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Depiction of women in the genre of 'Miroirs historials' of the 15th century

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L’idéal féminin dépeint dans les Miroirs

historials du 15ème siècle

Depiction of women in the genre of 'Miroirs

historials' of the 15th century

Emma Boulogne S2468034 Alisa van de Haar 2019-2020 Universiteit Leiden MA Literary Studies-French

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Sommaire Introduction Biographies I/ Contexte

A/ Choix des sources

B/ Les sources dans leur contexte littéraire C/ Contexte politique

II/ La femme idéale

A/ L’omniprésence de la chrétienté B/ Une éducation par la peur

C/ Responsabilités de la femme vis à vis d’elle même III/ L’enjeu de la parole

A/ L’appel à l’humilité

B/ Une majorité de textes misogynes

C/ L’exception Pizan: une voix de femme entendue Conclusion

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Introduction

Les écrivaines médiévales sont rares au Moyen-Âge comparées aux écrivains. Dans la littérature française parmi les plus célèbres on regarde Christine de Pizan dont l’oeuvre la plus lue est la Cité des Dames. Cette oeuvre peut être classifiée dans un genre qui a souvent été laissé de côté par les analyses littéraires, celui des miroirs historials. Les miroirs historials qui, à première vue semblent être des textes moralisateurs, se distinguent des chroniques par leur intention et leurs sources. Les chroniques ont une véritable volonté de raconter l’histoire tandis que les auteurs de miroirs historials s’attachent à influencer l’esprit du lecteur. Même si l’auteur est un clerc et que ces textes comportent des références bibliques on ne peut pourtant considérer que ce soient des oeuvres hagiographiques. En effet, comme nous le verrons, leurs sources sont souvent antiques et les personnages mis en avant dans ces catalogues sont très peu des saintes et plutôt des reines ou autres femmes de haute noblesse et des femmes mythologiques. Le genre du catalogue est un format, presque une liste, que l’on retrouve dans des oeuvres dites miroirs historials mais aussi dans tous types de prose et poésie durant l’Antiquité et le Moyen-Âge. Ce genre d’écrits gagne très vite en popularité et beaucoup d’auteurs du Moyen Âge produisent leur propre catalogue au sein d’un autre ouvrage ou bien autonome. Catherine Mastny dans sa thèse sur le Speculum Dominarum, qui est un exemple de miroir historial, (de Durand de Champagne) explique cette hausse de popularité par une vive préoccupation quant à la bonne tenue de chaque individu.1 Ce mémoire a d’abord été grandement influencé par la démarche de Colette Beaune dans son article « La Mauvaise Reine des Origines. Frédégonde aux XIVe et XVe Siècles » où elle s’attache à Frédégonde et Brunehaut connues pour leur role durant la faide royale de 560 à 613 et à la manière dont elles sont dépeintes positivement et négativement dans plusieurs miroirs historials.2 Ne voulant pas faire un travail similaire, il a tout de même permis que je me penche avec plus d’attention sur les divers miroirs historials de cette époque. Son article a aussi mis en lumière les débats politiques qui entourent ce genre littéraire et comment ces polémiques ont exercé une forte influence sur la vie publique. Les sources choisies sont commodément extraites de cet article de Colette Beaune mais plutôt que de m’attacher à un personnage, j’ai voulu

1 Mastny, p.1

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m’orienter vers une étude plus thématique qui permet de mettre en évidence la notion du ‘male gaze’.

Je vais m’attacher à l’étude de deux catalogues qui s’adressent à un public féminin avec comme visée annoncée d’exposer les vices et vertus des femmes. En partant de l’oeuvre de Christine de Pizan et des vices et vertues féminines qu’elle expose et en comparant avec l’oeuvre de Geoffroi de La Tour Landry, je vais tenter de tirer plusieurs conclusions quant à l’attente du comportement féminin. Etant donné le contexte sociologique et politique, on ne peut ignorer que ces écrits aient une visée didactique qui va chercher à renforcer des schémas de genre bien établis surtout puisque les auteurs sont des nobles qui s’adressent à des femmes nobles. Un sujet d’une telle envergure pose plusieurs questions vastes telles que les enjeux d’une éducation féminine à la fin du Moyen Âge et la tradition misogyne dans la littérature. Mais ma question centrale sera : Quelle vision de la femme découle de l’oeuvre de Christine de Pizan et de celle du Chevalier de la Tour Landry, et comment leurs vices et vertus sont utilisés pour justifier le maintien des femmes dans une position d’infériorité ? Pour y répondre, je vais tenter de

synthétiser les exemples de bonne conduite que les deux auteurs mettent en avant. Ces exemples sont organisés de manière thématique avec une première partie de contexte puis une partie concentrée sur l’omniprésence de l’éthique chrétienne et les exigences d’obéissance, et enfin une dernière partie où je me pencherais sur les restrictions de l’accès à la parole.

Cette étude a une très forte dimension de gender studies et pour cela je me suis appuyée sur de solides études historiographiques qui ont une conscience des questions de genre. Avec une autrice telle que Christine de Pizan souvent qualifiée de proto-féministe, il me semblait

primordial d’éviter l’anachronisme de l’étiquette féministe tout en lui reconnaissant un discours résolument pro-femmes pour ses consoeurs. Cela est d’autant plus important car malgré le fait que les discours se ressemblent sinistrement entre le XIVème et notre époque et qu’on peut y voir des similitudes, ils évoluent dans des contextes diamétralement différents et dont les enjeux ne se recoupent que peu. L’écriture de Christine de Pizan dans notre contexte est franchement misogyne car empreint de morale religieuse qui insiste lourdement sur l'infériorité des femmes, cependant cela ne peut pas non plus être qualifié de féministe puisque ne s’inscrivant pas dans un débat social réclamant une égalité des droits et de devoirs. De plus, Christine ne se bat pas pour une égalité de droits ou pour une place de la femme dans la sphère publique mais s’insurge surtout contre un manque de considération minimale. « L’auteure défend les femmes du point de

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vue de la morale et non des droits en défendant une égalité des genres. »3 Aussi, la question de la définition de la misogynie ne me paraît pas complexe et l'appellation doit se faire à la hauteur de nos critères du XXIème siècle puisque, fondamentalement, rien ne justifie qu’une femme

médiévale se doit de subir une misogynie plus aiguë pour la simple raison qu’elle ait vécu à une période différente. On peut, toutefois, qualifier cette misogynie construite sur un système de classe et empreint d’une religiosité très particulière à cette époque qui font que la misogynie du XIVème et XVème siècles n’est pas la même que celle du XXIème siècle. Ainsi, je regarde tel que misogyne qui montre son mépris envers les femmes et justifie ce regard en s’inscrivant dans la littérature antérieure. La question du féminisme de Christine a été traité par plusieurs

chercheurs dont Claude Gauvard, Mathilde Laigle, et Rose Rigaud qui posent la question :

Ce que Christine prêche, ce n'est pas le murmure, la rébellion contre les lois ou usages établis, c'est l'énergie personnelle, l'effort constant pour parer au mal l'éviter, si possible, l'atténuer, si on ne peut l'anéantir, ou le subir avec courage, s'il est plus fort que la volonté humaine.4

Thérèse Moreau et Eric Hicks dans leur introduction à la Cité des Dames touchent aussi à cette ambivalence de Christine de Pizan qui prône une vision de la femme franchement conservatrice pour son temps voire même archaïque avec une approche et une démarche singulièrement progressiste.5 Dans son article « Did Women Have a Renaissance ? » Joan Kelly-Gadol établit quatre critères pour déterminer de la liberté des femmes durant la Renaissance :

We need to consider how to establish, let alone measure, loss or gain with respect to the liberty of women. I found the following criteria most useful for gauging the relative contraction (or expansion) of the powers of Renaissance women and for determining the quality of their historical experience: 1) the regulation of female sexuality as compared with male sexuality; 2) women’s economic and political roles, i.e., the kind of work they performed as compared with men, and their access to property, political power, and the education or training necessary for work, property, and power; 3) the cultural roles of women in shaping the outlook of their society, and access to the education and/or institutions necessary for this; 4) ideology about women, in particular the sex-role system displayed or advocated in the symbolic products of the society, its art, literature, and philosophy.6

Ma lecture des deux oeuvres que je vais présenter dans ce mémoire va se faire selon ces quatre critères qui me semblent centraux quant aux manières de régir sur les libertés individuelles des femmes.

