, le conjoint

 Maman: une dame

 Mundele : un homme ou une femme à la peau blanche

 Passage : la passe

 Papa : un monsieur

 Pomba : délinquant à connotation négative. Pomba signifie « homme fort » dans l’argot de Kinshasa

 Rodage : la prostitution

 Shegué, phaseur : enfant de la rue

 Sœur yaya : sœur aînée

 Sur le terrain : partout où vivent les enfants des rues, par opposition au centre

 Vieux : tout homme plus âgé que l’enfant

 Yankee : quelqu’un qui est éveillé, respecté et craint par les autres. Plus réfléchit que le pomba

 Yaya : aîné (femme ou homme)

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Résumé et avant propos

Les silences et les tabous qui entourent les violences sexuelles renforcent l’isolement et la stigmatisation des victimes. La méconnaissance de ce que sont les violences sexuelles et de leurs conséquences physiques, psychologiques et sociales accentue la banalisation de tels crimes. Lorsque les victimes sont les filles des rues, cette indifférence est accentuées et ces agressions continuent à être perpétuées en toute impunité renforçant leur sentiment justifié d’impuissance. La banalisation de ces violences par la communauté, par les autorités, par les agresseurs implique que les victimes elles-mêmes normalisent ses actes. Ces violences deviennent monnaie courante lorsqu’on est une fille et que l’on vit dans la rue. Dès lors une prise en charge comprenant un volet de soutien psychologique semble nécessaire à la reconstruction de ces enfants. Mais une intervention individuelle seule ne permettra pas à la victime de se reconstruire, une approche multidimensionnelle semble être plus adaptée et plus efficace.

Le projet « enfants des rues » de Médecins du Monde à Kinshasa se spécialisant depuis deux ans dans la prise en charge des filles, il a été nécessaire pour cette organisation non gouvernementale (ONG) de s’y adapter au mieux. Le lien entre la problématique des violences sexuelles et les filles des rues était pressenti, mais aucunes données concrètes n’existaient permettant de se rendre compte de l’ampleur du phénomène. Ainsi, j’ai été mandatée en temps que psychologue afin d’effectué un « état des lieux » des violences sexuelles dont les filles des rues pourraient être les victimes.

Pour ce faire, je me suis rendue dans les deux centres que Médecins du Monde soutient afin d’y rencontrer les filles, de faire leur connaissance et de m’entretenir avec elles. Puis, des rencontres ont été également organisées avec divers intervenants externes afin d’obtenir une meilleure lecture de la problématique. De ces multiples conversations ont émergés les réalités crues et violentes que vivent les filles des rues, réalités qui doivent être connues et dont chacun devrait se sentir responsable. Une analyse des données obtenues ainsi que des recommandations sont proposées en fin de document.

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Contexte d’intervention

La ville de Kinshasa

La ville de Kinshasa compte 8 millions d’habitants originaires d'environ 450 ethnies, soit une densité de 753,63 Hab. /Km2. Ce nombre élevé de la population a été atteint à la faveur des années de guerre civile où on a assisté à un exode massif des populations pour des raisons sécuritaires et économiques. Naturellement, l’accroissement de la population et la paupérisation de masse ont eu pour conséquence sociale, la rupture des liens sociaux des familles.

Kinshasa est l'une des plus grandes villes d'Afrique, la plus grande de l’Afrique sub- saharienne francophone. Elle se situe au sud-ouest de la RDC, au bord de l’immense fleuve Congo, juste en face de Brazzaville, la capitale de l’autre Congo.

La ville s'étend sur environ 30 km de l'est à l'ouest et sur 15 km du nord au sud et couvre une superficie de 9965 km ².

La moitié de sa population est âgée de moins de 15 ans. Son taux de croissance est estimé à 6% par an avec une fécondité de 7 enfants par femme. La taille moyenne des ménages comprend entre 8 et 9 membres.

Kinshasa vivait il y a quelques années des dividendes des richesses minières du sous-sol du pays. Aujourd’hui, elle vit essentiellement du « secteur informel » (économie de survie). On évalue le taux de chômage de la population active à 80%. Plus de la moitié de la population kinoise vit en dessous du seuil de pauvreté.

L’augmentation vertigineuse de la population kinoise a entraîné de nombreuses conséquences : urbanisation anarchique, insuffisance du système de transports urbains, dégradation chronique du réseau routier urbain notamment dans les quartiers populaires, surpopulation, problème d’accessibilité des services et des institutions publiques pour les plus démunis.

Le phénomène des enfants des rues à Kinshasa

L’UNICEF dénombre 6 millions d’enfants vulnérables dans le monde. Parmi ceux-là, les

«enfants dans la rue », déscolarisés et souvent de familles aux faibles ressources, viennent dans la rue travailler, vagabonder, commettre des actes délinquants. Les « enfants des rues» sont eux en permanence dans la rue jour et nuit, pour travailler, mendier, se procurer de quoi survivre et dormir regroupés en bandes. La délimitation entre les deux notions, enfants dans la rue et enfants des rues, n’est pas aisée et certains de ces enfants passent facilement d’un état à un autre. Ces terminologies ont été mises en valeur lors du Forum de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire en mars 1985, préférées à celles péjoratives de

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Depuis les années 80 et surtout les années 90, le phénomène des enfants des rues s’est amplifié à Kinshasa en République Démocratique du Congo. Auparavant, les enfants traînant dans les rues étaient arrêtés, sur motif d’un décret s’appuyant sur une ancienne loi interdisant le vagabondage, puis « étaient rapidement déférés devant un juge et ensuite, ils retrouvaient leur famille ou étaient placés dans des institutions privées ou publiques ».

L’explication de l’arrivée des enfants des rues est multifactorielle. « Le conflit, les déplacements internes, le chômage, la pauvreté, la maladie, les frais de scolarité prohibitifs et une myriade d’autres facteurs sont à la base de l’augmentation du nombre d’enfants dans les rues de la RDC » spécifie l’ONG Human Rights Watch. Ces autres facteurs sont divers et nombreux : le délitement du système administratif et judiciaire, les pillages des entreprises et des sociétés dans les années 90, l’accusation de sorcellerie, la recomposition des couples suite aux divorces ou aux décès, et l’impact du VIH SIDA sur les familles.

Les enfants des rues souffrent d’une très grande stigmatisation au sein de la société congolaise. Peu d’acteurs s’aventurent à les soutenir. L’opinion publique kinoise, largement reprise par les médias, évoque des solutions radicales pour se « débarrasser » de ceux que l’on appelle les « shegués », ou encore « phaseurs », et les accusent de tous les maux (vols, prostitution, drogue...) tout en les exploitant pour de multiples tâches : gardiennage de voitures, cirage de chaussures…

Du fait de leur mobilité d’un lieu à un autre, la quantification du nombre d’enfants des rues n’est pas aisée. Un recensement a été effectué en octobre 2006 par le REEJER et l’UNICEF. Ce recensement indique que 18 098 personnes vivent dans la rue à Kinshasa. La tranche d’âge des personnes vivant dans la rue entre 18 et 21 ans représente 9,98% (n=1 807) de la population totale de la rue et la tranche des enfants des rues (de 0 à 18 ans) représente 77% (n=13 877) de cette population totale de la rue. Parmi ces 13 877 enfants des rues, la répartition par tranche d’âge montre que : la tranche d’âge des moins de 5 ans représente 766 enfants, soit 5% ; la tranche d’âge des 6 à 11ans représente 3 657 enfants, soit 26% ; la tranche d’âge des 12 à 18 ans représente 9 454 enfants, soit 69%. Les garçons des rues représentent 73,65% (n=10 220) et les filles 26,35% (n=3 657). Leur niveau de scolarisation est très bas puisque 20% n’ont jamais été scolarisés, 67% ont un niveau primaire et 13% niveau secondaire. 77% d’entre eux expriment le désir de quitter la rue et 23% qui pensent que la rue doit rester leur milieu de vie. Enfin, 48% d’entre eux ont déclaré avoir déjà été sensibilisés sur la prévention des IST et du VIH/SIDA.

