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Pris(e) entre la tradition et la modernité

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Academic year: 2021

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Pris(e) entre la tradition et la

modernité

Le père et la fille dans L’enfant de sable, Un été

africain et La voyeuse interdite

Mémoire de maitrise de M.M.A. Kruijer Directrice de mémoire A.M. Guinoune

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Remerciements

Le mémoire de maîtrise représente une preuve des capacités académiques d’un étudiant, mais à vrai dire, aussi d’une épreuve, qui demande de la discipline et de la persévérance. C’est l’une des dernières étapes avant d’entrer dans la vie professionnelle avec son bagage universitaire.

Du mavo à l’université, le trajet que j’ai choisi n’a pas été évident. J’ai du surmonter bien des obstacles. Cela n’aurait jamais pu se faire sans le soutien de certaines personnes qui ont toujours su me motiver et m’aider. Je tiens à remercier :

Mes parents, Cees et Thécla Kruijer qui m’ont toujours accordée leur confiance en mes capacités.

Jaap van Os qui n’a jamais cessé de m’encourager et a toujours cherché avec moi les solutions aux grands comme aux petits problèmes.

Mon chum Joost Klugkist, avec qui j’ai partagé tant d’instants merveilleux. Alex et Berber Klugkist, pour leur appui, et mes amies, pour leur énergie et leur soutien.

Il va sans dire que je tiens aussi à remercier Anne-Marie Guinoune, ma directrice de mémoire, pour son temps, sa confiance et son enthousiasme qui m’ont particulièrement motivée ces derniers mois. Enfin, Jeannette den Toonder, pour son temps et ses suggestions.

Maaike Kruijer

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Introduction

La littérature maghrébine de langue française prend, dès ses commencements au début du vingtième siècle, une place contestée dans le champ littéraire du Maghreb. Ses auteurs choisissent la langue de l’ancien oppresseur pour avoir la liberté de s’exprimer. Ils mettent en scène des histoires violentes et presque militantes, et montrent entre autres un Maghreb en mouvement, un Maghreb qui se cherche entre la tradition et la modernité.

Du point de vue historique, la littérature a souvent reflété les tendances sociales et politiques de la société. On le voit aussi dans la littérature maghrébine, miroir de ce qui se passe au Maghreb, où l’épanouissement de la femme a longtemps été opprimé par une rigueur religieuse. Pourtant, de nombreux changements concernant la position des femmes se sont produits les dernières années.

Dans les sociétés maghrébines de type patriarcal la position de l’homme implique que toute émancipation de la femme dépend de lui. Son rôle de père, protecteur des valeurs et du respect de la famille, fait de l’homme un acteur essentiel pour l’épanouissement de la femme. Ces derniers temps, la femme et la position qu’elle prend dans l’islam et dans la société musulmane, est en pleine actualité. Ce qui jusqu’à nos jours ne fait pas partie du spectre scientifique concernant la culture maghrébine et sa littérature francophone, c’est une recherche qui permet d’analyser la relation entre père et fille, et leurs différentes perspectives par rapport à la modernité.

Dans ce mémoire, nous nous proposons d’analyser une relation homme-femme, celle d’un père et de sa fille dans trois romans maghrébins de langue française : L’enfant de sable1 (1985) de l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, Un été africain2 (1953) de l’écrivain algérien Mohammed Dib et La voyeuse interdite3 (1991), un roman beur de Nina Bouraoui, une écrivaine franco-algérienne. Dans les romans, la fille -la nouvelle génération- incarne la

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modernité au sein de la famille, ou au moins celle qui a des idées modernes par rapport à la tradition. Le père, dans son rôle de transmetteur de la tradition, se retrouve de ce fait dans une situation difficile : permet-il à sa fille de prendre une position plus libre dans la famille et dans la société, impliquant alors en quelque sorte une rupture avec la tradition ; ou doit-il réprimer les tendances de sa fille à vouloir se libérer et la maintenir dans le rôle traditionnel de la femme ?

Le roman L’enfant de sable de Tahar Ben Jelloun montre un père qui ne peut pas accepter de n’avoir eu que des filles. Il ressent la pression de la communauté qui le pousse à engendrer un fils, un héritier et il décide alors d’éduquer sa dernière-née comme un fils. Le roman donne une image précise d’un père qui se laisse guider par la tradition, et qui finit y aller trop loin. Nous assistons au conflit identitaire de cet enfant Ahmed/Zahra, qui ne se trouve –à cause du choix de son père- ni entièrement dans le monde des hommes, ni entièrement dans celui des femmes. Ainsi, le roman montre la tradition dans toute sa rigidité et comment – selon la communauté- on doit mener sa vie conformément aux règles de la religion.

Dans Un été africain, la jeune fille Zakya apporte des idées modernes dans la famille grâce à ses études au lycée français. Moukhtar Raï, son père, soutient sa fille pour qu’elle soit dans l’avant-garde des femmes qui prennent un rôle plus actif dans le domaine professionnel. Cela est cependant difficilement accepté par la famille, qui craint de perdre le respect de la communauté. Le roman décrit une jeune fille qui se trouve coincée entre les débuts de la modernité du lycée et le milieu traditionnel de la maison. Le conflit que vit le père entre ses idées modernes et ses responsabilités concernant la perpétuation de la tradition occupe une place importante dans le roman. Les premières tentatives de modernité au sein d’une famille à la veille de l’indépendance rendent le roman très intéressant pour notre analyse.

La voyeuse interdite de Nina Bouraoui entraine le lecteur à l’époque postcoloniale: «The reader is informed that the text takes place in the early 197’s and its content reflects certain aspects of a growing postrevolutionary

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fundamentalism. »4 Dans cet univers « fondamentaliste », la jeune fille Fikria est enfermée par son père dans sa chambre depuis son adolescence. Elle observe le monde de sa fenêtre et elle partage ses observations avec le lecteur. De sa petite chambre d’enfant, Fikria regarde avec distance la tradition arabo-musulmane et la critique. Son père, quant à lui, ne peut pas accepter l’absence d’un fils. La volonté et le besoin de Fikria d’être reconnue par son père, et l’attitude froide du père envers elle montrent très clairement les rapports entre père et fille dans cet univers. Cela indique en même temps comment la perception des mondes féminin et masculin est vécue par les deux protagonistes.

L’enfant de sable se déroule à la fin des années 40 au Maroc, juste avant la décolonisation. Le roman Un été africain se situe en Algérie, au début des années 50, quand la guerre de libération vient de commencer, La voyeuse interdite dans les années 70. Les trois romans pourront ainsi former un ensemble littéraire qui permet d’observer comment sont représentés à des époques différentes la position de la femme et le rôle du père dans la famille par des écrivains différents.

Le but de notre mémoire est double. Premièrement, nous allons donner un cadre général, c’est-à-dire historique et sociologique, de la société maghrébine. Cela nous permettra, dans un deuxième plan, d’analyser dans les trois romans choisis la relation entre père et fille, et leur attitude vis-à-vis de la tradition et la modernité, pour voir s’il est question d’une éventuelle évolution par rapport à la position de la fille à travers les années, à travers la littérature, et pour regarder si les tendances conservatrices de l’après-indépendance sont clairement visibles dans la littérature. Nous allons montrer que cela est bien le cas dans les trois romans, et que les romans reflètent l’esprit du temps. De plus, nous démontrerons les correspondances qui existent entre les pères de L’enfant de sable et La voyeuse interdite. Puis, nous montrerons les protagonistes féminins dans Un été africain et La

4 MCLLVANNAY, Siobhan. « Double Vision: The role of the visual and the visionary in Nina

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voyeuse interdite, qui éprouvent les mêmes sentiments concernant les points de vue sur la modernité et la position de la femme.

