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Guy De Boeck Ejbmphvf

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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le 16/01/2007

« Ils sont fous, ces Blancs ! » (autour du Mont Ngaliema)…

Guy De Boeck

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Tout le monde connaît le Mont Ngaliema, magnifique site de Kinshasa d’où la vue sur le fleuve Congo est exceptionnelle, et où se trouve, en principe, la résidence du chef de l’Etat.

« Ngaliema » était, au départ, le nom, ou au moins le titre d’un homme qui résidait là, et qui a été mêlé aux événements qui vont mener à la fondation des villes jumelles de Kinshasa et Brazzaville.

L’histoire que je me propose de raconter ici date de Stanley et de Léopold II. Et pourtant, fait exceptionnel, elle n’a pas fait couler de sang, n’a coûté aucun mort et est, au total, plutôt comique ! C’est rare, mais tout arrive…

Le pool Malebo est, par la générosité de la nature, une véritable plaque tournante commerciale, puisqu’il est situé au confluent de plusieurs rivières importantes qui, toutes, sont des voies de communication permettant des échanges avec le reste du pays.

Ce fait n’avait pas échappé aux habitants. Il y eut des guerres et de rudes combats pour le contrôle du pool. A la fin du XIX° siècle, quand les grands plans de colonisation de l’Afrique sont en germe en Europe, il est toujours contrôlé par le royaume Teke.

Ce royaume s'étend sur les hauts plateaux de l'Ogooué et du Congo. Mais on trouve aussi des Téké le long du Congo. S'il a bien existé un royaume téké plus connu sous le nom de royaume Makoko, il n'a jamais regroupé l'ensemble des Téké. Ces populations vivent dans un milieu naturel dur : "Ici la terre exige de l'homme sa sueur pour lui fournir une récolte périodique", commentera Brazza.

L'habitat est dispersé. Les Batéké sont aussi des commerçants qui profitent de leur position stratégique sur les rives du Pool en amont des rapides du Congo. Le cœur du royaume est situé à Mbé, lieu de résidence du Makoko.

Ce terme Makoko signifie chef. On l’a traduit par « roi », peut-être « pape » aurait-il mieux convenu, la fonction du Makoko pouvant être comprise comme religieuse plus que temporelle. Le nom personnel de l’homme que l’histoire a enregistré comme « s’appelant Makoko » était en réalité Ilo1. La

1 Cf. VANSINA Jan : "Makoko Ilo" in Les Africains, tome X, pp. 152 ss, Paris/Dakar, Présence Africaine, 1979

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royauté téké était élective et le roi voyait son autorité limitée par un certain nombre de grands personnages qui étaient ses "vassaux". Le « Ngalion », en qui les explorateurs voient une sorte de « Premier Ministre », régne pratiquement en maître sur une moitié du territoire. Le Ngaliema, lui, a fondamentalement pour tâche de veiller à ce que le Pool reste sous contrôle Teke… mais aussi sous son contrôle personnel. Le chef de la région entre Jué et Bunda, Opontaba, affiche lui aussi des velléités de fronde. Lorsque les explorateurs arrivent, la décadence du royaume Teke est largement entamée. Dans n’importe quel Etat au monde, quand le pouvoir central bat de l’aile, les particularisme locaux relèvent la tête et en prennent à leur aise. On pense sécession et indépendance… surtout lorsqu’on occupe une position matériellement intéressante.

Ce qui va se passer autour du Pool et du Mont Ngaliema remonte à la fin des années 1870. A cette époque, la Conférence de Berlin n’avait pas encore eu lieu. Léopold II n’est toujours que Roi des Belges, même s’il braque sur l’Afrique centrale un œil émerillonné par un appétit qu’il proclame encore « scientifique ». L’EIC n’existe pas encore. Il n’y a que l’Association Internationale Africaine (AIA), aux apparences scientifiques et humanitaires…

De tous côtés, on explore à tour de bras dans un grand élan d’enthousiasme « géographique ».