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Les filles et jeunes femmes des rues

En 2008, l’équipe de Médecins du Monde à Kinshasa a réalisé un diagnostic pour mieux connaître et comprendre la situation des filles et jeunes filles des rues. Lors de la réalisation de ce diagnostic, l’équipe mobile de l’Aide à l’Enfance Défavorisée (AED) s’est rendue dans la rue la nuit, sur les sites du milieu ouvert qui sont les lieux de vie des filles et des jeunes femmes des rues. L’objectif de l’équipe était de savoir quelle est la proportion de filles parmi les personnes qui vivent dans la rue. Voici les principaux résultats :

 602 personnes on été contactées

 Parmi ces 602 personnes, 286 étaient des personnes de sexe féminin soit 48%

 Parmi ces 286 filles, 47% étaient des mineures de moins de 18 ans et 53% des adultes

 Parmi ces 286 filles, 32 filles étaient enceintes (moyenne d’âge 19 ans) soit 11%

 Parmi ces 286 filles, 81 filles avaient au moins un enfant (moyenne d’âge 21 ans) soit 28%

Les filles quittent leur famille le plus souvent pour des raisons économiques et vivent de la prostitution dans la rue. En se prostituant, elles peuvent gagner un peu d’argent et s’acheter de quoi nourrir leurs enfants, envoyer de l’argent dans leur famille et aussi acheter des produits de beauté. Elles sont très vulnérables face aux IST et au VIH/SIDA puisque certains clients n’hésitent pas à payer plus cher pour avoir une relation sexuelle sans préservatif.

En 2008 (de janvier à juillet 2008) l’équipe de Médecins du Monde et ses partenaires locaux ont suivis dans les centres d’accueil pour filles 76 filles enceintes. Par ailleurs, 67 filles ont été reçues en urgence dans leurs dispensaires et référés vers des hôpitaux pour une prise en charge médicale d’un avortement déclanché dans la rue (par des produits indigènes, des médicaments, des instruments…). L’avortement étant illégal en RDC, les filles commencent le processus abortif dans la rue et viennent se faire soigner au dernier moment quand il y a urgence médicale.

Les filles enceintes qui ont été suivies dans les dispensaires ont rarement respectés les rendez-vous pour le suivi. Nombre de filles accouchent dans leurs structures de références sans avoir eu une seule consultation pré natale. Lors de séances de sensibilisation ou de rencontres individuelles, l’équipe de Médecins du Monde a constaté que les filles n’ont pas une bonne connaissance de leur corps et qu’elles font rarement le lien entre le fait d’avoir ses menstruations et la possibilité de tomber enceinte. Par ailleurs, très peu de filles connaissent des moyens de contraception et encore mois les utilisent.

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Les chiffres de la violence sexuelle

D’après un rapport de la commission sectorielle de la Protection des enfants la « Synergie provinciale de lutte contre les violences sexuelles faites aux femmes, aux hommes, aux jeunes et aux enfants à Kinshasa » avance les statistiques des trois dernières années qui montrent une croissance des violences sexuelles de 598,13% pour les cas déclarés, soit 107 cas en 2005, 132 cas en 2006 et 640 cas en 2007. Ces données ne représentent qu’une infime partie de la réalité. Les raisons évidentes du faible taux de cas déclarés sont entre autre liées aux tabous, à la stigmatisation, à l’insuffisance de structures de prise en charge et à la faible sensibilisation sur l’existence de ces dernières, au manque de personnel qualifié, à l’impunité des agresseurs, etc. Les cas déclarés et enregistrés ne bénéficient pas totalement d’une prise en charge globale. La couverture de l’UNFPA (Fond des Nations Unies pour la Population) de certains volets de l’Initiative Conjointe (programme de l’UNFPA de lutte contre les violences sexuelles) s’avère insuffisante pour une prise en charge holistique.

En ce qui concerne plus spécifiquement les enfants des rues et d’après une étude menée à Lubumbashi par Mme Bashizi Mulangala1 de la Division des Affaires Sociales il a été révélé que le viol et la violence sexuelle sur les filles de la rue étaient omniprésents. Sur les cinquante filles qu’elle a interrogées, toutes avaient été victimes de viol. Mme Bashizi a découvert que des filles d'à peine huit ans avaient des relations sexuelles avec des hommes et des jeunes de la rue pour de l'argent, parfois pour manger, ou pour obtenir leur protection.

Elle a déclaré à Human Rights Watch: « Cela ne leur offre pas de protection absolue.

Beaucoup de filles sont encore violées par des plus âgés et dans certains cas, forcées d'avoir des rapports sexuels avec plusieurs à la fois. Les conséquences pour leur santé physique et mentale sont effroyables. »

Les structures existantes

Sur Kinshasa, l’UNFPA à travers la Synergie Provinciale de lutte contre les violences sexuelles dirigée par Jean-Richard Mutombo regroupe divers organisations non gouvernementales telles que la LIZADEEL, l’AREC, l’Organisation Congolaise des Droits de l’Homme (OCDH) etc2. Ces diverses institutions proposent une prise en charge psychosociale et juridique des victimes.

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Des numéros verts sont également mis à la disposition de la population. Des entretiens ont été réalisés avec certaines de ces structures afin de connaître le type de prise en charge proposée et sont retranscrits dans les résultats de cette étude.

Les centres appuyés par Médecins du Monde

En vue de rendre compte de l’ampleur des violences sexuelles dont les filles des rues sont victimes, le travail a été effectué dans les deux centres soutenus par Médecins du Monde et venant en aide spécifiquement aux filles.

Le premier centre soutenu par Médecins du Monde à ouvrir a été celui de l’ONG « Christ secours des faibles » au cours du mois de mai 2007. Cette ONG a été identifiée car elle a une longue expérience dans la formation professionnelle des filles en situation de vulnérabilité et elle est située dans une commune où il existe peu de structures d’accueil des enfants en situation de rue. Ce nouveau centre d’accueil de jour, LAESO2 (Lieu d’Accueil, d’Ecoute, de Soins et d’Orientation) fonctionne 6 jours sur 7 de 8 heures à 19 heures et est situé dans la commune de Bumbu. Le deuxième centre est celui de l’AED, Bomoyi Bwa Sika (BBS qui signifie « vie nouvelle »), qui a ouvert ses portes au début du mois de juin avec la même régularité que le centre LAESO2. En 2007, 366 filles des rues ont été accueillies en moyenne chaque mois à BBS contre 213 à LAESO 2. Depuis l’ouverture des centres, la fréquentation ne cesse d’augmenter tous les mois. Le centre BBS connaît une fréquentation très importante de part sa situation géographique. Il est situé au cœur de la ville, dans la commune de Lingwala où vivent de nombreuses filles de la rue.

