• No results found

Pour une tripartition des suffixes. Et s'il y en avait trois au lieu de deux?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Share "Pour une tripartition des suffixes. Et s'il y en avait trois au lieu de deux?"

Copied!
67
0
0

Bezig met laden.... (Bekijk nu de volledige tekst)

Hele tekst

(1)

Pour une tripartition des suffixes français

Et s’il y en avait trois au lieu de deux ?

Thom Westveer 10000693

Mémoire de maîtrise

Sous la direction de Mme. dr. A.P. Sleeman Second lecteur dr. J. Don

Département de français Université d’Amsterdam Juillet 2014

(2)

Table des matières

Page : Table des matières

Introduction 2

1. D’où vient le lexique français ? 4

1.1 La ‘naissance’ du français 4

1.2 Le vocabulaire du français 7

1.2.1 Le vocabulaire du début jusqu’à l’ancien français 8

1.2.2 Les emprunts dès l’ancien français 9

1.3 Le français : langue d’origine latine à deux reprises 10

1.4 La création lexicale 11

2. La dérivation savante et non-savante 13

2.1 Préfixation et suffixation 13

2.2 Bases et radicaux 14

2.3 La dérivation suffixale 14

2.4 La dérivation savante et non-savante 16

2.5 La règle de la postériorisation savante 18

2.6 Une comparaison avec la dérivation en anglais 19

2.6.1 Les types de suffixes de l’anglais 19

2.6.2 La compatibilité des types de suffixes 21

2.7 La dérivation suffixale en néerlandais 22

3. Trois types de suffixes en néerlandais 25 3.1 La théorie de Lowenstamm et la critique de Don 25

3.2 Une tripartition parmi les suffixes 28

3.3 Trois types de suffixes en néerlandais 30

4. Trois types de suffixes en français ? 35

4.1 Du néerlandais au français 35

4.2 Les suffixes du français en trois groupes 37

4.2.1 Les présupposés suffixes-tête 40

4.2.2 Les présupposées premières-têtes 41

4.2.3 Les présupposés suffixes-racine 41

4.3 La structure des suffixes et des bases 47

Conclusion 52

Bibliographie 55

Annexe A : tripartition présupposée des suffixes français 57

(3)

2

Introduction

Dans les Exercices de style (1947) de Raymond Queneau se trouve la variante suivante, intitulée Homéotéleutes :

Un jour de canicule sur un véhicule où je circule, gesticule un funambule au bulbe minuscule, à la mandibule en virgule et a capitule ridicule. Un somnambule l’accule et l’annule, l’autre articule : « crapule », mais dissimule ses scrupules, recule, capitule et va poser ailleurs son cul. Une hule aprule, devant la gule Saint-Lazule je l’aperçule qui discule à propos de boutules, de boutules de pardessule. (Queneau 2009 : 35)

Ce qui frappe le lecteur en lisant ce petit texte, c’est qu’il y a beaucoup de homéotéleutes, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup de mots qui se terminent par la même suite de sons. En effet, il ne s’agit que d’une seule suite de sons qui retourne plusieurs fois. C’est la suite ‘-ule’ qui revient à plusieurs reprises. L’élément ‘-ule’ est un suffixe français qui sert normalement à former de nouveaux mots en s’attachant à un autre élément que l’on appelle une base. On appelle ce procédé la dérivation. La dérivation est un des procédés de la création lexicale, servant à créer de nouveaux mots pour enrichir la langue. Par contre, dans le texte cité ci-dessus l’auteur a également créé des mots qui n’existent pas en français, juste pour garder cette même suite de sons à la fin des mots.

On distingue en français deux types différents de ces suffixes, les suffixes savants et non-savants. Ils se distinguent par rapport à leur origine. Les suffixes savants sont issus du latin, les suffixes non-savants sont soit issus d’autres langues, soit issus du latin, comme les suffixes savants. Pourtant les suffixes non-savants issus du latin n’ont pas gardé leur forme latine, contrairement aux suffixes savants. C’est qu’ils se trouvent déjà parmi le lexique de la langue française dès sa naissance. Il y a donc deux types de suffixe et par conséquent aussi deux types de dérivation, la dérivation savante et la dérivation non-savante. Il en est de même pour bien d’autres langues, telles que l’anglais ou le néerlandais, qui connaissent également deux types différents de suffixes, même si les noms et les caractéristiques de ces types de suffixes ne sont pas tout à fait pareils à ceux du français.

Pourtant le linguiste Jan Don propose maintenant une tripartition des suffixes au lieu de la dichotomie traditionnelle. Il a vérifié sa tripartition pour le néerlandais et montré qu’en cette langue on pourrait et peut-être même devrait distinguer trois types de suffixe au lieu de deux. Selon lui, sa théorie vaudrait même pour l’anglais et peut-être aussi pour d’autres langues, bien qu’il faille encore vérifier cela.

(4)

3 Dans ce mémoire il s’agira de vérifier si la théorie proposée de Jan Don, concernant une tripartition des suffixes au lieu d’une dichotomie, pourrait être appliquée aux suffixes français aussi. Au centre d’intérêt se trouve donc la question de savoir si l’on pourrait distinguer les trois types de suffixes introduits et vérifiés par Jan Don pour le néerlandais parmi les suffixes français.

Tout d’abord on parlera de l’histoire de la langue française afin de déterminer pourquoi on fait traditionnellement la distinction entre les suffixes savants et non-savants. Puis, dans le second chapitre les deux types de dérivation, savante et non-savante, seront présentés plus dans le détail afin de comprendre leurs différences. La dérivation en anglais et celle en néerlandais seront présentées brièvement aussi pour mieux comprendre la théorie de Jan Don. Ensuite la théorie de Jan Don sera présentée ainsi que son analyse des suffixes néerlandais. Finalement, il s’agira de l’analyse des suffixes français, effectuée afin de pouvoir déterminer si une tripartition des suffixes analogue à celle de Jan Don pourrait être appliquée aux suffixes français aussi.

On espère pouvoir montrer que la tripartition des suffixes proposée et vérifiée par Jan Don pour le néerlandais pourrait également être de valeur pour le français. Il se peut cependant qu’il y ait des problèmes auxquels on sera confronté et qui pourraient empêcher d’appliquer la tripartition de Jan Don aux suffixes français. Dans ce cas il faudrait regarder si l’on peut résoudre ces problèmes. À la fin on devrait cependant être capable de déterminer si l’on peut parler d’une tripartition des suffixes français ou pas afin de répondre à la question principale soulevée ci-dessus.

(5)

4

1 – D’où vient le lexique français ?

Dans ce chapitre, il s’agira de la naissance et de l’évolution du lexique français. Pour pouvoir comprendre la composition actuelle du lexique français, il faut connaître l’histoire de la langue elle-même. D’où vient le français ? Quelle langue ou quelles langues ont été à la base de cette langue ? Comment le français a-t-il évolué au cours du temps ? Et d’où viennent les mots du français ? Quels procédés sont utilisés pour former de nouveaux mots ? Toutes ces questions seront traitées ici afin de déterminer les origines du lexique français. D’abord il s’agira de la naissance et du développement de la langue française en général (1.1). Puis on parlera de l’origine du vocabulaire français (1.2) et de la relation spéciale entre le français et le latin (1.3). Finalement, il sera brièvement question des processus de création lexicale, notamment de la dérivation (1.4).

1.1 La ‘naissance’ du français

La langue française est issue du latin, comme toutes les langues romanes. En effet, il s’agit du latin vulgaire, la variation parlée populaire qui se distinguait partiellement du latin classique. De ce latin vulgaire le français petit à petit s’est développé sur un substrat de gaulois, d’ibérien, de ligurien, d’aquitain et d’autres langues parlées dans la région qu’aujourd’hui on appelle la France avant l’arrivée du latin. Ce mélange de latin vulgaire et de plusieurs parlers originaux, influencé par un superstrat germanique, est finalement devenu le français moderne (Cf. Walter 1988). Dans la section présente il s’agira de cette évolution du latin vulgaire vers ce que l’on appelle aujourd’hui le français.

L’histoire de la région que l’on appelle aujourd’hui la France et de sa langue commence véritablement avec l’arrivée des Celtes entre 700 et 500 av. J.-C. C’étaient les Gaulois, qui plus tard ont donné leur nom à cette région, la Gaule. Ils parlaient une langue celte, le gaulois. La région dans laquelle ils arrivaient était déjà habitée par d’autres peuples, notamment les Ibériens, les Liguriens et les Aquitains. Finalement, les Gaulois ont pu s’imposer sur ces peuples et devenir les principaux habitants de la région autour de 300 av. J.-C. (Cf. Walter 1988).

