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Un journal au service d'une conquête:

LE MOUVEMENT

~ .

GEOGRAPHIQUE (1884-1908)

LE PREMIER NUMERO

du Mouvement géographique, sous-titré «Journal Populaire des Sciences Géographiques», parait à Bruxelles le 6 avril 1884. Ce journal, édité par l'Institut national de Géographie de Bruxelles, est fondé par Alphonse-Jules Wauters, dont la personnalité s'y exprimera pendant plus de trente ans. D'abord comme rédacteur en chef, puis en qualité de directeur, de 1890 à 1914, il en sera le maître d'œuvre incontestable.

Le mouvement géographique paraîtra en Belgique avec une périodicité bimensuelle, puis hebdomadaire, de 1884 à 1922 avec, toutefois, une inter- ruption en raison de la guerre de 14-18. Au total, 1.485 numéros seront publiés en 34 ans. Pourquoi ce journal dont la parution a commencé près d'un an avant la Conférence de Berlin? Qui servait-il? À qui s'adressait-il ? Était-il au service d'un homme ou d'une politique, ou constituait-il une simple revue d'infonnation géographique? Autant de questions qui s'impo- sent d'entrée de jeu.

Naissance d'un journal: contexte

Les circonstances qui ont présidé à la naissance du Mouvement géogra- phique sont dominées par la personnalité du roi Léopold II : sans ses visées politiques, la Belgique n'aurait probablement pas eu de colonie. Dès 1860, alors qu'il n'est que Duc de Brabant, il songe à se tailler un empire. Devenu Roi, il met tout en œuvre pour que son rêve devienne réalité. Passionné de géographie, fasciné par les grands voyages, Léopold II s'intéresse vivement au récit des premières explorations (Nachtigal, Schweinfurth) et des grandes entreprises (Lesseps). n prend connaissance avec attention des nombreuses publications en provenance des Sociétés de Géographie de Paris, Londres, Berlin, Vienne ou Saint Pétersbourg, et en arrive à la conclusion que c'est en Afrique que ses chances de se constituer un empire sont les plus grandes.

Le projet colonial de Léopold II est confonne aux idées de son temps.

Dans toute l'Europe, les décennies 1870-1880 voient s'exprimer un nouvel état d'esprit: la colonisation est perçue comme une nécessité vitale pour l'expansion commerciale. Il n'est dès lors pas surprenant que Léopold II veuille participer à cette entreprise. Mais, sans l'appui d'une nation qui ne veut pas remettre en question sa neutralité, il sera contraint de le faire de façon dissimulée, provoquant une situation politique qui ne se rencontrera ni en France ni en Grande Bretagne. n n'y a au départ en Belgique ni idée

IMAGES DE L'AFRIQUE ET DU CoNOOIZAIRE. - ISB N 2- 87277-004-6

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24 - Marie-ChristineBrugaillère

coloniale ni modelage de l'opinion publique par une propagande impérialiste à laquelle contribueraient journalistes, économistes ou éaivains 1. TIfaudra la parution du Mouvement géographique, en 1884, pour qu'un mouvement d'opinion se manifeste, suscité et entretenu par cette revue qui apparaitta comme l'émanation publique d'une certaine politique menée personnellement par le Roi des Belges. Ce sera, en fait, l'organe officieux de l'Association Internationale du Congo (A.I.C.).

