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L’élégance de la langue française

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L’élégance de la langue française

L’importance de la préface du livre I

er

des Elegantiae de Valla dans les

apologies de la langue française de 1509 jusqu’à 1549

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L’élégance de la langue française

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Remerciements

Pendant les mois que m’ont demandés la réalisation de ce mémoire de fin d’études, plusieurs personnes m’ont aidée et inspirée et je les en remercie.

D’abord un grand merci à dr. Annemie de Gendt, ma directrice de mémoire. Son soutien inépuisable m’a encouragée de perfectionner mon mémoire. Puis, je remercie prof. dr. Philiep Bossier, le réviseur, pour ses remarques.

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Introduction

En 1448, l’humaniste italien Lorenzo Valla fait paraître ses Elegantiae, un ensemble de six livres traitant du latin. Dans la préface du livre Ier, l’auteur fait une apologie du latin. Il y explique la théorie de la propagande de la langue, qui revient à dire que propager sa langue, c’est étendre son royaume.

Un siècle plus tard, en 1549, La Deffence et Illustration de la langue française de Joachim du Bellay paraît. Aujourd’hui, cette apologie du français est considérée comme l’annonciateur d’une nouvelle époque : celle de la Pléiade. Car le texte n’est pas seulement une apologie de la langue ; c’est aussi un manifeste poétique. Ou, si nous osons dire, le texte est une proclamation poétique qui a aussi des aspirations apologétiques quant à la langue.

L’apologie du français de Joachim du Bellay paraît un siècle après celle du latin de Valla. Pendant cette période, plusieurs apologies de la langue latine et de la langue vulgaire ont été écrites. Dans son livre Premiers combats pour la langue française1, Claude Longeon a rassemblé chronologiquement les apologies de la langue française de 1487 à 1549. Le premier de ces textes est un résumé des propos de l’avocat Jean Lemaistre sur l’utilisation du français au Parlement de Paris, le dernier est la Deffence de Joachim du Bellay.

Dans la présente étude, nous nous demandons quelle est l’importance de la préface de Lorenzo Valla dans ces apologies du français d’avant la Deffence. Dans son édition de l’apologie de Du Bellay, Jean-Charles Monferran2 indique quelques fragments du texte où il voit l’influence de Valla. Selon nous, Valla a influencé des auteurs français déjà au début du XVIe siècle, qui, à leur tour, ont inspiré Joachim du Bellay.

Nous nous concentrons sur un corpus de sept textes qui figurent dans le corpus de Longeon.3 Le texte le plus ancien est une préface de Claude de Seyssel datant de 1509, le texte le plus récent est une préface de François Habert, parue en 1549.

Dans les textes que nous avons choisis, nous voyons des ressemblances avec les Elegantiae de Valla. Dans le livre de Longeon, il y a encore deux fragments de textes dont les

1 Longeon, C. (1989), Premiers combats pour la langue française, Paris: Le Livre de Poche Classique 2 Bellay, Joachim du (éd. Monferran, Jean-Charles, 2001), La deffence, et illustration de la langue françoyse,

Genève : Droz

3 Nous considérons le livre de Longeon comme un résumé exhaustif des apologies du français à la première

moitié du XVIe siècle, car l’auteur a rassemblé des textes variés sur la langue française, de plusieurs domaines de

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thèmes ressemblent à ceux de Valla, mais nous n’en avons pas pu trouver les textes intégraux, donc ces textes ne figurent pas dans notre corpus.

Le motif de nos recherches est de signaler que l’émancipation du français est bien vivante pendant la première moitié du XVIe siècle. Trop souvent, on saute des linguistes humanistes italiens à la Pléiade. Selon nous, il faut se rendre compte qu’il y a une autre étape dans le développement de l’apologie du français. En étudiant des textes antérieurs à celui de Du Bellay, nous donnerons une image plus complète du climat littéraire dans lequel la Deffence a paru.

En étudiant le rôle de Valla dans l’apologie française, nous contribuerons aux recherches de l’influence de la littérature italienne sur la littérature française au début du XVIe siècle. À notre avis, le germe de l’apologie du français se trouve dans l’Italie du XVe siècle (cf. ch. I.1.4). Nous analyserons donc les textes de notre corpus pour montrer comment une théorie italienne a pu être appliquée au français.

Les Elegantiae en France

Dans son étude de la diffusion des Elegantiae en Europe, Ann Moss (2003)4 soutient que les auteurs du XVIe siècle en France connaissent l’ouvrage de Valla.

La première publication imprimée des Elegantiae date de 1471. Les six livres ne sont pas seulement publiés à Rome, mais aussi à Paris. Dès la première édition, ils entrent donc en France (Moss (2003), 35). Vingt ans plus tard, une deuxième édition paraît à Paris, suivie de nombreuses rééditions. En 1490, l’humaniste français Guy Jouenneaux (Guido Juvenalis, env.1450-1505) publie son adaptation des Elegantiae, mais il supprime les préfaces. Déjà en 1475, Bonus Accursius a publié une version simplifiée à Paris, que les étudiants français utilisent plus souvent que la version originale (Moss (2003), 45-46). Érasme adapte les Elegantiae pour ses élèves. Cette adaptation est publiée sans permission à Paris en 1529 (Moss (2003), 48). Nous n’avons nommé ici que trois adaptations d’une longue liste.

Au début du XVIe siècle, les Elegantiae jouent d’un grand prestige dans l’Europe latine (Moss (2003), 51). Le texte intégral est réimprimé plusieurs fois à Paris, et, après 1510, à Lyon et à Strasbourg (Moss (2003), 54). A l’époque, beaucoup d’étudiants utilisent le manuel, dans sa version originale ou dans une adaptation quelconque.

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Bien que les lecteurs n’aient pas tous disposé d’une version contenant les préfaces, ces versions étaient disponibles au XVIe siècle. Il est donc possible que les auteurs dont nous étudierons les textes ont lu la préface dans laquelle Valla établit sa théorie de la propagande de langue, ou des textes influencés par Valla.

Introduction du corpus

Pour examiner l’influence de Valla sur l’apologie du français, nous analyserons donc un corpus de sept textes. Il s’agit de deux préfaces de traductions, une préface d’une allégorie française, une allégorie française et son prologue, et trois textes indépendants, parmi lesquels un discours et un texte polémique.

Nous avons basé notre choix des textes sur leurs ressemblances avec la préface du livre Ier des Elegantiae. Selon nous, dans le corpus de Longeon, neuf textes ressemblent à celui de Valla. Deux d’entre eux n’étaient pas disponibles en version intégrale. Il s’agit du texte de Jehan le Blond, qui a ajouté une apologie du français à sa traduction de l’italien du Livre de police humaine de Francesco Patrizzi5 et d’une préface de Pierre Saliat à sa traduction d’une série d’oraisons.6 Longeon (1989) et Chocheyras (1966)7 en citent des fragments, mais, à notre avis, il faut étudier le texte intégral pour pouvoir suivre le raisonnement. Nous étudierons pourtant un autre texte de Pierre Saliat, à savoir la préface de sa traduction de la Declemation contenant la maniere de bien instruire les enfants d’Érasme.

Nous introduisons les textes ici chronologiquement. Le premier est L’Exorde en la translation de l’histoire de Justin du Savoyard Claude de Seyssel, la préface d’une traduction d’un texte latin écrit par Lorenzo Valla.8 Nous étudierons la préface qui précède la traduction de Claude de Seyssel, dont le manuscrit date de 1509.

5 Patrice / Le Blond (1546), Le livre de police humaine contenant briefve description de plusieurs choses dignes

de mémoire [Savoir] de l'Enseignement ; estat et régime de la chose publique, des Gouverneurs, de la justice... etc. Item. du gouvernement des Royaumes et enseignemens des Princes,, Paris : Ch. l'Angelié

6 Le titre exact est Loraison que feit Crispe Saluste contre Mar. Tul. Ciceron. Plus l’oraison de Mar. Tul.

Ciceron responsive a celle de Saluste. Avec deux aultres oraisons dudict Crispe Saluste a Iules Cesar, affin de redresser la Republique Romaine. Le tout translaté nouvellement de Latin en Françoys, par Pierre Saliat. Parisiis, Apud Simonem Colinaeum, 1537.