Autour de cette période-ci les Grecs s’étaient déjà établis au bord de la Méditerranée, où ils avaient construit plusieurs villes. Dans ces villes, on parlait évidemment le grec. Puis, les Romains ont pénétré la Gaule, en deux étapes. La première avait lieu entre 154 et 125 av.

(6)

J.-5 C. et donnait naissance à une première province romaine sur le territoire gaulois, la ‘Provincia Narbonensis’ dans le sud-est. Ensuite, c’est Jules César qui a occupé le reste de la Gaule entre 57 et 52 av. J.-C. Petit à petit le latin s’est imposé comme langue de l’éducation et comme langue véhiculaire afin de pouvoir communiquer avec les institutions de l’Empire romain, bien que pendant longtemps le peuple ait encore continué à parler le gaulois. Ce latin n’était pourtant pas le latin classique, mais une variante populaire, le latin vulgaire, introduit en Gaule par les légions romaines. Même si à la longue le gaulois ne pouvait pas se maintenir contre le latin, ce latin vulgaire a été influencé par le gaulois, même s’il n’en reste que peu de traces dans le français actuel (Cf. Rickard 1989).

Après la chute de l’Empire romain en 476, l’empire dont le latin avait été la langue véhiculaire avait disparu. Le latin vulgaire restait cependant la langue de la région, bien qu’il y ait des facteurs qui ont commencé à influencer largement cette langue, des invasions germaniques et la christianisation. Au Ve siècle il y avait plusieurs invasions germaniques de différents groups, les Visigoths, les Burgondes et notamment les Francs, qui ont pénétré le territoire gaulois. Chacun de ces groupes a évidemment amené sa propre langue, toutes des langues germaniques (Cf. Walter 1988). Puis, autour de 430, un autre peuple, d’origine britannique, est venu s’installer en Bretagne, les Bretons, ayant comme leur propre langue le breton qui a su se maintenir en Bretagne, alors que dans le reste du pays, c’était le latin qui s’était imposé, ayant pour cause la disparition du gaulois entre 450 et 500 (Cf. Rickard 1989).

Comme dit avant, plusieurs groupes germaniques se sont installés dans la région, dont le plus important étaient les Francs, qui, dirigés par leur roi Clovis, ont su occuper le nord de la France, jusqu’à la Loire, sauf la Bretagne. Dans la période suivante, l’Église s’est dispersée dans la région, menant finalement au baptême du roi Clovis en 496. Puis, en alliance avec l’Église, Clovis a pu repousser les autres peuples germaniques. De sa mort en 511 jusqu’à l’ascension du roi Charles Martel en 719 durait ensuite la période mérovingienne. Pendant cette période, la langue des Francs n’a pas pu s’imposer sur le latin. Le latin restait la langue principale, bien que les langues germaniques aient eu des influences considérables sur le latin, notamment dans les domaines du vocabulaire et de la prononciation. Peu à peu, le latin parlé dans la région s’est évolué et s’est différencié encore plus du latin classique, à cause de l’ignorance, de la perte des traditions, des conditions chaotiques et de l’influence grandissante de la langue parlée (Cf. Rickard 1989).

(7)

6 Pourtant les influences des langues germaniques n’étaient pas aussi grandes partout dans le pays. C’était notamment dans le nord que l’influence était très grande. Cette langue ressemblait de moins en moins au latin. Dans le sud par contre, la langue restait plus près du latin. En effet, il y avait une tripartition dans les langues utilisées, selon les régions différentes. Dans le nord, il y avait les langues d’oïl, largement influencées par les langues germaniques. Dans le sud, on trouvait les langues d’oc, encore plus proches du latin et plus conservatrices. Puis, il y avait encore une zone intermédiaire dans l’est, où l’on parlait le franco-provençal, ayant des caractéristiques des langues d’oïl et des langues d’oc à la fois. On ne peut donc pas du tout parler d’une seule langue pour le pays qu’aujourd’hui on appelle la France (Cf. Walter 1988).

Au VIIIe siècle, la langue parlée dans le nord ne ressemblait plus tellement au latin. En cette époque-là, appelée la Renaissance carolingienne, le roi Charlemagne, très impressionné par le latin classique, a voulu restaurer le niveau du latin écrit. À cause de ce retour de la langue écrite vers le latin classique, les différences avec la langue parlée sont devenues plus claires et la compréhension du latin écrit par le peuple s’est avérée ne plus être suffisante pour la communication. C’est pourquoi en 813, lors du Concile de Tours, on a décidé que les sermons soient faits dès lors dans la langue parlée. Pourtant il faut souligner que cette langue parlée ne remplaçait pas le latin comme langue écrite (Cf. Rickard 1989). En outre, pendant cette Renaissance carolingienne, beaucoup de mots latins ont été réintroduits pour purifier la langue, formant ainsi des doublets, dont il sera encore question plus tard (Cf. Walter 1988).

On doit attendre jusqu’en 842 pour voir apparaître le premier document écrit dans la langue parlée. Ce texte, appelé les Serments de Strasbourg, a été rédigé par deux des trois petits-fils de Charlemagne, Louis le Germanique et Charles le Chauve, qui se sont promis de s’entraider si leur frère Lothaire attaquait un de ses frères. D’ailleurs, ce texte a été rédigé en langue parlée romane, qui est finalement devenue le français, et en langue parlée germanique, celles-ci étant les langues des royaumes des deux frères (Cf. Walter 1988).

Pourtant, la langue française comme une seule langue n’existait pas encore. En effet, la France n’était pas encore un pays proprement dit non plus, puisqu’elle se composait d’un grand nombre de royaumes indépendants, ayant tous leurs propres lois. Ce n’est qu’en 987 que Hugues Capet a été élu roi de France par tous les grands royaumes de la France. Hugues Capet était duc d’Île-de-France et dès lors la cour du roi de France se trouvait dans cette

(8)

7 région (Cf. Walter 1988). Sa langue, le francien, est par conséquent devenue la langue de la cour et a gagné de plus en plus de prestige, entre autres grâce à la littérature (Cf. Rickard 1989).

Entre-temps, dès le IXe siècle, les Vikings (ou Normands), venus de Scandinavie, ont pénétré la région avant de s’installer enfin sur la partie que l’on appelle aujourd’hui la Normandie, leur accordée par le Charles le Simple en 911. Les Normands s’intègrent dans la France et adoptent la langue romane de la région, ne laissant que peu de traces de leur langue maternelle scandinave dans le vocabulaire français. La présence des Normands en Normandie mène finalement à l’occupation de l’Angleterre par Guillaume le Normand, introduisant sa langue française qui y restera la langue de l’administration pendant plusieurs siècles (Cf. Walter 1988).

Finalement, quelques siècles plus tard, le roi François Ier réglait par l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 que la langue française serait dès lors la langue officielle du pays et que tous les documents officiels devraient alors être rédigés en français. Le français s’était maintenant établi comme la langue officielle de la France, bien qu’il eût encore un long chemin de développement devant soi avant de devenir ce que l’on considère aujourd’hui être la langue française (Cf. Walter 1988).

1.2 Le vocabulaire du français

Comme on a pu voir dans la section précédente, la langue française a connu bien des influences d’autres langues. Tout d’abord elle est née du latin vulgaire sur un substrat de gaulois et d’autres langues. Puis elle a été influencée par un superstrat germanique. Le vocabulaire du français est donc un mélange de toutes ces langues qui se sont rencontrées et mélangées lors du développement du français. D’un côté, au cours du temps, le vocabulaire a changé à cause des contacts avec d’autres langues et a évolué de façon plutôt naturelle. De l’autre, le vocabulaire du français s’est enrichi avec des emprunts d’autres langues. D’abord, dans la section 1.2.1 on parlera de l’évolution des mots entrés dans la langue française dès le début jusqu’à l’ancien français. Puis, dans la section 1.2.2 il sera question des mots empruntés dès la reconnaissance de l’ancien français.

(9)

8

1.2.1 Le vocabulaire du début jusqu’à l’ancien français

En tant que langue romane, le français est issu du latin et par conséquent une grande partie de son vocabulaire est d’origine latine. Pourtant, les mots français souvent ne ressemblent plus tellement aux mots latins. Ils ont évolué au cours du temps et ont subi des changements sur le plan phonétique et sur le plan sémantique à cause des influences d’autres langues (Cf. Walter 1988).