3 Fabienne Pomel, 2014, p.3. 4 Laigle, p.123

5 Hicks & Moreau, 1986. 6 Kelly-Gadol, 1977, p.1

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Ce qui ressort de ces miroirs est le choix des personnages que l’on va dépeindre. Bien entendu il y avait une forte conscience du pouvoir de l’Histoire et de la notion de « l’histoire appartient aux vainqueurs », les chroniqueurs ont délibérément par orientation politique omis certains détails et personnalités politiques. De nombreuses études ont été faites sur la volonté de laisser les femmes dans l’ombre lorsque l’on raconte l’histoire et l’impact social de cette

politique encore aujourd'hui. Ce n’est pas l’objet de mon étude mais il me semble important de souligner que les portraits des mauvaises femmes dont il ne faut pas suivre l’exemple sont soit anonymes, soit bibliques, soit des femmes d’un haut rang : le choix de qui a droit à la postérité même en tant que figure de mauvaise femme n’est pas anodin. Cette précision est aussi

importante dans le contexte de la vie des auteurs que nous allons étudier. En effet, leur culture littéraire et les exemples qu’ils choisissent dépendent de leur éducation et arrière-plan social. Biographie de Christine de Pizan :

Christine de Pizan naît en 1364 à Venise. Son père Thomas de Pizan est originaire de Bologne où il fait des études de médecine et épouse une fille de médecin vénitienne. Il est très reconnu et commence une grande carrière à Venise mais en 1368 il s'installe définitivement à la Cour de France quand sa famille le rejoint. Régine Pernoud dans sa biographie de Pizan décrit la curiosité pour l’astronomie de Charles V qui est partagée par Thomas de Pizan ce qui explique qu’il parvient à le convaincre de venir s’installer à la Cour de France avec sa famille.7 Thomas et son épouse ont trois enfants, deux garçons et une fille et Christine est la dernière. Elle est

bilingue et éduquée par son père au latin et aux sciences. Christine de Pizan reproche à l’éducation qu’elle a reçu de ne pas avoir été assez poussée et d’avoir dû concéder à sa mère d’apprendre aussi les arts féminins, pour Régine Pernoud ce discours peut être surtout de la modestie et une manière de montrer qu’elle excelle dans les deux domaines puisque ses ouvrages montrent une grande connaissance du latin et des oeuvres qui étaient à sa disposition dans la bibliothèque familiale; ainsi Christine de Pizan loue l'intelligence de son père comme d’une « très grande richesse ».8 Elle se marie en 1379 à 15 ans à Etienne Castel qui meurt dix ans plus tard la laissant avec trois enfants. En 1380, Etienne Castel devient notaire et secrétaire du roi et après sa mort Christine passera 13 ans en procès pour tenter de récupérer les salaires impayés à

7 Pernoud, p.14. 8 Pernoud, p.18

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son mari et doit même vendre une part de son héritage pour faire face aux multiples procès;9 elle se décrit « diffamée sans cause » et cette période sera source de grande stress émotionnel et financier.10 La question du célibat de Christine de Pizan après la mort de son mari a longtemps intrigué car il était rare qu’une femme jeune (elle avait 25 ans à la mort de son mari) reste veuve sans former de seconde union. Comme les nombreux procès qu’on lui intente le montrent, elle était dans une position de vulnérabilité qui n’aurait pas été telle si elle s’était remariée. Régine Pernoud explique cette dévotion comme celle d’un amour éternel :

Une décision pourtant, prise dès le premier choc et sur laquelle elle ne reviendra pas ; veuve à vingt-cinq ans, Christine ne se remariera pas; l’amour qu’elle éprouva pour son époux, son premier amour, celui de ses quinze ans, sera son seul amour; sa vie à elle pourra s’écouler, semée de heurts et aussi de rencontres -- elle restera fidèle à celui qui avait été son partenaire en ces dix années de mariage heureux. « N’oubliant ma foi et bonne amour promise à lui, je délibérai en sain propos de jamais autre n’avoir » ; la phrase rappelle cette devise qui fut celle de Philippe de Bon : « Autre n’aurai. »11

Cette idée si poétique importe dans les mises en garde que Christine de Pizan jugera bon de transmettre aux veuves dans son traité d’éducation Le Livre des trois vertus à l’enseignement des dames de 1405 où elle exhorte les femmes veuves à la prudence : « Et dans ce traité d’éducation, chose curieuse, la vertu qui tient le premier rôle s’appelle : Prudence. Elle prévient toutes les veuves, aussi bien les nobles que les bourgeoises, que celles de “commun état”, que beaucoup de maux vont les attaquer ; »12. Prudence est accompagnée de Raison, Droiture, et Justice qui sont

les armes que Christine juge pourront le mieux préparer une femme à faire face aux périls du monde.

Christine de Pizan est une auteure prolifique en six ans, de 1399 à 1405, elle écrit quinze volumes et de nombreux « petit ditiés » qui forment « soixante-dix cahiers de grand volume ».13

Du temps où tu portais tes enfants en ton ventre, tu sentis une grande douleur au moment de

l’accouchement. Maintenant, je veux que tu donnes naissance à de nouveaux volumes, qui évoqueront ta mémoire dans l’avenir et pour toujours dans ce monde, auprès des princes, et dans tous les lieux de l’univers. Mais c’est ta mémoire qui accouchera dans la joie et l’allégresse. Malgré le travail et la peine, tu

9 Pernoud, p. 56 10 Pernoud, p. 57 11 Pernoud, p. 47 12 Pernoud, p. 75 13 Pernoud, p. 81

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oublieras les souffrances de l’effort, à l’exemple de l’accouchée qui oublie immédiatement sa douleur en entendant le cri de son enfant, au doux bruit de tes ouvrages.14

Cette analogie à la maternité est intéressante car sa carrière d’écrivaine marque une sorte de renaissance pour Christine de Pizan qui doit réinventer sa vie à la suite de la mort de son mari.

A partir de 1418, elle se retire au monastère de Poissy et cesse d’écrire. Christine voit de son vivant la perte de la souveraineté française face aux anglais puis la libération d’Orléans par Jeanne d’Arc et le couronnement de Charles VII à Reims en 1429, ce qui la pousse à écrire de nouveau après onze ans passées dans un couvent.15 Ce Ditié où elle célèbre Jeanne la Pucelle

comme incarnation de la vertue toute féminine qu’est le courage16 est sa dernière oeuvre et

Régine Pernoud suppose que sa mort n’aura pas tardé, sûrement l’hiver qui suit en 1429-30.17

Plusieurs manuscrits de Pizan sont retrouvés dans la bibliothèque de Jean du Berry et du Duc de Bourgogne.18Les critiques de Christine de Pizan avancent sa grande productivité pour argumenter un manque de profondeur à ses oeuvres. On lui reproche aussi de recycler des motifs dans plusieurs de ses ouvrages et d’avoir copié de larges passages à des traductions d’oeuvres latines.19

Biographie de Geoffroi de la Tour Landry :

Le Livre du Chevalier de la Tour Landry pour l’enseignement de ses filles est la seule oeuvre du Chevalier qu’on lui connaisse même si plusieurs études le montrent comme l’auteur de

Le Roman de Ponthus et Sidoine comme le fait Anne Marie de Gendt.20 Les de la Tour Landry sont une ancienne famille du Poitou qui s’y sont installés au XIIè siècle comme nous le fait remarquer Anatole de Montaiglon.21 Les XIVè et XVè siècles voient une crise des revenus dans le milieu seigneurial qui est due à une baisse des redevances pour les tenures paysannes.22 Cette période qui creuse plus les inégalités sociales renforce aussi le fossé entre la petite et la haute noblesse avec nombres de petits seigneurs qui renoncent à leur noblesse par manque de moyens;

14 Pizan, 1405, traduction de Thérèse Moreau in 2003, p. 24. 15 Pernoud, p.199 16 Pernoud, p. 205 17 Pernoud, p. 215 18 Willard, 1966 19 Gauvard, 1983 20 De Gendt, p. 20 21 De Montaiglon, p. viij 22 De Gendt, p. 27

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Geoffroi de la Tour Landry qui vit dans une région de pauvreté de la noblesse n’en fait pas mention ce qui laisse à croire qu’il n’est pas touché lui-même.23