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Méthodologie

1. La première démarche a été de prendre connaissance des divers documents à la disposition de l’équipe de Médecins du Monde à Kinshasa notamment sur la situation des enfants des rues, l’implication de Médecins du Monde dans la lutte contre les violences faites à la femme.

2. Ensuite, une période d’observation a été nécessaire pour mieux comprendre le contexte et pour s’imprégner des habitudes de vie des filles. Pour cela, j’ai passé du temps dans les centres afin de comprendre le comportement des filles. Nous avons partagé des repas, jouer, danser, bricoler et discuter ensemble. Ces moments informels m’ont permis entre autre de me rendre compte de la différence entre leur comportement en groupe et leur comportement en entretien individuel ainsi que de créer une relation de confiance.

3. À la suite de cette immersion, des entretiens individuels ont été proposés aux filles qui le désiraient. En tout 64 entretiens d’une heure en moyenne par fille ont été réalisés.

Dans chacun des deux centres (BBS et LAESO 2), les entretiens se sont déroulés dans une salle d’écoute à part, la plus calme possible, la porte fermée et en présence d’une éducatrice du centre, intermédiaire et collaboratrice indispensable afin notamment de palier aux problèmes des différences de langue et de culture. Ces deux précieuses collaboratrices ont été choisies en fonction de leur formation et de leur aptitude d’écoute et de leur lien privilégié avec les filles. A chaque entretien était précisé à la fille : la clause de confidentialité, le but de l’entretien, son droit à ne pas répondre si elle ne le veut pas, son droit de nous poser des questions à son tour. Il lui était également précisé qu’elle pouvait exprimer ses émotions sans peur d’être jugée, qu’elle était en sécurité, qu’on était là pour l’écouter et pour tenter de la comprendre. Si la fille semblait mal à l’aise ou anxieuse des petits exercices de relaxation par la respiration étaient effectués.

Les entretiens commençaient généralement par une plusieurs questions d’ordre général comme l’âge, la position dans la fratrie et la situation familiale plus générale. Puis, petit à petit, des précisons sur les causes du départ dans la rue étaient demandées et ensuite l’entretien se déroulait en fonction de la dynamique de la discussion. Le plus systématiquement possible et en fonction de l’interaction et de la capacité de la fille à se dévoiler, des indications concernant les violences sexuelles dont elles auraient pu ou pourraient encore être les victimes était abordés. Au cours des entretiens, des éléments supplémentaires tels que le fait d’être forcée à la prostitution ou le fait d’avoir subit un baptême à l’arrivée dans la rue nous était livrés. Ainsi ces informations ne sont pas

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parlent spontanément ou lorsque l’on estime que la fille est assez à l’aise pour qu’on lui pose la question.

Les entretiens ont été menés avec empathie et basés sur l’écoute active, des outils tels que le recadrage (de la situation), la normalisation (de leurs réactions), la déculpabilisation et déresponsabilisation de la victime, la non banalisation des violences sexuelles qu’elles ont subies, la reconnaissance des ressources personnelles, la valorisation, les félicitations et les encouragements ont été utilisés.

4. En plus de ces rencontres et entretiens diurnes, des sorties nocturnes avec l’équipe mobile dans les sites que les filles fréquentent ont été effectuées. Ces visites sur leur lieu de travail ont permis une meilleure visualisation des conditions dans lesquelles les filles travaillent ainsi que de rendre compte de l’atmosphère régnant dans ses divers sites.

5. Parallèlement, des entrevues avec les sœurs yayas qui sont les aînées de la rue en contact permanent avec les enfants ont été planifiées. Ces rencontres ont été planifiées afin d’avoir un point du vue plus global et de savoir quelle est la position de ces aînées et leur implication dans l’exploitation sexuelle des plus jeunes.

6. Afin d’affiner la perception de la problématique, diverses structures prenant en charge les victimes de violences sexuelles ont été contactées. L’objectif de recueillir des informations auprès de ces structures était de prendre connaissance de la perception des violences sexuelles par la population générale mais également de rendre compte de ce qui se fait à Kinshasa en matière de soutien aux victimes ainsi qu’en matière de santé mentale. Des entretiens avec l’équipe de La LIZADEEL qui est la Ligue de la zone Afrique pour la défense des droits des enfants et des élèves, puis une visite à BISO NA BISO qui est un volet du projet VIH/SIDA de Médecins sans Frontière à Kinshasa ont été effectués.

De plus des entrevues ont été réalisées avec Monsieur l’Abbé Mpundu psychologue du centre de santé mentale TELEMA ainsi qu’avec le Docteur Valérie Empamposa de l’hôpital Saint Joseph. En complément à cela, la participation à des réunions de la synergie provinciale de lutte contre les violences sexuelles faites aux femmes, aux hommes, aux jeunes et aux enfants à Kinshasa ainsi qu’à une commission technique dont le thème était les violences faite aux femmes organisée en septembre par Médecins du Monde ont complétés notre vision de cette problématique.

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Résultats

Documentation et observation

Les observations de terrain ont renforcé les constats faits dans les documents dont dispose Médecins du Monde en ce qui concerne la vulnérabilité des enfants des rues mais aussi le manque d’informations et de reconnaissances des filles des rues comme étant des victimes de violence.

Entretiens individuels et témoignages3

Sur les 64 filles rencontrées individuellement :

 57 filles ont déclaré se prostituer (89%) avec une moyenne d’âge de début de la prostitution à 12 ans et demi

 52 filles ont déclaré avoir été au moins une fois dans leur vie victimes d’un viol collectif (81%)

 28 filles ont déclaré être victimes d’esclavage sexuel/de prostitution forcée (44%)

 15 filles ont déclaré avoir été victime d’un baptême d’arrivée dans la rue soit 23%

d’entre elles. Ces filles sont souvent très jeunes (entre 11 et 12 ans) quand elles sont victimes du baptême.

 Le profil des agresseurs sont en premier lieu les Pombas, viennent ensuite les policiers et militaires puis les hommes du quartier et enfin les autres jeunes du quartier.

 Les filles qui ont été violées déclarent être violées parfois jusqu’à 3 fois par semaine Outre les informations précédentes, les entretiens individuels ont permis une mise à jour de la sensibilité et des traumatismes effectifs de certaines victimes. Comme cela sera discuté plus bas, certaines filles, une fois seules et face à leur évocation des crimes subis, baissent leur garde et laissent paraître leurs émotions. Nombreuses d’entre elles se sont misent à pleurer ou ont montré des signes clairs de tristesse profonde, elles ont laissé tomber le masque qu’elles portent au quotidien. D’autres plus endurcies, nous ont parlé avec détachement de ce dont elles sont victimes, avec une forme de résiliation. Ces éléments seront discutés plus bas.