Avant l’arrivée du latin en Gaule, on parlait le gaulois, qui à la longue n’a pas pu se maintenir contre la force du latin. Aujourd’hui il ne reste que quelques dizaines de mots d’origine gauloise dans le lexique du français, tous d’abord passés par le latin, comme par exemple le mot ‘charrue’, du gaulois ‘carrus’. Cependant, la langue gauloise est bien présente en ce qui concerne la toponymie, les noms de lieux géographiques. Il y a par exemple encore beaucoup de villes françaises portant un nom d’origine gauloise (Cf. Bertrand 2011).

Puis, il y avait encore le breton, parlé en Bretagne, qui a donné quelques mots au français, comme par exemple ‘bijou’, du breton ‘bizou’ (Cf. Bertrand 2011). Pourtant il faut noter que l’influence du breton sur le français n’a pas été très grande. Par contre, le français lui-même a bien influencé le breton plus tard (Cf. Rickard 1989).

Alors que le gaulois et le breton n’ont laissé que peu de traces en français, le superstrat germanique a eu beaucoup d’influence, même si le germanique, après une période de cohabitation où le germanique existait à côté de la langue parlée romane, n’a pas pu se maintenir (Cf. Bertrand 2011). Le germanique a eu des influences sur la syntaxe, le vocabulaire et la prononciation. Le ‘h-aspiré’ et le ‘w’ sont issus du germanique et à cause des influences germaniques, par rapport aux autres langues romanes, il y a des voyelles présentes dans les mots latins qui ont disparu parce que l’accent du mot du germanique, adopté par le français, les a fait disparaître, comme par exemple dans le mot ‘femme’ issu du latin ‘femina’, où le ‘i’ et le ‘a’ final ont disparu (Cf. Walter 1988). Au niveau du lexique, on affirme qu’il y a plus de 1000 mots d’origine germanique dans la langue française, notamment dans le vocabulaire de la guerre, le vocabulaire juridique ou celui de l’agriculture, comme ‘bois’ du germanique ‘bosc’, ainsi que des noms de parties du corps, de couleurs ou d’animaux, comme ‘mésange’, du germanique ‘meisinga’ (Cf. Bertrand 2011).

(10)

9

1.2.2 Les emprunts dès l’ancien français

À part le vocabulaire formé par l’évolution naturelle, le français a emprunté beaucoup de mots à d’autres langues pour enrichir son lexique. Il s’agissait souvent de mots qui n’existaient pas encore en français et dont on avait besoin pour pouvoir parler de quelque chose, par exemple de nouveautés comme l’internet. L’une des plus grandes ressources pour le français a été le latin, dont on parlera dans la section 1.3, mais le français a également puisé dans d’autres langues qui seront mentionnées brièvement ci-dessous.

Tout d’abord, il y a les langues romanes, comme le français issues du latin, qui ont donné des mots au français, comme l’italien, l’espagnol et le portugais. L’apport de l’italien a surtout été très grand lors de la Renaissance, elle-même un mouvement venu d’Italie. L’espagnol et le portugais ont surtout donné des mots en français liés à la découverte de nouveaux mondes (Cf. Bertrand 2011).

Ensuite, le français a également emprunté des mots aux langues germaniques, comme les langues scandinaves, le néerlandais ou l’allemand. Les langues scandinaves, venues avec les Vikings au IXe siècle, ont surtout donné des mots concernant la mer et la navigation. Au néerlandais le français a emprunté des mots du commerce et de la mer et à l’allemand des mots des domaines de la philosophie et de la guerre. L’influence des langues germaniques n’a pourtant pas été très grande au niveau des emprunts, même si à l’origine le germanique a eu assez d’influences sur le vocabulaire de la langue parlée romane. En outre, il y a bien évidemment l’influence de l’anglais sur le vocabulaire français, notamment depuis le XXe siècle, quoiqu’il faille mentionner que beaucoup de mots anglais soient eux-mêmes d’origine française, donc souvent il s’agit d’emprunts à l’anglais d’origine empruntés au français (Cf. Bertrand 2011).

Puis, il y a encore d’autres langues qui ont enrichi le lexique français. Dans ce cas on peut penser aux langues slaves comme le russe et le polonais, ou d’autres langues comme le persan, le turc ou l’arabe, notamment en ce qui concerne les sciences, partiellement venues des Grecs de l’Antiquité par l’intermédiaire des Arabes (Cf. Bertrand 2011).

Finalement il y a eu un apport considérable de mots du grec. Alors que la plupart des mots d’origine grecque sont venues en français par l’intermédiaire du latin, il y a également des emprunts directs du grec, notamment dans le domaine scientifique, mais beaucoup d’affixes

(11)

10 du français viennent du grec aussi, dont on parlera dans le chapitre suivant (Cf. Bertrand 2011).

Dans son livre L’aventure des mots français venus d’ailleurs (1997) Henriette Walter donne des pourcentages concernant les emprunts d’autres langues en français, sur un total de 4192 mots empruntés fréquemment utilisés. Ces pourcentages sont montrés dans le schéma suivant : Langue Pourcentage Anglais 25% Italien 16,6% Germanique ancien 13,0% Dialectes gallo-romans 11,5% Arabe 5,1% Langues celtiques 3,8% Espagnol 3,7% Néerlandais 3,6% Allemand 3,5% Persan et sanskrit 2,6% Langues amérindiennes 2,4% Langues d’Asie 2,0% Langues chamito-sémitiques 1,3% Langues slaves 1,2% Autres langues 4,5% (Cf. Walter 1997 : 17)

1.3 Le français : langue d’origine latine à deux reprises

Bien évidemment, c’est notamment du latin que le français a obtenu la majorité de son vocabulaire. L’influence du latin a été très importante pour le français. Henriette Walter appelle le français « une langue deux fois latine » (Walter 1997 : 51), parce que non seulement le français est issu d’une base latine, il a également emprunté des mots au latin plus tard :

Le français à cet égard paraît exemplaire, et les deux filons du latin – celui qui a évolué et celui qui a été repris sous sa forme primitive – peuvent se reconnaître dans la plupart des mots du français, pour peu qu’on observe attentivement leur forme (Walter 1997 : 52).

Comme on peut lire, il y a donc deux voies par lesquelles le latin a influencé le français. Tout d’abord, le français est une langue romane, issue du latin, et ainsi le français a hérité beaucoup de mots du latin, qui puis ont évolué avec la langue et ont subi des changements, comme la disparition des syllabes inaccentuées à la fin des mots. Un exemple est le mot français ‘père’,

(12)

11 issu du mot latin ‘pater’. Ces mots évolués ne ressemblent plus tellement aux mots originaux latins (Cf. Walter 1997).

En outre, le lexique français s’est enrichi plus tard par des emprunts au latin, appelés aujourd’hui des mots savants. Charlemagne avait lors de sa Renaissance carolingienne réintroduit beaucoup de mots latins sous leur forme originale latine, qui donc n’ont pas subi les changements morphologiques et phonologiques des mots français et par conséquent peuvent encore être reconnus comme des mots issus du latin. Le mot ‘fraternel’, du mot latin ‘frater’, en est un exemple. En outre, beaucoup de mots ont été empruntés au latin par les Humanistes pour enrichir le français entre le XIIIe et le XVe siècle (Cf. Walter 1997).

Cela explique aussi pourquoi en français il existe des ‘doublets’, deux mots issus du même mot latin, mais de forme différente en français et très souvent pas du tout des synonymes. Il s’agit par exemple de mots comme ‘frêle’ et ‘fragile’ du mot latin ‘fragilis’ ou ‘légal’ et ‘loyal’ du mot latin ‘légalis’. Dans chacune de ces paires, un des mots se trouve dans la langue française depuis le début de son évolution, ayant ainsi subi les changements morphologiques et phonologiques de l’évolution du français (‘frêle’ et ‘loyal’). L’autre mot de la paire a été emprunté plus tard et a donc gardé sa forme latine (‘fragile’ et ‘légal’). C’est ce groupe de mots, empruntés au latin dès la Renaissance carolingienne, que l’on appelle des mots savants pour les différencier des mots non-savants (ou populaires). Chaque doublet consiste par conséquent d’une forme savante (‘légal’) et d’une forme non-savante (‘loyal’) (Cf. Walter 1997). Puis, l’existence de ces doublets a des influences sur la création lexicale aussi dont on parlera dans la section suivante.

1.4 La création lexicale

Évidemment, le vocabulaire français ne se compose pas seulement de mots empruntés ou évolués avec le français. Il y a aussi d’autres manières pour enrichir le vocabulaire d’une langue, si on a besoin de nouveaux mots. On crée de nouveaux mots, c’est ce qu’on appelle la création lexicale. Elle comporte deux méthodes morphologiques pour former de nouveaux mots, la composition et la dérivation.