Anatole de Montaiglon établit une chronologie pour la vie de Geoffroi de la Tour Landry: il trouve dates de mariages et de transactions immobilières mais ne peut établir une date de décès précise puisqu’en 1419 il y a mention d’un écuyer Geoffroi de la Tour Landry alors qu’on sait qu’il était chevalier et que cela ferait de lui un homme âgé de 93 ans puisqu’il était présent au siège d’Aiguillon en 1346.24 Ce Geoffroi de la Tour Landry est sûrement son second fils puisque Charles de la Tour Landry, dont on a connaissance, meurt au siège d’Azincourt en 1415.25 Le Chevalier commence son oeuvre en vers mais change d’avis rapidement car l’entreprise est trop longue et il juge la prose plus rapide: on voit des restes de la métrique poétique dans les débuts de Enseignements.26 Dans le Prologue des Enseignements, il dit aussi faire appel à deux prêtres et à deux autres membres du clergé à qui il doit certainement les nombreuses références

bibliques et surtout la responsabilité du péché originel incombant aux femmes descendantes de la première femme.27 Pour Anatole de Montaiglon le style littéraire est très semblable au style des sermons de l’époque.28

Bien que le discours du Chevalier s’inspire largement des préceptes ecclésiastiques concernant la ligne de conduite religieuse et morale à suivre par une femme et fasse également écho à certaines idées neo-aristotéliciennes, notre auteur esquisse un modèle de comportement féminin qui est le produit de normes et valeurs de sa classe mais aussi des développements socio-économiques, philosophiques, culturels et littéraires qui caractérisent la deuxième moitié du XIVème siècle.29

La Tour Landry a écrit aussi une version des Enseignements pour ses fils, il y fait allusion plusieurs fois dans son ouvrage, qui a été perdue. Cette perte pourrait être signe du manque de popularité de l’ouvrage puisque des compilations d’histoires masculines existaient à foison mais pour des contes féminins c’était une entreprise originale qui avait plus de chance d’attirer la

23 De Gendt, p.27 24 De Montaiglon, p. xvij 25 De Montaiglon, p. xix 26 De Montaiglon, p. xxx 27 De Montaiglon, p. xxxj 28 De Montaiglon, p. xxxij 29 De Gendt, p.9

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curiosité de lecteurs hors du cercle familial.30 Il nous reste 21 manuscrits des Enseignements et on peut identifier 3 éditions avant la réédition d’Anatole de Montaiglon en 1854.31

I/ Contexte

Tout d’abord quelques points de contexte : je tiens à justifier le choix des sources et des éditions utilisées et replacer les oeuvres dans leur contexte littéraire et les auteurs dans leur contexte politique.

A Choix des sources

Le choix des sources s’est fait sur des oeuvres qui présentaient une vision de la femme idéale telle qu’elle était imaginée au XIVème et début XVème siècles. J’ai aussi voulu construire un corpus autour de l’oeuvre de Christine de Pizan qui est une des rares femmes à avoir écrit une oeuvre de ce genre à l’intention de femmes. Ainsi, j’ai cherché des oeuvres contemporaines du

Livre des Trois Vertus, qui étaient lues au début du XVè siècle, ou qui partageaient des sources

communes.

Pour faire une étude des vices et vertus des femmes et de ce qui était considéré comme tel au XIVè et XVè siècles, il me semblait incontournable de me tourner vers des manuels

d’éducation ou des oeuvres à but didactique. Bien que ne prenant pas cette appellation, les miroirs historials avaient une visée franchement éducative, on cherche à influencer le jeune souverain de manière positive. Geoffroi de la Tour Landry prend une posture plus éducative en parlant de manuel d’éducation qu’il écrit pour ses filles. Cette position est logique puisqu’il écrit depuis une posture hiérarchique supérieure par rapport à ses filles tandis qu’un évêque ou

confesseur peut certes vouloir éduquer son souverain ou seigneur mais doit rester dans une visée de sage guidance ou moralisatrice plus que didactique. On voit aussi cette logique au chapitre 24 du Livre des Trois Vertus où Christine désigne la jeune fille comme la maîtresse de sa

gouvernante et que le rôle de la gouvernante est de sage guidance. J’aurais pu m’attacher aussi

30 De Montaiglon, p. xxxvj 31 De Gendt, p. 41

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au Ménagier du Bourgeois de Paris cependant je souhaitais construire un corpus autour de l’oeuvre de Pizan qui, elle, évolue dans une milieu aristocrate. Certaines problématiques se recoupent mais la distinction des classes est telle que les enjeux ne sont pas foncièrement les mêmes. C’est pour cette raison qu’une comparaison avec les Enseignements du Chevalier de la Tour Landry est toute désignée dans ce mémoire.

Je m’appuie sur l’édition d’Anatole de Montaiglon des Enseignements qui publie en 1854 d’après les manuscrits de Paris et de Londres. Montaiglon dans sa préface à l’oeuvre explique que grâce à la traduction de Caxton le Livre de l’enseignement connaît un certain succès en Angleterre et en Allemagne. C’est aussi l’édition la plus accessible. Je n’ai pas accès au

manuscrit de Geoffroi de La Tour Landry donc je ne peux pas m’assurer que cette édition est un reflet conforme de son oeuvre cependant je n’ai aucune raison de me méfier d’Anatole de Montaiglon puisqu’il est archiviste paléographe de formation et que son édition du Livre est largement reconnue et utilisée dans plusieurs études du Chevalier. De plus c’est aussi l’édition qu’Anne-Marie De Gendt choisit d’utiliser pour son étude, justement par souci d’accessibilité.32 Concernant le Livre des Trois Vertus je m’appuie sur une monographie imprimée en 1503 de la Bibliothèque Nationale de France et de l’édition qui en a été faite par le Projet Gutenberg, par souci d’accessibilité encore une fois. Cette édition fait partie de celle qui a été commandée par Anne de Bretagne en 1497 puisqu’il porte le titre Le Trésor de la cité des dames de degré en

degré et de tous estatz et donc l’ouvrage lui est dédicacée en Prologue alors que Christine de

Pizan l’avait dédicacé à Marguerite de Bourgogne. Je ne prends donc pas en compte le premier paragraphe du prologue dans mon analyse.

Ce choix de corpus m’a été conforté quand Anatole de Montaiglon dans son prologue rapproche l’oeuvre de Christine de Pizan et de Geoffroi de la Tour Landry comme des oeuvres formant un corpus d’éducation à l’intention des femmes :

Je dirais que l’ouvrage (Enseignements du Chevalier de la Tour Landry) doit moins rester dans la classe des livres si nombreux écrits pour des éducations spéciales - il y serait par trop loin du Discours sur l’Histoire universelle et du Télémaque - qu’être joint aux livres si curieux qui sont consacrés durant tout le moyen-âge à la défense ou à l’attaque des femmes. Il y tiendra sa place, du côté honnête et juste, auprès du livre de Christine de Pisan, du Ménagier de Paris, (...)33

32 De Gendt, p. 46 33 De Montaiglon, p. xxxv

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Ainsi, puisque d’autres études font ce rapprochement, il me semble tout à fait justifié à mon tour de les placer dans une étude commune.