Avant cela, des étapes avaient été ménagées, chacune d'elles étant une manifestation du projet léopoldien, jamais clairement afïumé mais indubi- table. Le Roi avait commencé par inviter à titre personnel, à une Conférence internationale de géographie qui eut lieu au Palais Royal de Bruxelles en septembre 1876, des voyageurs, des explorateurs, des politiques et des ïman- ciers. L'évènement n'aurait pas été exceptionnel s'il n'y avait eu la partici- pation active de Léopold II ; celui-ci ouvrit les séances par un discours où il déclarait que l'objet de la Conférence était d' «ouvrir à la civilisation la seule partie de notre globe où elle n'ait point encore pénétré» et proposait la créa- tion de «stations hospitalières». On notera en passant que les termes de cette déclaration sont directement tirés des rapports et récits des voyageurs-explora- teurs. La Conférence ayant le caractère d'une œuvre scientifique et humani- taire, l'Association internationale africaine (A.I.A.) fut créée. Cette associa- tion avait pour objet d'assurer l'exploration de l'Afrique avec des voyageurs isolés comme agents et des «stations hospitalières et scientifiques» comme points d'appui. Elle se choisit un drapeau bleu étoilé d'or. Dès lors, on pouvait penser que l'Afrique équatoriale s'ouvrait à tous, sans distinction de religion IÙde nationalité.

Au vu de la notoriété que Stanley s'était acquise par sa ttaversée de l'Afrique équatoriale d'Est en Ouest, Léopold II comprit le profit qu'il pouvait en tirer. TIpersuada le reporter de retourner au Congo et d'y organiser le territoire qu'il convoitaiL TIcréa dans ce but le Comité d'études du Haut- Congo (C.E.H.C.) qui se transforma bientôt en Association Internationale du Congo et devint son affaire exclusive. C'est à ce moment-là que parurent les premiers numéros du Mouvement géographique, qui faisaient écho aux prétentions portugaises et exposaient les prémisses de la Conférence de Berlin.

Ambitions et orientations du Mouvement géographique

Les archives du Mouvement géographique sont, à ce jour, introuvables, ce qui parait étonnant pour une revue publiée en Belgique pendant 34 ans 1 Seuls quelques tracés de cartes sont conservés aux «Cartes et Plans» de la Bibliothèque Royale.

Le périodique se déait à r origine comme un organe de vulgarisation.

Journal d'information, il met ses lecteurs au courant des dernières nouvelles qui parviennent de tous les points du globe et, dès son premier numéro, le 6 avril 1884, il se donne pour objectif de les entretenir

1 Le mouvement antiesclavagiste existe en Belgique avant cette date mais, jusqu'en 1888, il ne suscite pas beaucoup d'échos et, d'autre part, les valeurs qu'il prÔne à cette époque ne sont pas directement impérialistes.

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Le mouvement géographique (1884-1908)

-

25

des grandes découvertes et des grands travaux d'utilité publique [...] Il stimulera l'esprit d'entreprise et soutiendra tous ceux qui s'efforcent d'ouvrir des horizons nouveaux

[...]

de pousser le pays à sortir pacifiquementde ses étroitesfrontières.

À lire pareille déclaration d'intention, on aperçoit déjà le glissement qui deviendra de plus en plus explicite au fil des années: le propos généralisant des «horizons nouveaux» est rempli des «relations privilégiées» qui s'établis- sent progressivement entre «le pays», la Belgique, et l'Afrique centrale. Le journal s'attachera donc plus spécialement «à faire connaitre les progrès de l'œuvre africaine du Roi, les travaux et les entreprises des Belges au Congo»2. Voilà pour les zones d'intérêt et ce qu'on pourrait appeler la natio- nalisation progressive du point de vue. Quant aux thèmes de prédilection, ils apparaissent eux aussi dès la parution du premier numéro. Éèho du «mouve- ment géographique», ce journal va insister, c'est son objet premier, sur les mouvements des biens, des gens et des idées. Le transport pour pénétrer le pays, l'exploiter, «l'ouvrir à la civilisation», comme on l'écrit à l'époque, est l'une des priorités. En conséquence, une place importante sera dévolue à la politique des grands travaux et spécialement à «la conquête du rail».