Dans le cas de la composition, on forme un nouveau mot en combinant deux mots déjà existants. On distingue deux types de composition, la composition savante et la composition non-savante. Comme on a vu ci-dessus, on fait la distinction entre les mots savants, empruntés

(13)

12 aux langues classiques, et les mots non-savants. En ce qui concerne les mots composés, il s’agit soit de combinaisons de mots français, soit de combinaisons de mots issus des langues classiques (Cf. Mortureux 2011).

Pour nous, c’est la dérivation qui est la méthode de création lexicale la plus intéressante. Olivier Bertrand définit la dérivation comme suit :

Le procédé linguistique de dérivation est avant tout un phénomène d’agglutination d’éléments lexicaux qui créent une forme unique nouvelle. Ces éléments se composent d’un radical (qui est la base du nouveau mot) et d’affixes, c’est-à-dire des éléments qui sont adjoints à la base. Les affixes sont de deux sortes : le préfixe, qui précède le radical (c’est le cas du morphème re- dans redire) et le suffixe, qui le suit (par exemple le morphème –eux dans chanceux) (Bertrand 2011 : 195).

Cette définition comporte les notions les plus importantes concernant la dérivation. On les expliquera dans le chapitre suivant, où l’on regardera de plus près la dérivation en français. Reste encore à remarquer que parmi les affixes que l’on utilise afin de dériver de nouveaux mots, on fait, comme dans le cas des mots composés ou des mots en général, la distinction entre les affixes savants, issus des langues classiques, et les affixes non-savants (Cf. Bertrand 2011).

Comme on a vu dans ce chapitre, la composition du vocabulaire français est en grande partie étroitement liée à l’histoire de cette langue, sa naissance du latin vulgaire et ses contacts avec d’autres langues, qui ont fait du français la langue telle qu’elle est aujourd’hui. Parlant du vocabulaire, d’une part il y a des mots qui ont suivi l’évolution du français dès sa naissance du latin vulgaire et ont changé de forme suivant le développement de la langue grâce aux contacts avec d’autres langues. D’autre part le français connaît de très nombreux emprunts, pris d’autres langues. Il faut retenir que le français a également emprunté beaucoup de mots au latin, longtemps après sa naissance du latin, de sorte que l’on a aujourd’hui des doublets. En outre il y a encore les procédés de création lexicale qui ont coopéré à la création du vocabulaire français, mais qui, eux aussi, ont été influencés par l’évolution de la langue. Ainsi se sont formés par exemple les affixes savants et non-savants. Dans le chapitre suivant, la dérivation sera présentée de façon plus détaillée.

(14)

13

2 – La dérivation savante et non-savante

La dérivation fait partie de la morphologie dérivationnelle qui s’occupe de la création de nouveaux mots, à l’opposition de la morphologie flexionnelle qui s’occupe des différences grammaticales comme le temps du verbe ou la forme féminine d’un adjectif. Outre la dérivation, la morphologie dérivationnelle contient également la composition, la création d’un nouveau mot en combinant deux mots. Dans ce chapitre, il ne s’agira que de la dérivation, plus précisément de la dérivation suffixale. D’abord on parlera de la distinction entre la préfixation et la suffixation. Ensuite la division entre dérivation savante et non-savante en français sera discutée. Puis, il s’agira plus dans le détail des caractéristiques de la dérivation savante. Finalement, on fera également un lien avec la dérivation suffixale en anglais, ainsi qu’en néerlandais.

2.1 Préfixation et suffixation

La dérivation forme de nouveaux mots en combinant des bases avec des affixes, dont il y a deux types différents : les préfixes, précédant la base, et les suffixes, qui suivent la base. En (1) on voit des exemples :

(1) a. propre (A) > impropre (A) b. beau (A) > beauté (N)

Le mot en (1a) montre le processus de préfixation. À la base ‘propre’ le préfixe ‘im-‘ a été ajouté. La suffixation est montrée en (1b), où le suffixe ‘-té’ s’est adjoint à la base ‘beau’. Notons également que dans le cas de la suffixation, il y a un changement de la catégorie du mot, l’adjectif ‘beau’ devient grâce à l’ajout du suffixe ‘-té’ un nom, tandis que pour la préfixation ce n’est pas le cas, l’adjectif reste un adjectif, ce n’est que le sens qui a changé en ajoutant un préfixe. C’est que dans le cas de la préfixation la base détermine la catégorie du nouveau mot créé, alors que dans le cas de la suffixation c’est le suffixe qui, étant la tête du mot, détermine la catégorie du mot dérivé et qui permet alors un changement de catégorie, sauf s’il s’agit d’un suffixe dépréciatif ou diminutif (Cf. Béchade 1992). La tête du mot, déterminant la catégorie de celui-ci, se trouve toujours à droite en français, comme on peut observer dans les structures arborescentes en (2) :

(2) a. A b. N

A A A N

(15)

14 On voit qu’en (2a), où il y a préfixation, la base ‘propre’ est la tête du mot, tandis qu’en (2b), exemple de suffixation, c’est le suffixe ‘-té’ qui est la tête du mot, ainsi déterminant sa catégorie (Cf. Battye et al. 1992). Dans ce qui suit, on laissera de côté la préfixation, se concentrant seulement sur la suffixation. Tout d’abord, on jettera pourtant un coup d’œil sur l’élément auquel le suffixe s’ajoute, la base.

2.2 Bases et radicaux

Comme on vient de constater, on ajoute un suffixe à une base pour dériver un nouveau mot. Il faut noter qu’il y a plusieurs types différents de bases, qui coïncident avec la division entre le vocabulaire savant (d’origine gréco-latine) et le vocabulaire non-savant (ou populaire) du français. Quels éléments peuvent alors servir de base pour la dérivation ? Tout d’abord il y a les mots simples non-savants, des mots qui peuvent fonctionner à eux seuls dans une phrase, ce sont des bases autonomes. Puis il y a les mots simples savants, identiques aux mots simples non-savants, sauf quant à leur origine gréco-latine. Mais il existe encore une troisième catégorie, de nature savante. Ce sont les bases non-autonomes, aussi appelées des radicaux. Ces bases non-autonomes ne peuvent pas être utilisées à elles seules dans une phrase, mais doivent toujours être accompagnées d’un suffixe. Ces bases non-autonomes sont toujours de nature savante, donc d’origine gréco-latine (Cf. Mortureux 2011). Regardez les exemples en (3) :

(3) a. forme form-el (mot simple non-savant) b. fragile fragil-ité (mot simple savant) c. *céc céc-ité (radical savant)

Comme on voit en (3c), la base ‘céc’, d’origine latine (du mot latin ‘caecus’) ne peut pas être utilisée seule. Elle doit toujours être suivie d’un suffixe pour pouvoir fonctionner dans une phrase. La base savante ‘céc’ n’est pas autonome. Les deux autres bases en (3a-b), des mots simples, peuvent sans aucun problème fonctionner dans une phrase sans l’ajout d’un suffixe et sont par conséquent des bases autonomes (Cf. Mortureux 2011).

2.3 La dérivation suffixale

En ajoutant un suffixe à une base on peut, comme on vient d’observer, changer la catégorie grammaticale de la base, même si ce n’est pas toujours le cas. La suffixation affecte alors la catégorie de la base de même que son sens. On peut par exemple dériver un nom d’un verbe ou un adverbe d’un adjectif (Cf. Béchade 1992) :

(16)

15 (4) a. N > V abri abri-ter N > A sens peur-eux N > N hôtel hôtel-ier b. V > N chant chant-eur V > A chant chant-able V > V chant chant-onner c. A > N beau beau-té

A > Adv rapide rapide-ment A > A jaune jaun-âtre

On constate que l’adjonction d’un suffixe influence le plus souvent la catégorie grammaticale de la base, sauf si on crée un nom à partir d’un nom, un verbe à partir d’un verbe ou un adjectif à partir d’un adjectif. Dans ces cas, on observe cependant le changement de sens causé par l’ajout du suffixe.

C’est donc le suffixe qui détermine la catégorie grammaticale du mot. On peut également représenter la dérivation avec une formule comme [suffixe [radical X] Y], où X est une base

quelconque et Y un suffixe quelconque (Cf. Battye et al. 1992). Si on prend comme exemple ‘beauté’ on obtient (5) :

(5) [suffixe [radical beauA] –téN]

On voit que la base ‘beau’, un adjectif (indiqué par le petit A en haut), est entouré par le suffixe nominal ‘-té’ (le fait qu’il est nominal est indiqué par le petit N en haut) qui est la tête du mot dérivé et détermine alors sa catégorie grammaticale, parce que celui-ci entoure et ainsi domine le radical.

