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Acquisition des voyelles nasales chez des apprenants

néerlandophones du français

Mémoire M.A. Jantine Oosterhof S1689606 Rijksuniversiteit Groningen Romaanse Talen en Culturen Dr. J.Eychenne

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1 Introduction

Quand un locuteur natif du néerlandais veut apprendre le français, il est très probable qu’il rencontre beaucoup de difficultés sur des niveaux différents, notamment sur celui de la syntaxe, de la morphologie, mais aussi sur la prononciation du français. Il y a plusieurs aspects phonologiques français qu’on ne connaît pas en néerlandais, comme la liaison, les consonnes finales voisées, et les voyelles nasales, et qui posent alors souvent beaucoup de problèmes dans l’acquisition. Dans cette recherche, nous nous concentrons sur l’acquisition des derniers éléments, les voyelles nasales, par les apprenants néerlandophones.

Les voyelles nasales françaises consistent en un aspect très spécial de la langue française, car le français et le portugais sont les seules langues indo-européennes dans lesquelles ces voyelles ont un statut phonémique (Hansen 1998). Le français contient quatre voyelle nasales, à savoir [᷉œ], [᷉ɔ], [᷉ɛ] et [᷉ɑ], qu’on produit toutes si on prononce la séquence un bon

vin blanc. Par contre, en néerlandais, on prononce parfois des voyelles nasales à cause de

l’assimilation régressive quand une voyelle est suivie d’une consonne nasale, mais ces voyelles nasalisées n’ont pas le même statut que les voyelles nasales du français. C’est pourquoi il est souvent assez difficile pour les apprenants débutants néerlandophones d’acquérir la bonne prononciation des voyelles nasales françaises.

Dans cette recherche, nous voulons examiner s’il est possible pour un apprenant néerlandophone d’acquérir une prononciation native des voyelles nasales. Pour ce faire, nous avons demandé à 8 étudiants de la langue française, qui ont comme langue maternelle le néerlandais, de participer au projet Interphonologie du français contemporain (IPFC). Ce projet vise à constituer un corpus phonologique des apprenants du français de toutes sortes de langues maternelles. En suivant le protocole IPFC, les participants effectuent plusieurs tâches de production orale, ce qui est enregistré. Ainsi, nous avons obtenu un corpus d’où on peut tirer des conclusions en ce qui concerne la prononciation des voyelles nasales des participants. Dans cette thèse, nous commençons en parlant des recherches déjà effectuées au sujet des voyelles nasales françaises et de l’acquisition de ces voyelles par des néerlandophones. De plus, nous présentons brièvement les projets PFC et IPFC et une recherche dans le cadre de l’IPFC en ce qui concerne l’acquisition des voyelles nasales par des apprenants hispanophones et japonophones.

Ensuite, nous présentons notre cadre théorique dans lequel nous parlons d’abord de quelques théories en ce qui concerne l’acquisition d’une langue seconde en général. De plus, nous présentons une théorie phonologique qui nous permet d’expliquer les prononciations réalisées par les participants.

Dans le chapitre suivant, celui de la méthodologie, nous décrivons en détail comment nous avons effectué notre recherche. Nous y présentons le matériel, la procédure que nous avons suivie, le système de codage, les façons dont nous avons analysées les données et nos participants.

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2 État de l’art

Dans ce chapitre, nous donnons d’abord un aperçu des recherches qui portent sur les voyelles nasales françaises dont nous montrons les propriétés, et nous présentons quelques tendances récentes au sujet de ces voyelles. Ensuite, nous passons à la littérature portant sur l’acquisition des voyelles nasales par les néerlandophones et nous montrons qu’il nous reste encore beaucoup à rechercher dans ce champ. Pour finir, nous présentons deux projets de recherche, le PFC et l’IPFC, car c’est dans le cadre du dernier dans lequel notre recherche s’effectue.

2.1 Les voyelles nasales du français

Depuis des années, les linguistes se sont intéressés aux voyelles nasales françaises, car le français et le portugais sont les seules langues indo-européennes dans lesquelles ces voyelles ont un statut phonémique (Hansen 1998). Fagyal et al. (2006) remarquent que la présence des voyelles nasales en français est un phénomène assez récent dans l’histoire de cette langue : dans l’ancien français, les voyelles nasales étaient le résultat de la nasalisation contextuelle ce qui veut dire qu’une voyelle peut être nasalisée si elle est suivi par une consonne nasale à cause du processus de l’assimilation. Ceci est en fait un phénomène très commun dans beaucoup de langues, l’anglais et le néerlandais inclus. Mais, comme on a déjà dit, les voyelles nasales n’y sont pas considérées comme des phonèmes distincts. Rochet (1976) est d’accord avec Fagyal et al., car il considère la formation des voyelles nasales comme des phonèmes du français comme le résultat de deux processus : d’abord, l’assimilation automatique de la voyelle suivie par une consonne nasale et puis la perte de la consonne nasale. Eggs & Mordellet (1990) soulignent cette idée en distinguant deux règles successives N1 et N2 :

N1 : la nasalisation des voyelles V  [+nas] / __ N # C [-nas]

C N2 : la suppression des nasales N  ∅ / _ #C

##

La règle N1 nous indique que si une voyelle se trouve devant une consonne nasale, qui est suivi soit d’une consonne non-nasale ou du fin de mot, la voyelle obtient le trait [+nasal]. Ensuite, la règle N2 prescrit l’enlèvement de la consonne nasale si elle est suivie dune consonne, du fin de mot et une consonne ou d’un pause.

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Paradis & Prunet sur ce sujet en supposant que chaque voyelle nasale se représente au niveau sous-jacent de cette façon. Pourtant, nous continuons à considérer les voyelles nasales comme des phonèmes du français.

Le processus de nasalisation contextuelle a fait apparaître distinguer quatre voyelles nasales en français: [᷉ɑ], [᷉ɔ], [᷉ɛ] et [᷉œ]. On retrouve l’origine des voyelles nasales dans la graphie : Léon (1966 : 33) en remarque qu’ « elles [les voyelles nasales] sont représentées par une ou plusieurs voyelles suivies de la consonne n. Ce n est remplacé par m s’il est suivi d’un

b ou d’un p. ». Il en ajoute que les graphies Vn ou Vm ne représentent une voyelle nasale que

si elles se trouvent en finale absolue ou suivies d’une consonne écrite autre que n ou m. Cette idée est confirmée par Hansen (1998 : 68) qui en donne la représentation schématique suivante, dans laquelle V est une voyelle, N une consonne nasale et C une consonne non nasale :

graphie prononciation

VN C [᷉V C ]

# #

Hansen (1998) y ajoute qu’il existe de nombreuses exceptions à cette règle. Notamment, il y a certains cas particuliers où la voyelle est nasalisée tandis que la règle prévoit la prononciation d’une voyelle orale. Il y a par exemple les mots emmener et enivrer, dont les préfixes en- et

em- sont prononcés [᷉ɑ] tandis qu’ils sont suivis d’une consonne nasale et d’une voyelle

respectivement ; mais il y a aussi d’autres cas de ce type. Dans d’autres cas par contre, on s’attend à une voyelle nasale et on aperçoit une voyelle orale, par exemple quand on prononce la graphie –ent dans la terminaison des verbes à la troisième personne pluriel.

Une autre problématique se présente au moment où un mot finit par une voyelle et une consonne et que le mot suivant commence par une voyelle (nasale ou orale). Dans ces cas, on peut prévoir l’occurrence d’une liaison, qui se réalise en prononçant [n], [z], [t], [r], [p] ou [ɡ] (Fagyal et al. 2006). Nous avons remarqué que les linguistes ne sont pas tous d’accord au sujet de la prononciation de la séquence VN dans ces cas spécifiques. Léon (1966 : 122) par exemple affirme qu’en général, la présence de la liaison n’a pas d’effet sur la voyelle précédente. Il en ajoute que dans certains cas spécifiques, /᷉ɛ/ se dénasalise en [ɛ], notamment dans les cas ou l’adjectif finit par le son [᷉ɛ] et est suivie d’une liaison réalisée par [n]. Il donne l’exemple du mot moyen qui se prononce normalement [mwaj᷉᷉ɛ], mais dans la séquence

moyen âge, on dénasalise le /᷉ɛ/ et on prononce [mwajɛnaʒ]. Léon y ajoute que /᷉ɔ/ se

dénasalise toujours dans la liaison du mot bon et qu’il peut se dénasaliser dans la liaison avec les mots mon, ton et son. Ainsi, bon ami est prononcé [bɔnami] et ton ami peut être prononcé de deux façons : [t᷉ɔnami] ou [tɔnami].