Parmi les 64 témoignages recueillis lors des entretiens individuels avec les filles, 8 ont été sélectionnés en fonction de leur représentativité sur les difficultés rencontrées par les filles des rues. Ces entretiens sélectionnés permettent de rendre compte des diverses situations décrites par les filles, de la façon dont elles les vivent et de la violence qu’elles

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d’introduction de chaque témoignage la situation familiale et les raisons du départ dans la rue et évidemment les aspects de violences sexuelles ont été mis en évidence. Nos interventions et les informations moins pertinentes ont été enlevées. Les dires des filles ont été mis entre guillemets.

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Témoignage d’Emilie :

Emilie est une jeune fille de 14 ans, elle a suivi l’école normale jusqu’en 6ème primaire, elle parle le lingala mais aussi le français. Cela fait 3 ans qu’elle vit dans la rue.

Sa maman est morte alors qu’elle n’avait que 10 ans d’une maladie du cœur. Son papa est militaire à Kinshasa. A la mort de sa femme, il s’est rendu dans une église où il lui a été dit que sa fille était responsable de la mort de sa femme, qu’elle était une sorcière. Emilie a beaucoup pleuré et elle s’est enfuie car son papa a commencé à la maltraiter et à la battre. Emilie a 7 frères et sœurs, ils sont tout partis vivre dans la rue sauf la petite dernière qui est restée à la maison.

À l’âge de 11 ans, Emilie qui était encore vierge, s’est retrouvée parachutée dans le monde de la rue. Elle a dû trouver de l’argent et pour cela elle a commencé à se prostituer. Elle se rend dans diverses boîtes de nuit ou elle travaille dans la rue. Emilie va avec 10 hommes par nuit. Elle gagne 2000 FC par homme. Les hommes qui couchent avec elle sont des papas. Quand elle travaille, elle le fait toujours avec une capote. Elle a un love depuis une année avec qui elle couche sans capote, elle s’arrange pour ne jamais le faire durant sa période d’ovulation comme le lui a expliqué l’infirmière.

Quand elle cherche l’argent, elle est la proie des militaires et des yayas. A diverses reprises, elle a été la victime de tentative de viol et elle se fait tabasser régulièrement. Elle nous raconte que cela arrive souvent, environ 3 fois par semaine. Les viols collectifs sont très souvent accompagnés par beaucoup de violence physique. Il y a 3 semaines, elle a été opérée de l’appendicite. Suite à l’opération elle s’est fait prendre de force par plusieurs yayas et cela a causé tellement de dégâts qu’elle a dû se rendre d’urgence à l’hôpital. Elle est constamment dérangée la nuit par les militaires et les yayas, elle doit pourtant faire attention à cause de cette récente opération.

Elle me dit beaucoup souffrir dans son cœur de la mort de sa maman, aujourd’hui elle a tout perdu.

Elle nous raconte comment elle a désinvesti complètement son corps, que « c’est juste le seul moyen qui lui reste pour survivre, elle couche machinalement ». Elle nous dit qu’elle se sent triste, menacée et qu’elle a peur. Chaque fois qu’elle couche avec un homme pour de l’argent ou parce qu’elle se fait prendre, elle est dégoûtée, elle se sent sale. Elle a peur des militaires, des yayas et des papas qui la prennent de force. Elle voudrait arrêter la prostitution, elle n’aime pas cela et voudrait reprendre ses études mais elle n’a pas d’argent pour payer les frais scolaires.

Ses sœurs plus grandes se prostituent aussi à Kinshasa. Ses frères travaillent à Brazzaville, ils cherchent l’argent en faisant des petits boulots et en se prostituant aussi parfois.

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Témoignage de Sublime :

Sublime est une jeune fille de 16 ans. Elle semble sous l’effet du valium. Elle a un piercing au nez, les cheveux bicolores, des tatouages, un brillant sur une de ses incisives supérieures, les ongles à ½ dévernis par l’usure et des avants bras complètement lacérés de cicatrices.

Son papa est militaire et a beaucoup d’argent. Puis un jour, son papa a commencé à fréquenter une autre femme et très rapidement elle est venue vivre dans leur foyer. Quelques temps plus tard, ses parents se sont séparés et sa maman est partie vivre au Bas Congo. Sublime est restée avec son papa et la marâtre qui a commencé à la taxer de sorcellerie, à la tabasser et la menacer de mort. Pour finir la marâtre l’a jetée dehors dans la rue.

[Sublime parle lentement et articule difficilement, elle a les yeux mi-clos et les yeux luisants] Sublime est revenue plusieurs fois à la parcelle de son père, mais à chaque fois elle s’est faite tabassée et insultée. Une fois, la marâtre l’a tabassée avec une machette. Elle a dix ans et part vivre dans la rue. Elle ne sait pas où dormir. Elle demande à un passant où se trouve le marché de N’djili. Au début, elle y récolte les braises qui tombent des camions et les revend. Puis elle rencontre un papa près d’une voiture abandonnée qui lui montre comment se droguer : chanvre, whiskey, Valium, cigarettes. Un soir, elle croise 3 garçons inconnus qui l’appellent, elle ne veut pas y aller car elle ne les connaît pas, ils la droguent, lui ravissent tous les habits qu’elle a sur le corps et la violent collectivement. Et cela a continué comme cela durant trois années, viols collectifs et drogue. Elle a 13 ans. À bout de force, elle quitte N’djili pour le marché central. Elle y rencontre une amie qui lui dit qu’elle va l’emmener dans un endroit où elle sera bien. En chemin, elles rencontrent une yaya qui s’appelle Tania. C’est la leader du marché central, elle a les avant bras complètement lacérés de grosses cicatrices. Tania prend Sublime en charge. Sublime devient sa kamuke. La journée Sublime fait tout ce que Tania ne veut pas faire, elle lave ses affaires, va lui chercher à manger, etc. et tous les soirs, Sublime va chercher l’argent avec des vieux papas pour ensuite le donner à Tania. Un jour une maman s’est adressée à Tania pour lui dire que Sublime était encore trop petite pour chercher l’argent et le soir Sublime s’est faite tabassée très fortement. Petit à petit, Sublime s’est « habituée à cette vie de phaseur ». [Sublime a les larmes aux yeux.] Cela a duré très longtemps, jusqu’à ce que Tania ait son premier enfant et qu’elle quitte le marché central pour Victoire. Puis, Sublime a commencé à se prostituer de manière indépendante. Elle travaille essentiellement dans les boîtes de nuit. Elle fait environ 4 hommes par nuits, 1500 FC (3 dollars) par passage.

La nuit, elle se fait souvent voler son argent et se sent en danger. Elle nous dit que « la nuit il faut toujours essayer de trouver un endroit caché ou alors où il y a des gardiens, car sinon les militaires t’arrêtent et te demande de l’argent pour te libérer ». Elle continue en nous disant que « si tu n’en as pas ou si tu ne veux pas le leurs donner, ils te prennent de force et ensuite volent ton argent ». Elle nous raconte ensuite que les militaires et les policiers ne sont pas les uniques agresseurs. « Quand tu dors, les pombas, te coupent ton slip et te prennent de force ». Elle nous dit que « cela arrive souvent, toute la semaine et qu’ils ne portent pas de préservatif ».

