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La littérature ou le reflet de la société française

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La littérature ou le reflet de

la société française

Les liens littéraires, historiques et sociologiques

dans trois romans contemporains : Meurtres pour

mémoire

, Le gone du Chaâba et Chroniques d’une

société annoncée

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Table des matières

Introduction 4

I Cadre théorique 7

1 Qu’est-ce que la littérature ? 7

2 Le rôle de la littérature au cours des siècles 10

2.1 Du Moyen Âge à l’Humanisme 10

2.2 Classicismes 14

2.3 Modernités 17

3 Un genre, une approche et leur apport 20

3.1 Un genre : Le roman historique 20

3.2 Une approche : La sociocritique 22

4 Les auteurs 23

II La France dans les années 60 25

1 (Dé)colonisation et perception de l’histoire coloniale 25

1.1 (Dé)colonisation 25

1.2 Perception de l’histoire coloniale en France 28 2 Historique de l’immigration et les réalités sociologiques 30

2.1 Historique de l’immigration 30

2.2 Les réalités sociologiques 32

3 La France partagée 38

3.1 Les immigrés, « Français de branche » 38

3.2 Les Français de souche 48

III La France des années 2000 59

1 Photo sociale des années 2000 59

1.1 A travers les médias 62

1.2 A travers le ressenti des jeunes 66

2 La France à travers « Chroniques d’une société annoncée » 69 2.1 Les protagonistes, jeunes banlieusards « de branche » 69

2.1.1 Le racisme 71 2.1.2 Le désespoir et la folie 75 2.2 Les Français 78 IV Synthèse 83 Conclusion 88 Bibliographie 90

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Annexe II : Article Le Monde : « Algérie – France : le choc des mémoires 95 – encore »

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Introduction

La littérature est l’expression de la société, comme la parole est l’expression de l’homme.

Louis de Bonald, Articles du Mercure de France1

Comme le montre cette citation, exprimée au début du XIXe siècle, il y a une forte relation, voire une interaction, entre la littérature et la société. Tous deux sont indissolublement liés, tout comme la parole l’est à l’homme. Bonald montre la corrélation comme quelque chose d’évident. En effet, la littérature se trouve dans la société ; elle y est vendue, lue, étudiée. Elle occupe des rayons de bibliothèques et des horaires d’enseignement et on en parle dans les journaux et à la télévision. On pourra donc dire que la littérature est vécue au quotidien par l’homme civilisé contemporain.2 Au cours des siècles, la société française a changé et évolué. Si au Moyen Âge la majorité du peuple était analphabète, ce phénomène est un tabou dans l’Occident de nos jours.3 Il est pratiquement impossible de vivre dans une société occidentale sans maîtriser l’art de lire. La littérature est devenue disponible pour la majorité des citoyens grâce à l’école, aux médias et aux facilités d’accès. De même que la société, la littérature a changé aussi. Il n’est pas étonnant que l’œuvre de Chrétien de Troyes doit être comprise dans un autre cadre que le travail d’Emile Zola ou de Michel Houellebecq. Tout temps et tout écrivain contiennent leurs propres caractéristiques, mais la littérature est toujours bien vivante, même si elle apparaît sous une autre forme selon les âges.

Dans ce mémoire, nous aborderons la littérature des dernières décennies, en particulier celle des années 60 et des années 2000. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, la France a vu l’arrivée des immigrés, dont un nombre considérable d'ex-colonisés, comme des Maghrébins. Ils sont notamment venus pour résoudre le manque de main d’œuvre en France et une grande partie d’entre eux se sont installés pour une plus longue période en France quand le regroupement familial a été permis. Les enfants de ces immigrés, souvent nés en France ou venus dans leur enfance, se trouvent dans une situation complexe, pris entre de deux cultures différentes, la maghrébine à la maison et la française à l’école ou au travail. Même s’ils ont la

1 DE BONALD, L. « Des Anciens et des Modernes », dans Mercure de France, le 20 février 1802. 2 ESCARPIT, R. Le littéraire et le social. Paris, Flammarion, 1970, p.12.

3 GROOT, W. « Analfabetisme blijft een taboe », dans Radio Wereldomroep Nederland, le 7 septembre 2006.

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nationalité française et se sentent Français, ils ne sont pas acceptés comme tel, ils portent le poids des préjugés qui ont envahi la société française.

Les émeutes dans les banlieues en 2005 ont clairement montré que la « problématique » ne concerne plus seulement un certain groupe dans la société française, mais que la situation géographique est révélatrice du malaise. De nos jours, le mot « banlieue » est devenu presque synonyme de « ghetto ».

Dans ce mémoire de fin d’études, nous nous proposons d’examiner l’interaction entre la littérature et la société française des années 60 – quand l’Algérie a obtenu son indépendance – et de nos jours, afin de rendre la problématique à laquelle la France est confrontée plus compréhensible. La question centrale de ce mémoire est : « Comment la littérature

reflète-t-elle la société française ? ». Pour y répondre, nous étudions trois romans. Meurtres pour

mémoire (1984) aborde la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 du point de vue algérien et français. Les personnages peuvent être considérés comme « marginaux », puisqu’ils vivent en marge de la société française, dans des bidonvilles. Les deux autres romans, Le gone du Chaâba (1986) et Chroniques d’une société annoncée (2007) sont également écrits de la perspective des marginaux, des jeunes banlieusards d’origine maghrébine. Les deux premiers ouvrages se déroulent dans les années 60, tandis que les douze nouvelles du dernier roman se passent dans les années 2000. Cette différence de temps nous permet de faire une comparaison entre la situation du passé, quand les immigrés restaient en principe temporairement en France mais devenaient déjà de plus en plus « visibles » dans la société française, et celle du présent, où un Français sur quatre est d’origine étrangère.

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Ces paragraphes nous permettront ensuite d’analyser Chroniques d’une société annoncée, où nous mettrons l’accent sur la perception de la France par les Français et par les jeunes banlieusards d’origine maghrébine, où les thèmes centraux sont le racisme, le désespoir et la folie. Après cette analyse, la synthèse éclaircira le message des auteurs en insistant sur le choix des personnages et des genres et sur l’emploi du langage.

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I Cadre théorique

1. Qu’est-ce que la littérature ?

Le concept de littérature remonte à l’Antiquité, où elle était déjà étudiée par les Grecs et les Romains. Les idées sur cette forme d’art ont pourtant fortement changé au cours des siècles. Ainsi, Platon chassait encore les poètes de sa république et trouvait que la littérature était un art impur. C’est vrai qu’elle est différente des autres arts en ce qu’elle produit une écriture, un agencement de lettres, de mots, de phrases. Chacun de ces éléments est à la fois chose et signification. Ceci à la différence des autres arts, qui produisent des concepts qui sont directement perçus par les sens et interprétés par la conscience.4 Au XXe siècle, Jean-Paul

Sartre a illustré cette conception en prenant pour exemple la création d’une maison chez un écrivain et chez un peintre. D’après lui, le peintre est uniquement capable de présenter une maison ; à nous la tâche d’interpréter sa maison et d’y voir ce que nous voulons. En revanche, si l’écrivain décrit un taudis, il symbolise des injustices sociales. Contrairement à l’écrivain, le peintre est donc muet.5

Il faut d’ailleurs remarquer que la notion de littérature telle que nous la concevons de nos jours date des dernières années du XVIIIe siècle. Avant, elle était quelque chose qu’on pouvait avoir, à laquelle on pouvait appartenir6, comme la Bruyère le disait dans Les

Caractères ou Les Mœurs de ce siècle (1688) : « des gens d’un bel esprit et d’une agréable

littérature ». La « littérature » comme on en parlait à l’époque s’opposait au « public ». De nos jours, la littérature est plutôt considérée comme une œuvre écrite, confirmée par le Petit Robert comme suit : « Les œuvres écrites, dans la mesure où elles portent la marque de

préoccupations esthétiques ; les connaissances, les activités qui s’y rapportent. » Mais qu’est-ce que qu’est-cela veut dire plus concrètement ? Ces dernières déqu’est-cennies, le domaine littéraire a été beaucoup étudié et grâce à cela, nous avons aujourd’hui accès à divers points de vue, souvent formulés dans des théories littéraires. Il faut noter ici que dans ce travail, nous nous appuierons sur la partie consacrée à la sociologie de la littérature. Evidemment, il n’est pas possible de tout traiter et c’est la raison pour laquelle nous nous limitons à quelques idées et théories, afin de rendre la notion de « littérature » plus claire, essentiellement dans sa relation avec la société.