C’est la période que l’on a appelée en Anglais le « Scramble », c'est-à-dire la course. Cette hâte soudaine à pénétrer au cœur d’un continent dont, pendant trois cents ans et plus, on s’est contenté d’effleurer les rivages, vient de ce que chacun prévoit déjà ce qui va se passer : un jour ou l’autre, on va s’apercevoir qu’en maints points du « Continent Obscur », il y a des heurts entre des impérialismes concurrents. L’une ou l’autre Grande Puissance européenne tirera la sonnette d’alarme et l’on mettra sur pieds une conférence internationale2 chargée d’examiner la légitimité des prétentions de chacun. Explorer, planter des jalons sur le terrain et en ramener des preuves, cela part moins de l’intérêt pour la découvertes de nouveaux paysages, que du désir de collecter des arguments, ces armes dont les diplomates useront lors de la Conférence dont on sait bien qu’elle se tiendra un jour.

La légitimité du colonisateur, d'où viendra-t-elle ? Il est bien entendu qu'il s'agit de la légitimité reconnue par les autres nations coloniales. Ce que le Nègre peut bien en penser, on s'en bat l'œil ! Elle ne pourra venir que d'un "suicide juridique" de l'entité indigène précoloniale, qualifié de "ralliement, pacification, demande de protection, protectorat, etc..."

par lequel l'entité indigène "passe le flambeau" à l'autorité coloniale, lui abandonne en bonne et due forme tout (si possible) ou partie de sa souveraineté, lui concède en toute propriété des terres et leurs sous-sol, etc.... Nous ne nous proposons pas ici de poser les multiples questions que soulève la valeur juridique de tels "traités"3.La teneur de ceux-ci était d'ailleurs bien moins importante que le fait même qu'ils aient été signés, prouvant ainsi que le candidat colonisateur "occupait réellement" le terrain sur lequel il émettait des prétentions. (Ce sera une exigence formelle de l'Acte de Berlin). Si vous voulez prouver que vous êtes allés quelque part, le mieux est encore d'en ramener l'attestation autographe de la main de l'autochtone. Sans le savoir, les dignitaires africains se voyaient investis du rôle de contrôleurs

2 Il n’y avait pas encore d’organisation internationale PERMANENTE comme l’ONU. Mais il y avait presque constamment une ou des conférences internationales que des problèmes particuliers, de sorte que l’Europe était pour ainsi dire en permanence en concertation. On parlait d’ailleurs du « concert européen ».

3 Citons en pourtant quelques uns, de manière non exhaustive: Un Etat a-t-il le droit, justement, de se "suicider"?

On l'a contesté. / La partie africaine comprenait-elle, au moins à peu près,, de quoi il retournait ? / Le signataire africain ("Chef") avait-il bien juridiction sur les terres qu'il "cédait "? / La coutume l'autorisait-elle à procéder à de telles aliénations ? / N'y a-t-il pas eu, dans la suite, un abus du colonisateur quant au sens très vaste donné à des formules des plus vagues comme "arborer son drapeau et accepter sa protection" ? / Convenait-il de donner aux accords aliénant ou concédant des terres le sens "à l'Européenne" (perpétuité) qu'on lui a donné. N'aurait-il pas fallu plutôt se référer à l'usage dominant chez les peuples bantous (pour la durée de la vie des parties contractantes) ? Etc... etc...

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d'une sorte de "rallye-paper" dont les résultats concrets s'évaluaient dans les chancelleries occidentales.

Et du point de vue des Africains du peuple, la signature de ces traités était un moment des plus réjouissants. Les Blancs bien sûr faisaient de nombreux et magnifiques cadeaux pour se concilier la bienveillance du Chef et des Anciens. Bien entendu le chef défendait son prestige par des cadeaux non moins nombreux, dont une bonne partie finissait en cuisine et en dégustation collective. Après avoir bien dansé et bien mangé, et même avoir bu un peu plus qu’assez (car la soif est chose à éviter), on avait encore droit à l’intermède drolatique de voir le chef qui instrumentait, la plume à la main et se fourrait de l’encre partout… Souvent, on procédait même, alors, à l’échange du sang, ce qui était encore plus drôle… Car les Européens étaient persuadés que c’était là une coutume africaine, cependant que les Africains croyaient de bonne foi que c’était encore une idée bizarre de ces cinglés de Blancs ! Il est probable que la coutume sortait tout droit des Indiens de Fenimore Cooper !!!