Quant aux «grandes découvertes» dont parle Wauters, elles se répartissent en deux secteurs: le bassin du Congo, d'une part, le reste du monde, d'autre part Si l'ensemble se situe à l'enseigne de la pénétration des Européens à l'intérieur des autres continents et spécialement en Afrique, l'optique générale est celle de la mise en valeur économique et commerciale, ce qui fait contraste avec les thèmes militaires et conquérants des discours français et anglais de l'époque. Pour l'essentiel, cette mise en valeur repose sur des reconnaissances exploratoires et sur l'établissement dune emprise technique sur l'espace planétaire: construction de chemins de fer, installation de ports, percement de tunnels, creusement de canaux, etc.

Pour ouvrir ainsi «des horizons nouveaux», il faut pousser «le pays à sortir pacifiquement de ses étroites frontières» : une formulation dont on pourrait attribuer la paternité à Léopold n. tant elle est proche de son argu- mentation. Comment stimuler, par ailleurs, «l'esprit d'entreprise» quand on se dit «roi d'un petit pays, de petites gens»3 et qu'on doit compter avec l'hostilité d'une nation? Wauters, par l'intermédiaire de ce journal qui infor- me, expose et soutient la conquête, fera partie de ces hommes de la première heure qui serviront les desseins eUes projets du Roi. Le mouvement géogra- phique permet, en effet, de mootrer aux Belges les progrès de l'exploration du Congo et de leur expliquer comment est reconnu, délimité puis mis en valeur l'État indépendant. Par ailleurs, il est censé représenter la politique léopol- dienne, puis belge, de conquête au Congo, jouant ainsi du sentiment national pour gagner les sympathies.

Tout porte à croire que cette publication conDait un certain succès, malgré l'absence de statistiques concernant le volume des abonnements et des ventes, puisqu'une seconde publication, Le Congo illustré, dont la direction

2 Mouvement géographique, n° 5, du 9 mars 1890.

3 DUMONT(G.-H.), Léopold Il, pensées et réflexions, Bruxelles, L'Amitié par le livre, 1948, pp.17-18.

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BUREAUX

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est confiée à Wauters, est créée à partir de janvier 1892. Un fascicule paraîtra tous les 15 jours, en alternance avec Le mouvement géographique. Le maga- zine se consacrera plus particulièrement aux récits des voyageurs avec illustra- tions à l'appui; en fait, Le Congo illustré, par sa présentation plus populai- re, doit avoir une plus grande audience et toucher beaucoup plus de lecteurs, car il n'y a guère de place dans les colonnes du Mouvement géographique pour les récits de voyage un peu développés, les descriptions et les tableaux de mœurs. Le «Journal populaire des sciences géographiques» est avant tout un journal d'information et d'actualité géographiques, auquel Le Congo illus- tré fournit un complément idéal. La création du magazine est due à l'initiative de la Compagnie du Congo pour le Commerce et l'Industrie (C.C.C,!.), ce qui suffit à indiquer son orientation idéologique.

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Le nwuvement géographique (1884-1908)

-

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En janvier 1896, les deux publications fusionnent et le nouveau périodi- que devient hebdomadaire. Le nombre de ses feuillets s'accroit et chacun de ses numéros est illus1ré.n reproduit intégralement des dossiers et des reporta- ges, des portraits et des cartes d'actualité, et publie, au moins chaque mois, une carte en couleur hors texte.

Le nwuvement géographique est, certes, une revue de vulgarisation, mais aussi un organe de propagande destiné à expliquer et à défendre l'œuvre africai- ne du Roi, qui, jusqu'à la parution de ce journal, restait largement méconnue de l'opinionpubliquebelge.Le nwuvementgéographiqueva donc devenir le meilleur soutien médiatique de la politique coloniale de Léopold fi et ce, grâce à son mailre d'œuvre,i\..-J. Wauters.

