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Année 2015, n° 12

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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le dimanche 15 novembre 2015

Année 2015, n° 12

Anne-Catherine Van Santen

SOMMAIRE

LA RD CONGO : TRAHIE… PAR SES UNIVERSITAIRES, SAUVEE PAR SES INTELLECTUELS ? …RDC page 1

Belgique

Pauvre Cour d’Assises, condamnée à mort !... page 8 Colombie

Remémorer CAMILO TORRES à la veille du 50° anniversaire de sa mort… page 21 France

André Glucksmann, de l’anticommunisme « de gauche » (sic) à l’exterminisme reaganien… page 25

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RDC

LA RD CONGO : TRAHIE… PAR SES UNIVERSITAIRES

SAUVEE... PAR SES INTELLECTUELS ?*

Par Anicet MOBE FANSIAMA1

Atterré, le peuple congolais s’interroge sur l’asservissement des intelligences de certains universitaires qui rivalisent d'esbroufe et de raisonnement spécieux pour élaborer des arguties justifiant une violation constitutionnelle afin que le Chef de l’Etat brigue un troisième mandat pour qu'eux continuent de fructifier des rentes de situation

Cette consternation est à la mesure de l’immense espoir qu’avaient suscité au Congo pendant des décennies, les engagements intellectuels des étudiants.

Les qualifications scientifiques des universitaires constituent certains de ressorts des dynamiques internes qui relayent et amplifient les sordides convoitises étrangères qui alimentent la tragédie du peuple congolais. La tragédie du Congo résulte à la fois de ces convoitises et d’un énorme déficit d’intelligence du politique, d’une extrême carence d’intelligence politique et d’un pitoyable asservissement des intelligences universitaires cooptées dans les sphères politiques.

En dépit de la présence massive des universitaires dans différents secteurs de la vie administrative, politique, économique et judiciaire, force est de constater un énorme paradoxe entre l’aboulie intellectuelle des universitaires et la vigueur de pensée des intellectuels des groupes de « Conscience Africaine et l’Abako » en 1953-1958. Stupéfait, le peuple congolais s’interroge sur cette atonie intellectuelle et cette défaillance des universitaires dans l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées : le mouvement étudiant s’est voulu un creuset de formation d’une intellingestia dont les compétences scientifiques fourniraient aux Congolais des instruments afin qu’ils élaborent des stratégies de développement pour s’assurer un mieux- être social collectif et individuel épanouissant.

Le drame du Congo belge au travers de son élite ! Tel est le sous-titre d’une étude du professeur Jean Omasombo parue dans un ouvrage collectif2. Il s’est penché sur les compromissions de certains universitaires cooptés dans le sinistre « Collège des Commissaires Généraux ». Ce drame congolais qu’illustre piteusement la pusillanimité d’une fraction des élites universitaires constitue la trame de 4 livres publiés coup sur coup depuis plusieurs mois.

Il s’agit, en l’occurrence, de l’excellente étude que le professeur Jean-Marie Mutamba consacre aux « Collège des Commissaires Généraux »3 que le colonel Mobutu institua après son coup d’état militaire du 14 septembre 1960.

*Texte issu d’une intervention faite le 11 juillet 2015 au Luxembourg, lors du colloque organisé par la Convention des Congolais de l’étranger. Je remercie les organisateurs et tous les participants. Leurs observations m’ont permis d’affiner mon texte dont je suis seul responsable. Avec doigté et patience, Madame Adeline Bondjali s'est employée à rassembler et à classer la documentation qui a servi à la rédaction de ce texte dont elle a assuré la saisie avec sérieux. Qu'elle trouve ici l'expression affectueuse de ma gratitude.

1Chercheur en Sciences Sociales (Paris) / Collectif des intellectuels congolais DEFIS (Paris)

2 J. Omasombo : « Le Drame du Congo belge au travers de son élite » in N. Toussignant : Le Manifeste Conscience Africaine (1956). Elites congolaises et société coloniale, Public. Facul. Universit. Saint Louis, Bruxelles, 2009, pp 141-162.

3 Jean-Marie Mutamba Makombo : Autopsie d’un gouvernement au Congo-Kinshasa,. Le Collège des Commissaires-Généraux(1960-1961) contre Patrice Lumumba, l’Harmattan, Paris, 2015.

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Le livre publié sous la direction du Ministre Mende4, recycle, quant à lui un des héritages les plus pervers du régime Mobutu : la couardise et l’asservissement des intelligences qui gangrènent une partie du corps professoral universitaire. Cet opuscule s’analyse à la fois comme une réplique à l’analyse approfondie qu’un collectif d’intellectuels a publié pour mobiliser la conscience politique des Congolais5. Par ailleurs, ce cantique de louange est une surenchère de flagornerie pour mettre en évidence le flop de l’initiative « Kabila Désir » du Ministre Tryphon Mulumba Kin Kiey. Citons enfin, l’oiseux panégyrique d’Evariste Boshab6 justifiant la violation de la constitution et démolissant les principes les plus élémentaires de droit constitutionnel pour tresser des lauriers à son « Raïs ».

Jean-Pierre Mbelu souligne la disproportion des moyens pécuniaires et audiovisuels utilisés pour la promotion de deux livres : celui de Mende a été publié avec « les moyens de l’Etat failli et manqué » tandis que celui des intellectuels, patriotes et convaincus de l’importance de la bataille des idées, l’a été à partir de la sueur de leur front7.

I Conscience africaine et Abako : l'arme miraculeuse de la culture... pour éveiller et aiguiser la conscience politique

Désillusionnés par de prétendues réformes faisant l’impasse sur les pratiques – politiques, administratives – ségrégationnistes. Convaincus que le régime colonial – par essence – est complètement rétif à toute perspective de promotion sociale pour les colonisés, en dépit de la forte croissance économique du Congo. Certains intellectuels – Abako et Conscience africaine – s’attelèrent à un lent et patient travail d’analyse – critique de déconstruction du discours colonial. Ainsi fut mis en évidence « l’impensé » des logiques perverses sous-jacentes des productions culturelles des institutions coloniales. La mise en exergue de cet « impensé » a révélé aussi les véritables significations – différentes de celles que la propagande coloniale véhiculait – de ces logiques.

§1 : Conscience Africaine et Abako… une alliance de classe entre les élites et les masses populaires.

Le 30 juin 1956, les intellectuels du Groupe Conscience africaine publient leur Manifeste8dans lequel ils revendiquent une émancipation qui n’a de sens que si elle est totale, pas seulement politique mais aussi économique. Les auteurs du Manifeste soulignent qu’ils ne veulent pas que les apparences extérieures de l’indépendance politique ne soient en réalité qu’un moyen de les asservir et de les exploiter.

Le 23 août 1956, le groupe ABAKO9, prolonge et approfondit le débat initié par Conscience africaine, en publiant à son tour un Manifeste dont le contenu est nettement plus politique que celui – culturel – publié en novembre 1953.

Par ce bouillonnement intellectuel, Conscience africaine et Abako labourèrent le champ culturel avec discernement. Ils rompirent ainsi avec la conception élitiste et servile du « rôle

4L. Mende Omalanga (direct) : Kabila et le réveil du géant ; L’Harmattan, Paris, 2015.

5Fweley Diangitukwa: Les Congolais rejettent le régime Kabila, Monde Nouveau/Afrique Nouvelle,Vevey 2015.

6E. Boshab : Entre la révision constitutionnelle et l’Inanition de la Nation, Larcier, Bruxelles, 2013.

7a)https://dl-mail.ymail.com congokin-tribune@congokingroupes.com

b) http://desc-wondo.org/nouvel-ouvrage-collectif-les-congolais-rejettent-le-regime-de-kabila/.