Pourtant, d’autres linguistes proposent des règles différentes en ce qui concerne la dénasalisation de la voyelle nasale finale en liaison. Hansen (1998 : 70-71) en dit par exemple qu’il y a certains adjectifs, notamment bon, ancien, certain, divin, moyen, prochain, plein,

soudain, vain et vilain qui peuvent se dénasaliser en liaison. Selon elle, les mots mon, ton et son ne se dénasalisent donc jamais.

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Hansen (1998) met en avance aussi que les quatre voyelles nasales sont en opposition phonologique les unes par rapport aux autres. Il existe de nombreuses paires minimales qui distinguent /᷉ɛ/ et /᷉ɑ/, comme cent et saint ; qui opposent /᷉ɑ/ à /᷉ɔ/, comme lent et long, et même des oppositions triples qui montrent la différence entre /᷉ɛ/, /᷉ɑ/ et /᷉ɔ/, comme pain, pend et pont. Pourtant, elle constate qu’il est beaucoup plus difficile de trouver des mots qui opposent /᷉œ/ aux autres voyelles nasales. C’est la raison pour laquelle certains linguistes ont prédit la disparition du phonème /᷉œ/ français en faveur du phonème /᷉ɛ/, ce qui mènerait à un système des voyelles nasales constitué par trois voyelles au lieu de quatre. À part de ce changement assez grand, Hansen (1998) constate que d’autres changements s’y ajoutent au sujet des voyelles nasales et que les opinions des observateurs linguistiques varient beaucoup. Elle résume ces opinions en les deux hypothèses suivantes :

a. Certains observateurs voient une confusion phonologique de /᷉ɑ/ et /᷉ɔ/, en faveur de /᷉ɔ/, qui donne une prononciation identique aux mots banc et bon, notamment [b᷉ɔ]. Selon eux, on ne garde donc que deux voyelles nasales distinctes.

b. D’autres signalent l’évolution suivante: /᷉ɑ/ se déplace vers /᷉ɔ/, et en même temps /᷉ɔ/ se rapproche d’une voyelle très fermée et très arrondie, [᷉o], et /᷉ɛ/ est entraînée par le même mouvement, s’approchant du /᷉ɑ/. Toutes les voyelles se déplacent donc vers l’arrière, ce qu’on appelle un changement en chaîne. On garde donc trois voyelles nasales distinctes dont les réalisations phonétiques ont été déplacées. Hansen y ajoute que certains rapportent une chaîne partielle /᷉ɛ/  /᷉ɑ/ et /᷉ɑ/  /᷉ɔ/, qui n’empêche pas de menacer la distinction entre /᷉ɑ/ et /᷉ɔ/.

Fagyal et al. (2006) constatent sur ce sujet que les locuteurs du français natifs très jeunes ne savent plus distinguer les phonèmes /᷉ɛ/ et /᷉œ/ l’un de l’autre, et observent aussi le

changement en chaîne pour les voyelles nasales français. Pourtant, Hansen (1998) n’a pas pu

confirmer ni l’une ni l’autre des hypothèses après avoir fait une recherche très élaborée en ce qui concerne la prononciation des voyelles nasales par des locuteurs natifs du français parisien. Elle confirme que la prononciation de /᷉œ/ est devenu plutôt quelque part entre [᷉œ] et [᷉ɛ] ce qui semble confirmer la disparition graduel du phonème /᷉œ/. Par contre, elle constate aussi que le rapprochement entre /᷉ɑ/ et /᷉᷉ɔ/ est encore loin d’être achevé et que l’opposition entre /᷉ɑ/ et /᷉ɛ/ est encore très ferme. Elle conclut donc qu’il y a des tendances à apercevoir en ce qui concerne la confusion des différentes voyelles nasales, mais qu’on ne peut pas encore parler d’un changement en chaîne achevé.

Les voyelles nasales constituent donc une phénomène intéressante dans le champ phonologique du français. Passons dans la partie suivante à l’acquisition de ces voyelles par des apprenants néerlandophones.

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acceptable ou pas, et, ci cela n’était pas le cas, d’argumenter pourquoi la prononciation n’était pas bonne. Après l’analyse des résultats, Linthorst a pu remarquer plusieurs tendances intéressantes. D’abord, il y avait un petit groupe d’étudiants, notamment ceux d’origine limbourgeois, qui ont réalisé parfois [᷉ɔ] au lieu de [᷉ɑ]. De plus, la majorité des fautes étaient causées par le fait que les apprenants prononçaient une voyelle orale au lieu d’une nasale, ou ils réalisaient un élément consonantique après la voyelle. Ensuite, Linthorst a remarqué que les mauvaises réalisations des deux voyelles nasales se présentaient beaucoup plus souvent en syllabe non finale qu’en syllabe finale. Enfin, il affirme que les étudiants avaient réalisé mieux les /᷉ɔ/ que les /᷉ɑ/, ce qu’il explique par la ressemblance de timbre entre le /᷉ɔ/ nasal français et le /ɔ/ oral néerlandais , ce qui n’est pas le cas pour le /᷉ɑ/ nasal français et le /ɔ/ oral néerlandais.

Il est donc clair que les voyelles nasales sont quand même un aspect phonologique qui peut poser des problèmes pour les apprenants néerlandophones. Bien que Linthorst ait déjà fait une recherche sur notre sujet de recherche, nous pensons qu’il reste encore beaucoup d’aspects dont il ne s’est pas rendu compte. En premier lieu, il n’est pas clair pour nous pourquoi il ne s’est pas intéressé à la prononciation de /᷉ɛ/, ce qui devrait être très intéressant surtout car celle-ci semble être la voyelle la plus difficile à prononcer. De plus, il a pris des apprenants du français de nouveau moyen, ce qui pourrait expliquer le taux élevé des erreurs de prononciation, et il n’a utilisé qu’une seule tâche pendant sa recherche, notamment celle de la lecture d’une liste de mots. C’est pourquoi nous avons décidé de nous pencher sur le même sujet de recherche que Linthorst, mais en utilisant une méthodologie différente : celle de l’IPFC.

2.3 Le PFC et l’IPFC

En 1998, un groupe de linguistes français se sont décidés de constituer un grand corpus de la langue française parlée et ont dirigé le projet intitulé Phonologie du Français Contemporian :

usages, variétés et structure (PFC ; Durand, Laks & Lyche 2002, http://www.projet-pfc.net). Ce projet consiste au moment d’écriture1 de 394 locuteurs natifs du français qui ont tous été enregistrés en exécutant des différentes tâches comme par exemple la lecture d’un texte ou une conversation guidée. La présence de plusieurs tâches dans le protocole de ce projet est d’importance primordial, car comme dénote Tarone (1987), les chercheurs dans le domaine de la phonologie doivent être conscient du fait que la nature de la tâche peut jouer un grand rôle dans la production orale des locuteurs.

À la suite de ce grand projet s’est établi en 2010 un sous-projet concernant la prononciation du français par des apprenants du français, qui s’appelle Interphonologie du français

contemporain (IPFC, Detey et al. 2010). Ce projet a comme objectif de « constituer et mettre

à disposition un corpus de recherche de FLE varié (différentes L1, différentes tâches), avec un protocole de données identique pour toutes les L1 » (Racine et al. 2012). Ce protocole (Detey et al. 2010) est basé sur celui utilisé dans le projet PFC et consiste donc aussi plusieurs tâches qui doivent être exécutés par les apprenants. Le projet IPFC est effectué dans plusieurs pays, comme le Japon, l’Allemagne, la Suisse, le Canada et les Pays-Bas2.

La constitution du corpus IPFC permet aux chercheurs de faire des analyses très spécifiques au sujet de l’interphonologie des apprenants. Ainsi, une analyse a déjà été effectuée au sujet des voyelles nasales en français L2 pour des apprenants japonophones et hispanophones

1 04-07-2012

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(Detey et al. 2010). Cette recherche s’est faite en plusieurs étapes. D’abord, 5 apprenants japonophones et 5 apprenants hispanophones, de niveau de compétence B2-C1 ont effectué les diverses tâches prescrit par le protocole IPFC. Ensuite, les chercheurs ont demandé à 16 locuteurs du français natifs d’écouter des mots prononcés par les apprenants et d’écrire le mot français qu’ils ont reconnu. Ces mots étaient des mots monosyllabiques contenant les voyelles nasales /᷉᷉ɑ/, /᷉ɛ/ et /᷉ɔ/. Chaque voyelle apparaît dans trois positions : initiale de mot, interconsonantique et finale de mot. De plus, chaque mot a été produit deux fois par chaque apprenant : la première fois dans une tâche de répétition, la deuxième fois dans une tâche de lecture. L’analyse de cette recherche montre que le taux d’identification correcte de la voyelle nasale était plus élevé pour les productions des apprenants japonophones que celles des hispanophones. Au niveau des voyelles nasales, ils ont trouvé que /᷉ɔ/ était identifié plus souvent que /᷉ɑ/ et /᷉ɛ/ ce qui implique /᷉ɔ/ étant la voyelle nasale la plus facile à prononcer pour ces participants. De plus, les chercheurs ont observé que ce taux d’identification correcte était plus élevé pour les mots en lecture qu’en répétition, et ils concluent donc que dans l’élaboration d’un corpus oral, il est nécessaire d’inclure des tâches diversifiées.

