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Année 2018–Numéro17Justice Internationale–RDC–RCA

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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le samedi 2 juin 2018

Année 2018 – Numéro 17

Justice Internationale – RDC – RCA

La Lettre d’Herman Cohen sur l’affaire Bemba… page 1

La responsabilité du supérieur et la responsabilité par omission (CICR)… page 13

Affaire Bemba : La CPI fixe les critères d’appréciation de la responsabilité pénale du

chef militaire et du supérieur hiérarchique - Cour pénale internationale (Art. 28 du

Statut de Rome) … page 16

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La Lettre d’Herman Cohen sur l’affaire Bemba

Herman Cohen

Le verdict du procès du sénateur Jean-Pierre Bemba est attendu le 8 juin prochain. Avant le jour-j, la lettre de l’ancien diplomate américain Herman Cohen adressée à la Cour pénale internationale (CPI) captive l’attention des médias

Cette prise de position incite à de fort vastes réflexions sur les rapports entre la politique et la justice. Et pas uniquement à cause du fait que Cohen met en avant le principe qu’un jugement ne devrait pas seulement être juste, mais qu’il devrait aussi être « politiquement opportun ». En obtenant la condamnation de Bemba, Fatou Bensouda a fait faire un pas en avant non pas au droit, mais à la jurisprudence, favorable aux victimes de la violence politique. Elle a fait triompher le principe de la « responsabilité du chef ». Et l’on est en droit de trouver bon et beau que ce principe ait trouvé sa première application concrète à la demande d’une femme noire, c’est à dire à l’écoute d’un réquisitoire prononcé par une voix venue du groupe qui, plus que tout autre sur la planète, victime de violences souvent pires que la mort.

La Lettre d’Herman Cohen

Voici le texte de cette lettre, que je ne traduis pas, tout simplement parce que les commentaires qui vont suivre, équivalent en pratique à une traduction. Elle est adressée au Bureau du Procureur de la CPI, rédigée sur le papier à lettre de la Société de conseil de l’auteur

« Cohen & Woods International » et datée du 25 Mai 2018.

« I am writing as a retired American diplomat who specialized in US- African relations.

During my career, I spent considerable time working in the Democratic Republic of the Congo.

During that period, I became acquainted with a number of senior Congolese political leaders,including Jean- Pierre Bemba.

I believe that Mr. Bemba's prosecution for crimes committed in the Central African Republic was legitimate, and that the guilty verdict was correct. Nevertheless, I believe that the result of his appeal of sentence on June 8, 2018 should result in a decision to consider his punishment complete with time already served, and that he should be released to assume his political leadership at this time of crisis in the Democratic Republic of the Congo. His leadership is badly needed at this time of political tension and .regional violence.

I have reviewed the specifics of his case. I note that Mr. Bemba was guilty of negligence

in failing to control his troops who engaged in atrocities in the Central African Republic. This

is a grave offense. However, there was no evidence that he himself engaged in such atrocities,

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nor that he directed his troops to engage in such atrocities. I believe that the time he has already served in prison is sufficient punishment for his specific crime of negligence while commanding military units in combat.

The current government in the Democratic Republic of the Congo is engaging in atrocity- like behavior . I hope that the Court is investigating, especially the death in 2017 of two UN researchers. The DRC nation is in the midst of a pre- electoral constitutional crisis.

Jean- Pierre Bemba is the recognized political leader of the northwestern region, through his MLC political party. His presence would help the political leadership steer their country through a very difficult period during which the Congolese government is clearly planning to hold a fraudulent election.

I plead with the Court to consider my arguments, and to decide that Mr. Bemba has been sufficiently punished through prison time already served ».

Une semaine difficile du président Kabila à Washington

Nous avons pour une fois un moyen d’en savoir plus sur ce que l’auteur de cette lettre avait en tête, car H. Cohen tient un blog sur la politique africaine et y a « posté » le 28 mai un compte rendu de la 21 au 25 mai 2018

1

, celle précisément où il écrivit sa lettre :

« La crise politique en cours en République démocratique du Congo a été un des principaux sujets du jour dans les cercles des affaires étrangères de Washington pendant la semaine du 21 au 25 mai 2018. Les représentants de la société civile congolaise et de l'administration Kabila avaient assisté à un déjeuner d’un forum du Congrès américain et avait été accueilli différemment.

Les dirigeants de l'opposition politique congolaise avaient fait preuve d'unité en se présentant ensemble à des réunions dans la ville. Et le Comité sénatorial des affaires étrangères avait adopté une résolution bipartisane faisant pression sur l'administration Kabila pour qu'elle organise des élections libres et équitables, tout en demandant à l'administration Trump de les tenir redevable.

Le résultat direct était une détermination plus forte au niveau politique pour augmenter la pression sur le régime de Kabila, et amener son administration à mettre en œuvre finalement l'accord de 2016 en vertu duquel il ne se présentera pas pour un troisième mandat en aucun cas.

Forum du petit déjeuner sur la politique africaine

La semaine avait débuté par un déjeuner de travail par le forum Africa Policy organisé par la députée de la Californie Karen Bass. La session perturbée peut être visionnée [dans une vidéo] en ligne ici.

Les visiteurs de la société civile congolaise avaient fait des présentations sur les conditions politiques, économiques et sociales actuelles en RDC. Ils étaient tous cohérents dans leurs conclusions selon lesquelles la majorité du peuple congolais souffre d'une pauvreté grave et qui s'aggrave, avec des millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays par la violence.

Le Président Kabila était représenté au Forum par son Conseiller diplomatique principal, l'Ambassadeur Kikaya Bin Karubi, dont le discours commence environ 30 minutes après le début de la vidéo. Alors que Karubi commençait à décrire la croissance économique significative dont a bénéficié la RDC pendant les deux mandats du président Kabila, les membres de la diaspora congolaise commençaient à crier "menteur, menteur". En raison de cette opposition, l'ambassadeur Kikaya et son équipe de diplomates congolais avaient été contraints de quitter la salle sous escorte protectrice.

1http://www.congoforum.be/fr/nieuwsdetail.asp?subitem=3&newsid=210726&Actualiteit=selected

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Visiteurs de l'opposition de la RDC

Deux leaders de l'opposition politique de la RDC - Moïse Katumbi du Rassemblement et Felix Tshisekedi de l'UDPS - sont également venus à Washington cette semaine, rencontrant des sénateurs et des représentants de la Chambre de représentants, leur personnel et les hauts fonctionnaires du Département d'Etat.

Au cours de ces réunions, et lors de participations conjointes au Conseil atlantique et dans les environs de la ville, ils ont souligné les points politiques suivants:

Eux-mêmes et leurs deux organisations travaillent en étroite collaboration pour remporter la prochaine élection présidentielle. Il n'y a pas d'espace entre eux.

Ils estiment que l'opposition sera en mesure de présenter un seul candidat à la course contre le candidat présenté par la coalition majoritaire de Kabila.

Ils exhortent les États-Unis et d'autres gouvernements intéressés à faire pression sur le président Kabila pour qu'il mette pleinement en œuvre l'accord de 2016 appelant à une élection présidentielle libre et équitable sans aucune tentative du président Kabila de se présenter à nouveau et / ou de modifier la constitution. Puissance.

Ils s’attendent à ce que le président Kabila fasse une tentative illégitime de manipulation de la Cour constitutionnelle pour réinterpréter la constitution afin de lui permettre de briguer un troisième mandat.

Katumbi et Tshisekedi ont tous deux attiré un public nombreux et sympathique lors de leurs diverses apparitions.

Activité du Congrès

Il y a eu également d'importantes activités bipartites liées à la RDC au Congrès cette semaine, en particulier au Sénat. Les sénateurs Cory Booker (Démocrate du New Jersey) et Jeff Flake (Républicain d'Arizona) avaient fait adopter une résolution au comité de Foreign Relations (Relations Etrangères) appelant l'administration Trump à faire pression sur le régime de Kabila pour des élections présidentielles libres et équitables le 23 décembre.