Alphonse-Jules Wauters a trente-neuf ans lorsqu'on lui confie le poste de rédacteur en chef. C'est un homme féru de géographie, soucieux d'intéresser les Belges au développement de l'Afrique centrale 4. n se fait de la cartogra- phie de cette partie du monde une spécialité, de sorte qu'en dépit des difficul- tés de r exploration, il parvient à reconstituer peu à peu le tracé géographique de ce qui restait le «dernier grand blanc de la carte d'Afrique». C'est en Euro- pe, avec des informations qui lui parviennent de façon fragmentaire et parfois contradictoire, que Wauters arrive ainsi à tisser la toile du réseau hydrogra- phique du Congo. n publie fréquemment des cartes montrant les progrès réalisés, jusqu'à ce qu'il parvienne à établir globalement la carte actuelle.

Notamment il annonce, cinq ans avant sa reconnaissance sur le terrain, la liaison entre l'Oubangui et l'Ouéllé 5.

L'homme est séduisant autant par ses qualités d'écriture que par son intuition géographique, et son journal exerce une espèce de «séduction» bien différente de la vision exotique qui est alors en vogue. n n'est qu'à lire Le journal des voyages, en France, pour voir la différence entre une publication rigoureuse et une aulre, où l'imaginaire prend le pas sur la réalité. Six années après sa création, soit le 9 mars 1890, Le nwuvement géographique passe sous sa direction et il continue, comme par le passé, à en être le rédacteur en chef. À ce moment-là, Le nwuvement géographique devient ouvertement l'organe de la Compagnie du Congo pour le commerce et l'industrie.

Les jugements de Wauters concernant l'État Indépendant du Congo (E.I.C.), tels qu'ils apparaissent dans ses éditoriaux, vont évoluer au fil des années en fonction de la politique léopoldienne : ardent défenseur de l' œuvre africaine du Roi à ses débuts, il mettra sa plume au service des sociétés par la suite. Pour la période 1884-1908 (soit de la création du journal jusqu'à la

«reprise» du Congo par la Belgique 6), à laquelle nous nous tiendrons ici, trois périodes peuvent êlre distinguées: une période «héroïque», marquée par

4 Également connu comme critique d'art, A.-J. Wauters soutient l'entreprise africaine du Roi dès 1876, avant de prendre se distances avec la politique du monarque et de soutenir, à partir de 1891, la perspective d'une reprise du Congo par la Belgique. On lui doit des ouvrages de fiCtion (Le royaume des éléphants, 1881), mais c'est son travail de géographe que la postérité retiendra (voir Biographie d'Outre-Mer, Bruxelles, il, co1.969-972).

5 Voir BOULVERT(Yves), «Le problème de l'Oubangui-Ouellé, ou comment fut exploré et reconstitué un réseau hydrographique à la fin du XlXèmesiècle~, dans Cahiers ORSTOM, Vol 21, n° 4, 1985 pp.389-411.

6 Nous poursuivons nos recherchespour la période ultérieure.

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28 - Marie-ChristineBrugaillère

la conquête (1884-1892), une période caractérisée par l'exploitation ou la mise en valeur intensive (1892-1901), une période «critique», marquée par l'absolutisme de la politique royale et les discussions qu'elle suscite (1901- 1908).

Structure du journal

La première approche a consisté à analyser le contenu du journal, d'abord de façon globale, en classant les rubriques par continent (fig.l), puis distin- guer, à l'intérieur de la part accordée à l'Afrique, ce qui concerne sa partie centrale et le bassin du Congo, de façon à apprécier la place conférée à l'E.I.C. (fig.2). La deuxième étape a pernis d'établir systématiquement, pour l'AI.C./E.I.C., un inventaire par thèmes et d'en examiner l'évolution relati- ve année par année, pour évaluer les priorités que se donne le journal, les constantes, les rubriques qui apparaissent ou disparaissent en fonction d'évè- nements précis; un ttoisième graphique (fig.3), construit comme les deux premiers en fonction de l'intitulé des rubriques, du nombre des articles et de leur pourcentage, met en évidence l'importance relative de ces thèmes. Enfin, Le nwuvement géographique a été resitué panni les «médias» de l'époque, au moyen d'une comparaison avec deux quotidiens belges, l'un sympathisant:

L'étoile belge, l'autre opposant: Le patriote. En se limitant aux années de crises ou d'évènements majeurs, il importait de voir si les informations du Mouvement géographique étaient reprises dans la presse belge et, dans l'affir- mative, de quelle façon (simultanée, décalée), ou si elles étaient hors des préoccupations de la presse quotidieune.