4 ESCARPIT, R. (1970), p.13.

5 SARTRE, J-P. Qu’est-ce que la littérature ? Paris, Gallimard, 1948, p.15.

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Il y a toujours eu une interaction entre la littérature et la société, mais le domaine de la sociocritique ne s’est développé qu’au cours des XIXe et XXe siècles. Si nous parlons dans le paragraphe 3.2 de cette expression à l’aide de quelques écrivains qui l’ont influencée, nous aborderons ici les théorisations déterministes, afin de mieux comprendre les différentes perspectives. La doctrine d’Hippolyte Taine est la première, ayant eu une grande influence sur l’étude de la relation entre la société et la littérature. D’après cet auteur, c’est la convergence de trois facteurs qui détermine le phénomène littéraire, à savoir la race, le milieu et le moment.7 Cette formule ternaire contient deux grandes idées, comme l’explique Bergez :

Le milieu et la race viennent de loin ; ils relèvent de ce qu’on appellerait aujourd’hui la longue durée. Le moment, lui, fait intervenir non seulement l’événementiel ponctuel mais aussi le changement saisi en un point particulièrement fort. L’écrivain et son texte sont ainsi un double produit et non quelque miracle gratuit.8

Les critiques signalent qu’il manquait à Taine d’avoir clairement la notion de « science humaine ». Ils objectent que « son schéma de la race, du milieu et du moment est trop fruste

pour englober tous les aspects d’une réalité infiniment complexe. »9 Néanmoins, l’essentiel de la doctrine tainienne demeure. Depuis la publication de ses idées, ni les historiens de la littérature, ni les critiques littéraires ne peuvent plus se permettre d’ignorer les déterminations que les circonstances extérieures, et notamment sociales, font peser sur l’activité littéraire.10

Au cours du temps, de plus en plus de domaines différents se sont occupés de la relation entre la littérature et la société. Ainsi, le marxisme a beaucoup influencé les théories littéraires. Même si la focalisation de ce courant allait vers la politique et l’économie, la littérature a été mentionnée et théorisée par des critiques littéraires comme Georg Lukács et son élève Lucien Goldmann. Le marxisme estime non seulement que la sociologie de la littérature s’occupe principalement de la production, de la distribution et de l’échange des produits littéraires dans une société (comme l’origine sociale de l’écrivain ou la manière dont les livres sont publiés), mais aussi qu’il faut donner une explication plus complète de l’œuvre littéraire, ce qui veut dire qu’on doit accorder plus d’attention aux formes, aux styles et aux importances du travail.11 La littérature et la culture devaient être repensées comme effets et

7 La race indique l’état physique de l’être humain, le milieu désigne la géographie ou le climat et le moment est

l’état d’avancée intellectuelle de l’homme.

8 BERGEZ, D. et al. Méthodes critiques pour l’analyse littéraire. Paris, Armand Colin, 2005 (Première édition

en 1990 par Bordas, Paris), p.163.

9 ESCARPIT, R. (1958), p.9. 10 Ibid, p.9.

11 EAGLETON, T. Marxisme en literatuurkritiek. Nijmegen, SUN, 1980, p.11 (traduit par Lieke van Duin et

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comme moyens d’une dernière instance économico-sociale. Le « nouveau matérialisme »12 allait opérer dans trois directions : d’abord la lecture des champs culturels et littéraires, où on insistait sur le fait que la littérature est un aspect de l’histoire sociale. Puis l’interprétation des grands textes allait être étudiée, surtout ceux du XIXe siècle. Le but était de montrer que l’idéologie avouée des auteurs était parfois en contradiction avec le résultat de leurs œuvres. Le troisième point était l’esquisse d’une finalisation, car le marxisme était non seulement une interprétation, mais également une politique sur la littérature.13 Ainsi, Lukács a écrit sur la problématique de la forme littéraire qui est, selon lui, incarnée par l’élément social. Il argumente que la représentation des contradictions de la société reflète la totalité complexe de la société même. L’art lutte contre l’aliénation de la société capitaliste et conçoit une image riche et universelle de l’être humain.14 Lukács souligne d’ailleurs que la place de l’écrivain dans l’histoire est très importante. Ainsi, le roman historique comme genre s’établit à un moment d’agitations révolutionnaires au début du XIXe siècle, lorsque les écrivains avaient la possibilité de comprendre leur propre temps comme « histoire », c’est-à-dire qu’ils étaient capables de considérer le passé comme histoire du présent.15

Avant de finir cette première partie, nous voulons encore insister sur la vision de Jean-Paul Sartre concernant la littérature et son rapport avec la société. Dans son étude Qu’est-ce

que la littérature ?, Sartre traite la question de savoir ce que c’est qu’écrire, pourquoi écrit-on et pour qui. Il y explique les fonctions de la prose : « La prose est utilitaire par essence (…) le

prosateur (…) se sert des mots. (…) L’écrivain est un parleur : il désigne, démontre, ordonne, refuse, interpelle, supplie, insulte, persuade, insinue. »16 La prose est donc non seulement un moyen pour transmettre ses idées, mais aussi pour mettre une chose en mouvement, ce que Sartre présente aussi : « L’objet littéraire est une étrange toupie, qui n’existe qu’en

mouvement. Pour la faire surgir, il faut un acte concret qui s’appelle la lecture, et elle ne dure qu’autant que cette lecture peut durer. »17 Sans la lecture, sans le lecteur, il n’y a que des tracés noirs sur le papier et cela ne mène à rien. Par ailleurs, Sartre n’est pas du même avis que les marxistes et considère que ce qu’ils disent sur la représentation des personnages est inadéquate : « Valéry est un intellectuel petit-bourgeois, cela ne fait pas de doute. Mais tout

intellectuel petit-bourgeois n'est pas Valéry. » Il montre donc surtout qu’être petit-bourgeois

12 Terme employé par Marx pour désigner l’idée que les événements historiques sont influencés par les rapports

sociaux, en particulier les rapports entre classes sociales.

13 BERGEZ, D. et al. (2005), pp.164,165. 14 EAGLETON, T. (1980), p.32.

15 Ibid, p.34.

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n’est pas incompatible avec être un grand écrivain. Enfin, Sartre est aussi celui qui a insisté sur l’importance de l’engagement dans la littérature. Il estime que « parler c’est agir »18 et que l’écrivain sait que la parole est action. L’auteur veut dévoiler un aspect du monde et ce dévoilement entraîne forcément la volonté de vouloir le changer. D’après Sartre, l’écrivain est « engagé », parce qu’il ne peut justement pas, comme le peintre, faire une peinture plus ou moins impartiale de la société et de la condition humaine.19 L’écrivain sait qu’il est l’homme qui nomme ce qui n’a pas encore été nommé ou ce qui n’ose dire son nom. Un des auteurs ici traités en est un bel exemple : Didier Daeninckx dénonce ce qui était jusqu’alors inconnu pour la majorité des lecteurs.

2. Le rôle de la littérature au cours des siècles

Après avoir montré divers points de vue sur ce qu’est la littérature et sur son rapport avec la société, nous voulons aborder la fonction de la littérature dans la société française au cours des siècles. En effet, il y a eu un changement, voire une évolution considérable de la littérature médiévale jusqu’à nos jours. Il faut tout de suite noter que « le rôle » de la littérature n’existe pas. Elle remplit beaucoup de rôles. La littérature sert à s’exprimer et à raconter, à se distraire et à dénoncer. Mais elle est aussi un moyen d’enrichissement intellectuel et culturel. Dans ce chapitre, nous verrons les fonctions dont la littérature s’est chargée dans la société française à l’aide de quelques exemples pour montrer le rapport qui existe entre la littérature et la société.