8a) Nath. Tousignant (études réunies par) : Le Manifeste de Conscience Africaine (1956). Elites congolaises et société coloniale. Regards croisés, Publications des Facultés Universitaires Saint Louis, Bruxelles, 2009.

b) « En relisant le Manifeste de Conscience Africaine quarante ans plus tard », Zaïre-Afrique n°306, Cepas,Kinshasa, juin-juillet 1996, pp. 259-262.

c) A. Van Ostade : « Le Manifeste de Conscience Africaine. Les origines et les implications immédiates. » Recueil d’études : Congo 1955-1960. Académie Royale des sciences d’outre-mer, Bruxelles, 1992, p. 538

9B. Verhaegen et Ch. Tshimanga : L’Abako et l’Indépendance du Congo belge, Cahiers Africains n°53-54-55, Tervuren, L’Harmattan, Paris, 2003.

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des intellectuels » que le régime colonial imposait aux Congolais et que certains intellectuels (associations des évolués, associations d’anciens élèves) ainsi qu’une revue comme « La voix du Congolais » reprenaient à leur compte.

Le mémorandum que les Evolués de Luluabourg (Kananga) adressèrent en mars 1944 au Commissaire de District, monsieur Sand est significatif de l’état d’esprit régnant chez la plupart des Evolués. Ils sollicitèrent de l’autorité coloniale, « sinon un statut spécial, du moins une protection particulière du gouvernement qui les mette à l’abri de certaines mesures ou de certains traitements qui peuvent s’appliquer à la masse ignorante arriérée10.

Editée par des Congolais (Roger Bolamba), sous l’égide et le contrôle de l’administration, La Voix du Congolais ne se préoccupa guère des perspectives politiques pouvant conduire à l’indépendance du pays. Elle réagit vivement contre le Manifeste de Conscience Africaine et exalta au contraire les bienfaits que la Belgique apporta aux Congolais.

Pour la Revue « la justice et la fraternité sont les seuls mots qui peuvent garantir la permanence européenne en Afrique noire »11.

§2 : Conscience Africaine, Abako et les étudiants

Extrêmement attentif à la question universitaire et à ses incidences sur le devenir du Congo, le groupe « Conscience Africaine » associa à ses activités, les étudiants de Lovanium ainsi que Thomas Kanza, diplômé de Louvain. Celui-ci était assistant à Lovanium. La sûreté coloniale signale dans ses rapports qu’à partir de décembre 1956, les étudiants congolais jouèrent de plus en plus un rôle accru, notamment dans la commission politique12. Quant à l'Abako ;elle avait institué en son sein une commission des bourses d'études pour parfaire la formation intellectuelle des jeunes.

Les pratiques culturelles initiées par Conscience Africaine et Abako ont revêtu au caractère propeudétique pour les étudiants. Ces répertoires culturels ont fertilisé leur pensée, leur permettant d’émanciper leur « réflexions – critique » du positivisme borné des universitaires, des professeurs et autres doctrinaires de l’ordre colonial. Ils ont ainsi pris conscience du rôle assigné à l’enseignement universitaire dans les sociétés occidentales – et donc en situation coloniale – où l’enseignement est « attaché à transmettre la culture intégrée d’une société intégrée »13. L’université assure donc une transmission institutionnalisée de la pensée.

Riches des productions de ces répertoires culturels, les étudiants se sont octroyés des instruments d’analyse pour s’affranchir du conformisme culturel du système colonial. Ils ont résolument opté – dès avant 1960 – pour une distance critique périlleuse mais exaltante. Celle de l’engagement intellectuel dans le débat public, en rupture donc avec un certain confort social qu’on retrouve dans les milieux étudiants, consommateurs passifs et reproducteurs de la culture dominante.

II Contestations estudiantines congolaises14: engagements intellectuels pour promouvoir une alternative politique...

10Lire : Dettes de guerre, Essor du Congo, Elisabethville, 1945, pp. 128-129.

11Lire a) « La Voix du Congolais », n°126, Léopoldville, sept. 1956, p. 612.

b) Eloko a Nongo : Les Structures inconscientes de la Voix du Congolais, 1959, Cahier du Cedaf, n°2/3 1975, Bruxelles, 1975, p. 83.

12« Etat d’esprit des populations en général », Bulletin d’information de l’administration de la sûreté, n°8, 1956- 1957, pp. 26-27 et 35 ; n°9, 1951957, pp. 24-28.

13P. Bourdieu, « Systèmes d’enseignement et système de pensée », Revue Internationale des sciences sociales, vol.

XIV, n°3, 1967, pp. 367-388.

14 a) Anicet Mobe Fansiama, « Contestations estudiantines et problématique zaïroise », L’Africain, n°149, Belgique, 1991, pp. 18-19.

b) Anicet Mobe, « Kinshasa a aussi connu son « Mai 68 » », La Croix, Paris, 11 juin 1998, p. 15.

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Bien que créé en retard (1961) par rapport à d’autres pays africains, le mouvement étudiant congolais s’affirma vite comme une force sociale dynamique au sein de la société congolaise en faisant preuve de lucidité politique. En effet, à travers les mouvements de contestation étudiante qui revêtirent plusieurs formes, les étudiants refusent l’apolitisme pour jeter les bases d’un syndicalisme étudiant militant, attentif aux aspirations et aux luttes socio- politiques des milieux populaires.

§ 1 : mouvement étudiant : une production endogène des intellectualités et du politique...

La création de l’UGEC est l’aboutissement d’une longue maturation intellectuelle et politique amorcée dès 1956 et parfaitement maîtrisée par les étudiants. En 1956, le ministre belge des Affaires Etrangères, Paul-Henri Spaak s’apprête à se rendre au Congo, à l’occasion du cinquantenaire de l’Union Minière du Haut Katanga. Il reçoit une délégation des étudiants congolais qui lui dressent un tableau saisissant de l’oppression coloniale que subissent les congolais et qui contraste avec les récits hagiographiques des laudateurs de la colonisation.

Le 3 mars 1958 à Louvain, 5 étudiants congolais : Charles Bokanga, Albert Bolela, Maris Cardoso (Losembe), Jonas Mukamba et Paul Mushiete participent à un colloque organisé par l’Union Générale des étudiants de Louvain : Le thème de l’indépendance du Congo y est abordé. Le 18 mars 1958, l’association des étudiants noirs en Belgique adresse aux parlementaires un mémorandum exigeant l’instauration d’un régime de représentation démocratique à l’échelle nationale et protestent qu’il n’y ait aucun Congolais au sein du groupe de travail constitué par le Ministre des colonies Maurice Van Hemelrijck, pour étudier les problèmes politiques du Congo belge.

Après le soulèvement populaire du 4 janvier 1959 à Léopoldville (Kinshasa) réprimé dans le sang, les étudiants congolais de Lovanium se mirent en grève, le 8 janvier pour protester contre la répression et marqué leur solidarité avec les victimes.

Le 18 janvier 1960, à l’invitation de l’association des étudiants noirs que préside Marcel Lihau, étudiant en droit à Louvain ; les leaders politiques congolais se réunissent dans les locaux des « Amis de Présence Africaine » à Bruxelles, sis rue Belliard n° 220. Exhortées par les étudiants (François Ngyesse, Ferdinand Mandi, Félicien Lukusa, Ernest Munzadi, Zéphyrin Konde, Justin Bomboko, Marcel Lihau, Jonas Mukamba…, les personnalités politiques s’unissent et constituent un « Front Commun » qui prend à contre-pied la stratégie du gouvernement belge.

Pendant que les hommes politiques – incapables de s’entendre se débattaient dans une crise politique et institutionnelle interminable (depuis septembre 1960), les étudiants se réunissaient, se regroupaient et réfléchissaient ensemble pour jeter les bases d’une organisation étudiante capable « d’éveiller chez les étudiants congolais une conscience nationale et un sens élevé des responsabilités et capables de coordonner leurs activités tant sur le plan national qu’international pour se prononcer sur toutes les questions importantes touchant les intérêts du pays ». C’est ainsi que naquit l’Union Générale des Etudiants Congolais (UGEC) lors du congrès constitutif tenu à Lovanium du 04 au 07 mars 1961. A l’issue des travaux, les étudiants ont élu un comité exécutif que préside Henri-Désiré Takizala avec le concours de Kalala Kizito, secrétaire aux Affaires Internationales ; de Nestor Watum, secrétaire aux Affaires Nationales ; d’Alexis Dedé, chargé de la Culture et de Joseph N’Singa, trésorier de l’Union.

