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Année 2017–Numéro02Tour du Monde

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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le jeudi 5 janvier 2017

Année 2017 – Numéro 02

Tour du Monde

Afrique des Grands Lacs

« Rigole pas avec mon génocide »… page 1 Moyen Orient

Psalmodier “deux États, deux États” ne sert qu’à perpétuer l’occupation… page 4 Thaïlande

Au-delà du deuil (CETRI)… page 6 Mexique

Une candidate Infigène à la présidentielle ? (CETRI)… page 9 Nicaragua

Toujours sandiniste, le Nicaragua (CETRI)… page 12 RDC

La Crise est aussi économique (CongoForum)… page 24

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Afrique des Grands Lacs

« Rigole pas avec mon génocide !!! »

Le Pape, chapelet à la main, s’adresse au président rwandais Paul Kagamé : « Frère Paul, je ne demande pas uniquement pardon pour le génocide mais aussi pour la tentative d’assassinat du Lt. Gal. Kayumba

Nyamwasa » .

Publié le 21 décembre 2016, simultanément par Jeune Afrique et AFP, l’article

« Ouganda : une caricature sur le génocide rwandais fait grincer des dents à Kigali » semble indiquer qu’entre le dictateur ougandais et le tyran du Rwanda, le temps de l’amour fou est révolu.

Le quotidien gouvernemental ougandais New Vision s'est excusé ce mercredi pour la publication d'une caricature portant sur le génocide de 1994 au Rwanda. Le dessin a déclenché un tollé dans le pays voisin. En seulement quelques heures à partir de sa publication, mardi 20 décembre, la caricature en question a fait couler beaucoup d’encre.

Le Pape et Kayumba Nyamwasa

Le Pape, dans la caricature que nous reproduisons ci-dessus, fait allusion aux tentatives d’assassinat qui ont visé l’ancien chef d’état-major rwandais Faustin Kayumba Nyamwasa. Ce dernier, critique virulent de Paul Kagamé, est aujourd’hui réfugié en Afrique du Sud.

Sa publication avait pour objet de tourner en dérision des propos tenus la semaine passée par Paul Kagamé. Celui-ci avait réclamé que l’Église catholique présente des excuses en tant qu’institution pour son rôle dans les massacres de 1994, qualifiés de « génocide1» dans le disour(s d’autojustification du régime Kagame.

L’Église catholique rwandaise a été à plusieurs reprises mise en cause pour sa proximité avec le régime hutu extrémiste de l’époque et pour l’implication de prêtres et de religieux dans les massacres. Elle a déjà demandé pardon pour l’implication de certains de ses membres dans le génocide, mais estime n’avoir « pas participé au génocide » en tant qu’institution.

1Il est indéniable que des massacres de masse ont eu lieu au Rwanda en 1994 et l’on peut accepter le chiffre officiel de 800.000 morts. Pour beaucoup, leur appartenance ethnique peut avoir éfé l’unique cause de leur exécution. Mais la notion de génocide suppose aussi que le crime ait été prémédité et planifié. Or, le TPIR, malgré de grans efforts, n’a jamais pu trouver de preuve dans ce sens. Il serait donc très souhaitable de parler de

« massacre(s) » (qui sont d’ailleurs aussi un crime de guerre) plutôt que de « génocide ».

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2

« Inacceptable »

La caricature a été des plus mal accueillies au Rwanda, où New Vision a été comparé au journal satirique français Charlie Hebdo, notamment sur les réseaux sociaux. « La caricature d’aujourd’hui dans @NewVisionWire est au-delà du mauvais goût. Se moquer du génocide n’est pas amusant. C’est le nier. Inacceptable », a notamment twitté Yolande Makolo, directrice de la Communication à la présidence rwandaise.

Selon une source au sein de New Vision, le directeur du journal aurait depuis personnellement appelé le président Kagame pour lui présenter ses excuses.

Compte tenu des liens étroits de New Vision avec le pouvoir, on est amené à se demander ce qui couve entre Museveni et Kagame. Il est pratiquement exclu que ce soit une « fantaisie », commise par « inadvertance ». Toucher au génocide, c’était, de la part du Rwanda, la réaction assurée.

En effet, la bataille politique menée pour la reconnaissance du génocide des Tutsi rwandais n’a pas eu pour seule finalité l’établissement de la vérité, la mise en œuvre des mesures judiciaires entraînées par cette reconnaissance.

Cette bataille a eu aussi pour enjeu de rendre l’actuel État rwandais intouchable, quoiqu’il fasse ou ne fasse pas : c’est « le privilège de l’impunité », justifié par la dette morale de la communauté internationale. Le gouvernement rwandais invoque constamment la passivité coupable dont celle-ci aurait fait preuve, entre avril et juin 1994, face au génocide.

Cette idée de culpabilité internationale ne cesse d’être exploitée à des fins politiques. Ian Martin qui fut, au Rwanda, chef de l’opération de terrain du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, en donne un exemple : l’enquête effectuée par une équipe du HCR en septembre 1994 et qui « faisait état d’atrocités systématiques commises contre la population hutue » fut enterrée par le secrétaire général de l’ONU ; c’était un effet de « la culpabilité de la communauté internationale, qui n’avait pu stopper le génocide ».

Alison Desforges, dans Aucun témoin ne doit survivre , donne des preuves de la gêne suscitée par cette enquête du HCR, elle fait le récit des démarches qu’effectuèrent les diplomaties américaines, rwandaises et onusiennes pour que le silence soit gardé sur les informations recueillies - ce qui ne fut pas absolument possible, grâce à des fuites vers les médias. On observera les effets de ce privilège d’impunité au moment des massacres commis au Congo pendant la guerre de 1996-1997, dont il n’a été question qu’en 2010 avec le « Rapport Mapping ».

Voici ce qu’écrivait L’Express du Vendredi 27 août 2010, sous le titre « Le Rwanda dénonce le rapport de l'Onu sur la RDC ».

"Il est immoral et inacceptable que l'Onu, une organisation qui a échoué à prévenir un génocide au Rwanda (...) accuse maintenant l'armée qui a arrêté le génocide d'avoir commis des atrocités au Congo", a déclaré vendredi Ben Rutsiga, porte-parole du gouvernement rwandais.

« Le Rwanda affirme dans un communiqué que le moment choisi pour ce rapport

"malveillant, offensant et ridicule" vise à détourner l'attention des viols collectifs que la Monusco, actuellement déployée au Congo, n'a pas réussi à faire cesser en août dans des villages.

« Le Rwanda accuse aussi les enquêteurs de l'Onu de n'avoir pas consulté Kigali pendant leurs investigations fondées, selon le gouvernement rwandais, sur une méthodologie et des sources douteuses et sur des preuves peu solides ».

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3 Toujours la même chanson

On admettra que la musique n’a guère changé ! Et, si le Rwanda répète volontiers les mêmes arguments de manière textuelle, il est de ce point de vue en plein accord avec son modèle israélien, qui, de même, ne voit qu’antisémitisme et volonté génocidaire dans toute critique contre le sionisme.

Tout se passe comme si le fait d’être survivant d’un génocide ouvrait des droits, ou plus exactement des privilèges, puisqu’il s’agit de droits particuliers à ces personnes, que les autres hommes n’auraient pas.