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I CADRE GÉNÉRAL

1. Autour de la colonisation française

Outre l’opposition aux ordres établis, la littérature maghrébine de langue française est aussi employée par l’oppression des colonisateurs français. Pour pouvoir placer les romans, leurs thèmes et leurs histoires dans un contexte, il est important d’observer les périodes pendant et directement après la colonisation.

Dans ce qui suit, nous allons regarder de plus près la colonisation française. Premièrement, nous considérons le statu quo des deux pays au moment de la colonisation. Puis, nous regarderons comment les Français ont agi pendant la colonisation de l’Algérie et du Maroc, avant de nous arrêter brièvement à la quête identitaire d’après les indépendances et à la façon dont elle a pris forme dans la politique des deux pays.

1.1 L’Algérie 5

Avant la colonisation, l'Algérie était un état souverain qui faisait partie de l’Empire Ottoman affaibli par des guerres. Les relations entre le pays et la France étaient « bonnes, excellentes même ».6 Une crise diplomatique dans

les années ’20 du XIXe siècle met fin à cette situation. Quoi qu’il en soit, le fait est qu’au mois de juin de l’an 1830, les troupes françaises embarquèrent pour Alger, la bataille contre les Turcs fut engagée. En quelques mois, l’Algérie fut colonisée et l’armée française prenait le pouvoir.

L’Algérie obtint une position spéciale : le statut d’une province française. Un système d’enseignement fut établi à partir de 1880, ayant pour but l’assimilation du peuple colonisé.7 Au travers de l’enseignement, la culture

5 Pour ce paragraphe, je me suis principalement basée sur deux ouvrages : celui de Jean

Déjeux (Maghreb littératures de langue française. Paris, Arcantère Éditions, 1993), et celui de Benjamin Stora (Histoire de l'Algérie coloniale (1830- 1954). Paris, Éditions La Découverte, 2004).

6 STORA, ibid., p. 12

7 Ahmed Moatissime: « Les écoles autochtones furent éliminées et l’arabe banni, non

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française fut injectée dans la société algérienne. Les colons français ne laissaient guère de place pour la culture arabe.

Pourtant, au début du XXe siècle, des intellectuels se sont levés pour revendiquer la reconnaissance de leurs racines algériennes.8 Après des décennies d’abandon de la culture algérienne, cette initiative ressuscitait la culture originelle du peuple colonisé, de manière encore un peu hésitante.

Dès le début du XXe siècle, la France était très consciente de la montée de ces « courants importuns » et on essaya de couper court à ce nationalisme, sans beaucoup de succès. Dans les années ’30 du XXe siècle, l’association des Oulémas fut fondée. Elle avait pour but la diffusion de l’islam et la lutte pour une Algérie indépendante. Pendant la décennie précédant la Deuxième Guerre mondiale, les Oulémas organisèrent des congrès et des soirées à thèmes. L’objectif était d’éveiller la prise de conscience et les sentiments de patriotisme du peuple algérien après cent ans de présence française.

La période 1940-1945 a montré une France battue, soumise, qui ne ressemblait en rien à la Métropole lumineuse d’avant guerre.9 Dans une telle situation, les nationalistes ont vu l’occasion de répandre leurs idées. Le nationalisme s’incruste dans la société algérienne.

Les événements s’accélèrent quand, le FLN10 naquit en novembre 1954. Son but fut la libération active -et si nécessaire militaire- de l’Algérie. Au cours des années, le FLN devient de plus en plus actif. Soutenu par le FLN, le peuple algérien est pris, à partir de 1953, dans une guerre sanglante qui durera plus d’une décennie, jusqu’à 1962. En 1960, les partis se mettent

étrangère. » MOATISSIME, Ahmed. «Islam, arabisation et francophonie. Une interface possible ‘Algérie – France – Islam’ ? » Dans JURT, Joseph (dir.). Algérie- France- Islam, Paris,

L’Harmattan, 1997, p. 61

8 « Des intellectuels de langue arabe écrivaient et lançaient des journaux : reviviscence de la

culture traditionnelle, renouvellement de la culture arabe et aspiration à la modernité. » MOATISSIME, ibid., p. 29

9 Rémi Kauffer: «[…] La Seconde Guerre mondiale vient redonner de la vigueur au courant

indépendantiste en démontrant avec éclat l’affaiblissement des positions françaises et l’émergence d’une nouvelle puissance, les Etats-Unis, d’autant plus enclins à prôner l’émancipation qu’ils ne possèdent pas de colonies stricto sensu. » KAUFFER, Rémi. « Le Maroc et la Tunisie accèdent à l’indépendance ». Historia, avril 2006, p.38

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pour la première fois autour de la table, afin de mettre fin à la situation atroce.

Au mois de mai 1960, après des années de violence, commencèrent les négociations à Evian entre le gouvernement français et le GPRA (le bras politique du FLN). Elles se déroulaient difficilement. Ce ne fut que deux années plus tard, le 18 mars 1962 que les accords d’Evian furent signés, impliquant le cessez-le-feu entre les deux parties et l’indépendance immédiate de l’Algérie.

1.2 Le Maroc 11

Dernier pays de l’Afrique du Nord conquis par les Français, le Maroc fut colonisé par les Français en 1912.

Au début du XXe siècle, le Maroc était le dernier pays encore libre en Afrique du Nord. Or, cette indépendance fut très restreinte, suite aux divers ‘contrats d’affaires’ avec des pays européens comme l’Espagne et le Portugal. Pendant les décennies précédant la colonisation, il fut question d’une crise économique suite aux attaques répétitives de différentes forces européennes. Les Français ont alors profité de l’anarchie sur le plan politique et social. La situation du pays était alors telle qu’elle « paraissait mûr[e] pour la colonisation. »12

Le Maroc passe alors sous protectorat en 1912, un statut différent de l’Algérie.13 L’administration nationale était partiellement restée intacte et les Français ne considéraient pas le pays comme partie de la République Française.

Un système d’enseignement français fut installé aussitôt après la colonisation. Les valeurs occidentales sont entrées dans la vie quotidienne des Marocains. Les Marocains comprenaient vite l’importance de connaître la

11 Pour ce qui suit, je me suis davantage basée sur l’ouvrage de Jean Déjeux (idem.). 12 DAOUD, Zakya. Féminisme et politique au Maghreb, soixante ans de lutte. Paris,

Maisonneuve et Larose, 1993, p. 237

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culture de leurs colonisateurs, et qu’il fallait en quelque sorte s’allier avec eux pour augmenter le niveau de vie du pays :

[…] Les Marocains comprirent que la connaissance et la pratique du français étaient de plus en plus nécessaires pour un jour parvenir à dominer et à reprendre possession directement de leur propre destinée. Les inscriptions dans les écoles modernes se sont multipliées après 1940-1945.14

Outre le fait que les marocains pouvaient garder leur propre identité, la langue et la culture françaises prenaient aussi une place dans la vie quotidienne. Cependant, pendant les années ’20 et ’30 du XXe siècle, des courants nationalistes commencent à se lever, demandant l’autonomie marocaine.

La Seconde Guerre mondiale et la crise économique en Europe qui la précéda, furent des événements fortement importants pour les courants nationalistes marocains. Au Maroc fut donnée, par une France préoccupée de ses problèmes métropolitains, la possibilité de construire une vie sociale propre avec des associations et des coopérations strictement marocaines sans intervention française. Affaiblie par la Seconde Guerre mondiale, la France perd sa vigueur comme grande métropole toute puissante, ce qui laisse aux colonies la possibilité de reprendre leur identité et leur fierté nationale

La situation de Protectorat différente du statut de l’Algérie explique que la reconquête de l’autonomie marocaine ne fut pas très violente. C’est ainsi que, le 2 mars 1956, une déclaration de libération signée par les autorités marocaines et françaises, met fin à quatre décennies d’oppression française. 1.3 L’Algérie et le Maroc après l’indépendance

Après cent trente ans de colonisation par les Français qui ont pris soin d’inculquer leur culture dans la vie publique et sociale du peuple colonisé, les Algériens ont du mal à se définir. Cette « dépersonnalisation » leur pose des grands problèmes.