Inutile de dire que l’explorateur présentait toujours son traité comme conclu avec un Grand Chef aux pouvoirs très étendus. Le colonisateur avait tout à gagner à ce que ces entités soient vastes et à ce que ceux qui les dominaient y aient un pouvoir étendu. Mieux valait, en effet, soumettre des Chefs importants, exerçant leur pouvoir sur de vastes étendues, susceptibles d'aliéner de nombreux hectares d'un trait de plume. Et il fallait aussi que le Chef ait précisément ce pouvoir d'aliénation.4 En fait, comme ce qu'on attendait de lui était qu'il obtienne de ses administrés tout ce qu'il plairait au colonisateur de demander, on aimait autant voir en lui le dépositaire d'un pouvoir absolu.

Mais, comme l’a déjà deviné le lecteur subtil, dans une situation comme celle des Teke, où les pouvoirs périphériques tendant à se détacher de la tutelle du suzerain, il peut advenir que le pouvoir local et le pouvoir central signent des traités contradictoires ! Et c’est effectivement ce qui est arrivé au pied du Mont Ngaliema ! Les Français avaient signé un des fameux "traités" avec Ilo, "Makoko" des Tio (dits Teke au Congo- Kin), tandis que Stanley faisait de même avec le Ngaliema, chef local. L'un et l'autre traité attribuaient au colonisateur signataire le contrôle, stratégiquement et commercialement essentiel, du pool de Kinshasa.

Tout cela s’envenimait de jalousie entre Brazza et Stanley, et se dessinait sur l’arrière- fond de manœuvres où il est difficile de ne pas considérer que Brazza et Léopold II essayaient de s’entuber mutuellement cependant que le Makoko et le Ngaliema escroquaient gaiement tout le monde… Les métropoles n'étant d'ailleurs pas en retard de pantalonnades sur leurs représentants locaux: on vit Léopold II et le Parlement belge d'une part, le gouvernement et le Parlement français d'autre part, s'empoigner verbalement avec une rare violence sur des questions de hiérarchie coutumières à propos du "traité Makoko" !

Pierre Savorgnan de Brazza, officier de marine français d’origine italienne, avait exploré entre 1875 et 1878 la vallée de l’Ogooué, dans le Gabon actuel. Il s’est rendu compte que, sans doute, l’on pourrait assez facilement passer du bassin de l’Ogooué, dans son cours supérieur, à celui du Congo.

A son retour en France, donne des conférences à la Société de géographie de Paris, à celle de Rome, au congrès de Sheffield en Angleterre. Il est nommé enseigne de vaisseau, est décoré de la Légion d'honneur. Il est récompensé, oui ! Mais ses appels pressants pour que la

4 C'est d'ailleurs le point le plus douteux: la Terre est le plus souvent vue, soit comme le propriété, d'abord des Ancêtres, ensuite de la collectivité, soit comme un élément, au même titre que la pluie, l'air ou le soleil.

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France pose des jalons dans le bassin du Congo sont accueillis assez fraîchement par les autorités françaises…

Remarquons en passant que c’est là une constante, à l’époque. Les états européens sont rentrés dans l’ère coloniale à reculons et à leur corps défendant ! Cameron avait traversé l’Afrique d’Est en Ouest, en passant par le haut-cours du Lualaba, et tenté de formuler de ce fait des revendications britanniques (qui auraient donc concerné le Katanga !). Le Gouvernement de Sa Gracieuse Majesté a répondu qu’il n’était « pas intéressé ». Stanley a reçu une réponse du même genre et, en dernier recours, est entré au service de l’AIA de Léopold II. Les conquêtes énormes de Cecil Rhodes, en Afrique australe, ne seront réalisées que parce qu’il passera outre à ses instructions officielles. Brazza reçoit des galons et des médailles, mais ni encouragements, ni moyens. Et Léopold II est pratiquement le seul colonialiste de Belgique. Le gouvernement ne le suit pas et les milieux d’affaires sont très froids (ils le resteront jusqu’à la découvertes des mines du Haut Katanga)

Léopold II pense bien sûr que l’officier italo-français aura peut-être la même attitude que Stanley. En août 1879, Brazza est reçu en audience par le roi des Belges qui lui expose ses desseins pour l'Afrique et lui demande de participer à ses projets. "Sire, lui dit Brazza, je suis officier français ; si vous désirez quelque chose de moi, c'est au gouvernement de mon pays qu'il faut que votre Majesté s'adresse". En rentrant à Paris, Brazza fait part de son inquiétude.