Et c’est tout de même extrêmement paradoxal. En effet, le meurtre, dans un génocide, est commis du fait même de l'appartenance par la naissance à la population des personnes visées.

Un génocidé, par définition, on ne lui reproche rien… si ce n’est d’être né. Très littéralement,

« il n’a rien fait pour mériter ça ». Mais lui accorder de ce fait le « privilège d’impunité », « il n’a rien fait pour mériter ça non plus !!!».

Invoquer le fait qu’on a fait partie d’un groupe génocidé, c’est invoquer sa naissance. Et prétendre qu’en vertu de sa naissance, on a droit à un traitement exorbitant, c’est prétendre à des privilèges de naissance, autrement dit, c’est une prétention aristocratique. Non seulement c’est un peu passé de mode depuis 1789, mais, de plus, toute prétention aristocratique est de par sa nature même raciste. Et le racisme est le terreau par excellence d’autres génocides…

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4

Moyen Orient

Psalmodier “deux États, deux États” ne sert qu’à perpétuer l’occupation

2

Par Gideon Levy3

Une question à ceux qui soutiennent ouvertement la “solution à deux États”, c’est-à-dire à peu près tout le monde, depuis le Secrétaire d’État U.S. John Kerry jusqu’au professeur Shlomo Avineri : vous dites tous que cette solution est en grand danger, peut-être même agonisante. Mais que faudrait-il qu’il advienne pour que vous admettiez qu’elle a rendu son dernier soupir ? Que faut-il de plus pour que vous admettiez qu’elle est morte ? Dix mille colons de plus ? Ou vingt mille ? Cinq ans de plus dans l’impasse ? Quand est-ce que vous allez l’admettre ?

La plupart des gens connaissent la vérité, mais refusent de l’admettre. Ils savent que le nombre des colons a atteint une masse critique. Ils savent qu’aucun parti israélien ne les fera jamais évacuer. Et sans qu’ils soient tous évacués – et cela aussi c’est une chose que chacun sait – il n’y a pas d’État palestinien viable.

Ils savent que le colonisateur israélien n’a jamais eu l’intention de mettre en œuvre la

“solution à deux États”. Le fait est que tous les gouvernements israéliens – absolument tous – ont continué l’entreprise de colonisation.

Les supporters des deux États sont préoccupés par la situation, même effrayés. Ils se conduisent comme les proches d’un patient moribond, qui est déjà en état de mort cérébrale, et dont on a besoin de prélever les organes pour les transplanter, mais qui refusent, espérant que d’une manière ou d’une autre un miracle va survenir qui le ramènera à la vie. De Kerry à Avineri, c’est exactement ainsi que se conduisent les partisans des deux États : ils espèrent un miracle et pour cette raison ils s’opposent à des transplantations qui sauveraient des vies.

Il est difficile de tout reprendre à zéro. La “solution à deux États” était idéale4. Elle garantissait une relative justice aux deux parties, et un État pour chaque nation. Mais Israël a tout fait pour la détruire, via ses colonies, le seul facteur irréversible dans l’équation de la relation entre Israël et la Palestine.

2Publié le 1 janvier 2017 dans AP – Cet article a été publié par Haaretz le 1er janvier 2017 sous le titre “ The Two -state Solution Is Already Dead”. Traduction : Luc Delval

3 Gideon Levy, “le journaliste le plus haï d’Israël”, est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du quotidien Haaretz. Il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997, et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996. Il est l’auteur du livre The Punishment of Gaza, qui a été traduit en français : Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, La Fabrique, 2009

4Cette affirmation est hautement contestable, si on veut bien se rappeler que les “accord d’Oslo” – s’ils avaient pu être concrétisés – n’ouvraient d’autre perspective aux Palestiniens en guise de « rêve national » que de permettre à environ un tiers du peuple palestinien, qui vit dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, d’avoir un État dépouillé entre autres attributs étatiques essentiels de la maîtrise de ses frontières et du droit d’avoir une armée, sur rien de plus que 22% de la superficie de la Palestine historique, sur lesquels Israël aurait stationné pour au moins 50 ans des troupes. Le “droit au retour” des réfugiés, consacré par le droit international, est pratiquement ignoré par cette

“solution idéale”. Qui plus est, elle n’aurait apporté aucune solution en ce qui concerne le statut de citoyens de troisième catégorie (les deux premières étant respectivement les Juifs blancs et les autres Juifs) des Palestiniens d’Israël et l’apartheid qui existe déjà de facto à l’intérieur d’Israël et est inscrit dans un nombre croissant de ses lois. Consultez notre “dossier Oslo”. Il y a trois ans déjà nous avons publié un article d’un professeur de sciences politique de l’Université de Pennsylvanie : “La chimérique solution à deux États est moribonde”. L’agonie est longue, mais son issue n’en est pas moins inéluctable. – Note de l’éditeur AP.

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5

C’est la raison pour laquelle la colère du monde contre les colonies s’est soudain intensifiée : il sait qu’elles sont irréversibles. Mais pour autant les soutiens de la “solution à deux États”, que ce soit à Jérusalem ou à Washington, n’ont jamais rien entrepris pour y mettre fin quand il était encore temps. La conclusion est inévitable : déclarer la mort de la “solution à deux États”. Mais au lieu de cela, ils continuent à attendre un miracle.

Kerry, Avineri et leurs semblables sont pleins de bonnes intentions. Ils ont raison, d’ailleurs, de dire que c’était la seule solution. Mais en niant qu’elle soit morte, ils ne font rien d’autre que consolider le status quo, l’occupation, ce qui est le but du gouvernement israélien.

En Europe, aux États-Unis, à l’Autorité Palestinienne et en Israël, des gens continuent à psalmodier “deux États”, par inertie et par peur des conséquences du changement. Et ce faisant, ils anesthésient et étouffent toute réflexion adaptée à la nouvelle situation.

S’accrochant de toute leur volonté à la solution d’hier, les soutiens de la “solution à deux États” répondent agressivement à quiconque essaie de remettre en question leur foi irrationnelle en un miracle. C’est la manière de faire classique pour les croyance religieuses, quasiment messianiques : malheur à qui essaie de les mettre en doute. Et c’est ainsi qu’ils se conduisent actuellement envers A.B. Yehoshua, qui a proposé une solution typiquement dans le bon vieux style israélien à la situation nouvelle5.

Yehoshua a proposé d’accorder un statut de résident permanent à des Palestiniens qui vivent dans la “zone C” [de la Cisjordanie occupée], sous contrôle israélien total. C’est trop étriqué, trop nationaliste et trop discriminatoire. Yehoshua croit encore en la supériorité des Juifs, dans des accords intérimaires et dans les petits pas au-dessus des abysses. Mais, contrairement aux tenants de la “solution à deux États”, au moins a-t-il le courage et l’intégrité de reconnaître la nouvelle réalité et d’essayer d’y offrir des solutions. Et cela seul suffit pour qu’il soit considéré comme un hérétique par ses pairs.

En effet, la solution d’un seul État démocratique est une hérésie au regard de toutes les croyances dans lesquelles nous avons été élevés. Elle nous impose de tout repenser : repenser le sionisme et tous les privilèges qui ne sont accordés qu’à un seul peuple. C’est ici que commence une longue et pénible route. Mais c’est la seule qui nous reste encore ouverte.