Au cours des dernières années, le Congrès des États-Unis avait adopté moins de projet de lois, et encore moins de projet de lois bipartisans, qu'auparavant. Le fait que cette résolution intervienne après une longue série de lettres bipartisanes sur la situation en RDC – à Kabila, au président Trump, à l'ambassadeur des Etats-Unis Nikki Haley et à l’US Securities and Exchange Commission – indique l'importance et l’ampleur du désarroi de l'administration américaine et ses deux chambres du Congrès sur les manœuvres de Kabila. Il est clair que les comités concernés du Congrès américain surveillent de près la situation en RDC et demanderont instamment à l'Administration Trump d'être très active dans la promotion d'élections libres et équitables en rapport avec la constitution existante [de la RD Congo] ».

Réactions congolaises

La lettre d’Herman Cohen a mis six jours pour susciter des réactions en RDC. Ce qui indique que les Congolais ont réagi, moins à la lettre elle-même, qu’à son compte-rendu dans le presse belge, plus précisément sous la plume de Hubert Leclercq dans La Libre et avec un titre éloquent « Libérez Bemba, la RDC a besoin de lui »

2

Voici ce que dit cet article :

« Le 8 juin prochain, dans dix jours, la Cour pénale internationale (CPI) doit se replonger dans le dossier de Jean-Pierre Bemba. L’homme politique congolais, leader du Mouvement de Libération du Congo, peut-il espérer sortir des geôles de la CPI à La Haye,

2« Libérez Bemba, la RDC a besoin de lui » Hubert Leclercq - La Libre – le 29 mai 2018

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c’est en tout cas le vœu d’Herman Cohen, un octogénaire bon pied, bon œil, qui est certainement un des diplomates américains qui a passé le plus de temps non seulement en RDC mais aussi dans toute l’Afrique centrale.

A tel point que l’ancien diplomate, qui fut aussi sous-Secrétaire d’Etat aux Affaires africaines, n’a pas hésité à écrire au bureau du procureur de la CPI pour expliquer, dans le climat qui règne actuellement en RDC, les raisons de son engagement en faveur de la libération de Jean-Pierre Bemba.

Pour Herman Cohen, Bemba devait être condamné pour les faits qui sont reprochés à ses hommes, lors de leur intervention en République de Centrafrique, Mais aujourd’hui, après 10 ans de détention et alors qu’il a été condamné à 18 ans de prison pour crime de guerre et crime contre l’humanité, et à un an dans un dossier de subordination de témoins, Bemba devrait être libéré à l’occasion de son procès en appel le 8 juin 2018. Une libération qui devrait permettre à Jean-Pierre Bemba de jouer un rôle politique dans son pays « dans une période de crise politique intense ».

Herman Cohen rappelle que Jean-Pierre Bemba a été condamné pour les atrocités perpétrées par ses troupes du MLC en République de Centrafrique, mais rappelle dans la foulée qu’il n’a jamais été prouvé qu’il était personnellement impliqué dans ces atrocités, ni même qu’il commandait ses troupes qui commettaient ces atrocités. Cohen parle de négligence dans le chef de Bemba et insiste sur le fait que les dix ans déjà passées derrière les barreaux sont à ses yeux suffisants.

La CPI enquête-t-elle sur la mort des experts des Nations Unies ?

Et le diplomate, qui n’a rien perdu de son approche toute… diplomatique, en profite pour rappeler que les actuelles autorités congolaises commettent elles aussi des atrocités et feint de demander à la CPI si elle enquête, notamment, sur la mort des deux experts des Nations unies abattus dans le Kasaï en 2017.

Pour lui, Jean-Pierre Bemba, leader politique du nord-ouest de la RDC a un rôle évident à jouer dans cette période préélectorale avec un gouvernement en place qui entend tout faire pour « pourrir » les élections.

Il termine sa courte lettre en priant la cour de bien vouloir prendre en compte ses arguments et d’accepter que Jean-Pierre Bemba est demeuré suffisamment longtemps derrière les barreaux.

Le retour du dossier Bemba au-devant de la scène à moins de six mois de la tenue des élections en RDC, toujours annoncées pour le 23 décembre, rebattrait évidemment les cartes.

L’homme n’a rien perdu de son aura dans l’ouest du pays et même si sa condamnation doit l’empêcher de se présenter à la magistrature suprême, sa seule libération en ferait une pièce maîtresse sur l’échiquier politique ».

A Kinshasa, Le Phare titre « Herman Cohen exhorte la CPI à acquitter Jean-Pierre Bemba »

Il reprend quelques lignes du contenu de cette lettre : « Je vous écris en ma qualité

d’ancien diplomate américain aux affaires africaines. J’ai suffisamment travaillé durant ma

carrière sur la RDC et j’ai pu travailler avec la plupart de leaders politiques congolais dont

Monsieur Jean-Pierre Bemba. Je crois que le procès Bemba a porté sur les crimes commis en

RCA et le verdict rendu en son temps me parait également correct. Mais le verdict final qui

sera rendu le 08 juin prochain doit être considéré comme étant une fin de la punition qui lui a

été infligée quant à ce, et qu’il devrait enfin recouvrer sa liberté en vue d’assumer son

leadership politique en ce moment où la RDC traverse une crise politique qui ne dit pas son

nom ».

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Dans sa lettre lue par Le Phare

3

, Herman Cohen estime que Jean-Pierre Bemba « est reconnu coupable de négligence, pour n’avoir pas pu, à temps, prendre des dispositions en vue de contrôler ses troupes engagées dans le théâtre des opérations en Centrafrique. Ce qui paraît une erreur grave. Mais il n’est pas prouvé, au-delà de tout doute raisonnable de sa responsabilité personnelle dans la commission des crimes ou d’avoir eu de contrôle effectif sur les troupes engagées au front », écrit-il.

“Verdict du 8 juin prochain. Bemba : libération ou prison ?”, s’interroge La Prospérité

4

.

En analysant le contenu de la lettre, cela est possible, estime ce quotidien qui résume cette missive en un appel de Cohen à Fatou Bensouda, identique à celui de Hubert Leclercq

« Libérez Bemba, la RDC a besoin de lui’ ».

Pour M. Cohen, Jean-Pierre Bemba a un rôle évident à jouer dans cette période préélectorale avec un gouvernement en place qui, à son avis, entend tout faire pour « pourrir » les élections. « Il est demeuré suffisamment longtemps derrière les barreaux », écrit l’Américain dont les propos sont repris par La Prospérité. Pour ce journal, le retour du dossier Bemba au-devant de la scène à moins de six mois de la tenue des élections en RDC, toujours annoncées pour le 23 décembre, rebattrait évidemment les cartes.

L’homme n’a rien perdu de son aura dans l’ouest du pays et même si sa condamnation doit l’empêcher de se présenter à la magistrature suprême, sa seule libération en ferait une pièce maîtresse sur l’échiquier politique.

Emprisonné depuis plus de 10 ans à La Haye, Bemba a été reconnu coupable de deux chefs de crimes contre l’humanité (meurtre et viol) et de trois chefs de crimes de guerre (meurtre, viol et pillage) rappelle pour sa part le site Politico.cd.

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Ces crimes ont été commis lors de l’opération menée en République centrafricaine du 26 octobre 2002 ou vers cette date jusqu’au 15 mars 2003 par un contingent du Mouvement de Libération du Congo (MLC). Il a été condamné en première instance à une peine de 18 ans de prison,

Géométrie variable

Coïncidence bienvenue ! C’est également pendant cette même semaine qu’en France, et également en appel, a été rendue une décision définitive dans l’affaire Jérôme Cahuzac.