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3 Cadre théorique

Dans cette partie, nous commençons à présenter quelques théories sur l’acquisition d’une langue seconde, et surtout sur l’acquisition du système phonologique de cette nouvelle langue. Ensuite, nous passons à la théorie phonologique proposée par Chomsky & Hall (1968) avant de nous plancher sur la théorie de Clements & Hume (1995). Enfin, nous présentons le système phonologique du français dans le cadre de cette théorie.

3.1 L’acquisition du système interphonologique

L’apprentissage d’une langue étrangère ou langue seconde (ci-après L2) ne se fait pas du jour au lendemain : c’est un processus complexe et compliqué qui a intéressé beaucoup de linguistes pendant des années. En général, ils sont d’accord sur le fait qu’au cours de l’apprentissage d’une L2, l’apprenant n’a pas encore acquis toutes les règles et propriétés de la L2, mais qu’il a quand même enrichi son système de la langue maternelle (L1). Les apprenants utilisent une langue qui est influencée par la L1 et par la L2 et qui possède donc des caractéristiques des deux langues : Selinker (1972) était le premier à en donner le nom d’Interlangue. Comme c’est le cas chez une langue ‘normale’, une interlangue possède sa propre syntaxe, sémantique, morphologie et phonologie. De plus, une interlangue peut être différente pour chaque apprenant, car on pourrait s’imaginer que l’interlangue d’un apprenant débutant est complètement différente que celle d’un apprenant avancé, et même les interlangues des apprenants du même niveau peuvent se caractériser par des éléments différents.

Dans les années 60, de plus en plus de linguistes se sont intéressés à l’acquisition des langues étrangères, et donc aux propriétés des interlangues. Comme remarque Tarone (1987), beaucoup de linguistes estimaient pouvoir prédire les erreurs de prononciation des apprenants de L2 : ils partaient de l’idée que toutes les fautes étaient le résultat de ce qu’on appelle le

transfert négatif, c’est-à-dire que l’apprenant utilise improprement des règles ou des

propriétés de sa L1 dans son interlangue. Ces linguistes faisaient alors une analyse contrastive des systèmes phonologiques de la L1 et de la L2 et croyaient pourvoir prédire quelles erreurs de prononciation seraient commises par les apprenants.

Un autre aspect important est l’idée de marque (markedness). Selon Eckman (1987), l’analyse contrastive ne peut prédire qu’en partie les fautes de prononciation par les apprenants. Selon lui, il faut ajouter la notion de dégrée relative de difficulté, qui correspond à la notion de marque qu’il définit comme ainsi :

« Markedness A phenomenon A in some language is more marked than B if the presence of A in a linguage implies the presence of B ; but the presence of B does not imply the presence of A. » (Eckman 1987 : 60)

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Tarone (1987) ne partage pas son point de vue car selon elle, il y a d’autres processus et restrictions que le transfert négatif qui causent les erreurs de prononciation commises par des apprenants. Selon elle, il faut aussi tenir en compte les processus de l’acquisition de la L1, comme celui de la généralisation illégitime des règles phonologiques, mais aussi des restrictions émotionnelles et sociales.

À cette idée s’accorde Major (1987) en affirmant que la phonologie des interlangues est influencée par plusieurs facteurs comme l’âge, la L2, l’interférence de L1 (transferts), le style et des facteurs de l’acquisition d’une langue en général. Lui aussi est d’avis que le transfert négatif ne peut pas prédire toutes les erreurs de prononciation commises par des apprenants. Il propose un modèle intitulé le modèle ontologique, (Ontology Model), dans lequel il essaye de décrire comment l’interlangue des apprenants change au cours de l’acquisition de la langue seconde. Il y distingue deux types d’erreurs : les fautes dues au transfert négatif de la L1 (erreurs de transfert) et celles qui ne peuvent pas être expliquées par l’interférence de L1 mais qui apparaissent à cause du processus d’acquisition d’un nouveau système phonologique (erreurs développementales). Son modèle décrit que quand on apprend un nouveau système phonologique, les erreurs de transfert sont très fréquentes au début de l’apprentissage, mais la fréquence de ces erreurs diminue de plus en plus. En même temps, il suppose que les erreurs développementales sont très rares au début, qu’elles apparaissent de plus en plus jusqu’à un certain moment où elles disparaissent. De plus, Major estime que le style joue un rôle important sur le taux d’erreurs : quand le style devient plus formel, d’autant moins de fautes de transfert sont rencontrées tandis que la fréquence des erreurs développementales augmente d’abord et diminue après un certain moment.

Un dernier point très important en ce qui concerne l’interlangue est mentionné par Archibald (1998) : la variation des apprenants. Ceci s’aperçoit dans la phonologie quand un apprenant sait prononcer un son sans problèmes dans certains cas et quand il commit une faute de prononciation dans d’autres cas comparables. Selon Archibald, il est difficile de déterminer dans ce cas si l’apprenant a acquis la bonne prononciation ou pas. Il suit une étude de Hulstijn en faisant la distinction entre des traitements contrôlés et automatiques : un traitement est considéré automatique quand un apprenant prononce la bonne réalisation sans avoir fait attention à la forme du mot. Le traitement est encore considéré contrôlé quand ceci n’est pas encore le cas.

De plus, Archibald (1998) distingue plusieurs facteurs qui influencent l’acquisition d’une langue seconde. Selon lui, il y a deux facteurs selon lesquels des apprenants peuvent varier l’un de l’autre : il y a des facteurs affectives comme l’empathie, l’angoisse et la motivation, et des facteurs cognitifs qui se rapportent aux mécaniques selon lesquels un apprenant acquiert des nouveaux facilités. De plus, il estime que l’âge des apprenants est de grande importance. Il met en avance l’hypothèse de la période critique, selon laquelle il y a une période pendant laquelle l’acquisition d’une langue se déroule spontanément et sans effort. Pourtant, après cette période, l’acquisition d’une langue devient beaucoup plus difficile, ou au moins différent. Il y a même des linguistes comme Tarone (1987) qui parle de fossilisation, c’est-à-dire le moment où l’interlangue arrête de se développer ayant comme conséquence que l’apprenant n’atteint jamais une prononciation native dans la L2. Elle en remarque qu’on ne peut pas encore dire si la fossilisation phonologique par des apprenants adultes soit inévitable ou pas.

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3.2 Les phonèmes et ses traits

Quand on étudie le système phonologique d’une langue, on se pose souvent d’abord la question suivante : quels sont les phonèmes de cette langue ? Fagyal et al (2006 : 306) en donnent cette définition : « phoneme : The simplest lexically distinctive unit of sound ». Les phonèmes constituent donc les plus petites unités distinctives, c’est-à-dire des unités qui permettent de distinguer deux mots l’un de l’autre.. Ainsi, les mots chat [ʃa] et rat [ra] se distinguent l’un de l’autre par les phonèmes /ʃ/ et /r/. Ici, chat et rat constituent ce qu’on appelle une paire minimale, et ce sont les paires de ce type qui permettent de distinguer les phonèmes d’une langue.

La distinction entre le niveaux phonologique et phonétique est d’importance primordiale, car elle permet de comprendre certains phénomènes dans une langue et de formuler des règles phonologiques. Prenons par exemple les mots néerlandais hond (chien) et lont (mèche) dont les prononciations constituent des paires minimales : [hɔnt] et [lɔnt]. Pourtant, quand on regarde aux formes plurielles de ces mots, on constate que celle de hond se prononce [hɔndəәn] et que celle de lont se prononce [lɔntəәn]. On voit donc que le pluriel s’exprime par le suffixe /əәn/. De plus, on observe que dans l’un des deux mots, on prononce [d] tandis qu’on prononce [t] dans l’autre. Cette différence s’explique seulement en supposant que les deux mots diffèrent l’un de l’autre sur le niveau sous-jacent : /hɔnd/ et /lɔnt/. La prononciation [hɔnt] au singulier se laisse expliquer ensuite par une règle phonologique qui prescrit le dévoisement des consonnes finales néerlandaises.