Cette route conduit à l’une des deux destinations : un État d’apartheid ou un État démocratique. Il n’y a pas de troisième option. Le discours croissant de l’annexion et les lois anti-démocratiques adoptées à la hâte démontrent qu’Israël est en train de jeter les bases idéologiques et légales pour mettre en œuvre la première option, un État d’apartheid.

Le combat contre cela doit se concentrer sur la seconde option : l’État démocratique. Ceux qui continuent à jacasser à propos des deux États sabotent cet effort.

Un rappel : la “solution à un État” existe depuis déjà longtemps. Au cours de l’année qui commence aujourd’hui, on va célébrer le 50ème anniversaire de sa fondation. Le moment est venu de lancer une bataille à propos de la nature de son régime.

5Le romancier A.B. Yehoshua (80 ans) a proposé d’ “accorder” – en usant du droit divin de l’occupant – un statut de “résident israélien” à 100.000 Palestiniens. Il ne s’agit en aucun cas d’une réelle citoyenneté, l’objet n’étant de l’aveu même du romancier que de réduire la “malignité” de l’occupation, de manière à ce qu’ellepuisse mieux se poursuivre. – NDLR

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Aurélie Leroy

THAÏLANDE : AU-DELÀ DU DEUIL

ANALYSE 2016 / Thaïlande: au-delà du deuil / Cetri

La Thaïlande est en émoi. Son roi s’est éteint le 13 octobre dernier après sept décennies de règne. Figure emblématique, élevée au rang de demi-Dieu, il était vénéré par une grande partie de son peuple. Si émotion et retenue sont les sentiments dominants, ils se mêlent toutefois à des craintes légitimes. Le pays est confronté à un avenir incertain.

La Thaïlande est en émoi. Son roi Bhumibol Adulyadej - Rama IX – s’est éteint le 13 octobre dernier après sept décennies de règne. Figure emblématique, élevée au rang de demi-Dieu, il était vénéré par une grande partie de son peuple.

Le temps s’est depuis arrêté. Le pays s’est teint en noir. Un deuil national d’une année a été décrété, reportant à plus tard les contingences politiques et matérielles. L’heure est désormais au recueillement et au souvenir du souverain disparu.

Si émotion et retenue sont les sentiments dominants, ils se mêlent toutefois à des craintes légitimes. Le pays est confronté à un avenir incertain. La « crise » de la succession, la confiscation de l’espace politique par la junte militaire depuis le coup d’état de 2014 et les problèmes socioéconomiques inquiètent. Ces préoccupations sont toutefois tues et refoulées en raison des risques encourus.

Propagande et intimidation poussent à l’autocensure et au tabou. La junte use de registres divers – persuasif, prescriptif, répressif – pour que l’ordre soit respecté. En cette période d’interrègnes, le ton s’est durci : le recours à la loi de lèse-majesté1, l’une des plus strictes du monde, est systématisé et les groupes ultra-royalistes – véritables « milices du deuil » – traquent et harassent les détracteurs de la monarchie.

Le roi est mort. Vive le roi ?

Dans ce cas-ci, la formule « Le roi est mort. Vive le roi » ne s’est pas appliqué. Le successeur officiellement désigné, son fils Maha Vajiralongkorn, a en effet demandé un « délai pour se préparer » avant sa montée sur le trône, cédant temporairement le pouvoir au plus proche conseiller du roi défunt, Prem Tinsulanonda, âgé de 96 ans et désigné régent.

Le prince héritier est un personnage aussi impopulaire et fantasque que son père était adulé et austère.

Ses frasques sur le plan personnel (divorcé trois fois, scandales à répétition et comportements excentriques), son éloignement et son désintérêt pour les affaires du Royaume ont écorné durablement l’image royale. Autrefois ciment de la nation, symbole d’unité, l’institution monarchique est mise à mal avec la succession en cours. En dépit des contraintes qui pèsent sur la liberté d’expression, l’hostilité envers le prince héritier est perceptible – notamment sur les réseaux sociaux - et ne peut cacher que

1 L’article 112 du code pénal stipule que toute personne reconnue coupable d'avoir diffamé, insulté ou menacé le roi, la reine, leur héritier ou le régent encoure une peine de prison de trois à quinze ans, sous chaque chef d’accusation

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ANALYSE 2016 / Thaïlande: au-delà du deuil / Cetri l’attachement des Thaïlandais va plus à l’homme qu’au trône. « Les Thaïlandais ne sont pas

monarchistes, ils sont bhumibolistes », comme l’affirme David Camroux (2014).

Cela n’est pas sans poser problème pour la junte. D’un côté, elle exècre le futur monarque pour les raisons exprimées par tous, mais aussi pour ses liens de connivence avec Thaksin Shinawatra, l’ancien Premier ministre exilé, perçu comme une menace. De l’autre, elle dépend en partie de lui. Depuis les années 1950, l’armée a en effet construit sa légitimité et protégé ses intérêts grâce à sa position privilégiée de bras droit du roi. L’affaiblissement de l’institution risquerait dès lors de l’affecter. La succession annoncée de longue date a toutefois permis aux généraux de s’ajuster pour demeurer des acteurs incontournables.

Compromis entre parlementarisme et interventionnisme

La démocratie au royaume du Siam est affaire de compromis. Elle oscille entre parlementarisme et prérogatives dévolues aux élites traditionnelles (issues du monde des affaires, de la bureaucratie et de l’armée). Alors qu’à la fin des années 1990, un élan démocratique était observé avec la « Constitution du peuple » de 1997 et la victoire du parti de masse mené par Thaksin en 2001, un reflux s’est opéré depuis une décennie.

La répression violente des « chemises rouges » antigouvernementales, en 2010, et les deux coups d’État qui ont évincé Thaksin Shinawatra (le frère), en 2006, et Yingluck Shinawatra (la sœur), en 2014, en sont les principales expressions. Dans les deux cas, un gouvernement légitimement élu a été renversé par les militaires avec l’aval du palais « pour restaurer la paix et l’ordre et pour le bien de l’unité du pays »2, témoignant de la faiblesse des structures démocratiques ainsi que de la résurgence d’une tradition interventionniste jamais éteinte3.

Le coup d’État de 2014 déclenché par le général Prayuth Chan-Ocha et la réforme de la Constitution – approuvée par le référendum du 7 août 2016 – ont été, en l’espace de deux ans, des coups décisifs portés par le régime pour renforcer durablement les bases de son pouvoir. En réponse au désaveu systématique des partis de l’oligarchie régnante lors des dernières élections et face à l’imminence de la succession royale, les dirigeants n’ont finalement pas fait dans la dentelle : se révélant incapables de gagner la partie « à la loyale », ils ont finalement décidé d’en changer les règles. À marche forcée et sans tolérer aucun espace de contestation, les militaires ont obtenu l’adoption d’une nouvelle loi fondamentale « antidémocratique » légalisant la mainmise des militaires sur l’État et la société, les autorisant à nommer et à destituer des parlementaires et des membres du gouvernement.