7 Chocheyras, J. (1966), « En marge de la « Défense et illustration », Pierre Saliat : une préface critique de

1537 », in : Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, 28, 675-679.

8 En fait, c’est un texte ancien qui, originalement, a été écrit en grec. Le texte que Seyssel traduit en est une

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Suit La Concorde des deux langages de Jean Lemaire de Belges. Le manuscrit date d’environ 1511, la première édition imprimée de 1513. Nous étudierons cette allégorie ainsi que son prologue.

Puis, nous sautons plus de deux décennies pour analyser un poème polémique de Bonaventure des Périers, intitulé « Pour Marot absent contre Sagon, par Bonaventure valet de chambre de la Royne de Navarre ». Ce texte date de 1537 et a été imprimé.

Dans la même année, Pierre Saliat fait imprimer sa traduction d’un texte contemporain d’Érasme. Nous analyserons la préface de sa Declemation contenant la maniere de bien instruire les enfants.

Puis, il y a un texte anonyme qui date d’environ 1542. Le poème ne porte pas de titre, mais nous le nommons Jusqu’à présent trois jeunes orateurs, comme le premier vers. Le texte a été trouvé dans un manuscrit de 1542 ; à notre connaissance il n’existe pas en version imprimée.

En 1548, Jacques de Beaune publie son Discours comme une langue vulgaire se peut perpetuer. C’est un texte indépendant dans un nouveau genre typique de la Renaissance, le discours.

Le dernier texte que nous étudierons est la préface d’un poème allégorique de François Habert, intitulé l’Epitre du Temple de Chasteté. Le texte imprimé date de 1549.

Nous avons déjà mentionné que la Deffence de Joachim du Bellay est d’abord un traité de poésie, qui contient aussi une apologie de la langue. De même, plusieurs textes de notre corpus servent à des buts autres que la défense du français. Il n’y a que le texte de l’auteur anonyme Jusqu’à présent trois jeunes orateurs et celui de Jacques de Beaune, Discours comme une langue vulgaire se peult perpetuer, qui ont pour seul objet la défense de la langue. Comme l’apologie du français n’est pas toujours le sujet même du texte, nous avons trouvé plusieurs études sur d’autres aspects des textes de notre corpus.

À notre connaissance, la plupart des textes de notre corpus n’ont pas encore été analysés du point de vue de l’influence humaniste italienne. Bien que nous trouvions parfois des allusions au texte de Valla dans les études critiques modernes des textes de notre corpus, personne n’a encore étudié minutieusement l’influence de Valla sur les textes apologétiques français.

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Bellay.9 Certains auteurs de notre corpus figurent aussi dans des études sur d’autres sujets ou auteurs, tels Érasme (Pierre Saliat10), la traduction (Saliat, Claude de Seyssel11), les genres à la Renaissance (Bonaventure des Périers12) ou la rivalité franco-italienne (Jean Lemaire de Belges13). D’autres auteurs, tels François Habert et Jacques de Beaune, sont presque inconnus. La plupart des textes n’ont pas encore été analysés.

Démarche de l’étude

Nos recherches porteront donc sur la question suivante: quelle est l’influence exercée par la théorie de propagande de langue que Lorenzo Valla a développée dans la préface du livre Ier des Elegantiae sur les apologies de la langue française de la première moitié du XVIe siècle ? Au chapitre I, nous décrirons le cadre et le contexte de l’apologie du français. Notre corpus sera analysé thématiquement au chapitre II. Quelques aspects de la rhétorique dans les textes seront étudiés au chapitre III.

D’abord (chapitre I), nous résumerons les arguments de Valla et nous étudierons le cadre dans lequel Valla a écrit son texte. Nous étudierons également les rapports culturels franco-italiens à l’époque. Nous insisterons sur le climat culturel en France dans la première moitié du XVIe siècle et sur le statut du français. Nous nous intéressons aussi à la question de savoir comment la théorie de Valla, écrite pour le latin, a pu être appliquée au français.

9 Par exemple l’étude citée de Chocheyras (1966), cf. la note 7 de la présente étude.

10Par exemple l’étude de Margaret Mann (1978): Erasme et les débuts de la Réforme française (1517-1536),

Genève : Slatkine Reprints.

11 Cf. l’article de Rebecca Boone (2000): « Claude de Seyssel’s Translations of Ancient Historians », in: Journal

of the History of Ideas, 61, 561-575.

12 Dans son étude, Winn, analyse la préface de Bonaventure des Périers (Winn, Colette H. (1987), « L’art de

« quémander » à la Renaissance: l’exemple de Bonaventure des Périers », in: Neophilologus, 71- 4, 505-512). Mantovani étudie la polémique Marot-Sagon (Mantovani, Thierry (1996), « La querelle de Marot et de Sagon : essai de mise au point » in : G. Defaux (éd), La génération Marot, Poètes français et néo-latins (1515-1550), Paris : Honoré Champion, 381- 404).

13 Cf. l’étude de Jean Balsamo (1992): Les rencontres des muses : Italianisme et anti-italianisme dans les Lettres

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Chapitre I : le contexte culturel et littéraire

Valla a écrit ses textes en Italie. Pourtant, nous en retrouvons les idées de l’autre côté des Alpes. Nous pensons que la rivalité culturelle franco-italienne a contribué à la popularité de la propagande de la langue. En tout cas, cette concurrence a influencé le débat sur les langues. Nous la regarderons de tout près dans ce chapitre, en étudiant le cadre dans lequel s’inscrit le débat du français au début du XVIe siècle.

I.1 Le contexte culturel : Lorenzo Valla et les statuts du latin et des langues

vulgaires

14

L’apologie du français au XVIe siècle s’inscrit dans une tradition de la théorie du langage

et des langues qu’ont fondée les humanistes italiens au siècle précédent. À la Renaissance, l’étude de la grammatica s’étend du latin aux langues vernaculaires. Les études de langue deviennent comparatives. Au début du XVe siècle, on compare les langues anciennes, mais bientôt, quand la questione della lingua éclate en Italie, on confronte également les langues vulgaires aux anciennes. L’étape suivante est la comparaison des langues vernaculaires entre-elles.

Selon nous, c’est surtout l’humaniste Lorenzo Valla qui a influencé le débat sur la langue en France au XVIe siècle. Avant d’analyser son influence, nous étudierons la théorie de langage qu’il a propagée, ainsi que sa théorie de la propagande de la langue.

Bien que Valla défende le latin, nous retrouverons son argumentation dans des textes qui soutiennent le français. D’une manière ou d’une autre, la théorie qui a été écrite en faveur d’une langue ancienne est transmise aux langues vulgaires. Manifestement, il y a un changement dans le statut de la langue vernaculaire.

z

14 Pour la théorie de langage de Valla et sa théorie de la propagande de langue, nous nous basons sur les études

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Lorenzo Valla (1407-1457) a laissé une œuvre considérable. Il a écrit de nombreux ouvrages humanistes sur la philosophie, sur la théologie et sur la rhétorique. Il a occupé des postes importants, entre autre à la cour du roi de Naples et à l’université de Pavie.

Bien qu’il y ait plusieurs humanistes qui étudient la grammatica, Valla est innovateur. Il est vrai que les humanistes, en général, cherchent à trouver de bonnes méthodes pour faire des recherches, différentes de celles des scolastiques. Pourtant, Valla est le premier à vraiment changer l’attitude quant à l’étude de la grammatica. À l’époque, cette étude est normative. Valla fait des recherches empiriques du langage, tel qu’il apparaissait à l’Antiquité, au Moyen Âge et à la Renaissance, donc dans une perspective historique. Il observe le langage plutôt que d’imposer des règles. Sa méthode est plus descriptive que celle des scolastiques et des autres humanistes (Waswo (1987), 91).