2.1 Du Moyen Âge à l’Humanisme

Le Moyen Âge

Nous commençons non par hasard par l'étude du rôle de la littérature dans le Moyen Âge. Sa naissance a en effet eu lieu dans cette période. Avant le XIIe siècle, il n’y avait pas encore de littérature en langue vulgaire, c’est-à-dire écrite dans une des langues qui deviendra le français. Tout était donc à inventer. Afin de comprendre la littérature au Moyen Âge, il faut d’abord insister sur l’influence de la religion. En effet, cette époque était profondément imprégnée du christianisme qu’on pourrait même qualifier comme « militant ». Les auteurs étaient des clercs qui écrivaient avec une intention didactique, une finalité, et vivaient dans un

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monde religieusement orienté.20 La chanson de geste en est un bon exemple, car elle est entièrement nourrie d’esprit religieux. Ainsi, il y a beaucoup d’allusions à Dieu et à l’ange Gabriel, parce que les chansons de geste sont des récitations des héros que sont les chevaliers chrétiens. Cela montrait aux gens la bonté de Dieu et sa puissance. Comme dans tous les textes au Moyen Âge, il y a toujours une valeur morale et politique. En utilisant des types, comme le roi, le chevalier et le traître, l’auteur peut se permettre de moraliser.

Après les chansons de geste, les deux premières siècles du « Moyen Age littéraire » ont accordé une place importante au concept de la fin’amor, le noyau central de la courtoisie. La fin’amor est l’amour parfait et délicat et place l’amant en position inférieure par rapport à la dame, qui devient la suzeraine de celui qui l’aime.21 Il est complètement soumis à ses désirs et à ses vœux. L’idéal de l’amour courtois a été répandu à l’oral par les troubadours et par les trouvères. La transmission orale était le moyen par excellence pour atteindre un grand public, parce que la majorité des gens à l’époque ne savait pas lire. Dans ces chansons il y a également une morale, du moins c’est l’intention. En général les trouvères finissaient toujours avec la morale.

Au XIIIe siècle, le roman courtois remplace la chanson de geste avec comme exemple le plus célèbre Le Roman de la Rose, écrit par Guillaume de Lorris et Jean de Meun. Dans ce texte, une multitude d’aspects d’amour est traitée sous la forme de l’allégorie. Sous des notions abstraites et des sentiments comme la Jalousie et le Danger, elle sert à moraliser et à enseigner. L’influence de ce roman ne doit d’ailleurs pas être sous-estimée. Le succès considérable du roman a culminé dans la « Querelle du Roman de la Rose », qui opposait les féministes et les défenseurs de la foi et de la religion aux philosophes.

A côté de la poésie, il existait aussi des romans médiévaux, comme ceux qualifiés sous le nom de « la matière de Bretagne », dont le cycle arthurien est un thème fort. Il s’agit des histoires chevaleresques autour du roi Arthur, de son entourage et de la quête du Graal. Le thème de l’Autre Monde y est très présent sous la forme des créatures fabuleuses, ce qui donne une dimension mystérieuse et troublante à ce genre. En même temps, il y a beaucoup de symbolisme dans les romans arthuriens en combinaison avec la religion. Ainsi, dans l’œuvre Lancelot ou le chevalier de la charrette de Chrétien de Troyes, l’auteur fait des références à Dieu et à Satan à travers le vieux roi Bademagu et son fils Méléagant, ainsi qu’une comparaison de Lancelot avec le Christ. Il faut d’ailleurs remarquer que Lancelot ou le

20 VALLECALLE, J-C. Littérature et religion au moyen âge et à la renaissance. Lyon, Presses Universitaires de

Lyon, 1997, p.17.

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Chevalier de la Charrette est bien un roman courtois. Lancelot est en effet l’amant de la reine Guenièvre et est devenu une figure légendaire de l’amour courtois. Il incarne, avec Tristan, un modèle de la passion, de l’amour absolu.22 Contrairement à Le Roman de la Rose, l’amour a une utilité sociale dans les romans chevaleresques, parce que stimulés par l’amour, les chevaliers ont le courage d’accomplir des actes héroïques.23 Ceci en combinaison avec leur rôle de croyant exemplaire mène à la création d’un modèle aussi bien en amour qu’en religion pour les lecteurs.

Le XIVe et le XVe siècles étaient un temps de crise, à cause des guerres, des révoltes, de la famine et de la peste. Ces événements ont entraîné une crise des valeurs, une mise en question de l’authenticité des choses, comme par exemple l’amour courtois. Nous pouvons donc conclure que la littérature au Moyen Âge montre à quel point la religion était imprégnée dans la société médiévale, puisque les auteurs décrivaient des héros idéaux dans l’amour et dans la religion. Ils étaient des personnages à qui on voulait se référer. Il est vrai que les histoires ne sont pas une imitation de la vie réelle de l’époque, mais bien une mimésis, c’est-à-dire que les écrivains reproduisaient le livre formé de la main de Dieu. Les auteurs médiévaux avaient en effet une mission qui consistait en la transmission de leur savoir et ils la considéraient comme divine, fixée par Dieu.

L’Humanisme

Caractérisé par d’importantes découvertes géographiques et scientifiques, comme l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, le XVIe siècle était une époque charnière entre le Moyen Âge et les Temps modernes. L’influence de l’Eglise telle qu’on l’a vue au Moyen Âge reste considérable, même s’il y avait un besoin de considérer la vie sociale et la religion d’une autre manière. C’est en effet au XVIe siècle qu’a eu lieu la Réforme protestante, commencée par Luther et continuée par Calvin. En même temps, le mouvement intellectuel de retour aux Lettres antiques, caractérisé par un immense désir de savoir, voit le jour sous le nom de l’ « humanisme ». Il a été une réaction contre le mode de vie médiéval et a accompagné l’Evangélisme, en ce sens qu’il veut réformer l’Eglise par la foi d’abord.24 Ce retour aux textes et l’essor de l’esprit critique se sont opposés à l’autorité de la Sorbonne et de l’Eglise. La littérature de la deuxième moitié du siècle a pris position dans les débats religieux (huit guerres se sont succédées de 1562 à 1593) en exaltant la tolérance, la modification ou la

22 Ibid, p.153.

23 SLINGS, H. (sous la direction de). Roman de la Rose,

http://www.literatuurgeschiedenis.nl/lg/middeleeuwen/tekst/lgme011.html, consulté le 15 juillet 2009.

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réforme.25 Elle servait aussi à critiquer ce qui se passait au Moyen Âge et montrait l’enrichissement intellectuel de l’époque. La Pléiade avait ainsi la volonté de lutter contre le « monstre Ignorant ».26

Un des grands écrivains de l’époque qui a incarné les valeurs de l’humanisme était François Rabelais. Ses romans sont d’apparence populaire et mettent en scène un diablotin issu des mystères médiévaux et transformé en géant (Pantagruel) et ensuite un héros du folklore français (Gargantua). On ne s’attendait pas à cela, surtout parce que le roman était un genre méprisé par la plupart des humanistes, comme Erasme, et dénoncé par les théologiens de la Sorbonne.27 Les thèmes qui importaient aux humanistes sont pourtant très développés dans les romans rabelaisiens, comme celui de l’éducation. Ce thème lui permettait d’opposer la « barbarie » médiévale à la pédagogie humaniste. Rabelais s’est énormément distancié du Moyen Âge et s’en moquait même. En même temps, il dénonçait l’Eglise telle qu’elle était à son époque, avec ses institutions et ses abus. Un autre procédé dont il se sert dans ses romans, c’est qu’il s’adresse aux lecteurs. Rabelais trouble le lecteur en disant d’abord une chose et puis la remettant en question. De cette manière, il incite les lecteurs à réfléchir, à ne pas immédiatement tout croire ce qui est dit.