Il sait par Léopold II que Stanley est déjà parti avec instruction de recruter des hommes, de fonder des stations, de passer des traités avec les populations. Ce dernier a débarqué le 31 août à Banane. Brazza vient d'envoyer son rapport au ministre de la Marine.

Dans une lettre du 8 septembre son ami Ballay s'impatiente : "Qu'y-a-t-il de nouveau? As-tu vu les ministres? Sommes-nous autorisés à repartir? ...Tu pars en Italie, ce qui me fait supposer que tout est arrêté, car si nous avions dû repartir il y aurait urgence à le faire rapidement". Les événements s'accélèrent. Brazza part le 27 décembre fonder deux stations scientifiques au nom de l’AIA. Il a reçu des subventions de la Société de géographie, du Comité français de l'AIA, une promesse de crédits du gouvernement ; le personnel est fourni par la Marine. Mais la mission n'est pas officielle.

Et c’est ici que l’on plonge, la tête la première, dans le potopoto ! En effet, Brazza, officier français, part avec une expédition mixte, puisqu’elle est financée à la fois par le gouvernement français, et par une organisation privée, le Comité français de l’AIA.

Seulement, dans l’esprit de Léopold II, son AIA est destinée à devenir un jour ou l’autre l’EIC, même si Brazza n’est pas censé le savoir ! Déjà, dans

l’AIA, la « section belge » est nettement plus active que les autres. Un « Comité d'études du haut-Congo », sorte de société financière, indépendant de l'AIA, est constitué en août 1878. Le 17 novembre 1879 le Comité est remplacé par l' « Association internationale du Congo » dirigée par Léopold II seul, mais il continuera à profiter de la réputation

« internationale, neutre et humanitaire » de l’AIA, à l’abri de la ressemblance entre les sigles AIA et AIC…

Sachant cela, Brazza s’est peut-être dit qu’en

« doublant » un homme qui était visiblement en train de

« doubler » tout le monde, il ne commettait pas une bien grande indélicatesse. Mais, de toute manière, le Français, étant en mission officieuse, ne devrait signer de traités qu’au nom de l’AIA, et pas au nom de la France. Léopold et

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Brazza, l’un et l’autre, comme on le voit, avaient des arrière-pensées…

Si l’on considère que Brazza et Stanley travaillaient l’un et l’autre pour l’AIA, et fondaient des postes pour l’AIA, le fait que l’un arrive avant l’autre ne devrait avoir aucune importance. Tout au plus, ce pourrait être une sorte d’émulation sportive… Par contre, si Brazza estime qu’il sert son pays (même à son corps défendant) et se met à planter des drapeaux tricolores en lieu et place de celui de l’AIA5, il faut qu’il fasse la course avec Stanley. C’est ce qu’il va faire, et Stanley lui en voudra. En effet, quand Léopold II se trouvera en face de prétentions françaises sur le Pool, il ne sera pas content, et ne l’enverra pas dire !

Brazza quitte Liverpool le 27 décembre 1879. Il est accompagné de l'élève mécanicien Michaud, du deuxième maître de manœuvre Hamon et du matelot Noguez. Le ministre de la Marine, Jauréguiberry, s’est engagé à lui fournir quatre interprètes et douze laptots6 et à faire acheminer le personnel. Ballay doit le rejoindre plus tard avec deux vapeurs et du personnel.