14 DÉJEUX, Jean. Maghreb littératures de langue française. Paris, Arcantère Éditions, 1993,

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Pour compenser l’influence des anciens colonisateurs, les pays maghrébins -l’Algérie avec la plus grande rigueur- commencent le projet de l’arabisation qui « porte en elle le symbole de la décolonisation culturelle eu égard à la francophonisation.»15 L’arabisation en tant que symbole de l’autonomie fut un élément très important et essentiel de la politique postcoloniale.16 Elle prend place dans l’enseignement. 17 Cela se passe horizontalement, en installant l’arabe comme seule langue officielle et permise ; et verticalement, en arabisant toutes les méthodes d’enseignement et les manuels, de l’école maternelle jusqu'à l'université.

Cette arabisation va de pair avec une islamisation dans les deux pays. A la base de ce phénomène est la quête d’une identité nationale et individuelle d’un peuple déséquilibré par la décolonisation. Depuis des siècles, l’islam a été la religion dominante au Maghreb, mais le nombre de maghrébins après la décolonisation, qui se tournent vers une conception plus traditionnelle de leur foi est important. Arkoun donne une explication :

[..] L’islam remplit désormais trois fonctions essentielles : il est un refuge, un repaire, un tremplin. Refuge ou recours contre toutes les formes de marginalisation, de perte d’identités, d’insécurité, de rupture des scolarités et des codes ; repaire (rôle des mosquées) des militants contre les régimes en place, tenus pour responsables des évolutions négatives intervenues depuis les indépendances ; tremplin enfin pour donner une légitimité au combat d’opposition et au niveau régime islamique […].18

L’arabisation et l’islamisation étant alors les suites immédiates de la décolonisation, cela a eu des conséquences immenses pour la politique menée dès l’autonomie. Sur le plan socio-politique, il fut question d’un recul dans le domaine de l’émancipation de la femme. Dans les décennies après les années ’50 pour le Maroc et les années ’60 pour l’Algérie, on remarque une consolidation des fondements de la Charía19 dans le droit général, ainsi qu’un resserrement des droits et de la position de la femme au travers d’un

15 MOATISSIME, ibid., p.60

16 Comme le dit Arkoun : « La langue arabe et l’islam ont été et demeurent les deux piliers du

discours anticolonial, puis de la politique de construction nationale après les indépendances. » ARKOUN, ibid., p. 85

17 Le système d’enseignement français a été gardé intact après la décolonisation pour des

raisons d’efficacité et d’économie.

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retour au moudawana20, assez rigide et sévère. Dans le paragraphe suivant nous allons étudier la place que prend la religion dans la vie des croyants et les rôles traditionnels qu’elle accorde aux hommes et aux femmes.

19 Le droit islamique.

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2. La culture maghrébine

L’islam détermine dans une large mesure la culture maghrébine et les relations entre les Maghrébins. L’influence de la religion se retrouve dans les tout petits détails de la vie quotidienne. Dans les romans analysés, l’islam, la communauté et les relations entre les parents jouent un rôle clé. En particulier la charia et la moudawana –le code de la famille- jouent un rôle très important dans les romans : leur influence y est souvent très concrètement présente, ou bien elle se trouve dans l’arrière-plan. Voilà pourquoi nous allons nous concentrer sur la religion en Algérie et au Maroc, en présentant ses principes et la façon dont la foi est pratiquée au Maghreb. Après, nous analyserons la position traditionnelle de la femme, en partant de celle de la petite fille jusqu'à celle de la mère. Puis, nous donnerons une description du parcours que suit l’homme dans la société maghrébine : du petit garçon au rôle de mari et de chef de la famille.

2.1 L’islam et ses principes

Nous nous arrêterons d’abord aux principes de l’islam, avant d’observer la façon dont la foi des musulmans est imbriquée dans la vie quotidienne. Puis nous nous concentrerons sur la umma, la communauté des croyants, cercle social fondamental pour les Maghrébins.

2.1.1 Les principes de l’islam

Pour les Musulmans, Mohammed est le dernier messager de Dieu. Allah lui a transmis la vraie façon de vivre au nom de Dieu et la manière de professer la foi, après que son message à Jésus Christ ait été perdu. La naissance de l’islam est fixée à l’an 622. C'est l'année où Mohammed entreprit, sur ordre de Dieu, son voyage vers Medina. Seyed Hossein Nasr explique les points de départ de la religion musulmane :

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love God only if God loves them, and God loves only the person who loves the Prophet.21

Dans l’islam, les croyants ne se fixent pour ainsi dire pas au messager de Dieu, comme le font les Chrétiens, mais plutôt au message même : l’amour de Dieu. Au fil du temps, le prophète Mohammed a néanmoins pris une place capitale dans la croyance des musulmans. Il est mis sur un piédestal et la façon de vivre de Mohammed est prise comme exemple pour la pratique des croyants.

La foi musulmane repose sur le Coran. Ce livre saint est divisé en 114 chapitres ou sourates ; ceux-ci font à leur tour une distinction entre les sourates de Médine et celles conçues à la Mecque. Les sourates sont récitées, chacune d’une façon spécifique. Outre le Coran, deux autres livres forment la base de la foi musulmane : les Hadiths et la Sunnah. Le premier est l’ouvrage qui contient les paroles rapportées de Mohammed : des prescriptions et des commandements. La Sunnah est le livre dans lequel est décrit «le chemin du Prophète » et les directions pour mener sa vie à l’image de Mohammed. Après la mort de Mohammed en 632, l’islam connaît plusieurs courants différents, mais la base de la foi reste la même : il faut croire en Dieu22 ; Allah est le tout-puissant qui nous a donné la vie; il a le pouvoir et nous lui devons le plus grand respect et l’amour.

Allah est le Créateur de toute vie sur terre. Voilà pourquoi le corps et la vie de l’homme sont très importants : ce don de Dieu mérite qu’on en prenne soin. De plus, Dieu a créé l’homme à son image. Il est le serviteur de Dieu sur terre et le responsable de toute la vie ici-bas. Les musulmans croient que les morts se rendent devant Dieu, pour se justifier des actes commis pendant la vie terrestre, avant d’entrer au Paradis.

21 NASR, Seyyed Hossein. Islam, Religion, History and Civilization. HarperCollins Publishers,

New York, 2003, p. 47

22 Nasr dit: «Allah is the Absolute, the One, totally transcendent and beyond every limitation

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2.1.2 Une façon de vivre

La vie des maghrébins consiste en tout un ordre de cérémonies religieuses. Dans l’islam, les rituels prennent une place centrale. On ne peut pas mener sa vie en bon musulman sans suivre les rites:

L’existence du maghrébin de sa naissance à sa mort, est semée de cérémonies et de rituels transmis par la tradition qu’il doit respecter. Certaines de ces cérémonies marquent une transition sociale, voire physiologique, qui provoque véritablement le passage d’un état à l’autre et de ce fait revêt une importance cardinale dans la vie de l’individu.23

La Charia prescrit la vie des croyants jusque dans les petits détails. De droit divin, elle a deux principes : ibidat (la dévotion) et mu’amalat (les actions).24

L’islam connaît cinq piliers : la prière, le jeûne pendant le mois du Ramadan, le pèlerinage, la profession de foi et l'aumône. Le jeûne pendant le Ramadan perpétue la venue du livre saint grâce au Prophète Mohammed.25

Les prescriptions alimentaires font partie des rituels religieux. De même que les Juifs, les Musulmans attachent une valeur religieuse à la consommation de certaines sortes de viande, et à la façon dont est préparée cette viande. 26 La vie religieuse est alors étroitement mêlée à la vie quotidienne.