Chomsky & Hall (1968) proposent dans leur ouvrage innovateur The Sound Pattern of

English que chaque phonème est composé de traits (features) ayant une valeur positive ou

négative. Les phonèmes d’une langue se distinguent l’un de l’autre par l’ensemble de ces traits. Il y a par exemple /p/ et /b/ qui ont les traits suivants :

Tableau 1 Trait : /p/ /b/ [vocalique] - - [consonantal] + + [anterieur] + + [coronal] - - [voisé] - + [continuant] - - [nasal] - -

On voit que /p/ et /b/ se distinguent par la différence entre [-voisé] pour /p/ et [+voisé] pour /b/. Ainsi, tous les phonèmes peuvent être caractérisé par une colonne distinctive des traits. Il va de soi qu’il doit y avoir beaucoup plus de traits que ceux affichés dans le tableau 1 afin de pouvoir distinguer tous les phonèmes possibles l’un de l’autre.

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efficace. En néerlandais par exemple, toutes les consonnes non-nasales se dévoisent si elles se trouvent en fin de mot, ce qui peut être noté de la façon suivante :

+consonant

-nasal  [-voisé] ___#

Cette règle se lit « chaque phonème ayant les traits [+consonant] et nasal] deviennent [-voisé] s’ils se trouvent à la fin du mot ». Cette notation est beaucoup plus facile que les règles classiques et plus spécifiques comme « /b/ se prononce [p] s’il se trouve à la fin du mot, /d/ est prononcé [t] s’il se trouve à la fin du mot, etc. ».

L’utilisation des traits permet aussi d’établir des règles phonologiques d’assimilation et de dissimilation. Si on a deux phonèmes qui diffèrent l’un de l’autre par la valeur d’au moins un trait, par exemple [-antérieur] et [+antérieur], le processus d’assimilation s’effectue quand un des traits est partagé par les deux phonèmes, c’est-à-dire qu’ils deviennent tous les deux [+antérieur] ou [-antérieur]. Le processus de dissimilation montre le phénomène inverse : si deux phonèmes ont la même valeur pour un certain trait avant le processus et qu’ils ne l’ont plus après, on parle de la dissimilation.

L’introduction des traits dans le champ phonologique a mené à un nouveau point de vue sur les phonèmes et les règles phonologiques. De plus, l’apparition de cette théorie de Chomsky & Hall ont stimulé beaucoup d’autres phonologues à créer des théories plus élaborées, dont nous traitons un en particulier dans ce qui suit.

3.3 La représentation géométrique des segments

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Figure 1

Selon Clements & Hume, ce modèle permet de comprendre et expliquer les processus phonologiques qui se présentent dans chaque langue. Ainsi, ils donnent aussi leur interprétation sur ce qui se passe pendant le processus de l’assimilation. Ils distinguent trois types d’assimilation dont le premier s’appelle l’assimilation totale, qui est représentée ci-dessous :

Figure 2

On observe que la racine de A se diffuse vers le phonème B et que la racine de B est remplacée par celle de A. Ensuite, la racine de B est supprimée (montré par le symbole =), ce qui a comme conséquence que le phonème B adopte tous les traits du phonème A.

Un autre cas d’assimilation peut se présenter sur le niveau des nœuds des classes, ce qu’on appelle l’assimilation partielle :

Figure 3

On voit que les traits de lieu de A remplacent ceux de B, mais que B garde tous ses autres traits. Le même idée est valable pour le troisième type d’assimilation, pendant lequel un seul trait se diffuse à un autre phonème.

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s’appliquent pas toujours ; il y a une règle qui empêche la diffusion des traits ou des nœuds à d’autres phonèmes, appelé le No-Crossing Constraint (NCC). Ceci prescrit que les lignes qui relient deux éléments sur un certain niveau (ou tire) dans le modèle avec deux éléments sur une autre tire ne peuvent pas croiser l’un de l’autre. Cette idée est représentée ci-dessous, ou les cas ressemblant à (4a) sont permis tandis que ceux ressemblant à (4b) ne le sont pas :

Figure 4

Avant de passer au modèle que Clements & Hume désignent comme la représentation géométrique des phonèmes dans la figure 6, on doit mettre en avance certains aspects qui dévient de la théorie de Chomsky & Hall (1968), car, à part de la représentation non linéaire des traits, Clements & Hume ont des conceptions différentes sur d’autres sujets. Ainsi, ils ne s’accordent pas avec Chomsky & Hall sur la nature binaire des traits [labial], [coronal] et [dorsal]. Selon Clements & Hume, il faut les considérer comme des traits unaires, car il n’existe pas de règles phonologiques concernant les valeurs négatives de ces traits. Ils argumentent que si [-labial] n’apparaît dans aucune règle phonologique, il faut mieux considérer ces traits comme étant unaires. Ces traits n’ont donc pas de valeurs positives ou négatives, mais ils sont présents dans certains cas et ils ne le sont pas dans d’autres cas.

Un autre aspect sur lequel les linguistes ne sont pas d’accord, c’est l’organisation des vocoïdes, c’est-à-dire les voyelles et les semi-voyelles. On pourrait douter si les consonnes et les vocoïdes peuvent être classifiés en utilisant les mêmes traits ou pas. Clements & Hume en disent que la plupart des linguistes considèrent que les deux types de phonèmes partagent les traits [±sonorant], [nasal]3 et [±voisé], mais ils sont divisés sur les traits d’articulation. Chomsky & Hall (1968) basent leurs traits sur la manière d’articulation et donnent aux voyelles les traits binaires [±arrière], [±haut], [±bas] et [±arrondi] qu’ils utilisent aussi pour la représentation des consonnes. Ainsi, les consonnes sont représentées doublement : d’abord par des traits [±labial], [±coronal] et [±dorsal] et aussi par les traits [±arrière], [±haut], [±bas] et [±arrondi].

Selon Clements & Hume, il est plus logique et plus économique d’utiliser un seul système pour décrire les consonnes et les vocoïdes, notamment un modèle qui se base sur l’idée que chaque segment produit dans la cavité orale se caractérise par deux paramètres : le degré de constriction et l’endroit de constriction. Le premier se représente par le trait [±continuant] tandis que l’endroit de constriction se représente par les traits [labial], [coronal] et [dorsal]. Ainsi, [labial] représente les consonnes labiales et les vocoïdes arrondies ou labialisées, le trait [coronal] constitue les consonnes coronales et les vocoïdes antérieurs et [dorsal] désigne les consonnes dorsales et les vocoïdes postérieures. Pourtant, un aspect qui doit encore être représenté, est le degré d’aperture pour les voyelles. Clements & Hume proposent de remplacer les traits [±haut] et [±bas] de Chomsky & Hall par un seul trait, [±ouvert]. Ce trait se trouve sous le nœud d’aperture dans leur modèle et peut être utilisé pour exprimer les différents degrés d’aperture des voyelles. Dans un système phonologique de deux degrés d’aperture, il va de soi que le trait exprime [+ouvert] et [-ouvert]. Pourtant, quand une langue

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possède plusieurs degrés d’aperture, on doit y ajouter un deuxième tire pour pouvoir décrire ces différences. Ainsi, ils proposent de faire la représentation suivante :

Figure 5

Dans la figure 6, nous avons affiché une version adaptée de la représentation géométrique proposée par Clements & Hume (1995) ; nous avons laissé de côté les traits de la racine [±sonorant], [±approximant] et [±vocoïde] (ces traits sont inclus dans la racine et ne peuvent se diffuser donc pas à d’autres phonèmes) et deux traits sous le nœud laryngal. De plus, comme Clements & Hume, nous avons fait la distinction entre consonnes et vocoïdes qui se distinguent par la (non) présence du nœud vocalique.

Figure 6

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pourquoi nous rejetons cette idée. Clements & Hume (1995) ont suivi une étude de Piggott (1987) qui propose le placement du trait nasal sur le nœud de la racine, et qui considère le trait [nasal] comme un trait unaire. Selon lui, ceci est un aspect très important car selon la règle de NCC, un trait ne se diffuse pas à autre segment si ce trait a été spécifié déjà pour ce trait. Ainsi, si on désigne chaque phonème comme [+nasal] ou [-nasal], on ne pourrait jamais rencontrer des cas d’assimilation nasale. Il conclut donc que ce trait doit être considéré comme unaire. Clements & Hume (1995) ne semblent pas avoir une opinion claire sur ce sujet, car le trait de nasalité apparaît dans leur article plusieurs fois comme [±nasal] mais aussi comme [nasal]. C’est pourquoi nous choisissons de suivre Piggott (1987) sur ce sujet spécifique.