En considérant la répartition statistique du nombre d'articles et d'infor- mations classées par régions géographiques (fig.l), on constate que, dès l'année 1884, 52% des rubriques sont consacrées à l'Afrique (B.I.C. inclus) et 48% au reste du monde. On voit peu à peu, de façon régulière, l'Afrique et le Congo prendre une importance croissante qui irajusqu'à 88% en 1893, avant de redescendre, avec quelques rémissions, à 47% en 1902, puis d'occuper ensuite à nouveau plus de 83% en 1908. En outre, la part consacrée au Congo dépasse toujours, et souvent très largement, la part réservée au reste de l'Afrique (à l'exception des années 1900-1903, où le dépassement est mini- me, et de l'année 1899, où la part dévolue au reste de l'Afrique est même très légèrement supérieure). Ceci conduit à une première constatation: d'emblée, l'objectif du Mouvement géographique qui était de «mettre ses lecteurs au courant des dernières nouvelles de tous les points du globe» parait un peu négligé; très rapidement, le propos se centre sur l'étude et la découverte d'une région particulière: le bassin du Congo.

D'autre part, en considérant la répartition générale des rubriques par régions du globe et par thèmes, on s'aperçoit que les évènements extérieurs à l'Afrique ne sont pas particulièrement à l'honneur, à l'exception de la politi- que des grands travaux. Ainsi, pour l'année 1884, on observe que plus de 89% des articles consacrés à l'Europe, à l'Asie et à l'Amérique concernent les travaux d'utilité publique et que, pour 1892, ce pourcentage atteint même 92,46%.

Si, en ce qui concerne les autres pays, le centre d'intérêt prioritaire est constitué par les grands travaux, en revanche lorsqu'il s'agit de l'État Indé- pendant du Congo, le contenu des informations se diversifie en un grand

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Figure1

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32 - Marie-ChristineBrugaill~re

nombre de thèmes spécifiques, que l'on retrouve détaillés dans la table des matières. Soit dit en passant: ce dernier élément conÏmne bien la vocation d'abord informative d'un journal qu'on devait pouvoir consulter systémati- quement et facilement. Mais attardons-nous à présent aux plus significatives de ces rubriques.

La rubrique intitulée «Géographie

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-

commerce

-

agriculture» occupe dans le journal un espace très important, soit de 18 à 20% des articles conceruant l'EJ.C. jusqu'en 1904, avec une pointe de 33,60% en 1898. Cette importance est fonction d'une période essentiellement consacrée à la reconnaissance, puis à la prise de possession et à la mise en exploitation du pays, soit tout le processus de pénétration et d'iustallation.

Cette exploration débute par l'étude du réseau hydrographique; on se reportera ici au travail de René de Maximy qui, en se référant aux cartes publiées dans le Mouvement géographique, a retracé la progression de la pénétration du bassin du Congo par voies d'eau 7. Elle conduit très vite à la nécessité de relier le Bas-Congo au Haut-Congo par la construction d'un chemin de fer qui doublera la route des Cataractes et mettra Matadi, en 1898, à deux jours de Kinshasa (terminus) avec une escale nocturne à Kimpese. Le rail sera aussi un vecteur de l'urbanisation de cette région des Cataractes. Ceci m'amène à évoquer trois autres rubriques significatives, qui apparaissent conjointement ou successivement

La rubrique consacrée au «C~min tk fer» des Cataractes apparaît de façon momentanée, le temps que durent les expéditions de lever de terrain (celles de Cambier et Charmanne) et de la construction. De 0,80% en 1885, elle atteint 9,96% en 1889 pour chuter à 3,27% en 1891, puis croît à nouveau, lente- ment, jusqu'à atteindre 12,26% en 1898. La première pointe, en 1889, s'explique par le fait qu'il s'agit de l'année du premier coup de pioche;

Wauters, enthousiaste, peut écrire que

jusqu'à présent, l'Afrique n'a guère donné encore pendant les temps modernes le spectacle de ces grands travaux publics semblables à ceux exécutésen Europe,en Asieet en Amérique8.