Tout cela lui fait très mal, elle est en colère contre son papa et souhaite sa mort. [Elle pleure]

Les lacérations qu’elle a sur les avants bras, elle se les fait elle-même, elle se drogue et se coupe avec des tessons de bouteille, quand elle voit le sang, elle ressent une grande colère et perd le contrôle. Elle se coupe car elle n’a plus d’espoir, elle n’a plus de père. [Sublime pleure à grosses larmes]

Elle a un but, c’est de se trouver un homme qui s’occupe d’elle et qui l’aime.

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Témoignage de Bijoux :

Bijoux a 16 ans, elle a été à l’école normale jusqu’en 6ème primaire. Elle est grande, élancée et parle d’une voie douce. Cela fait 3 ans qu’elle est dans la rue.

Sa mère est morte quand elle avait 7 ans. Son papa est parti en voyage en Angola avec son grand frère et ils ne sont jamais revenus. Elle est restée avec son petit frère Luca chez une tante paternelle. Luca est mort quelque temps plus tard du paludisme. Pendant quelque temps, son père envoyait de l’argent à sa sœur afin de payer les frais de scolarité et la nourriture. « Il y avait de l’amour ». Puis quand il n’a plus envoyé de l’argent, « il n’y a plus eu d’amour et plus de scolarité ». Bijoux ne supportant plus la maltraitance constante de sa tante, elle a commencé à fréquenter une amie de la rue et petit à petit, elle s’y installe avec elle.

Pour survivre, elle se promène la nuit, elle va chercher l’argent. Elle va avec 6 hommes parfois plus, cela dépend aussi du nombre de préservatifs qu’elle reçoit. Elle se prostitue depuis son arrivée dans la rue. Elle s’est aussi fait prendre de force par des policiers, des soldats et des yayas. Elle nous dit que « cela arrive souvent, que cela arrive chaque soir ». Elle se sent en insécurité, elle a peur et se sent toujours menacée. Elle a toujours peur de se faire prendre de force. Elle a peur des hommes, des chiens, du noir.

Bijoux a un love qui vit aussi dans la rue. Cela fait une année qu’ils sont ensemble. Elle n’a jamais eu d’enfant et n’est jamais tombée enceinte.

Puis Bijoux nous raconte le baptême auquel elle a eu droit à son arrivée dans la rue. Ses habits ont été déchirés, elle s’est faite rasée la tête, ils ont fait fondre des sachets en plastique sur sa peau puis elle a été prise de force par tous les pombas présents dans le site. Ensuite elle a dû partir chercher l’argent, à son retour, l’argent lui a été enlevé et elle a été tabassée. Ça duré une ou deux semaines. « Les hommes passent à la suite, les uns après les autres jusqu’à ce qu’ils soient tous passés, c’est ça, le baptême ! Cela arrive chaque fois que tu es nouvelle dans un site. » Ensuite Bijoux nous raconte qu’ « il arrive que les sœurs yayas te demandent d’aller leur acheter quelque chose mais elles ne te donnent pas assez ou pas du tout d’argent, tu dois alors te débrouiller pour trouver l’argent et donc coucher avec des hommes ».

Elle nous dit que ce qu’elle désire le plus c’est un endroit sûr pour dormir.

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Témoignage d’Evelyne :

Evelyne est une jeune fille très jolie et souriante de 14 ans. Elle a les yeux maquillés, porte des boucles d’oreilles, les cheveux courts et des bracelets colorés aux poignets. Elle porte un pagne et une chemise claire.

Elle vit depuis 3 ans dans la rue.

D’emblée elle nous dit que « la nuit c’est dur, elles ne savent jamais où dormir en sécurité, elles sont constamment dérangées, les pombas leur arrachent l’argent et les tabassent. »

Elle est née à Kinshasa. Elle a 4 sœurs et un frère. Son père vit en province de Bandundu et sa maman à Kinshasa. Quand ses parents se sont séparés, son père et sa mère se sont remariés chacun de son côté. Elle est allée vivre avec sa maman. Un soir où sa maman était absente, le frère du nouveau mari de sa mère, a tenté de coucher avec elle. Elle a refusé et elle a tout raconté à sa maman dès son retour. La maman ne l’a pas crue et les insultes ont commencé et elles sont devenues quotidiennes. Elle a décidé de partir vivre dans la rue. Les premiers jours au grand marché, elle lavait les assiettes et puisait l’eau avec des amies. Elle gagnait 500, 700 ou 1000 FC (environ de 1 à 2 dollars). Elle nous raconte « que la nuit au grand marché c’était dur, les yayas commencent par arracher les cartons sur lesquels tu dors, puis ils te coupent les cheveux, te volent les babouches, ton argent et te tabassent sérieusement » (elle nous raconte s’être faite casser la mâchoire une nuit). Elle continue en nous racontant qu’ « ensuite les pombas te touchent partout même sur le sexe pour te prendre ton argent et comme personne n’intervient, ils te prennent de force, ils viennent brusquement et te prendre de force et cela arrive un jour oui, un jour non, en tout cas plusieurs fois par semaine ». Elle nous dit qu’à 11 ans, elle a perdu sa virginité, violée par 3 pombas au grand marché. « Si tu ne trouves pas un abri sûr pour y passer la nuit tu peux être sur qu’ils vont te trouver et te prendre de force ». Elle nous raconte que très vite quand elle est arrivée dans la rue, elle est devenue la kamuke des yayas du grand marché. Quand la nuit tombe, elles l’habillaient avec leurs habits, la coiffaient pour qu’elle soit jolie et elles l’envoyaient chercher l’argent à leur place. Une yaya l’accompagnait, quand un client arrivait, elle prenait l’argent, lui donnait un préservatif et attendait qu’elle revienne pour la renvoyer avec un autre client. Elle nous dit qu’en échange elle lui avait promis de la protéger contre les pombas mais ce ne fût pas le cas. Quand elle se retrouvait seule, les pombas la tabassaient et la prenaient de force quand même. Après deux mois, elle a fuit et elle a fréquenté divers centres fermés. Ensuite, elle est retournée dans la rue et au grand marché. Une fois là-bas, les sœurs yayas ne l’avaient pas oubliée et Evelyne avait, selon elles, accumulé des dettes durant son absence comme elle n’avait pas travaillé. Elle a dû ainsi recommencer à être leur kamuke et cela durant un mois environ. Elle nous dit qu’ensuite elles sont devenues ses amies. Elle a continué à chercher l’argent mais elle gardait les bénéfices ces fois-ci.

Aujourd’hui elle continue à se faire voler son argent et prendre de force par les pombas. Chaque nuit, elle doit à nouveau tout recommencer depuis zéro. Le jour il n’y a pas de problème, elle fréquente le centre BBS mais que la nuit « c’est la souffrance totale ». Elle nous précise que « se ne sont pas que les pombas le problème, mais aussi les soldats ». « Ils font des patrouilles la nuit et ils demandent à être soulagés, si tu les croises, tu dois les soulager tous car sinon tu finis au cachot ou alors il faut que tu aies de l’argent à leur donner ». Elle conclu en nous disant que « si tu ne croises pas les soldats la nuit, tu croises les yankees, les pombas et cela presque chaque soir quand tu sors ».

Elle dort toujours au marché central, mais elle ne dort pas bien, elle somnole toujours et se réveille et somnole à nouveau. Elle veille jusqu’au plus tard dans la nuit. Le lendemain, elle est toujours très fatiguée et elle dort la journée au centre.