Aujourd’hui, la mort du roi et la période de deuil d’une année sont le prétexte idéal pour repousser la transition démocratique réclamée par une majorité de Thaïlandais. La junte reste donc seul maître à bord. Des élections – que ce soit fin 2017 ou plus tard – finiront par être organisées – sous la pression de la rue et de la communauté internationale -, mais elles ne permettront pas, à elles seules, de sortir le pays de ce nouveau cycle autoritaire qui plonge la Thaïlande dans une « crise » politique profonde.

Croissance en berne et boom des inégalités

À l’instabilité politique, se greffent d’autres considérations préoccupantes. L’économie de la Thaïlande s’était caractérisée ces dernières décennies par sa forte capacité de résilience. Elle était restée dynamique4 en dépit des soubresauts politiques qui ont ponctué le règne de Bhumibol. La crise asiatique de 1997 et la crise mondiale de 2008 ont toutefois durablement affecté les performances du pays qui n’a jamais retrouvé ses niveaux d’antan.

Les tensions politiques depuis fin 2013 plombent plus encore les efforts du pays. La croissance a plongé de 6,5 à 3,1% de 2012 à 2013. Le gouvernement militaire est confronté à une chute des exportations5, à une baisse de la consommation due à l’endettement des ménages (80% du PIB) et à une méfiance

2 http://www.liberation.fr/planete/2014/05/26/thailande-le-roi-approuve-la-nouvelle-junte-militaire_1026989

3 Depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, la Thaïlande a connu dix-neuf putschs (dont douze ont abouti) et un renouvellement de la Constitution tous les quatre ans.

4 Les secteurs du tourisme, de l’agroalimentaire et de la construction automobile tirant la croissance.

5 Le pays a perdu des points dans la chaîne de valeur mondiale face à la concurrence du géant chinois et des CMLV, les nouveaux exportateurs : Cambodge, Laos, Myanmar, Vietnam.

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ANALYSE 2016 / Thaïlande: au-delà du deuil / Cetri des investisseurs. Cela a conduit l’économie thaïlandaise à être catégorisée en 2016 comme « la moins

dynamique de l’ASEAN » et lui a fait perdre sa position de leader au sein des pays du Sud-est asiatique.

Si la croissance entre le début des années 1980 et 1997 a permis aux dirigeants d’« éradiquer la pauvreté » - comme ceux-ci aiment à se flatter6 -, le modèle prôné n’a jamais été celui d’un développement équilibré. Les dynamiques de concentration de richesses7 ont primé sur les politiques redistributives. Les écarts entre régions8, entre riches et « faibles revenus », entre villes et campagnes n’ont cessé de se creuser.

Cette répartition inéquitable des ressources et du bien-être s’est superposée à un ordre social hiérarchisé et exclusif, dont les contours ont été remis en question par Thaksin (2001-2006). Le renversement des deux gouvernements Shinawatra – qui avaient expérimenté la politique de la main tendue aux populations marginalisées – et les mouvements de contestation qui s’en sont suivis – entre

« chemises rouges » adeptes du changement et « chemises jaunes » adeptes du statu quo – ont accentué la polarisation de la société. La disparition du roi et l’accaparement du pouvoir par l’armée apparaissent comme un nouvel épisode susceptible d’attiser les crispations et les divisions.

Pour autant, l’autoritarisme et la période de deuil sont peu propices à la protestation ouverte, mais le report probable des élections, l’absence de considérations pour les laissés pour compte et les sombres perspectives économiques pourraient bien constituer un terreau fertile à de futures contestations.

Bibliographie

Camroux D. (2014), « Douxième coup d’État en Thaïlande », Monde diplomatique, juillet.

Chaponnière J-R. (2016), « Thaïlande : pourquoi l’économie est en berne ?», Asialyst, 3 mars.

Dubus A. (2015), « Un monarque a qui la fortune sourit », Asialyst, 13 mai.

https://www.letemps.ch/monde/2016/10/13/mort-roi-thailande-pourrait-renforcer-pouvoir-militaires

Aurélie Leroy est chargée d’étude au CETRI - Centre tricontinental.

6 Moins de 2% de la population vivait avec moins de 2 dollars par jour en 2000 contre 22% en 1981

7 A ce titre, notons que le roi défunt était considéré par le magazine Forbes comme « le souverain le plus riche de la planète ». La royauté

« possède un conglomérat présent dans les BTP, la chimie, la banque, les assurances et l’immobilier. Une fortune qui représente un sixième du PIB et qui bénéficie d’un régime d’exception en matière fiscale ». (Dubus, 2015)

8 Une fragmentation s’est opérée entre les habitants de la Région Centre (Bangkok inclus) où se concentre la production manufacturière, et ceux des provinces du Nord et du Nord-Est qui vivent davantage de l’agriculture.

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MEXIQUE : UNE CANDIDATE INDIENNE A LA PRESIDENTIELLE ?

Bernard Duterme

ANALYSE 2016 / Mexique : une candidate indigène à la présidentielle ? / Cetri Nouveau coup d’éclat de la rébellion zapatiste du Chiapas pour marquer l’opinion ? L’annonce par le Congrès national indigène (CNI), en son 20e anniversaire, de la possibilité de présenter une candidate issue de ses rangs aux élections présidentielles mexicaines de 2018 suscite en tout cas là-bas une vive controverse. A gauche comme à droite. Sur la scène politique et au- delà. Objectif de la démarche : peser dans les rapports de forces et rendre de la visibilité à la cause des dépossédés et des oubliés, victimes du modèle de développement prédateur nord- américain.

On l’oublie, mais le Mexique, vaste comme près de quatre fois la France, est aussi le pays du continent américain qui compte en son sein, en chiffres absolus, le plus grand nombre d’indigènes. Entre treize et seize millions d’individus, appartenant à plus de cinquante ethnies différentes. Mayas, Otomis, Zapotèques, Totonaques, Huastèques, Mazatèques, Nahuas, Mixtèques… les plus militants d’entre eux forment les files du Congrès national indigène (CNI). Créé il y a vingt ans dans la foulée de la rébellion zapatiste du Chiapas, le CNI défraie de nouveau la chronique en cette fin d'année avec l’annonce des résultats de la consultation de ses « bases d’appui » visant à désigner une candidate indigène à l’élection présidentielle mexicaine de 2018 !

Si l’initiative en elle-même revient à l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale), voire à ses prolixes

« sous-commandants », Moisés et Galeano (ex-Marcos), que l’on disait fâchés avec la voie électorale, les motifs exposés concernent bien l’ensemble des peuples indigènes du Mexique et, au-delà, les victimes d’un modèle de développement prédateur et les laissés-pour-compte de l’Accord de libre- échange nord-américain (ALENA). En cause, l’accaparement de leurs territoires – sans leur consentement donc – pour l’établissement de « mégaprojets modernisateurs », aux mains d’investisseurs extérieurs.

La liste est sans fin, aux quatre coins du Mexique : concessions minières, explorations pétrolières, exploitations forestières, élevages intensifs et extensifs, barrages hydroélectriques, parcs éoliens, monocultures de soja transgénique ou de palme africaine, constructions autoroutières ou aéroportuaires, centrales énergétiques, gazoducs et oléoducs, entreprises immobilières, implantations écotouristiques, privatisation de l’accès à l’eau et à d’autres ressources naturelles, fracturation hydraulique de gisements d’hydrocarbures, etc.