Une cérémonie très importante dans la vie des maghrébins est la circoncision. Curieusement, cet événement n’est prescrit nulle part dans l’islam. Son importance tient à la umma. La circoncision «est un signe d’alliance et d’appartenance […]. Ce signe d’alliance une fois acquise on le

23 BENDAHMAN, Hossain. Personnalité maghrébine et fonction paternelle au Maghreb, Œdipe

maghrébin. Paris, La Pensée Universelle, 1984, pp. 180- 181

24 La Charia contient cinq catégories de jugement sur les événements : événements et actions

qui sont obligatoires (wajib), ceux qui sont recommandés (mandub), les choses sur lesquelles la Charia est indifférente (mubah) et les interdictions (haram).

25 Lisons ce que dit Nasr: «The month of Ramadān is when the Quran first descended on the

soul of the Prophet, during the night called the “Night of Power” (laylat al-qadr). It is therefore a very blessing month during which much is given to prayer and the recitation of the Quran. » NASR, ibid., p.94

26 Nasr: «Muslims are forbidden (harām), to drink alcoholic beverages, eat pork and all its

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garde toujours imprimé dans sa chair.» 27 La circoncision est la preuve du lien avec la communauté des croyants et elle symbolise la transition de l’état de petit garçon vers l’état adulte.

2.1.3 La umma

L’islam part du principe que tous les Musulmans sont liés par un réseau de frères et de sœurs croyants : la umma. Cette communauté des croyants joue un rôle très important. Comme le dit Nasr :

Muslims live between two powerful social realities: the ummah, or the whole of the Islamic community, whose total reality they cannot grasp but with they ideally identify, and the family, which for individual Muslims constitutes the most real part of their world.28

C’est par la umma que les membres du groupe se définissent. Ils ont ainsi une place dans ce réseau des croyants : c’est leur cadre de référence et leur cercle social en même temps.

Cependant, une menace pèse sur cette situation respectée : la perte d’honneur. Si l’honneur est endommagé, on risque de perdre le respect et l’estime de la communauté, situation difficilement réhabilitable. Dans la société maghrébine, l’honneur de la famille est surtout porté par les femmes et les jeunes filles, qui doivent pour cela être soigneusement surveillées.

La famille peut être vue comme un microcosme de la umma. C’est dans cet entourage que l’enfant apprend les règles de la communauté et les traditions religieuses.

2.2 La position traditionnelle de la femme

La situation de la femme maghrébine est largement déterminée au travers de la religion. Dans la culture maghrébine, la femme connaît trois états : celui de la jeune fille vierge, celui de l’épouse et celui de la mère. Dans ce paragraphe, nous allons les traiter dans cet ordre, en étudier les spécificités définies par le Coran et contrôlées par la umma et la famille.

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2.2.1 La jeune fille

La naissance d’une petite fille est en général un événement décevant. Dès la naissance, toute la famille a la lourde tâche de garder la femme pure et de la surveiller. Ce sont surtout les femmes qui représentent l’honneur de la famille, car une femme doit rester vierge jusqu’au mariage. Yamina Fekkar décrit l’annonce de la naissance d’une petite fille ainsi :

Annoncer la naissance d’un garçon s’accompagne de youyous (cris de joie), celle d’une fille est marquée, en général, d’un silence résigné où la déception et la soumission à Dieu sont indissociables dans l’expression.29

Dès le début, les différences de traitement entre sœur et frère se font sentir. Contrairement à la fille, le garçon va plus tard être traité avec une patience infinie. Quant à la petite fille, elle va bientôt être préparée par la mère à sa future vie de femme soumise, femme au foyer et mère de famille :

Dès la cinquième ou sixième année, le corps de la fille est soumis à la discipline : les jeux bruyants et rieurs sont interrompus et remplacés par de sages occupations, base d’un savoir fondamental.30

Très vite, on commence donc à mettre la jeune fille dans son rôle traditionnel de femme. Guinoune explique pourquoi : « […] Si, comme le stipule le Coran, il faut apprendre à dire non aux femmes, il est clair qu’elles doivent apprendre tôt à connaître leur place et à y rester. »31 Les tâches de la femme sont inculquées dès le plus jeune âge à la petite fille.

Aucun des événements dans la vie de la petite fille ne va de pair avec des célébrations, comme la circoncision et les anniversaires de son frère le sont. Pour la femme, « la seule célébration en son honneur sera plus tard celle de son mariage.»32 Jusqu’à ce moment-là, la surveillance de la virginité sera parmi les occupations les plus importantes et elle regarde toute la

29 FEKKAR, Yamina. « La femme, son corps et l’islam ». Annuaire de l’Afrique du Nord, vol.

XVII, 1979- 1980, p. 137

30 Ibid., p.138

31 GUINOUNE, Anne-Marie. De l’impuissance de l’enfance à la revanche par l’écriture – Le

parcours de Driss Chraïbi et sa représentation du couple. Groningen, Thèse de doctorat, Rijksuniversiteit Groningen, 2003, p. 130

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famille : les parents aussi bien que les frères. Fekkar parle même d’une « fixation quasi fétichiste représentant l’honneur familial. »33

Qu’est-ce qui se trouve alors à la base de cette « fixation » ? Mis à part l’honneur de la famille, l’hymen symbolise aussi la position et les valeurs attachées aux femmes. Lisons Guinoune :

L’hymen de la fille demeure la preuve de sa pureté et le signe d’attestation de sa soumission aux hommes. La famille devra donc surveiller la jeune fille étroitement et lui trouver un bon parti, le plus tôt possible, pour lui éviter le risque de perdre sa virginité, perte qui rend le mariage impossible.34

Dès son plus jeune âge, la jeune fille est avertie du danger et des suites catastrophiques de la perte de la virginité. De ce fait les hommes et les femmes vivent dans des mondes séparés –également dans le milieu familial. Cette séparation fait en sorte que la jeune fille a une image de l’homme qui est plutôt basée sur des idées qui ne correspondent pas tout à fait à la réalité. Par conséquent, les femmes éprouvent une angoisse face aux hommes et à la sexualité. Mais, cette angoisse existe également du côté des garçons. La pression de la communauté les pousse dans une alliance avec un sexe tout à fait inconnu.

Dans la société magrébine, l’idée est toujours très répandue que « la virginité de la femme est un droit pour le mari.»35 L’absence de virginité peut rendre le mariage invalide et est une raison pour répudier la jeune mariée, qui revient alors sous la responsabilité de ses parents.