L'ancien ministre du Budget de François Hollande a été condamné à quatre ans de prison dont deux fermes pour fraude fiscale (faits qu’il avait juré solennellement, devant l’Assemblée nationale, n’avoir pas commis,) et espère éviter la prison grâce à un aménagement de peine

6

. On nous le décrit ainsi

« Son regard fuit les caméras. Fatigué, Jérôme Cahuzac arrive au tribunal mardi 15 mai pour écouter son jugement. Une heure plus tard, il ressort soulagé et souriant. Il vient d'écoper de 300 000 euros d'amende et quatre ans de prison, dont deux fermes. Une condamnation lourde qu'il ne commente pas. Pour ses avocats, c'est une décision juste. "C'est une réelle victoire de la justice, parce que cette décision est équilibrée. Elle rappelle évidemment la gravité des faits, elle rappelle le mensonge de Jérôme Cahuzac, elle rappelle sa responsabilité dans sa plénitude. (...) Jérôme Cahuzac ne mérite pas la prison", a déclaré Me Éric Dupond-Moretti.

3Dans son édition du jeudi 31 mai 2018

4Dans son édition du jeudi 31 mai 2018

5Dans un article « posté » le jeudi 31 mai 2018

6Source France 3 Télévision le 16/05/2018

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Il est ressorti libre

La peine est plus clémente qu'en première instance. Elle lui permet de ne pas être automatiquement incarcéré. Jérôme Cahuzac pourrait échapper à la prison en obtenant un aménagement de peine. L'ancien ministre du Budget avait persisté dans le déni pendant plusieurs mois. Un mensonge encore inacceptable pour François Hollande. Jérôme Cahuzac, désormais inéligible pour cinq ans, vit reclus dans sa maison en Corse ».

La répression des « criminels en col blanc », ceux que l’on appelle en RDC des

« kulunas en cravate », qu’il s’agisse de personnalité politiques ou d’hommes d’affaires, sucite invariablement des commentaires de deux ordres.

D’une part, l’on souligne généralement la modération des peines prévues par la loi, même lorsqu’on écope du maximum, le fait que les peines prononcées, s’agissant presque toujours d’une première condamnation, sont alors assorties du sursis et que, dans l’esprit de beaucoup de citoyens, on ne voit pas que « Justice est faite » puisqu’on ne voir pas le condamné sortir du prétoire, enchaîné entre deux gendarmes et à destination du « gniouf ».

S’y ajoute, dans le cas de Cahuzac, le fait que la condamnation a été réduite en appel, de sorte qu’elle ne dépasse pas, en pratique, le seuil des deux ans, ce qui rend l’ex-ministre bénéficiaire des mesures « d’aménagement des peines » dues à la Garde des Sceaux Christiane Taubira. Cela a permis au chœur de ceux qui se lamentaient d’atteindre une dimension d’unité nationale, puisque cela s’étalait de l’extrême-gauche (qui criait bien sûr à la justice de classe) à l’extrême-droite (qui conspuait tant Cahuzac, « crapule socialiste » que l’auteure de l’aménagement des peines, Taubira, la « guenon bouffeuse de bananes »).

En fait, la population a l’impression que la Justice n’est pas la même pour tous, qu’elle n’est sévère et impitoyable que pour les citoyens ordinaires, mais qu’elle pratique une Géométrie variable qui la rend douce et accommodante envers les puissants et les nantis.

D’autre part, et avec tout autant de fréquence, on ne manque pas de souligner que les politiciens ont des adversaires politiques et les riches hommes d’affaires, des concurrents parfois déloyaux, et que certaines affaires arrivent à point nommé pour « éliminer la concurrence ».

Et, dans certains cas, il y a des circonstances troublantes. Qui peut nier que les ennuis judiciaires de Fillon et de Sarkozy dont tombés à point nommé pour faciliter l’élection d’E.

Macron ? Qui peut nier que l’un des témoins-clés de « l’affaire Fillon », celui de « l’affaire des costumes », Robert Bourgie, est un ancien « porteur de valises » de la Françafrique, qui s’est même rêvé, autrefois, successeur de Foccart ? Qui peut croire que seule une « coïncidence » fait que, subitement, des anciens des « Services » de Kadhafi surgissent de leurs cachettes, retrouvent la mémoire et parlent d’autre valises, celles envoyées de Tripoli à Sarkozy ?

De même, qui peut nier que l’arrestation de Bemba « tombait à pic » pour débarrasser JKK d’un opposant coriace et ayant de gros moyens ? Qui, également, peut douter que le Président jamais élu pourrait ne pas voir d’un mauvais œil le retour d’un acteur de poids dans l’opposition, dans la mesure où celle-ci n’est pas encore assez divisée pour être réduite à l’insignifiance.

Et là, l’imagination se donne encore davantage libre cours… On n’hésite pas, dans bien des cas, à parler de « coups montés », de « machination » ou de « complot » (encore un !). Ne va-t-on pas jusqu’à considérer la CPI comme un tribunal créée spécialement pour débarrasser les Maîtres du Monde et leurs complices, les dictateurs africains, de leurs opposants les plus gênants ?

Certes, Herman Cohen se défendrait sans doute d’avoir des vues de ce genre, en arguant

qu’il ne parle pas de l’avantage d’une libération de Bemba représenterait pour telle ou telle

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personne, mais parce que Jean-Pierre Bemba, leader politique du nord-ouest de la RDC a un rôle évident à jouer dans cette période préélectorale avec un gouvernement en place qui entend tout faire pour « pourrir » les élections car même si sa condamnation doit l’empêcher de se présenter à la magistrature suprême, sa seule libération en ferait une pièce maîtresse sur l’échiquier politique .

Qu’en termes élégants ces choses-là sont mises ! Il ne s’agirait donc pas de justice à géométrie variable suivant le « Selon que vous serez puissant ou misérable… » du fabuliste, mais bien d’une opération de rééquilibrage politique dans l’intérêt général.

On se demande quand même un peu qui détermine quel est « l’intérêt général » des Congolais et comment il s’y prend… En tous cas, il semble bien que cela se décide à Washington ou à La Haye, assez loin, finalement, du Congo.

D’autre part, si l’on est d’avis que « l’intérêt général » des Congolais exige de « rebattre les cartes », pourquoi vouloir le faire en jetant la carte Bemba sur la table, comme si c’était le Joker ? Contraindre Kabila à renoncer immédiatement à la Présidence ne serait-il pas plus sûr ? Car c’est ce titre qui lui donne le commandement de l’armée et de la police. Or, que s’est-il passé en 2006 ? Il s’est passé que JKK s’est imposé par la force et que Bemba a cherché son salut dans la fuite !

Au MLC, on aime user d’une formule elliptique, du genre « La CPI nous a enlevé notre chairman ». Cela donne l’impression qu’une soucoupe volante a enlevé Bemba au beau milieu de Kinshasa. En réalité, après que Kabila l »ait contraint à coups de canon d’accepter sa victoire, il a fui au Portugal, puis a commis l’imprudence de se rendre en Belgique, où l’on ne plaisante pas avec les mandats d’arrêt, et crac… dans la souricière ! Cela n’a été possible que pour une raison : JKK avait le contrôle des forces de répression.

Il s’ensuit logiquement que le meilleur moyen de « rebattre les cartes » serait de contraindre Kabila à « dégager », non de libérer Bemba.

La responsabilité du chef

Les notions juridiques telles que les crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou encore génocide, se sont développées essentiellement dans le contexte particulier des dernières années ’40, au lendemain de la victoire des Alliés sur les puissances de l’Axe. Cela ne signifie pas que ces notions n’existaient pas auparavant, sur le plan de l’éthique ou de la morale, mais bien que ces crimes n’avaient pas été définis strictement en droit, comme il sied dès lors qu’une définition stricte est de rigueur parce qu’on doit en faire une application pénale. Faire du droit pénal une application « élastique » serait ouvrir la porte à l’arbitraire. Donc, il n’y a pas de peine sans texte et une loi pénale ne peut être rétroactive, afin d’épargner au législateur la tentation de légiférer « sur mesure ».