Dans chacune de ces situations épinglées par les communiqués du CNI et de l’EZLN, « l’hydre capitaliste » honnie procède par exploitation ou discrimination, dépossession et répression. Les territoires sont violés, déboisés, pollués ; les communautés et populations, harcelées ou déchirées ; les luttes et résistances, criminalisées et brutalisées. Pour le seul profit du « Mexique d’en haut », sourd aux griefs du « Mexique d’en bas ». C’est à cela que le Congrès national indigène et les rebelles du Chiapas entendent mettre un terme aujourd’hui. Comment ? La question divise.

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ANALYSE 2016 / Mexique : une candidate indigène à la présidentielle ? / Cetri 2 Quelle stratégie suivre pour peser dans les rapports de force ? Quelle voie choisir pour, au-delà des dénonciations, passer à l’offensive ? Depuis leur soulèvement armé du 1er janvier 1994, les zapatistes ont multiplié les tentatives d’atterrissage pacifique sur la scène politique mexicaine – appels à voter, essais d’articulation aux forces de gauche, négociations avec le gouvernement, lancements d’une convention, d’un mouvement, puis d’un front de libération nationale… – pour, par la suite, échaudés par les revers, donner priorité à la construction d’une forme d’autogouvernement « radicalement démocratique », un régime d’« autonomie de fait » sur leurs propres zones d’influence chiapanèques.

Glissement donc d’une inclination politique à une orientation plus sociale, d’une volonté classique de

« changement par le haut » à une démarche expérimentale de « changement par le bas ».

Pour autant, le Mexique n’en a pas fini avec le zapatisme. Aujourd’hui, c’est au CNI que la direction zapatiste souffle l’idée de constituer, à l’échelle nationale, un « Conseil indigène de gouvernement » dont la porte-parole, « indienne de sang, de langue et de culture » à choisir « en dehors des rangs de l’EZLN », pourrait être candidate à la présidence du pays. Non pas pour prendre le pouvoir, mais pour rendre de la visibilité à la cause des oubliés, des dépossédés, des marginalisés, et mobiliser dès lors bien au-delà des peuples indigènes. Beaucoup s’enthousiasment. Un premier sondage indique que 20% déjà des Mexicains seraient prêts à voter pour elle. Mais d’aucuns, à gauche, se cabrent (« une candidature indigène ferait le jeu de la droite »), d’autres crient à la trahison de la prétendue essence autonomiste du zapatisme. Au-delà, des réflexes racistes moquent l’initiative.

Reste que la rébellion zapatiste signe là un nouveau coup d’éclat. Un ixième coup d’éclat. Pour débarquer où on ne l’attendait pas. Pour redonner du souffle à son rejet des dominations, à ses aspirations à l’émancipation, dans un Mexique bloqué politiquement, rompu et corrompu par la guerre des narcos. Chemin faisant, le zapatisme prend le risque de mesurer publiquement le poids des inimitiés que sa stratégie évolutive et sa communication évasive ont suscitées dans son propre camp. Le lot peut-être d’un mouvement dont on a dit à raison qu’il était « identitaire, révolutionnaire et démocrate ».

Les trois à la fois. Il en tire son mérite et sa rareté.

QUE TREMBLE LA TERRE JUSQUE DANS SES ENTRAILLES Aux peuples du monde

Extrait du communiqué du Congrès national indigène (CNI) annonçant la possibilité d’une candidature indigène à l’élection présidentielle mexicaine de 2018

« Au vu de tout ce qui a été dit précédemment, nous nous déclarons en assemblée permanente et nous consulterons chacune de nos géographies, de nos territoires et de nos cheminements au sujet de l’accord pris par ce cinquième congrès du CNI (NDLR : tenu à San Cristobal de Las Casas en octobre dernier) de nommer un « conseil indigène de gouvernement » dont la parole sera matérialisée par une femme indigène, déléguée du CNI en tant que candidate indépendante qui se présentera au nom du Congrès national indigène et de l’Armée zapatiste de libération nationale durant le processus électoral de l’année 2018 pour la présidence de ce pays. »

« Nous ratifions que notre lutte n’est pas pour le pouvoir, nous ne le cherchons pas ; mais nous en appellerons aux peuples originaires et à la société civile pour nous organiser afin d’arrêter cette destruction et nous renforcer dans nos résistances et rébellions, c’est-à-dire dans la défense de la vie de chaque personne, famille, collectif, communauté ou quartier. Pour construire la paix et la justice, en retissant nos fils depuis le bas, depuis là où nous sommes ce que nous sommes. »

« C’est le temps de la dignité rebelle, le temps de construire une nouvelle nation pour et par toutes et tous, de renforcer le pouvoir d’en-bas et de gauche anticapitaliste, le temps que payent les coupables pour la douleur des peuples de ce Mexique multicolore. »

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ANALYSE 2016 / Mexique : une candidate indigène à la présidentielle ? / Cetri 3

« Un ixième coup d’éclat ? »

Retour chronologique sur quelques précédents 1994

- 1er janvier : Entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena).

L’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) occupe plusieurs villes du Chiapas.

- Août : Convoquée par l’EZLN, la Convention nationale démocratique (CND) réunit plus de 5 000 militants du Mexique et d’ailleurs à Guadalupe Tepeyac dans le Chiapas.

1995

- Janvier : L’EZLN appelle à la création d’un Mouvement de libération nationale (MLN).

- Août – septembre : Consultation lancée par l’EZLN. Plus d’un million de personnes se prononcent pour la transformation de l’EZLN en une organisation politique.

1996

- Janvier : L’EZLN annonce la création du Front zapatiste de libération nationale (FZLN), force politique civile non électorale. Parallèlement, le Forum national indigène, convoqué par l’EZLN, décide de former le Congrès national indigène (CNI).

- Juillet - août : Première « Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme », convoquée par l’EZLN dans le Chiapas.

1997

- Septembre : 1 111 délégués zapatistes se rendent à Mexico et assistent au deuxième Congrès national indigène.

1999

- Mars : 5 000 zapatistes parcourent le pays. Plus de deux millions et demi de Mexicains se prononcent pour le respect des Accords (de San Andrés) signés par le gouvernement et l’EZLN.

2001

- Février – avril : « Marche de la couleur de la terre » sur Mexico de 23 commandants indigènes de l’EZLN et du sous-commandant Marcos pour exiger du nouveau gouvernement l’application des Accords de San Andrés. Accueil triomphal sur le Zócalo. La délégation zapatiste s’adresse au Congrès.

2003

- Août : L’EZLN annonce la création de cinq Caracoles et autant de « Conseils de bon gouvernement », nouvelles structures de pouvoir de fait pour consolider l’autonomie prévue dans les Accords de San Andrés.

2006

- Janvier – décembre : Le sous-commandant Marcos, rebaptisé « Délégué Zéro », sillonne le Mexique dans le cadre de « l’Autre Campagne », en marge de la campagne électorale officielle.

2009

- Janvier : Premier « Festival mondial de la digne rage » lancé par l’EZLN, à Mexico, dans le Caracol d'Oventik et à San Cristóbal de Las Casas.

2012

- 21 décembre : 40 000 zapatistes encagoulés occupent pacifiquement et silencieusement cinq villes du Chiapas.