La tenue de ce congrès et le contenu des résolutions sont tout à l’honneur des étudiants congolais de l’époque. Leur mérite est immense, car leurs réflexions critiques agissantes rompirent radicalement avec d’autres démarches intellectuelles antérieures. D’une part rupture par rapport aux associations d’intellectuels datant de l’époque coloniale ; qu’il s’agisse des cercles des évolués ou d’associations d’anciens élèves des pères de Scheut (ADAPES) ou des Frères (ASSANEF).

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D’autre part, la création de l’UGEC rompit avec l’aveuglement politique du « Collège des Commissaires Généraux » - composé surtout des étudiants de Louvain – institué après le premier coup d’état militaire du chef d’état-major de l’armée (le colonel Mobutu) le 14 septembre 1960. Ce gouvernement « des techniciens » tirait la légitimité de son pouvoir d’un acte illicite et séditieux.

§ 2 : 1961-1996 : la contestation estudiantine : pallier la délinquance politique, la déliquescence du politique et repenser l'université pour la décoloniser et la démocratiser...

La vigueur de la contestation estudiantine contraste avec la déliquescence de partis politiques. Le mouvement étudiant s'est structuré en un espace intellectuel des véritables débats de société comme en témoignent les résolutions adoptées lors de congrès et séminaires ainsi que le contenu des mémorandums adressés aux différents gouvernements.

A partir de 1963, les contestations du pouvoir établi s’exprimèrent d’une part dans le syndicalisme (ouvrier et étudiant) et d’autre part à travers les révoltes populaires qui redoublèrent de vigueur après que le Parlement eût été congédié le 29 septembre 1963 ainsi que dans les oppositions armées (1977-1978). Les organisations syndicales ouvrières et les associations estudiantines tentèrent de coordonner leur mouvement d’opposition contre le gouvernement Adoula et l’ensemble des « politiciens » entre 1963 et 1965.

Afin d’éviter que leurs militants ne soient des universitaires prisonniers de leurs notes des cours ; l’UGEC (Union générale des étudiants congolais) et l'Agel(Association générale des étudiants de Lovanium) consacrèrent plusieurs de leurs séminaires au thème du « rôle de l’intellectuel dans la société ».

Au cours d’une assemblée générale extraordinaire tenue le dimanche 8 mars 1964, à Lovanium, à 23h30, sur la « Place de la Révolution », située au plateau entre les homes 3 et 4 ; les étudiants (congolais et étrangers, notamment belges) décidèrent de déclencher pour le lendemain une grève générale. Celle-ci dura une semaine, le dimanche 15 mars 1964, un Protocole d’accord instituant une commission tripartite fut signé par Monseigneur Félix Scalais, Archevêque de Kinshasa et Président du conseil d’administration de l’Université Lovanium, par Monseigneur Luc Gillon, Recteur de l’Université et par Monsieur Hubert Makanda, président de l’Association générale des étudiants de Lovanium (Agel)15.

§ 3 : Les aspirations du mouvement étudiant face à la dérive sécuritaire du régime16 Dès 1961, il en fut est ainsi jusqu’à la chute du régime Mobutu, malgré la dissolution de l’UGEC et de l’AGEL, le mouvement étudiant refusa toute tutelle idéologique et politique de partis politiques, des différents gouvernements qui se sont succédés au Congo, ainsi que des groupes d’intérêts économiques et politiques (nationaux et étrangers) qui se disputent le pouvoir en République Démocratique du Congo.

Les étudiants congolais paieront un lourd tribut à leur volonté de préserver cette indépendance idéologique et politique. Dès 1968, le régime déploya avec une redoutable férocité toute une panoplie des appareils idéologiques et répressifs de l’Etat afin de réprimer toute expression culturelle et politique libre et réfléchie. Rappelons le massacre des étudiants dans les rues de Kinshasa,le 04 juin 1969;leur embrigadement dans l'armée en 1971;ainsi que les fermetures des universités en 1980,1982 et 1989 ; les suppressions des bourses...

III Faut-il désespérer des universitaires (intellectuels) congolais ?

En 1981(du 20 au 25 juillet ),la XIV ème semaine théologique de Kinshasa organisée par la Faculté de Théologie Catholique de Kinshasa eut comme thème : « Les intellectuels

15Lire Etudes congolaises n°4, Léopoldville, avril 1964, p. 71.

16P. Demunter : Analyse de la contestation estudiantine au Congo- Kinshasa (juin 1969) et ses séquelles. Etudes Africaines,TA 132,Crisp,Bruxelles,30 déc.1971.

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africains et l’Eglise »17.

La plupart des exposés – fort brillants d’ailleurs – des intellectuels congolais se cantonnèrent dans des généralités alors que leurs collègues africains se sont distingués par une tonalité critique argumentée à l’image de l’intervention du professeur Efoué-Julien Pénékou18. Le refus de la démarche critique est clairement affiché par les intellectuels congolais dans l’enquête du professeur Mudimbe19. En résumé, les personnes interrogées, considèrent que le rôle de l’intellectuel est de contribuer à la promotion des classes défavorisées (98%) ; de travailler au bien-être de la société (97%) ; d’être un modèle dans la travail technique (97%) ; d’être un dispensateur de la culture (73%) ; d’être le défenseur des principes (67%) ; d’observer la société (65%) et non de la critiquer (89%).

Il est fort étonnant que ces résultats aient été abondamment cités sans beaucoup de commentaires lors de ce colloque : quels sont les modèles culturels que doit dispenser l’intellectuel congolais ? Quels sont les principes qu’il doit défendre ? Comment peut-on contribuer au bien-être de la société sans la critiquer ? Il est illusoire de croire que les intellectuels peuvent contribuer à la promotion des classes défavorisées sans analyser correctement le système socio-économique dans lequel vivent ces classes défavorisées.

Comment se situent les intellectuels par rapport à l’exercice du pouvoir politique qui demeure un facteur déterminant dans la promotion – ou la régression – des classes sociales ?

Plutôt que de désespérer des intellectuels et des élites universitaires, il faut – au contraire – s’atteler à promouvoir l’émergence et l’affirmation d’une intelligentsia porteuse de vecteurs de courants de pensée servant de lieux d’expression engagée dans le débat public.

Cette revalorisation exige des remises en cause fondamentales des équations érigées en dogmes : universitaire = intellectuel ; diplôme universitaire = aptitude particulière pour exercer des fonctions politiques Aussi, faut-il accorder aux questions de l’université, l’attention qu’elles méritent : l’ensemble de la société civile veut-elle – s’en donne-t-elle les moyens – faire de l’université, un lieu d’élaboration critique des savoirs ?

Il appartient aux intellectuels et à l’institution universitaire – professeurs, chercheurs, autorités académiques, étudiants et personnel administratif et technique et de se constituer en vivier d’agitateurs de la pensée critique.

IV Briser le cercle vicieux de la servilité intellectuelle et de la servitude politique Le pays avait – a toujours – besoin des cadres universitaires dont les compétences scientifiques répondraient efficacement aux demandes sociales des populations congolaises pour qu’elles s’assument et s’assurent à mieux être individuel et collectif florissant. Le régime mobutiste les avait transformés en mandarins, dociles serviteurs dont les compétences firent fonctionner un système économique prédateur et un système politique, fossoyeur des libertés publiques et de la démocratie.