Dans le monde des jeunes filles, les hommes n’ont aucune place. Comme l’observe très justement Lacoste-Dujardin :

Dans un […] climat de défiance, [la jeune fille] est plus enfermée que jamais. Elle évite les hommes qui l’évitent eux-mêmes. Son père, par convenance, bride l’expression de son affectivité et évite de lui manifester sa tendresse. De plus en plus isolée parmi les femmes, le monde extérieur lui demeure de plus en plus étranger, ignoré et redouté.36

33 Ibid. p. 138 34 Ibid., p.130

35 LACOSTE-DUJARDIN, Camille. Des mères contre les femmes, maternité et patriarcat au

Maghreb. Editions La Découverte, 1985, rééd. 1996, p.89

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Les deux sexes vivent dans deux mondes séparés, ce qui rend la transition du mariage très abrupte. Mais même mariée, comme nous allons voir ci-dessous, le monde de la femme se trouve éloigné du monde masculin. 2.2.2 La femme mariée

Les parents essaient généralement de marier la jeune fille tôt et le plus souvent, ce sont eux qui cherchent un bon candidat. Au Maghreb, l’endogamie est permise dans certaines circonstances : la jeune fille peut se marier avec son cousin de la première ligne. Ce parti a même la préférence, donnant ainsi la possibilité de préserver l’argent -à savoir la dot- dans la famille. En règle générale, la jeune fille n’a pas le dernier mot sur le choix du mari :

La femme ne peut se marier de son propre chef ; elle a besoin d’un tuteur matrimonial (wali) sans quoi le mariage ne remplit pas les conditions nécessaires à sa validité.37

Le wali peut même être le frère cadet. Après le mariage, la jeune mariée déménage chez la famille de son mari « où elle servira de domestique à tous et surtout à sa belle-mère.»38 Etant la dernière femme venue dans la famille, elle se trouvera tout en bas de la hiérarchie familiale. La supériorité de l’homme est écrite dans le Coran, elle est mise en pratique dans la société maghrébine. Au sein du couple, il est question d’une relation inégale, où l’homme jouit de la supériorité que lui confère son sexe.39

2.2.3 La mère

Dans l’islam, une « survalorisation chez la femme [de] sa fonction de génitrice »40, explique que la stérilité est une grande peur pour les parents,

37 BENDAHMAN, ibid., p.139 38 GUINOUNE, ibid., p.130

39 Fekkar décrit la supériorité de l’homme ainsi: « Ainsi ontologiquement, […], le sexe

masculin a la primauté sur le sexe féminin. Cette prééminence est perceptible en permanence à tous les niveaux de la vie : à la maison les hommes sont servis les premiers, la femme exemplaire cède le passage (même à son fils), n’élève pas sa voix devant les hommes de la famille, a fortiori devant les étrangers, l’épouse demande l’autorisation pour se rendre au bain maure ou en visite chez ses parents. » FEKKAR, ibid., p.137

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celle-ci étant une raison pour rompre le mariage, et pour renvoyer la femme dans sa famille.

Pour la femme, assurer la procréation est fondamental, car avoir des enfants signifie établir sa place dans sa famille et gagner le respect: «être femme arabe signifie être mère.»41 L’on comprend alors que devenir mère est un événement beaucoup plus important que le mariage.42

La maternité est capitale pour la femme maghrébine, et c’est certainement quelque chose qui doit commencer le plus vite possible. Donnant la vie à la nouvelle génération, la femme enceinte est libérée des lourdes tâches ménagères. Elle est souvent satisfaite dans ses désirs et personne n’ose la fâcher ou l’énerver, de peur que cela ne menace le bien-être du fœtus.

Après la naissance du bébé, la mère se consacre entièrement à l’enfant. On espère en règle générale la naissance d’un fils. La mère d’un fils jouit de plus d’estime dans la communauté : un fils sera l’héritier et il sera la preuve de la fécondité des parents.

Etant sa garantie à une vie familiale remplie de respect, c’est cet enfant qui prend la première place dans la vie de la mère.43 Pendant les premières années de la vie de l’enfant, la relation entre mère et enfant -surtout entre mère et fils- est très étroite. Ce lien intime se dévoile aussi dans l’allaitement, qui prend une place importante dans la maternité au Maghreb. L’allaitement fait partie de la vie religieuse. Le Coran a décrété que : «les mères allaiteront leurs enfants deux ans complets si le père veut que le temps soit complet » (II, 233). On ne laisse pas non plus pleurer le bébé : « Les désirs [du bébé] sont toujours satisfaits dès qu’ils se manifestent. »44

Bien qu’il semble que la femme ait une place inférieure sur l’échelle sociale, elle a sûrement un rôle notable dans cet ensemble familial. Comme

41 Ibid., p.85

42 Regardons également ce qui dit Lacoste-Dujardin : « Ces femmes épousées ne peuvent être

stabilisées que grâce aux enfants qu’elles mettent au monde. C’est la fonction essentielle qu’elles doivent remplir au service du patrilignage : procréer des enfants qu’elles auront à élever pour assurer sa reproduction». Ibid., p.118

43 Bendahman dit : « La mère entoure cet enfant, tant attendu et espéré, de toutes ses

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le dit Bendahman : « c’est sur la femme que repose le destin de la maison dans le monde traditionnel»45. Sans les mères, la prochaine génération ne serait pas garantie, et la tradition ne persisterait pas.

2.2.4 La religion et l’identité de la femme

L’opinion de l’islam par rapport à la femme part du point de vue qu’elle est impure une semaine par mois. Dans son article « Signification du voile au Maroc- tradition, protestation ou libération» 46, Leila Hessini est très claire sur l’influence de cette attitude sur les femmes musulmanes : « Comment les femmes peuvent-elles avoir une opinion positive d’elles-mêmes alors que le fonctionnement cyclique de leur corps est considéré comme une forme de dépravation?» 47 La menstruation est une des raisons qui pousse les musulmans à croire que l’homme a un corps plus religieux que la femme.

Sa position d’infériorité lui est inculquée. L’obéissance de la femme à l’homme et son rôle de génitrice sont évidents pour la communauté des croyants, y compris pour les femmes.

Dans la vie quotidienne, la femme doit adopter une contenance modeste. Dans toutes les cultures, l’apparence de la femme joue un rôle très important dans la détermination de son identité par rapport à elle-même et à son entourage. Dans la culture maghrébine, il est difficilement accepté qu’une femme se fasse belle pour le monde extérieur, à savoir pour sortir de la maison. A l’intérieur du foyer, on approuve le soin pour le corps, mais seulement entre les quatre murs de la maison. A l’extérieur, le port du voile est encouragé. L’attitude de servitude de la femme envers l’homme détermine une partie son identité.

2.3 La position traditionnelle de l’homme

A première vue, la société maghrébine semble appartenir au monde masculin, et offre tous les égards à l’homme. Mais est-ce vrai ? Dans ce

44 LACOSTE-DUJARDIN, ibid., p.110 45 Ibid., p.240

46 HESSINI, Leila. « Signification du voile au Maroc – tradition, protestation ou libération ».

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paragraphe, nous allons suivre le parcours de l’homme maghrébin, du petit garçon à l’homme marié et chef de la famille. Enfin, nous présentons brièvement la théorie d’Elizabeth Badinter sur l’identité des hommes, pour étayer notre analyse.

2.3.1. Le petit garçon

Dans une société patriarcale telle que la société maghrébine, il va sans dire qu’il est très important de donner naissance à un garçon. La femme qui ne porte que des filles dans la famille, risque d’être mise à la porte. Un fils lui garantit une place dans sa nouvelle famille, ce qui explique que la relation entre mère et fils est symbiotique : personne ne vient entre les deux. Cela est tout à fait différent de la relation qu’a la mère avec ses filles :

Lien très fort entre mère et fils et beaucoup plus durable, plus étroit qu’entre mère et fille non désirée, plus tôt sevrée et plus facilement confiée à d’autres femmes ou fillettes.48

A cette naissance fêtée s’ajoute un autre événement extrêmement important dans la vie du garçon: c’est la circoncision. Cette cérémonie, célébrée par toute la famille, annonce le passage du petit garçon au monde adulte. Désormais, le fils sera « davantage responsable de ses propres actions et de ses propres pensées.»49 Le petit garçon jouit alors à un jeune âge d’une certaine indépendance et des libertés que ses sœurs n’ont pas. Très tôt, il est confronté à la situation d'inégalité entre femme et homme, qui place l’homme au dessus de la femme. Cela le prépare pour son rôle de chef de la famille, après le mariage.

2.3.2 Le mari

L’éducation du petit garçon ne le prépare pas à des relations égalitaires avec les femmes dans sa vie. Il lui est donc difficile de se comporter avec une épouse de manière égale, pour la simple raison qu’il ne connaît pas les femmes, en dehors de sa mère et de ses sœurs.