2013

- Février – décembre : l’EZLN annonce la mise en place d'un réseau planétaire de luttes (« la Sexta ») et la tenue des premières sessions de l’Escuelita zapatista (en 2013 et 2014).

Sources principales : CETRI (2014), Baschet (2009), Montemayor (2001), Duterme (1997) et http://palabra.ezln.org.mx/.

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ANALYSE 2016 / Mexique : une candidate indigène à la présidentielle ? / Cetri 4 Bernard Duterme est directeur et chargé d’étude au CETRI – Centre tricontinental (Louvain-la- Neuve). Il a coordonné l’ouvrage collectif Zapatisme : la rébellion qui dure (Paris, Syllepse, 2015).

Cette analyse a été publiée dans le quotidien Libération le 27 décembre 2016.

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Recherches internationales, n° 107, avril-juin 2016, pp. 193-204

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TOUJOURS SANDINISTE, LE NICARAGUA ?

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ongtemps, dans notre imaginaire politique internationaliste, le « sandinisme » aura renvoyé au Nicaragua du siècle passé. Et plus précisément à cette révolution tropicale qui, le 19 juillet 1979, libéra ce petit pays d’Amérique centrale du joug de la dictature dynastique des Somoza et de l’emprise des États-Unis, l’« imperio yankee ». Les guérilleros du FSLN – pour Front sandiniste de libération nationale – avaient vaincu, les armes à la main, rejoints par le peuple nicaraguayen et la « bourgeoise nationale », flouée elle aussi par la chape de plomb somoziste. Les révolutionnaires salvadoriens (du FMLN1) et guatémaltèques (de l’URNG2) n’allaient sans doute pas tarder à faire de même chez eux : libérer leur pays – l’« arrière-cour » de la puissance nord-américaine – de ses oppresseurs, nationaux et étrangers.

En toile de fond géopolitique, c’était aussi la guerre froide qui se jouait sur tout l’isthme par Centro-Américains interposés, agents nécessaires de ce que l’Occident appelait alors la « théorie des dominos », pour exorciser la propagation par « contagion » du communisme dans ses « zones d’influence ». La gauche européenne

1 Front Farabundo Martí de libération nationale.

2 Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque.

* directeur du centre tricontinental - cetri, louvain-la-neuve.

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– sociaux-démocrates et radicaux confondus – s’éprit de la cause

« sandiniste »3 et tenta de peser dans le bras de fer entre la volonté d’autodétermination nicaraguayenne et l’interventionnisme de l’ultraconservateur Ronald Reagan, président des États-Unis. La solidarité tiers-mondiste convergea comme un seul « brigadiste » vers le « Nicaragua libre »4.

Une décennie durant – de 1979 à 1990 –, contre vents et marées (dont le feu des contras, ces « contre-révolutionnaires » rebaptisés « paladins de la liberté » par ceux-là mêmes qui les armaient à partir de Washington5), les commandants de la Revolución s’attelèrent à concrétiser leurs idéaux de justice et d’émancipation et à « sandiniser » le pays. Lutte contre l’analphabétisme, campagne de vaccination, gratuité de l’éducation et de la santé, réforme agraire, réappropriation et répartition collective des moyens de production, récupération en souveraineté nationale, alignement partisan des mouvements populaires, édification culturelle de

« l’homme nouveau »… le tout non sans improvisation, rudesse et volontarisme, sur fond de « guerre de basse intensité » avec les États-Unis (50 000 morts tout de même) et dans une relation de dépendance lourde au bloc socialiste.

En 1990, fatigués par les sacrifices consentis dans un contexte de mobilisation militaire permanente, d’effondrement de la puissance soviétique, de boycott, d’agression politique et économique nord- américaine, de pénurie et d’hyperinflation, les Nicaraguayens vont fermer la parenthèse révolutionnaire dans les urnes. Dos au mur, le pouvoir sandiniste en acceptera le verdict (FSLN : 41 % des votes ;

3 « Sandiniste », du nom de Sandino, une figure rebelle nicaraguayenne – « le général des hommes libres » – qui avait déjà eu maille à partir tant avec « les oppresseurs yankees » dans les années 1920 qu’avec la garde nationale du premier Somoza qui l’assassina en 1934.

4 En Europe, le CETRI (Centre tricontinental), d’où ces lignes sont écrites, figurera longtemps comme l’un des principaux centres d’étude de la révolution sandiniste. Il recevra la visite du président du Nicaragua, Daniel Ortega, et d’autres personnalités marquantes du sandinisme. En 1996, à l’occasion du 20e anniversaire du CETRI, c’est une œuvre de l’ancien ministre de la Culture sandiniste, le prêtre, poète et sculpteur Ernesto Cardenal, que François Houtart, fondateur du Centre tricontinental, inaugurera devant ses bureaux à Louvain-la-Neuve : le Zanatillo, « symbole d’émancipation du tiers-monde ».

5 Le scandale de l’« Irangate » notamment mit au jour le financement des contre- révolutionnaires du Nicaragua par l’administration Reagan à travers la vente d’armes à l’Iran khomeyniste.

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UNO - Unión Nacional Opositora : 54 %) dans un climat d’extrême tension, et transmettra les rênes de l’État aux nouveaux élus (néolibéraux et conservateurs), tout en gardant une forte emprise sur l’armée et la police et en promettant de désormais « gobernar desde abajo » (gouverner d’en bas).

De la théologie de la libération au retour du providentialisme

La révolution sandiniste au Nicaragua dans les années 1980 ce fut aussi l’expression et la condition de l’essor d’un courant historique du christianisme. Celui d’une « Église populaire » portée par la foi en un « Dieu libérateur » et par une forte aspiration à la justice et à l’émancipation « ici-bas ». La « théologie de la libération » opposa à l’idée d’une Providence qui décide de tout, celle d’un Dieu qui appelle à la participation de l’humanité à la lutte pour sa propre libération, spirituelle et matérielle. Plusieurs prêtres et religieux catholiques furent d’ailleurs des ministres en vue du gouvernement révolutionnaire sandiniste. Un engagement qui leur valut la condamnation publique du pape Jean-Paul II et un conflit ouvert avec la très conservatrice Église nicaraguayenne.

« Le providentialisme a toujours été présent et dominant dans l’histoire nicaraguayenne […] jusqu’à naturaliser l’ingérence états-unienne », explique le professeur Andrés Pérez-Baltodano de l’Université centro-américaine (UCA) de Managua. « Avec la révolution sandiniste (de 1979), a surgi un Dieu articulé à la théologie de la libération et au changement social. Mais, après la chute du sandinisme (en 1990), le vieux providentialisme […] qui légitime les ordres sociaux injustes est réapparu triomphant. Daniel Ortega lui-même est revenu au pouvoir (en 2006) en s’en revendiquant et en scellant une alliance avec le clergé traditionnel. Une part de sa nouvelle foi postrévolutionnaire s’exprime d’ailleurs dans sa croisade contre l’avortement thérapeutique. »6

6 Lire Andrés Pérez-Baltodano, « Providencialismo y discurso político en Nicaragua », Nueva Sociedad, janvier 2016.

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Le sandinisme du 21

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Plus d’un quart de siècle plus tard, le FSLN et son inamovible secrétaire général, Daniel Ortega, gouvernent à nouveau le Nicaragua

« desde arriba » (d’en haut). Et ce, depuis une dizaine d’années, sans discontinuer. Réélu président de la République en 2006, en 2011 et très probablement en 20167, après trois défaites consécutives (aux élections de 1990, 1996 et 20018), l’ancien commandant révolutionnaire est donc occupé à boucler une deuxième décennie à la tête de l’État nicaraguayen, après celle, bien lointaine, des années 1980. Une décennie toujours placée sous la bannière « sandiniste », mais à en croire une grande partie de ses camarades d’hier – d’anciens commandants, intellectuels, artistes, ministres, députés… limogés ou auto-exclus du FSLN –, il y a cette fois usurpation. Usurpation d’idéologie, de parti et de pouvoir.