Brazza arrive en mars 1880 à Lambaréné. Cette mission prévue pour huit mois devait durer deux ans et demi. Aussitôt arrivé il remonte l’Ogooué. Il ne devait que choisir l’emplacement des stations et non s’occuper de leur fondation et de leur administration, celles-ci revenant au lieutenant de vaisseau Mizon détaché de la Marine et désigné par le Comité. Dans son rapport de février 1880 à bord du Biafra il explique ses objectifs : « quant au choix des stations à établir, si leur emplacement est encore à définir, je puis déjà néanmoins le circonscrire dans certaines limites, c'est-à-dire que la première station sera établie dans le haut-Ogooué de manière à se trouver en communication avec les dernières factoreries européennes de l'Ogooué… La seconde sera établie dans le bassin du Congo dans un point favorablement choisi pour servir de base à l'action que nous voulons exercer dans cette contrée ». Brazza ne veut surtout pas perdre de temps ; il s’agit d’arriver avant Stanley.

A la fin de 1880, Brazza est à Mbé, chez Ilo, le Makoko. Ce serait celui-ci qui aurait pris l’initiative de la « cession » de son territoire : " Nous aimons les Blancs. Va dire à leur chef qu'ils viennent s'établir dans notre pays où ils voudront et que, quant à moi, je donne au chef des Blancs toute la terre qui est sous mon autorité et je la mets sous sa dépendance. Pour signe de ce que je lui donne, prends cette terre où j'ai mis une chose de toutes celles qui poussent dans notre pays fertile. Porte là au chef des Blancs et dis lui que Makoko lui donne sa terre ". Pour traduire cette déclaration un traité est signé le 10 septembre. Quelques jours plus tard, le 3 octobre, Brazza prend possession de la terre que lui a cédée le Makoko en présence de plusieurs vassaux sur la rive nord du Stanley-Pool à Ntamo. Brazza donne un drapeau au roi: "Je passai avec Makoko devant sa case et j'y plantai le pavillon français que je fis saluer de trois salves de mousqueterie". Il va laisser Malamine7 comme chef provisoire de la future station française.

Même si l’on passe sur tout ce qu’il y avait de surréaliste dans ces traités signés les yeux fermés par des chefs analphabètes, il se pose au moins deux questions au sujet de ce fameux traité.

5 Le drapeau bleu à étoile d’or a commencé par être celui de l’AIA, avant de devenir l’emblème de l’EIC.

6 Matelots africains (mot sénégalais). Le Sénégal, de colonisation plus ancienne, servait souvent de base arrière aux expéditions française et celles-ci comprenaient presque toujours quelques cadres subalternes sénégalais. Il en est résulté l’intrusion en français d’un certain nombre de termes wolofs, utilisés ensuite indifféremment pour parler de l’ensemble de l’Afrique.

7 Sergent sénégalais.

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D’une part, Brazza n’était pas mandaté pour représenter le gouvernement français.

D’autre part, Ilo n’avait pas forcément le droit de céder ce qui ne lui appartenait pas en propre. Car, si les discussions ultérieures ont clairement établi que le Makoko avait la préséance sur tous les autres dignitaires, que son pouvoir spirituel s’étendait sur l’ensemble de la terre des Tio/Teke et que les autres chefs étaient « ses femmes » (façon imagée de dire « ses vassaux »), il n’a jamais été établi, y compris à la palabre de Tcoulouba, qu’il fallait entendre par là un droit de propriété permettant l’aliénation8.

Stanley parvient au Stanley Pool en 1881 et se voit refuser le passage par Malamine qui exhibe le traité Makoko, il se transporte de l'autre côté du fleuve et s'installe dans le petit village de Kinshasa qui deviendra Léopoldville et qui se trouve à 20 minutes en pirogue de Brazzaville..

"L'emplacement a été admirablement choisi.

On aperçoit de là l'immense étendue de Nkouma, et ce qui vaut mieux encore sous le soleil de l'Afrique on y respire un air frais. Au centre se trouve la maison qui sert de

résidence au personnel européen. Au rez-de- chaussée il y a cinq pièces; les unes sont affectées au logement du personnel, les autres aux marchandises, la pièce centrale forme la

Leopoldville vers 1883-1885(© Musée de Tervuren)

salle à manger. Le premier étage tout entier est réservé à Stanley. C'est une vaste pièce éclairée par six fenêtres… j'y ai vu un lit en fer, deux chaises, un fauteuil, une glace et une table; des cartes géographiques sont pendues aux murs ; mais je fus surtout frappé par la quantité considérable de marchandises de toute nature rangées sur des étagères (étoffes, perles, objets de bimbeloterie) qui donnent à cette pièce l'aspect d'un magasin d'articles de Paris. Ce bâtiment central est entouré d'un jardin potager. De là on descend au fleuve par un chemin sur les bords duquel s'élèvent les maisons des Zanzibarites, des Kroumans et des autres indigènes… J'ai constaté aux environs de Léopoldville un commencement de culture.