Il y a aussi d’autres grands humanistes qui ont eu beaucoup d’influence. Ainsi, Michel de Montaigne a influencé la société française avec ses Essais, dans lequel il s’agit des « essais du jugement ».28 Un article important des Essais s’intitule « Vie et mœurs des cannibales », dans lequel le nom de « cannibales » s’applique aux populations anthropophages de l’Amérique récemment découverte. Avec ce texte, Montaigne voulait montrer à l’homme la relativité de ses coutumes et aux Français de 1580 leur inhumanité :

jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres. Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à déchirer par tourments et par gênes un corps encore plein de sentiment (…) que de le rôtir et manger après qu’il est trépassé.29

Montaigne confronte ses contemporains ici avec leur jugement, c’est-à-dire de ce que l’on accepte dans la société et ce qui est qualifié comme « différent », ou même « barbare ». Ainsi,

25 NOUAILHAC, I. et NARTEAU, C. Mouvements littéraires français du Moyen Âge au XIX e siècle. Paris,

E.J.L., 2005, p.23.

26 MITTERAND, H. (1988), p.330.

27 MÉNAGER, D. Rabelais en toutes lettres. Paris, Bordas, 1989, p.31. 28 MITTERAND, H. (1988), p.429.

29 MONTAIGNE, M. de. Essais, Tome I. Paris, Librairie Générale Française, 1972 (Première édition : 1580),

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il a argumenté : « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ».30 Nous pouvons conclure à la modernité des Essais de Montaigne, qui incitent à une mise en question de ses propres coutumes et nous forcent à réfléchir sur nous-mêmes et sur nos valeurs.

Du Moyen Âge à l’Humanisme, beaucoup de changements ont eu lieu. Même si l’Eglise était toujours importante au XVIe siècle, elle était aussi une source de critique. Grâce à l’invention de l’imprimerie, plus de gens ont eu accès à la littérature et d’autres idées se sont répandues. Si au Moyen Âge les auteurs moralisaient par l’allégorie, les humanistes ont pu exprimer plus directement leurs idées.

2.2 Classicismes

Le siècle du théâtre

Après le choc des guerres de Religion et de la Réforme, ainsi que celui des grandes découvertes, la première moitié du XVIIe siècle était une période de défoulement. Les baroques, pessimistes, contrairement aux humanistes, ont lâché la bride à leur imagination et prenaient de grandes libertés avec le style, ce qui entraînait en réaction le retour à l’ordre du classicisme. La grandeur, la raison et l’idéal de l’« honnête homme » étaient des caractéristiques du règne du Roi Soleil.31 Dans cette période, une grande expansion culturelle

a également eu lieu, qui concernait entre autres l’école, les universités, l’Etat et les Eglises et donnait la possibilité à une minorité de gens de la population d’apprendre à lire et à écrire, une situation bien meilleure qu’avant.32

Au XVIIe siècle, le théâtre vivait son âge d’or en étant le genre littéraire majeur du classicisme. C’est à cette époque que les œuvres de Corneille, Molière et Racine ont été publiées. Corneille redonnait à la tragédie une dimension politique, comme cela avait déjà été courant dans l’Antiquité. En faisant appartenir les protagonistes à la classe dirigeante, l’auteur a provoqué une réflexion sérieuse sur les problèmes qui se posaient aux collectivités humaines, comme la justice et l’injustice, le bon et le mauvais gouvernement.33 Il s’agissait donc d’un théâtre engagé, ce qui est confirmé par l’idéologie politique de l’époque qu’elle reflétait.

Molière a procédé d’une autre manière et a fait passer son message au moyen des farces et des comédies. Il a fondé son comique sur la satire des mœurs contemporaines. Ainsi,

30 Ibid, p.307.

31 NOUAILHAC, I. et NARTEAU, C. (2005). p. 31.

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son œuvre la plus populaire a été Le Tartuffe, où il critique le faux-dévot, l’hypocrite. Comme on était très pieux au XVIIe siècle, la pièce a été accusée d’impiété, surtout de la part des dévots. Pour Molière, la comédie devait corriger les vices des hommes par la vertu du rire. En dénonçant les mœurs de l’époque, Molière tendait un miroir au public.

Finalement nous aimerions encore insister sur un autre genre qui est bien présent au XVIIe siècle, à savoir les fables. Dans la deuxième moitié du siècle, c’est Jean de la Fontaine qui a publié ses Fables, un genre qui n’avait pratiquement pas droit de cité dans la littérature. Ayant renouvelé ses formes et ses tonalités, La Fontaine a fait des fables souvent satiriques, qui critiquent notamment la justice, la cour et la monarchie « de droit divin » et traitent de thèmes plus philosophiques. La fable ne sert donc pas à divertir ou à amuser, mais à enseigner, à donner une leçon, d’ordre philosophique et même politique, pour révéler, rappeler et prôner la vérité.34

Les Lumières

Le roi est mort, vive le roi ! La mort de Louis XIV libérait toutes les forces que le despotisme du vieux roi avait contenues et donnait le sentiment qu’une époque nouvelle s’était ouverte pour la vie intellectuelle.35 Le XVIIIe siècle était une vaste époque de croissance. Beaucoup d’hommes et de nombreuses femmes (mais moins) apprenaient à lire et à écrire. Vers 1789, près d’un Français sur deux et une Française sur quatre sont capables de signer leur nom. Cela veut donc dire que la littérature a atteint plus de lecteurs et les influençait davantage. En même temps, la presse périodique prenait aussi de l’importance et la lettre du lecteur apparaissait dans les journaux, ce qui montre qu’il y avait une plus grande familiarité entre les gens et la presse.

Dans la littérature, le statut de l’écrivain changeait également. A la fin du XVIIIe siècle une prise de conscience a eu lieu et on a reconnu le droit de l’auteur. Les écrivains n’étaient en général plus dépendants d’un mécénat (il faut d’ailleurs noter que ce n’était pas encore le cas pour des écrivains comme Voltaire et Rousseau). La littérature de cette époque était marquée par un grand nombre de textes philosophiques, parfois écrits sous la forme d’un roman. Un bon exemple est L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, qui visait à lutter contre l’intolérance et le despotisme, avec des articles concernant le christianisme, l’économie

34 MITTERAND, H. (1987). p.380.

35 MITTERAND, H. Littérature: textes et documents. XVIII e siècle. Paris, Nathan, 2000 (Première édition :

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et beaucoup d’autres sujets. Afin de ne pas nous perdre dans la richesse littéraire de l’époque, nous nous proposons seulement d’aborder trois écrivains très importants.

Charles-Louis de Secondat, connu sous le nom de Montesquieu, a développé dans De

l’esprit des lois le principe de la distinction des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, base de toute démocratie. Il visait à faire comprendre le monde aux gens en étudiant l’ensemble de toutes les sociétés réelles qui se sont succédées dans l’histoire. Montesquieu a également écrit des romans, dont le plus célèbre est le roman épistolaire Lettres Persanes. Le genre épistolaire permettait à Montesquieu de critiquer la société de son temps, ses mœurs et ses institutions en utilisant le regard étranger et exotique des voyageurs persans. En même temps, le genre offrait des réflexions et des argumentations plus juxtaposées qu’opposées, sur des sujets fort sérieux comme la philosophie, la religion, la morale et la politique.36 De cette manière, Montesquieu voulait tendre un miroir aux Français et leur montrer que certaines de leurs coutumes étaient vraiment ridicules.

Voltaire est sans doute le plus polyvalent de tous les écrivains des Lumières. Il a brillé dans tous les genres, que ce soit comme historien, philosophe, conteur ou poète. Dans son roman Candide, il a utilisé beaucoup d’ironie dans ses objets de critique comme l’esclavage, les privilèges des nobles et l’Eglise. Sa description de l’Eldorado entraîne par exemple un effet de caricature, De cette manière, il veut montrer aux lecteurs que l’utopie ne fonctionne pas, l’homme n’est pas prêt à la vivre. Le roman est considéré comme un roman d’apprentissage, car au fur et à mesure de l’histoire on se rend compte que le monde idéal s’avère ne pas l’être. Il faut donc accepter la médiocrité de notre monde. C’est ainsi que Candide conclut : « Il faut cultiver notre jardin. »37

Enfin, Jean-Jacques Rousseau porte sa propre vision sur la société. Comme les deux autres écrivains, il écrit des textes philosophiques et des romans, dans lesquels il argumente que l’homme est naturellement bon et que c’est avec la société qu’apparaît le mal. C’est elle qui produit l’inégalité, la convoitise et finalement la guerre. C’est la volonté du peuple qui est souverain et non pas Dieu.38 Dans son ouvrage Emile, Rousseau moralise en insistant sur la nécessité d’adapter l’éducation à l’âge de l’enfant et à ses capacités et de trouver ainsi une éducation qui dénature le moins.