Daniel Ortega et son clan – épouse, enfants et courtisans – n’ont en effet renoncé à aucun procédé tactique ni accommodement stratégique pour reconquérir d’abord, conserver ensuite la présidence du Nicaragua. Tant sur le plan des manœuvres électoralistes et politiciennes qu’en matière d’orientations et de choix plus fondamentalement politiques. Mobilisés pour le « sauvetage » ou la « rénovation » du sandinisme originel (mais sans réelle assise sociale ou électorale à ce jour), les anciens compañeros de lutte d’Ortega ne lui passent pas le moindre fait et geste. Du leader légitime et révolutionnaire d’hier, il s’est mué à leurs yeux en un

7 Les élections ont eu lieu le 6 novembre 2016. À l’heure d’écrire ces lignes (octobre 2016), Daniel Ortega et sa femme, Rosario Murillo (candidate à la vice-présidence), étaient donnés largement gagnants par l’ensemble des sondages. Comme s’il en doutait, le président fit en sorte, dès juin 2016, d’empêcher juridiquement la candidature de la seule véritable force d’opposition (la Coalition nationale pour la démocratie) et s’opposa à toute observation indépendante des élections. Ce qui, en retour, amena la Chambre des représentants des États-Unis à voter une loi (le « Nica Act », 21 septembre 2016) qui entend conditionner l’aval de leur pays aux futurs prêts des organismes financiers internationaux au Nicaragua, « au rétablissement de la démocratie par le gouvernement Ortega et à la réalisation d’élections libres, justes et transparentes ».

8 Remportées respectivement par Violeta Chamorro (Union nationale d’opposition), Arnoldo Alemán (Alliance libérale nicaraguayenne) et Enrique Bolaños (Parti libéral constitutionnaliste). Lire B. Duterme, « Quel sauveur pour le Nicaragua ? », Libération, 2 novembre 2001.

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« autocrate »9 obsédé par le pouvoir, altérant le sandinisme au gré de son opportunisme.

En cause d’abord, son contrôle absolu de l’appareil partisan – le FSLN – instrumentalisé à ses fins personnelles dès les lendemains de la défaite de 1990, alors qu’il aurait dû être démocratisé. Son emprise aussi, progressive, sur les différents pouvoirs de l’État et au-delà (forces armées, médias…), à travers une habile politique d’alliances et de « pactes » avec des partis et secteurs jadis hostiles, puis par le biais de cooptations d’une armée d’obligés. Gages d’orthodoxie économique à l’endroit des élites10 et excès de zèle auprès de l’influente hiérarchie catholique conservatrice11 ont participé à la dédiabolisation de l’ancien révolutionnaire chez les ennemis d’hier. Cela, ajouté au culte du « Comandante Daniel » dans les bases populaires du sandinisme, ainsi qu’à d’opportunes adaptations constitutionnelles12, aura réussi à ramener le stratège Ortega à la tête de l’État, pour s’y installer.

Pour s’y installer et y mener une politique… paradoxale. Une politique qualifiée de « chrétienne, socialiste et solidaire » sur les incessantes campagnes d’affichage de la présidence, mais une politique taxée d’« autoritaire, néolibérale et corrompue » par les dissidents sandinistes, ou encore de « populiste responsable » par les milieux d’affaires. Une politique aux accents sociaux certains (retour à la gratuité de l’éducation et de la santé, plan « habitat digne », plan

« faim zéro », etc.), décriée cependant par l’opposition qui n’y voit que « clientélisme et assistancialisme ». Mais aussi une politique

9 Propos de Monica Baltodano, ancienne guérillera et ex-députée du FSLN, dans La Prensa, Managua, 28 août 2016.

10 Dont la ratification par le FSLN du Traité de libre-échange centro-américain avec les États-Unis en 2006.

11 Dont la pénalisation de toute forme d’avortement votée par les sandinistes à l’Assemblée en 2006.

12 Une première réforme (éligibilité dès le premier tour à partir de 35 % des votes) obtenue avant les élections de 2006 (à la faveur d’un « pacte » passé avec l’ex-président Aleman, condamné pour corruption puis relaxé parla Cour suprême de justice…

d’obédience sandiniste) permit à Daniel Ortega de gagner la présidence avec 38 % des voix. En 2011, la Constitution interdisant toute réélection immédiate et plus de deux mandats, la même Cour suprême octroya une dérogation au président sortant pour qu’il puisse présenter à nouveau sa candidature. Pour les élections de 2016 enfin, fort d’une majorité absolue à l’Assemblée (65 sièges sur 90), le FSLN a pu lever tout frein constitutionnel à la réélection présidentielle illimitée, à la majorité simple au premier tour. Lire B. Duterme, « Au Nicaragua, que reste-t-il du sandinisme ? », Le Monde diplomatique, septembre 2016.

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économique qui fait la part belle aux intérêts privés des secteurs dominants, agraires et financiers, et aux investisseurs extérieurs, exemptés de règles sociales ou environnementales dignes de ce nom.

Reprivatisations d’entreprises nationalisées, « reconcentration de la terre »13, exonérations fiscales pour le grand business (pour plus d’un milliard de dollars en 2015), etc.

Ce sandinisme du 21e siècle est à ce point distant du précédent qu’il a valu au gouvernement Ortega l’approbation des grandes voix libérales, en interne (le Cosep14) comme à l’extérieur. Plusieurs revues économiques internationales, dont Forbes et The Economist, ont titré sur « le miracle nicaraguayen », louant les réussites des autorités en matière d’attraction des investissements et des entreprises étrangères, saluant le « consensus » entre gouvernement et secteur privé et appréciant les changements structurels réalisés par l’administration sandiniste pour fluidifier l’économie de marché et réactiver les exportations. Le Fonds monétaire international (FMI), qui a fermé en août dernier son bureau nicaraguayen au terme de deux décennies de « stabilisation financière » du pays, a également manifesté à diverses reprises sa satisfaction à l’égard du bon élève sandiniste.

Quant aux États-Unis, s’ils font encore régulièrement figure de menace impérialiste dans la rhétorique souverainiste du président Ortega, ils sont aussi redevenus de loin le principal partenaire commercial du Nicaragua (plus de la moitié des volumes). En dix ans, depuis le retour du commandant sandiniste au pouvoir et à la faveur des accords de libre-échange, les importations en provenance des États-Unis ont doublé, tandis que les exportations nicaraguayennes vers l’ennemi idéologique de toujours ont pratiquement triplé. Les investissements directs étrangers attirés par le Nicaragua ont, eux, quintuplé entre 2005 et 201515 ! À vrai dire, le « danielisme » ou

« l’ortéguisme » – comme le nomment ses détracteurs – a aussi bénéficié (jusqu’à il y a peu) d’une double conjoncture internationale

13 Propos de Victor Hugo Tinoco, vice-ministre sandiniste des Affaires étrangères durant les années 1980, expulsé de la direction nationale du FSLN en 2005, aujourd’hui vice-président du Mouvement rénovateur sandiniste (MRS), dans Envío, Managua, août 2016.

