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La précarité comme fondement de la peine de travail

In document De kijk van magistraten op armoede (pagina 30-33)

La peine de travail a été introduite dans le Code pénal par la loi du 17 avril 2002 instaurant la peine de travail comme peine autonome en matière correctionnelle et de police. Lors des discussions parlementaires, elle a été envisagée par les parlementaires comme une alternative à la privation de liberté.

principale, en lieu et place de la peine d’amende. Certes, lorsque la loi sanctionne la commission d’une infraction d’une peine principale d’emprisonnement et d’une peine accessoire d’amende obligatoire, la peine de travail ne peut remplacer que la première peine dès lors que, conformément à l’article 7 du Code pénal, les cours et tribunaux ne peuvent les appliquer cumulativement. La peine de travail prononcée en lieu et place de la peine d’emprisonnement sera ou pourra être assortie d’une peine accessoire d’amende selon que cette dernière est obligatoire ou facultative. Par contre, lorsque la loi sanctionne une infraction d’une peine principale d’amende, le juge peut la remplacer par une peine de travail afin de ne pas accroître la gêne financière du condamné. Ce cas de figure se rencontre quotidiennement dans les affaires d’infractions au Code de la route. Les amendes comminées par les diverses législations applicables peuvent, bien souvent, atteindre des montants à ce point important que les contrevenants sollicitent en lieu et place de cette peine de nature patrimoniale leur condamnation à une peine de travail. Cette hypothèse démontre l’imagination des plaideurs et des magistrats pour veiller à ce que la décision de condamnation ne s’apparente pas à une forme de mort civile.

Conclusions

Le magistrat ne peut ignorer la dimension sociale de la cause qui lui est soumise, à peine d’ajouter, à son corps défendant, une dose supplémentaire d’injustice aux inégalités sociales préexistantes. Mais que les termes du débat soient toutefois clairement circonscrits. Il est des infractions pour lesquelles le facteur économique est sans pertinence, des infractions pour la répression desquelles la situation sociale et financière du prévenu ne doit pas être prise en considération. L’état de précarité ne fait sens, dans la plupart des cas, que lorsqu’il est à l’origine de la commission de l’infraction ou que s’il permet de resituer dans son contexte le parcours délinquant de son auteur.

Dans la mesure du possible, la justice pénale ne devrait jamais être utilisée comme réponse aux défis que posent la pauvreté et la marginalité. Seule une politique publique sociale interventionniste et bienveillante devrait être privilégiée. Privée de bon sens, d’humanité et d’équité, l’application de la loi pénale devient pure violence et, sans la mesure, la prudence, la miséricorde, elle peut être dangereuse.

Un Etat digne de ce nom doit dès lors prendre sa part de responsabilité dans la production des inégalités sociales et des facteurs générateurs de la délinquance dès lors qu’il abandonne une part de la société, parfois importante, à la dislocation du lien social, aux lois du marché et à la pauvreté.

Cette prise de conscience doit être le fait des représentants de l’Etat, ce qui signifie que la magistrature doit se rendre compte de ce que la précarité, la pauvreté et la marginalité sont des souffrances qui peuvent conduire à la commission d’infractions qui s’expliquent alors davantage par l’environnement socio-économique difficile dans lequel le prévenu évolue que par une réelle dangerosité. Certes, excuser le prévenu pour ce seul motif serait excessif. Mais si ce dernier devait être confronté seul face à son acte, la société s’exonèrerait à bon compte de la réalité quotidienne difficile vécue par nombre de nos concitoyens. Des pans entiers de la population sont ainsi laissés pour compte. « A une justice exemplaire, a écrit le magistrat et essayiste français Denis Salas, il faut opposer une justice lucide sur ses limites, des juges conscients de partager avec (le prévenu) la même humanité et un Etat capable de faire vivre une société solidaire ».

La haute magistrature belge n’est pas insensible à ces considérations. Ainsi, le procureur général Baron Ernest Krings soulignait-il qu’il n’y a pas que la connaissance du droit mais aussi celle de l’homme qui doit relever de la compétence du juge. Plus que toute autre profession, celle du magistrat concerne la personne humaine sous tous les points de vue. Celui-ci doit comprendre l’individu qu’il est appelé à juger, cet aspect des qualités requises du magistrate étant peut-être le plus important, le plus indispensable. La compréhension, l’empathie, le respect et l’écoute sont des qualités essentielles qui caractérisent tout bon magistrat. Le premier président Robert Legros exhortait ainsi, pour sa part, la Justice à « connaître la douceur du regard, la main tendue, le dialogue fraternel, la volonté constante de comprendre, la recherche du raisonnable ».

Le premier président Baron Alfred Wauters n’hésitait pas à exhorter ses collègues à l’humanisme. « Que le juriste n’étouffe jamais l’homme, (…) qu’il rende la justice plus aimable, plus accessible aux moins favorisés, plus compréhensibles. Loin d’en souffrir, son prestige véritable en sera accru ». Enfin, l’avocat général Damien Vandermeersch de conclure que les magistrats n’ont pas toujours à l’esprit la grande précarité qui frappe une part non négligeable de la population qui comparaît devant eux ainsi que les conséquences d’une telle situation. Et de conclure que si l’on entend éviter que les plus démunis soient encore avantage marginalisés vis-à-vis de la justice, il revient au juge de ne pas y ajouter une dose de sévérité par une interprétation (trop) restrictive de la règle aux dépens du justiciable.

Certes, il s’indique de préserver l’ordre public, mais sans verser dans une répression frénétique à moyen et long terme contre-productive. Au malheur et au désarroi de nombre de nos concitoyens, notre société semble tétanisée et n’avoir pour ultime réponse que l’intervention du judiciaire alors que la justice pénale ne remplacera jamais la justice sociale. Il est légitime de se demander, ainsi que l’a écrit le sociologue français Didier Fassin, si, en mettant le prévenu seul face à son acte, la société ne s’exonère pas elle-même à bon compte de sa responsabilité de la production et de la construction sociales des illégalismes, la production étant entendue comme la façon dont les contextes et les situations les favorisent et la construction comme la manière de les distinguer et de les réprimer.

Une justice aveugle ou insensible à la situation de précarité du justiciable constitue un ferment de dissolution sociale. A ne pas entendre le cri de détresse d’une frange de la population, les cours et tribunaux s’exposent à la critique d’une justice inhumaine ou de classe et notre société davantage encore à la montée des populismes.

Het belang van de toegang tot justitie voor dakloze

In document De kijk van magistraten op armoede (pagina 30-33)