Ayant présenté cette théorie proposée par Clements & Hume (1995), que nous suivrons pendant notre analyse des données, nous passons maintenant au système phonologique français.

3.4 Le système phonologique du français

Comme nous avons déjà mentionné, une recherche phonologique s’oriente souvent sur l’inventaire des phonèmes. Commençons alors par les phonèmes consonantiques du français, que nous avons affichés dans le tableau 2. Nous avons suivi l’inventaire de Fagyal et al. (2006 : 21) en laissant de côté les phonèmes dialectales /ts/ et /dz/. Nous n’avons pas inclus les semi-voyelles /j/, /ɥ/ et /w/ non plus, qui sont d’après Clements & Hume des vocoïdes et donc plus liées aux voyelles. Pour finir, le /r/ ne figure pas dans le tableau, car ce phonème est réalisé de trois façons différentes : comme [R] vélaire, comme [r] palatal mais aussi comme r-roulé (Eggs & Mordellet 1990 : 40). Comme nous utilisons le modèle de Clements & Hume (1995) pendant l’analyse, nous montrons les traits4 qui correspondent à ce modèle spécifique. Pourtant, comme ils ne donnent pas d’indications sur les valeurs des traits pour les consonnes françaises, nous avons utilisé le schéma de Chomsky & Hall (1968 : 176-177) pendant la complétion du tableau, et nous avons dû adapter donc les valeurs positives et négatives pour les traits unaires.

Tableau 2 p b t d k ɡ f v s z ʃ ʒ m n ɲ ŋ l Racine [nasal] x x x x Laryngal [±voisé] - + - + - + - + - + - + + + + + + Cavité orale [±continu] - - - - - - + + + + + + - - - - + Lieu-C [labial] x x x x x [coronal] x x x x x x x x [dorsal] x x x x

Passons maintenant à l’inventaire des voyelles en donnant d’abord le triangle vocalique des voyelles présenté par Hansen (1998 : 71) contenant aussi bien les voyelles orales et nasales :

4 Nous faisons la distinction entre traits unaires et traits binaires en affichant la présence du trait unaire par un

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Figure 7

Nous nous basons sur ce tableau et sur la classification de Chomsky & Hall (1968) pour le remplissage du tableau 3 ci-dessous. Nous n’avons pas pris en compte le schwa /əә/.

Tableau 3 i e ɛ a y ø œ u o ɔ ɑ ᷉ɑ ᷉ɔ ᷉ɛ ᷉œ Racine [nasal] x x x x Laryngal [±voisé] + + + + + + + + + + + + + + + Cavité orale [±continu] + + + + + + + + + + + + + + + Aperture Tire 1 : [±ouvert] - - + + - - + - - + + + - + + Tire 2 : [±ouvert] - + - + - + - - + - + + + - - Lieu-V [labial] x x x x x x x x [coronal] x x x x x x x x x [dorsal] x x x x x x

Nous voyons que nous considérons les voyelles nasales comme des phonèmes, car, comme souligne Hansen (1998), il existe des paires minimales comme paix [pɛ] et pain [p᷉ɛ] dont les prononciations ne se distinguent que par la différence entre la voyelle orale [ɛ] et la voyelle nasale [᷉ɛ].

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Figure 8

Revenons maintenant au cas des voyelles nasales en liaison : comment peut-on représenter la prononciation de [b᷉ɔ] et [bɔnami] pour bon et bon ami? En suivant le modèle de Clements & Hume, on s’imagine cette situation représentée dans la figure 9 :

Figure 9

On voit que la diffusion du trait [nasal] dans bon ami est empêchée parce que la voyelle et la consonne nasale ne se trouvent pas dans le même syllabe, ce qui était une condition pour l’application de ce processus. D’après nous, le terme de dénasalisation n’est donc pas correct, car c’est le trait [nasal] qui ne se diffuse pas qui cause la prononciation non nasale de la voyelle.

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Figure 10

On y ajoute en suivant Tranel (1987) que l’ensemble de mots ayant une telle représentation sous-jacente varie selon la variété parlée par le locuteur du français. Il distingue 5 zones dialectales du français, représentés dans le tableau 4. Les locuteurs du dialecte 5 prononcent les voyelles en liaison toujours comme des nasales, mais il y a aussi des locuteurs du dialecte 3 qui les prononcent toujours comme des voyelles orales. Les locuteurs du français standard (dialecte 1) prononcent une voyelle nasale quand mon, ton, son, un, aucun, bien, rien, on et

rien se trouvent en liaison, mais ils prononcent une voyelle orale dans les mots bon, ancien, certain et d’autres adjectives qualificatives.

Tableau 4

Prononciation d’une voyelle nasale en liaison : [᷉VNV]

Prononciation d’une voyelle orale en liaison : [VNV]

Dialecte 5 tous les cas aucun cas

Dialecte 4 ancien, certain, etc.

mon, ton, son, un, aucun, bien, rien, on, en

bon

Dialecte 1 mon, ton, son, un, aucun, bien,

rien, on, en adjectives qualitatives (bon, ancien, certain, etc.)

Dialecte 2 un, aucun, bien, rien, on, en adjectives qualitatives, mon, ton, son

Dialecte 3 aucun cas tous les cas

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4 La méthodologie

Dans ce qui suit, nous montrons les matériaux que nous avons utilisés et nous expliquons la procédure que nous avons suivie pendant les enregistrements des participants. Ensuite, nous décrivons comment nous avons codé les données et nous présentons les logiciels qui nous ont aidés pendant l’analyse. Enfin, nous regardons aux caractéristiques des participants de notre recherche.

4.1 Matériel

Pendant notre recherche, nous nous sommes servis de plusieurs documents qui sont tous mentionnés dans le protocole IPFC. Ainsi, nous avons utilisé deux différentes listes de mots : la liste qui a été utilisée dans le projet PFC après liste générique), et une autre liste (ci-après liste spécifique) qui a été constituée spécifiquement dans le cadre du sous-projet IPFC-néerlandais par Dominique Nouveau (Université de Nimègue). Selon le protocole, cette liste doit comprendre des difficultés qui valent pour les apprenants des L1 divers, mais aussi des difficultés spécifiques à chaque population d’apprenants : dans notre cas donc les apprenants néerlandais. La liste générique se compose de 94 mots tandis que la liste spécifique contient 74 mots. Dans les deux listes, on trouve 18 mots qui ont au moins une voyelle nasale dans la réalisation cible et ce sont donc ces mots en particulier qui sont intéressants dans le cadre de notre recherche. De plus, nous avons utilisé un enregistrement qui fait entendre la lecture de la liste spécifique par un locuteur francophone natif. Chaque mot est répété deux fois et suivi d’une pause pendant lequel le participant est censé de répéter le mot français. Enfin, nous nous sommes servis d’un texte5 intitulé « Le premier ministre, ira-t-il à Beaulieu ? » qui a été utilisé dans le projet PFC aussi, et d’un questionnaire sociolinguistique fourni par le protocole IPFC qui a été rempli par tous les participants.

4.2 Procédure

Le protocole IPFC prescrit l’exécution de 6 tâches pour chaque participant : une tâche de répétition, trois de lecture et deux de conversation. Pourtant, nous avons choisi de ne pas effectuer une des tâches de conversation, notamment celle de l’entretien entre deux apprenants, car il était difficile à réaliser une telle rencontre pour chaque participant. Ainsi, le déroulement pour chaque participant pourrait se mettre en place dans une seule séance d’une heure environ, pendant laquelle cinq tâches sont accomplies par le participant.

Au début de la séance, nous avons présenté le projet au participant en expliquant ce que c’est l’IPFC. Ensuite, nous avons lu ensemble le document de Consentement de participation (Detey et al. 2010) qui a été signé après. Le participant a été ensuite introduit dans la salle d’enregistrement. Après avoir expliqué comment il doit parler par le microphone, nous avons commencé la tâche 1, qui est la répétition de la liste spécifique en utilisant l’enregistrement déjà mentionné ci-dessus. Après cette tâche, nous avons demandé au participant de lire la liste générique (sans lire le chiffre devant chaque mot), la liste spécifique et le texte PFC. Pendant la dernière tâche, celle de conversation guidée, un locuteur natif du français (dans notre cas Julien Eychenne de l’Université de Groningue) a posé des questions fermées et ouvertes au

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participant qui y a donné des réponses. Pour finir, nous avons demandé au participant de remplir le questionnaire sociolinguistique.