Soucieux de fructifier des rentes de situation engrangées par l’allégeance au Maréchal, les mandarins sont restés indifférents – voire méprisants – à la détresse des masses populaires broyées par une politique de non développement économique et social20. Inexorablement, ce sinistre schéma se reproduit depuis 2001. Il faut ardemment s’employer pour l’éradiquer afin d’éviter le recyclage de la ténébreuse expérience du « collège des Commissaires Généraux »

17Les Intellectuels Africains et l’Eglise, Actes de la 14èmesemaine, Faculté de Théologie Catholique, Kinshasa, mars 1982.

18 E. Julien Pénékou : « Tâches des intellectuels chrétiens dans l’Afrique d’aujourd’hui », Actes de la 14ème semaine, Kinshasa, mars 1982, pp 210-250.

19V.Y Mudimbe : « Les Intellectuels zaïrois », Zaïre-Afrique n°88, Cepas, Kinshasa, octobre 1974, pp 451-463.

20 Lire : a)Anicet Mobe Fansiama : « Intellectuels congolais…à la dérive ? », Congo-Meuse, vol 2, Bruxelles, Paris, Archives et Musée de la littérature de Belgique, L’Harmattan,Paris 2002, pp 637-683.

b) Anicet Mobe : « L’indépendance du judiciaire... incompatible avec les cultures intellectuelles et politiques des universitaires congolais ? », l’Africain n°235, Charleroi (Belgique), juin-juillet 2012, pp 1-8.

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institué par Mobutu après son premier coup d’état du 14 septembre 1960. Depuis lors, pour de nombreux universitaires congolais, la férule d’un homme fort – Guide suprême, Mzee, Raïs - est un postulat pour pénétrer le champ politique.

La révision constitutionnelle de 2011 opérée sur des bases juridiques viciées pour imposer une élection présidentielle à un seul tour et pour inféoder politiquement la magistrature illustre piteusement la dérive de certains universitaires – particulièrement des juristes – cooptés dans la cour du Prince régnant. Le chef de l’Etat renoue ainsi avec les pratiques politiques et institutionnelles les plus abjectes du régime mobutisite : l’instabilité constitutionnelle dont le pic de forfaiture a été atteint entre 1974 et 1978 lorsque fut aboli le principe de la séparation des pouvoirs ; ainsi que la mise sous tutelle politique du judiciaire par l’octroi des pouvoirs exorbitants au Procureur- Général, président du Conseil Judiciaire, Kengo Wa Dondo.

Membre du bureau politique, il était aussi Ministre de la Justice et pouvait requérir de la Cour Suprême de Justice de modifier en fait comme en droit toute décision de justice qui lui paraissait non conforme à l’administration d’une bonne justice.

Aussi, il faut se féliciter de la mobilisation d’une partie du corps professoral pour soutenir la pétition de leur collègue Kamba afin de s’opposer au projet d’une autre violation constitutionnelle – que justifie le professeur Boshab - qui permettrait au chef de l’Etat – frauduleusement élu en 2011 – de briguer un 3èmemandat.

Qualifiant l’argumentaire de Boshab de soporifique discours pseudo-scientifique pour justifier l’injustifiable, le professeur Kamba souligne les flagrantes contradictions et hérésies qui, selon lui, relèvent de la fraude intellectuelle. Soulignons que l’ouvrage d’Evariste Boshab – Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation, édit. Larcier, Bruxelles, 2013 – rappelle les études doctrinales fort élogieuses que rédigent en 1974, deux autres juristes congolais – Mulumba Lukoji et Umba di Lutete – pour encenser le « Guide » Mobutu après la révision constitutionnelle consacrant la négation de l’état de droit : Mulumba Lukoji « La constitution du Zaïre révisée » Zaïre-Afrique n°90, Cepas, Kinshasa, décembre 1974, pp 599- 608 ; Umba di Lutete « Introduction à la constitution zaïroise », exposé ronéotypé à la 1ère session de l’école du pari, Kinshasa, 1974.

La réaction salutaire du professeur Kamba ne devrait pas s’enliser dans l’imprécation et s’abîmer en servant de prétexte pour nourrir des querelles des courtisans en quête des positions de pouvoir. Il faut au contraire s’employer pour en faire un élément constitutif du réveil politique d’une fraction d’universitaires voulant assumer pleinement leurs responsabilités d’intellectuels sans s’enfermer dans une tour d’ivoire ; sans non plus sombrer dans la luxure du marécage politique actuel.

Esquisse d'une « Théorie générale-critique » des intellectualités congolaises...

Face à l’obscurantisme de la pensée unique, une intelligentsia – pétrie d’éthique intellectuelle conscientisante – a vocation d’assembler, d’affiner et de fertiliser les éléments constitutifs d’une théorie générale critique des intellectualités congolaises.

Les créations artistiques, littéraires, philosophiques et scientifiques les plus fécondes de la société congolaise constitueront les éléments essentiels des matériaux culturels servant des fondamentaux à la théorie générale des intellectualités congolaises afin que les Congolais disposent d’instruments d’analyse pertinents pour oser le pari de l’intelligence critique.

S’interroger sur les responsabilités des intellectuels n’est pas qu’un exercice de style pour rester dans « l’air du temps ». Cette interrogation renvoie, au contraire, au cœur du drame congolais et oblige à une lecture critique des événements.

Aussi, convient-il d’éviter certains écueils ; trois méritent, assurément, d’être soulignés :

* la confusion entretenue entre intellectuel et universitaire. Cette confusion altère les analyses ; enferme les idées dans l’ostracisme doctrinal et appauvrit le débat.

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« Homme du culturel, créateur ou médiateur, mis en situation d’homme du politique, producteur ou consommateur d’idéologie »21, l’intellectuel n’est donc ni un simple professionnel de la pensée ni un technicien du savoir. Intervenir dans les débats de la cité énoncer les principes et les termes de ces débats : produire les instruments culturels pour construire ces débats ainsi que pour façonner l’espace public où se déroulent ces débats. Telle est vocation première des intellectuels.

La pertinence des instruments culturels élaborés par les intellectuels, leur lucidité d’esprit et la qualité de leur questionnement éthique conditionnent largement les orientations des débats publics et leurs influences dans les évolutions des sociétés où sont tolérés les débats publics.

La vocation de l’intellectuel s’accomplit par la fonction critique qu’il exerce grâce au verbe et à l’écrit dont il se sert pour labourer le champ culturel afin d’élaborer, d’expliciter et de diffuser largement les outils conceptuels permettant à la société d’appréhender correctement les enjeux des mutations qui affectent l’environnement social afin de façonner le devenir en toute lucidité.

La démarche critique des intellectuels dans leurs engagements n’a pas toujours été exempte ni d’aveuglement politique, ni de conformisme culturel. Il leur est souvent arrivé de s’ériger en une « cléricature de légitimation » des régimes politiques despotiques.

Ainsi dans certains pays du Tiers-Monde, les intellectuels ont souvent « été des plumitifs du pouvoir, des véhicules inconditionnels des pouvoirs et des idéologies en concourant activement à entretenir les mystifications, les simplifications et les sectarismes »22.

Pour intervenir dans l’espace public, l’intellectuel n’a nullement besoin de s’appuyer sur une notoriété acquise dans le domaine scientifique, artistique, universitaire ou littéraire relevant de sa compétence. La plupart des intellectuels qui ont marqué le siècle « n’ont connu aucune notoriété préalable à leur engagement : la seule qu’ils aient jamais atteinte, c’est précisément une notoriété intellectuelle en tant qu’intellectuels ».23

* le provincialisme culturel: la trahison des clercs ; les utilisations politiciennes et idéologiques des savoirs à des fins d’asseoir et de consolider les pouvoirs – économiques et politiques – des groupes dominants. Les relations conflictuelles et/ou serviles entre l’université et les pouvoirs ! Ces problèmes de société ne sont pas propres au Congo.

Il faut donc éviter tout provincialisme culturel réducteur pour s’interroger sur d’autres expériences « dans la mesure où les intellectuels sont peut-être les agents les plus actifs des transferts culturels internationaux »24.