47 HESSINI, ibid., p.100

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En général, le mariage est un événement qui regarde toute la famille. Le mariage n’a pour le jeune homme cependant moins d’importance que pour les jeunes filles de son âge :

Pour l’homme, qui a déjà tout, au moins dans le milieu traditionnel, le mariage ne prend qu’une importance relative. Aussi la stabilité de la femme au sein de son foyer dépend donc de ce qu’elle apporte à la famille de son mari : fécondité dans le cadre traditionnel […].50

Bien que le Coran insiste sur le fait que l’homme doit se marier, pour lui le mariage ne signifie pas un aussi grand changement dans la vie que dans celle de son épouse.

Un homme est quelqu’un qui sait comment avoir de l’autorité sur la femme et comment la soumettre. L’autorité et la volonté de contrôler la femme proviennent d’une peur pour les femmes et pour tout ce qu’elles représentent : l’honneur, la fécondité et la marque de sa virilité.51

Pour garantir l’autorité de l’homme dans le mariage, il est fréquent que l’épouse soit plus jeune et d’un milieu inférieur que celui du jeune homme. Cela évite le risque que la femme se sente supérieure à son mari. Une épouse qui comprend son rôle, doit être au service «domestique, sexuel et surtout procréateur»52 de son mari. Un mari qui comprend son rôle, doit savoir comment faire preuve d’autorité dans le couple.

2.3.3. Le père

Le véritable revirement dans la vie du jeune homme, c’est le moment où il devient père –d’un fils notamment. Dans la famille magrébine, le père jouit du plus grand respect:

[...] La famille traditionnelle est fondée sur la subordination complète de tous les membres au chef. Le père est une autorité divine entre les mains d’un être humain. L’obéissance qui lui est due trouve aussi sa source dans la soumission à Dieu. Imprégnée par la tradition, la

50 BENDAHMAN, ibid., p. 240

51 Comme le dit Bendahman : « […] La fille fait peur à l’homme […] et l’angoisse. Cette

angoisse liée à la perte d’honneur dont la fille porte la menace est liée à la virginité de la fille […]. En définitive, elle est la révélatrice de la virilité de l’homme. » Ibid., p.240

52 LACOSTE-DUJARDIN, Camille – Des mères contre les femmes, maternité et patriarcat au

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famille met le père sur un piédestal : il est tout, sa personnalité domine. Il faut lui obéir sans discussion […]. 53

La maison est l’univers des femmes et l’homme est la tête indiscutable de la famille. Cependant, le père n’est pas très concerné par l'éducation des enfants. C’est l’affaire des femmes. Il n’y participe pas, mais il n’en demeure pas moins le chef de la famille. Le père se sent presque étranger en ce qui concerne les affaires entre les quatre murs du ménage. Dans la maison, le père «a son coin réservé qu’il quitte rarement.»54

Bien que le père ne soit pas très actif dans l’éducation de ses enfants, son rôle de gardien de l’honneur vis-à-vis de la umma est capital. Le père est le responsable de tous les comportements des membres de la famille par rapport au monde extérieur. Ce rôle l’oblige à diriger la famille d’une main forte : une fois l’honneur perdu, il est extrêmement difficile de le reconquérir. Outre le rôle de gardien du respect et de l’honneur de la famille, le père au Maghreb est responsable pour la perpétuation des traditions et de la religion. Comme le décrit Bendahman :

[Le père] a conscience d’être un maillon solide entre sa progéniture, ses descendants et ses ascendants dont il doit respecter la mémoire et transmettre la loi et l’enseignement dans un monde où les choses sont bien reparties et établies au niveau des rôles et des fonctions.55

Le rôle du père peut donc sembler restrictif à la maison, mais envers la communauté et envers Dieu c’est lui qui porte la responsabilité de la famille. 2.3.4. L’identité masculine

La société patriarcale maghrébine accorde un rôle important aux hommes. Leur identité est considérablement définie par la religion et par la umma. L’influence de l’éducation est capitale :

Le regard et la conviction des parents sur le sexe de leur enfant sont absolument déterminants pour le développement de l’identité sexuelle [du garçon]. C’est même le facteur le plus important […].56

53 BENDAHMAN, ibid., p.219 54 Ibid., p.217

55 Ibid., pp.222-223

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Dès son plus jeune âge, le bébé est stéréotypé du fait de son sexe par ses parents. Les recherches sur l’identification sexuelle des enfants par leurs parents démontrent que c’est surtout le père qui stéréotype le sexe de son enfant. La survalorisation du petit garçon aux yeux du père va renforcer chez l’enfant la supériorité de son sexe.

Si chez la petite fille, l’identité sexuelle se forme quasiment naturellement par identification à la mère, le petit garçon forme son identité « en s’opposant à sa mère, à sa féminité, à sa condition de bébé passif. »57 L’identité masculine ne se forme pour ainsi dire pas spontanément.58 Le père, et la communauté masculine en général, jouent un rôle important : le garçon copie leur comportement, afin de devenir « un vrai homme ». On ne devient pas automatiquement membre du groupe masculin: son entrée est accompagnée des rites d’initiation. Au Maghreb, ce rite s’effectue à travers la circoncision. Le fait que cette identité sexuelle est quelque chose qu’il faut acquérir la rend très importante pour l’homme : « En général, la masculinité est plus importante pour les hommes que la féminité pour les femmes. »59 Dans la société maghrébine, où il est question d’une distinction rigide entre l’univers masculin et féminin, l’identité sexuelle est encore plus importante pour l’homme. Elle détermine dans une large mesure la nature des relations que l’homme entretient avec ses proches et la position qu’il prend dans la famille ; et elle donne des privilèges que les femmes n’ont pas.

Avec la modernité, les relations entre homme et femme ainsi que celles entre le père et ses enfants ont beaucoup changé. Le rôle traditionnel de l’homme est mis en question : « La société industrielle, en éloignant le père du fils, a entamé le pouvoir patriarcal. C’est la fin du patriarche tout-puissant qui fait la loi à sa femme et à ses enfants. »60 Au Maghreb, la présence française avait déjà apporté des influences occidentales –plus modernes- au sein de la société maghrébine. La colonisation fut en quelque sorte aussi une confrontation de deux cultures distinctes, avec des racines tout à fait

57 Ibid., p.57

58 Selon Badinter « il ne suffit pas d’être XY et d’avoir un pénis fonctionnel pour se sentir un

homme. […]. » Ibid., p.71

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différentes. Dans la culture occidentale des Français, il était déjà question d’un glissement timide des rôles traditionnels, qui accordait une position sociale plus libre aux femmes, et une place plus restreinte des hommes sur le plan de la famille. Sous l’influence des colonisateurs, l’on voyait cette tendance aussi dans les adaptations des codes de la famille à la fin des années 50.

Dans notre analyse littéraire, nous allons voir comment le père va se définir avec les changements apportés par la modernité, dans la relation à ses enfants et notamment à sa fille.

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Cadre théorique 3. La Moudawana : le code de la famille

3. La Moudawana: le code de la famille

Dans les romans que nous allons analyser, la position de la femme et son émancipation jouent un rôle considérable. Il est alors important de voir comment cette position –largement définie par la moudawana- a évolué à travers le temps. La moudawana, le code de la famille, fait partie de la Charia. Elle prescrit la position de la femme par rapport à la foi et son rôle dans la famille musulmane en général. Au fil des années, la moudawana a été ajustée à la société et à la politique. Nous allons observer le développement de la moudawana en Algérie, avant d’aborder celle-ci au Maroc.

3.1 L’Algérie 61

À la fin de l’époque coloniale, la position de la femme s’améliora tant en Algérie qu’au Maroc. Sous l’influence de la métropole, l’Algérie permet à la femme d’occuper une place plus active et plus libre dans la société. Le résultat fut une adaptation de la loi familiale en 1958, qui attribuait plus de droits à la femme et qui améliorait sa position sociale.