A Nuremberg, on a toutefois estimé que si des faits tels que les crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou génocide n’étaient pas encore inscrits dans le droit positif (les textes de loi) au moment où ils avaient été commis, ils étaient unanimement réprouvés par la conscience morale de l’humanité pour les réprimer de la façon la plus sévère qui soit, par la peine de mort.

Le contexte posait encore un autre problème. Commis en temps de guerre, la plupart des faits susceptibles d’être poursuivis se situaient dans un cadre militaire, paramilitaire (milices) ou avaient impliqué dans une notable mesure la participation des forces armées. Cela impliquait que les faits s’étaient déroulés dans un cadre très hiérarchisé, strictement discipliné et où l’obéissance aux ordres est une règle quasi sacrée.

Intervenait aussi la grande division du travail. Arrêter des gens, les détenir, les

transporter entre leurs différents lieux de détention, les garder pendant tout ce temps et,

finalement, les faire mourir et donner, à divers échelons hiérarchiques, l’ordre de faire tout cela,

faisait intervenir tant de gens que la plupart d’entre eux ne voyaient même pas leurs victimes !

(9)

Entre un soldat qui n’avait fait qu’obéir aux ordres et un général qui pouvait dire sans mentir ne jamais n’avoir même aperçus les victimes, quelques officiers et sous-offs entre les deux…. où chercher les vrais responsables ? L’on était dangereusement proche de la situation où tout le monde est responsable, ce qui en pratique revient à dire que personne ne l’est !

Autre échappatoire, elle aussi basée sur la notion d’obéissance, il y avait le rejet de toute responsabilité sur l’autorité suprême. Au bout du compte, il n’y aurait eu dans le monde entier que deux hommes vraiment méchants : Hitler et Mussolini, morts tous les deux. C’était bien commode !

Enfin, un contexte fortement hiérarchisé amène avec lui un genre particulier de responsabilité : la responsabilité par omission

7

. En effet, un haut gradé peur être considéré parfois comme coupable de ne pas avoir donné un ordre qui aurait été nécessaire pour empêcher que le crime ait lieu.

Encore que l’on puisse sourire à la comparaison des hordes plus ou moins dépenaillées des seigneurs de la guerre africains avec la Wehrmacht, c’est toujours sur cette notion de répartition des responsabilités au sein de la hiérarchie que l’on passe le plus de temps à discuter et même à ergoter lors des procès intentés devant la CPI, mais aussi devant les autres tribunaux appelés à connaître de tels crimes.

La question reste toujours la même : quel est le véritable coupable ? Le soldat qui a effectivement du sang sur les mains ? Ou son commandant qui, sans être forcément présent sur place, lui en a donné l’ordre ?

En obtenant la condamnation de Bemba, Fatou Bensouda a fait faire un pas en avant non pas au droit, mais à la jurisprudence, favorable aux victimes de la violence politique. Elle a fait triompher le principe de la « responsabilité du chef ». Et l’on est en droit de trouver bon et beau que ce principe ait trouvé sa première application concrète à la demande d’une femme noire, c’est à dire à l’écoute d’un réquisitoire prononcé par une voix venue du groupe qui, plus que tout autre sur la planète, victime de violences souvent pires que la mort.

Jean-Pierre Bemba avait plaidé non coupable lors de l'ouverture de son procès en novembre 2010, deux ans après son arrestation à Bruxelles, en vertu d'un mandat d'arrêt de la CPI. Il était accusé de trois crimes de guerre et de deux crimes contre l'humanité: meurtres, viols et pillages.

Quelque 1.500 hommes en armes de l'ancien chef rebelle s'étaient rendus en Centrafrique en octobre 2002 pour soutenir le président Ange-Félix Patassé, victime d'une tentative de coup d'Etat menée par le général François Bozizé. Là, ils ont violé, pillé et tué, a assuré la juge, égrenant une longue liste de viols, souvent accompagnés d'autres violences, commis par les troupes de Jean-Pierre Bemba. Plus de 5.200 victimes ont été reconnues dans cette affaire, le plus grand groupe dans l'histoire de la CPI.

François Bozizé avait finalement renversé Ange-Félix Patassé en 2003 avant d'être lui- même renversé en mars 2013 par la rébellion à dominante musulmane de la Séléka, ce qui a précipité la Centrafrique dans un cycle de violences intercommunautaires. Elles ont culminé fin 2013 par des massacres à grande échelle et le déplacement forcé de centaines de milliers de personnes.

Le procès a été entaché d'accusations de subornation de témoins, menant même à l'arrestation de plusieurs proches de M. Bemba.

7Voir, en seconde partie La responsabilité du supérieur et la responsabilité par omission (CICR)

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La Cour pénale internationale (CPI) a reconnu l'ancien vice-président congolais Jean- Pierre Bemba coupable de crimes contre l'humanité pour des meurtres et des viols commis par sa milice en Centrafrique en 2002-2003, un jugement "historique" pour le procureur et des ONG.

"La chambre déclare Jean-Pierre Bemba coupable en tant que personne faisant effectivement fonction de chef militaire", a affirmé la juge Sylvia Steiner, expliquant qu'il

"agissait de fait en tant que commandant militaire et avait le contrôle effectif de ses troupes".

Selon la défense, il n'y avait "aucune preuve d'un ordre venant de M. Bemba vers ses troupes en Centrafrique" mais les juges ont estimé que par téléphone, radio ou téléphone satellite, Jean-Pierre Bemba était en "contact constant" avec ses troupes. "Il avait une ligne directe de communication, il pouvait émettre des ordres et c'est ce qu'il a fait", a affirmé la juge Steiner.

Ancien chef rebelle du nord de la République démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba était en effet poursuivi, non en tant qu'auteur ou co-auteur mais en vertu du principe de la "responsabilité du commandant".

Agé de 53 ans, l'ancien homme d'affaires, vêtu d'un costume sombre et d'une cravate lie-de- vin, semblait tendu en écoutant le prononcé du jugement.

Il s'agit du premier jugement condamnant un commandant militaire et le premier de la CPI à condamner l'utilisation de viols et violences sexuelles en tant que crimes de guerre. Il risque

jusqu'à 30 ans de détention ou la prison à perpétuité, si les juges estiment que l'"extrême gravité du crime" le justifie.

"Je pense qu'il était déçu", a affirmé à l'AFP l’avocat de Bemba, Peter Haynes après le jugement de première instance. «Je dois lire le jugement et voir s'il peut être critiqué et si c'est le cas, nous nous retrouverons devant la chambre d'appel assez rapidement".

A Kinshasa, des militants de son parti, le Mouvement de libération du Congo (MLC) se sont dits "tristes" de ce verdict, certains affirmant "douter de la crédibilité de la CPI" qui

"s'acharne contre les Africains, particulièrement les Congolais".

"Je crois que c'est un jour très important pour la justice pénale internationale surtout en ce qui concerne les crimes sexuels", a affirmé Fatou Bensouda, ajoutant que ce jour était

"historique".

Pour Amnesty International, le jugement est "historique". "Le jugement est un message clair que l'impunité pour des violences sexuelles en tant qu'outil de guerre ne sera pas tolérée", a affirmé Samira Daoud dans un communiqué.

Ce jugement "est un rappel vibrant aux supérieurs – militaires et civils – qu’ils ont la responsabilité d’éviter et de faire cesser les attaques commises par leurs soldats sur des civils", a assuré Géraldine Mattioli-Zeltner, de l'organisation Human Rights Watch.