* la tentation du prophétisme intellectuel. L’engagement intellectuel n’est pas toujours exempt de vassalisation d’esprit. Il faut donc, sans cesse, observer un recul critique pour ne pas sombrer dans un prophétisme intellectuel qui érigerait l’intellectuel en « mage » investi d’un rôle messianique.

Aussi, il n’est pas de trop d’exiger des universitaires désireux de donner du sens aux enseignements universitaires de se mobiliser pour ériger l’université en vecteur d’une société intellectuelle où tous les Congolais disposeront d’outils d’analyse pour se déterminer politiquement avec discernement. Oui, il est urgent de hâter, comme le préconise Gramsci, l’avènement d’une société intellectuelle où tous les hommes (Congolais) sont des intellectuels

21J-F Sirineli et P. Ory : Les Intellectuels en France, de l’Affaire Dreyfus à aujourd’hui, Colin, Paris, 1986, p. 10.

22G. Chaliand : Mythes révolutionnaires du Tiers Monde, Seuil, Paris, 1976, pp. 243-245.

23Joël Roman : « La vie intellectuelle au regard de l’université, de l’édition et des médias, » Esprit n°Mars-Avril 2000, pp. 191-192.

24a) M. Trebitsch et M. Christine Granjon, Pour une Histoire comparée des intellectuels, Complexe, Bxl, 1998.

b) G. Nzongola Ntalaja : « Les Intellectuels africains et la crise politique en Afrique centrale », Congo-Afrique n°379, cepas, Kinshasa nov. 2003, pp. 532-540.

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même si tous n’y exercent pas la fonction d’intellectuel.

Belgique

Pauvre Cour d’Assises, condamnée à mort !

Ce que nous risquons de ne plus voir…

Par Guy De Boeck

Si l’on n’y prend pas garde, la Belgique, en plus de pas mal de dégâts dans le domaine des droits sociaux, de la reconnaissance d’un minimum de droits à l’être humain du seul fait qu’il en est un et autres mesures de recul généralisé des aspects les plus civilisés de sa législation, va sous peu détruire la dernière de ses institutions qui soit d’inspiration réellement révolutionnaire en ce qu’elle met bien en évidence la souveraineté du peuple : la Cour d’Assises.

Celle-ci est menacée par une double offensive technocratique venant, d’une part de l’Union Européenne, toujours plus encline à se gargariser de la démocratie qu’à la mettre en œuvre, d’autre part des juristes et magistrats professionnels, enclins à penser qu’il est inepte de laisser le soin de trancher les affaires les plus graves à des équipes tirées au sort et marquées d’« amateurisme ».

Cette fois, la cour d’assises et l’institution du jury populaire semblent bel et bien mortes.

Le conseil des ministres restreint examine le volet pénal de la réforme de la justice concoctée par le ministre Geens (CD&V).

Celui-ci a demandé un avis au Conseil d’Etat au sujet de la partie de son avant-projet de loi visant à permettre la correctionnalisation de la plupart des crimes. Le projet envisageait de ne plus porter devant la cour d’assises que les faits graves commis contre des policiers ou contre des mineurs d’âge.

Mais, ainsi que le rapportaient, La Libre, le Soir et De Standaard, le Conseil d’Etat a remis un avis critique, estimant que réserver un sort différent à des dossiers identiques selon la qualité de la victime constituait une discrimination.

Il n’en a pas fallu davantage pour inciter le ministre Geens à proposer que tous les crimes soient, à terme, du ressort des tribunaux correctionnels. Ce n’est que si une chambre des mises en accusation décidait qu’en raison de l’extrême gravité des faits, un inculpé doit absolument comparaître devant une cour d’assises que le procès y serait amené.

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Mais de quoi s’agit-il exactement ? Un peu d’histoire

Au moment de la révolution belge de 1830, l’une des revendications mises en avant avait été le retour à une légalité régie par le Code Napoléon. Celui-ci avait été assez bien vu par la bourgeoisie qui prend alors le pouvoir (le vote, censitaire, était le privilège de moins de 2 % de la population) et cela se comprend : la Wallonie a des charbonnages et des industries métallurgiques : la Flandre, des filatures et des fabriques de tissu. L’Empire est grand demandeur des produits vendus par les Maîtres de Forges : fusils, sabres, baïonnettes…, de poudre à canon, où il entre du charbon et, non seulement la Grande Armée bouffe au kilomètre d’innombrables rouleaux de tissu, vite détruit sur les champs de batailles, mais un Empire qui a plus de 100 départements, met volontiers même son personnel civil en uniforme, et ne lésine pas sur les broderies, passementerie, soutaches et fourragères, a vraiment tout pour plaire. Les

« barons du textile » passent aussi à la caisse !

De plus, le Royaume de Hollande avait imposé ses propres lois à « l’amalgame » belgo- néerlandais, et cela n’avait pas fait sourire les Belges. Assez arriérés, les codes néerlandais comprenaient entre autres des punitions corporelles, des peines aggravées de mutilations et tout cela ne soulevait guère l’enthousiasme des foules. Par comparaison, Napoléon apparaissait presque comme un pur philanthrope.

Tout cela ne laissait guère de place aux hésitations. Et zou ! Le Code Napoléon fut remis en vigueur. Comme Napoléon Bonaparte participa à plusieurs séances de travail et le promulgua, ce code est connu sous le nom de Code Napoléon. Dans plusieurs pays d'Europe, cette appellation rappelle surtout qu'il y fut « importé » lors des guerres napoléoniennes. En Belgique, ce ne fut pas le cas, pour les raisons que je viens d’esquisser.

Ce que nous savons des travaux de rédaction de ce Code que Napoléon prit surtout la peine de signer, est assez fragmentaire25et fortement entaché de propagande bonapartiste. Ce que l’on sait de façon certaine, c’est que le Premier Consul assista très irrégulièrement aux séances, la guerre lui prenant beaucoup de temps, et que, là où nous avons des compte—rendus fiables de ses interventions, elles furent marquées par ce qui est le péché mignon d’un parfait profane : la tendance à légiférer en fonction de ce qui lui tient personnellement à cœur26.

Beaucoup plus que de Bonaparte, le Code civil, et les autres codes27civils et criminels promulgués dans la foulée portent la marque de ceux qui y ont travaillé en permanence et l’ont effectivement rédigé. Tous étaient juristes de métier, magistrats ou jurisconsultes. Tous avaient l’esprit marqué par les idées, partagées par la plupart des intellectuels, nobles ou bourgeois, de la fin du XVIII° siècle, qui vont constituer le terreau philosophique de 1789.

1. Ils ont un grand désir de raison, d’ordre, de logique et de clarté, que la loi soit écrite et qu'elle soit claire, afin que chacun connaisse son droit. Ce n’était pas du luxe, L’Ancien

25La procédure a duré presque trois ans, du 17 juillet 1801 au 19 mars. Le Conseil d'État se serait réuni 102 fois afin d’examiner le projet, selon Locré, rédacteur des procès-verbaux. Mais il n'y a que 84 procès-verbaux dans les cinq volumes de Locré.

26Bonaparte, à l’époque, se croyait stérile « puisque Joséphine avait fait ses preuves par Eugène et Hortense » et aurait volontiers autorisé l’adoption à tort et à travers. Mais, Joséphine ayant aussi fait largement les preuves de son goût pour les messieurs, Napoléon, en cocu notoire et vindicatif, aurait voulu inscrire dans le code le droit pour le mari d’imposer à sa femme toutes sortes d’interdictions, qui, si on l’avait suivi, aurait ramené les Françaises au régime du harem. Les documents précisent même qu’il « avait les larmes aux yeux » en parlant des hommes à qui les joies de la paternité sont refusées, mais qu’il « écumait de rage » en parlant des épouses infidèles.

27Code de procédure civile en 1806 ; Code de commerce en 1807, révision d'un code déjà élaboré sous Louis XIV

; Titre III du Code des délits et des peines en 1791, remplacé par le code pénal en 1810; Titres I et II du Code des délits et des peines en 1791, remplacé par le Code d'instruction criminelle en 1808 devenu, en France, le Code de procédure pénale en 1959.