La régression visible en 1891 coïncide avec l'apparition des premières diffi- cultés; du moins peut-on le supposer, car Wauters fournit peu d'informa- tions. TIfaut effectivement attendre le 29 novembre de la même année pour lire que «bientôt les difficultés seront vaincues». Quelles difficultés? Elles sont certainement nombreuses mais jamais Wauters ne les précisera. De rares entremets mentionnent que «des mesures ont été prises pour augmenter le nombre des travailleurs noirs du chemin de fer»9. Or, la construction du rail est meurtrière et se fait au prix d'immenses souffrances qui sont occultées.

Wauters les ignore+il et est-il sincère lor~u'il s'insurge en janvier 1892 contre les attaques de la presse française 10, qu'il estime injustifiées, et en particulier du Temps, où l'on a parlé d'«un convoi d'esclaves destiné au chemin de fer du Congo» ? Sept ans après, dans un article consacré à l'histoi-

7 Mouvement Géographique, n02 du 20 avril 1884, nolO du 22 avril 1888, n08 du 7 avril 1889, n° Il du 14 mai 1893.

8 Mouvement Géographique, no15 du 14 juillet 1889.

9 Mouvement Géographique, no23 du 1er novembre 1891.

10 Mouvement Géographique, n02 du 24 janvier 1892.

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Le mouvementgéographique(1884-1908) - 33

re du chemin de fer qu'on inaugure cette année-là, il fera état de ces difficultés, dont il reconnaib'a qu'elles avaient été bien réelles: on peut dès lors douter de sa bonne foi antérieure. Wauters n'est plus un journaliste impartial, mais partie prenante 11, et son journal n'est-il pas devenu celui d'un «lobby»?

En 1892, le quart du budget prévu pour la construction avait été absorbé au bout de deux kilomètres et demi de voie, alors qu'il en restait plus de quatre cents à faire. TIest vrai que les premiers kilomètres étaient les plus difficiles, puisqu'il fallait sortir des gorges du Congo avant d'atteindre une région de collines moins accidentées. Ceci peut également expliquer le faible pourcentage d'articles consacrés à la construction du chemin de fer en 1891 (3,27%) et en 1892 (4,27%).

1898 est l'année de l'inauguration du chemin de fer Matadi-Kinshasa (C.F.M.K). On constate, à cette occasion, que le pourcentage atteint n'a jamais été aussi élevé: 12, 26%. Les articles sur le chemin de fer font alors

la «une» du journal.

La rubrique consacrée aux «Sociétés conunerciales» apparait en 1886 où 4% des articles leur sont consacrés. Cette rubrique évoluera de façon constante pour émerger à 9,40% en 1890, puis connaib'a une rupture brutale (3,27%) en 1891 et stagnera jusqu'en 1898 (2,98%) anvant de remonter en flèche (20,20% en 1899).

TIest évident que c'est à l'aide de ces sociétés que Léopold II peut exploi- ter le pays. Mais, lorsque le Roi s'approprie le monopole de l'ivoire et du caoutchouc, les sociétés commerciales sont stupéfaites de ces mesures et le premier article de protestation paraît dans Le mouvement géographique du 24 juillet 1892: «Leur gravité n'échappera à personne», écrit Wauters. Et plus loin: «... nous qui, depuis quinze ans, servons sans marchander et avec foi l'idée généreuse et pure, créatrice de l' œuvre, nous ne cacherons pas que nous sommes déconcertés et troublés»12. À partir de ce moment, c'est la rupture;

Wauters abandonne toute louange de l' œuvre africaine du Roi pour devenir

«aussi hostile à l'État qu'il était enthousiaste au début»13. Désonnais, il défendra les intérêts des sociétés.