" Ce premier verdict coupable à la CPI pour violences sexuelles met en lumière l’utilisation du viol comme arme de guerre", a-t-elle ajouté, évoquant "l'important besoin de justice" pour ces crimes en République démocratique du Congo, d'où Jean-Pierre Bemba est originaire.

Ce commentaire de HRW ne manque pas de piment, en ce sens que Jean-Pierre Bemba

est bien originaire de la République démocratique du Congo, mais que « ces crimes » ont été

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commis en République Centrafricaine. Bemba n’a jusqu’ici jamais été inquiété pour les divers massacres qu’on lui impute dans son propre pays, et qui seraient encore bien plus graves que ses « exploits » centrafricains !

Retour à la lettre de Cohen

En tant qu’exercice de rédaction, écrire sa lettre à la procureure de la CPI était pour Herman Cohen une tâche plutôt délicate. Le but de cette missive est en effet de demander à sa destinataire de renoncer au moins en partie à ce qu’elle considère à juste titre, non seulement comme un beau succès personnel, mais aussi comme un « fait historique ». Quelles que soient les formes sous lesquelles on emballe la chose, il s’agit, ni plus, ni moins, d’obtenir de la CPI un jugement analogue à celui que nous évoquions plus haut à propos de Cahuzac : un jugement sévère dans la forme mais comportant, au niveau de la peine, suffisamment d’indulgence pour ne pas trop gêner le condamné « qui peut encore rendre des services à son pays ».

Il va, dans ce but, user de deux arguments, dont l’un est mauvis, l’autre exécrable, et en oublier un troisième, qui pourtant ne serait pas sans valeur.

Il admet que Bemba devait être condamné pour les faits qui sont reprochés à ses hommes, lors de leur intervention en République de Centrafrique, mais rappelle dans la foulée que Jean-Pierre Bemba a été condamné pour les atrocités perpétrées par ses troupes du MLC en République de Centrafrique, mais qu’il n’a jamais été prouvé qu’il était personnellement impliqué dans ces atrocités, ni même qu’il commandait ses troupes qui commettaient ces atrocités. C’est-à-dire qu’il remet en question le principe de la « responsabilité du chef » pour se réfugier derrière l’absence de preuves matérielles. Argument des plus exécrables !

Sans aller jusqu’à évoquer les applications les plus avancées de la technologie de pointe qui permettent aux salles des opérations des Etats-majors d’assister en direct aux opérations, tout le monde sait que, dans l’état actuel de ces technologies, il est possible à toute personne qui a les moyens de les acquérir (et ,Bemba ne manquait pas de moyens financiers), de gérer en connaissance de cause des opérations lointaines sans avoir besoin d’être sur place. Faire comme si on ne le savait pas revient à demander au Procureur de démontrer que la Terre tourne si, d’aventure, au cours d’un procès, quelqu’un fait allusion à l’heure…

D’autre part, Cohen parle de négligence dans le chef de Bemba et insiste sur le fait que les dix ans déjà passées derrière les barreaux sont à ses yeux suffisants. A nouveau, ce faisant, il attaque un jugement qu’il prétend pourtant ne pas remettre en question, puisque cela revient à dire que Bemba ne serait coupable que de crimes »par négligence » et non d’actes volontaires et délibérés. La différence est à peu près la même que celle qui sépare un chauffard ayant causé un accident mortel de la route d’un assassin !

Cela l’amène à dire qu’aujourd’hui, après 10 ans de détention et alors qu’il a été condamné à 18 ans de prison pour crime de guerre et crime contre l’humanité, et à un an dans un dossier de subordination de témoins, Bemba devrait être libéré à l’occasion de son procès en appel le 8 juin 2018.

En fait, on a du mal à comprendre pourquoi, alors que l’assassinat d’une seule personne peut justifier une condamnation à la détention perpétuelle, un massacre de masse devrait recevoir une peine plus légère !

Des deux arguments mis en avant par Cohen, l’un est franchement exécrable et l’autre

ne pèse pas bien lourd. Une situation qui dissimule mal que son seul motif est purement

politique : il lui semble que la libération de Jean-Pierre Bemba devrait lui permettre de jouer un

rôle politique dans son pays « dans une période de crise politique intense ».

(12)

C’est pauvre, compte tenu du fait qu’il y aurait moyen de plaider en faveur de Bemba sur une base toute différente.

La guerre au cours de laquelle les crimes reprochés à Bemba ont été commis opposait deux prétendants au pouvoir en RCA : Bozize et Patasse. Il est assez indifférent de savoir qu’au moment précis de l’intervention des miliciens MLC, Patasse était au pouvoir et Bozize en rébellion, car ce conflit entre ces deux mêmes hommes durait depuis des années, alternant élections truquées, tentatives de coup d’Etat et guerres civiles. Patasse est mort, Bozize, renversé, vit en exil au Cameroun, Bemba est en prison.

En toute équité, un procès visant à faire justice des crimes de guerre commis durant cet épisode de l’histoire centrafricaine aurait dû se faire à charge d’au moins trois prévenus : les deux belligérants centrafricains et Bemba « puissance étrangère invitée » par Patasse. Et il est évident que bemba, dans le rôle du « seul des trois qui s’est fait prendre », fait quelque peu figure de bouc émissaire ou de « lampiste ».

La situation idéale, c’est celle qui prévalait au procès de Nuremberg : avoir tous les présumés coupables sous la main, dans un seul procès. Et pourtant, même là, il y a eu des appréciations très différentes quant au degré de culpabilité de certains détenus. Elles n’ont pas toujours correspondu à des options idéologiques différentes, comme à propos de Schacht, envers qui le procureur soviétique fut particulièrement sévère, en vertu du principe marxiste de la primauté de l’économie. Mais il advint aussi que Français et Britanniques s’opposassent aux Américains et aux Soviétiques

8

. Ainsi, Albert Speer a été reconnu coupable de deux chefs d’accusation (crimes de guerre et contre l’humanité), mais sa condamnation a fait l’objet de débats : Biddle (US) et Nikitchenko (URSS) votèrent la mort, Donnedieu de Vabres (F) et (GB) plaidaient pour 10 ans de prison. Biddle les rejoignit sur 20 ans de prison.

Quand, à propos du même homme, les appréciations varient du maximum à 10 ans et que le curseur, finalement, s’arrête à 20 ans sans que l’on sache trop pourquoi, on est tout de même amené à se poser des questions… Et, en tous cas, l’absence de certains accusés ne doit pas simplifier les choses.

Alors ? Bemba a-t-il payé pour les absents ?

Il est très difficile de répondre à une question de ce genre. Bien sûr « tomber à bras raccourci sur le lampiste » n’est pas une règle morale, et encore moins une règle de droit. Et tous les magistrats du monde, qu’ils soient assis ou debout, jureraient sans doute, en toute bonne foi, qu’ils s’efforcent de ne pas agir ainsi. Mais nous savons tous que, quand la chose se présente en pratique, nous ressentons fortement la tentation de dire « Celui-là payera pour tous les autres ».

Mais peut-être cette question n’est-elle pas de saison. Peut-être la singulière clémence de la Cour s’explique-t-elle précisément par cette absence des co-responsables. Car enfin, une peine de 18 années de prison pour des tueries ayant fait au minimum de 5200 victimes, ce n’est pas cher payé !