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Régime avait fait parfois des lois excellentes, mais elles étaient perdues dans un fatras désordonné qui les rendait presque inapplicables. L’une des formes d’un ordre rationnel est la hiérarchie, et donc il est juste et raisonnable de considérer que plus une matière est grave, plus la juridiction qui en connaît doit être haute. Au sommet, les plus graves doivent être jugées par le Souverain.

2. Sous l’influence des « Lettres anglaises » de Voltaire, ils ont une haute estime – parfois exagérée ou mal fondée, d’ailleurs – pour la législation et le système judiciaire anglais, où le jury tient une place essentielle, centrale et importante. Ils se montreront toutefois modérés dans ce domaine. Le système judiciaire qui fonctionna, en matière pénale, juste avant l’avènement du Code Napoléon, allait bien plus avant dans le décalque des institutions britanniques, allant jusqu’à reprendre le système des jurys successifs avec un « jury d’enquête » pour l’instruction, avant le « jury de jugement », pour le procès28. Il est vrai que, après la rupture de la Paix d’Amiens, les références anglaises ne furent plus vraiment appréciées.

3. On reprend à l’ époque des Lumières le principe de la laïcité. Conformément à la loi de 1792, l'état civil est tenu par les communes et non plus par les paroisses. Le mariage relève de la loi civile tandis que le divorce est maintenu, bien qu'il soit très limité par rapport à la loi de 1792 ;

4. LA référence en matière d’explication globale de la société est alors « Le Contrat Social » de Jean Jacques Rousseau. Il pose le principe de la souveraineté du peuple et réserve donc à celui-ci le titre de « Souverain ». Puisque, en vertu de ce qui précède, les causes le plus graves doivent être jugées par le Souverain, elles ressortissent donc d’une justice exercée directement par le peuple. Comme l’on peut difficilement le consulter tout entier, on recourra à la formule anglaise du « jury » pour confier cette tâche à un « échantillon » de douze personnes tirées au sort.

5. Ils sont aussi bien conscients de ce que la Révolution a été faite au profit de la bourgeoisie, dont ils font partie. Ils estiment d’ailleurs la Révolution finie et l'heure, à la réconciliation.

Il est bien évident que les « gens de bien » (ou de biens ?) ne doivent pas craindre, chez le jury populaire, le débraillé populacier du Tribunal Révolutionnaire. Tout comme la souveraineté du peuple est exercée en fait par les seuls possédants, la justice du peuple sera entre leurs mains. Les premières critiques contre le Code viendront d’ailleurs de milieux bourgeois frustrés par une évolution, par des changements au sein de la classe dominante elle-même29.

6. L’individualisme est le fil rouge qui parcourt tout le monument et correspond au désir bourgeois d’en finir avec les anciennes classes privilégiées. La transmission des privilèges et exemptions de l’Ancien Régime était essentiellement héréditaire. Le Code civil consacrera donc la disparition de la famille clan ou souche, avec un chef, un patrimoine et un renom collectifs, qui devait assistance et protection, voire vengeance, dot et établissement à ses membres : le mariage est permis à tous, le partage égal est de rigueur, tandis que sont interdits les pactes sur succession future, ainsi que les actions des enfants contre leurs père et mère pour cause d'établissement. La famille perd sa personnalité juridique de mainmorte, l'indivision familiale est pénalisée par un régime d'instabilité, et sa division entre tous les enfants est rendue obligatoire à chaque génération.

Le Code civil s'intéresse particulièrement à la propriété, dont la théorie est entièrement renouvelée à partir du droit romain, et aux contrats inter-individuels qui correspondent bien

28 On voit fonctionner ces institutions dans un roman de Balzac « Une ténébreuse affaire ».

29 Bien que prévus pour être gravés dans le marbre, les principes du Code civil étaient centrés autour de la personne du citoyen-propriétaire, du bourgeois, la propriété privée, et surtout le foncier (le fonds rural, et, en moindre partie, les biens immeubles) en fournissaient le socle. La Révolution industrielle mettra cependant cela à mal, avec le développement des valeurs mobilières (société anonyme, etc.) ;

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à la philosophie libérale des notables (bourgeoisie urbaine, mais aussi, plus généralement, l'ensemble des propriétaires terriens). L'engagement des personnes, qui regroupe les salariés, les fermiers, et les fournisseurs, est traité comme celui des choses dans la catégorie du louage et laissé à la libre volonté des parties contractantes. La propriété immobilière devient individuelle (toutes les communautés institutionnelles de voisinage, de métiers ou autres ont été dissoutes, leurs biens ont été liquidés) ; l'engagement du personnel, appelé « louage d'ouvrage et d'industrie » (englobant les contrats d'entreprise, de travail et de mandat), devient absolument libre (les corporations et les syndicats d'ouvriers sont interdits), la liberté du travail est totale. Il faudra un siècle pour que son individualisme s'efface et que les associations et syndicats puissent se constituer librement (En France : loi Waldeck-Rousseau de 1884 et loi sur les associations de 1901).

Evolution de la Cour d’Assise belge

J’ai peut-être donné l’impression de m’appesantir longtemps sur la création de la Cour d’Assise en France ou de faire étalage d’érudition.

Il y avait une bonne raison à tout cela, c’est que l’institution belge est restée dans une large mesure très proche de ces origines. Ce sont en effet les 12 jurés seuls qui décident de la culpabilité30de l’accusé, cependant que jurés et magistrats délibèrent ensemble de la peine. Le président est chargé de diriger les débats, de l’ordre dans la salle d’audience. Il dispose aussi d’un pouvoir discrétionnaire lui permettant de prendre toute mesure qu’il juge nécessaire à la manifestation de la vérité (ex : demander l’audition de témoins spécifiques). Mais il n’intervient pas dans la décision essentielle : la question sur la culpabilité.

Par comparaison, il faut dire qu’en France, ce sont bien toujours douze personnes qui jugent, mais qu’il n’y a plus que neuf jurés, et que ceux-ci délibèrent avec les magistrats. Est-il besoin de le dire : le prestige de la fonction, la maîtrise du langage juridique, l’expérience des débats judiciaires donnent alors un poids singulier à l’avis des magistrats, poids qui peut être suffisant pour entraîner les indécis. On peut aussi soulever une objection plus technique : dans un assemblage de ce type, les personnes qui doivent délibérer n’ont pas la même connaissance de l’affaire. Le Président, magistrat expérimenté, a eu connaissance du dossier et a assisté à l’instruction d’audience. Les assesseurs ont aussi un certain bagage, mais n’ont connaissance que de l’instruction d’audience. Les jurés ne connaissent que l’instruction d’audience. Encore une fois, cela peut créer des incertitudes et des hésitations, qui probablement accroîtront l’importance de l’avis des magistrats. On risque en effet toujours de s’en remettre à leurs

« compétences ».

Peut-être me trouve-t-on bien soupçonneux… Mais il faut savoir que l’homme qui dirigeait la France au moment où ces réformes furent décidées était un grand ami de l’Ordre, de la Propriété et d’une Justice sainement administrée par et pour la classe dominante. Il s’appelait Philippe Pétain. Cela donne quand même à penser.

Mais revenons à nos moutons et en Belgique. Le jeune état belge se montre très fier de l’édifice juridique mis en place dès le lendemain de la Révolution. A cette époque, son œuvre est universellement acclamée. On y voit « la Charte du Libéralisme »… Il faut dire que les premiers législateurs belges ont travaillé dans un confort presque utopique parce qu’ils n’avaient pas à se battre contre une monarchie installée et défendant ses prérogatives pied à

30Un partage 5/5 emporte l’acquittement. En cas de partage 5/7 sur une question principale de culpabilité, le jury fait son retour dans la salle d’audience pour signifier ce cas particulier. La Cour (le président et ses deux assesseur) se retire alors seule pour délibérer afin d’examiner si elle se rallie à la majorité du jury. Si la Cour se rallie au jury, l’accusé est déclaré coupable. Dans le cas contraire, l’acquittement est prononcé.