B Les sources dans leur contexte littéraire

Le genre du catalogue est très populaire déjà à l’époque antique et le reste tout au long du Moyen-Âge. Nombre d’auteurs incluent des catalogues dans leur oeuvres afin de lui donner une force historique. Le De claris mulieribus de Boccace est traduit en français et circule largement en France comme en atteste la tradition manuscrite. Il s’inspire de Pétrarque et inspire vingt ans plus tard l’anglais Geoffrey Chaucer. Glenda McLeod dans son ouvrage explore la profonde misogynie du genre des catalogues qui est très utile dans la tradition chrétienne pour montrer la continuité du péché féminin depuis Eve « première des femmes » jusqu'aux contemporaines de l’auteur. Dans ce contexte, les catalogues qui renversent la donne sont rares mais très précieux pour notre analyse. A propos de la Cité des Dames:

The first catalog to be written by a woman and the first to defend women against institutionalized

misogyny, this book in many ways represents a culmination of medieval catalog developpement. In fact, it is a remarkable, groundbreaking text that synthesizes many older implementations to produce a wholly new type of catalog and a wholly new definition of femineity34

Il est important de connaître la longue tradition du catalogue puisque Christine de Pizan était elle-même éduquée à ce sujet et utilise le format pour le déformer et avancer son propos. C. J. Mews souligne que Christine avait accès à des textes classiques et à des nombreuses traductions qui ont très vraisemblablement forgé sa vision éthique :

Her (Christine de Pizan) representation of the virtues is grounded in a synthesis of Christian and classical authors, mediated by texts such as Martin of Braga’s Formula vitae honestae, which she glossed in her

Livre de prudence, along with Alan of Lille’s De virtutibus et de vitiis et de donis Spiritus sanctii.35 Christine de Pizan écrit aussi à une époque où il y a de nombreuses réécritures et déformations d’oeuvres antécédentes. Par exemple, Pétrarque en 1373 qui traduit le Décaméron de Boccace présente Griséldis, la femme maltraitée par son époux, en femme obéissante.36

Marie-Thérèse Lorcin souligne que la tendance des écrivains laïques dans leurs miroirs est de mettre en scène des personnages féminins qui relèvent du mythe et qui sont donc

34 McLeod, p. 8.

35 Green and Mews, p.xi 36 Viennot, 2011

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inatteignables puisqu’elles sont en réalité un fantasme de la femme idéale; Geoffroi de la Tour Landry qui emploie quasi exclusivement des femmes légendaires souscrit très bien à cette tradition.37 Geoffroi écrit aussi dans une veine d’auteurs nostalgiques du temps passé et qui comme les franciscains ont un dédain du monde38:

Les auteurs du quatorzième et du début du quinzième siècle, et en particulier Guillaume de Machaut, Jean de le Mote, Gace de la Buigne, Eustache Deschamps et Gilles li Muisis, exploitant le topos de la

deterioratio temporum, se plaignent de vivre une période où tout change et change pour le mal : Chis siècle est malvais et cescum jour empire.39

Dans son prologue, Geoffroi nous explique qu’il met à disposition sa bibliothèque aux clercs qui l’aident à rédiger son ouvrage. Il liste la Bible, une Geste des Roys et plusieurs Chroniques, de France, Grèce, d’Angleterre, et « maintes autres estranges terres ».40 Il fait aussi allusion à la Reine Prines d’Hongrie qui a pris soin de rédiger son propre ouvrage pour « chastier » et « endoctriner » ses filles.41

Le narrateur du Livre du Chevalier de la Tour Landry est face à un défi de taille. Comment définir un désir conjugal acceptable tout en puisant dans la tradition courtoise de la fin du Moyen Âge ? Peut-on s’adresser à un public aristocratique en refusant certains aspects d’une tradition littéraire dont il est à la fois

producteur et consommateur ?42

La Cité des Dames de Christine de Pizan inspire nombres d’autres miroirs favorables aux femmes par des auteurs qui se proclament ‘défenseurs des femmes’. On pense notamment au

Champion des Dames de Martin Le Franc en 1530, à la Vie des Femmes Célèbres d’Antoine

Dufour composé en 1507 sur ordre d’Anne de Bretagne, à la Nef des Femmes Vertueuses de Symphorien Champier en 1503, et au Purgatoire des Mauvais Marys en 1470 par Guillaume Nyverd.

Une des principales sources de Christine de Pizan est le miroir de Durand de Champagne écrit en latin puis traduit plusieurs fois en français au cours du XIVè siècle.43 Durand de

Champagne est un clerc franciscain qui est connu pour sa position de confesseur de Jeanne de Navarre reine de France et épouse de Philippe IV le Bel. Il écrit à son intention le Speculum

37 Lorcin in … p. 140 38 Mews, p.19 39 De Gendt, p. 28 40 Tour Landry, p.9 41 Tour Landry, p.2 42 Kinne, 2010 43 Mews, p.30

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Dominarum vers 1300 qui est en prose latine. Selon Constant J. Mews c’est la première

traduction Miroir au Dames anonyme quelques années après la publication originelle qui sera la plus populaire.44 Une des traductions est faite par Jean Castel fils, le petit-fils de Christine de Pizan. Anne Dubrulle, qui édite le manuscrit en 1987, avance aussi l’hypothèse que ce serait Durand de Champagne lui-même qui a écrit le Miroir aux Dames qui est une traduction et à la fois une extension du Speculum Dominarum. Pour le Speculum Dominarum, Durand de Champagne s’inspire des écrits de pères fondateurs du christianisme et de deux miroirs antérieurs en latin : celui de Bernard de Clairvaux et celui William Peraldus. La popularité renouvelée de cette oeuvre qui date de près d’un siècle quand Geoffroi de La Tour Landry et Christine de Pizan écrivent montre que les valeurs édictées sont encore considérées. De plus les dédicaces à Jeanne de Navarre puis à Marguerite de Navarre et la présence de manuscrits dans les bibliothèques royales de Charles V et Charles VII montrent que les attentes vis à vis du comportement féminin sont toujours considérées même si le traité en lui-même n’est plus ‘à la mode’ :

By the early fifteenth century, when Christine de Pizan started to become aware of the need for a literature of ethical instruction directed to women, the French version of the Speculum dominarum, the Miroir des dames, was already becoming an old-fashioned treatise. Yet the fact that this vernacular adaptation continued to be copied for an aristocratic audience should remind us of the continuing power of its vision, combining scriptural and Stoic wisdom in a way that would influence Christine herself in her understanding of ethical obligation.45

On retrouve en effet beaucoup de similitudes éthiques entre Christine de Pizan et Durand de Champagne notamment une soif de justice vraie. Durand de Champagne utilise sa position pour influer politiquement sur Jeanne de Navarre notamment contre les procès d’Inquisition de l’époque et le Speculum Dominarum se mue en une sorte de manifeste pour un gouvernement plus juste.46 Les trois vertus mise en avant par Christine de Pizan sont raison, droiture, et justice: « je ay fait le livre des trois dames de vertus / c'est assavoir Raison droicture & justice

souveraines dames de la noble cité des dames de vertus »47, c’est à la fois une justice de la part d’une haute dame envers ses sujets qu’une justice plus intérieure visée vers des auteurs et lecteurs qui commettent une injustice en diffamant les femmes.

44 Mews, p.24 45 Mews, p.30 46 Mews, p.26 47 Pizan, prologue

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Pour ce qu’il en est de la postérité, avec l’invention de l’imprimerie, la Cité de Dames de Christine de Pizan fait face à une censure alors que le Livre des Trois Vertus est réédité et est présent dans la plupart des cours princières européennes.48 Le Livre du Chevalier de la Tour

Landry est édité deux fois au début du XVIè siècle et est traduit en anglais et en allemand.49 C Contexte politique

Le contexte politique du XVè siècle en France est fortement marqué par la question de la régence et notamment la question d’une régence féminine. Il est donc important de situer les textes primaires de cette étude puisque Christine de Pizan écrit en faveur d’une régence par la reine au lieu d’une régence des barons ou ecclésiastique. Les XIVème et XVèmes siècles sont aussi marqués par la période très troublée de la Guerre dite de Cent Ans. Cette période de conflit génère un fort sentiment d’insécurité parmi la noblesse qui voit de nombreux changements politiques mais aussi dans toutes les couches sociales du fait de famines, épidémies et des pillages réguliers dans les campagnes dès qu’une période d’accalmie met « au chômage » les bandes armées. Régine Pernoud remarque que le règne de Charles V représente un de ses

périodes de calme : « On distingue généralement Charles comme le roi “Sage” dans la lignée des Valois à laquelle il appartient -- les autres étant de piètres politiques, frivoles et brouillons. Son règne effectivement aura marqué une accalmie relative dans ce siècle de catastrophe mondiales qui fut le sien. »50 Cette accalmie relative permet à Christine de Pizan une enfance heureuse et donne plus tard dans sa vie un point de comparaison avec les règnes suivants.

Plusieurs études pointent vers le fait qu’une des motivations pour l’écriture de la Cité des

Dames et du Livre des Trois Vertus étaient un plaidoyer pour confier la régence à la reine-mère

en cas d’incapacité du roi; Tracy Adams expose clairement cette idée dans son article: «Christine’s purpose in the Cité des dames, I will suggest, is to argue that Queen Isabeau of Bavaria, the optimum candidate for regency because she was excluded from the throne, should be allowed to exercise the authority awarded her by the king in a series of regency ordinances.»51 Christine voit une période troublée de la monarchie où le besoin de régence est grand étant donné

48 Viennot, 2011. 49 De Gendt, p.42 50 Pernoud, p.10 51 Adams, 2009.

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la folie de Charles VI. La reine avait déjà un rôle de médiation qui est même officialisé par les ordonnances de Charles V et Charles VI. C’est le moment opportun pour appeler à mettre plus de pouvoir dans les soins de la reine.