Pour mettre en pratique ses méthodes, Valla pose d’autres questions que ses contemporains. Il présume que les mots écrits sont des images de la signification, que ce sont des présences physiques (Waswo (1987), 107). À partir de cette idée, Valla insiste sur la signification des mots, alors que la plupart des grammairiens se limitent aux mots eux-mêmes. La seule question qui les préoccupe, est de savoir ce que le mot signifie en général. Valla, quant à lui, implique le contexte dans ses recherches. Il étudie la catégorie grammaticale du mot et sa fonction dans le langage (Waswo (1987), 110).

L’étude humaniste de la grammaire consiste en partie en la comparaison des langues. En Italie, l’on compare le latin au grec. De nombreux auteurs se demandent quelle langue est la meilleure. Quelques auteurs trouvent des arguments en faveur du grec, d’autres en faveur du latin. Selon Valla, le grec n’est pas supérieur au latin. Les langues ont des qualités différentes (Gravelle (1982), 280-281). Ces qualités font que chaque langue sait exprimer sa propre discipline. Le latin est plus bref et plus exact que le grec et il est alors, selon Valla, plus apte à exprimer des idées philosophiques (Gravelle (1982), 282).

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269). En étudiant le langage, on peut alors comprendre comment un peuple perçoit et conçoit le monde.

La langue et le langage sont donc liés à la culture des peuples. Comme d’autres humanistes, Valla pense que la langue est aussi liée aux sciences. Ce serait un instrument pour acquérir des connaissances. Cette idée vient des auteurs latins de l’Antiquité, notamment de Cicéron, Virgile et Quintilien (Gravelle (1982), p.270).

Nous verrons que les auteurs des textes de notre corpus usent de quelques aspects de la théorie de langage de Valla. L’aspect que nous retrouverons le plus souvent est celui de la propagande de langue, établie dans la préface du livre Ier des Elegantiae, qui sera étudiée de plus près.

I.1.2 La théorie de propagande de langue dans la préface du livre I

er

des

Elegantiae

L’un des ouvrages les plus connus de Valla est l’ensemble des six livres des Elegantiae. Le but de cet ouvrage de référence est de restaurer le latin dans la gloire d’antan, c’est-à-dire de retourner aux sources de la langue : les Anciens. Valla observe que la langue a beaucoup changé depuis la chute de l’Empire. Il se fait des soucis au sujet de ces changements. Pour lui, ils impliquent un déclin. Il croit que la culture est tombée dans une impasse. Pour en sortir, il faut reprendre le pur latin de l’Antiquité. C’est pourquoi Valla a écrit les Elegantiae, un ouvrage dans lequel il a groupé les « élégances », les finesses du latin. Selon lui, on ne comprend plus ces subtilités de la langue, c’est pourquoi on a besoin d’un tel livre. Il semblerait que Valla avait raison. Les Elegantiae, dont le manuscrit date d’environ 1448 (et la première édition de 1471), deviennent un ouvrage de référence populaire dans de nombreux pays en Europe.

Les Elegantiae consistent en six livres dont chacun a sa propre préface. Dans chaque préface, Valla défend son choix d’avoir écrit sur les élégances de la langue. À l’époque, la plupart des ouvrages sur le latin ne traitent pas des finesses du latin, mais de la grammaire en général. Dans la préface du livre Ier, Valla présente sa théorie de la propagande de la langue. Les autres préfaces traitent d’autres aspects de la langue.15 Au chapitre II, nous étudierons

15 Dans la préface du livre IIe, Valla défend son choix des sujets de grammaire. La préface du livre IIIe contient

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combien l’argumentation de la préface du livre Ier est attirante pour les auteurs français des générations suivantes. Ici, nous regardons de plus près quels sont les arguments de Valla.

Voici l’idée directrice de la préface : « Ibi namque romanum imperium est ubicumque romana lingua dominatur. » Valla voit un lien entre l’ancien Empire Romain et la langue, ou, plus précisément, la propagande de la langue.

Les Romains, selon Valla, ne s’occupaient pas seulement de l’établissement d’un Empire politique ; ils voulaient aussi bâtir un Empire culturel. L’instrument pour construire un tel Empire est la langue, le latin. En propageant la langue, ils pouvaient propager leurs connaissances. Ainsi, les Romains auraient une gloire éternelle.

La propagande de langue avait une double fonction. Pour les Romains, elle servait à gagner du pouvoir et de la gloire, tandis que, pour les peuples conquis, elle entraînait du profit et des avantages (utilitas). Ainsi, ceux qui ont propagé le latin ont un statut divin. Ils ont fourni aux peuples un instrument pour acquérir des connaissances. Il est humain d’équiper les gens de produits de première nécessité, il est divin, par contre, de leur donner de la nourriture spirituelle (Fisher (1993), 303).

Le latin est alors un don pour les peuples conquis par les Romains. On a, jusqu’au XVe siècle, conservé ce don. L’ancien Empire politique n’existe plus comme tel, mais l’Empire culturel, qui existe à travers la langue latine, est bien vivant.

Valla se présente comme un second Camille. Ce dictateur a vaincu les Galois à Rome en 390 avant J-C, ce qui lui a donné le nom de second fondateur de Rome. Valla dit qu’il a remarqué un déclin de la langue, qui causerait un déclin de l’Empire culturel. Selon lui, il faut remettre le latin en honneur pour sortir de cette misère, et il compte le faire au moyen des Elegantiae.

Ce qui nous frappe dans l’argumentation, c’est que Valla semble apprécier l’impérialisme de ses ancêtres. Romain et vivant à Rome, il parle comme un nationaliste. Selon Alan Fisher, qui a étudié l’impérialisme dans le texte de Valla, l’auteur des Elegantiae a divisé l’humanité en peuples de culture supérieure et peuples « barbares ». Pour Valla, il est légitime que la culture supérieure conquière les barbares : c’est pour leur bien. Le fait que Valla regrette que

écritures païens. Dans la pièce préliminaire du livre Ve, Valla dit qu’il est temps de terminer son travail. Dans la

préface du dernier livre, Valla annonce ses corrections de certains auteurs de l’Antiquité, écrivains qu’il ne veut pas critiquer, mais qu’il corrigera selon le principe d’aemulatio. Une traduction néerlandaise de toutes les préfaces se trouve dans l’édition de Van der Poel : Valla, Lorenzo (éd. Van der Poel, 1998), Om de waarheid en

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la latinité décline - en refusant de reconnaître que le latin est la cause du déclin des langues des « barbares » à l’invasion des Romains - implique que l’auteur trouve son peuple supérieur aux autres (Fisher (1993), 308-309). Ce serait une explication littérale du texte. Fisher propose aussi une explication métaphorique. Valla lui-même parle de nourriture de l’esprit. Il considère le latin comme un véhicule. Les Anciens savaient très bien le conduire, tandis qu’à l’époque de Valla, on ne sait plus exactement comment utiliser le latin. Le peuple a besoin d’aide extérieure. À l’époque, les Romains la donnaient sous la forme d’une invasion. On pourrait alors considérer l’invasion comme une révélation pour les peuples conquis (Fisher (1993), 313). Valla cherche à provoquer cette révélation encore une fois en écrivant un outil qui sert à remettre en honneur la langue (Fisher (1993), 314).16

Dans son étude de la préface, Mariangela Regoliosi souligne l’importance de la métaphore que Valla a choisie. Selon Regoliosi, la dominance culturelle, exprimée par la dominance linguistique, est, pour les humanistes, l’aspect fondamental de la dominance des Romains dans le monde (Regoliosi (1993), 72).

Il ressort de la préface que Valla préfère le latin aux langues vulgaires. Hanna-Barbara Gerl a étudié ses arguments en faveur de la supériorité du latin. Selon Valla, il existe des liens entre le latin d’une part et les arts et les sciences de l’autre. Le latin n’est pas seulement l’instrument dont on a besoin pour pouvoir accéder aux arts et aux sciences, mais c’est aussi la graine, la semence de toutes les sciences (Gerl (1974), 239). La propagande du latin a un double but. Premièrement, elle donne accès aux arts et sciences de sorte que les peuples soient capables d’acquérir de nouvelles connaissances. Ensuite, ces connaissances seront propagées à Rome (Gerl (1974), 237). En principe, d’autres langues sont capables de se propager ainsi, mais finalement, c’est seulement le latin qui a atteint une telle hégémonie sur le monde.