Elle nous dit que si on lui avait montré à la télévision ce que serait sa vie dans la rue elle n’y serait jamais allée.

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Témoignage d’Annie :

Annie a 14 ans. Elle a les cheveux bien tressés, elle est mince, jolie et elle est habillée en rose. Elle a tatoué entre les deux yeux un point noir. Elle est née le 16 mars 1994 à Kinshasa. Elle a 4 frères et une grande sœur.

Ses parents vivent encore à Kinshasa. Annie a déjà été réinsérée en famille mais elle est repartie dans la rue depuis une semaine. Avant sa réinsertion, elle a vécu environ une année dans la rue.

Elle avait 12 ans quand elle est partie vivre dans la rue. Elle y est partie car sa maman voyageait beaucoup et elle ne s’occupait pas bien de ses enfants. Elle était très souvent absente et laissait la grande sœur prendre en charge le reste de la famille. Sa grande sœur quittait souvent le foyer. Petit à petit, Annie a commencé à vivre dans la rue.

Le premier site qu’elle fréquente est le marché de Gambela. Elle nous raconte que « quand tu es nouvelle dans la rue c’est difficile ». Elle enchaîne : « tu dois être présentée aux yankees, ils te ravissent les vêtements, les babouches et ton argent, ensuite, ils te violent, tous ». Elle ajoute que « tu n’es pas tranquille après, tu dois chercher l’argent pour les sœurs yayas et le leur donner ». Annie cherche l’argent depuis qu’elle est arrivée dans la rue. Elle nous raconte que souvent quand elle baisse la garde et essaie de dormir, elle se fait prendre de force par plusieurs personnes, des papas ou des yankees. Elle est tous les jours en danger.

Elle nous raconte qu’ « avec les policiers, c’est autre chose, ils te demandent de coucher en échange de protection ou d’autres services rendus ». Annie nous explique que « chaque fois qu’ils interviennent, ils t’emmènent ensuite derrière une maison et te prennent de force ». Elle nous donne un exemple « l’autre jour, un yankee l’a bloquée par terre et a commencé à la toucher pour la prendre de force, alors elle a crié très fort et un policier est intervenu. Ensuite le yankee lui a crié qu’il la retrouvera et qu’elle devra le satisfaire tôt ou tard ». Pour finir, elle a été obligée de soulager le policier car elle lui est redevable.

Elle ne comprend pas pourquoi « le jour elle est encadrée au centre jusqu’à la tombée de la nuit et ensuite le centre la condamne, la jette dans la rue et l’oblige à chercher l’argent ». Elle nous dit que « le jour elle est très fatiguée et qu’elle ne peut rien faire, pourtant elle aimerait étudier ou faire un apprentissage mais elle est trop fatiguée. »

Elle ne dort pas bien, car elle a peur. Elle nous donne l’exemple de cette nuit. Elle dormait et elle a été réveillée en sursaut par les cris d’une de ses amies. Un yaya était en train de la prendre de force.

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Témoignage de Rosalie :

Rosalie se présente à nous avec un gros pansement sur le crâne. Cette blessure lui gonfle la tête et un peu du visage. Elle a les cheveux courts, la moitié de sa tête est rasée (à cause de la blessure) et elle a tatoué un point noir entre les deux yeux. Elle est allée à l’école jusqu’en 6ème primaire, elle comprend et parle un peu le français. Durant tout l’entretien elle essayera de communiquer avec nous en français.

Elle a 14 ans et est née à Lubumbashi. Elle a un frère. Son papa est mort il y a longtemps et sa maman vit à Kinshasa. Elle vivait avec son frère et sa mère à Kinshasa, mais à l’occasion du nouvel an, elle s’est fâchée avec sa maman car elle ne voulait pas lui acheter des nouveaux habits. Elle reconnaît avoir été très insolente et méchante envers sa mère. Elle a rencontré une autre fille qui avait vécu la même situation avec sa propre mère et ainsi elles ont décidé de partir ensemble vivre dans la rue.

Elles étaient sur le site de Masina près de l’aéroport, quand une sœur yaya leur a expliqué qu’elles doivent chercher l’argent pour elle, si elles veulent être protégées. Rosalie est devenue sa kamuke, elle avait 12 ans.

Comme elle était vierge en arrivant dans la rue, la yaya l’a louée à un vieux papa afin qu’il la dépucelle. Il a payé 30 dollars à la yaya et il a pris Rosalie de force. Ensuite, elle a commencé à chercher l’argent pour cette yaya.

Elle est restée plusieurs mois dans la commune de Masina avec cette sœur yaya. Ensuite, elle s’est échappée pour le marché de Gambela à Kasavubu avec une autre fille de son âge. Elle n’a pas cherché l’argent tout de suite car elle avait peur des vieux papas qui la nuit, si elle refuse de coucher avec eux, la tabassent très fort et ensuite la prennent de force quand même. « La nuit, il faut te cacher… si les policiers voient des phaseurs, ils te volent l’argent et te prennent de force sur place cela arrive souvent ou alors ils t’emmènent au cachot, te volent l’argent, te tabassent et finissent par te prendre de force. Puis au matin avant de te relâcher, ils te font faire le ménage, tu es obligée de balayer. »

Elle continue en nous expliquant qu’ « avec les yankees, ça se passe comme ça : à partir de 4 heures du matin, ils savent que, les filles phaseur comme nous, cherchent l’argent, alors eux nous cherchent et nous trouvent, nous enlèvent les habits, les babouches et l’argent et ils couchent avec nous. » Elle nous raconte qu’une nuit, elle avait bu du whiskey et à son réveil, elle a vu un yankee en train de remonter son pantalon.

Elle s’est touchée le bas du ventre et il était plein de sperme.

Rosalie parle sans s’arrêter et elle surenchérit : « il arrive aussi que les militaires demandent le passage mais en fait ils ne payent pas et te prennent de force puis ils t’envoient travailler dans les champs en dehors de la ville ». Elle nous dit que c’est difficile, ça lui fait mal au cœur, elle regrette d’avoir quitté la maison. Elle ne dort pas bien et est toujours cachée. Elle nous parle alors de sa blessure à la tête et nous raconte qu’avant-hier,

« un papa qui cherche souvent à coucher avec elle », l’a trouvée endormie sur un étalage au marché. Il a essayé de la prendre de force, mais elle ne s’est pas laissée faire alors il l’a tapée avec un bâton sur la tête.

Elle a passé toute la nuit avec sa plaie ouverte et au matin un garçon l’a emmenée à l’hôpital. « Tout cela arrive souvent la nuit ».

Elle se sent chaque jour en danger. Elle aimerait rentrer en famille, mais ils sont beaucoup chez elle. Elle veut étudier la couture ou l’esthétique.

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Témoignage de Judith :

Judith a 19 ans. Elle se présente dans la salle d’écoute emballée dans deux bouts de pagnes, en soutien- gorge. Elle est née à Kinshasa et est allée à l’école jusqu’en 4ème primaire. Elle comprend un peu le français.