En français, il existe donc plusieurs suffixes pour dériver de nouveaux mots. Pourtant on n’utilise pas tous ces suffixes aussi régulièrement. Il y a des suffixes que l’on utilise encore très souvent aujourd’hui pour dériver de nouveaux mots, mais il y en a d’autres que l’on n’utilise plus guère de nos jours. Ces suffixes ne sont plus très productifs. Il y a donc des différences de productivité. Huot (2001) montre une liste avec la productivité de quelques suffixes à partir du nombre de mots ayant ce suffixe :

Suffixe Nombre de mots Suffixe Nombre de mots

-ion N 2400 -ment N 1200

-age N 1400 -isme N 850

-rie N 700 -eur Nm 600

-rice Nf 20 -euse Nf 130

(17)

16

-oire Nf 40 -oire Adj 110

-esse Nf 100 -aire 700

-(a)ble Adj 700 -(i)ble Adj 145

-if Adj 450 -ien Adj 400

On voit qu’il y a des suffixes assez productifs, comme ‘-ion’ ou ‘-age’, et d’autres qui ne sont plus tellement productifs, comme ‘-rice’ ou ‘-oire’.

2.4 La dérivation savante et non-savante

Comme on a vu dans le chapitre précédent, le vocabulaire français s’est formé à partir de diverses sources, dont la plus importante a été le latin, menant à la division entre les mots savants et les mots non-savants (ou populaires). Cette division affecte également la dérivation en français. Tout d’abord il y a des mots simples savants et non-savants et des radicaux savants, servant de base pour créer de nouveaux mots. Puis on rencontre cette même division parmi les affixes. Il y a des affixes savants, comme ‘-ité’, de même que des affixes non-savants, comme ‘-age’.

Les suffixes non-savants peuvent être divisés en suffixes nominaux, formant des noms, suffixes adjectivaux, formant des adjectifs, suffixes verbaux, formant des verbes, et suffixes adverbiaux, formant des adverbes (Cf. Béchade 1992). Des exemples sont montrés en (6) :

(6) -suffixes nominaux : prisonn-ier, apprentiss-age -suffixes adjectivaux : form-el, dout-eux

-suffixes verbaux : chant-onner

-suffixes adverbiaux : rapide-ment, longue-ment

Les suffixes savants par contre ne servent qu’à former des noms, des adjectifs et des verbes, comme on voit en (7) (Cf. Béchade 1992) :

(7) -suffixes nominaux : garag-iste, att-itude -suffixes adjectivaux : hivern-al, solit-aire -suffixes verbaux : nominal-iser, clar-ifier

On pourrait s’attendre à quatre combinaisons de bases avec des suffixes, vu le fait qu’il y a deux groupes de bases, les bases non-savantes, les mots simples non-savants, et les bases savantes, les mots simples et les radicaux savants, et deux types de suffixes, savants et non-savants. Pourtant, quand on regarde les exemples en (8) (empruntés à Zwanenburg 1988), on voit que cela ne tient pas :

(18)

17 (8) a. germin-ation (savant + savant)

b. germin-aison (savant + non-savant) c. *germ-ation (non-savant + savant) d. germ-aison (non-savant + non-savant)

Comme on voit, on peut combiner une base savante avec un suffixe savant ou non-savant (8a-b). Puis, la combinaison d’une base non-savante avec un suffixe non-savant est bien possible aussi (8d). C’est par contre la combinaison d’une base non-savante avec un suffixe savant qui n’est pas possible (8c), même s’il existe quelques exceptions. D’ailleurs, souvent les deux types de suffixation (savante et non-savante) restent séparés (Cf. Zwanenburg 1988).

Comme montre Zwanenburg (1988), il y a en effet une sorte de hiérarchie entre les suffixes savants et non-savants qui devient visible quand plusieurs affixes sont combinés l’un après l’autre. Les possibilités sont montrées dans le schéma en (9) :

suffixe savant

(9) a. suffixe savant

base savante suffixe non-savant

suffixe non-savant

b. base non-savante suffixe non-savant suffixe non-savant Comme on observe en (9a), on peut combiner une base savante avec un suffixe savant ou avec un suffixe non-savant. Puis, on peut combiner le suffixe savant avec soit un autre suffixe savant, soit un suffixe non-savant. Le suffixe non-savant ne peut être combiné qu’avec un autre suffixe non-savant. En (9b) on observe qu’une base non-savante est suivie d’un suffixe non-savant, qui lui-même peut être combiné avec un autre suffixe non-savant, mais pas avec un suffixe savant. On peut donc conclure qu’en général un suffixe savant peut être suivi d’un suffixe savant ou non-savant, mais qu’un suffixe non-savant ne peut être suivi que d’un suffixe non-savant. En effet, il y a même une sorte de hiérarchie : d’abord il existe une couche inférieure de suffixes savants, puis il y a une couche supérieure de suffixes non-savants, puisque normalement on n’utilise pas un suffixe savant après un suffixe non-savant, alors que l’inverse est bien possible (Cf. Zwanenburg 1988). Cette hiérarchie est montrée dans la structure en (10) (où X représente la catégorie N / A / V / Adv) :

(10) X

X suffixes non-savants base suffixes savants

(19)

18 Comme on peut voir en (10), les suffixes savants sont réalisés plus près de la base que les suffixes non-savants, qui se trouvent dans une position supérieure. On reviendra encore sur cette hiérarchie en parlant de la dérivation suffixale en anglais.

2.5 La règle de la postériorisation savante

La dérivation savante et la dérivation non-savante, malgré leurs différences sur le plan hiérarchique, sont pourtant étroitement liées sur le plan formel (Cf. Zwanenburg 1988). C’est qu’il existe des allomorphes, deux formes différentes d’un seul morphème. On les retrouve parmi les bases de même que parmi les suffixes. Tout d’abord, comme ont montré Dell et Selkirk (1978), il y a des bases qui changent de forme selon la nature savante ou non-savante du suffixe qui les suit, comme on voit en (11) (exemples empruntés à Zwanenburg 1988) :

(11) a. fleur fleur-ir flor-al

b. mer a-merr-ir mar-in

La première colonne représente le mot simple, la base. La seconde colonne représente une forme dérivée avec un suffixe non-savant, la troisième colonne une forme dérivée à l’aide d’un suffixe savant. On observe un changement de la base si celle-ci est suivie d’un suffixe savant. Ainsi, en (11a) le /ɶ/ de ‘fleur’ devient /o/ dans ‘floral’ et en (11b) le /ɛ/ dans ‘mer’ devient /a/ dans ‘marin’ (Cf. Dell et Selkirk 1978).

On rencontre le même phénomène parmi les suffixes, tout d’abord parmi les suffixes savants, qui changent de forme selon la place qu’ils occupent. S’ils se trouvent à la fin d’un mot ou devant un suffixe non-savant, ils ont une autre forme que lorsqu’ils se trouvent placés devant d’autres suffixes savants. Cette forme-ci, la forme savante utilisée devant d’autres suffixes savants, est considérée comme la forme de base du suffixe (Cf. Huot 2001). Des exemples se trouvent en (12) :

(12) a. matern-el matern-al-iser b. danger-eux danger-os-ité

Les suffixes finaux ‘-al’ et ‘-os’, les suffixes savants originaux, deviennent ‘-el’ et ‘eux’ respectivement s’ils se trouvent devant un suffixe non-savant ou à la fin d’un mot. Les deux fois il s’agit du même suffixe, ayant deux formes différentes dépendant de la position du suffixe, c’est-à-dire si celui-ci se trouve au milieu ou à la fin du mot.

(20)

19 Puis il y a aussi quelques paires de suffixes savants et non-savants, des doublets, qui connaissent la même alternance de sons, comme on voit en (13) (Cf. Zwanenburg 1988) :

(13) a. termin-aison modernis-ation

b. pâl-eur pâl-ot

Dans ce cas, il s’agit de paires d’un suffixe savant et d’un suffixe non-savant ayant la même fonction. Les suffixes en (13) servent tous à dériver des noms, ils sont tous des suffixes nominaux, dont deux sont de type non-savant aison’ et ‘-eur’) et deux de type savant (‘-ation’ et ‘-ot’). En général, la variante non-savante est utilisée après des bases non-savantes, la variante savante suit des bases savantes (Cf. Zwanenburg 1988).

Comme on peut observer dans les exemples en (11-13), il y a chaque fois un changement de son dans les paires d’allomorphes. Ce changement de son est expliqué par une règle que l’on appelle la règle de la postériorisation savante. Cette règle concerne les voyelles /a/ et /o/ qui sont postériorisées en /ɛ/ et /ɶ/ quand elles se trouvent devant un suffixe non-savant (Cf. Dell et Selkirk 1978). Ce phénomène peut aussi aider à identifier la nature savante ou non-savante d’un suffixe, puisque la présence des voyelles postériorisées /a/ et /o/ indique que l’on a affaire à un suffixe savant, capable de subir cette postériorisation.