Valla reconnaît que la religion a joué un rôle important dans la propagande du latin. Il est conscient de la latina fides, de la dépendance réciproque du latin et de la religion. Il distingue trois raisons pour cette dépendance. Premièrement, on a choisi le latin pour la rédaction des deux testaments, la Vulgate et la traduction de Jérôme. Puis, les interprétations de certains hommes « destinés »17 ont été écrites en latin. Troisièmement, l’on utilise le latin dans l’Église et notamment dans ses rites (Gerl (1974), 242). Valla lie le latin à la religion

16 Fisher (1993, p.313): « We [les Romains de l’époque de Valla] are placed as would-be Romans, barbarian as

to our capacities and knowledge, but also hoping to go beyond our current selves. We wish to remake ourselves as imperial citizens because we sense that the empire is legitimate (for why else would we be opening a book on Roman elegantiae?). Valla does believe in this idea of legitimate empire: the advent of truth is overwhelming, but it is a good thing thus to be overwhelmed. »

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chrétienne et à la littérature. Il dit que si la religion est éternelle, cela vaut aussi pour la littérature latine (Gerl (1974), 242).

Grâce à l’Empire politique, les Romains disposaient d’une infrastructure apte à propager la culture. La façon dont on apportait la « civilité » aux « barbares » est de leur donner la langue. C’est, selon Valla, en latinisant le monde que la civitas mondiale apparaissait. La latinisation est la condition de la propagande des arts et des sciences. Le latin est la graine, donc il faut d’abord propager la langue pour atteindre la civilitas (Gerl (1974), 245).

Valla lie ainsi le latin aux domaines qu’on trouve très importants à l’époque : les arts et les sciences, la philosophie, la religion et la civilité. Valla croit que chaque langue a ses propres qualités. D’après ses recherches historiques, il a conclu que le latin a apporté tout ce qu’il apprécie dans le monde. Ses recherches grammaticales l’ont convaincu du fait que le latin est intrinsèquement supérieur pour tous les buts scientifiques, civils et éthiques (Waswo, (1987), 133).

Au XVe siècle, Valla préfère le latin aux langues vulgaires. Un siècle plus tard, l’hégémonie latine que Valla envisageait décline dans les pays romans. Les langues vernaculaires, par contre, sont plus populaires que jamais. Qu’est-ce qui s’est passé quant au statut de ces langues, et, plus spécifiquement, à celui du français ?

I.1.3 Le statut du français dans la I

ère

moitié du XVI

e

siècle

18

Au XVIe siècle, le français entre dans de multiples domaines. Il devient la langue diplomatique, politique et administrative (Clerico (1999), 155). Une étape bien connue est l’ordonnance de Villers-Cotterêts, signée par François Ier en 1539, et qui condamne l’usage du latin en faveur du français. Ce qui nous intéresse ici c’est le statut du français dans le domaine de la « sagesse », le domaine dans lequel Valla – et beaucoup d’autres avec lui- préfère le latin.

Le latin étant la langue des savants, il n’est pas facile de prouver que le français équivaut au latin. À l’époque, pour les auteurs français, il est nécessaire de soutenir que l’usage du français n’est pas le signe d’un appauvrissement culturel (Clerico (1999), 155). La recherche

18 Lorsqu’il s’agit du statut du français, nous nous basons sur les études de Clerico (Clerico, Geneviève (1999),

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des arguments en faveur du français mène à des recherches historiques. Certains auteurs français, tel Ronsard dans sa Franciade, cherchent l’origine de leur langue dans le passé de leur pays, une quête qui « tourne bien souvent à des mythologies nationalistes ou à des spéculations théologico-politiques. » (Clerico (1999), 156). Un nationalisme linguistique apparaît, représenté par des auteurs comme Jean Lemaire de Belges, qui lie la naissance de la langue aux origines troyennes mythiques de France. Les auteurs tentent donc de relier le français aux sources antiques, c'est-à-dire au grec et au latin. En même temps, quelques auteurs s’intéressent au Moyen Âge pour dégager les fondements de la tradition littéraire française.

Richard Waswo insiste sur le fait que le latin est toujours l’exemple pour les langues vernaculaires. Les écrivains français veulent montrer que les langues vulgaires sont capables d’exprimer tout ce que le latin peut exprimer. La seule méthode est de se subjuguer au latin, de suivre les règles du latin. Il doit alors y avoir une grammaire, une tradition littéraire et une langue riche. On doit enrichir son vocabulaire en y ajoutant des néologismes, élargir la production littéraire en faisant des traductions (Waswo (1987), 136). Nous verrons que c’est ce que les auteurs de notre corpus essaient de faire.

I.1.4 La rivalité culturelle franco-italienne

19

Les auteurs français cherchent à définir la place de leur langue et de leur littérature dans la tradition littéraire, qui, jusqu’au XVIe siècle, a été largement influencée par la littérature latine et grecque. À la Renaissance, les auteurs plaident pour un usage étendu du français, non seulement contre le latin et le grec, mais aussi contre les autres langues vulgaires, qui se révèlent comme des rivaux. Le rival le plus attaqué est l’italien. Déjà à l’époque de la parution des Elegantiae, au milieu du XVe siècle, la France et l’Italie entretiennent une relation de rivalité. Les Italiens se prennent pour les descendants des anciens Romains. Ils considèrent la philologie et les arts libéraux comme leur terrain, dont les Français sont exclus. Ceux-ci protestent. Dans son étude des relations franco-italiennes, Jean Balsamo décrit la polémique des humanistes français et italiens, dont l’héritage culturel des Romains était l’enjeu.

19 Pour la rivalité culturelle franco-italienne, nous nous basons sur l’étude de Balsamo (Balsamo, Jean (1992),

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Un des thèmes dans le débat est la condamnation d’un rival. Certains auteurs italiens, tel le Tasse dans son Paragone, reprochent la barbarie aux Français, qui désapprouvent, à leur tour, la décadence des Italiens (Balsamo (1992), 38). Quelques érudits français, tel Symphorien Champier, insistent sur la continuité de l’histoire dans leur pays. Ils présentent leur pays comme une forte nation, avec des institutions nationales qui existent déjà depuis longtemps, tandis que l’Italie, du point de vue des Français, n’est pas encore très mature (Balsamo (1992), 39).

Cherchant les fondements de leur tradition littéraire, les Français prêtent beaucoup d’attention à la littérature médiévale. En Italie, le cardinal Bembo a remarqué que la littérature des troubadours est probablement une des sources de la langue vulgaire. Pour lui, la présence de cette littérature indique l’ancienneté de l’italien. Bientôt, les Français s’approprient cet argument afin de prouver l’ancienneté du français, car la littérature des troubadours est d’origine provençale, donc française (Balsamo (1992), 76-77).

Ce débat sur la littérature provençale tourne, vers la fin du XVIe siècle, à une discussion sur la primauté des langues. Quelques auteurs français de l’époque soutiennent la théorie de Nostredame que la littérature française dérive directement du latin, tandis que la littérature italienne est issue de la médiation du français. Ils considèrent alors le provençal comme une sorte de pré-français. Le maître Pétrarque, par exemple, a été inspiré par le provençal, qui dériverait directement du latin. L’italien dériverait partiellement du provençal, donc du français. Le français serait alors antérieur à l’italien (Balsamo (1992), 80).

Bien qu’il y ait une rivalité entre les littératures française et italienne, les Français n’hésitent pas à prendre modèle sur les Italiens. Les Italiens ont commencé bien avant les Français à tourner leur héritage antique en termes vernaculaires. Les auteurs français admirent Dante, Pétrarque et Boccace (Balsamo (1992), 134). C’est en traduisant de l’italien que les auteurs font apparaître des genres nouveaux dans la littérature française, ce que nous verrons au chapitre suivant.

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Bien qu’il y ait des changements en faveur du latin (le développement du néo-latin), les langues vulgaires gagnent en importance. En France, dans un nombre croissant de domaines, le latin est remplacé par le français. Le français ne se dresse pas seulement contre le latin, mais aussi contre l’italien. La rivalité culturelle franco-italienne entraîne des transformations considérables dans la littérature française.