Certainly, Christine's richly detailed works of literature admit a multitude of interpretations and cannot be reduced to promotions of female coregency. Yet reinserted into their historical situation, they demonstrate a lively defense of what was the pinnacle of contemporary forms of female power.52

Afin de promouvoir cette idée de pouvoir au féminin, elle avance plusieurs arguments comme l’idée d’une maternité nationale: « The Queen is a mother not only of her own children but also of all the French. »53 Dans le contexte du règne de Charles VI où les barons sont difficiles à tenir sous croupe, la reine est appointée co-régente par Charles VI dans l’espoir de contrebalancer l’influence de ses deux frères, les ducs, assoiffés de pouvoir. L’idée est d’éviter un

gouvernement du royaume qui ne servirait que leurs intérêts propres. « Unlike male relatives, the mother, devoted to her children and unable to succeed to the throne in any case, lacked the self-directed ambition that inevitably posed a danger to the monarchy. »54 C’est l’argument principal de Christine: dire que la reine est totalement désintéressée du pouvoir puisqu’une femme ne peut espérer avoir la carrure de gérer un royaume elle-même. Il est évident dans le discours de

Christine que la régence n’est que temporaire et toujours dans le but de conserver ce qui

appartient à son fils, pas l’accroître. Pour Christine, ce rôle de la régence rentre dans les devoirs de la femme sous les préceptes de Proverbes 14:1 « La femme sage construit sa maison. »55 De plus, les nobles comprennent très vite que « Whoever controlled the dauphin controlled the kingdom »56, ce qui cristallise les débats autour de la régence et qui renforce la pétition des soutiens du roi pour une régence par la mère qui serait, par amour maternel, assez désintéressée pour ne pas usurper le pouvoir.

L’importance du contexte historique est évidente dans les oeuvres de Christine de Pizan qui écrit pour soutenir ses mécènes57 et pour soutenir une régence de la reine mère.

II/ La femme idéale

52 Adams, 2009. 53 Adams, 2009. 54 Adams, 2009. 55 Wisman, 2000. 56 Adams, 2009. 57 Gauvard, 1983

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L’idéal féminin mis en avant par Christine de Pizan et Geoffroi de la Tour Landry se construit selon leurs sources et leur contexte politique. Le Chevalier explique que l’on peut reconnaître qu’une femme est « preude et charitable »58 par ses habitudes : elle jeûne trois jours par semaine, visite les malades, nourrit les orphelins, donne des aumônes généreuses, écoute la messe jusqu’à midi, récite ses heures. Cet idéal féminin est forgé grâce à des vices et vertus considérés récurrents chez toutes les femmes grâce à une littérature antérieure qui affirme cette idée. Nos deux oeuvres ont une identique priorité : prôner la piété chez leurs lectrices et leur amour de Dieu. Les Enseignements ont une visée très franche de présenter un idéal de la femme chrétienne. D’ailleurs, il n’y a presque aucun exemple de personnages de l’ère pré-chrétienne, seuls quelques exemples antiques anonymes sont conservés du Miroir de Bonnes Femmes qui l’a inspiré.59 Ainsi les devoirs édictés donnent un seuil d’attente très élevé quant à l'obéissance qui est demandé à ces femmes, et même si une femme souscrit à ne serait-ce que la moitié des critères, cela finit tout de même par créer un individu soumis. Cet idéal féminin est explicité par plusieurs thèmes récurrents dans les oeuvres de Christine de Pizan et Geoffroi de la Tour Landry que nous allons regarder de plus près dans cette partie. On retrouve des forts thèmes de

chrétienté qui mettent au même plan l’obéissance à Dieu et l’obéissance à l’homme. Il y a aussi un élément de crainte qui doit s’instaurer chez la femme face aux conséquences d’une

désobéissance, et enfin la responsabilité de chaque femme de souscrire à cet idéal féminin. A Omniprésence de la chrétienté

Les deux oeuvres qui font l’objet de ce mémoire s'appuient sur de nombreuses

justifications et exemples bibliques. Pour Geoffroi de la Tour Landry cela s’explique par le fait qu’il fait appel à deux moines et deux clercs pour rédiger les Enseignements et qu’il cite la Bible comme une de ses inspirations pour écrire son miroir. Nulle surprise donc de retrouver un grand nombre de personnages bibliques. On retrouve Eve, Esther, Rachel, Sara, les filles de Loth,

58 Tour Landry, p.19 59 De Gendt, p. 39

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Dalida, Elisabeth, Suzanne60, Sarra61, Marie Madeleine, Marie, Marthe, David, Samson,

Abraham, Job, Tobie, Jacob. De plus l’idée des Sept Péchés Capitaux est récurrente depuis la fin du sixième siècle sous la nouvelle classification de Grégoire le Grand et donc le Chevalier s’y réfère tout naturellement sans forcément les nommer.62 Pour Geoffroi la luxure est au même degré que l’orgueil ce qui se distingue des classifications grégoriennes où l’orgueil occupe la place principale au rang du pire péché.63 Cela s’explique par le fait qu’il s’exprime à de jeunes femmes nobles dont la chasteté joue un rôle immense pour leur assurer une position même si la luxure est aussi présentée comme un péché mortel qui ferme à tout jamais les portes du Ciel pour celle qui y succombe.64 Le Chevalier prône l’humilité dans la relation de la femme à son mari65 comme avec l’histoire de Mikhal66 qui fait référence à II Samuel 6:16 « Comme l'arche de l'Eternel entrait dans la cité de David, Mical, fille de Saül, regardait par la fenêtre, et, voyant le roi David sauter et danser devant l'Eternel, elle le méprisa dans son coeur. » et qui est punie d’infertilité. Cette humilité sert à instaurer une « soumission absolue à l’autorité du mari »67. On retrouve aussi l’exemple de Rebecca au chapitre LXXXIII qui est la quintessence de la patience, douceur, et docilité et qui encourage son mari vers Dieu en privé et humblement ; Dieu la récompense en la rendant fertile.68 Il est en aucun cas acceptable qu’une épouse puisse réprimander son mari et encore moins en public même si elle a son intérêt spirituel a coeur.

Christine aussi, dès son prologue, annonce un souci pour l’élévation de l’âme chrétienne de ses lectrices. Ainsi, il va sans surprises que l’on retrouve un nombre impressionnant de références bibliques dès les premiers chapitres. Cependant, la grande majorité des exemples sont issus des Evangiles ou des Proverbes comme par exemple « Car selon la parole de dieu Qui se humiliera sera exaulcé »69 qui peut renvoyer à Luc 14:11 « Car quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé. » ou bien à Luc 1:52 « Il a renversé les puissants de leurs trônes, Et il a élevé les humbles. » ou encore à Proverbes 29:23 « L'orgueil d'un homme l'abaisse, Mais

60 Femme de Joachim qui apparaît dans un livre apocryphe traduit par Saint Jérôme.

61 Femme de Tobie qui apparaît dans le Livre de Tobie déclaré canonique au concile de Carthage en

397.

62 De Gendt, p. 145 63 De Gendt, p.147 64 De Gendt, p.148 65 De Gendt, p.155 66 Tour Landry, chap. lxxv 67 De Gendt, p.155 68 De Gendt, p.156 69 Pizan, chapitre I

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celui qui est humble d'esprit obtient la gloire. » La particularité de ces références sont qu’elles renvoient toujours à un effort d’humilité que doivent fournir les hautes dames. On retrouve une référence dans la même veine dans le même chapitre :

Sicomme il mesme dit en l'evangille. Les ouailles de mon pere me ayment / & je les garde Cest a dire que les creatures qui l'ayment suyvent les traces que sont de vertu & il les garde de tous perilz70

qui peut renvoyer à Matthieu 12:50 « Car, quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mon frère, et ma soeur, et ma mère. » ou bien à Matthieu 19:14 « Et Jésus dit: Laissez les petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. ». Mais aussi au chapitre iii : « Ne scés tu que dieu dist en l'evangile. que les povres seront bieneurez / et que le royaulme des cieulx est pour eulx »71 qui réfère à Matthieu 5:3 « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux! ». Ainsi que « Et ailleurs il dist que neant plus que ung chamel chargié entreroit au pertuys de l'eguille n'iroit ung riche en paradis »72 pour Matthieu 19:24 « Je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. »

Tous deux donnent la paresse comme racine de tout péché et écueil à éviter à tout prix. L’acédie, péché d’ordinaire monastique, est appliquée aux femmes par Geoffroi puisqu’il découle de la paresse et de l’oisiveté qui peuvent mener à la luxure et mettre en péril la chasteté des femmes mais sans donner de solution précise.73 Ainsi, selon lui si une femme se laisse aller à la paresse, elle risque de commettre un péché bien plus grave et mettre en péril sa chasteté. Au contraire, Christine de Pizan donne une liste d’occupations et préconise de se tourner vers des activités telles que prendre en main la gestion de son foyer74 ou bien passer du temps en oeuvres de piété75.