C'est alors qu'une nouvelle rubrique apparaît, intitulée «Le conflit entre l'État Indépendant du Congo et les Sociétés Commerciales». Elle représente près de 10% des articles consacrés à l'E.LC. en 1892, disparaîb'a l'année sui- vante, mais la polémique est engagée et ne cessera plus jusqu'en 1908. Déjà, la construction du chemin de fer avait contribué à renforcer les intérêts belges par rapport aux intérêts royaux, favorisant ainsi une prise de conscience accrue du capitalisme belge, d'où l'apparition de ce premier conflit et des moments de tension dès 1892. Après une accalmie, il reprendra en 1895, lors du premier projet d'annexion du Congo à la Belgique (12,4% des articles lui sont alors consacrés), puis resurgira en 1901 pour devenir pennanent jusqu'en 1908 (de 22 à 35%). TIfaut cependant noter une régression certaine des

11 En décembre 1892, Wauters est Secrétaire général des Compagnies belges du Congo, mais il ne se prévaudra de cette fonction dans la manchette du journal qu'en janvier 1896.

12 Mouvement giographique, 0°15 du 24 juillet 1892.

13 VANDERVEIDE(Émile), La Belgique et le Congo, le passi, le prisent, l'avenir, Paris, Félix Alcan, 1911, p.34.

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Marie-ChristineBrugaillère

articles concernant le conflit en 1904 (10,92%) et 1905 (8,68%), c'est-à-dire

~IÎdant toute la durée de la commission d'enquête jusqu'à la publication de sonmpport, pour des misons stmtégiques et tactiques évidentes. La courbe dessinée à cette occasion, avec ses ruptures et ses permanences, est représen-

~ve d'un malaise puis d'une colère qui va jusqu'à l'éclatement Le mOllyement géographique et la presse belge

Une autre approche du périodique d'A.-J. Wauters a consisté à le confron- ter avec la presse belge de l'époque. Cette analyse s'est fondée sur l'examen de quelques aIùlées-témoinsdans deux quotidiens, l'un sympathisant, L'étoile belge et l'autre opposant, Le patriote. Pour chaque journal, les mêmes années de référence ont été retenues: 1884 (création du M.G., préparation de la Conférence de Berlin) ; 1891 (premières difficultés, l'État se réserve l'usu- fruit de l'ivoire et du caoutchouc); 1901 (projet d'annexion); 1904 (institution de la commission d'enquête).

Dans L'étoile belge, journal acquis à la cause de Léopold n, le traité anglo-portugais est dénoncé le 9 avril 1884 et fait l'objet d'un article en première page (le seul rencontré au cours de ma recherche). Le fait est suffi- samment important pour être mentionné. L'ouverture de la Conférence de Berlin, le 15 novembre 1884, donne lieu à un entremet de huit lignes rappor- tant que le «Prince de Bismarck ouvre la conférence africaine...» ; aucun commentaire ne suit cette information, comme si le fait était mineur et sans doute, pour les contempomins, l'était-il. Par contre, en 1891, le journal avoue ne pas comprendre pourquoi

on refuse systématiquementdes concessionsde terraindans le Bas-Congo, alors qu'on en offre à profusiondans le Haut-Congo...TIserait intéressant de connaitre les conditionsque l'immigrant doit remplir pour acheter un terrain... On nous assure que l'État Indépendant refuse la plupart des concessionsde terrain qu'on sollicite (21 juillet).

Pour la première fois, il prend position et dénonce le «système» ; on peut lire dans le même numéro: «nous ne voyons pas comment un pareil systè- me peut être profitable à l'extension de la culture et des relations commer- ciales». Ce journal croit encore aux idéaux avancés au début de la conquête.