36 PUZIN, C. Lettres Persanes (Profil d’une œuvre). Paris, Hatier, 2004, p.6.

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Nous pouvons donc conclure que les écrivains des Lumières ont eu pour vocation de faire évoluer la société en mettant en question les mœurs et les coutumes de l’époque, en critiquant les inégalités et en proposant des idées afin de créer une meilleure société.

2.3 Modernités

Romantisme et Réalisme

Avec la chute de la monarchie en 1789, le XIXe siècle a été entièrement marqué par la Révolution et à la suite l’entrée massive de la littérature en politique. En 1900, l’alphabétisation était à peu près générale et a créé un grand public pour l’écrivain. Dans la première moitié du siècle, du Consulat à la révolution en 1848, le maître mot était le Romantisme. C’était un courant littéraire qui s’est dressé contre les Lumières, en refusant la toute-puissance de la raison. La nature et l’histoire nourrissaient la littérature et c’est ainsi que le roman historique est devenu un genre populaire. La nature est d’ailleurs le concept qui a fait le passage entre l’âge romantique et le réalisme vers 1850. Le réel gagnait du terrain par rapport aux rêves. Dans la lignée des Lumières, le mouvement réaliste croyait en la science et dans le progrès social. Le Naturalisme allait même plus loin en argumentant que ce n’est plus la raison, mais la « nature » (c’est-à-dire hérédité et milieu social) qui détermine le comportement de l’homme et son organisation sociale.39

Si l’idée du Romantisme s’est notamment exprimée par des poètes tels que Victor Hugo, il y avait aussi bien des romans romantiques. George Sand exprimait les idées de ce courant littéraire dans des romans comme Indiana, qui est une lutte contre la société et les préjugés. Honoré de Balzac est l’auteur qui fait le pont entre le Romantisme et le Réalisme. Auteur de La Comédie Humaine, Balzac a témoigné d’une volonté aussi bien explicative que descriptive. Il voulait établir la classification des espèces humaines en se basant sur l’hypothèse d’un corps social identique à la faune naturelle. Elle ne devait toutefois pas être seulement une reproduction du monde, elle devait aussi en apporter l’explication. Le roman balzacien reconstitue le réel en créant des personnages typiques et de dresser ainsi un riche tableau de la société, Balzac montre en plus un refus : de la société bourgeoise, de sa vision du monde et de son capitalisme conquérant.40 Les personnages des romans du XIXe siècle

39 NOUAILHAC, I. et NARTEAU, C. (2005), p.72.

40 LEBRUN, J-C. « Anniversaire. Il y a deux cents ans naissait Balzac », dans L’Humanité, le 27 mai 1999.

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sont caractérisés par leur proximité et leur familiarité (psychologique ou sociologique) avec le lecteur. De ce fait, le roman balzacien peut être qualifié comme « roman d’éducation ».

Emile Zola est allé plus loin que Balzac avec ses romans expérimentaux. Il a également utilisé le procédé d’un cycle de romans, intitulé Rougon-Macquart et sous-titré « Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire ». La manière dont l’auteur a organisé les personnages dans ses romans, est en fonction d’une typologie psychologique et d’une symbolique morale très accentuée.41 Zola n’est d’ailleurs pas seulement devenu célèbre grâce à ses romans, mais aussi par un manifeste qu’il a publié en 1898, le fameux J’accuse, accusation contre l’antisémitisme, très présent en France à l’époque. Ce document a mené à une politisation, c’est-à-dire une prise de conscience de la misère, et indirectement à la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Le XXe siècle

Plus le temps passe, plus la littérature évolue. Si au Moyen Âge nous avons pu nous limiter à quelques genres, au XXe siècle il y a tant d’écrivains et de courants littéraires différents qu’il n’est pas possible de les traiter tous. Nous pouvons toutefois distinguer quatre « époques » littéraires : Le temps de la décadence au modernisme, le temps de l’engagement, le temps des crises des idéologies et finalement la post-modernité.42 Le début du XXe siècle se caractérisait

par la « Belle Epoque » avant la Grande Guerre, pendant laquelle sous des apparences de frivolité et de facilité, la vie n’était pas toujours aisée. C’était à cette époque où Marcel Proust a bouleversé toutes les normes du genre romanesque. Dans ses romans, il critiquait l’apparente frivolité en portant des jugements ironiques et cruels sur la noblesse.

Les « années folles » après la Grande Guerre semblaient être le prolongement et la multiplication des audaces de l’avant-guerre. Mais après la crise des années 30, on se refusait à cette insouciance et on se posait des questions telles que « comment vivre ». Dans cette période de l’entre-deux-guerres, le roman a pris une place considérable, ayant pour mission de retracer l’histoire de la France contemporaine. Le public demandait aux écrivains de répondre à certaines interrogations. Ainsi, le roman devenait philosophique, social ou moral.43 Leurs constats se transformaient souvent en des textes très critiques.

A partir des années 40, plusieurs événements constituaient des difficultés pour les penseurs et les écrivains de l’époque. De la Seconde Guerre mondiale aux sanglants combats

41 MITTERAND, H. Littérature : textes et documents. XIX e siècle. Paris, Nathan, 2005 (Première édition :

1986), p.466.

42 MITTERAND, H. Littérature : textes et documents. XX e siècle. Paris, Nathan, 2003 (Première édition : 1983).

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de la décolonisation, ils ne savaient plus comment penser. C’est dans cette période que l’existentialisme est apparu, dont Jean-Paul Sartre est à l’origine. Dans ce courant, on trouve notamment l’absurdité de la condition humaine, entraînée par les événements à l’époque.

A cause des constats comme la faillite du mythe progressiste des Lumières et de la « barbarie à visage humain », les penseurs et écrivains des années 70 et 80 commençaient à s’interroger sur le sens même de la modernité. En mettant en scène la nouvelle société, l’auteur postmoderne confronte le lecteur avec les caractéristiques de cette société.

Avant de finir cet aperçu sur les rôles de la littérature au cours des siècles, nous aimerions encore consacrer quelques mots à la littérature francophone. Ainsi, au Maghreb s’est développée après la Seconde Guerre mondiale une littérature indissociable des mouvements nationalistes et de l’émergence d’une conscience politique. Ces écrivains ont dénoncé la condition de leur compatriotes sous l’occupation française, en insistant sur les injustices, l’intolérance et la discrimination. Si dans les années 50, des auteurs comme Albert Memmi mettaient encore en cause l’impérialisme colonial, la génération des années 60 traitait plutôt les séquelles de la guerre d’indépendance et les problèmes d’adaptation au monde moderne. C’est à Paris que s’était formé déjà avant la Seconde Guerre mondiale le mouvement dit « Négritude », un projet de défense et d’illustration des valeurs culturelles du monde noir. Aimé Césaire, Léopold Sedar Senghor et Léon-Gontran Damas, trois auteurs de différents pays de l’Afrique noire et des Antilles, ont pris la tête de ce mouvement. Leur littérature peut être qualifiée comme une littérature de désaliénation.44

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3. Un genre, une approche et leur apport

Dans la partie précédente, nous avons vu qu’au cours des siècles, divers courants littéraires se sont succédés, apportant tous d’une autre manière leur vision du monde. De plus en plus de lecteurs de toutes les couches sociales ont finalement eu accès à cette littérature, qui peut servir à moraliser, puis à dénoncer, à informer et à faire réfléchir les lecteurs. Or, ces rôles de la littérature peuvent être atteints de plusieurs manières. En utilisant un certain genre, l’écrivain peut se permettre de choisir une certaine perspective. Dans cette partie, nous présenterons un genre littéraire dont un des romans que nous analyserons fait partie et une approche : le roman historique et la sociocritique.