2.6 Une comparaison avec la dérivation en anglais

Maintenant la dérivation en anglais sera présentée brièvement, de façon que l’on puisse faire des liens entre celle-ci et la dérivation en français. Pourquoi la dérivation en anglais ? C’est qu’il y a des ressemblances entre la dérivation en anglais et celle en français et que quelques caractéristiques de la dérivation en français peuvent être présentées encore mieux à l’aide de l’anglais. Il s’agit notamment de l’idée d’une hiérarchie des types différents de suffixes et des mélanges de ces types que l’on rencontre plus fréquemment en anglais qu’en français, où la dérivation savante reste souvent assez séparée de la dérivation non-savante.

2.6.1 Les types de suffixes de l’anglais

En anglais, comme en français, il existe deux types différents de suffixes. À l’instar des suffixes savants et savants du français, l’anglais connaît des suffixes neutres (= non-savants) et non-neutres (= non-savants). Cette indication ‘neutre’ concerne l’accent de mot, les deux types de suffixes anglais se distinguent en ce qui concerne leurs propriétés phonétiques. Les suffixes non-neutres ont une influence sur l’accent de mot, tandis que pour les suffixes

(21)

20 neutres ce n’est pas le cas. On les appelle aussi les suffixes du type I (non-neutres) et du type II (neutres) (Cf. Selkirk 1982). En (14) des exemples sont montrés (la syllabe portant l’accent de mot est soulignée) :

(14) a. creative > creativ-ity (type I) b. creative > creative-ness (type II)

Comme on peut observer, l’accent de mot de ‘creative’ change lorsque celui-ci est combiné avec un suffixe du type I comme ‘-ity’ (14a), alors que l’ajout d’un suffixe du type II comme ‘-ness’ (14b) n’influence pas l’accent de mot. On admet que les suffixes du type II (les suffixes neutres) s’adjoignent plus haut dans la structure du mot que les suffixes du type I (non-neutres) et que les suffixes du type II sont précédés d’une sorte de frontière de mot, de sorte qu’ils ne peuvent pas influencer l’accent de mot. On marque cette frontière en mettant le signe # devant les suffixes du type II. Les suffixes du type I sont marqués par le signe +, qui indique une frontière de morphème. Regardez à cet égard les structures en (15) :

(15) a. [suffixe [radical creativA] +ityN] (type I)

b. [suffixe [word creativeA] #nessN] (type II)

En outre on distingue deux stades de suffixation pour l’anglais. Tout d’abord il y a le niveau des radicaux (appelé ‘root’), n’ayant que des frontières de morphème, indiquées par le signe +, où les suffixes du type I sont ajoutés et où ils peuvent affecter l’accent de mot. Puis il y a le niveau du mot (appelé ‘word’), avec à la fin une frontière de mot, indiquée par le signe #, où les suffixes du type II sont placés, mais qui ne peuvent plus, à cause de la frontière de mot, affecter l’accent de mot (Cf. Siegel 1979). Tout cela devient plus clair dans la structure arborescente en (16) :

(16)

suffixe type II WORD

supérieur

suffixe type I ROOT

inférieur

On voit qu’il y a deux niveaux, un niveau supérieur où les suffixes du type II s’adjoignent et un niveau inférieur où les suffixes du type I s’adjoignent. C’est seulement sur ce niveau inférieur que le suffixe peut influencer l’accent de mot. Les suffixes qu’on ajoute au second niveau, les suffixes neutres du type II, ne peuvent plus avoir d’influence sur l’accent de mot, parce qu’il y a une frontière de mot qui rend impossible d’influencer l’accent de mot. En

(22)

21 français, comme on vient de voir, on connaît la même hiérarchie de suffixes avec un niveau inférieur de suffixes savants et un niveau supérieur de suffixes non-savants.

2.6.2 La compatibilité des types de suffixes

Les différences entre ces deux types de suffixes en anglais deviennent encore plus claires lorsque l’on regarde les possibilités de combiner les suffixes neutres et non-neutres. Ainsi on pourra également faire un lien avec la dérivation suffixale en français. Dans la section 2.4 on a vu qu’en français il y a une hiérarchie entre les suffixes savants et non-savants, puisqu’un suffixe savant peut être suivi d’un autre suffixe savant ou d’un suffixe non-savant, mais qu’un suffixe non-savant ne peut être suivi que d’un autre suffixe non-savant (voyez aussi le schéma en (9)). En anglais il existe une pareille hiérarchie entre les suffixes neutres et non-neutres, montrée dans les exemples en (17) (exemples empruntés à Zwanenburg 1988, originaires de Selkirk 1982) :

(17) a. monstr-os-ity (type I + type I) b. monstr-ous-ness (type I + type II) c. *cheer-ful-ity (type II + type I) d. cheer-ful-ness (type II + type II)

On constate qu’un suffixe du type I peut être suivi d’un autre suffixe du type I (17a) ou d’un suffixe du type II (17b), mais qu’un suffixe du type II ne peut être suivi que d’un autre suffixe du type II (17d). La combinaison d’un suffixe du type II suivi d’un suffixe du type I (17c) n’est pas possible (Cf. Selkirk 1982). On peut en déduire le schéma suivant :

(18) a. suffixe du type I suffixe du type I b. suffixe du type II suffixe du type II

Pour le français, on peut également déduire un tel schéma, identique au schéma des suffixes anglais en (18) :

(19) a. suffixe savant suffixe savant b. suffixe non-savant suffixe non-savant

Les deux schémas hiérarchiques se ressemblent alors, mais les ressemblances entre la dérivation en français et en anglais ne s’arrêtent pas là. Quand on compare la suffixation en français et en anglais sur le plan phonologique, on constate que les deux langues connaissent un changement phonologique. En français il y a la règle de la postériorisation savante qui

(23)

22 influence les voyelles /ɛ/ et /ɶ/ qui deviennent /a/ et /o/ devant les suffixes savants. En anglais, on fait la distinction entre les suffixes neutres et non-neutres, influençant l’accent de mot ou pas. Combiné avec la hiérarchie en ce qui concerne la combinaison de suffixes savants et non-savants, on voit qu’il y a une couche inférieure de suffixes non-neutres en anglais ou de suffixes savants en français, connaissant un changement phonologique, et une couche supérieure de suffixes neutres en anglais ou de suffixes non-savants en français, n’ayant pas un changement phonologique (Cf. Zwanenburg 1988).

On peut donc conclure qu’en français de même qu’en anglais il y a deux types suffixes, les suffixes savants et non-savants en français et les suffixes non-neutres et neutres en anglais, qui ont à peu près les mêmes caractéristiques, comme on a vu pour le rapport hiérarchique entre les deux types de suffixes ainsi que pour leur influence sur la phonologie du mot. Cependant il y a aujourd’hui des linguistes qui ne distinguent plus deux types de suffixes, comme on fait en général, mais trois. Dans le chapitre suivant, il s’agira d’une réclamation du linguiste Jan Don, faite pour le néerlandais à partir de l’anglais, introduisant et motivant une tripartition en ce qui concerne les suffixes. Cette tripartition sera présentée. Puis, on tentera de vérifier si une telle tripartition pourrait être faite pour les suffixes français aussi.

2.7 La dérivation suffixale en néerlandais

Pour mieux pouvoir comprendre l’analyse des suffixes néerlandais de Jan Don, il faut encore jeter un coup d’œil sur la dérivation suffixale en néerlandais. Les suffixes servent à dériver des noms en y ajoutant un suffixe. Il y a des suffixes nominaux, qui créent des noms, des suffixes adjectivaux, formant des adjectifs, et des suffixes verbaux, qui forment des verbes (Cf. De Haas et Trommelen 1993). En (20) on voit quelques exemples :

(20) a. verhuiz-ingN déménagement

b. fatsoen-lijkA décent

c. verbal-iseer(en)V verbaliser

Les suffixes sont alors également des têtes, portant une catégorie qu’ils transfèrent au mot qu’ils dérivent.