Qui plus est, le Chevalier accorde même plus de valeur au mérite de la femme qui réussit à dompter les appétits de sa chair qu’à celui de l’homme qui observe la chasteté. (...) Si l’effort de la femme a plus de valeur que celui de l’homme, c’est qu’elle a plus de difficultés à resister aux tentations: elle est inférieure à l’homme, non seulement physiquement mais aussi mentalement (de foible et legier couraige).76

70 Pizan, chapitre I 71 Pizan, chapitre III 72 Pizan, chapitre III 73 De Gendt, p.163 74 Pizan, chapitre XXXVI 75 Pizan, chapitre III 76 De Gendt, p.152

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Pour le Chevalier, la paresse est un écueil tout particulièrement féminin et qui contribue à la faiblesse d’esprit des femmes. Le Chevalier prévient aussi du danger de récidiver d’un péché : « le recheoir est pire que le premier »77 Geoffroi décrit une tâche noire à l’âme qui apparaît à chaque péché mais si Dieu prend pitié parce que tu es dévote il te montrera par la confession comment s’en laver. On retrouve là l’idée d’une perte de soumission et malléabilité de l’âme à chaque rechute : une tâche noire est plus difficile à enlever si elle est déjà apparue auparavant, d’où l’importance d’instaurer des bonnes habitudes et des rituels pieux. Ainsi dans le deuxième chapitre des Enseignements, Geoffroi de la Tour Landry liste toutes les prières dues à Dieu dès son réveil et qui vont rythmer la journée : heures et oraisons, Laudate Dominum, Omnes gentes, Benedicamus patrem et filium, et prier pour les morts (le soir également). Il invoque aussi l’abstinence comme une habitude saine : le « jeune est une abstinence et vertu moult convenable et qui adoulcist et reffranist la char des mauvaises voulentez et humilie la cuer et empêtre grace vers Dieu. »78 Une âme humble est mieux apte à accueillir la grâce divine. « Vous devrez jeuner tant comme vous serez à marier, trois jours en la sepmaine pour mieux donter votre chair, que elle ne s’egaye trop »79 C’est bien là le paradoxe de la Chrétienté : une injonction à être désirable pour son époux mais une responsabilité exclusive à rester chaste.

Enfin, la femme a aussi une responsabilité biblique à tenir son foyer par lequel elle peut prouver sa dévotion à son mari. C.J. Mews considère que le Speculum Dominarum, qui inspire nombre de miroirs de la même époque, est surtout une longue extrapolation du proverbe 14:1 « La femme sage construit sa maison. »80 C’est une image récurrente que ce soit pour désigner une régente ou une bourgeoise mais qui montre où l’attention d’une femme chrétienne doit se porter. En bâtissant son foyer et en l’accroissant, une femme peut montrer l’étendue de sa dévotion à son mari mais aussi à Dieu, assurant ainsi la sécurité de son âme. Connaître sa place ne sert pas uniquement à sauvegarder son honneur mais surtout à sauver son âme comme on le comprends à travers le savant mélange des injonctions pour un comportement pieux et sociétal convenable dans les trois oeuvres de cette étude. Christine de Pizan s’adresse à un public de femmes qui ont des vies très terrestres et qui donc font face à toute un spectrum de défis et de tentations qui ne seraient pas celles auxquelles font face des femmes qui sont rentrées dans les ordres. « Christine

77 Tour Landry, chapitre viii 78 Tour Landry, chapitre ix 79 Tour Landry, p.14 80 Mews, p. 24

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connait bien ses contemporaines et les considère avec un mélange de sévérité et d’indulgence, de compassion et d’indulgence. »81 Cependant, cela n’empêche pas que chaque catégorie de femmes doit dédier sa vie à Dieu. Elle distingue la vie active de la vie contemplative en précisant que la vie contemplative plaît plus à Dieu mais en concédant que la vie active est utile : « car a dieu plairoit bien que chascun y fist son devoir. »82 Il est nécessaire que certaines choisissent la vie active pour que d'autres puissent choisir la vie contemplative mais ce choix doit être fait sans se plaindre. Quand on sait que la vie monastique apportait une position très enviable et une sorte de ‘sécurité de l’emploi’ pour des femmes qui ne pouvaient pas s’assurer une union fructueuse, on peut lire ce conseil comme une injonction à connaître sa place mais ici de classe et non

forcément de genre83; se contenter de son lot permet de fortifier son humilité. Plusieurs points sont intéressants ici, on voit que certains aspects et péché

traditionnellement apposés à la vie contemplative sont appliqués aux femmes ce qui peut suggérer que c’est l’attente que l’on a des femmes : l’obéissance et la dévotion de la vie

contemplative appliquée à la vie active. On voit aussi que Christine et Geoffroi insistent sur des péchés spécifiques qui s’appliquent aux femmes nobles dans leur contexte socio-économique, nommément la chasteté surtout.

B Une éducation de la peur

Il y a une cause à effet très claire entre le péché, même minime, et la punition, qu’elle soit divine, maritale, ou paternelle. Une histoire montre une femme qui après une vie entière de dévotion, se refuse de confesser un péché mortel et Dieu fait sortir de la fumée de sa tombe pour la montrer en exemple selon le Chevalier.84 Une autre anecdote que raconte Geoffroi décrit ce qu’il advient si une femme ne prend pas sérieusement en compte cette causalité. Une femme peu dévote et gourmande ne se laisse pas reprendre par son mari :

Dont il advint que au fort son seigneur sceust sa manière, qui estoit mauvayse pour le corps et l’âme, si lui montra moult doulcement et par plusieurs foiz que elle faisoit mal de telle vie mener. Mais oncques ne s’en voult chastier pour son beau parler que l’en luy sceust faire.85

81 Lorcin in Dulac & Ribémont, p. 148 82 Pizan, chapitre v

83 Varty in Dulac & Ribémont, p.162 84 Tour Landry, p. 19

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Par la suite, il la surprend de nouveau dans ses mauvaises habitudes de faire la fête avec les domestiques et la bat avec un bâton au point qu’elle perd son oeil. Le Chevalier décrit son « yré » comme justifiée vu le manque de contrition de son épouse.86 Cependant la conclusion n’est pas la punition physique qu’elle subit mais le fait que la dame prend en haine son seigneur car elle a perdu son oeil et finit donc par perdre son amour ce qui est présenté comme pire châtiment que la perte de son oeil. Il y a plusieurs dynamiques ici sur lesquelles je veux m’arrêter. Tout d’abord on voit l’époux qui se sent justifié dans son devoir marital de sauver l’âme et le corps de son épouse. Cette idée permet d’établir que la violence du seigneur envers son épouse est un acte d’amour et qu’elle est responsable de la colère qu’elle suscite en lui. Est-ce que le but du Chevalier est de créer une crainte de l’époux pour encourager l’obéissance ou bien est-ce que c’est une absolution pour l’homme de déchaîner sa colère sur une femme qui ne lui obéit pas ? Enfin la punition est moins la perte de son oeil mais la perte de l’amour de son mari. On a affaire à une femme qui se complait dans son péché (gourmandise et manque de dévotion) malgré les reproches de son mari et qui en plus n’accepte pas qu’il puisse l’en blâmer et le prend en haine après qu’il l’ait puni de son péché. Le seigneur ne délaisse pas sa femme suite à son péché mais à sa rancune ce qui montre ses priorités : il peut admettre qu’une femme soit pécheresse mais ne peut admettre un manque de soumission. Il est tentant de faire le parallèle entre une obéissance dans la sphère privée qui justifie aussi une obéissance dans la sphère publique.