14 « Conseil supérieur de l’entreprise privée » du Nicaragua, la principale organisation patronale.

15 « Los retos de Nicaragua a diez años del Cafta », Confidencial, Managua, avril 2016.

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particulière, qui a soutenu la croissance économique du pays (entre 4 et 5 %) et alimenté ses budgets sociaux.

Ortéguisme et hausse des inégalités

La première tendance – forte hausse du prix des matières premières, agricoles et minières, sur un marché mondial boosté par l’explosion de la demande chinoise – a influé sur toute l’Amérique latine. Gouvernements de gauche comme de droite s’y sont engouffrés tête baissée, donnant priorité au renforcement de l’antédiluvien et délétère modèle de développement agroexportateur, toujours dominant, particulièrement dans une Amérique centrale très faiblement industrialisée. Multiplication des concessions minières et des mégaprojets d’extraction, poussée des agrocarburants, expansion des monocultures ont de facto participé à une certaine « reprimarisation » des économies latino- américaines et, le temps de remplir les caisses avant que les cours ne retombent, à une aggravation de leur dépendance globale et de leur « extraversion ».

La seconde tendance concerne plus spécifiquement les pays amis du Venezuela d’Hugo Chávez, au premier rang desquels s’imposait le Nicaragua sandiniste de Daniel Ortega. Puissance pétrolière (premières réserves mondiales) dont les hydrocarbures représentent plus de 95 % des exportations, le Venezuela chaviste a pu appuyer ses ambitions sociales sur l’envolée du prix du baril, qui a tout bonnement quintuplé entre l’arrivée au pouvoir du leader socialiste et la fin de son règne. Les hausses pétrolières ont en tout cas permis d’alimenter une solidarité politique internationale, dont le président nicaraguayen a pu profiter – de façon « totalement discrétionnaire », dénonce l’opposition – à raison de quelque 500 millions de dollars par an, l’équivalent d’un quart du budget national du petit Nicaragua ces dernières années.

Aujourd’hui, la double conjoncture a changé. La première tendance – la flambée des cours des matières premières – s’est retournée. La seconde – la manne chaviste – s’est tarie, ou est en voie de l’être. Bref, pour le sandinisme ortéguiste, les temps à venir vont imposer, à très court terme, dès 2017, d’importantes restrictions budgétaires et fiscales et des choix cruciaux en matière de modèle de développement à poursuivre : « plus du même » (redoublement de l’agro-extractivisme et des exportations pour

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compenser la diminution des revenus) ou, à l’inverse, « tout autre chose » (priorité à la diversification économique, à la souveraineté alimentaire et à la réactivation du marché interne) ? Un nouveau revirement est peu probable.

À ce jour en tout cas, au terme d’une décennie plutôt favorable donc sur le plan des rentrées, le bilan social de l’administration Ortega n’a pas fondamentalement modifié la donne, accablante, qu’elle avait héritée des trois gouvernements néolibéraux précédents.

Après Haïti, le Nicaragua reste le pays plus pauvre du continent et le plus vulnérable aux ouragans et aux séismes. Si la pauvreté – qui touche près d’un citoyen sur deux – y a stagné ces dernières années, les inégalités atteignent des niveaux aberrants : le patrimoine des 200 Nicaraguayens les plus fortunés (0,003 % des 6 millions de nationaux) équivaut à 2,7 fois le PIB national. Le secteur informel occupe à lui seul plus des trois quarts de la population active ! Et la forte tendance à l’émigration ne faiblit pas, la hausse des remesas (envois de fonds des émigrés à leur famille) constituant d’ailleurs le principal facteur – devant les programmes sociaux – de limitation de la pauvreté16.

« Les coupes dans l’éducation et la santé, l’augmentation des inégalités, la pauvreté qui se maintient et les faiblesses à l’égard du pouvoir des grandes entreprises sont la marque de ce gouvernement », renchérissait sur un réseau social en septembre dernier l’économiste, sociologue et historien Oscar René Vargas, ancien conseiller de la direction nationale du FSLN durant les années 1980. « Le dogme néolibéral du “consensus de Washington”

a été porté trop loin dans ce pays et a débouché sur une impasse.

L’idée de créer des richesses au sommet pour qu’elles finissent par ruisseler peu à peu sur le reste de la société n’a pas fonctionné. La richesse produite, loin de se répartir, s’est concentrée dans les mains de quelques-uns. Et les écarts se sont creusés. Selon la Banque interaméricaine de développement, près de 80 % des familles nicaraguayennes ne vivent pas dans des logements salubres. »17

L’actuel projet de creusement du « grand canal interocéanique du Nicaragua », appelé à relier l’Atlantique au Pacifique, constitue

16 Fideg – Fundación Internacional para el Desafío Económico, Informe de resultados de la encuesta de hogares para medir la pobreza en Nicaragua, Managua, 2016.

17 Lire aussi Oscar René Vargas, « Nicaragua : ¿democracia autoritaria o dictadura familiar ? », Nueva Sociedad, août 2016.

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une belle illustration de la priorité donnée par le président Ortega aux capitaux transnationaux et aux mégaprojets – miniers, énergétiques, touristiques… – dans la « modernisation » de son pays et la lutte pour en « éradiquer la pauvreté ». Concédé à un groupe privé hongkongais (HKND), qui le présente tambour battant comme

« le plus grand chantier d’ingénierie jamais ouvert sur terre » (au coût estimé de 60 milliards de dollars, cinq fois le PIB du Nicaragua), il est aussi vanté par la Russie – à laquelle le Nicaragua vient d’acheter 50 nouveaux chars de combat (!) – comme « la bombe géostratégique qui va changer l’histoire » (RT – Novosti).

Encore dans les cartons aujourd’hui, le canal sera flanqué de deux ports en eau profonde, d’une vaste zone franche – commerciale et financière – sur le mode panaméen, d’un nouvel aéroport international, de quatre complexes touristiques haut de gamme, d’autoroutes, de viaducs, etc. Taxé de « projet démentiel »,

« irréalisable écologiquement, matériellement et financièrement » par l’Académie des sciences du Nicaragua18, il participe en tout cas à l’embellie dont le Nicaragua profite ces derniers temps dans les baromètres du grand business transnational, ainsi que dans le palmarès des destinations touristiques d’avenir. En interne, en dépit de contestations paysannes et indigènes qui taxent le FSLN et son chef de « vendepatria », le controversé projet joue plutôt, à en croire les enquêtes d’opinion, en faveur de la popularité de Daniel Ortega.

Et du sandinisme de Sandino ?

18 Lire CETRI, « Le Nicaragua double le canal de Panama : à quel prix ? » et « El Gran Canal de Nicaragua : “una concesión… impuesta a un país vencido” », <www.cetri.

be>, décembre 2015 et janvier 2016.

Referenties

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