Elle a deux frères et deux petites sœurs. Ses parents ont divorcés, sa maman est partie et son papa est resté à Kinshasa avec les enfants. Très vite il a dû être envoyé en mission (car il était militaire). Le papa a laissé Judith et ses frères et sœurs chez leur grand-mère maternelle. Son père envoyait régulièrement de l’argent à la famille mais les enfants se querellaient souvent. Petit à petit, les tantes et la grand-mère ont commencé à maltraiter Judith et ses frères et sœurs en ne payant plus les frais scolaires, en les taxant de sorcellerie et en les tabassant. Afin que les coups cessent Judith a avoué être une sorcière et elle s’est faite chassée du foyer.

Ils sont partis avec son grand frère vivre dans la rue.

A son arrivée sur le terrain, elle se fait tabasser et son bras a été cassé. Elle est partie seule vers Victoire à Pont Gabi où vit son « homonyme » (elle me raconte qu’à sa naissance sa maman lui a donné le prénom qu’elle porte en honneur de cette femme). Cette « homonyme » l’a aidée à fixer son bras. Une fois rétablie, Judith est repartie chercher son frère dans la rue avec l’objectif de rentrer en famille. Elle l’a cherché mais ne l’a pas trouvé. Elle décide alors qu’elle ne veut plus rentrer à la maison et préfère rester dans la rue.

Judith à 7 ans.

Le premier site qu’elle a fréquenté a été le marché de Bitabe. Pour vivre, elle ramassait les légumes et les maïs tombés des étalages du marché. Elle les lave et les revend. Elle vend aussi des braises. Elle travaille aussi pour les yayas qui l’envoient acheter des articles sans lui donner d’argent ou alors quand il pleut, elles l’envoient acheter des cigarettes et si les cigarettes se mouillent, Judith doit s’arranger pour en racheter ou leur redonner 3 fois le prix initial des cigarettes. A l’âge de 12 ans, elle quitte le marché de Bitabe pour celui de Gambela. A son arrivée dans ce nouveau site, elle se fait prendre de force et elle est dépucelée. Les yayas lui volent ses babouches, ses habits et elles lui remettent une mini-jupe. Elle change de profession. Elle commence à chercher de l’argent avec les hommes pour le compte des sœurs yayas.

Ensuite elle nous raconte que « souvent quand tu croises un type qui t’appelle pour un passage, tu t’en approches et en fait ils sont 4, 5 cachés et ils te prennent de force et ne te payent pas, au contraire ils te volent aussi ton argent… dans la rue, ils t’obligent à coucher… chaque jour… chaque jour ! »

Ensuite, elle est allée à Pompage dans un centre qui très vite a dû fermer ses portes alors les filles ont été dispersées et le site n’a pas duré. Là-bas, elle a eu un love qui l’a engrossée, mais elle l’a fuit et quitté Pompage, elle avait 17 ans.

Puis ce fut le rond point de Ngaba, elle était grosse et y a accouché de son enfant. Elle a laissé son enfant à la famille de son love. Son bébé a aujourd’hui 1 année et 4 mois, c’est un garçon qui s’appelle Marc et elle va le voir chaque dimanche.

Et nous dit que « la nuit tout est bizarre, il n’y a pas de bonnes choses ». Les soldats les chassent, les poursuivent, les arrêtent, les brutalisent et les prennent de force. Les yayas aussi les prennent de force, à plusieurs, elle nous raconte que « pour dormir, elle prend du Valium, alors des yankees et des vieux la prennent de force quand elle est à moitié endormie, parfois à 2, 3, 4… 7 … 10, à la suite! Et cela arrive toutes les nuits. »

Elle se sent triste, elle est touchée, elle raisonne beaucoup et s’isole des autres. Elle a peur la nuit. Elle n’a plus envie de rester dehors, mais elle ne sait pas quoi faire car elle a été taxée de sorcellerie par sa famille qui la rejette et elle est montrée du doigt dans tout son quartier. Elle a beaucoup de colère contre sa famille.

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Témoignage de Selin :

Selin est une jeune fille de 13 ans. Elle comprend bien le français, elle a été à l’école normale jusqu’en 6ème primaire. Elle a un joli sourire, la tête à demi tressée avec de la laine. Elle parle doucement. Elle vient d’une famille de 8 enfants. Ses parents ont quittés leur village en Equateur et ont l’on laissée avec sa grand-mère à Kinshasa. Quelques temps plus tard, sa grand-mère a dû partir pour le village, ainsi Selin s’est retrouvée chez sa tante maternelle. Là-bas, son oncle l’a sollicitée afin qu’elle ait des rapports sexuels avec lui. Elle a refusé et a dû partir de la maison. C’était il y a une année environ, elle avait 12 ans.

Les premières nuits, elle les a passées dans une église voisine [Selin se met à pleurer à grosses larmes].

Alors elle nous raconte qu’ « un soir vers 24h alors que plus personne ne se trouvaient à l’intérieur de l’église, 5 garçons qui priaient lui ont bandé la bouche et l’ont violée ». Selin était vierge. Ensuite, ils l’ont tabassée, blessée dans le dos avec un tesson de bouteille, elle a eu des vertiges et a perdu connaissance. À son réveil, elle se rappelle avoir pleuré jusqu’à l’arrivée du pasteur au petit matin. Il a constaté son état, mais les garçons n’étaient plus présents. [Selin continue de pleurer à grosses larmes]. Au matin elle décide de quitter cette église par peur que cela ne recommence. Elle trouve une église avec plus de mamans. Malheureusement, elle ne peut y rester. Elle décide donc de rentrer à la maison et de demander pardon, mais son oncle refuse qu’elle revienne. Elle nous dit « de beaucoup souffrir dans son cœur, car elle voulait vraiment se marier vierge, elle a très mal d’avoir été dépucelée par cinq garçons » [Selin continue de pleurer en nous parlant]. De surcroît, elle a été violemment blessée au dos et également dans son ventre, elle saignait continuellement. Elle a dû être accompagnée à l’hôpital. C’est son amie, Caroline qui a payé pour qu’elle puisse y aller. A sa sortie de l’hôpital, Selin est allé vivre dans la famille de Caroline et toutes les nuits elle retourne y dormir.

Elle nous dit « avoir très peur à l’idée que cela ne recommence ». Elle a peur des hommes quand ils l’interpellent dans la rue et elle en tremble. Elle ne sort jamais à la tombée de la nuit.

Depuis la perte brutale de sa virginité, elle n’a plus jamais couché avec aucun homme. Elle ne cherche pas l’argent, même si elle a très faim ou que ses habits sont abîmés.

Elle vient au centre BBS chaque matin pour se laver et laver ses habits et le soir rentre dormir dans la famille de Caroline à l’abri.

Elle nous dit attendre le retour de sa grand-maman, qu’elle espère pouvoir rentrer en famille avec elle et reprendre ses études.

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Les moments informels avec les filles

De manière générale, l’attitude des filles en groupe diffère considérablement de l’attitude qu’elles ont lorsqu’elles se retrouvent seules avec nous dans la salle d’écoute ou ailleurs.

En groupe les plus extraverties sont provocantes, directes et « rentre-dedans ». Elles paraissent à l’aise, elles dansent entre elles et miment l’acte sexuel, elles nous apprennent des façons de se saluer « à la pomba » qui se terminent par une analogie de l’acte sexuel.