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I.2 Le contexte littéraire : les genres à la Renaissance et la querelle

Marot-Sagon

Du Moyen Âge à la Renaissance, le monde littéraire en France est en train de changer. L’imprimerie a un succès grandissant et les développements dans l’établissement d’une tradition littéraire se succèdent de plus en plus vite. De nouveaux genres apparaissent, les anciens changent. Les rapports d’autorité entre mécène et auteur se redéfinissent. Puis, le public s’agrandit, non pas seulement grâce à la disponibilité croissante des textes, mais aussi aux traductions en français.

Au chapitre précédent, nous avons vu qu’au début du XVIe siècle, les auteurs français sont en train de fonder une tradition littéraire forte en se mesurant aux Anciens et aux Italiens. À la Renaissance, les auteurs essaient de trouver leur place parmi les « maîtres » auteurs de la France, c’est à dire parmi les auteurs canonisés du Moyen Âge et de l’Antiquité. Grâce à l’imprimerie, les ouvrages ont une plus grande diffusion qu’auparavant. Le processus de production des livres est beaucoup plus rapide. En conséquence, les auteurs peuvent suivre l’actualité de l’époque. C’est au XVIe siècle que plusieurs genres « actuels » apparaissent.

Dans ce chapitre, nous étudierons quelques formes et quelques genres des textes qui font partie de notre corpus. Nous insisterons sur les caractéristiques qui sont importantes pour l’analyse de notre corpus. De plus, nous décrirons la querelle littéraire entre Clément Marot et François Sagon pour illustrer le climat dans lequel ont été écrits certains textes de notre corpus.

I.2.1 Genres et caractéristiques des textes

20

Pour un auteur, le genre est un moyen de l’expression. Le choix du genre est un instrument important pour transmettre le message au public. À la Renaissance, les genres du Moyen Âge se développent et de nouveaux genres apparaissent. Ci-dessous, nous résumons

20 Nous nous basons sur les études des genres à la Renaissance de Chavy (Chavy, Paul (1989), « Domaines et

fonctions des traductions françaises à l'aube de la Renaissance », in : Revue de littérature comparée, 63-2, 147-153), Winn (Winn, Colette H. (1987), « L’art de « quémander » à la Renaissance: l’exemple de Bonaventure des Périers », in: Neophilologus, 71- 4, 505-512), Bellenger (Bellenger, Yvonne (1984), « A propos des

« Discours »de Ronsard : y-a-t-il un genre du discours en vers ? », in : G. Demerson (éd), La notion de genre à la

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quelques caractéristiques des différents genres auxquels appartiennent les textes de notre corpus, à savoir traduction, pièce préliminaire, discours et polémique.

I.2.1.1 Traduction

La traduction en tant que genre est importante pour le développement d’une tradition littéraire en langue vernaculaire. En outre, il y a un public de plus en plus grand pour les textes en langue vulgaire. Paul Chavy a étudié la traduction à la Renaissance en consultant les préfaces des traductions..

Selon Chavy, on traduit pour obéir ou plaire à un protecteur mais aussi pour être utile. Cette utilité est un vrai leitmotiv : il semblerait qu’on ne traduit jamais par plaisir. On traduit parce que le texte est riche d’enseignement, sur le plan pratique, ou moral, ou spirituel (Chavy (1989), 148). Il y a aussi le but politique. Claude de Seyssel, qui est conseiller du roi, dit qu’il a traduit des textes anciens pour en tirer du profit. Le texte est alors un exemple pour le roi, tant sur le plan de l’éloquence que sur le plan du contenu. Chavy le résume ainsi : « Vulgariser les Anciens, c’est donner des leçons à la classe dirigeante » (Chavy (1989), 148). C’est donc le topos que la traduction ouvre la porte des connaissances, qui sont cachées dans la langue latine. Le but est alors de les révéler pour pouvoir les mettre en pratique.

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Chavy nomme la fonction associative. À côté du réseau latin d’éditeurs, les traducteurs fondent un réseau international parallèle.

Les quelque mille exemplaires que compte une édition normale d’une traduction sont achetés par un public différent de celui des livres latins. Le grand public consiste en groupes divers de la société. Le noyau en est formé par les gens de robe, responsables de l’administration et de la justice du roi, puis par un certain nombre de bourgeois, de marchands et de gens de métier. En outre, le bas clergé lit des traductions, comme d’ailleurs aussi une petite partie de la noblesse. À tous les niveaux sociaux, les femmes constituent un public, car le latin ne fait guère partie de leur éducation (Chavy (1989), 147).

I.2.1.2 Pièce préliminaire

Les pièces préliminaires ne sont pas nouvelles à la Renaissance, elles se sont développées depuis le Moyen Âge. Colette Winn a étudié les préfaces à la Renaissance, prenant comme exemple l’œuvre de Bonaventure des Périers, un des auteurs de notre corpus.

Dans le recueil narratif de la Renaissance, une pièce préliminaire fonctionne comme adresse directe au lecteur. Au Moyen Âge déjà, il y a une dédicace à un particulier ou, en tout cas, à un public choisi. Cette dédicace révèle le rapport de l’auteur avec le lecteur : c’est un rapport d’autorité. Au Moyen Âge, l’auteur est dépendant du lecteur et il recherche des faveurs financières ou des privilèges (Winn (1987), 505).

C’est le rapport d’autorité qui change à la Renaissance. Au Moyen Âge, les auteurs se servaient de flatterie excessive. Ils évoquaient leur position d’inférieur pour obtenir la protection et l’argent. Par contre, à la Renaissance cette sollicitation vis à vis du protecteur est beaucoup plus subtile. Les auteurs cherchent à reformuler le rapport d’autorité en insistant sur leur dignité d’auteur (Winn (1987), 505). Selon Winn (1987, 506), l’auteur est à la recherche d’une relation d’égalité. Parfois même, il semble vouloir un renversement des rôles. Au lieu de la flatterie, on trouve des marques d’amitié dans les préfaces de la Renaissance, par exemple l’apostrophe à « L’amy lecteur », ou des confidences au lieu de l’humilité (Winn (1987), 506).

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Le mécène a toujours le pouvoir de couper la parole à l’auteur, car c’est lui qui décide des moyens financiers. L’écrivain a alors une position vulnérable et il doit nécessairement séduire son protecteur. Une technique souvent exploitée à la Renaissance est de « donner au lecteur l’illusion de son pouvoir dans la création littéraire » (Winn (1987), 507). L’auteur refuse alors de satisfaire aux exigences littéraires du public. Il n’inscrit pas son ouvrage dans une tradition littéraire, comme d’habitude, mais il le présente comme un texte tout à fait nouveau. L‘auteur tend à imposer ses goûts au public, ce qui est un lieu commun familier aux humanistes. Il n’est plus question pour l’auteur de s’adapter au lecteur-mécène, mais bien l’inverse. C’est l’auteur qui impose les règles (Winn (1987), 510). L’humble auteur du Moyen Âge est devenu sûr de soi, ce qu’apparemment le protecteur accepte.

Le public de l’auteur change. Au Moyen Âge, le mécène était le premier lecteur. Pourtant, à la Renaissance, le public est plus vaste. Il est vrai que le protecteur doit donner son consentement à l’édition, mais il n’est plus le seul responsable du succès ou de l’échec de l’ouvrage. Le rôle du protecteur change : les auteurs lient le (re)nom du mécène à leurs œuvres pour vendre plus d’exemplaires.

I.2.1.3 « Discours » et polémique

Un genre tout à fait nouveau à la Renaissance est celui du discours. Yvonne Bellenger en a décrit les caractéristiques. Le discours est adressé au roi ou à un grand personnage. Il a un objet non métaphysique, mythique ou fictif. Il est rédigé par un narrateur à la première personne et il s’achève sur un souhait en rapport avec l’objet du discours et le destinataire (Bellenger (1984), 198).