Avant de pourvoir passer à l’analyse, il nous fallait de faire des transcriptions orthographiques. En suivant le protocole IPFC, nous avons utilisé le logiciel Praat (Broersma & Weenink 2009). Dans Praat, on peut créer un Textgrid pour chaque fichier son, qui peut contenir un ou plusieurs tires. Pour la transcription des listes de mots, on crée une tire intitulée

mot cible. Ensuite, on peut mettre des frontières autour de chaque mot et transcrire

orthographiquement le mot qui devait être produit. La transcription de la lecture du texte ressemble beaucoup à celle des listes des mots, mais on ne met pas de frontières autour de chaque mot, mais on les met quand on entend une pause qui est faite par le locuteur. Ensuite, on peut transcrire la partie du texte PFC qui y correspond: la tire s’appelle donc texte cible. Pour la transcription de la tâche de conversation, on crée de nouveau une tire ortho, dans laquelle on met la transcription orthographique standard de la totalité de la conversation sans ponctuation. Ainsi, chaque participant nous a fourni de 5 fichiers son et de 5 fichiers Textgrid correspondants.

4.3 Le système de codage

Detey (2012) démontre que les corpus constitués par des données de L1 de L2 ne peuvent pas être traité de la même façon, car on rencontre des difficultés dans la transcription de langage ‘non standard’. Il plaide pour l’utilisation d’un système de codage, comme on a utilisé aussi pour le projet PFC. De plus, on doit garder en tête que le codage des données L1 et L2 ont toujours la fonction descriptive (descriptive function) et que, pour le codage des données L2, on y ajoute une deuxième fonction, notamment celle de l’évaluation (rating function). Il démontre que le codage des données a trois fonctions principales : on peut intégrer de l’information contextuelle, on peut intégrer de l’information évaluative, et on peut très facilement traiter et analyser de grandes quantités de données en utilisant un logiciel informatique qui peut décoder et analyser le système de codage.

Pour notre recherche, nous avons utilisé un système de codage (Detey 2012) qui a été désigné spécifiquement pour l’analyse des voyelles nasales dans le cadre de l’IPFC. Dans le tableau 5 à la page suivante, nous avons affiché un aperçu global du système.

Il est clair qu’il s’agit d’un système assez élaboré car il y a 6 champs à coder. Les deux fonctions d’un système de codage distinguées par Detey (2010) sont présentes : d’une part, on peut décrire le contexte de la voyelle dans les champs 2, 3 et 6 ; d’une autre part, on peut évaluer si la réalisation de la voyelle est bonne ou pas dans les champs 4 et 5. Maintenant, nous voulons élaborer le contenu de tous ces champs plus en détail.

Le premier champ indique directement ce qui est la voyelle à coder. Dans beaucoup de cas, ceci est une voyelle nasale, et on code donc 11, 12, 13 ou 14. Pourtant, on pourrait aussi s’imaginer qu’un participant prononce une voyelle qui est normalement orale, comme une nasale. En ayant l’option de coder 21, 22, 23, 24 ou 25, il est possible d’intégrer ces cas intéressants aussi dans notre base de données.

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Dans les derniers deux cas, on ajoute un caractère P, N, F, L, S ou V6 pour indiquer la nature de l’élément qui précède à la voyelle.

Tableau 5 1 – Voyelle Cible 2 – Contexte gauche 3 – Contexte droite 4 – Nasalité de la voyelle 5 – Qualité spectrale 6 – Appendice consonantique 1x = voyelle nasale 11 = [᷉ɑ] 12 = [᷉ɔ] 13 = [᷉ɛ] 14 = [᷉œ] 2x = voyelle orale équivalente 21 = [an/am] 22 = [on/om] 23 = [en/em] 24 = [un/um] 25 = [in/im] 10 = ##_ 2x = #_ x : P/N/F/L/S/V* 3x = C_ x : P/N/F/L/S* 100 = _##C 20x = _#C x : P/N/F/L/S* 30x = _C#(#) x : P/N/F/L/S* 40x = (C)(C)_C(C) x : P/N/F/L/S* 5xy = _V x : 0 = pas de liaison, 1 = liaison réalisée y : N = voyelle qui suit est nasale, V = voyelle qui suit est orale 1 = voyelle nasale 2 = voyelle orale + nasalisation (ou incertain) 3 = voyelle orale 4 = voyelle nasale non réalisée 1x = ressemblant à la cible x : 0 pour AN/ON/IN, ajoute I si UN = [᷉ɛ], ajoute U si UN = [᷉œ] 2x = ne pas ressemblant à la cible x : A/O/I/U/X ([᷉ɑ],[᷉ɔ],[᷉ɛ],[œ], X=autre voyelle) 10 = pas d’appendice consonantique 2x = présence d’une appendice consonantique x : N/M/G selon la nature du son ; X si c’est un son différent 30 = la liaison est réalisée

*P = plosive, N = nasale, F = fricative, L = liquide, S = semi-voyelle, V = voyelle

Le champ 3 se compose de 3 caractères, car on y code le contexte droite, et par conséquent la liaison. Comme nos participants sont des apprenants du français et donc pas des locuteurs natifs, on a considéré que tout contexte vocalique à droite est un site de liaison potentielle. Ainsi, on distingue deux possibilités : soit on trouve une consonne à droite, soit on y trouve une consonne. Dans le premier cas, on distingue quatre occurrences différentes : la voyelle est suivie d’une pause (on code 100) ; elle est suivie d’une frontière de mot (20), elle est directement suivie d’une consonne et la frontière de mot (30) ou elle est suivie d’une consonne et au moins d’une autre voyelle ou consonne (40). Dans les trois derniers cas, on ajoute de nouveau la nature de la consonne qui suit : P,N,F,L ou S. Si on trouve une voyelle dans le contexte droite, on code 3 éléments : premièrement, on met ‘5’ pour indiquer qu’il s’agit d’un site de liaison potentielle. Ensuite, on met ‘0’ si la liaison n’est pas réalisée, et on met ‘1’ si elle est réalisée (on ne fait pas de distinction entre la présence de l’enchaînement ou pas et on code donc aussi les cas dans lesquels la liaison est ‘abusive’ selon les règles de prononciation du français). Ensuite, on ajoute N si la voyelle qui suit est une nasale ou V si elle est orale.

6 P = plosive, N = nasale, F = fricative, L = liquide, S = semi-voyelle, V = voyelle ; nous avons considéré toutes

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Le champ prochain est le premier élément évaluatif du code, car on y juge si la voyelle est prononcée bien nasale ou pas. On code ‘1’ si on entend une voyelle nasale ; ‘2’ si on entend une voyelle orale suivi d’une voyelle nasale (donc par exemple la prononciation [pɛ᷉ɛ] pour le mot pain) ; ‘3’ si une voyelle orale est prononcé et ‘4’ si la voyelle n’est pas prononcé du tout. Ce champ est très intéressant dans notre analyse, car quand on n’y code pas ‘1’ tandis que notre voyelle cible est bien une voyelle nasale (1X dans le champ 1), on observe une faute de prononciation chez l’apprenant. En filtrant toutes ces occurrences pendant l’analyse, on peut trouver et distinguer tous les cas problématiques pour les apprenants.

Dans l’autre champ évaluatif du code, le champ 5, on code le timbre de la voyelle. Si le timbre de la voyelle est bien prononcé, on code ‘1’ suivi de ‘0’ si la cible est [᷉ɑ],[᷉ɛ] ou [᷉ɔ] ; suivi de ‘U’ si UN est prononcé [᷉œ] et ‘I’ si UN est prononcé [᷉ɛ]. Cette dernière distinction est faite car il y a des locuteurs natifs du français qui prononcent ‘UN’ comme [᷉ɛ] au lieu de [᷉œ], et on pourrait s’intéresser à la réalisation des apprenants de ce son en particulier de cette façon. Si le timbre est prononcé incorrectement, on code ‘2’ suivi par ‘A’ (on prononce [᷉ɑ], ’O’ ([᷉ɔ], ‘I’ )[᷉ɛ], ‘U’ ([᷉œ])ou ‘X’ (si on prononce une autre voyelle). Ainsi, si on trouve la prononciation [bl᷉ɔ] pour le mot ‘blanc’, on code ‘2O’ dans ce champ. De plus, nous sommes partis de l’idée suivante : quand notre cible est une voyelle nasale et on prononce une voyelle orale, on ne peut pas prononcer le bon timbre de la voyelle et on code toujours ‘2X’ pour ce champ7.