Mais, après l’indépendance, tout change. Lors de la modification de la moudawana en 1967, sous l’influence du gouvernement du FLN, le résultat n’était pas favorable pour les femmes algériennes. Il fut question d’un recul sur le plan social, insistant sur le rôle de mère et de femme soumise à l’homme. La décennie qui suivit fut une longue nuit pour le développement de la femme algérienne, qui devait être «discrète, silencieuse, soumise, le plus inexistante possible.»62

Les années 70 amenèrent encore plus de rigueur dans la société par rapport à la religion et à la position de la femme. Pourtant, dans la deuxième moitié des années 70, des timides tendances pour améliorer les droits de la femme virent le jour, sous forme de projets de développement. Ils avaient pour but de souligner qu’un changement de la position de la femme n’impliquait pas l’abandon de la foi musulmane.

61 Pour ce paragraphe, je me suis principalement basée sur l’ouvrage de Zakya Daoud sur

trois travaux, (DAOUD, Zakya. Féminisme et politique au Maghreb, soixante ans de lutte. Paris, Eddif Maroc/ Maisonneuve et Larose, 1993).

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Cadre théorique 3. La Moudawana : le code de la famille

En 1980, lors d’un séminaire dans le cadre de la foi musulmane, les décisions prises sur le rôle de la femme furent assez positives. Cependant, en contrepartie, la femme devait renoncer à un autre aspect de sa liberté. En effet, désormais, le port du voile serait recommandé, avec des fortes mesures de rétorsions contre toutes les femmes qui ne suivaient pas cette recommandation.63

Cette liberté simulacre n’améliora en vérité donc rien à la position sociale des femmes algériennes. Leur autonomie fut encore plus restreinte en 1981, quand il devint obligatoire pour les femmes d’être accompagnées d’un membre masculin de la famille, par exemple dans les transports publics.

En 1984, une nouvelle moudawana fut adoptée. Elle impliqua encore un durcissement des règles.64 Le lendemain de l’adaptation de la nouvelle moudawana fut accompagné de beaucoup de violence contre les femmes qui ne portaient pas le voile, contre les étudiantes à l'université et contre les couples non-mariés.

Cette violence et cette attitude rigide envers la femme ne venaient pas seulement d’une religion devenue plus conservatrice. Cela fut aussi la réaction à la crise économique, qui a commencé dans la moitié des années 70 et a atteint son sommet en 1989. Cette crise allait de pair avec un taux de chômage extrêmement élevé. Le pourcentage de chômeurs en milieu urbain atteint 20%. Beaucoup d’hommes reprochent alors aux femmes de prendre leur place sur le marché du travail, de leur dérober les emplois.

Les élections législatives de 1992 voient pour la première fois les femmes aller voter sans risquer la répudiation par leur mari. Le FIS65 a proclamé une fatwa qui interdisait de répudier les femmes qui allaient voter dans le but d’avoir leurs voix. Peu à peu, le milieu politique devient plus favorable aux femmes en Algérie.

63 Ibid., p.174

64 La répudiation fut réintégrée, le khôl –le fait que la femme doit rembourser la dot à son

mari en cas de divorce- jour et il fut question d’un rétablissement de la tutelle matrimoniale. Les devoirs de la femme furent précisément établis: la soumission et l'obéissance. Les femmes n’eurent le droit de travailler à l’extérieur de la maison qu’avec le consentement de leur mari.

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Cadre théorique 3. La Moudawana : le code de la famille

Les réformes législatives en Algérie

Les réformes dans la moudawana d’Algérie ont été acceptées en 2005. C'était la première fois depuis 1983 que le code de la famille était révisé. Les organisations féministes attendaient les réformes avec impatience. Pourtant, la pression des partis politiques traditionnels et des associations musulmanes modératrices a conduit le gouvernement à instituer une moudawana qui ne connaît pas de grands changements par rapport à celle de 1983.

Beaucoup d’éléments sont donc restés identiques dans le nouveau code de la famille : Le wali (tuteur masculin de la femme) est maintenu et les devoirs de la femme sont toujours officiellement l'obéissance au mari; la procréation et l’allaitement de ses enfants. L’âge du mariage est désormais fixé à 19 ans pour les filles et les garçons (auparavant, c'était respectivement 18 et 21 ans). Le mariage par procuration est interdit, afin d’éviter les mariages forcés et dorénavant, l’homme doit assurer un logement pour la femme et ses enfants en cas de répudiation ou de divorce.66

3.2 Le Maroc

Sous l’influence des colons français, la position des femmes au Maroc s’était améliorée à la fin de l'époque coloniale. En 1948, des réformes de la moudawana furent réalisées qui donnèrent à cette position une base juridique. Désormais, le droit de garde des enfants revenait à la femme en cas de divorce et la jeune fille avait le droit à l’enseignement. Au lendemain de la décolonisation, le Parti de l’Istiqlal67 vient au pouvoir et les écoles pour les jeunes filles furent fermées.

En 1959 des réformes dans la moudawana furent adoptées, avec une rigueur des règles déterminant la position de la femme.68

66

Voir le résumé de toutes les réformes de la moudawana en Algérie dans l’annexe 1.

67 Le parti conservateur, fondé en 1943.

68 La polygamie est maintenue et elle est valable si la première épouse est avertie. Sinon,

l’épouse a le droit de demander le divorce. Mais en pratique, la femme n’avait qu’à se soumettre. En général, le divorce demandé par la femme est devenu presque impossible : il n’est permis qu’à de graves conditions quasi-impossibles. Le principe du khôl, le

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Cadre théorique 3. La Moudawana : le code de la famille

Hassan II vient au pouvoir en 1962. L’avènement de ce roi traditionaliste implique un climat politique fortement religieux, plus rigoureux qu’auparavant. La vie publique est caractérisée par la moralisation.69

Les filles qui voulaient se libérer et s'épanouir se trouvaient paralysées. Elles se retrouvent coincées dans la situation paradoxale qu’il leur fallait accepter les contraintes de l’islam afin de jouir d’une indépendance en quelque sorte : le port du voile impliquait une certaine liberté de mouvement.

En avril 1962, l’UPFM 70 fut créée, afin de donner une voix aux femmes soumises et d’améliorer la position de la femme dans la société marocaine. C’est une réponse aux années 60, qui s'avèrent dures pour les féministes. Avec un roi conservateur et des partis traditionalistes au pouvoir, le pays se tourne vers un islam strict et ne s’intéresse pas à l’émancipation de la femme. Cela prenait plus d’une décennie avant que le pouvoir conservateur du Maroc laisse la place à une politique plus modérée.

Un colloque sur la femme musulmane et le développement fut organisé en 1977. Suite à cet événement, des recommandations furent données au gouvernement concernant le développement de la position de la femme marocaine.71 Mais même si les femmes travaillent, elles ne sont toujours pas très libérées. De plus, elles portent très souvent la responsabilité des tâches ménagères et de l'éducation des enfants, sans être aidées.

Dans les années 80, le véritable retour de la femme dans la vie

publique commença. Des programmes gouvernementaux de

développement sont lancés, avec l’aide entre autres du PNUD.72 En 1990,

69 Bientôt, les boissons alcooliques devenaient interdites, on établissait des espaces

séparés pour les hommes et les femmes.

70

L’Union progressiste des femmes marocaines.

71 Ces recommandations furent entre autres : donner aux hommes et aux femmes un

salaire égal, instituer un lieu pour la garde d’enfants durant les heures du travail, la réduction des heures du travail pour les jeunes mères et donner aux femmes la possibilité de s'épanouir dans leur travail. Malheureusement, ces initiatives furent difficiles à mettre en pratique : les taux de chômage sont très élevés et, comme en Algérie, les hommes chômeurs reprochent aux femmes qui travaillent d’avoir pris leur place sur le marché du travail. (Ibid.)