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I.2.2 Le climat littéraire en France: la polémique Marot-Sagon

21

Grâce aux genres qui décrivent l’actualité de l’époque, nous pouvons suivre de près ce qui se passe dans le monde littéraire. La querelle Marot-Sagon en est un exemple, qui joue dans les années 1530. Une divergence d’opinion entre les deux poètes mène en effet à une querelle littéraire à laquelle participent de nombreux auteurs, connus et inconnus, de l’époque. Cette polémique nous donne une idée du climat littéraire en France dans la première moitié du XVIe siècle.

En août 1534, les auteurs Clément Marot et François Sagon se disputent lors des festivités du mariage d’Isabeau d’Albret (nièce de Marguerite de Navarre) avec le vicomte René de Nohan à Alençon. Selon Sagon, Marot avait affiché ouvertement ses tendances réformées. En outre, il aurait critiqué la Sorbonne, ce qui implique qu’il avait critiqué le dogme théologique de l’université (Desan (1996), 354). L’incident a des suites lorsque l’affaire des Placards (17 et 18 octobre 1534) change le climat en France. Ceux qui sont réceptifs aux idées des réformateurs sont en danger. Marot s’enfuit, premièrement à Nérac, auprès de Marguerite de Navarre, et puis, au début de 1535, à Ferrare. Il retourne en France au début de 1537, après avoir abjuré publiquement ses « fautes » et après avoir reçu la bastonnade à laquelle on devait se soumettre si on voulait être pardonné d’avoir soutenu des idées controversables (Desan (1996), 354-358).

En l’absence de Marot, Sagon avait commencé une polémique contre celui-ci. Lorsque le poète rentre, il trouve le monde littéraire divisé en deux camps : celui de Sagon et celui qui lui est resté fidèle. Le parti de Marot (les Marotins) a pris la parole en faveur du poète durant son absence. Marot lui-même ne se mêle à la querelle littéraire qu’en juillet 1537. À partir de ce moment-là, la querelle devient très âpre (Desan (1996), 358-359).

En 1537, le parti de Marot s’organise. Les deux chefs, Charles Fontaine et Bonaventure des Périers, publient le premier ouvrage collectif de la querelle. Le parti-Sagon répond également avec un tel ouvrage. Après la parution de ces livres, la polémique Marot-Sagon se développe très vite, et mène à une foule de publications. Les recueils et les libelles, illustrés avec des bois qui forment de vraies bande-dessinées, se succèdent si vite et sont si répétitifs, que le public devient saturé. Vers la fin de 1537, Marot et Sagon se taisent, ce qui signifie la fin de la querelle (Desan (1996), 362-365).

21 Pour étudier le climat littéraire en France, et plus précisément la querelle Marot-Sagon, nous nous basons sur

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Chapitre II : l’influence de Valla sur l’apologie du français

Après avoir étudié le cadre dans lequel les textes de notre corpus ont été écrits, nous passons à l’analyse thématique. Nous étudierons quels sont les thèmes que Valla utilise dans sa préface du livre Ier des Elegantiae et comment et dans quels buts les auteurs français les reprennent. En outre, nous étudierons, sans vouloir être exhaustifs, les ajouts des auteurs français par rapport au texte de Valla. Nous nous limiterons ici à l’étude des thèmes qui touchent directement à ceux de la préface de Valla. Les aspects rhétoriques seront analysés au chapitre III de cette étude..

Nous commencerons par une présentation chronologique des textes du corpus. Cette chronologie sera de rigueur dans tout ce chapitre, car elle rend plus clair le développement des idées au cours de la première moitié du XVIe siècle.

II.1 Présentation chronologique des textes du corpus

Dans l’introduction de notre étude, nous avons présenté brièvement les textes de notre corpus. Ici, nous les présentons d’une manière plus détaillée. Nous indiquerons quel est l’auteur, quand est-ce que le texte a été écrit, quel est le cadre culturel et quel est le public visé. Nous résumerons également le contenu des textes.

II.1.1 Claude de Seyssel

Le texte français le plus ancien que nous analyserons date de 1509. Il s’agit de l’Exorde en la translation de l’histoire de Justin de Claude de Seyssel (1450-1520)22. D’origine, L’histoire a été écrite en grec. Claude de Seyssel traduit la traduction latine de Lorenzo Valla. Du vivant du traducteur, le texte est resté manuscrit.

Claude de Seyssel a dédicacé sa traduction au roi Louis XIIe, dont il est le conseiller. Le Savoyard, qui a commencé sa carrière comme juriste, est devenu conseiller du roi en 1498, en 1515, il est devenu évêque de Marseille, pour mourir comme archevêque de Turin (Boone

22Nous référons à l’édition de Jacques Poujol: Seyssel, Claude de (éd. Poujol, 1961), La monarchie de France et deux autres fragments politiques, Paris : Librairie d’Argences. Nous avons numéroté les lignes des

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(2000), 561)23. Il est traducteur et écrivain d’une œuvre diverse24. Son ouvrage le plus connu est La Monarchie de France (environ 1515), texte politique qui sert à conseiller le roi.

Bien que Claude de Seyssel prétende avoir écrit la traduction de L’histoire pour le seul roi25, son public doit avoir été plus grand. Dans son étude des traductions des historiens anciens de Claude de Seyssel, Rebecca Boone dit :

« Seyssel intended as his audience not the « public » but rather the nobility of France, who were notorious for their ignorance of Latin in Seyssel’s time. »26

(Boone (2000), 563-564)

Claude de Seyssel écrit sa traduction au titre de conseiller du roi.. Il veut, selon Boone ((2000), 562), « prove his utility as a councillor »27. Il insiste donc sur l’utilité politique du texte qu’il a écrit. Nous reviendrons sur ce sujet dans notre analyse de la rhétorique.

Dans sa préface, Claude de Seyssel dit que la langue est le véhicule par excellence pour la perpétuation de la monarchie. C’est ce que les Romains ont démontré. En traduisant les textes traitant les arts et les sciences du grec en latin, ils ont créé la nécessité pour les peuples conquis d’apprendre le latin. Bien que l’Empire n’existe plus, le souvenir en est parfaitement conservé puisque au XVIe siècle encore, sa langue est de rigueur. Selon Claude de Seyssel, Louis XIIe a commencé à créer une hégémonie linguistique semblable en propageant le français dans les terres italiennes qu’il a conquises. Selon Claude de Seyssel, le roi peut élargir cette dominance en faisant traduire des textes en français. Ainsi, la langue serait perfectionnée. La traduction servirait d’ailleurs aussi à la propagande des connaissances et elle ferait plaisir aux lecteurs. C’est pourquoi Claude de Seyssel a sélectionné un texte qui plaît au roi et qui est utile pour la politique du royaume. Le roi y trouverait des néologismes et des latinismes ; ceux-si servent à enrichir la langue française, comme les mots grecs ont enrichi le latin.

23

Boone, Rebecca (2000), « Claude de Seyssel’s Translations of Ancient Historians », in: Journal of the History

of Ideas, 61, 561-575

24 Pour une nomenclature des oeuvres de Claude de Seyssel, voir l’édition de Poujol (1961), 19-28.

25 Il dit: « Car je n’ai telle chose entreprins pour aucune autre raison ni à autre fin que pour Vous [Louis XIIe]

complaire et faire chose agréable » (Claude de Seyssel, §6, ll.16-18).

26 « Seyssel ne visait pas « le peuple » comme son public, mais plutôt la noblesse de France, qui avait la

réputation de ne pas savoir lire le Latin à l’époque de Seyssel. »

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Seyssel a un projet : il veut enrichir la langue française. Utilisant l’argumentation impérialiste de Valla, Seyssel cherche à expliquer à son public quelle est l’utilité de la propagande de langue.

Dans les arguments de Claude de Seyssel en faveur des traductions, nous retrouvons quelques fonctions nommées par Paul Chavy (cf. chapitre I.2). Claude de Seyssel insiste sur les fonctions stylistique et informatrice.