La violence contre les femmes forme la substance de bien des exemples didactiques. La menace du viol est particulièrement forte, ce qui fait présumer que, dans l’esprit des narrateurs, les hommes sont naturellement des agresseurs et que les jeunes filles victimes ne peuvent concevoir de céder leur chasteté que sous une menace de mort. Certaines, comme Lucrèce, se donnent même la mort de leur propre main.87

Cette peur de l’homme prédateur qui s’instaure chez la jeune femme est nourrie par de nombreux récits anxiogènes et par un discours selon lequel soit seule une femme pécheresse subirait un tel sort soit elle doit faire preuve de courage devant une épreuve que Dieu lui présente. Quand la colère de l’homme est présentée comme justifiée, il faut aussi un discours de la responsabilité féminine pour asseoir cette légitimité. Donc l'énergie de toute femme chaste est d’oeuvrer à ne pas provoquer la colère des hommes qui l’entourent, que ce soit au sein du foyer ou dans la sphère publique. Une telle appréhension de la violence ne peut se borner uniquement à l’intime et il en découle donc une soumission des femmes en public par crainte de représailles.

86 Tour Landry, p.13 87 Kinne, 2010

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Il y a aussi un fort besoin de vérité qui transparaît à quelques reprises du Livre du

Chevalier comme dans ce cas : « Car ne demoura pas an et demi qu’elle fust blasmée, mais je ne scay se ce fut à tort ou à droit ; et depuis mourust. »88 Selon Kenneth Varty, cette peur du

mensonge transparaît aussi du Livre de Trois Vertus de Christine de Pizan, « Sadly the rejected admirer and would-be seducer is likely to put out wicked stories about the woman who rejects him. »89 Ce souci de combattre les médisances est crucial dans une communauté renfermée comme la Cour où tout se sait et où elles peuvent même causer un danger de mort pour une femme si le sous-entendu est qu’elle trompe son mari.90 On comprend mieux les appels91 de Christine pour toute femme de se protéger des médisances et des fausses rumeurs. Il y a un souci de protéger les femmes d’un danger de violence très réel mais aussi de sauvegarder l’âme des ‘médisantes’ puisque pour Christine ‘l’envie’ et les ‘mesdires’ mènent toujours à d’autres péchés et proviennent d’un trop grand orgueil dont il faut se défaire.92 Tout au long du prologue le Chevalier décrit une mode que ses amis suivaient quand ils étaient jeunes c’est à dire, cumuler plusieurs conquêtes, « vous vous parjurez »93 il leur dit. « Et il n’est ou monde plus grant trayson que de decevoir aucunes gentilz femmes ne leur accroistre aucun vilain blasme; car maintes en sont deceues par les grans scremens dont ilz usent. »94 Anne Marie de Gendt consacre un chapitre dans son étude à cette crainte du Chevalier vis à vis de la déshonnêteté et de la perte de l’amour vrai. Cela rejoint le besoin de vérité et c’est une crainte qui revient plusieurs fois et dont il veut que les femmes s'imprègnent afin de se garder de perdre leur honneur pour un homme malhonnête. Cette crainte relève aussi de la part de perdre la main sur la sexualité des femmes qui pourraient succomber par désir aux avances d’un homme qui n’est pas son mari et qui donc n’est pas reconnu par le père comme partenaire convenable. Christine de Pizan rejoint cette idée que l’amour tel qu’il est dépeint dans la littérature courtoise est pervertie par des chevaliers sans honneur qui nuisent aux femmes pour s’occuper.

88 Tour Landry, p.29

89 Varty in Dulac & Ribémont, p.166 90 Varty in Dulac & Ribémont, p.167 91 Pizan, chapitres XXXII-XXXIIII 92 Varty in Dulac & Ribémont, p.170 93 Tour Landry, p.3

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Christine’s view of men at court is probably typical of most women courtiers; they are naturally deceitful with women; they always try, sooner or later to seduce women friends and they love to make fun of women behind their backs.95

L’enjeu majeur de cette déshonnêté est que la responsabilité n’est pas partagée. La réputation d’un homme n’est pas engagée dès lors que sa promiscuité se sait alors qu’une femme risque la ruine et la mort. L’honneur d’une femme est son unique valeur sociale et c’est une monnaie qu’elle se doit de garder chèrement. Il y a une véritable dichotomie à être responsable de la procréation tout en ayant pas de droits sur sa sexualité.

Sujet malléable, elle (la lectrice) est forcée d’accepter les failles de son instruction : objet sexuel, elle endosse à la fois les conséquences des actes qui sont commis sur elle et la culpabilité. Cette culpabilisation est à la fois une éducation politique et civique.96

On peut parler d’un véritable culte de l’honneur féminin. Christine y fait aussi référence en y consacrant même tout un chapitre dont le titre est « Des sept principaulx enseignemens de prudence qui sont necessaires à retenir a toute princesse qui ayme honneur. »97 Ces septs enseignements ne concernent que la vie extérieure des femmes, c’est à dire que Christine vient régir sur comment se comporter face à son époux, sa famille, ses enfants, sa belle-famille, ses ennemis, ses sujets, et comment traiter de ses finances. Toutes ces relations sont visibles aux yeux des autres et dans le cas des princesses et reines ce sont des relations semi-publiques. L’honneur ne concerne donc pas la vie intérieure de la femme mais la perception qu’on les autres d’elle. Une femme peut influer sur cette perception par la manière dont elle s'astreint à ces

conventions que Christine compile dans le Livre des Trois Vertus. En effet, comme je l’ai montré plus haut, Christine de Pizan n’invente rien elle-même, elle rassemble divers enseignements qui proviennent d’une grande diversité d’oeuvres avant la sienne.

Un schéma revient plusieurs fois dans les Enseignements : celui de soeurs qui sont considérés pour des fiançailles à un même prince et le prétendant choisit la plus jeune bien que l’honneur veuille qu’il choisisse l'aînée. On comprend l’humiliation qui en résulte pour l'aînée qui voit sa jeune soeur s’octroyer une meilleure position qu’elle. Il n’est pas seulement question de l’honneur mais de subsistance future puisque le mariage transparaît comme l’unique

occupation que peut avoir une femme qui ne rentre pas dans les ordres. L'homme peut se

95 Varty in Dulac & Ribémont, p.166 96 Kinne, 2010

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soumettre à plusieurs subterfuges pour déceler les failles potentielles de sa fiancée et découvrir sa vraie nature, par exemple dans le chapitre XIV des Enseignements, le roi d’Espagne se déguise pour pouvoir observer le comportement des deux soeurs et choisir celle dont les bonnes manières sont constantes. En plus d’une crainte de subir quelconque violence, il rajouter la crainte de perdre sa position qui résulterait aussi en la mort.

Afin de bien tenir son ménage, une femme doit être vertueuse, car sans vertu elle ne peut garder les hommes socialement nécessaires au maintien de sa vie – ni son père, ni son mari. Pour la femme, l’absence de maîtrise du corps et l’acceptation d’une pénétration « indésirable » (soit alimentaire, soit sexuelle) signifient la négation d’un soi moral, social, et chrétien.98

Toute cette culture d’injonctions restreignants les droits des femmes par rapport à ceux des hommes montre bien que l’enjeu n’est pas uniquement la sauvegarde de l'âme féminine mais surtout de réguler leur présence et influence puisque la punition n’est pas seulement spirituelle mais très concrètement sociale pour toute femme qui ne s’y plie pas.

C La responsabilité de la femme vis à vis d’elle-même

La plus grande responsabilité d’une femme envers elle-même est de connaître sa place et par extrapolation son statut social. Il est censé découler de ce savoir un apaisement et une

sécurité. Nous allons voir dans cette partie quelles sont les responsabilités qui incombent aux femmes selon nos deux auteurs et en quoi elles diffèrent des responsabilités masculines. Pour le Chevalier de la Tour Landry, la principale vertu est un devoir d'obéissance et d'humilité face au patriarche père ou époux et pour Christine de Pizan il en va de connaître sa classe sociale comme le démontre son classement dans les derniers chapitres mais aussi de se savoir créature de Dieu.