Le dernier champ permet de coder la présence de ce qu’on appelle un appendice consonantique. Fagyal et al. (2006) en disent que dans beaucoup de variétés du Sud de la France, on peut remplacer la voyelle nasale par une séquence d’une voyelle orale partiellement nasalisée, suivie d’un élément consonantique qu’on appelle l’appendice : par exemple, la voyelle /᷉ɛ/ peut être prononcée [ɛ᷉ɛŋ]. Cet appendice peut se réaliser dans 3 formes : [n]. [m] ou [ŋ]. Dans notre système de codage, on peut coder la présence d’un tel appendice en mettent le caractère ‘2’ suivi de ‘N’, ‘M’ ou ‘G’, d’après la nature de l’appendice consonantique, ou même ‘X’ s’il s’agit d’un son différent8. Si on n’entend pas un tel appendice, on a le choix entre ‘10’ et ‘30’. Pendant le codage, nous avons codé ‘30’ dans tous les cas où la liaison potentielle s’était réalisée par le son [n]. Si elle s’était réalisée par un son différent ou s’il n’y avait pas de liaison à faire, nous avons codé ‘10’. Nous avons choisi de faire la distinction entre ‘liaison réalisée par [n]’ et ‘liaison réalisée par les autres sons’ car dans le premier cas, il est impossible de prononcer un appendice consonantique, car il y a déjà un consonant nasale qui est prononcé. Par contre, si on réalise la liaison en prononçant [z], [t], [r], [p] ou [ɡ], on pourrait s’attendre à la réalisation d’un appendice consonantique avant la consonne de la liaison. En suivant notre décision, il reste possible d’inclure cette information dans nos données.

Nous avons utilisé ce système de codage pour coder toutes les voyelles nasales qui apparaissaient dans 4 des 5 tâches : nous avons codé les trois tâches de lecture et celle de la répétition ; nous avons laissé de côté la tâche de conversation. Ce codage s’est fait dans Praat,

7 On pourrait douter si cette idée soit valable ou pas, car le timbre d’une voyelle nasale et orale peuvent en fait

être pareilles. Pourtant, comme il est extrèmement difficile de faire des jugements de ce type, nous avons décidé de trraiter tous les données de cette façon conséquente.

8 Nous avons codé la présence d’une appendice consonantique aussi dans certains autres cas. Prenons par

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où nous avons créé des tires intitulés Code nasales Les codes ont été placés dans le mot cible, juste après la graphie correspondante à la voyelle nasale (donc une voyelle suivie de ‘n’ ou ‘m’) et les champs ont été séparés l’un de l’autre par le symbole ‘_’ . Ainsi, quand un participant prononce [rəәvəәn᷉ɑ] pour le mot ‘revenant’, on obtient l’entrée: revenan11_3N_100_1_10_10t.

Bien que ce système semble totalement clair et bien organisé, nous avons rencontré plusieurs problèmes pendant le codage de toutes les voyelles. Ces problèmes nous ont dû faire des décisions pour qu’on puisse traiter ces deux cas problématiques d’une façon conséquente. Nous débordons de ces cas brièvement ci-dessous.

D’abord, nous avons dû faire une décision en ce qui concerne le schwa final. Pour les mots comme ‘Andes’, on pourrait obtenir les prononciations [᷉ad] et [᷉adəә]. On s’est posé la question si on devrait les coder différemment dans le champ 3 qui s’occupe du contexte droite de la voyelle. Strictement dit, on pourrait coder ‘30P’ pour la première prononciation et ‘40P’ pour la deuxième, car la présence du schwa final change le contexte droite de ‘_C#’ à ‘_Cəә‘ . Pourtant, ce schwa est souvent considéré comme une détente consonantique, d’autres recherches plus récentes comme celle de Berit Hansen & Mosegaard (2003) le dénomment

schwa prépausal. De toute façon, il s’agit d’une voyelle qui n’a pas un statut comparable aux

autres voyelles. De plus, nous avons remarqué pendant le codage qu’il est parfois très difficile d’entendre si ce schwa est prononcé ou pas. C’est pourquoi nous avons choisi de traiter les deux prononciations de la même façon en codant ‘30P’ dans le champ 3.

Le deuxième point de discussion s’occupe des cas ou la voyelle nasale est suivie par une voyelle et on réalise la liaison entre ces deux voyelles. Comme on a vu dans le chapitre 2, les linguistes ne sont pas du tout d’accord sur la question si on doit prononcer une voyelle nasale ou orale. Comme démontre Tranel (1987), la prononciation de cette voyelle particulière est vraiment un cas de variation et on ne peut pas donner une règle qui vaut pour le français

standard. Pendant le codage, nous avons choisi de traiter tous ces cas de la même façon,

notamment comme des voyelles nasales qui doivent être prononcé comme des nasales. Cela nous permettra de distinguer ces cas particuliers de tous les autres cas très facilement, car la présence de la liaison est codée explicitement dans le champ 5. Si on ne veut donc pas troubler nos analyses par ces cas extraordinaires, on peut facilement laisser de côté tous les cas où la liaison est réalisée.

Ci-dessous, nous avons indiqué les codes correspondants aux prononciations des mots ‘son usine’ qui se trouve dans le texte PFC.

[s᷉ɔ ysin]  12_3F_50V_1_10_10

[s᷉ɔnysin]  12_3F_51V_1_10_30

[sɔnysin]  12_3F_51V_3_2X_30

Nous considérons donc dans les trois cas que notre voyelle cible est la voyelle nasale [᷉ɔ] (code 12) qui est précédée d’une consonne fricative (3F). Dans la première prononciation, la liaison n’est pas réalisée (50V) ; dans les autres cas, elle est bien présente (51V). Ensuite, on voit que la voyelle est nasale dans les premières deux prononciations (1) et que la bonne voyelle nasale est prononcée (10) ; dans la dernière réalisation la voyelle est orale (3) et on ne prononce pas la bonne voyelle nasale (2X). On code enfin 10 dans le champ 6 pour la première prononciation car il n’y a pas d’appendice consonantique, et on y code 30 pour les autres réalisations car la liaison s’est réalisée par le son [n].

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des avantages du système, on doit enlever un désavantage assez grand de ce système. Comme Detey (2012) indique aussi, l’évaluateur a une grande influence sur les données qu’on obtient après le codage. Comme souligne entre autres Hansen (1998 :73), il est très difficile de faire des évaluations à l’aide de spectrogrammes quand on veut analyser des voyelles nasales, et on relie donc seulement à ce qu’on peut entendre. Ceci rend l’évaluation très subjective car on ne peut pas se baser sur des directives fixes, et on peut douter alors de la fiabilité des données. C’est pourquoi nous avons demandé à un apprenant du français avancé9 de faire le codage des données de deux participants pour qu’on puisse comparer ses évaluations avec les nôtres. Comme elle n’avait pas de connaissance en ce qui concerne le système de codage, nous avons désigné des fiches spécifiques10 sur lesquelles elle pourrait indiquer exactement ce qu’elle entendait. Nous l’avons demandé de répondre à deux questions spécifiques pour chaque voyelle cible : « Est-ce que vous entendez une voyelle nasale ou orale, et si c’est une nasale, c’est laquelle ? » ; « Est-ce que vous estimez que le participant prononce un appendice consonantique, et si c’est le cas, c’est quel son ? ». De plus, pour les mots du texte lu, nous lui avons demandé aussi d’indiquer si elle jugeait que la liaison était réalisée ou pas, et si c’était le cas, quelle consonne a été prononcée pour faire cette liaison.

Nous avons fait entendre les mots cibles l’un après l’autre, et ont donné ensuite quelques instants pour remplir la fiche. Ainsi, elle a donné son évaluation concernant la prononciation de 290 voyelles. Après la comparaison avec nos jugements, nous avons trouvé seulement 4 cas qui étaient jugés différemment, et après avoir regardé ces cas ensemble, nous sommes tombés d’accord sur l’évaluation la plus adéquate. Cette deuxième évaluation, faite par une personne indépendante de notre recherche, nous a fait croire d’avoir obtenu un corpus de données aussi fiable que possible vue que le temps que nous avons eu pour exécuter notre recherche.