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pied. C’est au contraire Léopold I° qui s’apercevra, en arrivant dans « son » Royaume, qu’il ne peut rien faire sans le contreseing d’un ministre.

Le principe de la Séparation des Pouvoirs est affirmé avec force. En Belgique, la Justice est un Pouvoir à part entière, pas une simple administration. et on lui élève aussitôt à Bruxelles un Palais amphigourique et monumental. Dans ce contexte, en ces temps où le vote censitaire fait de la politique et du droit, des matières qui se discutent entre gens bien élevés, le jury populaire n’est pas, lui non plus, un inconvénient.

La Cour d’assises est compétente pour les crimes graves qui ne peuvent être renvoyés devant le tribunal correctionnel ; à savoir le meurtre, l’assassinat ou la tentative d’assassinat, à quoi l’on a ajouté au fil du temps la prise d’otage. Les délits politiques et de presse sont aussi de son ressort. Quoi de plus naturel ? La politique est affaire de gens bien élevés, et l’on est donc sûr que le jury saura sévir contre les membres de la populace qui oseraient ses risquer sur ce terrain qui n’est pas le leur. Quant à la presse, les Constituants de 1831 ont été particulièrement bienveillants avec elle. « La Censure est abolie et ne pourra jamais être rétablie » et les journalistes traînés en justice ont droit à la juridiction suprême.

C’est qu’à l’époque, la presse belge est encore très embryonnaire. Y écrire se fait souvent sans rémunération. C’est le fait de jeunes gens, un peu comme la poésie, sans toutefois être aussi grave… Il faut bien que jeunesse se passe… En même temps cette presse est très polémique, très acerbe dans ses critiques, les personnalités politiques s’y font souvent entendre et la frontière entre presse d’information et pamphlet politique demeure très floue. Mais, à cette époque, la vie politique belge est bipolaire, opposant entre eux deux clans rivaux de la bourgeoisie. Le clan libéral, laïque et libre-penseur y rompt des lances contre la famille catholique. Encore une fois, il n’y a pas de raisons de vouloir museler cette liberté d’expression qui ne concerne que des disputes sur la meilleure façon d’administrer l’état bourgeois, sans le remettre en cause.

Dans ces conditions, où la presse et la politique faisaient partie des « terrains de jeu privés » de la bourgeoisie, le législateur en a tenu compte et a édicté des règles fort libérales.

Il faudra attendre une cinquantaine d’années pour que cette situation change. En effet, dans la période 1831 – 1893, la Belgique a fonctionné avec un suffrage censitaire

Seuls les citoyens de sexe masculin qui paient le cens ont le droit de vote. Le cens est un quota d'impôt dont le montant varie selon les régions. Ce système fait que le droit de vote ne concerne que 1,1% de la population de l'époque. Pour être éligible, aucune condition de fortune pour la Chambre mais bien au Sénat. En 1842 par exemple, seules 412 personnes sont éligibles au Sénat. Pendant cette période, le scrutin est majoritaire. C'est-à-dire que la liste qui, dans un arrondissement, obtient le plus de voix emporte la totalité des sièges, même s’il ne vient que de quelques voix devant sa rivale.

En 1848, les révolutions sociales qui éclatent partout en Europe conduisent le gouvernement à abaisser le cens31. Il devient uniforme pour tout le pays. Le corps électoral passe à 2% de la population. On n’arrête pas le progrès. !

Comme le cens se calculait toutes taxes confondues, les partis étudièrent avec soin les possibilités que pouvait offrir la législation, pour priver de leur droit de vote les électeurs de l’adversaire. Un exemple suffira : les libéraux proposèrent un jour aux Chambres de ne plus taxer les chevaux « mixtes ». On appelait ainsi un animal qui n’était voué complètement, ni aux labours et à la traction de carrioles, ni à l’équitation de luxe, mais servait à des fins utilitaires

31C’est un révolutionnaire de 1848, Victor Considerant, qui inventa le système du vote à la proportionnelle, que les Belges adoptèrent en 1893 et qui est toujours en vigueur.

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en semaine et le dimanche, bien brossé, traînait une jolie voiture pour aller à la messe… La messe ? Eh oui ! Ce genre de cheval était surtout détenu par des hobereaux catholiques, et en détaxant ces chevaux on aurait « coulé » certains d’entre eux, leur faisant perdre soit le droit de vote, soit l’éligibilité !

De 1893 à 1912, le suffrage universel est instauré, mais uniquement pour les hommes de plus de 25 ans, et il est atténué par le vote, qui, lui, est plural. Chaque homme âgé de 25 ans dispose d'une voix. Mais en fonction de ses revenus, de son statut (père de famille nombreuse) ou de ses capacités (diplômes), il dispose d'une voix supplémentaire sans cumuler plus de 3 voix. (Au niveau communal, certains pères de familles plus fortunés ont même droit à 4 voix.) Le corps électoral représente dès lors 21, 6% de la population Le vote devient obligatoire, car on craint que, si on ne contraint pas l’électeur « mou » à donner son avis, seuls les extrémistes se rendent aux urnes. Le scrutin majoritaire est remplacé par le scrutin proportionnel (1899) qui favorise la multiplicité des partis politiques. Ces diverses mesures visent clairement à empêcher que les candidats qui désirent représenter les intérêts populaires, comme le POB et les chrétiens progressistes de Daens, l’emportent trop facilement. Le POB (Parti Ouvrier Belge) a été fondé en 1885.

Dans ce paysage où assez bien de mutations se produisent en un temps relativement court, les Cours d’Assise ne subissent pas d’autres changements que ceux qui découlent de la composition même de la population. Il y a de plus en plus de gens qui ont eu accès à l’instruction et un homme instruit n’est plus obligatoirement « de bonne famille », cependant qu’un ouvrier n’est plus nécessairement une « brute stupide et analphabète ». On voit donc apparaître dans les jurys des représentants des classes populaires et des femmes.

Cela n’empêche pas les Cours de continuer à travailler suivant les règles héritées du Code Napoléon. Elles traverseront également sans changements notables les deux guerres mondiales.

Cela ne signifie pas que, durant un siècle et demi, elles n’aient pas subi de critiques. Il y en a eu ! Mais elles concernaient des verdicts jugés incompréhensibles ou critiquables, ou suggéraient des réformes de détail – dont certaines furent d’ailleurs appliquées – et ne s’en prenaient pas à l’existence même de la Cour d’Assises, ni au principe du « jury populaire » ni, derrière celui-ci, à la souveraineté du peuple. Aujourd’hui, au contraire, il est bel et bien question de leur suppression et si celle-ci nous est présentée comme une simple « réforme », c’est simplement pour contourner un obstacle : l’existence des Cours d’Assises est inscrite dans la Constitution et cela n’est pas soumis à révision au cours de la présente législature.

Critiques couramment émises contre la Cour d’Assises Il n’y a pas de possibilité d’appel

La Cour d’Assise n’est, pas plus que les autres, infaillible. Elle se trompe sans doute aussi souvent que les autres tribunaux. Et dans l’ensemble, à en croire les tribunaux eux-mêmes, ils se tromperaient une fois sur trois. C’est en effet dans cette proportion que les juridictions jugeant en appel réforment les premiers jugements. Ce n’est évidemment pas là de la statistique

« fine ». Il faut décider d’interjeter appel et un justiciable, même convaincu de son bon droit, peut renoncer à le faire pour des raisons qui ne sont pas juridiques : il recule devant le coût de l’appel, son avocat l’en dissuade, etc… D’autre part, rien ne nous dit que, quand une décision est réformée, ce n’est pas le second juge qui se trompe !