3.1 Un genre : le roman historique

Comme nous pouvons le voir, le terme « roman historique » se constitue de deux mots qui se contredisent. Il implique en effet une contradiction entre le fictif (roman) et le réel (histoire). Cette sorte de roman prend pour toile de fond une Grande Histoire, comme par exemple la Seconde Guerre mondiale, et mêle le fictif et le réel. Plus précisément, le roman historique

« prétend donner une image fidèle d’un passé précis, par l’intermédiaire d’une fiction mettant en scène des comportements, des mentalités, éventuellement des personnages réellement historiques ».45 Dans Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx, la Grande Histoire est la manifestation pacifique algérienne du 17 octobre 1961, brutalement réprimée par les C.R.S., qui ont laissé des dizaines de morts. Contrairement à cet événement bien réel, la « petite histoire » du roman est fictive. Il s’agit d’une enquête que l’inspecteur Cadin mène à la suite d’un meurtre d’un Français pendant la manifestation. Il faut remarquer que dans le roman historique, il ne s’agit pas forcément d’un passé lointain qui peut rejoindre le présent. En regardant des œuvres comme Le Rouge et le Noir de Stendhal, dont le sous-titre est « Chronique de 1830 » – plus tard « Chronique du XIXe siècle » – nous pouvons constater que l’Histoire du présent est aussi bien envisagée que celle du passé. Plus concrètement, le roman historique met en évidence des continuités, des liens de cause à effet.46

Depuis la Révolution, les écrivains se rendent compte d’une certaine façon que la littérature est l’expression de la société et comme la société se transforme, la littérature évolue

45 MADALENAT, D. « Roman historique », dans: Dictionnaire des littératures de langue française. Paris,

Bordas, 1994, p. 2136.

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aussi. Le roman historique a vu son apogée au XIXe siècle, où de 1815 à 1832, entre un quart et un tiers des romans français publiés appartenaient au genre historique, ce qui équivaut à cinq à six cents romans. Le roman historique est un genre intéressant à choisir pour les écrivains, parce qu’elle touche un plus grand public qu’un manuel d’Histoire. L’avantage est qu’elle permet l’empathie du lecteur, qui s’identifie par ce genre avec la situation historique. Enfin, le roman historique autorise l’auteur à plus de liberté dans le but de pouvoir dénoncer ce qu’il veut. C’est ce que nous verrons dans l’analyse de Meurtres pour mémoire. L’écrivain n’a toutefois pas une liberté totale, il y a des règles auxquelles il faut se tenir. Ainsi, le roman historique oblige l’auteur à avoir un écart d’une génération entre les faits et le moment de l’écriture, afin d’avoir du recul par rapport à l’Histoire.

Le « créateur » du roman historique a été l’Ecossais Walter Scott, qui donnait dans son œuvre une peinture vivante des mœurs écossaises, anglaises et françaises entre le Moyen Âge et le XVIIIe siècle. Il y valorisait le rôle du petit peuple dans le processus historique.47 A la suite de Scott, plusieurs écrivains français ont élaboré leur propre vision du genre. Ainsi, dans

Notre-Dame de Paris, Victor Hugo fait revivre le grouillement d’un peuple de parias. Alfred de Vigny assigne au roman historique une mission plus didactique, comme il argumente dans la préface de Cinq-Mars. Finalement, Alexandre Dumas père se consacrait aussi notamment au roman historique, qu’il faisait paraître en feuilleton, avec des romans tels que Les Trois

Mousquetaires. Les auteurs utilisent le roman historique donc de différentes manières. C’est Balzac qui en a fait un roman parfaitement politique. Ses œuvres sont nourries de la réalité et font que La Comédie Humaine est inséparable de l’Histoire contemporaine – elle n’est donc pas un roman historique « stricto sensu » –, car malgré qu’elle ne se tient pas à la règle de l’écart d’une génération, la dimension historique y est très importante. Pour Stendhal, avec sa « Chronique », il s’agit d’attirer l’attention du lecteur sur ce qui s’est réellement passé dans l’histoire, donc des faits historiques, pris dans une histoire fictive.48 Au XXe siècle, le roman historique peut être retrouvé dans l’œuvre des écrivains comme l’italien Umberto Eco (Le

Nom de la Rose) et en France Marguerite Yourcenar (Mémoires d’Hadrien). De nos jours, la popularité du genre a mené à des adaptations cinématographiques comme celles des « Mousquetaires » – plus d’une trentaine de films différents – et au roman historique pour la jeunesse, qui est un des genres les plus florissants aujourd’hui.49

47 AUTEUR INCONNU. Scott, Walter.

http://fr.encarta.msn.com/encyclopedia_761570860_1____7/Scott_Walter.html#s7, consulté le 6 août 2009.

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Le roman historique est souvent mélangé avec le roman policier, comme c’est le cas dans Meurtres pour mémoire. Structuré comme une enquête policier, ce type de romans commence en général avec un assassinat, pour continuer avec la recherche du meurtrier et de révéler la vérité. Le roman policier a l'air d'être un roman vraisemblable.

3.2. Une approche : la sociocritique

La sociocritique désigne la lecture de l’historique, du social et de l’idéologique du culturel dans le texte.50 De plus, elle en apporte une interprétation. La lecture sociocritique est un mouvement qui ne se réalise pas seulement à partir de textes fondateurs et d’archives, mais aussi à partir d’une recherche qui invente un nouveau langage, fait surgir de nouveaux problèmes et pose de nouvelles questions.51 La sociocritique ne dirait donc jamais que le texte est un produit fini, parce qu’on y part avec l’idée que le texte, toujours déterminé, est aussi un nouveau déterminant. Elle est un engagement dans la recherche des contradictions et des confluences.

Cette étude des rapports entre la littérature et la société ne s’est constituée en discipline qu’au début du XIXe siècle, en même temps que se développaient les sciences sociales. Grâce à la Révolution, qui avait fourni des clartés, on était persuadé d’avoir trouvé le secret du fonctionnement et du mouvement des sociétés.52 Pourtant, cette Révolution avait en même temps troublé le présent, entraînant de nombreuses questions à cause des contradictions. En annonçant et en vérifiant, la littérature s’occupait de ces problèmes. On pensait en effet avoir une idée claire du produit social qu’est la littérature. Ainsi, Mme de Staël argumentait que la littérature n’était plus un art mais une arme : pour agir et pour comprendre. Son ouvrage De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions

sociales peut être considéré comme la première tentative de joindre en une étude systématique les notions de littérature et de société.53 Elle s’y propose « d’examiner quelle est l’influence

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s’engager à cause de la censure. Les romans de Rabelais par exemple, dans lesquels il critiquait entre autres fortement l’Eglise, ont été condamnés par la Sorbonne et n’ont souvent pu être publiés qu’en version censurée. Outre cette lecture diachronique, Mme de Staël a raisonné que le changement et le progrès se rapportaient aussi à l’espace, car il y a des territoires différents pour la littérature et la pensée. La littérature est aussi ce qui se passe ailleurs. Ces idées ont entraîné la fin du modèle français et le début d’une anthropologie littéraire.55

Il est évident que Mme de Staël n’est pas la seule à avoir réfléchi sur ce rapport entre la littérature et la société. Ainsi, Chateaubriand est le premier à poser la question du rapport-cohabitation entre culture païenne et culture chrétienne. Il donne les premiers exemples d’explications de textes par l’Histoire et par le langage avec Andromaque et Phèdre.56 Finalement, Bonald apporte sa pierre à l’édifice avec la formule « La littérature est

l’expression de la société.»57 Cette idée devait se développer selon trois axes. Tout d’abord, une reconnaissance de toute littérature impliquée par la reconnaissance de toute société – c’est ainsi que les traductions se multiplient –. Puis une explication de toute littérature par ses déterminations et besoins propres et enfin la naissance d’une sociologie du littéraire comme phénomène social.58

Dans deux des trois romans que nous analyserons, Le gone du Chaâba et Chroniques

d’une société annoncée, nous proposons l’approche sociocritique.