4.4 L’analyse des données

Le dernier élément à discuter dans ce chapitre concernant la méthodologie est le logiciel que nous avons utilisé pendant l’analyse des données qui s’appelle Dolmen (Eychenne, 2012). Dolmen a été développé afin de pouvoir faire des analyses sur des corpus linguistiques. Pourtant, avant de pouvoir utiliser l’outil pour notre recherche, il nous a valu d’installer un

plugin spécifiquement désigné pour l’analyse des nasales (Eychenne, 2012). Ainsi, nous

avons obtenu un logiciel qui peut décoder le système de codage que nous avons utilisé et qui permet de rechercher à toute sorte de choses différentes : on peut lui faire afficher tous les codes concernant la voyelle [᷉ɑ], mais aussi tous les apparitions des appendices consonantiques etcetera. Dolmen peut donner des listes de résultats de recherche (le contexte est affiché aussi), mais aussi des tableaux qu’on peut repasser à Microsoft Excel pour en faire des analyses encore plus élaborées en créant des listes et ensuite des tableaux croisés

dynamiques (TCD) qui permettent de faire des aperçus très élaborés et complets.

En utilisant Dolmen, il va de soi qu’on peut faire des analyses quantitatives car il peut nous fournir de tableaux concernant toutes les données ou des sous-parties qu’on sélecte en avance ; pourtant, il nous permet aussi de faire des analyses qualitatives, car il est très facile de rechercher des données spécifiques. Comme le contexte des données est toujours affiché, il est assez facile de faire des analyses qualitatives.

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De plus, nous avons voulu ajouter un dernier élément, notamment le test chi carré. Comme nous ferons des analyses quantitatives, il est important de pouvoir tester la signification des résultats. Le test nous donne deux chiffres : celui du chi carré et la probabilité ‘p’. Pour que les résultats puissent être considérés comme significatifs, la valeur chi carré doit être plus élevée que 4,5 ; celle de la probabilité doit être plus basse que 0,05.

4.5 Participants

Notre groupe de participants consiste en huit étudiants de français à l’université de Groningue, dont deux hommes et six femmes. Ils sont tous d’origine hollandaise et ont comme langue maternelle le néerlandais ; un participant a indiqué d’être bilingue néerlandais/frison. Tous les participants sont des apprenants du français avancés et ont suivi au moins 8 mois de cours en langue française. Ils parlent tous le français régulièrement pendant les cours à l’université et certains d’entre eux le parlent aussi quelques fois par semaine avec des amis français.

Pendant leurs études, ils ont tous suivi un cours au sujet de la prononciation du français. Pendant ce cours, les voyelles nasales ont aussi été traité à l’aide du manuel Uitgesproken

Frans (Matter 1990). Dans le chapitre consacré aux voyelles nasales, Matter distingue trois

aspects dont l’apprenant néerlandais doit se rendre compte. D’abord, il met en avance qu’il est très important de distinguer les voyelles nasales et les voyelles orales, comme dans les mots il

vient en ils viennent. De plus, il ne faut absolument pas ajouter une consonne nasale (courte)

après la prononciation de la voyelle nasale. Pour finir, il ajoute que les français ne font souvent plus la distinction entre [᷉ɛ] et [᷉œ], et que les mots comme brin et brun peuvent être prononcés de la même façon.

(26)

5 Analyses

Dans ce chapitre, nous nous proposons de faire des analyses des données afin de pouvoir affirmer ou rejeter l’hypothèse que nous formulons d’abord dans la partie 5.1 De plus, nous nous proposons de distinguer d’autres facteurs contextuels et individuels qui attribuent à la réalisation des prononciations fautives. Pour ce faire, nous commençons en donnant quelques observations sur notre corpus en général. Ensuite, nous regardons de plus en plus en détail aux cas problématiques rencontrés par les participants en faisant des analyses plus qualitatives.

5.1 Hypothèses

Dans notre recherche, nous nous proposons de répondre à la question de recherche suivante : est-ce que les apprenants avancés du français néerlandophones ont déjà acquis une prononciation native des voyelles nasales françaises, et, si ceci n’est pas le cas, quels sont les facteurs qui jouent un rôle important quand ils produisent une prononciation fautive ? Comme notre recherche s’occupe des apprenants plus avancés que ceux de Linthorst (1977), nous supposons que nos participants feront moins de fautes de prononciation que ceux de Linthorst. Pourtant, en suivant Tarone (1987) entre autres, nous ne pensons pas que nos participants ont déjà acquis une prononciation native des voyelles nasales françaises et qu’ils commettront donc encore des erreurs.

Dans ce cas, en suivant le modèle d’Ontology de Major (1987), nous supposons que les erreurs sont soit des erreurs de transfert négatif, soit des erreurs développementales. De plus, nous pensons que la nature de la tâche (ou le style selon Major), comme on a vu dans la recherche de Detey et al. (2010), peut jouer aussi un rôle important. De plus, nous voulons examiner si on peut découvrir d’autres facteurs plutôt individuels, comme a remarqué Archibald (1998), qui influencent la prononciation des apprenants. Enfin, nous nous proposons de donner des explications concernant certaines erreurs de prononciation en utilisant le modèle de représentation géométrique des traits de Clements & Hume (1995).

5.2 Observations générales

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Figure 11

Ce qui nous intéresse dans cette recherche est la prononciation des voyelles nasales par les apprenants du français, et surtout les erreurs de prononciation qui sont commises par les participants. Avant de pouvoir passer à l’analyse, il est donc important de formuler ce qu’on entend par une prononciation correcte et par une prononciation fautive : une prononciation est jugé correcte si la voyelle prononcée est une nasale ayant le bon timbre et si elle n’est pas suivie d’un appendice consonantique. Dans tous les autres cas, nous jugeons la prononciation comme fautive. Il est important de remarquer ici que nous avons laissé de côté tous les cas où la liaison était réalisée, car comme on a vu dans le cadre théorique, il est impossible pour nous de juger la prononciation de ces voyelles comme correcte ou fautive. Nous reviendrons à ces cas spéciaux à la fin de ce chapitre.

La première étape dans notre analyse est de déterminer si la prononciation des voyelles nasales françaises est encore parfois problématique pour les participants. Le tableau 6 affirme notre hypothèse sur ce sujet : les participants ont déjà acquis en grande partie la prononciation des voyelles nasales (93% prononciations correctes), mais comme démontrent les chiffres sous ‘prononciations fautives’, ils n’ont pas encore acquis une prononciation native. La plupart des erreurs sont faits suite à la prononciation du mauvais timbre (34 sur 1109) ou d’une voyelle nasale (43 sur 1109). Différent à ce qu’avait trouvé Linthorst (1977), seulement quelques prononciations sont jugées fautives à cause de la prononciation d’une appendice consonantique. De plus, le /᷉ɛ/ semble la voyelle la plus difficile à prononcer (18% des cas sont problématiques) tandis que le /᷉ɔ/ ne pose des problèmes que dans 2% des cas. Dans l’analyse suivante, nous nous proposons de regarder plus en détail aux facteurs qui pourraient expliquer l’occurrence des prononciations fautives.

Tableau 6

Prononciations correctes

Prononciations fautives Grand

total Voy Bonne voy. avec app. Autre voy.nas. avec app. Autre voy. nas. Sans

app. Voyelle orale Total

[᷉ɑ] 452 96% 4 0 7 9 21 472

[᷉ɔ] 305 98% 0 0 0 6 6 311

[᷉ɛ] 227 82% 1 0 25 24 50 277

[᷉œ] 43 88% 0 0 2 4 6 49

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5.3 Erreurs de transfert vs. Erreurs développementales

En suivant le modèle ontologique de Major (1987), on peut diviser ces prononciations fautives en deux types de fautes : erreurs de transfert et erreurs développementales. En premier vue, on pourrait penser que les prononciations d’un appendice consonantique et celles d’une voyelle orale au lieu d’une nasale sont dues au transfert négatif de la L1 tandis que les prononciations du mauvais timbre nasale sont considérés comme des erreurs développementales, car la L1 des participants ne possède pas de voyelles nasales dans son inventaire phonologique. L’interférence de la L1 ne peut donc pas être la cause de ces prononciations fautives. Mais, avant de pouvoir confirmer cette hypothèse, il nous faut regarder aux prononciations problématiques plus en détail dans le tableau 7.

Tableau 7

Regardons d’abord la plus grande catégorie, notamment aux cas où le participant a prononcé une voyelle orale au lieu d’une nasale. Dans tous les cas, sauf la prononciation de saint comme [sɛ], on s’aperçoit que la forme sous-jacente /VN/ est réalisée [VN]. Selon la théorie de Clements & Hall (1995), on aurait prévu la diffusion du trait [nasal] de la consonne à la

Bonne voyelle avec appendice

Autre voyelle nasale sans appendice

Voyelle orale avec appendice

Voyelle orale sans appendice

Voy. mot fréq mot fréq mot fréq mot fréq

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