II.1.2 Jean Lemaire de Belges

Vers 1511, La Concorde des deux langues de Jean Lemaire de Belges (1473- vers 1525)28 paraît. Ce chroniqueur a travaillé entre autres à la cour de Marguerite d’Autriche et à celle d’Anne de Bretagne,29 et a laissé une vaste œuvre. Il écrit en prose aussi bien qu’en vers. Son ouvrage le plus connu est Illustrations de Gaule et Singularités de Troie, ouvrage en prose où l’histoire de Troie est reliée à celle de la France.

Le manuscrit de La Concorde date de 1511. Il n’est pas dédicacé ; il n’est donc pas sûr quel était le mécène de l’auteur. La première version imprimée date de 1513. Jean Frappier pense que le texte a été inspiré par les voyages de l’auteur en Italie30 et par ses visites à Lyon.31 Dans cette ville, les échanges culturels franco-italiens étaient nombreux.

La Concorde des deux langages consiste en un prologue en prose, une description du Temple de Venus en 616 vers, écrite en tercets décasyllabiques (Frappier (1947), XXV), une partie en prose qui raconte Comment l’acteur fut Rebouté du Temple de Venus, puis une description du Palais d’Honneur et du Temple de Minerve écrite en 108 alexandrins (Frappier (1947), XXVII) et, enfin, la description de la rencontre de Labeur Historien, décrite en prose.

Dans son prologue, l’auteur/narrateur explique pourquoi il a écrit La Concorde des deux langages. Il dit avoir vu deux personnages qui se disputaient sur le français et le toscan, l’italien. Cette discussion l’a amené à écrire La Concorde, car il veut une amitié entre les Français et les Italiens. Il remarque qu’il existe déjà des échanges linguistiques entre les deux

28 Nous référons à l’édition de Jean Frappier : Lemaire de Belges, Jean (éd. Frappier, 1947), La concorde des

deux langages, Paris : Droz. Nous suivons la numérotation de Jean Frappier.

29 Pour une biographie, voir l’édition de Frappier, VII-XXI.

30 Pour les italianismes et l’influence de ses voyages en Italie sur l’oeuvre de Jean Lemaire de Belges, voir

l’étude de Pierre Jodogne: Jodogne, Pierre (1972), Jean Lemaire de Belges, écrivain franco-bourguignon, Bruxelles: Palais des Académies

31 Jean Frappier a trouvé des indications dans le texte qui lui permettent de situer le temple de Venus, qui figure

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cultures et qu’il est important d’établir une paix entre les deux pays. Puis, l’auteur/narrateur annonce qu’il décrira le temple de Venus « a la fasson ytallienne » (Jean Lemaire de Belges, prologue, l.98), tandis que la description du temple de Minerve « sera meslée de prose et de ryme françoise que on dit alexandrine » (Jean Lemaire de Belges, prologue, ll.101-103). On ne trouvera pas de concorde des deux langages, annonce l’auteur/narrateur dans son prologue, au temple de Venus, qui signifie lâcheté et oisiveté. C’est au temple de Minerve que l’on trouvera paix et concorde.

Dans la description du temple de Venus, le narrateur invoque son chagrin d’amour, qui l’a fait partir pour le temple de Venus, où il cherche de la consolation. Il décrit le songe dans lequel Venus lui est apparue sur son char. Venus apporte un printemps prospère. Son temple est un endroit de volupté, où l’archiprêtre Genius occupe une place importante. Genius organise une sorte de messe païenne et il prêche sur le printemps de la vie. Impressionné, le narrateur présente son offrande aux reliques de Venus, ce qu’il décrit en prose, mais il est renvoyé par le diacre Dangier, qui juge son don trop modeste. Le narrateur s’enfuit, et, après avoir erré longtemps, il arrive à un rocher. Là, il trouve une inscription : la description du temple de Minerve. Selon cette description, le temple se trouve, avec le palais d’Honneur, là-haut, à un endroit presque inaccessible. Dans ce temple, le printemps est éternel. On y trouve la paix entre le français et le toscan. Pour pouvoir atteindre le temple, il faut attendre au pied du rocher et consacrer beaucoup de temps à l’étude. Dans la dernière partie de La Concorde, le narrateur décrit comment il a trouvé son guide Labeur Historien, qui l’a renseigné sur l’inscription. Le narrateur n’a pas encore atteint le temple de Minerve, mais il reste auprès de Labeur historien qui le guidera dans la sagesse.

Le but du texte de Jean Lemaire de Belges n’est pas très clair. L’auteur prétend faire la paix entre l’Italie et la France en écrivant sa Concorde. À la fin de La Concorde, il s’avère que le lieu où se trouve la concorde des deux langages est presque inaccessible. Cette paix que l’auteur/narrateur prétend chercher n’est donc pas facile à trouver. Selon des études modernes, le but de Jean Lemaire de Belges est de comparer le français à l’italien. Le français serait alors favorisé par Jean Lemaire de Belges.32

Nous nous intéressons ici à la façon dont Lemaire de Belges utilise l’argumentation de Lorenzo Valla. Vu qu’il ne s’agit pas d’une démonstration, nous ne pouvons pas suivre une

32

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argumentation. Quand même, nous analyserons le texte entier, car nous avons trouvé quelques ressemblances avec le texte de Valla et avec d’autres auteurs de notre corpus.

II.1.3 Bonaventure des Périers

Le troisième texte de notre corpus est celui de Bonaventure des Périers (†1544), « Pour Marot absent contre Sagon, par Bonaventure valet de chambre de la Royne de Navarre ». Ce texte, datant de 1537, fait partie d’un ouvrage collectif, intitulé Les disciples et amys de Marot contre Sagon, La Hueterie, et leurz adherentz.33 Le texte a été imprimé à Paris.

Bonaventure des Périers, qui a travaillé au service de Marguerite de Navarre, est l’auteur d’ouvrages de poésie et de prose. Quelques textes très connus sont Cymbalum Mundi et Joyeux Devis. Bonaventure des Périers, sous pseudonyme, contribue à la publication de la traduction de la Bible et il écrit des textes religieux. Dans un pamphlet, il attaque la religion, ce qui lui coûte cher : il est accusé d’athéisme (Darmesteter (1923), 119-120)34.

Le cadre dans lequel Bonaventure des Périers a écrit est la polémique Marot-Sagon, que nous avons décrite au chapitre I. Dans son poème, l’auteur s’adresse au roi François Ier. Le public doit avoir été composé des auteurs qui participent à la polémique, mais aussi des auteurs qui suivent la querelle littéraire. Et ce ne sont pas seulement les écrivains qui suivent une telle polémique, mais aussi un public plus grand. Le texte a été imprimé, ce qui permet à un public varié de l’acheter.

Dans son « Pour Marot absent contre Sagon », Bonaventure des Périers commence par signaler le problème : le « Maro Francoys »35 (l.5) est poursuivi par quelque poète venimeux. Ce poète, s’avère-t-il dans les lignes 6-9, est Sagon. Ensuite, en même temps, il loue Marot et dénigre Sagon. Mais le problème est plus compliqué : Sagon a non seulement attaqué Marot, il a dérangé « De Parnassus la divine assemblee » (l.20), c’est à dire le roi François Ier. Suit une louange au roi, où Bonaventure des Périers fait aussi son apologie du français. L’auteur montre de la sympathie pour le roi, car Sagon a offensé les muses, les amis du roi, avec ses horribles vers contre Marot. Après avoir exprimé ce qu’il pense de Sagon, Bonaventure des

33 Nous référons à l’édition de 1537, à consulter sur le site internet de la BNF, dans la base Gallica: Périers,

Bonaventure des (1537), « Pour Marot absent contre Sagon, par Bonaventure valet de chambre de la Royne de Navarre », in : collectif, Les disciples & amys de Marot contre Sagon, La Hueterie, et leurz adherentz, Paris : Morin. Nous avons numéroté les lignes à partir du premier vers (l.1 est « Vela de quoy ma Muse est animée »).

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Périers exhorte ses collègues poètes à prendre le parti de Marot, contre Sagon. Il insiste sur les qualités de Marot, « le Poete parfaict » (l.87), et sur la bestialité de Sagon, « ce Bestion » (l.85). Puis, il en vient au fait : il demande au roi la grâce pour Marot.36 Il fait encore une fois la louange du roi, en dénigrant Sagon. La louange est suivie d’une recommandation : selon Bonaventure des Périers, il est absolument nécessaire d’engager un chroniqueur. Dans sa louange, il a insisté sur les qualités du roi. Il serait dommage que celles-ci soient mises à l’oubli après la mort du roi. L’auteur relie les chroniques à la langue ; nous y reviendrons dans notre analyse thématique.