72

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Cadre théorique 3. La Moudawana : le code de la famille

un projet, soutenu par le gouvernement, tenta de changer radicalement la position juridique de la femme au Maroc.73 Pour cela, il est important d’insister sur le fait que l’émancipation de la femme n’implique pas l’abandon de la foi musulmane. Dans ce cadre, l’organisation de la femme istiqlalienne74 voit le jour. Pourtant, le frein à la marche vers une égalisation de la situation entre hommes et femmes reste le chômage. Les taux de chômage montent jusqu'à 17% dans les villes, empêchant les femmes d’entrer facilement sur le marché du travail.

Au mois de mars 1992, une rencontre de l’ADEM75 essaie de mettre

fin à l’avancée hésitante des projets de développement concernant la femme. C’est ainsi que, le comité national pour la participation des femmes à la vie politique fut créé. Ce comité a pour tâche la révision de la constitution et la révision de la juridiction, afin de donner des conseils pour adapter définitivement des changements qui rendent possible l'épanouissement de la femme. Quelques conseils ont été respectés par le gouvernement, rendant possible la garde des enfants durant les heures de travail, la fondation des projets d'éducation des femmes illettrées et la propagande pour la planification de famille, sujet délicat dans la politique marocaine.

Tout cela promit une amélioration de la position de la femme marocaine. Mais avec un roi qui, encore, en 1990 appela au respect pour l’islam en tant que seule façon de vivre, la société marocaine ne semble pas encore prête pour des changements modernes.

Avant 2000, les tâches de la femme étaient officiellement la soumission au mari, la procréation et l’éducation des enfants. La femme n’avait aucune possibilité de demander le divorce, celui-ci étant soumis aux règles quasiment impossibles pour la femme, elle pouvait être répudiée sans raison. Il fallait attendre l’accession au trône de Mohammed VI, en 1999, pour que des véritables changements dans la moudawana aient lieu.

73 Il conseille par exemple l'égalité des sexes avec un changement des lois pour la soutenir.

Avec ce projet, la lutte contre les mœurs et les pratiques profondément patriarcales commence.

74 Une annexe du parti du Parti Istiqlal. 75

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Cadre théorique 3. La Moudawana : le code de la famille

Les réformes dans la moudawana au Maroc

La dernière révision de la moudawana au Maroc, en 2005, a connu beaucoup plus de changements, grâce à la politique du roi Mohammed VI. Ce roi a rompu avec le chemin traditionnel de son père, Hassan II. Depuis 2005, la femme est dans le droit –presque- l’égale de l’homme. Les changements les plus importants sont que la famille est désormais officiellement sous la responsabilité des deux époux et le mari doit le respect à son épouse. Le principe de tutelle du wali est supprimé et la polygamie est limitée à des conditions si sévères qu’elle est devenue quasiment impossible.76 Regardons maintenant la littérature maghrébine de langue française, ses motifs et sa position dans la société maghrbine.

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Cadre théorique 4. La littérature maghrébine de langue française et la littérature beur.

4. La littérature maghrébine de langue française et la

littérature beur.

Les romans choisis pour notre recherche appartiennent à la littérature maghrébine de langue française et à la littérature beur. Au Maghreb, espace arabophone, le choix pour la langue française n’est pas toujours évident. Dans ce paragraphe, nous allons aborder les motifs des écrivains maghrébins pour écrire en français et leurs thèmes, pour donner un contexte littéraire aux deux premiers romans de notre analyse. Ensuite, nous ferons de même pour la littérature beur.

4.1 Le choix du français

Outre la contestation de leur propre culture, une raison des premiers écrivains dans les années 50 pour choisir la langue française fut qu’ils voulurent signaler les injustices des Français dans leurs colonies. En écrivant en français, la littérature atteindrait un public plus vaste, à savoir dans la Métropole même et ailleurs sur le continent européen. Dans son article « La littérature d’expression française au carrefour des cultures et des langues », Najib Redouane précise :

[…] La maîtrise de la langue du colon a fait intégrer ces écrivains dans le monde des lettres de langue française. Ainsi, l’occasion leur a été offerte pour dénoncer les distorsions de la ‘mission civilisatrice’ des occupants, critiquer l’influence néfaste de la colonisation sur les mœurs et donner du Maghrébin une image plus authentique tout en refusant celle que l’Autre leur imposait.77

Au travers de la littérature, les écrivains s’opposent alors à leurs oppresseurs français et donnent aux lecteurs francophones leurs points de vue sur la colonisation.78

Une autre raison est le fait que l’emploi de l’arabe connait des limites. Langue sainte qui perdure depuis des siècles, certains sujets sont quasiment impossibles à exprimer en arabe. Dans son article « L’imaginaire dans les sociétés maghrébines », Tahar Ben Jelloun explique la relation étroite entre la langue arabe et la religion : « L’arabe parlé à Alger, à Fez, à Tunis est un arabe dérivé de l’arabe littéraire,

77 REDOUANE, Najib. « La littérature d’expression française au carrefour des cultures et

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Cadre théorique 4. La littérature maghrébine de langue française et la littérature beur.

l’arabe qui a donné le Coran. Le Coran a structuré la langue arabe.»79 Etant donné le statut religieux de la langue, il est difficile de dénoncer certaines choses en arabe : cela serait en quelque sorte commettre un sacrilège.

Lorsque la tranquillité revint après la période agitée des indépendances des deux pays, on voit que l’écrivain ne critique plus le colon, mais sa propre société:

Fidèles à leurs ainés qui se sont servis de la culture et de la langue françaises pour revendiquer la libération de leurs pays, de jeunes écrivains ont pris la relève en continuant la veine militante pour s’attaquer aux maux qui rongent, de l’intérieur, la société maghrébine.80

Le choix pour le français indique alors entre autres une littérature de contestation. L’emploi de l’arabe interdit certains tabous qui peuvent être contournés en écrivant en français. La littérature maghrébine de langue française rend possible à ses auteurs de s’exprimer et de donner leur vision sur la colonisation et sur leur propre société. Dans le paragraphe suivant, nous allons voir quels thèmes y sont abordés.

4.2 Les thèmes

La fonction presque militante de la littérature maghrébine de langue française est intéressante. Jean Déjeux résume en une phrase les thèmes et les mots clé de cette littérature :

Mécontentement, insatisfaction et frustration, départ pour «ailleurs» ou choix du silence, les situations ne sont pas de tout repos pour la création, à moins d’oser une parole de vérité contre toute langue de bois, toutes les censures et tout surmoi d’où qu’il vienne.81

Les écrivains profitent de la distance que donne une langue étrangère, employant un style d'écriture militant et violent, qui s’attaque aux tabous de la culture maghrébine et qui met en question leur tradition. La critique sociale et religieuse est un thème important dans la littérature maghrébine de langue française.

78 Comme par exemple Mouloud Mammeri avec Le sommeil du juste (1955) et Kateb

Yacine avec Nedjima (1956).

79

BEN JELLOUN, Tahar. « L’imaginaire dans les sociétés maghrébines ». Dans Les cultures du Maghreb. ROQUE, Marie-Àngels (dir.), Paris, Editions l’Harmattan, 1994, p.134

80

REDOUANE, Ibid., p.84

Referenties

GERELATEERDE DOCUMENTEN

Figure S3.1. SDS-PAGE of CYP505A30 purification.. GC chromatogram and MS data for extracted and TMS-derivatized bioconversions using purified enzyme and lauric acid. B) MS spectra

Given that the main motivation behind much of the Garry oak invasive species management is to maintain the open canopy against aggressive exotic woody species (Costanzo et al.,

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