4. Les auteurs

Didier Daeninckx est né en 1949 à Saint-Denis, dans la région parisienne. Après avoir été ouvrier imprimeur et journaliste, il réalise son rêve de devenir écrivain en 1982 avec la publication de son roman Mort au premier tour. D’autres ouvrages suivent, dont Meurtres

pour mémoire (1984), pour lequel il reçoit le prix Paul Vaillant-Couturier en 1984 et le grand prix de la littérature policière en 1985. Une des caractéristiques les plus importantes et remarquables de l’œuvre de Daeninckx est qu’il est un écrivain engagé. Il écrit notamment sur des événements peu connus, qu’il révèle à un grand public. En insistant sur des épisodes douloureux, cet auteur montre qu’il ne faut surtout pas les oublier ou les ignorer, parce qu’ils sont importants pour la société d’aujourd’hui.

55 Ibid, p.160. 56 Ibid, pp.157, 158.

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Azouz Begag est né le 5 février 1957 à Lyon. Ses parents viennent de l’Algérie et ont émigré en 1949 en France, où ils restent jusqu’à leur mort. Begag habite jusqu’à l’âge de dix ans à Villeurbanne, près de Lyon dans un bidonville. Puis il déménage en HLM dans la cité de la Duchère à Lyon. Titulaire d’un baccalauréat de technicien en électronique, il décide ensuite de faire des études universitaires de sciences économiques et obtient un doctorat en économie à l’Université Lyon 2 sur le thème « L’immigré et la ville ». Depuis 1986, Begag travaille au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ce qu’il combine avec d’autres activités. Il écrit de nombreux romans, dans lesquels il donne la parole aux habitants des « quartiers sensibles », s’adressant autant aux jeunes et aux adultes qu’aux responsables politiques et aux sociologues. Begag écrit non seulement des romans, mais est aussi l’auteur d’une vingtaine de publications en sciences sociales. Un autre domaine dans lequel Azouz Begag s’engage est la politique. Après plusieurs essais pour être candidat lors diverses élections – sans y parvenir –, Dominique de Villepin, Premier ministre sous Jacques Chirac, lui commande en 2004 un rapport intitulé « La République à ciel ouvert ». Begag y dresse entre autres un bilan de vingt années de politique d’intégration et propose une dizaine de mesures de discrimination positive. De juin 2005 à avril 2007, il est ministre délégué, chargé de la Promotion de l’égalité des chances, dans le gouvernement de Dominique de Villepin.

Le collectif « Qui fait la France » est né en 2007 d’indignations communes. Les membres59 sont aussi bien des auteurs publiés que des débutants et partagent le goût d’une littérature du réel, sociale et revendicative, militant pour une reconnaissance sensible des territoires en souffrance et de ses habitants, et plus largement pour tous ceux qui n’ont pas voix au chapitre de ce pays.60 Chroniques d’une société annoncée est la première étape littéraire du collectif qui vise à refléter la France invisible bien que majoritaire.

59 Le Collectif « Qui fait la France » est composé des auteurs suivants : Dembo Goumane, Mabrouck Rachedi,

Jean-Eric Boulin, Samir Ouazene, Habiba Mahany, Khalid El Bahji, Thomté Ryam, Karim Amellal, Mohamed Razane et Faïza Guène.

60 COLLECTIF QUI FAIT LA FRANCE. Argumentaire.

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II La France dans les années 60

En oubliant le passé, on se condamne à le revivre.

Didier Daeninckx, Meurtres pour mémoire

1 (Dé)colonisation et perception de l’histoire coloniale 1.1 (Dé)colonisation

Afin de respecter un ordre chronologique dans notre analyse, nous commencerons par les romans Meurtres pour mémoire, publié en 1984, et Le gone du Chaâba, apparu deux ans plus tard. Meurtres pour mémoire, écrit par Didier Daeninckx, prend pour toile de fond la manifestation pacifique algérienne qui a eu lieu le 17 octobre 1961 à Paris, ayant pour but la levée du couvre-feu qui leur a été imposé. Brutalement réprimée par les C.R.S., cette manifestation a laissé des dizaines de morts, uniquement algériens. Dans le roman, il y a également un Français parmi les morts, Roger Thiraud, un petit professeur d’histoire, qui a observé la manifestation en rentrant à la maison. Vingt ans plus tard, c’est son fils Bernard Thiraud qui est assassiné par une dizaine de balles à Toulouse. Hasard ? C’est la question que l’Inspecteur Cadin se pose. Après une longue enquête, il s’avère que le père et son fils ont été tués pour la même raison : ils s’intéressaient trop à certains documents concernant la Seconde Guerre mondiale, où des milliers d’enfants juifs ont été déportés de Toulouse, par Drancy, en Allemagne. Les responsables sont l’actuel Directeur des Affaires Criminelles de la police parisienne et le chef archiviste à Toulouse, là où père et fils Thiraud avaient consulté des dossiers. L’auteur fait ici une allusion à Maurice Papon, nommé André Veillut dans Meurtres

pour mémoire qu’il accuse d’assassinat, car c’est Papon, préfet de police de Paris à l’époque, qui a été responsable du massacre du 17 octobre 1961 et qui a également exécuté fanatiquement tous les ordres des Allemands quant à la déportation des enfants juifs de Toulouse en Allemagne.

Le gone du Chaâba, roman écrit par Azouz Begag, se déroule à la fin des années 60, ce qui est une décennie après la manifestation algérienne évoquée dans Meurtres pour

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autobiographique amène le lecteur dans le monde d’un petit garçon de parents algériens immigrés en France. Au cours du récit, l’auteur montre le parcours d’Azouz qui essaie de trouver sa place dans la société française. Le roman commence trois ans après l’indépendance de l’Algérie.

Afin de comprendre la société française dans les années 60, époque des romans, il faut d’abord présenter la situation telle qu’elle était avant, c’est-à-dire de la colonisation à l’indépendance en 1962 en insistant sur la Guerre d’Algérie, qui n’était pas encore finie lors de la manifestation de 1961. Nous abordons également l’immigration des Algériens en France pendant les Trente Glorieuses.61 Ensuite, nous présenterons la situation telle qu’elle était dans les années 60 dans les bidonvilles. Finalement nous insistons sur les relations et l’image des Français à l’époque vis-à-vis des immigrés et vice-versa, parce qu’elles jouent un rôle primordial dans Le gone du Chaâba.

Au XIXe siècle la France se lance, comme d’autres nations européennes, à la conquête de l’Asie et de l’Afrique. Une des prises se situait en Afrique du Nord, où les Français s’installent de 1830 à 1870 au Maroc, en Tunisie et en Algérie, en un mot au Maghreb. Quant à l’Algérie, c’est en 1833 que ce pays est colonisé après une longue guerre qui ruine une partie du pays, alors qu’au départ elle était seulement mise en place pour mettre fin à un conflit diplomatique.62 Pour justifier la colonisation de ces territoires, les Français ont apporté plusieurs raisons. Ainsi, il y avait l’esprit missionnaire, en d’autres mots la christianisation et un sentiment de supériorité, il fallait civiliser les peuples « barbares ». L’expansion coloniale s’accompagnait donc d’évangélisation63, on souhaitait imposer la religion chrétienne aux indigènes, ainsi que les traditions et les mœurs occidentales. Au début, les Français dominaient en Algérie : ils étaient les colons face aux autres, les indigènes. Au fur et à mesure, ils ont commencé à s’intéresser pour cet Autre si différent. Ils voulaient le découvrir, le comprendre. Surtout Napoléon III était très intrigué par l’Algérie et ses habitants et ne voyait pas ce pays comme colonie : « L’Algérie n’est pas une colonie […] mais un royaume arabe […] et je suis aussi bien l’empereur des Arabes que celui des Français ! »64 Ce ‘rêve arabe’ est brisé en 1870, l’année de la défaite de la France contre la Prusse. A partir de 1871,

61 Période florissante en France après la Seconde Guerre mondiale qui a duré environ trente ans. 62 GUINOUNE, A-M. Syllabus La littérature française d’origine maghrébine au prisme de la

colonisation/décolonisation 1950-2006, Université de Groningen.