Il ne faut donc pas trop se leurrer. Les chances qu’a Bemba de sortir libre du tribunal sont fort minces. Et cela ne changerait pas grand-chose à la crise .politique congolaise. Pour que ce changement se produise, il faudrait tuer Kabila. Bemba n’en a pas été capable, même à l’époque où il aurait pu le faire. Et la prison rend rarement les hommes plus courageux…

8Les divergences ne portèrent pas seulement sur les peines, mais aussi sur le mode d’exécution. Donnadieu de Vabres aurait souhaité que les militaires soient fusillés. Ils finirent par être pendus, comme tout le monde…

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SERVICES CONSULTATIFS

EN DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE ____________________________________

La responsabilité du supérieur et La responsabilité par omission

Le droit international humanitaire (DIH) prévoit un système de répression des violations de ses dispositions basé sur la responsabilité pénale individuelle des auteurs de ces violations. Ces dernières peuvent également être commises par

« omission ». Dans les situations de conflit armé, les forces ou groupes armés sont généralement placés sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés. Pour que le système de répression soit efficace, par conséquent, il faut que la responsabilité individuelle des supérieurs hiérarchiques soit engagée lorsqu'ils omettent de prendre les mesures adéquates pour empêcher que leurs subordonnés ne commettent des violations graves du DIH. Les États sont tenus d’incorporer dans leur législation nationale des dispositions prévoyant une sanction pour les supérieurs hiérarchiques qui manquent à leur devoir d’agir.

La responsabilité du supérieur hiérarchique – Introduction

La notion de responsabilité du supérieur hiérarchique fait intervenir deux concepts de responsabilité pénale.

Le premier est que le supérieur peut être tenu directement responsable d’avoir ordonné à ses subordonnés de commettre des actes illicites. Dans ce cas, les subordonnés qui invoquent pour leur défense l’obéissance à des ordres supérieurs (« défense d’ordres supérieurs ») peuvent échapper à la responsabilité de leurs actes selon que, dans les circonstances de l’espèce, ils auraient dû obéir ou désobéir aux ordres de leurs supérieurs.

Ce premier concept est à distinguer du second, appelé « responsabilité du supérieur », selon lequel le supérieur hiérarchique peut être tenu responsable de la conduite illégale d’un subordonné. Il s’agit là d’une forme de responsabilité indirecte qui est fondée sur le manquement à un devoir d’agir (« omission »).

La responsabilité de l'auteur direct pour omission

Le système de répression des

« infractions graves » établi par les Conventions de Genève de 1949 vise les « personnes ayant commis, ou donné l'ordre de commettre », une de ces infractions. La responsabilité pénale est également engagée lorsque l'infraction grave résulte d’une omission d'agir. De même qu’un homicide peut être commis par omission d’alimentation ou de soins, l’infraction grave consistant à priver un prisonnier de guerre de son droit d'être jugé régulièrement et impartialement peut être commise – et est généralement commise – par omission.

Plus explicite, l'article 86, par. 1, du Protocole additionnel I de 1977 précise ce qui suit :

« Les Hautes parties contractantes et les Parties au conflit doivent réprimer les infractions graves et prendre les mesures nécessaires pour faire cesser toutes les autres infractions aux Conventions ou au présent Protocole qui résultent d'une omission contraire à un devoir d'agir. »

Les infractions graves visées à l'article 85 du Protocole additionnel I comprennent également des infractions généralement commises

par omission, comme le retard injustifié dans le rapatriement de prisonniers de guerre ou de civils.

La responsabilité du supérieur pour omission

Il s'agit ici de la responsabilité du supérieur qui manque à ses devoirs en ne faisant rien pour empêcher ses subordonnés de commettre des violations du DIH ou pour les punir s’ils en commettent. En substance, le défaut d’action ou l’omission engage la responsabilité pénale du supérieur.

Les procès qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale

La question de la responsabilité du supérieur est devenue une problématique importante pendant la Seconde Guerre mondiale. Si le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg ne contient aucune règle à cet égard, les décisions rendues dans le cadre des procès de l'après-guerre ont précisé les contours de cette responsabilité.

Le concept de la responsabilité du supérieur, selon lequel l’omission contraire à un devoir d’agir engage la responsabilité pénale dudit supérieur, peut se résumer ainsi :

(14)

Ÿ il s'agit d'un supérieur, c'est-à- dire d'une personne ayant autorité sur un subordonné;

Ÿ le supérieur savait ou aurait dû savoir que le crime avait été commis ou était sur le point d’être commis;

Ÿ le supérieur avait la capacité d'empêcher la conduite criminelle;

et

Ÿ le supérieur n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour prévenir ou réprimer la conduite criminelle.

Les Conventions de Genève de 1949

Les Conventions de Genève n’abordent pas cette question, qui doit être réglée par la législation nationale, soit par disposition expresse, soit par application des règles générales du droit pénal.

Le Protocole additionnel I de 1977 Les principes issus des procès qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale ont été incorporés dans l’article 86, par. 2 du Protocole additionnel I :

« Le fait qu'une infraction aux Conventions ou au présent Protocole a été commise par un subordonné n'exonère pas ses supérieurs de leur responsabilité pénale ou disciplinaire, selon le cas, s'ils savaient ou possédaient des informations leur permettant de conclure, dans les circonstances du moment, que ce subordonné commettait ou allait commettre une telle infraction, et s'ils n'ont pas pris toutes les mesures pratiquement possibles en leur pouvoir pour empêcher ou réprimer cette infraction ».

Le Protocole additionnel I précise, dans son article 87, les devoirs et obligations qu'ont les commandants militaires en ce qui concerne leurs subordonnés. Les supérieurs doivent en particulier empêcher que ceux-ci ne commettent des infractions graves et, s’ils en commettent, ils doivent les réprimer et les dénoncer aux autorités compétentes. Un commandant n'encourt de responsabilité pénale pour omission que s’il a failli à ces devoirs.

On entend par « supérieur » une personne qui est individuellement responsable des actes commis par des subordonnés placés sous son contrôle.

La question du degré de connaissance que le supérieur devrait avoir des actes ou des intentions de ses subordonnés n’est pas facile à résoudre. La connaissance qu’a le supérieur ne peut pas être présumée, mais seulement établie par des preuves indirectes. Une connaissance réelle des crimes par le supérieur n’est pas nécessairement requise, une connaissance par interprétation pouvant être suffisante. Il convient de garder à l’esprit que le supérieur qui néglige de se tenir informé engage également sa responsabilité.

La responsabilité du supérieur n’est pas un type de responsabilité strict.

Le devoir d'agir du supérieur consiste à mettre en œuvre les mesures qui sont nécessaires ou raisonnables pour empêcher la commission de crimes par ses subordonnés ou la réprimer. Seules les mesures qui sont en son pouvoir sont exigées.

Le droit coutumier

La règle 153 de l’Étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier1 se lit ainsi : « Les commandants et autres supérieurs hiérarchiques sont pénalement responsables des crimes de guerre commis par leurs subordonnés s’ils savaient, ou avaient des raisons de savoir, que ces subordonnés s’apprêtaient à commettre ou commettaient ces crimes et s’ils n’ont pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en leur pouvoir pour en empêcher l’exécution ou, si ces crimes avaient déjà été commis, pour punir les responsables. » Il est précisé aussi que selon la pratique des États, cette règle constitue une norme du droit international coutumier applicable dans les conflits armés tant internationaux que non internationaux.

L'omission du supérieur

considérée comme une infraction grave

Les limites de la responsabilité pénale pour omission ne sont pas clairement fixées en droit pénal. Une difficulté s’ajoute à cela en droit international humanitaire : l’omission contraire à un devoir d’agir n’y est pas expressément qualifiée d'infraction grave, alors que, précisément, l'obligation pour les États de réprimer ou d'extrader au titre de la compétence universelle porte uniquement sur les infractions graves.

1Voir

http://www.icrc.org/fre/resources/document s/publication/pcustom.htm

Dans le système de répression établi par le DIH, l’omission engageant la responsabilité pénale du supérieur est considérée comme une forme de participation à la commission du crime en cause.

La jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux ad hoc2 Tout d’abord, la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux ad hoc a précisé le degré de responsabilité d’un supérieur qui a omis de prendre des mesures à l’encontre de ses subordonnés, en mentionnant que la responsabilité du supérieur pour manquement à son devoir doit être mise en balance avec les crimes de ses subordonnés : un commandant n’est pas responsable au même titre que s’il avait commis le crime lui-même, mais sa responsabilité est évaluée à l’aune de la gravité des infractions commises.

Cette jurisprudence a également clarifié les conditions régissant, en droit international humanitaire, la responsabilité des supérieurs à l’égard des infractions commises par leurs subordonnés. Il est précisé en particulier qu'il n'est pas nécessaire d’être un supérieur hiérarchique de jure de l’auteur direct d’un crime pour être tenu pénalement responsable des actes de celui-ci : il suffit d’exercer une autorité de facto sur l'auteur direct du crime. Ce qui importe réellement est de déterminer si le supérieur avait effectivement le pouvoir de contrôler les actes de ses subordonnés. À cet égard, les tribunaux internationaux ad hoc appliquent un test de « contrôle effectif » fondé sur les éléments de preuve spécifiques de chaque cas, qui vise à établir si le supérieur avait la capacité matérielle de prévenir une conduite criminelle et de la réprimer.

La jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux ad hoc a en outre précisé clairement que l’appartenance à un corps militaire n'était pas une condition nécessaire et que des dirigeants politiques ou des supérieurs hiérarchiques civils pouvaient aussi être tenus responsables de la commission de crimes de guerre par des subordonnés. Elle a enfin confirmé qu'un rapport de causalité directe entre l'omission du supérieur et la commission du crime n'est pas

2Le Tribunal pénal international pour l’ex- Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda

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03/2014 nécessaire pour que la responsabilité

du supérieur soit engagée.

La responsabilité des supérieurs hiérarchiques selon le Statut de la Cour pénale internationale (CPI) Le Statut de la CPI distingue deux types de responsabilité du supérieur.

La responsabilité des chefs militaires

L'article 28 du Statut précise qu'un chef militaire ou une personne faisant

« effectivement » fonction de chef militaire est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des forces ou personnes placées sous son commandement et son contrôle effectifs, ou sous son autorité et son contrôle effectifs, dans les cas où : Ÿ il ou elle savait, ou, en raison des

circonstances, aurait dû savoir, que ces forces ou personnes commettaient ou allaient commettre ces crimes; et

Ÿ il ou elle n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites.

La responsabilité des supérieurs hiérarchiques civils

De même, en ce qui concerne les relations entre supérieurs et subordonnés dans un contexte non militaire, le supérieur hiérarchique est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs dans les cas où :

Ÿ il savait que ces subordonnés commettaient ou allaient commettre ces crimes ou a délibérément négligé de tenir compte d'informations qui l'indiquaient clairement;

Ÿ ces crimes étaient liés à des activités relevant de sa responsabilité et de son contrôle effectifs; et

Ÿ il n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en

empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites.

La responsabilité pour omission dans un conflit armé non international

Les Conventions de Genève et leur Protocole additionnel II de 1977 ne font pas expressément mention d'une responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques pour des infractions commises par leurs subordonnés pendant un conflit armé non international. Il convient cependant de relever que le principe d'un commandement responsable au sein des groupes armés est l’une des conditions d'application du Protocole additionnel II. Quant à la pratique des États, un nombre croissant de législations pénales nationales prévoient la responsabilité pénale des supérieurs pour tous les crimes de guerre, indépendamment du caractère international ou non international du conflit armé dans le cadre duquel ils ont été commis.

Les Statuts du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (art. 7, par. 3) et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (art. 6, par. 3), le Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (art. 6, par. 3), le Règlement 2000/15 de l’ATNUTO pour le Timor-Leste, ainsi que le Statut de la CPI (art. 28), affirment expressément la responsabilité des supérieurs, notamment pour omission, à l’égard des crimes commis par leurs subordonnés dans le cadre d'un conflit armé non international. Cette forme de responsabilité s'applique à l'ensemble des crimes soumis à la compétence de ces juridictions. Dans son article 4, le Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda établit expressément la compétence du Tribunal pour les violations graves de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II, qui s’appliquent aux situations de conflit armé non international. Le Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone fait de même dans ses articles 3 et 4. Ce tribunal a en outre compétence à l’égard de certaines autres violations graves du DIH commises dans le pays. Quant à la CPI, son article 8,

par. 2. c) et e) établit sa compétence à l’égard des violations graves de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et des autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international, pour lesquelles un supérieur hiérarchique peut donc être tenu responsable.

Enfin, comme cela est mentionné plus haut, la règle 153 de l’Étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier est applicable aux conflits armés non internationaux

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La Revue des droits de l’homme

Revue du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux

Actualités Droits-Libertés | 2016

Affaire Bemba : La CPI fixe les critères

d’appréciation de la responsabilité pénale du chef militaire et du supérieur hiérarchique

Cour pénale internationale (Art. 28 du Statut de Rome)

Ghislain Mabanga

Édition électronique

URL : http://revdh.revues.org/2072 DOI : 10.4000/revdh.2072 ISSN : 2264-119X

Éditeur

Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux

Référence électronique

Ghislain Mabanga, « Affaire Bemba : La CPI fixe les critères d’appréciation de la responsabilité pénale du chef militaire et du supérieur hiérarchique », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 25 mars 2016, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://

revdh.revues.org/2072 ; DOI : 10.4000/revdh.2072

Ce document a été généré automatiquement le 30 septembre 2016.

Tous droits réservés

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Affaire Bemba : La CPI fixe les critères d’appréciation de la responsabilité

pénale du chef militaire et du supérieur hiérarchique

Cour pénale internationale (Art. 28 du Statut de Rome)

Ghislain Mabanga

1 À ce stade, deux précisions sont importantes pour mieux saisir la portée du jugement du 21 mars 20161. La première précision porte sur l’historique de l’affaire. À titre de rappel, M. Jean-Pierre Bemba Gombo était président d’un mouvement rebelle dénommé le

« Mouvement de libération du Congo » (MLC), implanté dans la province de l’Équateur en République démocratique du Congo. Ce mouvement rebelle disposait d’une branche armée dénommée l’ « Armée de libération du Congo » (ALC) dont il était le commandant en chef. Lorsque, en 2002, le Général François Bozizé Yangouvonda fit défection des Forces armées de la République centrafricaine et constitua une rébellion qui, en quelques jours, pénétra à Bangui, le président de la République alors en exercice, Ange-Félix Patassé, fit appel à Jean-Pierre Bemba pour lui porter secours et mâter cette rébellion.

C’est dans ce contexte que M. Bemba dépêcha en République centrafricaine (RCA) trois bataillons composés d’environ 1 500 hommes, qui y stationnèrent du 26 octobre 2002 au 15 mars 2003, soit environ cinq mois. Il leur est reproché d’y avoir commis de nombreux meurtres, viols et pillages. La Chambre préliminaire III a retenu deux chefs de crimes contre l’humanité par viol (article 7-1-g) et meurtre (article 7-1-a), et trois chefs de crimes de guerre par viol (article 8-2-e-vi), meurtre (article 8-2-c-i) et pillage d'une ville ou d'une localité (article 8-2-e-v). Jean-Pierre Bemba est poursuivi, de ces chefs, comme

« pénalement responsable, au sens de l’article 28-a du Statut » (Décision sur la confirmation des charges, p. 195). Le jugement du 21 mars 2016 a donc eu le mérite de permettre à la Cour, pour la toute première fois de son histoire, de faire application de l’article 28 du Statut.