L’auteur a écrit son texte, selon nous, dans trois buts : il veut plaider pour Marot, dénigrer Sagon et il veut se glorifier. Au début déjà, il dit qu’un grand poète est menacé par un autre écrivain. Il s’agit de Sagon, qui poursuit Marot. Ce qui suit, est un éloge de Marot dans lequel l’auteur profite de chaque occasion pour dénigrer Sagon.

L’apologie du français est mêlée à une louange du roi, qui sert à plaider pour le pardon de Marot. En même temps, elle sert de marchepied à Bonaventure des Périers pour encourager le roi à engager un chroniqueur.

L’auteur invite d’autres auteurs à suivre son exemple et à défendre Marot. Il demande aux poètes qui sont en faveur de Marot s’ils trouvent que lui, Bonaventure des Périers, est la personne la plus qualifiée pour parler au roi en défense de Marot. Cette question rhétorique souligne qu’ ayant pris la parole pour plaider pour son collègue, Bonaventure des Périers estime qu’il est plus qualifié que les autres. Il est vrai qu’il prend parti pour et glorifie Marot, mais Bonaventure des Périers est également très conscient de lui. Ce n’est pas seulement Marot qu’il préfère au Sagon, mais aussi lui-même.

II.1.4 Pierre Saliat

Datant de la même année que le texte de Bonaventure des Périers, la préface de Pierre Saliat ne parle pas de la polémique Marot-Sagon. Il s’agit de la préface d’une traduction d’un

36 Dans son étude de la querelle Marot-Sagon, Thierry Mantovani (1996) remarque que cette demande de grâce

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texte contemporain, la Declemation contenant la maniere de bien instruire les enfants d’Érasme37.

Aujourd’hui, la biographie de Pierre Saliat reste encore peu connue. Il a une carrière de traducteur du grec et du latin en français et, en 1556, il est secrétaire du cardinal de Châtillon (Chocheyras (1966), 675).38

Dans sa préface, Pierre Saliat défend son choix d’avoir traduit du latin en français. Il nomme également quelques arguments en faveur du sujet de sa traduction. Il s’agit d’un traité sur l’éducation des enfants. Pierre Saliat insiste sur le fait que l’avenir est aux jeunes. Il serait donc utile d’avoir un manuel sur l’éducation ; une bonne éducation apporte du plaisir à la société. L’auteur dit qu’il a traduit le texte, car de moins en moins de gens arrivent à comprendre toutes les élégances, toutes les finesses, du latin.39 Puis, il nous donne sa vision de l’avenir : une égalité entre les Français et les Grecs et Les Romains, entre les Français et les Italiens. Mais, comme Bonaventure des Périers, Pierre Saliat insiste sur la nécessité d’engager un chroniqueur.

Si nous reprenons les fonctions des traductions que distingue Chavy (cf. chapitre I.2), nous voyons que Pierre Saliat en révèle plusieurs. Pierre Saliat envisage, bien sûr, la fonction informatrice lorsqu’il souligne l’utilité du texte qu’il a traduit. Son texte a également une fonction démocratique, car il rend accessible le traité d’Érasme aux gens qui ne savent pas lire le latin. L’auteur insiste aussi sur la fonction patriotique : dans sa vision de l’avenir, il décrit combien le niveau culturel des Français sera élevé après la publication de sa traduction. Pierre Saliat n’accentue pas autant la fonction stylistique que la fonction linguistique des traductions. Il défend son choix d’avoir traduit le texte du latin en français et il indique donc que le français doit être accepté comme langue qui véhicule des textes disons scientifiques.

37 Nous référons à l’édition de Margaret Mann: Saliat, Pierre, « Declamation de bien instruire les enfans, des leur

commencement. Avec ung petit traicté de la civilté puerile. Le tout translaté nouvellement de Latin en François, par Pierre Saliat. », in : Mann, Margaret (1978), Erasme et les débuts de la Réforme française (1517-1536), Genève : Slatkine Reprints. Nous avons numéroté les lignes à partir de la première, donc l.1 est « Platon le divin

philosophe, formant l’idée d’une Republique telle qu’il ne ».

38 Chocheyras, J. (1966), « En marge de la « Défense et illustration », Pierre Saliat : une préface critique de

1537", in : Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, 28, 675-679

Dans son article, Chocheyras parle d’une autre préface de Pierre Saliat : Loraison que feit Crispe Saluste contre

Mar. Tul. Ciceron. Plus l’oraison de Mar. Tul. Ciceron responsive a celle de Saluste. Avec deux aultres oraisons dudict Crispe Saluste a Iules Cesar, affin de redresser la Republique Romaine. Le tout translaté nouvellement de Latin en Françoys, par Pierre Saliat. Parisiis, Apud Simonem Colinaeum, 1537 Il cite seulement des parties, où nous trouvons des arguments intéressants de l’apologie du français. Malheureusement, nous n’avons pas pu trouver ce texte intégral. Nous nous contentons donc pour le moment de la préface du texte d’Érasme.

(31)

Bien que sa préface soit dédicacée à son mécène, Pierre Saliat s’adresse aussi à d’autres lecteurs. Il insiste sur la motivation de son choix. Nous pouvons considérer la préface comme un texte publicitaire, qui cherche à attirer l’attention des acheteurs potentiels.

II.1.5 Anonyme

Le texte anonyme est un poème qui a été trouvé dans un recueil poétique manuscrit datant de 1542. À notre connaissance, le texte n’a été imprimé qu’en 1965, dans un article de Robert Aulotte.40 Puis, Claude Longeon l’a publié intégralement dans son recueil.41

Nous n’avons guère d’informations sur le contexte du texte anonyme. Nous ne savons pas qui l’a écrit et pour quelle raison. Est-ce que, par exemple, les trois jeunes orateurs dont l’auteur parle au début de son poème42, sont des inventions de l’auteur ou existent-ils en réalité ?

Aux premiers vers, l’auteur explique quelle est la raison de son exposé : il a entendu trois jeunes orateurs qui ont plaidé pour le français comme langue véhicule des arts et des sciences. Pourtant, ces orateurs ont parlé en latin. L’auteur pense qu’il peut attirer l’attention du public s’il parle la même langue que celui-ci, car il révèle alors qu’il est du même pays. Il dit qu’il a le même but que les orateurs : dire qu’en enseignant, il faut parler et écrire en français (ll.15-18). Il veut donc qu’on accepte le français comme langue principale en France dans le domaine des arts et des sciences.

L’auteur prévoit des arguments contre son exposé, qu’il attribue au goût humain pour les coutumes antiques. Sous ce rapport, il indique que le grand écrivain Cicéron a traduit des textes du grec en latin. Si Cicéron a traduit d’une langue à l’autre, il est permis aux Français de traduire du latin en français. Selon l’auteur, on a déjà commencé à traduire, ce qu’il apprécie beaucoup. Il loue les traducteurs, qui, selon lui, contribuent à l’essor du français. Puis, l’auteur reprend l’argument qu’il faut imiter Cicéron. Il y ajoute quelques arguments pratiques : si les arts et sciences sont traduits en français, ils sont accessibles à un plus grand public et, en outre, les étudiants n’ont plus besoin de consacrer toute leur jeunesse à apprendre

40 Aulotte, Robert (1965), « Une défense manuscrite de la langue française au XVIe siècle », in : Bibliothèque

d’Humanisme et Renaissance, 27, 513-522

41

Nous référons au texte dans le recueil de Longeon : Longeon, C. (1989), Premiers combats pour la langue

française, Paris: Le Livre de Poche Classique, pp.108-116. Nous suivons la numérotation de Longeon.

42 « Jusqu’à présent trois jeunes orateurs » (Anonyme, l.1). Les orateurs en question ont exposé qu’il faut étudier

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