Bref généralement les comportements sont désinhibés et les filles affichent une apparente décontraction quant à aux sujets rattachés à la sexualité. Les plus réservées le sont encore plus en entretien individuel. Dans les centres, les différences hiérarchiques entre les plus jeunes et les plus expérimentées sont respectées. Si une sœur yaya le désire, elle peut très bien prendre la place de la plus jeune dans son activité, prendre sa nourriture, etc. La vie de groupe est une composante très importante pour ces filles que ce soit à l’intérieur des centres ou sur le terrain. Elles y trouvent une forme de protection, une source d’affection et d’identification. Pour la majorité d’entre elles, le groupe supplée à la cellule familiale et ainsi devient source de repères et élément de référence avec ses avantages et ses contraintes.

Les visites nocturnes nous ont permis de prendre encore plus conscience de la banalisation et de la normalisation du sexe dans la vie de ces filles mineures. Lorsqu’elles cherchent l’argent, les filles se vêtissent de mini-jupes et autres tenues de circonstances, elles se fardent et elles prennent souvent de la drogue. Elles rodent en groupe ou seule en quête du prochain client ou alors elles sont sollicitées pour un passage. Les filles se livrent n’importe où à leur client, parfois à moins d’un mettre de la couche de leur bébé, contre un mur, dans un couloir, derrière un bâtiment ou/et en vue de tous. Il est très marquant de constater que le corps des filles est devenu un outil de travail du quotidien et qu’elles ont avec lui un rapport de détachement.

Les rencontres avec les filles leaders de la rue

Les filles leaders que nous avons rencontrées sont des filles avec lesquelles Médecins du Monde travaille depuis longtemps. Elles nous ont confirmé beaucoup de pratiques misent en avant par les filles vues en entretien et notamment en ce qui concerne les nouvelles arrivant sur le terrain. Ces dernières sont repérées par les sœurs yayas et envoyées ensuite se prostituer. Cette prostitution forcée est une affaire de filles. Elles nous ont expliqué que les aînées habillent les petites de leurs vêtements et qu’ensuite elles les

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habituées », c’est une question d’expérience. Elles nous ont dit que les plus jeunes peuvent également avoir ce genre de comportement entre elles et cela par esprit de vengeance. Les filles qui obligent les moins expérimentées à se prostituer les maintiennent soumises par divers moyens. Elles les volent, les tapent, les humilient (renversent leur assiette de nourriture) et les menacent : «…c’est encore rien, moi j’ai vécu bien pire… ailleurs c’est bien pire ». Les filles moins expérimentées ne s’éloignent pas des plus expérimentées et restent ainsi à leur service pendant longtemps.

En ce qui concerne le baptême, les filles leaders nous ont confirmées également cette pratique en nous disant que les brûlures de sachet et la tonte des cheveux n’est pas systématique par contre les viols collectifs le sont. La durée du baptême va dépendre de la docilité de la fille et plus la fille résiste, plus le baptême va durer. Les sœurs yayas sont complices de cette pratique car se sont elles qui amènent les nouvelles filles aux pombas.

Les pombas opèrent le plus souvent la nuit et cherchent les filles sur le terrain pour les voler et les violer collectivement. Ils se déplacent généralement en gang. Toujours d’après ces leaders, il n’y a pas que les nouvelles et les petites qui sont en danger avec les pombas, mais également les plus âgées. Lorsqu’un pomba croise une fille qu’il connaît mais qu’il n’a jamais prise de force, il va le faire, car à leurs yeux les filles qui vivent dans la rue ne sont que des marchandises. Elles nous racontent que les pombas punissent les filles car elles sont, contrairement à eux, en contact avec la société (de par leur travail).

D’après les témoignages de ses sœurs yayas, c’est une forme de jalousie, les pombas prennent de force les filles pour qu’elles n’oublient pas qu’elles sont comme eux, des phaseurs, afin d’assoire leur domination mais également en guise de faire valoir à leur tableau de chasse. Souvent les filles se laissent faire afin qu’ils ne les tabassent pas trop et ainsi qu’elles ne gardent pas trop de séquelles et cela afin qu’elles puissent continuer de chercher l’argent.

Elles nous ont aussi raconté qu’il leur arrive d’être indirectement complices des viols collectifs commis par les pombas. Lorsque la nuit un pomba interpelle une fille avec l’intention de lui faire du mal puis décide de ne rien lui faire (car il l’a connaît par exemple), il se sent tellement frustré qu’il demande à cette fille d’en appeler une autre fille. Elle achète ainsi sa liberté. Le piège est tendu, la fille est livrée et les pombas la prennent de force.

Elles nous expliquent que pour les nouvelles arrivantes dans la rue c’est dur, car elles sont tellement isolées et inexpérimentées qu’elles cherchent la proximité des autres en guise de protection. Ainsi elles sont tôt ou tard confrontées aux sœurs yayas et aux pombas qui abusent d’elles. La domination des pombas est basée sur la peur. Lorsqu’une fille non expérimentée est prise pour cible par un gang de pombas, elles est bien souvent menacée

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prendre en silence. Par opposition, les filles qui ont déjà plus d’expérience de la vie dans la rue, hurlent dès qu’elles se sentent en danger et bien souvent cela fait fuir les malfrats.

Ces entretiens confirment ainsi la grande vulnérabilité des plus jeunes et des nouvelles arrivées dans la rue.

Les entrevues avec les intervenants externes La LIZADEEL

Les principaux volets de la LIZADEEL sont la sensibilisation de la population aux violences sexuelles, la prise en charge juridique et le soutien psychosocial des victimes. Du point de vue juridique et suite au constat de méconnaissance de la part de la population de la modification du décret du 30 juin 1940 du code pénal congolais par la loi n° 06/018 du 20 juillet 2006, la LIZADEEL s’est engagée en traduisant le texte légal déjà commenté et expliqué par ses services spécialisés en quatre langues nationales (Tshilupa, Kikongo, Lingala et Swahili). Elle s’est également investie en organisant des campagnes de sensibilisation, de vulgarisation, des séminaires, des conférences ou des ateliers au cours desquels, le nouveau texte de loi était davantage commenté à l’attention et au profit des victimes ou délinquants potentiels. La LIZADEEL organise comme pour le volet juridique, des conférences de sensibilisation d’informations plus générales avec les diverses associations qui sont en lien avec les victimes : travail avec la police (les officiers de police judiciaire sont les premières personnes que la victime rencontre si elle porte plainte), travail avec les magistrats, sensibilisation dans les écoles, etc. Pour finir, la LIZADEEL propose également aux victimes de violences sexuelles un suivi psychosocial en complément à une prise en charge médicale. Le travail de soutien psychosocial effectué comprend des entretiens individuels avec les victimes, des groupes de parole, des psychodrames et un travail avec l’entourage direct de la victime afin de faciliter la réinsertion de la victime dans son environnement et dans sa famille. Un important travail est également effectué avec les victimes qui suite à un viol se sont retrouvées enceintes.

La prise en charge vise l’acceptation de la grossesse de la part de la future mère mais également de la part de la famille de cette dernière. D’après le président du comité exécutif de la LIZADEEL, Monsieur Joseph Kayembe, un des principaux problèmes lié aux violences sexuelles est l’ignorance de la part de la société en général de l’importance du soutien psychologique pour ces victimes. Ainsi il met l’accent sur l’importance de la formation et de la sensibilisation des équipes travaillant dans le domaine, mais également

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