On a défriché et des plantations en bon état remplacent l'herbe. Enfin au sommet de la colline est établi un parc à moutons." (Guiral).

Encore fallait-il « légaliser » la présence léopoldienne à Léopoldville. Pour ce faire, on pouvait compter sur le fait que les chefs théoriquement vassaux du Makoko n’étaient pas moins sensibles aux jolis cadeaux que leur suzerain. On peut même supposer que Ngaliema et Opontaba maîtrisaient l’art de faire durer les choses pour que les cadeaux continuent, puisqu’ils n’ont signé avec le lieutenant Walcke que le 21 décembre 1882 (soit deux ans après

8 Il est probable que « Tout appartient à Makoko » doit s’interpréter dans le sens de : « Toute la terre des Teke appartient aux Ancêtres, et le plus haut représentant des Ancêtres est Makoko ». Cela fait de lui un dépositaire, non un propriétaire.

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le Makoko) un traité, par lequel ils reconnaissaient la souveraineté du Comité d'études du haut-Congo sur leur territoire.

Il peut y avoir à ce délai une explication plus noble que l’avidité. Comme je l’ai dit, le royaume tio/teke était sur une pente descendante9. Il n’est pas prouvé que, même à l’apogée de sa puissance, le « roi » ait eu un pouvoir autre que symbolique et spirituel sur ses

« femmes », ses grands vassaux. En tous cas, même si ce pouvoir avait existé, il était en pleine déliquescence. Il en résultait à la périphérie des tendances « centrifuges » et des pensées de sécession et d’indépendance. Toutefois, pour passer de la pensée à l’acte, il valait peut-être mieux chercher l’appui de quelque protecteur. Les Blancs de l’AIC, concurrents de ceux de Maloko, pourraient être ces protecteurs. Mais sont-ils suffisamment puissants ? Attendons pour voir (et attendons les cadeaux, qui sont traditionnellement la preuve de cette puissance).

Entre temps, l’Europe avait appris ce qui se passait autour du Mont Ngaliema, et l’on assista à quelques empoignades verbales qui ne manquaient pas de pittoresque.

Une mission baptiste arrivée sur le Pool en juillet 1881 a transmis une copie du traité Makoko au Foreign Office qui s’en inquiète. En France, le ministre de la Marine est prudent :

"Monsieur de Brazza n'a pas reçu de mandat officiel de mon département" écit-il, et

“ quoique dans ma pensée il puisse y avoir intérêt pour nous à ratifier cette occupation dont les conséquences dans l'avenir peuvent être considérables, la question reste entière ”.

Léopold II comprend le danger car il sent que Brazza a su conquérir l’opinion publique française. Il invite l’explorateur à Bruxelles en septembre 1882 mais une fois encore ne peut le rallier à lui.

Brazza fait parvenir au ministre trois rapports justifiant son action. Il est reçu par le conseil municipal de Paris, donne une conférence à la Sorbonne, et le 19 octobre c’est la fameuse rencontre entre Brazza et Stanley au Stanley club. L’opinion publique s’enflamme pour son nouveau héros. “ L’intrépide officier a mérité deux fois de la patrie, en lui ouvrant une voie nouvelle, et en réunissant toute la presse autour de son œuvre, dans un accord patriotique, au-dessus de toutes les querelles de personnes. La presse a aujourd’hui expérimenté sa force ” (Le Rappel, 19 octobre 1882).