En néerlandais, tout comme en français ou en anglais, comme on vient d’apprendre ci-dessus, on distingue traditionnellement deux types de suffixes, les suffixes germaniques et les suffixes non-germaniques. Ils se distinguent non seulement par rapport à leur origine germanique ou

(24)

23 non-germanique, mais aussi concernant leur influence sur le mot dérivé. C’est que les suffixes non-germaniques influencent l’accent de mot, tout comme en anglais les suffixes du type I, tandis que pour les suffixes germaniques ce n’est pas le cas, comme pour les suffixes anglais du type II (Cf. De Haas et Trommelen 1993). Ce phénomène est montré par les exemples en (21) (la syllabe portant l’accent de mot est soulignée) :

(21) a. hertog hertog-dom (suffixe germanique)

duc duché

b. respect respect-abel (suffixe non-germanique)

respect respectable

Comme on voit, l’ajout d’un suffixe germanique tel que ‘-dom’ en (21a) ne change pas l’accent de mot, tandis que l’ajout d’un suffixe non-germanique, comme ‘-abel’ en (21b), influence bien l’accent de mot, puisque l’accent de mot s’est déplacé.

Finalement il faut encore mentionner le fait qu’en néerlandais, contrairement à ce que l’on a vu pour le français et l’anglais, il n’y a pas de hiérarchie entre les suffixes germaniques et les suffixes non-germaniques. On peut donc rencontrer quatre combinaisons possibles, montrez en (22) (exemples empruntés à De Haas et Trommelen 1993) :

(22) a. werk-ing (germanique + germanique)

fonctionnement

b. slijt-age (germanique + non-germanique)

usure

c. cultur-eel (non-germanique + non-germanique)

culturel

d. antiek-ig (non-germanique + germanique)

antique

Comme on observe, il est, tout comme en français et en anglais, possible de mettre un suffixe germanique après une base germanique, ainsi qu’après une base non-germanique, de même que d’attacher un suffixe non-germanique à une base non-germanique. Puis, la combinaison d’une base non-germanique avec un suffixe germanique, que l’on ne trouve pas en français ni en anglais, est bien possible en néerlandais. Pourtant, les combinaisons d’une base germanique avec un suffixe germanique et d’une base germanique avec un suffixe non-germanique, donc sans mélanger les deux types, sont les plus fréquentes, tout comme en français (Cf. De Haas et Trommelen 1993).

(25)

24 Maintenant que l’on connaît les caractéristiques principales de la dérivation suffixale en néerlandais, on peut passer à la théorie de Jan Don qui sera présentée dans le chapitre suivant.

(26)

25

3 – Trois types de suffixes en néerlandais

Comme on a pu de constater dans le chapitre précédent, l’anglais connaît deux types de suffixes, les suffixes neutres, qui ont une influence sur l’accent de mot, et les suffixes non-neutres, qui n’influencent pas l’accent de mot. Il y a une sorte de hiérarchie parmi ces deux types de suffixes. Les suffixes non-neutres, du type I, comme par exemple ‘-ity’, peuvent être suivis d’autres suffixes non-neutres de même que de suffixes neutres. Par contre, ces suffixes neutres, du type II, comme par exemple ‘-ness’, ne peuvent être suivis que d’autres suffixes neutres. Plusieurs linguistes ont tenté d’intégrer l’influence des suffixes sur l’accent de mot dans la théorie de la morphologie distributionnelle, comme Lowenstamm (2010). Pourtant, ces idées sont critiquées par Don (Creemers et al. 2014), qui propose, afin de réunir l’influence des suffixes sur le plan phonétique avec la théorie de la morphologie distributionnelle, au lieu d’une dichotomie une tripartition de suffixes. C’est-à-dire qu’il croit qu’il existe trois types de suffixes au lieu de deux. Il a vérifié sa théorie pour le néerlandais, menant à la conclusion probatoire que l’on peut en effet distinguer trois types de suffixes en néerlandais. Dans ce chapitre, on expliquera tout d’abord les idées de Lowenstamm (2010) et les problèmes de sa théorie. Puis, la théorie alternative de Don (Creemers et al. 2014) sera présentée, menant à une tripartition des suffixes, ainsi que son analyse pour le néerlandais.

3.1 La théorie de Lowenstamm et la critique de Don

Traditionnellement, on considère les suffixes comme des têtes fonctionnelles, ayant une catégorie spécifique qu’ils désignent à la base à laquelle ils s’attachent. Comme on a vu dans le chapitre précédent, il y a par exemple des suffixes qui dérivent un nom d’un adjectif ou un adjectif d’un verbe. Un suffixe aurait donc toujours une catégorie fixe qu’il assigne à la base à laquelle il s’ajoute. Pourtant il existe également des suffixes qui n’ont pas de catégorie fixe, mais qui sont cependant flexibles de catégorie, en tout cas en anglais, comme on peut voir en (23) :

(23) a. legend-ary adjectif

b. function-ary nom

Le même suffixe ‘-ary’ sert en (23a) à dériver un adjectif à partir d’un nom et en (23b) à dériver un nom d’un autre nom. Ce suffixe n’a pas de catégorie fixe, il est de nature flexible. Cela mène Lowenstamm (2010) à considérer les suffixes comme étant des racines au lieu de têtes. Cela veut dire que les suffixes, étant des racines, ne portent ni de catégorie ni d’autre information grammaticale. Dans ce cas, la catégorie n’est pas une caractéristique inhérente

(27)

26 des suffixes. Le mot dérivé à l’aide d’un suffixe ne reçoit donc pas sa catégorie de ce suffixe, comme on le croit en général. Les suffixes sont des racines liées, vu qu’ils ne peuvent pas apparaître seuls, contrairement aux mots simples.

Les deux types de suffixes, non-neutres et neutres, ont des propriétés spécifiques qui expliquent leur comportement différent vis-à-vis l’accent de mot. Les suffixes non-neutres pour l’accent, du type I, ont un trait ininterprétable marqué [u√P]1

que l’on ne peut contrôler qu’à côté de racines (Cf. Lowenstamm 2010). Regardez par exemple la structure profonde en (24) (emprunté à Lowenstamm 2010) :

(24) aP

a √P

√-ic √atom

[u√P]

Comme on y voit, le suffixe ‘-ic’ se trouve dans le √P, où son trait ininterprétable peut être vérifié. C’est pourquoi celui-ci peut être rayé. La structure en (24) est une structure profonde, parce qu’elle ne représente pas la suite normale du mot. La suite ‘-ic, atom-‘ devient dans la structure de surface ‘atomic’, parce que les éléments de la structure profonde sont déplacés pour obtenir la structure de surface. Ce n’est donc qu’au niveau de la structure de surface que le mot a sa forme finale. Ce déplacement est montré par les structures en (25) et en (26) :

(25) aP a √P √-ic √atom (26) nP / aP √P n / a √atom √-ic 1

[u√P] : Le ‘u’ marque le caractère ininterprétable (de l’anglais ‘uninterpretable). Le ‘√P’ veut dire que ce type de suffixe s’attache au niveau des racines (root-phrase).

(28)

27 En (26) on voit la structure de surface, dérivée de la structure profonde en (25). Comme on voit, les éléments de la structure en (25) ont été déplacés et ainsi on a obtenu la forme normale.

Regardons maintenant les suffixes neutres pour l’accent. Les suffixes neutres pour l’accent, du type II, ont un trait ininterprétable marqué [u xP]2 qui fait que les suffixes du type II doivent toujours s’attacher à des éléments déjà catégorisés, donc pas à des racines comme les suffixes du type I. On obtiendrait alors la structure profonde en (27) proposée par Lowenstamm (2010) : (27) nP phase 2 n √P √-less nP phase 1 [u xP] n √money

Pourtant cette structure n’est pas correcte selon Lowenstamm (2010), parce qu’elle viole la règle proposée par lui qui dit que les catégories doivent dominer les racines, mais pas vice versa. Dans la structure en (27) par contre, il y a un √P, une racine donc, qui domine un nP. C’est pourquoi la structure en (27) n’est pas correcte. La structure profonde correcte proposée par Lowenstamm (2010) se trouve en (28) :

(28) nP phase 2 n √P √-less √-less nP phase 1 [u xP] n √money

Comme on observe, le suffixe ‘-less’ se trouve dans une position supérieure. Le √P qui dominait le nP a disparu. Ainsi, la structure en (28) ne viole plus la règle mentionnée ci-dessus. Cette position supérieure du suffixe ‘-less’, un suffixe du type II, explique également pourquoi les suffixes du type II n’influencent pas l’accent de mot, contrairement aux suffixes du type I, parce que les suffixes du type II sont réalisés dans une position supérieure, dans un

2

[u xP] : Le ‘u’ marque le caractère ininterprétable (de l’anglais ‘uninterpretable). Le ‘xP’ veut dire que le suffixe s’ajoute à des éléments déjà catégorisés où x = n / a / v.