Ha fole musarde mal advisee que as tu pensé en petit de heure avoyes oublié la congnoissance de

toymesmes / ne scés tu pas bien que tu es une miserable et povre creature fresle debile & subjecte a toutes enfermetez a toutes passions maladies & autres douleurs que corps mortel peut souffrir / quel avantage as tu ne que ung autre / neant plus que auroit ung tas de terre couvert d'ung parement de celluy qui seroit soubz une povre flessoie. Ha dolente creature encline a pecher & a tout vice te veulx tu doncques mescongnoistre & oublier comment ce chetif vessel vuit de toute vertu qui tant veult d'honneurs & d'aises deffauldra & mourra en peu de terme sera viande aux vers / & aussi bien pourrira en terre que celluy de la plus povre femme qui soit & que la lasse ame n'en portera riens ne mais le bien ou le mal que le chetif corps aura

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commis sur terre / que te vauldront lors honneurs avoirs ne ton grant parenté desquelles choses en ce monde tu te aloses te yront ilz secourir en la peine ou tu seras si tu as mal vescu en ce monde99

Christine de Pizan dénonce l’individu qui va se croire autre qu’une « miserable et povre creature fresle debile », elle rappelle à ses lectrices qu’elles ne sont qu’un tas de terre et que ni les

honneurs ni la parenté ne pourront les sauver face à Dieu. Elle rappelle l'universalité de la faiblesse humaine et que donc le plus grand service que l’on peut se faire à soi-même est de connaître ses vices et de se discipliner en toute connaissance de cause. Elle rappelle que le corps n’est qu’un vaisseau de l'âme et qu’il vaut mieux dépenser son énergie à sauver l'âme plutôt que le corps. Ce rappel qui intervient dès le troisième chapitre de l’ouvrage va servir presque de fil rouge puisqu’il souligne qu’il vaille mieux compter ses péchés que ses honneurs. Il semblerait tout au long du Livre de Trois Vertus que Christine appelle ses lectrices à s’auto-préserver de tout péché inutile et de savoir discerner ce qui devrait attirer leur attention et ce qu’il faut laisser couler sans sourciller. La question de la colère est aussi importante dans le contexte de s’auto-préserver puisque rien n’excuse un débordement et qu’il faut impérativement garder son sang-froid surtout face à d’autres. Christine utilise l’exemple d’un mari violent ou infidèle en

préconisant d’agir comme si de rien n'était100 et on voit dans ces situations que la soumission et la loyauté sans faille sont signe de sagesse plus que de faiblesse.101 Alexandra Velissariou dans son article souligne que Christine de Pizan utilise des termes comme ‘dissimulation’ en

l’associant au fait de dialoguer avec son mari et faire preuve de sagesse en toute situation et met donc en lumière positive la manipulation de l'époux dans l'intérêt de garder la paix.102 Anne Marie de Gendt souligne aussi que dans le Livre du Chevalier de la Tour Landry, par rapport à la colère, la femme doit prendre sur elle.103 « Le courroux féminin, tout comme l’orgueil, est inadmissible dans les rapports homme-femme et peut être cause de désordre social; mais la colère masculine est infiniment moins gênante. »104 La colère ne peut pas être féminine car elle s'apparenterait à de la rébellion vis à vis de l'autorité tandis que la colère ou les débordements de l’homme peuvent toujours se justifier.

99 Pizan, chapitre iii 100 Pizan, chapitre XII 101 Velissariou, 2010 102 Velissariou, 2010 103 De Gendt, p.161 104 De Gendt, p. 173

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Il ressort de la lecture du Livre du Chevalier des responsabilités spirituelles propres aux femmes et aux hommes qui ne se recoupent pas. Aux hommes incombe le choix crucial

d’épouse. Dans la plupart des anecdotes que le Chevalier raconte on a affaire à un jeune homme qui doit choisir une épouse et qui s’entoure soit de ses parents ou bien de conseillers pour recueillir leur avis mais le choix lui revient. Sa responsabilité est de savoir déceler quelles qualités fera d’une femme une bonne épouse. Christine de Pizan va même plus loin en disant qu’une femme doit se transformer en homme pour assurer ses responsabilités quand il s’absente :

Christine's works convey unmistakably her idea of women as able to substitute for men when they are absent. Indeed, Christine describes herself as a substitute for her husband. in the Mutacion de la fortune, she narrates her own metamorphosis into a man so as to be able to take care of her family when she is left a young widow.105

Ce discours s’applique pour Christine surtout aux veuves mais on voit qu’il renforce les rôles qu’ont chacun et Christine elle-même se rend du caractère inhabituel de son exhortation puisqu’elle appelle à ce que les femmes à qui il incombe des responsabilités hors de leur genre fassent une transformation métaphorique en homme ; c’est à dire qu’il s’agit de changer de mentalité, de manière d’agir, et surtout de point de vue sur le monde. Christine s’inspire très largement de sa propre expérience de veuve attaquée de toutes par des critiques ou des procès pour nourrir son écriture. Ces expériences d’injustices nourrissent logiquement un besoin

d’adhérer à des conventions afin de se protéger et d’être irréprochable mais on ressent aussi dans ses écrits un besoin de croire ces expériences sans les minimiser. Elle admet une sorte

d’expérience de la féminité presque universelle avec par exemple des maux qui touchent toutes les veuves qu’elle que soit leur classe. Ainsi, ce manuel d’éducation peut aussi être lu comme recensant toutes ces expériences négatives et les efforts d’adaptation qui en a découlé. Christine exhorte les femmes à garder les yeux ouverts quant à leur condition mais aussi à être créative quant à l’expression de leur condition comme elle l’a fait en vivant de sa plume. Pour Janice Pinder qui étudie le genre du miroir la sauvegarde spirituelle de la femme dépend de sa prise en compte de moralités privées et publiques.106 Pinder explique que cela transparaît du genre du miroir en lui-même puisqu’il agit comme une encyclopédie, une compilation de tout ce qu’une femme est censée savoir à la fois pour sa vie intérieure que pour sa vie publique.107 La

105 Willard, 1966, p. 441

106 Pinder in Green & Mews, p.51 107 Pinder in Green & Mews, p.52

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cultivation d’une vie intérieure qui se doit d’être riche et pieuse pour sauver son âme est une idée dont Christine de Pizan est une fervente militante. Cette idée marque sûrement un tournant de la littérature du Moyen Âge puisqu'elle contredit l’idée que les femmes sont dénuées de raison. III/ L’enjeu de la parole : qui a le droit de parler et quand

La vision de la femme avancée dans ces deux oeuvres permet de donner des arguments pour régir du droit à la parole et par extension le droit à exister dans l’espace public. L’enjeu est déterminant pour maintenir les femmes dans une position d’infériorité surtout à la fin du Moyen Âge où l’idéologie se fait de plus en plus humaniste et portée vers des idéaux d’éducation poussée. Comme nous l’avons vu, les listes de devoirs permettent d’escompter une obéissance inconditionnelle. Le contexte littéraire avec l’avènement de l’Université marque un tournant où la littérature de Cour cède la place à la littérature docte. J’y vois une énième manière subtile de retrancher les femmes dans la sphère privée puisque la littérature courtoise était une expérience publique à laquelle les femmes participaient grandement :

In addition to direct literary expression, women promoted the ideas of courtly love by way of patronage and the diversions of their courts. They supported and/or participated in the recitation and singing of poems and romances, and they played out those mock suits, usually presided over by “queens”, that settled questions of love. This holds for lesser aristocratic women as well as the great.108

Dans cette dernière partie je vais analyser l’appel à l'humilité et à la pudicité qui est décrit comme une vocation féminine, puis je vais discuter de l'accès limité à l'éducation pour les

femmes et de la tradition misogyne des textes littéraires et enfin de la place de Christine de Pizan en tant qu’autrice dans cette lignée et ce qui a fait son succès. Je vais me concentrer surtout sur Christine de Pizan dans le sens où elle s’octroie un droit à écrire qui lui a été refusé comme nous le verrons tandis que Geoffroi de la Tour Landry en qualité de père est considéré comme tout à fait dans son bon droit de chercher à éduquer ses filles. Christine apparaît donc comme une exception dans cette tradition littéraire, contrairement à Geoffroi, puisqu’elle écrit à toutes ses consoeurs et non en qualité de mère inquiète de l’éducation de ses filles.

A L’appel à l’humilité

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