Une chance sur trois ! Cela fait frémir, dans le cas de la Cour d’Assise parce qu’elle prononce des peines lourdes. Il ne s’agit plus de la mort, mais il reste la perpétuité… Il est raisonnable de penser que, pour protéger le justiciable, tout comme on ne revient jamais sur un

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acquittement32, quels que soient les doutes que l’on peut avoir, tout jugement devrait pouvoir être frappé d’appel au moins une fois.

L’objection, toutefois, ne pèse pas lourd, car indiquer le mal, c’est aussi indiquer le remède : il faudrait en effet instituer une juridiction d’appel. Mais voilà, cela mènerait à avoir encore plus de Cours d’Assises, ce qui n’est pas le but de leurs critiques !

Les jugements n’ont longtemps pas été motivés

Ils le sont depuis 2009, à la suite d’une exigence de l’UE, qui a voulu que les Cours d’Assises belges cessent de faire exception à l’obligation générale d’énoncer les motifs de tout jugement. Ce que l’on a appelé « absence de motivation » venait de ce que le juré n’est chargé d’aucune autre obligation que de se prononcer suivant « son intime conviction », notion il est vrai fort vague. Mais l’est-elle davantage que la « motivation » très fréquente en correctionnelle

« Attendu que les faits sont établis… » qui ne veut guère dire plus.

Les verdict seraient « sentimentaux », sensibles aux préjugés et à l’opinion publique Au milieu du XX° siècle, on aurait pu conseiller aux maris jaloux de l’inconduite de leurs épouses de les trucider de préférence dans la province du Hainaut. Les Assises de cette province avaient alors la réputation d’être indulgentes envers un homme qui a « vengé son honneur » à la suite d’un accès de colère féroce et irrépressible qui l’avait pris quand, rentrant à l’improviste, il était tombé, dans la chambre à coucher, sur le « tableau vivant » de son infortune. Bref, il semblait y avoir entre Mons, La Louvière, Charleroi et Tournai un préjugé qui se traduirait assez bien par la formule « Cette salope n’a eu que ce qu’elle méritait ».

D’accord, c’est un préjugé !

Mais n’oublions pas que la critique du jury populaire n’est jamais faite dans l’absolu.

Elle a toujours pour but de mettre en évidence que « ça ne se passerait pas ainsi avec des magistrats professionnels ». Pour que cela soit vrai, il faudrait que l’on puisse, avec certitude, avancer que dans aucune décision des juridictions qui leur sont confiées, on ne trouverait de préjugés, que la « tête du client », l’apparence du prévenu, son origine sociale ou raciale, ses convictions politiques ou religieuses, n’entrent jamais en ligne de compte. Cela postulerait que le magistrat professionnel n’a ni opinion, ni sentiments, qu’il ne lit aucun journal, ne regarde pas la TV, n’écoute jamais la radio et se met en toutes circonstances des boules Quiès dans les oreilles quand la conversation effleure les affaires judiciaires du moment…

Un tel être n’existe pas, ou alors c’est un androïde jailli d’une nouvelle de science- fiction.

Le fonctionnement des Cours d’Assises serait particulièrement dispendieux

C’est l’élément vedette des projets actuels et de la réforme de Koen Geens. Je n’en parlerai dons que plus loin dans cet article.

32Il y a les acquittés innocents, … et les autres... Les personnes déclarées non coupables par une juridiction pénale ne sont pas toutes innocentes. Parmi elles, il y celles qui, bien qu’ayant participé à la commission du crime, échappent à la sanction parce que les enquêteurs n’ont pas réussi à réunir suffisamment de preuves. Mais il est hors de question, pour quiconque est acquitté, de sous-entendre quoi que ce soit. Un acquitté doit toujours être considéré comme n’ayant pas commis le crime un point c’est tout. Cela pour une raison simple. Supposons que sur dix personnes acquittées, deux (ce chiffre est pris au hasard, uniquement pour le raisonnement) soient quand même auteur du crime. Cela signifie que les huit autres sont véritablement innocentes et n’ont commis aucun crime. Si l’on accepte les insinuations – « oui, sans doute a-t-il été acquitté mais, qui sait, il pourrait bien être quand même coupable » – cela va atteindre non seulement les deux véritables criminels, mais tout autant les huit personnes qui n’ont rien fait du tout. Ce qui, pour ces huit, est insupportable et inacceptable. C’est pourquoi, faute de pouvoir affirmer sans aucun doute possible que tel accusé est vraiment innocent alors que tel l’autre n’a fait qu’échapper à la sanction, toute insinuation doit être fermement proscrite concernant tous les acquittés. Sans jamais aucune exception.

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Le procès « de Liège » ou « de la thalidomide33» - l'euthanasie et la souveraineté du peuple en question

Ce n'est qu'environ quatre ans et demi après la naissance, le 25 décembre 1957, du premier bébé affligé de dommages aux oreilles dus à la thalidomide, qu'un gynécologue australien, le Dr McBride de Sydney, soupçonnera la thalidomide d'être la cause de malformations aux membres et aux organes chez trois enfants examinés au Crown Street Women's Hospital.

Le 10 novembre 1958, une petite fille sans bras et sans jambe naît en Angleterre. Ses pieds et ses mains sont directement rattachés aux épaules et au pelvis. Rapidement, cette naissance est suivie d'autres cas similaires en Angleterre, en Allemagne, au Canada, aux Etats- Unis, en Suède, en Belgique, en Suède, au Brésil, au Japon….

Les anomalies sont variables : absence du pouce ou d'un doigt mais le plus souvent, il y a une absence totale de formation des os longs des membres. Certains enfants pourront avoir une vie à peu près indépendante. La grande majorité, complètement impotents, seront toute leur vie dépendants pour les actes courants de la vie. Des anomalies supplémentaires sont observées:

poumons déficients, absence de vésicule biliaire ou de l'appendice, becs-de-lièvre, malformation des yeux

Ce type de malformation est rare. Une telle augmentation étonne les médecins qui en viennent rapidement à supposer que les mères ont pris un médicament pendant leur grossesse.

Ce médicament est un sédatif prescrit aux femmes enceintes pour lutter contre les nausées et les vomissements. « Thalidomide » est le nom scientifique du médicament. Il est commercialisé, selon les pays, sous des noms divers, tels Distaval, Tensival, Asmaval ou Softénon. C’est ce dernier nom qui est utilisé en Belgique.

La thalidomide a causé des difformités sur environ la moitié des cas où une femme en a fait usage entre la quatrième et la sixième semaine de sa grossesse. Environ 3 000 enfants ont été touchés en Allemagne, et 800 en Angleterre. On retrouve la même proportion dans les autres pays industrialisés où la thalidomide a été prescrite.

C'est le 13 novembre 1961 qu'un pédiatre de Hambourg met en accusation la thalidomide. Six jours plus tard, tous les médicaments contenant de la thalidomide sont retirés du marché en Allemagne. Dans les mois qui suivent, les mêmes mesures sont prises dans les autres pays.

La thalidomide est à l'origine de nombreux procès. Ce désastre a ainsi fournit l'occasion de soulever de multiples problèmes juridiques ou éthiques qui n'avaient jamais été abordés : euthanasie, interruption volontaire de grossesse, responsabilité médicale et pharmaceutique, indemnisation en matière d'accidents thérapeutiques.

« L'affaire de Liège », qui eut un retentissement médiatique énorme en Belgique en est une illustration, mais une illustration qui est souvent mal interprétée.

Le verdict de ce procès passe souvent pour l’exemple même d’une décision sentimentale du jury populaire, influencé de plus par une opinion publique bruyamment favorable aux accusés, menant à une décision « absurde » : affirmer que la victime était morte sans que personne ne l’ait tuée.

Je soutiens au contraire qu’en l’occurrence, le jury populaire a pleinement joué son rôle de représentant du peuple souverain et jeté, dans la mare d’une société belge complètement bloquée par sa classe la plus réactionnaire et la plus obscurantiste, le pavé d’une affirmation

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