(29)

28 second stade où l’accent de mot a déjà été déterminé. Là ils ne peuvent donc plus influencer l’accent de mot (Cf. Lowenstamm 2010).

Don (2014) par contre ne trouve pas que le déplacement du suffixe ‘-less’ que l’on voit entre les structures en (27) et en (28) soit logique. En outre il mentionne le fait que beaucoup de suffixes ne sont pas flexibles de catégorie du tout. On ne pourrait donc pas considérer tous les suffixes comme des racines (Cf. Creemers et al. 2014). C’est pourquoi il propose une autre hypothèse : « Flexible affixes are roots; non-flexible affixes are categorial heads. » (Don 2014 : 4). Il ne considère donc pas tous les suffixes comme des racines. Il fait tout d’abord la distinction entre deux types de suffixes, se basant sur leur flexibilité ou leur inflexibilité de catégorie. Il considère les suffixes de catégorie flexible comme des racines et les suffixes non-flexibles de catégorie, contrairement aux idées de Lowenstamm (2010), comme des têtes, ayant une catégorie déterminée. Dans la section suivante, cette proposition sera présentée et la nécessité d’un troisième type de suffixes sera expliquée.

3.2 Une tripartition parmi les suffixes

Comme on vient de constater, Don (Creemers et al. 2014) distingue primairement deux types de suffixes. D’une part il y a les suffixes de catégorie flexible, qui sont des racines et qu’il appelle des ‘root-affixes’, des suffixes-racine. D’autre part il y a les suffixes de catégorie fixe, étant des têtes, qu’il appelle des ‘head-affixes’, des suffixes-tête. Les ‘root-affixes’ (qui sont des racines et n’ont par conséquent pas de catégorie) se trouvent toujours à l’intérieur des ‘head-affixes’ (étant des têtes, eux ayant des catégories). Il y a donc une hiérarchie, tout comme pour les suffixes du type I et du type II. Don (Creemers et al. 2014) relie les deux façons de distinguer les suffixes, à savoir la catégorie flexible ou fixe du suffixe et la nature neutre ou non-neutre en ce qui concerne l’accent de mot. Il propose la règle suivante : « Flexible affixes are stress-sensitive; non-flexible affixes are stress-neutral. » (Don 2014 : 4). Selon lui, des suffixes de catégorie flexible sont toujours des suffixes non-neutres pour l’accent de mot, donc les suffixes du type I, et des suffixes de catégorie fixe sont toujours des suffixes neutres pour l’accent de mot, donc du type II. Il en déduit la structure profonde en (29) :

(30)

29

(29) nP phase 2

phase 2

n nP*

-less n √P

-ity √-ic √atom

On voit d’abord que le suffixe ‘-ic’, un suffixe-racine, se trouve dans le √P et que le suffixe ‘-less’, un suffixe-tête, se trouve dans le nP supérieur. Comme on observe, on distingue également deux phases différentes dans la structure en (29). Le suffixe-tête se trouve dans une autre phase (la phase 2) que le suffixe-racine (qui se trouve dans la phase 1). Cela explique pourquoi un suffixe-tête n’influence pas l’accent de mot, contrairement à un suffixe-racine. C’est que l’accent de mot est déjà déterminé dans le premier stade, pendant lequel le suffixe-racine s’est adjoint. Le suffixe-tête par contre n’apparaît que pendant le second stade, où l’accent de mot a déjà été fixé. L’ajout d’un suffixe-tête ne change donc plus l’accent de mot (Cf. Creemers et al. 2014).

Jusqu’à présent, on a négligé le troisième type de suffixes qui cependant est représenté dans la structure en (29) par le suffixe ‘-ity’. Ce type de suffixes se trouve bien dans le premier stade et a par conséquent une influence sur l’accent de mot, comme les suffixes-racine. Pourtant ces suffixes, comme l’exemple ‘-ity’ en (29), ne sont pas flexibles de catégorie. En ce point ils ressemblent plutôt aux suffixes-tête qui ont également une catégorie fixe. Ces suffixes représentent un groupe intermédiaire. D’un côté, ils influencent bien l’accent de mot et se trouvent donc dans la structure en (29) dans le premier stade. D’autre côté, ils ont une catégorie fixe et ne peuvent donc pas simplement être considérés comme des suffixes-racine. Don (2014) les appelle des ‘first-heads’, des premières-têtes, parce que ce type représente dans la structure en (29) la première tête cyclique (le nP marqué par l’astérisque) qui n’a pas d’autre tête cyclique comme complément (Cf. Creemers et al. 2014).

Don (Creemers et al. 2014) part donc du principe qu’il y a trois types différents de suffixes, comme montre la structure en (29). Tout d’abord il y a les suffixes-racine qui sont de catégorie flexible. Ils influencent l’accent de mot. Les suffixes-racine s’attachent aux racines et n’apparaissent qu’à l’intérieur du √P. Puis il y a les premières-têtes qui influencent également l’accent de mot et peuvent s’attacher aux racines. Pourtant ils sont de

(31)

30 catégorie fixe et ils apparaissent, contrairement aux suffixes-racine, en dehors du √P, quoique toujours à l’intérieur du premier stade. Finalement il y a les suffixes-tête qui sont eux aussi de catégorie fixe, mais qui n’influencent pas l’accent de mot. Ils s’attachent seulement aux mots déjà catégorisés et apparaissent en dehors du √P, dans la seconde phase. Don (Creemers et al. 2014) a vérifié la présence de ces trois types de suffixes pour le néerlandais. Son analyse sera présentée dans la section suivante.

3.3 Trois types de suffixes en néerlandais

Pour vérifier si les trois types de suffixes dont il supposait l’existence sont vraiment présents en néerlandais, Don (Creemers et al. 2014) a étudié les 96 affixes (préfixes et suffixes) les plus importants du néerlandais en se basant sur le Morfologisch Handboek van het Nederlands de De Haas et Trommelen (1993).3 Les caractéristiques principales de la dérivation suffixale en néerlandais ont été brièvement expliquées dans le chapitre précédent. Don (Creemers et al. 2014) a classifié les affixes néerlandais à partir de quatre caractéristiques : leur influence sur l’accent de mot, leur flexibilité de catégorie, leur sous-catégorisation (c’est-à-dire la catégorie de l’élément auquel ils peuvent s’attacher) et leur origine. Dans le cas du néerlandais, les suffixes sont soit d’origine romane, soit d’origine germanique. Puis, il les a divisés en trois groupes selon les trois types de suffixes (suffixes-racine, premières-têtes et suffixes-tête) en regardant leur flexibilité de catégorie et leur influence sur l’accent de mot (Cf. Creemers et al. 2014).

Tout d’abord il y a les suffixes neutres pour l’accent de mot. Ces suffixes sont presque tous d’origine germanique. Ils ont tous une catégorie fixe et ne s’attachent qu’aux mots déjà catégorisés. Ils se comportent donc exactement comme les suffixes-tête. Quelques exemples sont montrés en (30) (la syllabe portant l’accent de mot est soulignée) :

(30) -heid schoon schoonheid (beauté)

-ing verhuis verhuizing (déménagement)

Comme on voit, l’accent de mot ne se déplace pas, malgré l’ajout d’un suffixe, et reste à sa place originale.

3 Don parle dans son article d’affixes. Il inclut donc en général les suffixes de même que les préfixes.. D’ailleurs

ce ne sont que les suffixes qui peuvent changer la catégorie de mot, donc toute la discussion concernant la flexibilité des affixes ne concerne que les suffixes. Aussi ne discutera-t-on que les suffixes, laissant de côté les préfixes.

Referenties

GERELATEERDE DOCUMENTEN

- enfin, la fibre optique, c’est aussi, une fois opérationnelle, cette source d’argent qui permettra à nos entités décentralisées d’oser d’autres projets propres à

Lorsque nous examinons les trois romans, nous voyons que les signes de dégénérescence sont plus manifestes dans Marthe et Nana que dans La fille Elisa ; c’est pour cela

3 Toutes les heures et demie, elle marque une pause de quinze minutes pour faire un

If you believe that digital publication of certain material infringes any of your rights or (privacy) interests, please let the Library know, stating your reasons. In case of

29 Because we have seen in section 2 that the substitution rule follows from the Dictum de Omni, we can conclude that propositional logic follows from syllogistic logic if we (i)

(1996) using probe measurements on ex vivo samples. The value reported in the literature for bladder is based on conductivity measurements of bladder wall tissue which is almost

MR based electric properties imaging for hyperthermia treatment planning and MR safety purposes..

Therefore, loco-regional hyperthermia requires patient- specific treatment planning to compute the optimal antenna settings to maximize the tumor temperature while preventing