63 CHRÉTIEN, J-P. « Pourquoi l’Europe a conquis le monde », dans l’Histoire, n° 302, 2005, p.55.

64 STORA, B. Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954). Paris, La Découverte, 2004 (Première édition : 1991),

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l’Algérie passe presque exclusivement des mains des militaires à celles des colons. Le pays, assimilé comme département français, devient son simple prolongement en outre-Méditerranée. A la fin du XIXe siècle, beaucoup de Français décident de s’installer en Algérie. Cela entraîne le renforcement du christianisme, parce que c’est surtout par cela qu’ils peuvent se différencier et garder l’image de leur France bien-aimée. Mais en face l’islam reste la seule ‘patrie’ de référence idéologique pour la masse des Algériens. Le fameux slogan d’Abdelhamid Ben Badis l’affirme : « L’arabe est ma langue, l’Algérie est mon pays, l’islam est ma religion »65 Le cadre religieux est donc très important, parce qu’au moyen de cela l’Algérie reste en contact avec le monde arabo-islamique et soutient un patriotisme algérien naissant. Il offre partout aux populations algériennes les moyens de combattre la présence coloniale étrangère.

A l’issue de la Grande Guerre, la désagrégation finale de l’Empire ottoman entraîne dans de nombreux pays arabes la faillite d’un imaginaire et d’une certaine vision de la ‘nation arabe’. Cela provoque la naissance et le développement d’une conscience d’indépendance nationale ; puis celle d’une solidarité entre Arabes contre l’ennemi commun.66 En 1936, le projet Blum-Violette voit le jour, permettant à une minorité d’Algériens de devenir citoyen français tout en gardant leur statut lié à la religion. Ainsi, l’incompatibilité entre la fidélité à l’islam et l’appartenance à la communauté politique française serait rompue. Pourtant, l’Etoile nord-africaine (L’E.N.A.) était contre parce que ce serait encore un moyen pour diviser le peuple algérien. Ils se battaient pour le rejet de la loi en disant : « Nous ne sommes pas Français, nous sommes un peuple conquis par les Français. Ce qui n’est pas la même chose. »67 Pendant la Seconde Guerre mondiale, la France veut toujours garder sa puissance en Algérie et à cause des mesures entre autres prises à Vichy, la radicalisation d’une partie des Algériens a commencé. Le jour où la France signe l’armistice, le 8 mai 1945, des Algériens défilent avec des banderoles : « A bas le fascisme et le colonialisme »68. Rien ne sera plus comme avant. Le fossé s’est considérablement élargi entre la masse des Algériens et la minorité européenne.

Neuf ans plus tard, la Guerre d’Algérie commence, ayant pour cause l’immobilisme français face aux Algériens. Toutes les réformes sont bloquées. En 1954, le Front de libération nationale (F.L.N.) est fondé et il lance l’insurrection du 1er novembre, qui inaugure à son tour

65 Ibid, p. 37. 66 Ibid, pp. 41,42.

67 Ibid, p.79.

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la guerre d’indépendance.69 Ce qui suit est une guérilla qui agite le pays. La guerre se propage autant dans les campagnes que dans les villes. La France répond par des opérations militaires de plus en plus offensives. On donne beaucoup de liberté à l’armée, pour qu’elle arrête la rébellion. En 1958, la IVe République tombe à cause de cette guerre et Charles de Gaulle revient au pouvoir, notamment sous la pression de l’armée en Algérie. Pourtant, il contrarie bientôt les partisans de l’Algérie française qui l’ont soutenu en suggérant l’indépendance de l’Algérie. Les chefs militaires en poste en Algérie tentent un putsch, mais ils échouent. La guerre finit en 1962, lorsque la France et le F.L.N. signent les accords d’Evian.

1.2 Perception de l’histoire coloniale

Décrite en détail dans Meurtres pour mémoire, la manifestation du 17 octobre 1961 a été jusque-là largement occultée en France. Ainsi, Octobre à Paris, documentaire réalisé par des militants contre les exactions policières, n’a pu être programmé dans un cinéma des Champs-Elysées que trente ans après.70 D’où vient cette ignorance d’une date si importante ?

Tout d’abord, comme l’explique l’historien Benjamin Stora, il y a une contre-vérité historique. Sur le bilan officiel avancé par Maurice Papon, il n’y a eu que trois morts pendant la manifestation, alors qu’il s’agit plutôt de 200 à 300 morts selon le F.L.N. et les historiens. Stora l’appelle « une espèce de négation du fait historique sur le 17 octobre 1961. »71 Jusqu’à nos jours, les études historiques sont encore entravées par les interdits de consultation des archives et par les étranges disparitions de documents. L’établissement des faits demeure donc impossible.72

Ensuite, l’Etat français a énormément de mal à reconnaître sa responsabilité, comme le montre un entretien de Bernard Marchetti avec Maurice Papon sur France 2 en 1983, vingt-deux ans après la manifestation, dans lequel ce dernier dit : « Si j’avais à refaire ce que j’ai

fait, je le referais. » Nous pouvons constater une négation de l’histoire de la manifestation, de la Guerre d’Algérie et plus généralement, un manque de mémorisation, voire un refoulement de l’histoire coloniale. Dans l’ouvrage La fracture coloniale73, plusieurs écrivains, dont Benjamin Stora, expliquent la société française au prisme de l’héritage colonial et insistent sur la façon dont la Guerre d’Algérie est « perçue » par la société française.

69 Ibid, p. 107.

70 LIAUZU, C. La société française face au racisme. Bruxelles, Editions complexes, 1999, p.136. 71 GAGNIER, E. Rôle Papon 17 octobre 61, Agence, Paris, France 3, 1997.

72 LIAUZU, C. (1999), p.136.

73 BLANCHARD, P, BANCEL, N. et LEMAIRE, S. (sous la direction de). La fracture coloniale. Paris, La

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La majorité des Français ne se sentaient et ne se sentent pas concernés par l’histoire coloniale, dont la Guerre d’Algérie constitue une partie douloureuse. Au contraire, elle apparaît toujours comme extérieure à l’histoire générale de la France contemporaine. En effet, comme le montre une étude dans le même livre, seulement 7% des Français considéraient au début des années 90, la Guerre d’Algérie comme un des « principaux événements marquants » de l’histoire de France au XXe siècle. Pour la masse des Français, l’Algérie a longtemps été un territoire lointain, les populations qui la composaient étaient peu connues. Les Français ont découvert l’Algérie essentiellement pendant la guerre elle-même. La France se considérait comme le centre d’une histoire profondément européenne, occidentale, absolument pas comme partie prenante d’une histoire venant de l’Afrique ou du monde arabe. C’est justement dans la méconnaissance de l’histoire coloniale que se trouve en partie la dénégation de la Guerre d’Algérie. Si l’on observe la production cinématographique, il existe très peu de films français qui traitent l’histoire coloniale. La figure du colonisé a donc longtemps été absente. Pourtant, la Guerre d’Algérie ne peut se comprendre que si on la « prend » en amont, comme l’explique Benjamin Stora.74 Le manque d’une construction des récits historiques d’une grande ampleur sur l’histoire coloniale ont, entre autres, causé l’incompréhension de la Guerre d’Algérie. Elle n’était pas un drame franco-français comme Vichy, qui concernait toute la société française. L’Algérie et sa guerre ne concernent que les groupes porteurs de la mémoire de la guerre coloniale, comme les immigrés, les harkis, les pieds noirs ou les soldats. Si la société française a voté pour le principe d’autodétermination par référendum en 1961 et 1962, elle l’a fait en majeure partie pour se débarrasser d’une terre lointaine, devenue remuante.75 L’image de l’utopie coloniale républicaine montrée par les médias et par la propagande s’est avérée fausse. Pendant la période coloniale, les manuels scolaires étaient de véritables promoteurs de la colonisation. Les manuels d’histoire et de géographie, aussi bien que ceux de littérature ou de philosophie, reflétaient le sentiment impérial et ont mis en avant l’Etat français comme puissance impériale, il en était de même des médias. C’est très probablement pour cela que pendant l’enquête mentionnée dans La fracture coloniale, 48,8% des personnes interrogées, de plus de 55 ans, estiment que la colonisation a beaucoup apporté aux pays concernés, contre seulement 18,8% à 28,8% dans les catégories plus jeunes.76 Cela s’explique par la différence du traitement de l’histoire coloniale à l’époque où les personnes de plus de 55 ans fréquentaient l’école et celui d’après. Pour revenir précisément à la

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