Le gouvernement ratifie le traité Makoko le 22 novembre 1882. Cette ratification a un caractère exceptionnel car il s’agit d’un traité passé entre un homme qui n’a aucun mandat officiel, Brazza, et un chef africain qui a autorité sur un petit territoire, le Makoko. Le 11 janvier 1883 la loi votant un crédit pour la mission de l'Ouest africain est publiée au Journal officiel ; elle relèvera du ministère de l'Instruction publique. Brazza est nommé lieutenant de vaisseau et reçoit le titre de commissaire général de la République dans l'Ouest africain.

La polémique a un caractère hilarant lorsque l’on sait que, tant en France qu’en Belgique, aucun homme politique n’avait alors la moindre connaissance de l’Afrique. Cela n’empêchera pas les Belges de parler de Makoko comme d’un « obscur figurant » dans une machination montée de toutes pièces par la France, et les Français de se livrer sur la moralité de Ngaliema aux spéculations les plus hardies. Le refrain est le même de part et d’autre : on a attribué faussement un pouvoir énorme à un chefaillon obscur pour pouvoir mettre la main sur ses prétendus « états ».

Brazza avait la réputation d’être un colonisateur particulièrement « doux », d’accomplir ses missions sans tirer un coup de feu. On lui en fit louange et c’était justice,

9 Cette décadence s’expliquait en grande partie par une baisse accélérée de son économie. Les produits européens de traite avaient concurrencé victorieusement les produits de l’artisanat tio, par exemple dans le domaine de la vaisselle. Or, ces biens étaient produits précisément dans la région de Mbé, dans le domaine personnel du Makoko. (cfr Vansina, op. cit.)

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mais on en profita pour faire de Brazza et de Stanley des portraits contrastés où ce dernier faisait carrément figure de brute épaisse. Il n’apprécia guère, et on le comprend.

La polémique dura jusqu’en 1885 et fut tranchée, comme bien d’autres, en marge de la Conférence de Berlin. Plus exactement, il y eut alors une série d’arrangements globaux sur un ensemble de frontières, dont beaucoup étaient provisoires, ce qui réglait d’un coup toute une série de points de détail, jusque là objets de chicaneries.

Brazza poussa l’obstination assez loin, alors même qu’il devenait évident que les choses ne se régleraient pas sur place, mais dans une conférence internationale. Le 9 avril 1884 Brazza, Ballay , Chavannes, Jacques de Brazza et Attilio Pecile se retrouvent chez le Makoko. Le lendemain, lors d'une grande cérémonie, Brazza remet le traité : "J'ai porté ta parole au grand chef des Fallah10 avec le papier sur lequel tu avais mis ton signe ; il a consulté les anciens qui le conseillent, il a accepté, il a signé le papier à son tour, et il te le renvoie; le voici". Le traité est porté dans un coffret en cristal dans la demeure du Makoko.

« Lors de la cérémonie, raconte Chavannes, Makoko réprimande certains vassaux qui ont accepté des cadeaux des agents de Stanley. Poumou N'Taba, chef suprême du pays s'étendant de la rivière Djué jusqu'à la Bounda, et N'Galiema, avaient en effet signé un traité avec le lieutenant Walcke le 21 décembre 1882 par lequel ils reconnaissaient la souveraineté du Comité d'études du haut-Congo sur leur territoire ». Quelques jours plus tard Brazza va choisir de façon définitive l'emplacement de la future station de Brazzaville.

La querelle entre les Français et les Belges (qui bien sûr soutenaient la position de l’AIA) est exacerbée alors par la palabre de Tcoulouba qui réunit les vassaux du Makoko le 21 mai 1884 et affirme que “ toute la terre est à Makoko qui l’a donnée au commandant pour le chef des Blancs fallah, le commandant peut aller où il veut, même de l’autre côté, tout est à lui, les Blancs qui sont de l’autre côté ne le savent pas et ne sont pas venus ”.

Malheureusement cette belle unanimité est un peu gâchée par l’absence de deux chefs importants. Devinez lesquels !

A la fin de la période Brazza, on ne faisait plus que des visites de courtoisie au Makoko. "Ce pauvre Makoko ! il ne comprend pas bien pourquoi on ne lui envoie plus d'étoffes comme jadis, quand on avait besoin de lui" (duc d'Uzès).

© Guy De Boeck – Dialogue des Peuples 16/01/2007

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