En 1901, un seul article est consacré à la reprise du Congo par la Belgique.

En 1904, L'étoile belge se refuse à donner crédit aux attaques de la presse étrangère concernant les mauvais traitements subis par les indigènes et

.dément les témoignages au sujet des atrocités commises.

Dans Le patriote, la conférence de Berlin a peu de retentissement, comme si elle ne concernait pas directement les Belges. Aucun article ne parait à ce sujet le jour de son ouverture (15 novembre 1884). n faut attendre le 16 pour apprendre que «le géographe Kiepert a exécuté une carte...». L'information est décevante: rien sur ce qui la précède, aucune curiosité pour ce qui peut en résulter. Le 30 décembre de la même année, cependant, dans un article figu- rant en première page et intitulé «Au Congo», le journal informe ses lecteurs qu' «un bruit étrange circule dans les sphères politiques de Berlin. On dit qu'il serait question de donner une forme monarchique à l'État libre du Congo». Le quotidien se contentera par la suite de reprendre les communiqués du Mouve- ment géographique. Dans l'ensemble des numéros consultés, il apparait que non seulement la presse belge n'apporte pas d'informations nouvelles, mais

(13)

Le mouvement géographique

(1884-1908) - 35

qu'elle se sert de celles qui paraissent alors dansLe mouvement géographique pour les publier avec retard et sans commentaires originaux.

En guise de conclusion

Une érode plus approfondie du Mouvement géographique supposerait que l'on retrouve des documents originaux. ns permettraient de voir comment est traitée l'information, ce qui est retenu ou élagué, avec quelle intention, déli- bérée ou non. D'autre part, le manque d'archives ne petmet pas, acroellement, d'ébJdier l'impact du journal: nombre d'abonnements souscrits, tirages effec- roés. n aurait été intéressant, par exemple, d'examiner le rapport entre le nombre d'exemplaires tirés et des évènements importants tels que la prise de Khartoum par les Madhistes, l'expédition de Stanley au secours d'Emin- Pacha ou la conquête du Katanga.

Le mouvementgéographiquefait-ilpasserles Belgesde l'indifférenceà l'acceptation passive, suscitant bientôt chez eux un intérêt réel pour ce qui se passe au delà de leurs étroites frontières? L'enthousiasme personnel de Wauters tient-il lieu de propagande? Il y a. bien sûr, chez lui une volonté systématique de justification et de glorification de l'entreprise coloniale, qu'elle soit l'œuvre du Roi ou celle des sociétés. Ainsi, Le mouvement géographiquen'est pas le reflet de l'opinion,il contribue,au contraire,à la former. n est cependant difficile de présumer de l'influence que la lecture du journal a dû exercer sur les lecteurs. Encore fallait-il les convaincre que

«l'État du Congo, qui n'est pas une colonie belge, est pourtant pour les Belges la meilleure des colonies»14. C'était là l'un des objectifs de la publicationdu Mouvement géographique.

Marie-Christine BRUGAIlLERE O.R.S.T.O.M.

14 MILLE (Pierre), Au Congo belge, avec des notes et des documents r'cents relatifs au Congo français, Paris, A. Colin, 1899, p.7S.

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0\, 1.000 km

1 0 1.000 km

1

1) 25 novembre 1878 2) avril 1888

La pénétration dans cette partie de l'Afrique. s'étant effectuée par les voies d'eau, la meilleure manière d'en formaliser le progrès est d'en présenter les étapes successives depuis 1878 (Comité d'Etudes du Haut Congo) jusqu'en 1893, époque où les deux tiers des rivières ont été reconnus: 15 ans d'exploration depuis la décision de Léopold II de créer un Etat indépendant sous son contrôle dans le centre de l'Afrique....

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3) 7 avril 1889

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- Partie exploréedes coursd'eau J - - ... Frontièresd'Etat

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4) 14 mai 1893

Referenties

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