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2 Pour être complet sur cette question, il est important de préciser qu’en cours de procédure et à la requête du Procureur, la Chambre préliminaire II émit, le 20 novembre 2013, un mandat d’arrêt contre M. Bemba, son conseil principal (Aimé Kilolo Musamba), le gestionnaire de dossiers de son équipe de défense (Jean-Jacques Mangenda Kabongo, un de ses collaborateurs politiques (Fidèle Babala Wandu) et un témoin de la défense (Narisse Arido). Il leur était reproché des faits d’atteintes à l’administration de la justice, en l’espèce, d’avoir supposément suborné 14 témoins de la défense et produit au dossier de l’affaire des éléments de preuve faux ou falsifiés. Cette affaire, appelée « affaire connexe », a été enrôlée au Greffe de la Cour sous le numéro ICC-01/05-01/13. Elle a fait l’objet d’une décision de confirmation des charges en date du 11 novembre 2014. Son procès, ouvert depuis le 29 septembre 2015, est toujours en cours devant la Chambre de première instance VII.

3 La deuxième précision porte sur la question de la responsabilité pénale devant la CPI. Elle est traitée à l’article 25 du Statut qui est relatif à la responsabilité pénale individuelle. Deux types de responsabilité pénale y sont prévus. Le premier est celui des auteurs principaux qui peuvent agir, soit par commission individuelle, soit par commission conjointe, soit par commission par intermédiaire (art. 25-3-a). Le deuxième est la participation criminelle par complicité, qui peut avoir lieu, soit par ordre, sollicitation ou encouragement (art. 25-3-b), soit par aide, concours ou assistance (art.

25-3-c), soit « de toute autre manière » (art. 25-3-d), soit, enfin, par incitation directe et publique à commettre le crime de génocide (art. 25-3-e). Qu’il agisse en tant qu’auteur principal ou complice, l’agent engage sa responsabilité pénale personnelle pour les crimes qu’il a lui-même commis ou aidé à commettre, ou dont il a facilité la commission. En revanche, la responsabilité pénale prévue à l’article 28 permet de poursuivre, sous certaines conditions, les chefs militaires et supérieurs hiérarchiques pour les crimes commis, non par eux-mêmes, mais bien par les troupes placées sous leur contrôle. C’est à ce dernier type de responsabilité pénale que s’est penché le jugement du 21 mars 2016. Il sera examiné à la lumière de l’interprétation qu’il donne des éléments caractéristiques de la responsabilité pénale du chef militaire et du supérieur hiérarchique (1°), mais aussi de l’applicabilité de l’article 28 au cas d’espèce (2°).

1°/- Les conditions de mise en œuvre de la

responsabilité des chefs militaires et supérieurs hiérarchiques

4 Ayant à l’esprit la controverse doctrinale existant sur la nature juridique de la responsabilité pénale prévue à l’article 28 par rapport à celle de l’article 25, la Chambre a, à titre liminaire, tenu à clarifier cette question. Recourant à cet effet à un argument a rubrica, elle a opté pour la thèse selon laquelle le mode de responsabilité prévu à l’article 28 du Statut est additionnel à ceux prévus à l’article 25 : « The plain text of Article 28 – ‘’[i]n addition to other grounds of criminal responsibility” – and its placement in Part 3 of the Statute indicate that Article is intended to provide a distinct mode of liability from those found under Article 25 » (§ 173). Il s’agit donc, pour la Chambre, d’un mode de responsabilité sui generis qui n’exclut pas que l’accusé puisse, par ailleurs, répondre pénalement de ses propres faits sur base des modes de responsabilité prévus à l’article 25 (§ 174).

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5 Ceci étant posé, la Chambre a fixé les conditions d’application de la responsabilité des chefs militaires et supérieurs hiérarchiques. Celles-ci reposent sur un certain nombre de facteurs, à la fois objectifs (A) et subjectifs (B).

A) Les facteurs objectifs

6 Les facteurs objectifs sont ceux liés aux crimes allégués. La Chambre en retient deux. Le premier facteur consiste en l’existence d’un ou de plusieurs crimes relevant de la compétence de la Cour. Ces crimes doivent avoir été effectivement commis par des forces pertinentes (§ 175).

7 Le deuxième facteur a, lui, trait au fait provocateur du ou des crimes allégués. Pour la Chambre, ces crimes doivent être le résultat d’un certain comportement de l’accusé sans lequel ils n’auraient pas été commis, du moins dans les circonstances dans lesquelles ils l’ont été (§ 213). Comme on peut s’en rendre compte, ce second facteur fait un lien entre les facteurs objectifs et les facteurs subjectifs.

B) Les facteurs subjectifs

8 Par facteurs subjectifs, il faudrait entendre ceux liés à la personne de l’accusé, plus précisément à sa qualité par rapport à ses troupes, à son aptitude à empêcher et à réprimer les crimes supposément commis par ses troupes, mais aussi à sa connaissance desdits crimes et aux mesures qu’il met en place pour y faire face. S’agissant de la qualité de l’accusé, il doit être, soit un « chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire » (art. 28-a du Statut), soit un supérieur hiérarchique. Par chef militaire, la Chambre entend, d’un côté, un commandant de jure, c’est-à-dire « a person who is formally or legally appointed to carry out a military command function » (§ 176). Il s’agit, concrètement, de toute personne régulièrement nommée et affectée dans une force d’une armée régulière. D’un autre côté, le terme « chef militaire » s’entend également d’

« individuals appointed as military commanders in non-gouvernmental irrégular forces, in accordance with their internal practices ou regulations, whether written or unwritten » (Idem), c’est-à-dire, en clair, des chefs rebelles. Les personnes faisant effectivement fonction de chefs militaires sont celles qui, sans avoir été formellement ou légalement désignées comme chefs militaires, agissent de facto en cette qualité (§ 177). Précision importante, il n’est pas nécessaire qu’un chef militaire ou une personne en faisant fonction exerce exclusivement des fonctions militaires (Idem). Tel est le cas des chefs d’État, qui sont par ailleurs revêtus de la qualité de chefs suprêmes des armées. Enfin, les supérieurs hiérarchiques sont, eux, toutes personnes qui, ne figurant pas dans les catégories précédentes, sont considérées comme des « superiors at every level, irrespective of their rank, from commanders at the higest level to leaders with a few men under their command » (§ 179).

9 Quant au comportement de l’accusé en rapport avec les crimes allégués, il est apprécié au regard de sa capacité à empêcher la commission du crime et à réprimer ou faire réprimer sa commission. Deux éléments essentiels permettent à la Chambre d’apprécier ce comportement. Premièrement, l’accusé doit exercer, soit un commandement et un contrôle effectifs, soit une autorité et un contrôle effectifs (article 28-a du Statut). Sur la différence entre les concepts « commandement » et « autorité », la Chambre fait sienne la position de la Chambre préliminaire III qui avait affirmé que « l’expression

"commandement effectif" révèle ou reflète certainement une "autorité effective" (Décision sur la

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i. The grounds of the Appealed Decision were notified to the Player on 3 June 2013 through his legal representative, Mr. Article 79.4 of the FIFA ADR and article 67.1 of the

The events on 23 September 2011 were extraordinary, and the Appellant cannot be deemed to have acted negligently with respect to the Whereabouts Rules in prioritizing the

Finally, the Panel sees no compelling reason to take into account the said distinction between direct and indirect intent, since - as correctly explained in detail in de Goede -

8.9 First, the Athlete contends that, as set out in its Reasoned Submission, the IAAF Ethics Board – which WADA acknowledges is better placed to judge the value of the

The panel found that his conduct “give(s) rise to ordinary fault or negligence at most, but [does] not fit the category of “significant fault or negligence”. The panel

For the reasons set out above in relation to the alleged use of a prohibited method, the Panel concluded to its comfortable satisfaction that the Athlete provided clean urine

In summary, the Panel observes that: (a) there is no evidence before the Panel from any witness who claims to have observed the Athlete use a prohibited substance before

For the reasons set out above in relation to the alleged use of a prohibited method, the Panel concluded to its comfortable satisfaction that the Athlete provided clean urine